M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. La déontologie n’est pas affaire de chiffre d’affaires ! (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
M. Laurent Burgoa. Exactement !
M. Arnaud Bazin. Un établissement, qu’il brasse des sommes considérables ou qu’il soit plus modeste, doit absolument se garder de tout conflit d’intérêts !
MM. Philippe Bas et Laurent Burgoa. Bien sûr !
M. Arnaud Bazin. Je ne vois pas ce que la notion de chiffre d’affaires ou de budget de fonctionnement vient faire là-dedans.
La rédaction adoptée par la commission me paraît raisonnable. Ensuite, nous verrons comment tout cela fonctionne.
Je le répète, ce n’est pas du tout une affaire de recettes et de dépenses de fonctionnement ; il s’agit de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts, qui sont, Nathalie Goulet le rappelait, le cancer de la vie publique.
Nous devons être intransigeants ; nous ne pouvons pas, d’emblée, dès le premier amendement examiné, réduire la portée et l’ambition de cette proposition de loi. Je ne voterai pas donc cet amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre. Je serai bref, car nous voulons tous avancer et ne pas engager un débat trop long dès l’examen du premier amendement.
Le Gouvernement ne souhaite pas épargner à certains établissements publics une contrainte déontologique ; il s’agit simplement d’être extrêmement réaliste. En effet, la proposition de loi impose un certain nombre de contraintes administratives, tout à fait fondées et que je soutiens pour l’immense majorité. Or, pour que le texte soit effectif, il doit prévoir une certaine proportionnalité par rapport aux contraintes que peuvent absorber les établissements publics.
Mme la sénatrice Duranton mentionnait certains établissements publics qui seraient en grande difficulté opérationnelle pour appliquer ce qui est proposé dans la proposition de loi.
Cet amendement ne vise pas à amoindrir pas la portée de la proposition de loi ; au contraire, il tend à la renforcer.
Je tenais à clarifier cette position.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’entends bien l’objectif de notre collègue – elle était d’ailleurs membre de la commission d’enquête et elle a validé notre rapport –, mais la disposition que tend à introduire son amendement, si elle était adoptée, réduirait la portée, donc l’ambition, de notre proposition de loi.
En outre, le seuil de 60 millions d’euros n’a aucune pertinence en la matière. Il figure dans le code de la commande publique, mais pour tout à fait autre chose, pour le versement des avances aux PME.
Enfin, sur le fond, cela a été dit, on ne connaît pas la liste des établissements publics qui seraient ainsi exclus, mais on peut déjà citer l’Institut national du service public – l’ex-École nationale d’administration –, l’École nationale de la magistrature, certaines agences de l’eau et certaines agences régionales de santé.
Nous préférons la clarté du texte de la commission. La proposition de loi doit concerner tous les établissements publics de l’État, afin d’éviter les effets de seuil.
M. le président. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par MM. Sueur, M. Vallet, P. Joly, Montaugé et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° La Caisse des dépôts et consignations ;
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement a pour objet de préciser le périmètre d’application de la proposition de loi, en y incluant explicitement la Caisse des dépôts et consignations, qui n’est, vous le savez, ni un établissement public de l’État ni une autorité administrative ou publique indépendante.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La Caisse des dépôts et consignations n’est en effet ni un établissement public de l’État ni une autorité administrative indépendante. Cependant, elle est faisait partie du périmètre des travaux de la commission d’enquête. La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stanislas Guerini, ministre. La Caisse des dépôts et consignations est effectivement un établissement à part.
Elle fait déjà l’objet d’un contrôle parlementaire, puisque sa commission de surveillance est présidée par un parlementaire. On pourrait donc considérer que son contrôle existe déjà. Néanmoins, je conçois que la Haute Assemblée veuille l’inclure dans le champ de la proposition de loi.
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Le dispositif de l’amendement mentionne la « Caisse des dépôts et consignations ». Or les textes qui régissent cet établissement mentionnent désormais « la Caisse des dépôts et consignations et ses filiales ».
La Poste, par exemple, dont nous avons entendu en audition le PDG, Philippe Wahl, est dorénavant une filiale, avec contrôle exclusif, de la Caisse. Inclure la Caisse des dépôts et consignations dans le texte, c’est bien, mais il faudrait plutôt parler de « groupe de la Caisse des dépôts et consignations » ou de « Caisse des dépôts et consignations et ses filiales ».
Cela pourra sans doute être corrigé lors de la navette parlementaire, car, vous ne manquerez pas d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre… (Sourires.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac, Cabanel, Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…°Les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 10 000 habitants ;
…°Les établissements publics de coopération intercommunale, à l’exception des communautés de communes.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Jean-Yves Roux l’a souligné lors de la discussion générale, cette proposition de loi est la bienvenue. Ses apports sont, j’y insiste avec force, indéniables.
Il reste néanmoins un écueil, auquel je vous propose de remédier sans attendre la suite de la navette : une partie de l’administration publique a été oubliée.
En effet, comme l’État, nos collectivités prennent des décisions politiques qui affectent la vie de nos concitoyens et, comme lui, elles sont susceptibles de faire appel à des consultants, engageant ainsi les finances publiques.
Aussi, il ne paraît pas absurde de mieux encadrer ces recours, même si nous savons qu’il existe déjà des mécanismes d’encadrement, via les chambres régionales des comptes ou le contrôle de l’opposition locale, car ces mécanismes n’ont pas suffi, hélas ! à endiguer les phénomènes parfois désastreux, tels les recours aux emprunts toxiques.
Il faut donc renforcer la transparence et le contrôle jusques et y compris dans l’administration décentralisée. C’est la responsabilité du Sénat que de répondre aux problèmes des territoires.
Dans ce contexte, cet amendement vise à inclure dans le périmètre de la proposition de loi les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 10 000 habitants, et les intercommunalités, à l’exception des communautés de communes.
Ces seuils sont peut-être trop bas, aussi avons-nous déposé un amendement de repli, l’amendement n° 45, qui tend à fixer le seuil des collectivités visées à 100 000 habitants, tout en incluant les intercommunalités, exception faite des communautés de communes.
M. le président. L’amendement n° 24 rectifié, présenté par MM. Sueur, P. Joly, Montaugé, M. Vallet et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… Les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 100 000 habitants ;
… Les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 100 000 habitants.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Au préalable, je veux préciser un point. Certains semblent penser que la proposition de loi doit correspondre exactement au périmètre de la commission d’enquête et affirment que l’on ne saurait aller au-delà. Je ne comprends pas pourquoi. Nous sommes le législateur, nous pouvons déposer des amendements et, si nous pensons qu’il faut élargir le champ du texte, je ne vois pas pourquoi nous ne le ferions pas.
Au travers de cet amendement, nous proposons d’étendre les bienfaits de cette proposition de loi aux collectivités territoriales. Notre proposition comporte un seuil différent de l’amendement n° 1 rectifié de notre collègue et ami Jean-Claude Requier, mais identique à celui de son amendement de repli, car il nous paraît sage d’exclure les communes de moins de 100 000 habitants, mais d’appliquer les dispositions du texte aux autres communes, ainsi qu’aux autres collectivités locales et aux intercommunalités de plus de 100 000 habitants.
M. le président. L’amendement n° 45 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac, Cabanel, Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…°Les collectivités territoriales et leurs établissements publics, à l’exception des communes de moins de 100 000 habitants ;
…°Les établissements publics de coopération intercommunale, à l’exception des communautés de communes.
Cet amendement a déjà été défendu.
L’amendement n° 44, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…°Les régions, la collectivité territoriale de Guyane, la collectivité territoriale de Martinique, la collectivité de Corse, les départements, les communes de plus de 100 000 habitants, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants et la métropole de Lyon ;
La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre. Mon argumentation sera assez similaire à celles de MM. Sueur et Requier.
La question est, au fond, celle de l’appréciation que l’on a de la proposition de loi. Soit on considère que celle-ci doit être punitive pour la puissance publique – ce n’est ni mon cas ni, je crois, le vôtre –, soit on considère qu’elle renforce les acteurs publics concernés, auquel cas je ne vois pas de bonne raison pour exclure les collectivités territoriales du bénéfice de ces dispositions.
Ces collectivités, personne n’en disconviendra ce soir, ont recours aux organismes de conseil. Il peut s’agir, pour une région, de bâtir une politique stratégique d’attractivité économique, moyennant quelques centaines de milliers d’euros. Il peut s’agir aussi, pour un département, de concevoir un schéma directeur en matière de politique sociale, moyennant quelques dizaines de milliers d’euros. Il peut s’agir encore, pour une métropole, de réorganiser des services. Voilà quelques exemples concrets, tirés de la vie réelle des collectivités.
Or je considère, comme les auteurs des autres amendements en discussion commune, qui émanent de diverses travées de la Haute Assemblée, que l’intégration des collectivités, loin d’être punitive pour celles-ci, leur permettrait de bénéficier de la proposition de loi.
En outre, l’objectif de proportionnalité – vous m’entendrez beaucoup en parler ce soir – me semble respecté si l’on considère que les collectivités de plus de 100 000 habitants, c’est-à-dire les régions, les départements et les 42 communes les plus importantes du pays, doivent être concernées par le texte. En effet, ces collectivités ont la capacité d’intégrer les contraintes administratives que j’évoquais précédemment et de se mettre en conformité avec les dispositions de la proposition de loi. De plus, elles doivent être prioritairement protégées du risque de conflit d’intérêts.
Tel est l’objet de cet amendement, qui tend à instituer un seuil de 100 000 habitants. Ma rédaction diffère légèrement de celle des trois autres amendements, car je ne vise les établissements publics de coopération intercommunale que s’ils comptent plus de 100 000 habitants.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Le débat sur l’inclusion des collectivités dans le champ du texte est légitime ; il n’est pas question de l’expédier sans autre forme de procès.
Personne ne prétend, monsieur Sueur, que la loi ne peut aller plus loin que la commission d’enquête. Simplement, en concertation avec les auteurs du texte, j’ai proposé à la commission des lois un équilibre politique respectant le consensus, le point d’équilibre, obtenu par la commission d’enquête. La rédaction qui en résulte permet de ne pas élargir le champ d’application à des secteurs qui n’ont été examinés ni par la commission d’enquête ni – je le dis humblement – par la rapporteure de la commission des lois.
En outre, les quatre amendements ont des rédactions et des seuils différents et ne visent pas les mêmes collectivités. C’est bien la preuve qu’il faut un peu de temps et d’expertise pour viser juste.
Par ailleurs, puisque nous sommes au Sénat, j’appelle l’attention des auteurs de ces amendements sur le fait que, à l’heure où l’on plaide pour la concertation, pour la prise en compte de la réalité territoriale, vécue par les élus locaux, il serait malvenu et surtout peu efficace d’inclure les collectivités territoriales dans le champ de la proposition de loi via de tels amendements.
De plus, les auteurs de ces amendements ne tirent pas les conséquences sur les autres articles du texte des dispositions qu’ils proposent, ce qui rend celles-ci non effectives.
La commission propose plutôt de travailler en profondeur, avec les élus locaux et les associations de collectivités, la question du recours excessif aux cabinets de conseil dans les collectivités territoriales et celle des règles de déontologie qu’elles doivent respecter, lesquelles seront inévitablement différentes de celles qui s’imposent aux administrations de l’État.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces quatre amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stanislas Guerini, ministre. Madame la rapporteure, vous développez deux arguments : vous indiquez, d’une part, qu’il faudrait approfondir la réflexion pour parfaire les dispositions de la proposition de loi et, d’autre part, que l’on mesure mal l’impact réglementaire et financier sur les collectivités des dispositions proposées.
Je développerai donc, pour vous répondre, deux contre-arguments.
D’abord, vos réserves tirées de l’impact de ces dispositions pour les collectivités, vous ne les avez pas eues pour les établissements publics de santé.
Ainsi, 220 hôpitaux locaux et, de mémoire, 3 300 établissements publics de santé sont concernés par le texte. Je ne crois pas que la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques se soit penchée sur les conséquences d’une telle disposition, bien que vous ayez auditionné Martin Hirsch sur ce sujet. Et aujourd’hui, vous reprenez cet argument pour justifier le fait que le texte ne s’intéresse pas aux collectivités !
Vous l’avez dit vous-même, madame la rapporteure, ce texte est non un point d’arrivée, mais un point de départ, puisqu’il y aura une navette parlementaire. Je souhaite que cette proposition de loi puisse cheminer et il est tout à fait possible de travailler dans le temps de cette navette. À cet égard, je suis extrêmement ouvert sur la forme. Vous avez évoqué la nomination de parlementaires en mission : je suis prêt à le faire et à donner les moyens nécessaires au Parlement, dans le cadre de la navette, pour parfaire le texte et en envisager les conséquences concrètes. Ma position est très sincère : je souhaite intégrer les collectivités à ce stade du texte, car il s’agit bien d’un point de départ.
Par conséquent, pour les raisons que je viens d’évoquer, je demande le retrait des deux amendements similaires en termes de seuil à l’amendement n° 44 du Gouvernement, par cohérence avec la situation des EPCI.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. En commission des lois, je me suis ému de l’absence des collectivités locales dans le périmètre d’intervention de ce texte.
Je me suis interrogé sur la possibilité de présenter un amendement. Après y avoir un peu travaillé, je suis resté « sec » devant ma feuille blanche. Je l’avoue, mon entrée en matière était celle retenue pour la rédaction de votre amendement, monsieur le ministre, même si je n’ai pas pensé à la Guyane… J’aurais pu penser à l’Alsace, plus proche de moi, région que j’aimerais retrouver bientôt, à la place du Grand Est – mais c’est un autre débat… (Sourires.)
L’autre entrée en matière était bien évidemment celle du seuil. Je prie mon collègue Jean-Claude Requier de m’excuser, mais j’observe qu’il remplace le seuil de 10 000 habitants par celui de 100 000 habitants, en passant de l’amendement n° 1 rectifié à l’amendement n° 45 rectifié, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Cela aurait pu être 20 000 habitants ou 50 000 ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conséquences sont relativement lourdes pour les collectivités concernées.
J’ai été convaincu par les explications de Mme la rapporteure en commission et répétées ce soir. Il faut vraiment mener un travail approfondi sur ce dossier et engager une indispensable concertation.
Par ailleurs, je suis très sensible à l’observation formulée voilà quelques instants par le président de la commission d’enquête, M. Arnaud Bazin. Selon moi, la question de la déontologie l’emporte sur celle du seuil. Nous avons tous en tête des cas d’espèce qu’il vaut mieux ne pas citer et qui nous conduisent à nous poser des questions de déontologie.
Je voterai contre l’extension proposée par ces amendements. Toutefois, je le répète, nous devrons prendre le temps de mener ce travail.
M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. En effet, monsieur le ministre, la question est légitime. C’est d’ailleurs l’une des toutes premières que nous nous sommes posées avec Éliane Assassi, après la fin des travaux de la commission d’enquête, pour déterminer ce que nous allions retenir dans la proposition de loi dont nous débattons ce soir.
Il nous est assez vite apparu qu’il ne fallait pas inclure les collectivités territoriales, pour les raisons rappelées par Mme la rapporteure. Toutefois, je voudrais insister sur deux points tout à fait déterminants.
Premièrement, l’influence des cabinets de conseil sur l’État concerne à l’évidence des sujets beaucoup plus vastes, y compris dans le domaine de la défense nationale ou dans le domaine sanitaire, qui intéressent toute la Nation. Les décisions prises dans un département ou une région, si elles ne sont pas négligeables, ont tout de même des conséquences beaucoup plus limitées.
Deuxièmement, pourquoi sommes-nous ici ce soir ? Parce que nous avons constaté qu’il est nécessaire de renforcer la transparence, le contrôle du recours et la déontologie. En ce qui concerne la transparence, il nous a fallu tous les outils d’une commission d’enquête, avec tous ses pouvoirs, qui ne sont pas minces – auditions sous serment, communication obligatoire des documents, vérifications sur place et sur pièces –, pour savoir ce que l’État dépensait en matière de recours aux cabinets de conseil.
Notre contrôle de l’action du Gouvernement a donc nécessité tous ces moyens, raison pour laquelle nous les avons intégrés dans le texte.
Dans les collectivités territoriales, il y a des assemblées délibérantes, des oppositions et des communications obligatoires de documents. Quand j’étais président du département du Val-d’Oise, j’ai fourni à mon opposition tout un ensemble de documents – comptes administratifs, comptes de gestion… Sans oublier l’encadrement des services de l’État et de la trésorerie, qui vérifient que les décisions sont conformes à ce qui a été voté.
Ainsi, tout un contre-pouvoir est déjà en place dans les collectivités locales, ce qui ne nous empêchera pas de nous pencher sur le sujet. Les choses ne sont donc absolument pas symétriques. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de ne pas retenir les collectivités territoriales dans le champ de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Dans le cadre de la commission d’enquête, nous avons documenté l’influence des cabinets de conseil sur les décisions de l’État, de ses établissements publics et des hôpitaux, que nous avons intégrés dans nos travaux.
Si je comprends le sens des amendements déposés par nos collègues, j’estime qu’il ne faut pas être sur la défensive en la matière. Il convient en effet d’aborder le sujet frontalement. C’est l’une des raisons pour lesquelles plusieurs d’entre nous ont émis l’idée d’un échange approfondi, qui pourrait faire l’objet d’un rapport, entre M. le ministre et les associations d’élus. Mme Goulet proposait une mission flash ; des parlementaires pourraient aussi demander une mission d’information ou une commission d’enquête.
Il s’agit d’un vrai sujet : des collectivités, parmi les plus importantes, ont recours à des cabinets privés. Or nous ne disposons d’aucune donnée consolidée sur le niveau des dépenses de conseil des collectivités territoriales.
Veuillez m’excuser, monsieur le ministre, mais il est tout de même paradoxal de vous voir tout à fait disposé à étendre la proposition de loi aux collectivités, alors que vous avez déposé plusieurs amendements visant à réduire l’ambition de notre texte sur vos propres services.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. À mon tour, je veux me réjouir du travail conduit par Mme Éliane Assassi et M. Arnaud Bazin qui illustre parfaitement la capacité du Sénat à dépasser les clivages, à prendre le temps de travailler sur de vraies questions et des sujets importants.
Monsieur le ministre, je comprends la nécessité, pour l’État comme pour les collectivités, de recourir à des expertises extérieures. Il n’est pas dans l’intention du groupe centriste de pratiquer une sorte de chasse aux sorcières.
Pour autant, nous sommes tous d’accord sur l’impératif d’une plus grande transparence, d’une plus grande exigence et d’un plus grand contrôle.
Vous avez raison, la question des collectivités se pose. Il ne faudrait pas que ceux qui nous écoutent ce soir aient l’impression que nous nous dérobons et que nous voulons échapper à la transparence. Ce n’est pas le genre de la Haute Assemblée !
Monsieur le ministre, vous avez salué la qualité et la rigueur du travail mené, qui nous conduisent, en nous fondant sur notre expertise, à formuler des propositions. La commission d’enquête a écarté de son champ de travail les collectivités. Pourtant, nous disons tous qu’il y a là un champ à investiguer. Pardonnez-nous, mais nous n’allons pas décider à la hussarde, à minuit passé, de ce qui arrivera aux collectivités, alors même que nous ne les avons pas entendues et que nous ne cessons, avec le Président de la République, de déplorer les décisions prises sur un coin de table, dont on s’aperçoit ensuite qu’elles ne fonctionnent pas.
Si je puis me permettre, monsieur le ministre, je me demande pourquoi les métropoles de Marseille et de Paris, qui ont un statut particulier, sont absentes du dispositif de votre amendement. Mais peut-être l’ai-je mal lu…
Nous sommes là face à un éventail de propositions, qui nécessitent des investigations sérieuses et exigeantes. Ce soir, vous seriez le premier à regretter ce que nous pourrions faire, l’enfer étant pavé de bonnes intentions. La commission d’enquête peut se poursuivre au Sénat ou l’Assemblée nationale peut se saisir du sujet, mais nous ne pouvons décider quoi que ce soit ce soir, sans en avoir parlé au préalable aux associations d’élus.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour explication de vote.
M. Patrice Joly. J’ai été maire, président d’une intercommunalité, président d’un syndicat mixte et président d’un département. J’ai pu constater des dérives en matière de recours à des cabinets de conseil. Je ne parle pas des enjeux déontologiques, mais plutôt du contenu de ces recours. En effet, la loi suscite ce recours aux cabinets de conseil, au travers d’exigences telles que l’élaboration d’un certain nombre de documents stratégiques de développement ou de documents d’urbanisme, ce qui peut avoir des conséquences particulières.
On observe ainsi une standardisation de la manière d’aborder les sujets, qu’elle soit matérielle, par le biais de copier-coller, ou intellectuelle, alors même qu’il nous faut repenser l’ensemble de nos concepts et compromis sur les différents enjeux de société.
Une absence ou une insuffisance de maîtrise des travaux par les fonctionnaires de la collectivité territoriale ou les élus sont souvent évoquées pour justifier le recours à une forme de « délégation de pouvoir », dans le cadre des documents ou des schémas exigés.
Il s’agit, au travers de ce regard sur l’intervention des cabinets de conseil, de s’assurer que le recours à ces derniers ne constitue pas une facilité, mais correspond à une nécessité d’expertises techniques particulières, pour mener et définir les politiques locales.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Permettez-moi de compléter les propos tout à fait légitimes de ma collègue Françoise Gatel, dans le droit fil d’une double sincérité très centriste.
Notre groupe s’abstiendra sur l’ensemble de ces amendements. En effet, le sujet existe, et il n’est donc pas question de voter contre. Parallèlement, le périmètre de la commission d’enquête et la nécessité d’auditionner et de travailler fait que nous ne pourrons pas voter pour.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Les discussions que nous avons, qui sont très intéressantes, démontrent que ce texte est extrêmement complexe.
D’un côté, on dit que la notion de déontologie n’est pas liée au chiffre d’affaires ou au budget de fonctionnement. On ne peut donc pas limiter son application aux seuls établissements publics administratifs de plus de 60 millions d’euros de budget.
D’un autre côté, on ne souhaite pas appliquer cet article aux collectivités territoriales de plus de 100 000 habitants, dont le budget de fonctionnement est d’au moins 500 000 euros.