M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
Mme Nathalie Delattre. De ce point de vue, ce texte donne le sentiment d’une occasion manquée, un sentiment largement renforcé par la manière dont les irrecevabilités ont été appliquées à nos amendements.
J’en veux pour exemple un amendement que j’avais déposé et qui tendait à reprendre les dispositions de ma proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression. Cet amendement a été déclaré irrecevable, car ne s’inscrivant pas dans le périmètre de la loi. Je comprends évidemment le raisonnement qui a conduit à une telle décision dès lors que nous n’examinons pas un texte touchant à la question du procès. Mais nous voyons aussi la limite de l’exercice qu’aura représenté cette loi de programmation. D’un côté, nous adoptons un article 7 bis qui vise à renforcer la protection pénale des élus. De l’autre, nous ne pouvons pas examiner d’autres dispositifs ayant la même finalité, au motif qu’il y serait question de l’organisation du procès, domaine relevant du ministère de la justice, et non de l’intérieur.
Ce cloisonnement d’ordre quasi administratif est regrettable. Il a d’ailleurs parfois mené à des confusions sur d’autres débats également importants. Mais il est vrai qu’une partie importante des articles du projet de loi initialement déposé au mois de mars dernier n’ont pas été retenus dans la version finale qui nous a été présentée ; je pense notamment à un important volet sur la justice.
Cette loi de programmation n’est qu’une première étape. Nous attendons beaucoup des prochains textes qui devraient nous être présentés – nous l’espérons ! – rapidement.
Dans cette attente, notre groupe, dans sa grande majorité, se prononcera en faveur du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI et au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur ministre, la réponse est oui ! Mais quelle était la question ? (Exclamations amusées.)
S’il s’agit de savoir si nous nous réjouissons que ce projet de loi prévoie un renforcement significatif des moyens du ministère de l’intérieur pour faire face à l’augmentation de la violence et aux nouveaux circuits de délinquance, nul doute que nous soutiendrons le texte avec beaucoup de ferveur.
En revanche, si vous nous demandez si le texte répond à la vraie question que se posent tous nos compatriotes – quand donc allons-nous rétablir l’autorité de l’État dans nos villes et nos campagnes et, comme le dit M. Retailleau, réarmer l’État sur le plan migratoire et sécuritaire ? –, vous ne recueillerez que notre scepticisme. Car le droit à la sécurité n’est pas qu’une question de police ; c’est d’abord, et surtout, le problème d’une réponse pénale inadaptée à la violence de notre société.
La genèse du projet de loi qui nous rassemble aujourd’hui a été longue. Comme cela a été rappelé, celui-ci fait suite à la publication du livre blanc, qui a trouvé une traduction concrète dans le Beauvau de la sécurité, suivi avec beaucoup d’assiduité et de compétence par notre collègue Henri Leroy. Vous avez finalement déposé un texte plus resserré le 7 septembre dernier sur le bureau du Sénat, et nous vous remercions d’une telle marque de considération.
En retour, vous pouvez nous donner acte des nombreuses améliorations qui ont été apportées par la commission des lois, dans un climat serein, comme l’a dit mon excellent ami Loïc Hervé. Le débat, approfondi, a été enrichi par les très nombreuses réponses pédagogiques que vous nous avez apportées et dont nous vous sommes reconnaissants.
Trois volets manquent cruellement aux dispositions qui relèvent de votre compétence.
Il s’agit, d’abord, de l’immigration, qui est enfin reconnue comme une des causes principales de l’augmentation de la délinquance de notre pays.
Il s’agit, ensuite, de l’utilisation des techniques de l’image et de l’intelligence artificielle, notamment de la reconnaissance faciale, qu’il est plus que temps de mettre en œuvre – vous le savez bien – si l’on veut aborder sereinement les grands événements comme la Coupe du monde de rugby ou les jeux Olympiques. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Il s’agit, enfin, d’un thème qui a frustré de nombreux collègues n’ayant pas pu présenter leurs propositions, comme Mme Delattre, qui avait un excellent amendement : c’est l’amélioration de la réponse pénale, qui demeure la principale cause de l’inefficacité de vos politiques.
Comme l’a justement dit notre excellent collègue Roger Karoutchi (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.), aujourd’hui, la sûreté n’est pas un droit fondamental pour chaque citoyen. Pour cela, il faudrait une loi d’orientation et de programmation de la justice, qui est perçue comme lente, inefficace et inéquitable. Cette loi, nous l’attendons depuis plusieurs années et, comme sœur Anne, nous ne voyons rien venir… Présenter une loi d’orientation de la police sans y ajouter une telle réforme, c’est se condamner à l’impuissance publique que dénoncent jour après jour nos compatriotes.
Pour en revenir à votre texte, monsieur le ministre, celui-ci prévoit au total 15 milliards d’euros supplémentaires, dont 7 milliards d’euros consacrés aux nouvelles technologies et au numérique, un doublement de la présence des forces de sécurité intérieure sur le terrain – vous nous en avez expliqué les modalités –, avec 8 500 postes équitablement répartis entre gendarmes et policiers, et les moyens de mieux faire face aux nouvelles frontières digitales et de mieux prévenir les menaces et les crises du futur.
Pour l’essentiel, nous serons favorables à ces dispositifs. D’ailleurs, ils reprennent de nombreuses propositions que nous avions formulées antérieurement. Vous avez annexé à votre loi un rapport d’orientation très intéressant. Avec le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, et le rapporteur Loïc Hervé, nous avons voulu, et vous en étiez d’accord, que le débat ait lieu sur le rapport. À la lecture, ce rapport dresse un réquisitoire assez implacable de l’augmentation de la violence dans notre pays depuis cinq ans et montre qu’il faut de nouveaux moyens ; c’est ce que vous faites aujourd’hui, monsieur le ministre.
Un certain nombre de sujets peuvent néanmoins fâcher. Je pense à la réforme de la départementalisation de la police nationale, notamment pour la PJ. Nous avons fait inscrire dans la loi qu’il fallait tenir compte des spécificités de la PJ. Lors du débat – je vous en donne acte devant la Haute Assemblée, monsieur le ministre –, vous avez pris des engagements. Vous avez ainsi rappelé la nécessité impérative que la PJ reste sous l’autorité du procureur de la République et que les affaires sensibles, notamment les manquements au devoir de probité, demeurent exclusivement de son ressort.
En ce qui concerne la délinquance organisée, qui n’a pas de frontières, vous étiez d’accord pour reconnaître le besoin d’une réflexion menée à l’échelon zonal, et non dans le carcan étriqué du département : cela va sans dire, mais cela ira mieux en l’écrivant… Lors de la commission mixte paritaire, je vous l’ai dit, nous déposerons un amendement pour qu’une telle disposition figure dans le rapport d’orientation.
Par ailleurs, vous avez présenté un certain nombre de mesures sur la cybersécurité et sur les plaintes en ligne, évoquées par mon collègue Loïc Hervé. Nous avons singulièrement amélioré, me semble-t-il, ce dernier dispositif – je le rappelle, il s’agit d’une faculté, et non d’une obligation –, qui devrait permettre de rapprocher le citoyen de sa police.
Enfin, sur l’initiative de notre groupe, les auditions ont montré l’urgence et l’importance d’améliorer la réponse pénale aux violences sur la voie publique, qui relevaient bien du périmètre défini dans la loi sur trois points essentiels : les violences faites aux élus, les refus d’obtempérer et les rodéos urbains. L’article 7 bis que j’ai proposé a été voté, une fois n’est pas coutume, à une très large majorité ; cela arrive ici de temps en temps, et beaucoup moins souvent à l’Assemblée nationale… Cette disposition vise à renforcer significativement les sanctions correspondantes pour mieux protéger tous ceux qui se mettent au service de la société.
Je rappelle que les atteintes contre les dépositaires de l’autorité publique étaient en augmentation de 35 %, et les atteintes et les violences faites aux élus de 47 % l’année dernière. Il est grand temps que notre société donne le même statut aux élus locaux qu’aux représentants des forces de l’ordre pour qu’ils soient enfin véritablement protégés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Marc-Philippe Daubresse. J’en viens au triste feuilleton des refus d’obtempérer en signalant qu’il y en a un toutes les vingt minutes dans notre pays. Contrairement à ce qu’ont dit certains collègues siégeant sur d’autres travées, on ne constate pas d’augmentation des tirs de policier face aux refus d’obtempérer : depuis cinq ans, ils sont en recul. C’est donc non pas uniquement avec des mesures de prévention, mais bien avec des mesures de répression que nous pourrons traiter ce problème. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En conclusion, monsieur le ministre, notre vote positif sur ce projet de loi est un vote lucide et vigilant. Nous le maintiendrons en commission mixte paritaire, en défendant les propositions que j’ai évoquées. Tel le Candide de Voltaire, vous avez bien cultivé le jardin de la police, mais il reste beaucoup à défricher dans les jardins de la justice et de la procédure pénale avant que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de la semaine précédente, nous avons débattu d’un texte très attendu par nos concitoyens. Tous constatent une augmentation de l’insécurité dans notre pays. Les violences contre les personnes vulnérables sont devenues quotidiennes. Certaines zones du territoire tendent à se soustraire à l’autorité publique, faisant vivre un véritable calvaire à nos concitoyens.
Il est temps que cela change. L’ensemble de nos concitoyens ont besoin d’ordre et de tranquillité publics ; c’est vrai aussi pour nos entreprises.
Ce texte constitue une première réponse à la dégradation du climat sécuritaire que notre pays connaît depuis plusieurs années. Les augmentations de budget prévues jusqu’en 2027 sont importantes. C’est heureux et nécessaire, car les défis auxquels notre pays devra faire face sont aussi importants : résurgence du terrorisme islamiste, criminalité organisée, mais aussi accueil de grands événements sportifs, et bien d’autres.
Ces budgets serviront évidemment à moderniser le ministère de l’intérieur, mais ils seront également employés à recruter plus d’effectifs. C’est ainsi que 200 nouvelles brigades de gendarmerie seront créées et que 8 500 agents rejoindront les rangs de la police et de la gendarmerie.
Pour renforcer leur présence dans la rue, les agents des forces de l’ordre doivent être plus nombreux. Mais ils doivent également pouvoir se consacrer pleinement à leur mission.
Certaines recrues deviendront ainsi des assistants d’enquête. Cette nouvelle fonction, parfois rapprochée de celle des greffiers, doit permettre aux policiers et gendarmes d’accentuer leur présence sur le terrain. Les assistants d’enquête se chargeront de la myriade des tâches administratives qui submergent actuellement les agents.
Au cours des débats, nous avons eu l’occasion de dénoncer la complexification de la procédure pénale. À force de réformes sectorielles, le code est devenu impraticable pour les policiers et les gendarmes.
Pis encore, le rapport des États généraux de la justice estime que cette complexité est l’une des raisons majeures de l’allongement des délais : même les juges peinent à s’y retrouver ! Cet allongement n’est satisfaisant pour personne : ni pour les victimes, qui doivent attendre longtemps avant que justice ne leur soit rendue, ni pour les mis en cause, qu’il n’est pas bon de tenir longuement éloignés du bras de la justice. Celle-ci doit être rendue avec efficacité, clarté et célérité. Pour cela, il faudra s’attaquer à la simplification de la procédure pénale et, sans doute, fusionner les régimes de l’enquête préliminaire et de l’enquête de flagrance.
Grâce aux travaux réalisés en commission et en séance, le texte a été enrichi. Deux sujets majeurs me semblent devoir être mis en lumière.
Le premier est celui des rodéos urbains, piètre divertissement de ceux qui devraient avoir mieux à faire. Lorsque cette infraction met en danger la vie de nos concitoyens, les peines ont été sensiblement alourdies : cinq ans et 75 000 euros d’amende. Il est hors de question que la vie de nos concitoyens soit menacée.
Le second est celui des violences contre les élus. Les Français sont scandalisés, à juste titre, que ces derniers soient pris à partie ou agressés. L’élu, local ou national, est un représentant du peuple : il représente non seulement ses électeurs, mais aussi la République, dont il est une composante essentielle, dans son ensemble. Lui porter atteinte revient à porter atteinte à la République. Il était temps de renforcer les sanctions contre ces agressions inacceptables. Elles seront désormais punies au même titre que celles qui sont commises contre les policiers. Nos concitoyens attendaient plus de fermeté dans les sanctions.
Si le texte a été enrichi par les débats, il n’en est pas pour autant devenu un catalogue. C’est ainsi que la procédure de l’amende forfaitaire a été non pas généralisée, mais étendue. Cette procédure se justifie pleinement pour certaines infractions. Néanmoins, elle n’a pas vocation à devenir la norme. La commission et le Gouvernement se sont accordés pour y inclure quatorze nouvelles infractions. Actuellement, certaines d’entre elles ne donnent bien souvent lieu qu’à un simple rappel à la loi : c’est le cas de l’atteinte à la circulation des trains ou de la filouterie de carburant.
Gageons qu’à présent, l’amende forfaitaire permettra aux contrevenants de ne pas oublier la leçon. Non seulement cela permettra une réponse pénale plus rapide et plus certaine, mais cela évitera également des procédures longues et chronophages pour les infractions du quotidien.
L’objectif du projet de loi est de renforcer la présence des policiers et des gendarmes dans la rue. Pour cela, le texte les décharge de bon nombre de tâches administratives ; nous l’avons dit. Il leur permet également de recourir à des procédures simplifiées.
Pour renforcer les effectifs, le texte supprime aussi la condition d’ancienneté nécessaire pour se présenter à l’examen d’officier de police judiciaire. Si cette mesure ne réduit en rien les compétences requises pour réussir l’examen, il nous semble important que les jeunes recrues bénéficient d’un encadrement suffisant. Ces jeunes sont souvent affectés dans les zones les plus difficiles de notre pays, là où la tension est la plus forte. C’est bien dans ces zones que l’encadrement est le plus nécessaire.
Nos forces de l’ordre font face à des situations délicates, souvent dangereuses. Je veux saluer le travail qu’elles accomplissent en ville comme en ruralité. Elles sont une composante essentielle de notre République.
Par ce texte, nous ne faisons pas que leur témoigner notre respect ; nous leur donnons des moyens supplémentaires pour remplir leurs missions. Cette augmentation des moyens lance une nouvelle dynamique, que nous espérons durable, car elle est nécessaire pour nos forces de l’ordre.
L’ensemble de notre groupe votera en faveur de l’adoption du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe RDPI.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après des heures de débats, plus ou moins constructifs, plus ou moins cohérents dans leurs argumentaires, plus ou moins mesurés, nous devons valider, approuver, la Lopmi.
Ce texte avait pour particularité de nous présenter, au travers du rapport annexé à son article 1er, la vision du Gouvernement en matière de sécurité et de tranquillité publiques pour les prochaines années.
Cette loi est bel et bien une loi d’orientation, mais lacunaire, car elle ne présente pas de projet pour l’ensemble des politiques du ministère. Certains aspects y sont effectivement développés de manière claire et lisible ; d’autres restent dans une pénombre préoccupante.
Nos prises de paroles, nombreuses, et notre engagement lors de ces longues séances s’ancrent profondément dans la volonté de notre groupe de présenter et défendre son projet pour la sécurité de notre pays : un projet cohérent.
Nous avons bien perçu, en revanche, la continuité d’une politique qui se veut plus répressive que protectrice et qui obère les liens avec les citoyens, causant ou aggravant une rupture de confiance, mais entraînant également en même temps une immense souffrance au travail de nos forces de l’ordre.
Nous partageons tous l’objectif d’une police bénéficiant de meilleures conditions, d’une meilleure formation, avec des moyens humains, mobiliers et immobiliers satisfaisants, et ce afin d’exercer ses missions auprès de la population : auprès de la population, avec la population et pour la population !
C’est bien là le cœur des propositions que nous avons pu défendre. Oui, nous devons soutenir l’action de la police républicaine en ce qu’elle est au service de la population, de toute la population, aussi bien les Français à l’aise avec le numérique que les 13 millions souffrant d’illectronisme !
Que dire de la doctrine du maintien de l’ordre ? Il n’y a pas eu d’échanges sur la justification de l’utilisation de techniques plus que discutables. Nous ne voulons pas des lanceurs de balles de défense (LBD), des drones, des gaz lacrymogènes, de la technique de la nasse ou d’autres techniques d’interpellation dangereuses. Oui, notre groupe a cherché à entamer un vrai dialogue avec le Gouvernement et avec la majorité de cette assemblée : un dialogue sur les attentes des citoyens d’une police à leur service.
Nous sommes déçus de n’avoir vu aucune de nos propositions sur la réforme de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), par exemple, être étudiée de manière sérieuse. Cette réforme est plus nécessaire et plus attendue par nos concitoyens que celle de la police judiciaire, qui, elle, avance à marche forcée, contre l’avis de beaucoup, en ayant déjà fait ses premières victimes, dont le directeur de la PJ de la zone sud, M. Éric Arella.
Le besoin de sécurité des citoyens passe par la transparence de l’action de la police, une meilleure gestion des dérives, une nouvelle vision de l’IGPN, mais également par une transparence sur les données de la police, leur publication et leur transmission, entre autres, aux élus locaux.
Notre groupe s’est étonné à plusieurs reprises de la position de la majorité sénatoriale et de celle, changeante, des rapporteurs sur ce qui devait faire partie du débat.
Ces derniers ont rejeté un certain nombre d’amendements en indiquant que ceux-ci portaient sur des sujets en cours d’étude par des missions sénatoriales ayant vocation à préconiser des modifications législatives ultérieures, ou en se retranchant derrière le fait que des débats ont déjà eu lieu, refusant ainsi toute proposition d’adaptation destinée à tenir compte de l’impact de mesures déjà votées.
M. Loïc Hervé. Ce n’est pourtant pas faux !
M. Guy Benarroche. Notre groupe a tenté, en étant parfois inaudible, semblerait-il, de présenter sa vision des moyens dont le ministère a besoin. Nous avons soutenu l’augmentation du budget à l’article 2. Nous aurions aimé pouvoir être plus entendus dans nos propositions d’amélioration des conditions de travail des forces de l’ordre et des relations avec les usagers qui en découlent.
Notre groupe a voulu que la formation initiale et continue bénéficie réellement d’une pluralité d’intervenants et soit plus protectrice des agents, y compris en augmentant et sanctuarisant l’entraînement annuel au tir.
La prise en compte des droits de la défense que nous défendions, alimentée par les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), du Syndicat de la magistrature ou des avocats, n’a – hélas ! – pas trouvé d’oreille attentive ; je pense par exemple à l’interdiction de la reconnaissance faciale.
Nous avons aussi de nouveau voulu engager une discussion réaliste sur les caméras-piétons, qui, jusqu’à présent, se sont révélées assez inutiles pour le citoyen comme pour les agents des forces de l’ordre.
Nos inquiétudes sur les droits des justiciables n’ont pas été dissipées par nos discussions relatives à l’amende forfaitaire. Son déploiement est un signal fort. Pour nous, c’est un mauvais signal : un outil cyniquement utile d’un point de vue comptable pour le ministère, mais dont l’efficacité sur la réponse pénale n’est que peu étudiée.
Les problématiques de contestation sont réelles et restent pour l’instant sans réponse.
L’opportunité des poursuites, dont l’appréciation revient d’habitude au juge, est de nouveau niée, et – n’y voyez pas un reproche à nos forces de l’ordre – son utilisation semble très variable selon les territoires…
Je salue l’adoption de l’amendement de mon collègue Thomas Dossus relatif au dialogue nécessaire avec les maires sur la gestion des fermetures des commissariats.
Le continuum de sécurité dont le Gouvernement s’est fait un grand défenseur ne pourra pas faire l’économie d’un dialogue, là encore, apaisé, mais surtout chiffré, avec les élus et décideurs locaux.
La Lopmi contient quelques éléments sur les besoins de liens entre le ministère de l’intérieur et la recherche, mais aucune des demandes de notre groupe permettant un tel suivi n’a été adoptée. Là encore, nous le regrettons.
Nous avons cependant été agréablement surpris du soutien du Gouvernement lorsque nous avons proposé des avancées pour généraliser des mécanismes ayant fait leurs preuves, par exemple les agents de liaison LGBT+, ou pour exploiter au mieux les formations nécessaires, comme celles relatives au cyberharcèlement. Mais ces propositions n’ont pas trouvé grâce auprès des rapporteurs, pour des raisons qui m’apparaissent encore obscures.
Nous saluons l’adoption de l’amendement de notre collègue Monique de Marco sur les besoins de bases supplémentaires pour faire face aux incendies plus fréquents et plus violents auxquels les pompiers sont confrontés. Nous aurions aimé pouvoir discuter d’autres mesures ou visions tout aussi importantes : la gestion des frontières, en particulier avec la question des drones, ou encore le maintien ou non de la possibilité de port d’arme hors service dans les établissements recevant du public. La discussion a été refusée, parfois parce qu’elle avait déjà eu lieu, d’autres fois parce qu’elle ferait l’objet de débats ultérieurs…
En conclusion, j’ai pu à maintes reprises rappeler avec mes collègues combien les forces de l’ordre sont au cœur de notre pacte républicain. Ce sont elles qui endossent le rôle de protection de notre population. Il s’agit donc de leur donner les moyens de travailler dignement, correctement, mais aussi de permettre à notre population d’avoir confiance dans leur formation, leur organisation et leur fonctionnement, ainsi que dans la préservation des droits de la défense.
Les craintes que nous avions exprimées au début de l’examen de ce texte ont malheureusement été confirmées. Nos prises de parole, nos propositions, nos amendements ont dessiné une vision équilibrée vers laquelle vous n’avez pas jugé bon d’avancer, ne serait-ce que très partiellement:
L’orientation du ministère de l’intérieur définie dans cette loi ne nous paraît ni convaincante ni justifiée. Nous ne pouvons donc pas nous y associer. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Loïc Hervé. C’est dommage !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adoption du projet de loi tel qu’il ressort des débats du Sénat nous paraît naturelle, et je me dispenserai d’assortir ce vote, comme certains de mes collègues, d’une collection de critiques à l’encontre du Gouvernement.
Je veux donner les trois raisons principales de notre soutien.
La première, qui est – si j’ose dire – la plus consistante, réside dans la partie programmatique de ce projet de loi, et plus précisément son article 2, qui encadre de manière précise l’attribution de moyens aux différentes composantes du ministère, lequel est, par nature, celui de la sécurité des Français et de la protection quotidienne de leurs libertés.
Cette injection de moyens fait suite à une remontée des capacités déjà réalisée au cours des dernières années avec la création de 10 000 emplois de policiers et de gendarmes – augmentation qui prend fin cette année conformément aux engagements pris en 2017 ; à un renforcement de la formation des personnels de terrain ; et à une remontée, plus récente, mais sensible, des crédits d’équipements, dont nous voyons la traduction dans les locaux d’accueil des brigades et des commissariats et dans leurs nouveaux véhicules.
Le projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer approfondit ce renforcement en agissant sur tous les éléments du tableau de bord, si vous me passez l’expression, du ministère de l’intérieur.
Il s’agit, d’abord, des effectifs : 8 500 postes de policiers et gendarmes créés dans les cinq années à venir. Nous souhaitons – et cela correspond bien à la fois à l’esprit du texte et aux termes employés dans le rapport d’orientation – veiller à une bonne répartition territoriale de ces effectifs, en prêtant une attention particulière aux secteurs périurbains et au monde rural. L’annonce de la création de 200 brigades est une bonne nouvelle, dont nous suivrons la mise en œuvre. Je veux aussi souligner un point qui n’a pas été évoqué : le développement de la réserve, qui augmentera les capacités humaines du ministère.
Il faut également noter le relèvement important des moyens de fonctionnement, sur lequel je n’insiste pas, ainsi que la transformation numérique. Sur ce point, parler de déshumanisation revient à méconnaître le sujet.
Au contraire, le développement numérique démultiplie les capacités d’action de chaque personnel de police et de gendarmerie : démarches dématérialisées, outils de travail disponibles en pleine efficacité dans chaque véhicule ou sur la voie publique, accélération des moyens numérisés de police technique et scientifique. Nous pourrions multiplier les exemples.
Le ministère et ses personnels seront donc plus en phase avec les attentes des citoyens, et mieux outillés pour répondre à des formes de délinquance qui, elles aussi, exploitent de plus en plus l’espace numérique.
Cette programmation apporte aussi une réponse à la hauteur des défis qu’affrontent nos forces de sécurité civile, et principalement les services d’incendie et de secours.
Le programme de renouvellement des flottes d’hélicoptères et d’aéronefs anti-incendie de forêt constitue l’une des pierres angulaires du plan, et apportera tant une satisfaction qu’un encouragement pour tous les personnels de ces services si souvent mobilisés.
Enfin, l’augmentation des moyens est au service de la volonté d’améliorer l’accueil de chaque victime. Une priorité particulière est donnée pour recevoir et soutenir comme il se doit les victimes de violences intrafamiliales, et des dispositions importantes sont prévues en matière de moyens d’accueil, d’accompagnement et de formation des personnels.
La deuxième grande raison d’approuver ce projet de loi est qu’il offre un cadre de cohérence et une méthode de travail à l’ensemble des services.
Il prévoit, et c’est l’intérêt particulier du rapport de présentation l’encadrant, de mieux organiser les services de l’État face aux crises institutionnelles ou de toute nature, en s’appuyant sur nos expériences récentes. Nous aurons aussi à intensifier la coopération internationale, et particulièrement la coopération européenne, sur les sujets de sécurité, de prévention et de renseignement.
La démarche affirmée par le rapport, que nous allons approuver, fait aussi la part nécessaire à la modernisation des méthodes de ressources humaines. Plus de 250 000 personnels sont concernés : il faut veiller à leur bien-être au travail, à leurs perspectives de carrière, à leur temps de formation encore améliorés. Il y a des pistes d’accompagnement des personnels, en particulier des jeunes entrant dans les services, qui affrontent des mobilités souvent difficiles.
Ce travail de mise en cohérence et de planification, au sens concret du terme, a bénéficié de temps de confrontation et de proposition d’une intensité particulière, comme lors de la rédaction du livre blanc de la sécurité intérieure et du Beauvau de la sécurité.
Mes chers collègues, nous pouvons être sûrs, au moment d’approuver ce grand projet de loi, que toutes les contributions constructives de tous les partenaires inspirés par la sécurité et les libertés des Français ont été entendues et intégrées au texte. C’est donc un projet de loi de programmation au sens plein, complet et cohérent, dont le suivi sera facilité par la profondeur du travail qui l’a préparé.
Cette qualité de méthode a mené à un excellent travail de collaboration entre le Sénat et M. le ministre, sous la conduite de MM. les rapporteurs, qui sont allés au fond des sujets en sachant réunir un consentement large et, parfois, presque unanime sur les dispositions que nous approuvons.
Enfin, le troisième motif justifiant de soutenir ce projet de loi est qu’il comporte un ensemble de dispositions législatives ayant pour objectif commun de rendre plus efficace la lutte contre la délinquance, en donnant des outils et des marges d’action aux forces de la loi.
Je souligne en particulier la disposition qui intensifie la sanction pénale en cas d’agression contre les élus, ainsi que la création du délit d’outrage sexiste, qui constituait une nécessité.
Nous étions nombreux à approuver le développement des amendes forfaitaires délictuelles, qui permettent d’appliquer une sanction concrète et immédiate aux délits trop fréquents qui dégradent la vie en société. La proposition du Gouvernement était très large, mais nous avons trouvé un bon accord sur les vingt-quatre cas, comme M. le rapporteur Loïc Hervé l’a rappelé, auxquels ces amendes seront applicables. Nous pourrons suivre efficacement cette innovation et apprécier la manière dont elle fera reculer certaines délinquances.
Nous soutenons aussi les modifications justifiées de certaines règles de procédure pénale du quotidien, qui pèsent sur la charge déjà trop lourde de nos enquêteurs, et qui allongent les opérations sans bénéfice pour l’équité du procès.
On peut être en désaccord avec l’idée que l’ensemble du code de procédure pénale, accumulation de modifications partielles n’ayant pas forcément été harmonisées, serait absolument nécessaire pour garantir les droits. Il y a au contraire un travail de rationalisation à faire pour que ce code soit vraiment efficace.
C’est ce qui me conduit à exprimer par notre vote positif, à l’occasion de cette loi qui leur est dédiée, notre soutien et notre admiration à tous les personnels du ministère, qui veillent jour et nuit sur les droits des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Loïc Hervé applaudit également.)