M. Gérard Longuet. C’était il y a bien longtemps…
M. Didier Rambaud. Il ne fait aucun doute que les mécanismes européens de tarification doivent être réformés. Nous devons décorréler le prix de l’électricité du prix du gaz. Les défis sont techniques et complexes, mais nous savons que le Gouvernement met toute son énergie pour convaincre nos voisins européens. « L’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau », disait Nietzsche. Le moment est peut-être venu de créer une nouvelle Union européenne énergétique.
Mes chers collègues, les spécialistes, les ingénieurs et les scientifiques nous rappellent une réalité de bon sens : l’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas. Je ne prône pas le retour à la bougie, mais je suis convaincu que notre boussole, en matière d’énergie comme dans le milieu du sport, doit être le collectif : encourager le collectif pour la mobilité ; encourager le collectif en termes de choix énergétique ; encourager le collectif, enfin, en matière de sobriété.
Si nous nous y mettons tous, avec esprit de solidarité et de responsabilité, État, collectivités, entreprises et citoyens, nous nous donnerons les moyens d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. (Applaudissements sur les travées du RDPI. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vivons une période critique, décisive, charnière. L’urgence est là. Pour notre économie, pour les entreprises, les collectivités, les citoyennes et les citoyens, la crise énergétique que nous vivons est un défi, et elle va s’inscrire dans la durée.
La situation nous oblige. Avec lucidité, dans une perspective constructive, nous devons étudier, comparer, proposer et débattre des moyens de notre politique de souveraineté énergétique. Surtout, nous devons nous montrer capables d’une vision d’ensemble.
Nous ne résoudrons pas cette crise énergétique en l’abordant segment par segment, comme vous nous le proposez : un texte, l’été dernier, sur les dérogations et ajustements, un autre à venir sur les énergies renouvelables, un autre encore sur le nucléaire, un projet de loi que vous nous annoncez ce soir sur l’hydroélectricité, une prochaine loi – on ne sait quand – de programmation pluriannuelle de l’énergie, enfin, au passage, la ré-étatisation d’EDF par voie d’amendement…
Tout au contraire, nous avons besoin d’une vision d’ensemble, au risque de subir et de revivre des crises. Car ce que nous traversons aujourd’hui, cette envolée des prix, ces menaces de blackout, ce n’est pas qu’un simple et malheureux empilement des conjonctures : c’est l’obsolescence d’un système énergétique tout entier, qui est en train de s’écrouler.
Il y a une dimension conjoncturelle, c’est indéniable. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, bien sûr, puis un été digne d’un cataclysme climatique, lui aussi lourd de conséquences sur la production électrique. Les besoins en climatisation décuplés en Espagne et, avec eux, la consommation énergétique du pays. Des sécheresses record partout en Europe et des pénuries d’eau inédites. Nous avons connu un niveau d’eau historiquement bas pour les barrages français, qui fournissent 12 % de l’énergie du pays. Le tout dans un contexte de mise à l’arrêt de la moitié du parc nucléaire, dans une proportion qui n’était pas prévue. Soit une somme de facteurs, qui se conjuguent et qui échappent à notre emprise directe et immédiate.
Toutefois, ce que nous maîtrisons, ce qui nous appartient, c’est la décision politique. Et ce que nous voulons, c’est non pas un État actionnaire, qui gère comme le privé, mais un État volontariste et stratège, qui a une vision d’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
En effet, l’emballement des prix de l’énergie que nous connaissons aujourd’hui est le résultat direct du marché européen de l’énergie et de plus de vingt ans de libéralisation du secteur. Lier le prix du gaz et de l’électricité nous conduit à cette situation, où le prix payé par les États et par les consommateurs ne reflète en rien le mix électrique national.
Quand le kilowattheure atteint 1 000 euros, comme il l’a fait cet été,…
M. Gérard Longuet. Non, le mégawattheure !
M. Fabien Gay. … il s’agit non pas d’une réalité matérielle, mais d’un résultat spéculatif et artificiel. Les Français et les Européens ne payent pas le coût de l’énergie, mais celui de l’Europe libérale des traders.
Il suffit d’observer le fonctionnement de ce marché, celui d’un prix de l’énergie commun à tous les États membres. Les usagers payent le même prix, que leur pays ait investi dans le nucléaire et dans les renouvelables ou qu’il soit resté dépendant des énergies fossiles. Dressons le bilan de ce mécanisme !
En France, seuls 7,7 % de la production électrique dépendent du gaz. Rien ne justifie que les cours de l’électricité, dopés par les prix du gaz, se répercutent sur nous avec une telle force.
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Fabien Gay. Allons chercher une sortie temporaire du marché européen. Emboîtons le pas de nos voisins espagnols et portugais, qui ont fait valoir que, non, ils n’ont pas à subir les cours du gaz, qui ne reflètent aucunement leur mix énergétique. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je suis d’ailleurs très heureux de vous entendre dire ce soir que vous en êtes d’accord, madame la Première ministre. Il faudra simplement le faire savoir à votre secrétaire d’État chargée de l’Europe, qui a dit le contraire hier, devant la commission des affaires européennes du Sénat…
Aujourd’hui, 92 % de notre mix électrique sont issus du nucléaire, de l’hydraulique, du photovoltaïque, du solaire, et de l’éolien – 92 % ! Nous avons réduit nos importations de gaz et notre dépendance aux énergies fossiles. Nous pouvons donc légitimement défendre cette demande sur la scène européenne.
Madame la Première ministre, je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous avons des débats politiques. Mais je tiens à vous le dire : si vous décidez d’engager cette bataille, nous la mènerons à vos côtés.
M. Gérard Longuet. C’est bien !
M. Fabien Gay. Entendons-nous bien : je ne parle pas d’interrompre toute interconnexion, car il faut garder de la solidarité européenne. Il s’agit là de réformer le système européen en profondeur ou d’en sortir. C’est un chantier qui prendra des années.
Si nous nous battons, nous pouvons obtenir une dérogation dans les prochaines semaines. C’est que nous n’avons pas des années pour agir : les dégâts sont déjà là. Les factures de nos collectivités territoriales explosent de 30 % en moyenne.
M. Max Brisson. Tout à fait !
M. Fabien Gay. Pour certaines d’entre elles, nous en sommes à 150 % ! Dans mon département, ce sont 2 millions d’euros pour Noisy-le-Sec, idem pour Neuilly-sur-Marne ou encore près de 30 millions d’euros pour le conseil départemental.
Des arbitrages intenables sont déjà en préparation, quelles que soient nos couleurs politiques : augmenter les impôts locaux, renoncer à des investissements majeurs comme la rénovation thermique des bâtiments ou fermer des services publics ?
Mme Sophie Primas. Tout à fait !
M. Fabien Gay. Nous devons créer un bouclier tarifaire réel et immédiat en rétablissant les tarifs réglementés de l’électricité pour toutes les collectivités territoriales et baisser la TVA à 5,5 % pour tous les usagers.
Quant à la fin des tarifs réglementés de vente du gaz en juillet 2023, elle représente un grand danger dans cette période. Il faut empêcher coûte que coûte cette extinction. C’est une nécessité absolue, qui concerne aussi les entreprises électro-intensives. Avec l’inflation des prix de l’énergie, nous savons pertinemment que l’emploi sera la variable d’ajustement. Des fermetures ou du chômage partiel, comme chez Duralex et Arc International, sont déjà envisagés.
Madame la Première ministre, je pose la question : quel sera le coût du chômage partiel pour l’État ? Sommes-nous vraiment dans un scénario préférable au rétablissement des tarifs réglementés pour tout le monde, y compris les artisans et commerçants, comme les boulangers ? Ce qui est sûr, c’est que les tarifs réglementés de vente de l’énergie (TRV) sont préférables au bilan social qui est à craindre. Nous allons traverser au moins deux ans de crise, et les prix ne redescendront jamais.
Déjà, 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique. Combien de plus vont basculer ? Combien d’impayés vont tomber ? Il y a une urgence sociale.
Pour les deux prochaines années, il faut interdire les coupures de tous les fournisseurs, et pas seulement d’EDF, et garantir une puissance minimale de 3 kilowattheures, contre un seul aujourd’hui. Il faut des actions fortes dans l’immédiat, couplées à une planification. C’est un impératif, qui pose la question d’EDF.
Madame la Première ministre, je salue l’organisation de ce débat, mais je regrette que le Parlement ne soit pas associé sur une question aussi essentielle que la ré-étatisation d’EDF. Le débat est légitime : une ré-étatisation, oui, mais pour faire quoi ?
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Fabien Gay. S’il s’agit d’un projet Hercule 2, qui viendra séparer les activités et les ouvrir aux capitaux privés, c’est non ! Et sans attendre 2025, il faut sortir de l’Arenh.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Vous voulez tuer l’industrie !
M. Fabien Gay. Ce système n’a fait qu’enrichir les opérateurs alternatifs et dépecer EDF. Si nous défendons un grand service public de l’énergie, avec monopole public, c’est précisément parce que la crise actuelle montre que le secteur privé est inapte sur cette question.
D’autres crises nous le prouveront. Dans les années à venir, nous devrons investir des milliards d’euros pour la sortie des énergies fossiles. Il nous faut d’ailleurs impérativement nous extraire de la Charte européenne de l’énergie. Ce traité du plein pouvoir aux multinationales, qui leur permet de réclamer des milliards aux États pour défendre leurs investissements dans les énergies fossiles, est maintenant caduc.
Nous défendons enfin le développement d’un mix électrique avec des investissements dans le nucléaire de nouvelle génération et dans les énergies renouvelables, que, pour notre part, nous n’opposons pas.
Nous avons besoin d’une programmation de l’énergie réelle, concrète, qui repose sur des indicateurs fiables, avec une entreprise publique solide, qui ait les capacités d’investir. Pour y parvenir, nous devons sortir l’énergie du secteur marchand et en faire un bien commun de l’humanité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SER, RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, entre le printemps 2020 et le 1er septembre 2022, les prix de marché ont été multipliés par trois pour le pétrole, par cinq pour le gaz et par quarante pour l’électricité. Comment en sommes-nous arrivés là ? Après la pandémie, la reprise économique a suscité des tensions sur les marchés, avec le retour de l’inflation.
Le 24 février dernier, en envahissant l’Ukraine, Vladimir Poutine a déclenché un conflit qui a entraîné, entre autres choses, une flambée sans précédent des cours de l’énergie, le gaz devenant un moyen de pression.
L’Europe, qui était dans un état de dépendance à l’égard des hydrocarbures russes, se trouve aujourd’hui dans une situation difficile, ce qui nous annonce un hiver particulièrement complexe. Il faut le dire, la France est structurellement moins dépendante du gaz russe que l’Allemagne, qui a renoncé au nucléaire.
Si la situation de la France semblait meilleure en théorie, le nucléaire étant l’un des atouts de la politique énergétique française, force est de le constater, la moitié de nos 56 réacteurs est aujourd’hui à l’arrêt pour des problèmes de maintenance.
Cette année, nous serons pour la première fois importateurs d’électricité, parce que nous n’avons pas su anticiper et préserver notre parc. Permettez-moi d’illustrer la situation. Le 21 juillet 2022, RTE a fourni en moyenne plus de 7 000 mégawatts sur le marché spot européen, soit 15 % de la consommation nationale.
Une certaine idée de l’écologie incitait à la réduction, voire à la disparition du nucléaire. Aujourd’hui, cette filière est mal en point et fragilisée. Nous devons tout faire pour conserver nos savoir-faire et garantir son avenir.
À Saint-Nazaire, le 22 septembre dernier, le président Macron a esquissé, alors que nous sommes au pied du mur, l’accélération de la stratégie nucléaire de la France.
Voilà trente ans, nous étions les champions du monde de l’énergie nucléaire civile. Nous disposions d’une autonomie et nous exportions même notre excédent électrique. Nous avons baissé la garde en menant des politiques contradictoires, guidées par des choix idéologiques manquant souvent de réalisme. Ainsi Ségolène Royal souhaitait-elle baisser de 75 % à 50 % la part du nucléaire à l’horizon de 2025. Une orfèvre en matière de géopolitique et de planification énergétique !
Ne devrions-nous pas, madame la Première ministre, réviser cet objectif, qui subsiste encore dans la loi, à horizon 2035 ? Nous serons bientôt en 2023 et, nous le savons, les besoins d’électricité seront croissants.
À la longue liste qui nous conduit à la situation actuelle, on peut ajouter l’abandon du projet de centrale Superphénix de traitement des déchets nucléaires en 1997. Quant au projet Astrid, pourtant lancé en 2010, il a été abandonné en 2019 sans programme de recherche de substitution, fermant ainsi la porte à de nouvelles avancées technologiques. La décision de fermeture de Fessenheim prise sous la présidence de François Hollande nous oblige aujourd’hui, dans notre région Grand Est, à rouvrir une centrale à charbon.
Je n’évoquerai pas l’affaiblissement continu des capacités financières d’EDF, notamment fragilisée par l’Arenh, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Ce problème ne sera pas exclusivement réglé par la nationalisation.
Les injonctions contradictoires ont contribué à fragiliser cette filière d’excellence française. La structuration même des portefeuilles ministériels antérieurs n’est sans doute pas étrangère à une telle situation.
Ainsi, les précédents grands ministères de l’écologie et du développement durable n’avaient pas naturellement dans leur ADN la capacité de planification énergétique et industrielle. Nous attendons beaucoup de la constitution du nouveau ministère de la transition énergétique, qui semble aller dans le bon sens. Notre pays a besoin d’un grand ministère de l’énergie et de l’industrie.
Par ailleurs, force est de constater que l’on a affaibli dans notre pays le pilier du nucléaire, sans pour autant atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, en matière de développement d’énergies renouvelables, dans la PPE. En effet, les complexités administratives rendent le déploiement des EnR difficile et beaucoup trop long par rapport à nos voisins européens.
Notre bouquet énergétique a besoin tant du nucléaire que des énergies renouvelables. Madame la Première ministre, les projets de loi que vous avez annoncés aujourd’hui devront absolument répondre à une telle situation. Il faut travailler sur tous ces leviers ! Il n’est pas acceptable d’attendre plus de dix ans pour voir naître un projet éolien ou solaire porté et voulu par les territoires. Par rapport aux autres pays européens, c’est en effet presque le double de temps !
La crise à laquelle nous devons faire face rend cependant criant le besoin d’un changement structurel de la politique énergétique française. Notre économie est déjà touchée par la crise économique. Il faut bien veiller à ne pas fragiliser davantage notre tissu économique. Dans le cadre d’un éventuel délestage, il faudra absolument être en mesure de prioriser et protéger la capacité productive.
À l’heure actuelle, en France, force est de le constater, de nombreuses usines tournent au ralenti en raison de l’augmentation des prix de l’énergie. Dans nos territoires, nous sommes tous alertés sur la situation complexe, voire intenable dans le temps, pour ce qui concerne l’industrie, l’artisanat et, quelquefois, l’agriculture.
Nombre de nos chaînes de valeur sont mises en péril par des importations plus compétitives. La crise énergétique est en train de porter un coup dur à notre industrie, alors même que la France a besoin de s’engager dans un mouvement de réindustrialisation. Nos collectivités territoriales, nos industries, nos entreprises et les ménages français, déjà fortement affectés, subissent d’ores et déjà les conséquences économiques de cette crise énergétique. Les inquiétudes qui remontent du terrain sont grandissantes.
La France a mis en place un bouclier tarifaire, afin d’aider les ménages à faire face à l’envolée des prix de l’énergie. Ces mesures nécessaires représentent un coût important. Pourtant, elles demeurent incomplètes au regard de la disparité des situations rencontrées sur le terrain.
L’Europe doit au plus vite trouver des solutions. Il faut penser différemment la politique énergétique européenne et, plus précisément, le marché intérieur européen de l’énergie. Nous devons découpler le prix de l’électricité de celui du gaz, comme vous l’avez annoncé.
Pour conclure, je dirai que nous devons bâtir une véritable stratégie de long terme. Elle ne peut être dissociée de la question industrielle, l’énergie étant au cœur de notre économie.
Notre politique énergétique doit reposer sur trois piliers : premièrement, l’optimisation et la promotion d’économies d’énergie reposant sur la recherche et le développement de technologies économes en matière de rénovation énergétique ; deuxièmement, le défaut, autant que possible, des énergies renouvelables ; troisièmement, la relance, autant que nécessaire, du nucléaire, en accentuant nos savoir-faire technologiques.
Mes chers collègues, il n’y a pas de place pour l’idéologie et le dogmatisme. Nous devons adopter une vision de long terme répondant aux besoins croissants d’une électricité décarbonée, pour aller vers la sortie programmée des énergies fossiles. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement a présenté la semaine dernière son plan de sobriété.
On peut se féliciter de cet encouragement, même tardif, à la sobriété. Remarquons toutefois qu’il aura encore fallu une situation de crise et d’urgence, tant économique que sociale, pour que l’État presse le pas. Nous n’aurions sans doute pas pu éviter la crise, mais ses effets auraient été moins explosifs.
La réduction de la consommation énergétique de 40 % d’ici à 2050 pour atteindre la neutralité carbone se fera désormais sur une trajectoire dont la pente sera bien raide. Nous sommes là pour débattre et pour partager des constats, mais aussi pour réfléchir à des solutions, afin que cette désastreuse situation ne se reproduise pas.
Abordons la question de manière ascendante et, comme le dirait notre collègue Fabien Gay (Sourires.), considérons tout d’abord la situation de nos concitoyens.
Malgré les multiples demandes et alertes des acteurs locaux, qu’ils soient publics ou associatifs, et en dépit des annonces successives d’un grand plan national de rénovation énergétique des bâtiments; force est de constater que le compte n’y est pas.
Issu d’un département où les températures ne sont pas toujours clémentes et où l’habitat individuel, notamment minier, compte parmi les moins bien isolés, malgré un gros rattrapage ces dernières années, je puis mesurer au quotidien combien il reste à faire. Pour les habitants concernés, c’est la double peine ! Nous le savons, ceux qui sont dans les habitations les plus énergivores sont également ceux qui vivent des situations économiques et sociales parmi les plus dramatiques.
Il suffit de parcourir les documents de bilan des dossiers de fonds de solidarité logement pour toucher du doigt le niveau de précarité et de fragilité de nombreux ménages.
Le chèque énergie constitue, certes, une aide, mais il ne peut agir que comme un pansement face aux perspectives d’augmentation des tarifs que l’on nous annonce et à la baisse progressive du bouclier tarifaire.
J’ai déjà interpellé l’État à plusieurs reprises sur la question du reste à charge des aides proposées par l’Anah, l’Agence nationale de l’habitat : il reste dissuasif pour un trop grand nombre de nos concitoyens. C’est le même problème que pour le coût de l’essence : les personnes modestes ont souvent des véhicules anciens, plus consommateurs de carburant.
Là encore, j’ai contesté en son temps, lorsque j’étais rapporteur pour avis sur le dispositif « bonus-malus » du projet de loi de finances pour 2020, la suppression du dispositif d’accompagnement financier à l’achat de véhicules hybrides et sa limitation à l’achat de voitures électriques, dont les tarifs, même avec une aide, restent prohibitifs pour beaucoup. Regardez l’explosion du prix de la Zoé !
Il nous faut là aussi réfléchir désormais à un vaste plan de conversion de notre parc automobile et d’accompagnement des ménages les plus modestes à l’acquisition de véhicules plus propres.
J’en viens à la situation de nos collectivités. J’ai interrogé la semaine dernière le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur l’augmentation alarmante des coûts de l’énergie pour nos collectivités et l’inquiétude des élus face à cette situation.
Insuffisance prévisible de l’enveloppe ouverte en loi de finances rectificative, imprécision quant aux modalités de mobilisation de ce fonds, inadaptation des critères repoussant l’obtention des fonds au mieux à l’été 2023… Sur toutes ces questions, le ministre s’est voulu rassurant et nous a promis des réponses rapides. Espérons !
Surtout, ces réponses devront être adaptées, et ne pas être soumises à des critères trop restrictifs. Désormais, seules 8 000 communes, au lieu de 20 000, semblent pouvoir prétendre à l’enveloppe des 430 millions d’euros. Dernièrement, une note explicative adressée en fin de semaine dernière par le ministère de M. Attal fait état de trois critères cumulatifs à remplir. On complexifie, on renforce… Finalement, encore moins de communes pourront émarger à ce dispositif !
Faut-il rappeler ici les déclarations récentes de la ministre chargée des collectivités évoquant une réévaluation de l’enveloppe, jusqu’à un milliard d’euros si nécessaire ? Une preuve, s’il en était besoin, de la vulnérabilité de nos collectivités. À ce rythme, les 430 millions d’euros ne seront peut-être même pas consommés. Vous avez évoqué, madame la Première ministre, des avances avant la fin de l’année. Je vous répondrai par un mot à la mode : chiche ! (Mme la Première ministre sourit.)
N’oublions pas que les collectivités sont des acteurs majeurs dans le dynamisme de l’économie locale, grâce notamment à leurs investissements. La crise énergétique hypothèque nombre de projets, reportés ou parfois même abandonnés, y compris ceux qui sont orientés vers le développement des énergies renouvelables.
J’en viens donc au projet de loi à venir relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, lequel, sous couvert d’« accélération », comporte des dispositions qui doivent nous interpeller. Il est difficile d’entendre qu’un retard imputable à l’État lui-même, lequel ne se donne pas les moyens humains et financiers d’instruire les dossiers, serve de caution pour remettre en cause les principes de la consultation citoyenne, ainsi que la protection de la biodiversité et des paysages !
Toutefois, Mme Agnès Pannier-Runacher, à qui je souhaite un prompt rétablissement, nous a rassurés voilà une dizaine de jours. Concédons que nos procédures administratives sont parfois inutilement lourdes et retardent les projets.
De ce point de vue, la qualification de « raisons impératives d’intérêt public majeur » prévue dans le texte constitue un véritable recul en termes de démocratie participative, ainsi qu’un danger pour la préservation de notre environnement, sauf à ne l’utiliser que pour ce qui concerne la rénovation des anciens parcs éoliens, en augmentant leur puissance.
Sur le fond, il serait illusoire, voire mensonger, de laisser penser que cette accélération des EnR serait la solution à nos difficultés. Le recours aux énergies naturelles ne pourra en aucun cas constituer une solution à la demande d’énergie, puisque celles-ci sont par nature intermittentes !
En outre, il est dommageable que le texte fasse l’impasse sur un point important, celui de la constitution de véritables filières du renouvelable. Acter le principe d’une accélération de ces énergies renouvelables est une chose, mais créer les conditions de sa réussite nécessite de sécuriser toute la chaîne afin de la pérenniser, d’autant que l’éolien est aujourd’hui recyclable à plus de 97 %.
Il nous faut garantir un soutien financier durable et prévisible de l’État, assurer une politique de formation efficiente, travailler à l’attractivité de ces filières et lutter efficacement contre les malfaçons avec une politique de labels.
Pour autant, au sein du RDSE, nous nous saisirons de ce texte, parce que nous sommes conscients de l’urgence, en tentant d’en corriger les excès, et pour y introduire des améliorations conciliant le développement des énergies renouvelables et la préservation de la nature.
Les sujets sont techniques et complexes en matière d’énergie. Je pense à l’hydroélectricité, absente du projet de loi sur l’accélération des EnR. Je pense aussi à l’agrivoltaïsme. Je pense enfin à la question du biogaz et au gaz vert, grande oubliée du projet de loi sur les EnR.
Ce matin même, madame la Première ministre, je posais à Arras la première pierre d’Eurametha, centre de méthanisation des déchets ménagers de la communauté urbaine d’Arras. Et je ne comprenais pas que les boues de la station d’épuration toute proche ne pouvaient pas être méthanisées, alors que, en Allemagne, les boues des stations d’épuration sont méthanisables depuis plus de quinze ans !
Toutes les pistes doivent être étudiées et l’ensemble des acteurs écoutés, si l’on veut atteindre les objectifs fixés dans les déclarations du Président de la République à Belfort et repris dans le plan de sobriété.
Je reste convaincu que la solution réside dans la diversité du mix énergétique. C’est l’occasion pour moi de soulever ce qui constitue à mon sens une autre incohérence : pourquoi mobiliser un projet de loi différent pour ce qui concerne le volet nucléaire de notre approvisionnement énergétique ?
Il nous faut travailler dans l’articulation des modes de production, et il aurait été plus logique de traiter la question énergétique dans un seul et même texte, après avoir discuté de la programmation pluriannuelle de l’énergie, comme l’a dit M. Bruno Retailleau tout à l’heure.
Projeter un développement du parc nucléaire est une chose, mais nous sommes ici sur du moyen terme, voire du long terme, surtout si l’on se réfère au douloureux épisode du premier EPR. Assurer le redémarrage de la moitié de notre parc, aujourd’hui en maintenance, en est une autre. Madame la Première ministre, vous nous avez donné des assurances, mais pourrons-nous réellement compter sur ce renforcement avant l’hiver ?
La renationalisation d’EDF représente également une chance pour reprendre en main notre avenir industriel et relancer le nucléaire, mais à quelle échéance et à quel prix ? S’accompagnera-t-elle d’un retour au tarif réglementé pour les collectivités ?
Si la France, ainsi que d’autres États membres, a pris position en faveur d’un découplage des prix de l’électricité et gaz, la réforme du marché européen de l’électricité pourra-t-elle être mise en place avant que les conséquences sur nos entreprises et nos concitoyens ne soient désastreuses ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)