M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, le 1er mars dernier, alors que les troupes russes encerclaient Kiev, et qu’on nous expliquait que l’Ukraine serait écrasée en quelques jours, je commençais mon discours à cette tribune par la phrase suivante : « L’invasion de l’Ukraine pourrait bien être le premier clou sur le cercueil de la dictature de Poutine. » Cette perspective paraît sans doute moins irréaliste aujourd’hui.
M. Martin Lévrier. C’est vrai !
M. Claude Malhuret. Le césarisme appuyé sur une propagande sans limites et un nationalisme guerrier est la recette de toutes les dictatures ; jusqu’à ce qu’elles fassent le pas de trop. Pendant vingt ans, Poutine a mis en pratique le proverbe arabe : « Un chameau se mange par morceau. » Une patte au moment de la Tchétchénie, une jambe avec l’Ossétie, une cuisse avec l’Abkhasie, et la suite, Transnistrie, Crimée, Donbass. Devant notre inaction, il s’est dit qu’avec l’Ukraine, il pouvait manger le chameau d’un seul coup. Il est en train de mourir d’indigestion.
Il y a peu d’exemples dans l’Histoire où l’agresseur soit parvenu avec autant de précision à l’exact contraire du but recherché.
Poutine voulait annexer l’Ukraine ? Il en a forgé la nation.
Diviser l’Europe ? Il l’a soudée.
Ridiculiser l’Otan ? Il l’a renforcée.
Humilier les États-Unis ? Il a ressuscité Biden après Kaboul.
Prendre la tête des dictatures ? La Chine s’inquiète, la Turquie montre les dents, le Kazakhstan et toute l’Asie centrale en profitent pour prendre le large.
Conforter sa dictature par ses conquêtes ? Les troubles commencent dans les républiques de la Fédération de Russie elle-même.
Démontrer l’isolement de l’Occident ? À L’ONU, 143 pays, contre 4, condamnent la Russie.
Il est acculé stratégiquement, économiquement, militairement. Que va-t-il faire ? Tout simplement ce qu’il sait faire, ce qu’il fait depuis toujours : un conflit gelé à ses frontières, puisque l’Ukraine ne peut franchir la frontière russe, et une guerre hybride contre l’Occident, pour y semer le chaos.
Ce chaos, ceux qui vont s’en charger chez nous, ce sont les officines, les populistes, les collabos et leurs réseaux sociaux qui, depuis des années, relayent avec une fidélité canine sa propagande. Ces 100 % poutiniens d’hier tentent de sauver les meubles aujourd’hui. Ils attendent l’hiver. Ils savent que l’opinion est capricieuse, ils attendent que le soutien à l’Ukraine se désagrège. Leur leitmotiv, c’est « beurre œufs fromage », comme en 40. (Sourires au banc du Gouvernement.) En clair : « La Russie, même pas mal, les sanctions ne font souffrir que l’Europe. »
Tous les chiffres qu’ils citent sont faux, issus en droite ligne du Kremlin. Une récession russe de quelques pour cent, nous dit-on ? Non seulement l’absence de microprocesseurs empêche les Russes de reconstituer leur armement, mais ils ne fabriquent même plus de voitures ou de machines à laver. Les 700 000 hommes qui ont quitté le pays depuis février, les plus qualifiés, entraînent un effondrement de la production. Mille entreprises étrangères ont quitté le pays, ce qui représente 40 % du PIB.
La bourse de Moscou a perdu 50 %. Les économistes de salon qui nous disent que le rouble n’a pas baissé n’ont toujours pas compris que son cours officiel est bidon, puisqu’il n’est plus échangeable. Qu’ils aillent dans une rue de Moscou et changent quelques dollars au noir ; ils apprendront alors que le rouble, dans le monde réel, a perdu 50 % de sa valeur.
Tous les chiffres venant de l’État russe sont comme Lénine dans son mausolée : soigneusement entretenus et tout à fait morts. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.) Les sanctions marchent, et de mieux en mieux.
Le prochain axe de la propagande russe, c’est la paix. Nous venons d’en avoir un exemple à l’instant. (M. Pierre Laurent s’indigne.)
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. Claude Malhuret. À chaque conflit avec l’Occident, l’URSS, puis la Russie ont recouru au même stratagème : le pacifisme. Dans les années 1930, c’est le Mouvement pour la paix, orchestré par les partis communistes européens et les idiots utiles, les Sartre, Aragon et autres, qui a désarmé les démocraties. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Un peu de respect !
M. Claude Malhuret. Dans les années 1980, les missiles russes sont à la frontière de l’Europe et la riposte des Pershing américains est contrecarrée par les immenses manifestations « Plutôt rouges que morts ». Rappelons-nous la phrase cruciale de Mitterrand, qui a fait échouer la manœuvre : « Les missiles sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest. » (M. Pierre Laurent s’exclame. – Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
Eh bien, c’est reparti ! On n’a pas fait assez attention au thème de la conférence de presse de Le Pen, la porte-parole salariée du Kremlin, il y a quinze jours : « Il faut organiser une grande conférence pour la paix en Europe. » La manœuvre va s’amplifier. Mélenchon ne dit rien d’autre. Et pour cause, ils prennent leurs ordres au même endroit. Leurs groupes ont ensemble refusé de voter les sanctions et l’aide à l’Ukraine. Nous venons d’en entendre, à l’instant, les arguments. Hélas !
Il va donc nous falloir redoubler d’efforts pour les combattre et pour convaincre les Français de continuer à apporter leur soutien.
Mme Éliane Assassi. Vous devriez faire un peu de politique, monsieur Malhuret !
M. Claude Malhuret. Le seul côté positif de la guerre en Ukraine est qu’elle nous ouvre les yeux. Les dictateurs sont revenus. Certains les avaient crus vaincus à jamais à la fin du XXe siècle. Sous nos yeux, l’Internationale des tyrans se reforme pour se venger, abattre l’Occident, mettre à bas la démocratie.
Malgré les erreurs catastrophiques de la Russie, Moscou, Pékin, Téhéran, Pyongyang et d’autres renforcent leurs liens, sous le regard attentif d’Ankara. La guerre de Poutine n’est qu’un prélude. Les prochaines générations doivent savoir que, outre la crise climatique, le vrai défi à venir sera la menace des dictatures sous la conduite de la Chine. La deuxième guerre froide a commencé.
Si nous en sommes là, c’est aussi à cause de nos propres lâchetés. Ce qui s’est passé, c’est non pas – n’en déplaise à Fukuyama – « la fin de l’Histoire », mais la sortie de l’Europe de l’Histoire. Il n’y a pas de phrase plus malheureuse que celle qui nous a convaincus que nous allions toucher « les dividendes de la paix ».
Elle nous a conduits à fermer les yeux, depuis vingt ans, à chaque nouvelle exaction de la Russie, à laisser la Chine piller nos technologies et escroquer l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle conduit nos dirigeants à répéter aujourd’hui que nous ne sommes pas en guerre, erreur tragique, car les dictateurs, eux, savent qu’ils sont en guerre contre nous. Ils le disent.
Cette erreur majeure d’analyse fut d’abord celle de l’Allemagne et de la France. Depuis un demi-siècle, la politique allemande est fondée sur la dépendance énergétique à l’égard de la Russie, sur la dépendance économique envers la Chine et le désarmement face aux deux.
Celle de la France fut de courtiser la Russie pour trianguler sa relation avec les États-Unis, en croyant acquérir une position indépendante sans en avoir les moyens militaires. Les avertissements de l’Europe de l’Est, qui sait – elle – ce que sont les dictatures, ont été rejetés avec mépris. L’invasion de l’Ukraine nous montre l’échec de ces deux politiques et, surtout, l’urgence à ne pas les poursuivre.
Il est plus que temps de renforcer la coalition de toutes les démocraties et d’abandonner, en France, l’antiaméricanisme appuyé sur la vieille haine de droite dirigée contre les Anglo-Saxons et la vieille haine de gauche contre le capitalisme, le tout au nom d’un gaullisme de pacotille, ignorant ce que disait de Gaulle : « L’antiaméricanisme est le socialisme des imbéciles. »
Il est plus que temps de moderniser et de renforcer la défense européenne pour se hisser à la hauteur de la compétition stratégique, de comprendre que les guerres à venir seront hybrides et que notre retard en matière de numérique, de lutte contre la désinformation et d’intelligence artificielle est encore plus immense que notre retard dans le domaine des armes conventionnelles.
Il est plus que temps, enfin, de hausser le ton face au boucher de Moscou. En Europe centrale, la France et l’Allemagne donnent parfois l’impression d’un soutien distancié. Si l’aide militaire est réelle, le discours est parfois plus hésitant. La volonté exprimée de ne pas humilier, les vaines tentatives de dialogue, l’insistance sur la nécessité de négociations conduites le moment venu, alors que les Ukrainiens meurent par milliers, risquent de brouiller la perception de notre engagement.
Toute négociation qui prendrait place avant le retrait total des Russes de l’Ukraine aboutirait à la même situation que celle de l’Abkhazie et de l’Ossétie, du Donbass et de la Crimée, c’est-à-dire à un nouveau conflit gelé, à la poursuite des guerres hybrides à l’est de l’Europe et, en définitive, à une victoire de Poutine.
La seule façon d’apporter, à long terme, la paix et la stabilité sur notre continent est la victoire de l’Ukraine et la défaite de Poutine. C’est non pas seulement l’indépendance de l’Ukraine qui se joue aujourd’hui, mais la sécurité de toute l’Europe et l’unité indispensable du monde libre contre les dictateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la Première ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le 24 février dernier, premier jour de l’agression de l’Ukraine par la Russie, la résistance des Ukrainiens n’a jamais cessé. Une résistance admirable et durable que Vladimir Poutine avait sans doute sous-estimée.
Courage, résilience et détermination sont les ingrédients d’une force morale qui ne faiblit pas, ni au sein de la population ni au sein de l’armée ukrainienne.
Du courage, il en faut pour affronter la puissance militaire russe et ses centaines de milliers d’hommes. Il en faut pour vouloir rétablir la réalité d’un pays libre et souverain face à l’Histoire révisée et mensongère de Poutine.
La résilience, les Ukrainiens n’en manquent pas non plus. Les drames humains, le siège de Marioupol, la tragédie de Boutcha, les bombardements d’infrastructures civiles jusqu’au cœur du territoire, tout cela est difficile à vivre et ne manquera pas de laisser des traces.
Malgré tout, pour le moment, rien – même le pire – n’a entamé la détermination des Ukrainiens.
C’est avec cette égale détermination que le président Zelensky a endossé le rôle de chef de guerre. Sa volonté sans faille, confortée par le soutien matériel et diplomatique de nombreux pays occidentaux, permet à l’Ukraine de tenir.
Mieux que cela, le pot de terre est capable de bousculer – et même de renverser – le pot de fer. Courant septembre, l’armée ukrainienne a réalisé de remarquables reconquêtes dans le nord-est ainsi que dans le sud de son pays. Cela a été rappelé, la ligne de front a bougé en faveur de l’Ukraine, dans la région de Kharkiv notamment, et vers Kherson au sud.
Ces réussites, si l’on ne peut bien entendu que les souhaiter, ont, disons-le aussi, un revers : les effets de l’humiliation de Vladimir Poutine devant ses échecs.
Cet affront le conduit sans cesse à l’escalade jusqu’à l’ultime menace, celle de brandir régulièrement l’arme nucléaire. Je n’oublie pas les manipulations qu’il a érigées en art de la guerre, telle la dernière autour de la prétendue « bombe sale ».
Dans ces conditions, quelle doit être notre attitude ? Que peut-on espérer aujourd’hui ?
Madame la Première ministre, le groupe RDSE adhère à la ligne assez consensuelle qui consiste à vouloir arrêter ce conflit, sans en devenir belligérants. Nous soutenons les efforts consentis par la France et l’Union européenne pour aider l’Ukraine à se défendre. Dans le même temps, nous approuvons aussi le régime de sanctions, bien que ses effets soient relativement limités sur l’économie russe, comme vient de le révéler le récent pronostic du Fonds monétaire international (FMI).
Néanmoins, tout doit être tenté pour maintenir la Russie au ban des nations, car ce n’est pas seulement l’intégrité territoriale d’un pays qui est en jeu, c’est également la vision d’un monde libre contre celle d’un impérialisme autoritaire.
Le discours stupéfiant de Sergueï Lavrov à l’ONU, puis celui du président Poutine, prononcé lors de sa cérémonie d’annexion du 30 septembre dernier, ont été on ne peut plus clairs. Leurs attaques verbales contre l’Occident ont été d’une rare violence.
Plus personne ne doute aujourd’hui du rejet par Moscou de nos valeurs, à l’exception peut-être du président Viktor Orbán. Ce dernier oublie un peu vite les chars soviétiques qui ont écrasé dans le sang, en 1956, des milliers de ses concitoyens. Faut-il le lui rappeler pour que la Hongrie ne s’éloigne pas du camp démocratique auquel elle est censée appartenir ? (M. André Gattolin approuve.)
Mes chers collègues, faute d’avoir marché sur Kiev en quelques jours, comme le prévoyait son scénario initial, le président russe s’enferme dans la guerre. Cet enlisement risque de nous y enfermer aussi.
Déjà, les conséquences économiques et énergétiques que la guerre entraîne en Europe, et même au-delà, ont des effets sur nos concitoyens.
Alors que la fin de la pandémie laissait entrevoir un retour à la croissance, la crise ukrainienne a provoqué une inflation galopante et engendré des tensions sur nos capacités énergétiques. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023 : de nombreuses mesures sont mises sur la table afin de faire face à ces défis, mais nous savons que l’équation budgétaire sera difficile à résoudre.
Comme un effet domino, le conflit menace aussi la cohésion européenne. Les débats lors du dernier Conseil européen ont été tendus.
Je sais, madame la Première ministre, que la France ne ménage pas ses efforts afin de maintenir l’unité européenne, notamment autour du projet de plafonnement du prix du gaz, une mesure nécessaire.
Mais l’Allemagne est réticente. De plus en plus, Berlin fait cavalier seul et regarde vers l’Est ; c’est une inquiétude. Je pense d’ailleurs aussi, s’agissant de la défense, monsieur le ministre, à la volonté allemande d’harmoniser en Europe le contrôle de l’exportation des armements dans un sens qui lui serait clairement favorable, mais qui serait contraire aux intérêts industriels et stratégiques de la France. (M. Philippe Folliot applaudit.)
Les avis divergent également sur la question des négociations. Vous l’avez rappelé, madame la Première ministre, le Président de la République souhaite maintenir le dialogue avec Moscou, un choix parfois critiqué par les pays de l’Est. Mon groupe est favorable aux discussions, d’autant plus que Washington a considéré le mois dernier qu’elles pourraient constituer la seule issue au conflit.
En attendant, nous devons rester derrière l’Ukraine en lui fournissant les armes dont elle a besoin, dont les fameux canons Caesar aux performances remarquables et remarquées.
Mes chers collègues, le 4 mai 1939, dans le journal L’Œuvre, le socialiste pacifiste Marcel Déat – hélas ! futur pilier de la collaboration – publia un éditorial, au moment où l’Allemagne menaçait la Pologne, intitulé « Mourir pour Dantzig ? » (M. Alain Richard opine.)
M. Julien Bargeton. C’est une leçon d’histoire !
M. Jean-Claude Requier. Dans ce contexte de guerre aux portes de l’Europe, les Français seront-ils prêts à se priver pour Kiev ? L’avenir le dira. Cependant, le courage extraordinaire de nos amis ukrainiens, leurs sacrifices et leurs valeurs démocratiques qui nous sont si chères imposent aux Français un devoir moral de soutien, d’aide et de solidarité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Martine Filleul et M. Patrick Kanner applaudissent également.)
M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis plus de huit mois, le peuple ukrainien résiste héroïquement à l’impérialisme russe. Depuis quelques semaines, son armée a inversé la tendance sur le terrain et commencé à repousser l’envahisseur vers la frontière russe. Qui aurait imaginé ce scénario quand, en février, les colonnes de blindés russes descendaient sur Kiev et qu’un sauf-conduit était proposé au président Zelensky pour quitter le pays ? Goliath a des pieds d’argile et David, lourdement armé par ses alliés, est beaucoup plus grand qu’escompté.
La guerre est installée dans tout le sud et l’est du pays et durera encore des mois, alors que l’hiver s’apprête à geler les positions. Le bilan humain, qui, malgré les difficultés d’estimation, se chiffre au moins à plusieurs dizaines de milliers de morts et de blessés, continuera hélas ! de s’alourdir.
Les civils ukrainiens paient également un lourd tribut, victimes des bombardements massifs, des attaques des drones kamikazes et des crimes de guerre en tout genre de l’occupant russe, qui, fuyant devant la percée ukrainienne, a laissé derrière lui, comme à Boutcha, d’atroces charniers, des fosses communes mal dissimulées, qui révulsent le cœur et l’esprit.
Dans ces odieux massacres de civils, les femmes ont, comme souvent, été victimes d’abominables violences sexuelles. Pramila Patten, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, considère que « le viol, en Ukraine, est bel et bien une arme de guerre », « une stratégie militaire visant à déshumaniser les victimes et à terroriser la population ». Les quelques victimes recensées, parmi tant d’autres restées anonymes, sont âgées de 4 ans à 82 ans. Effroyable !
L’armée russe ne recule devant aucune barbarie pour tenter de saper le moral du peuple ukrainien. Elle bombarde toujours indistinctement les civils et, distinctement, les réseaux électriques pour semer la terreur, l’inconfort et le froid.
Madame la Première ministre, à ce jour, l’Ukraine ne demande pas d’aide pour réparer les réseaux électriques, mais le cas échéant, la France et l’Europe sont-elles prêtes à envoyer des techniciens et des groupes électrogènes afin d’éviter qu’une partie de la population ukrainienne ne connaisse un hiver glacial ?
Acculée, la Russie ne recule devant rien : bombardements d’infrastructures civiles, mobilisation partielle, loi martiale, menaces nucléaires répétées – balistiques, mais aussi civiles. Il semblerait qu’à l’heure où nous parlons, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique n’aient plus accès à la centrale de Zaporijia, ce qui est, comme depuis le début du conflit, une source d’inquiétude aiguë.
Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes est insoutenable. Plus que jamais, le monde doit s’engager vers la fin du « cauchemar nucléaire », pour citer – une fois n’est pas coutume – le pape François.
Je formule de nouveau notre demande que la France adhère, en tant qu’observateur, au traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
L’autocrate du Kremlin joue sa survie et a entraîné le conflit au-delà d’un point de non-retour. Un monde en paix où Vladimir Poutine demeure président de la Fédération de Russie est une chimère. Nous l’avons laissé agir en Géorgie, nous l’avons laissé agir en Syrie, nous l’avons laissé agir en Crimée : cela doit cesser. L’Ukraine doit gagner cette guerre !
Cette victoire sera atteinte quand l’Ukraine aura recouvré ses frontières de 1991, Donbass compris, Crimée comprise, ou lorsqu’elle décidera que ses objectifs militaires sont atteints.
Toute tentative de médiation avec le dictateur russe semble vaine. Poutine refuse le dialogue et ne comprend que le rapport de force.
La position française des derniers mois a parfois dérouté le gouvernement ukrainien, comme nombre de nos partenaires européens. Nous demandons au Président de la République de ne plus tergiverser, de cesser d’invoquer, comme un mantra, une hypothétique table de négociations. Cette rhétorique de médiation n’a pas de sens : la France est trop engagée dans le conflit pour tenir ce rôle. Vladimir Poutine se considère, de toute façon, en guerre contre l’Occident, que nous le voulions ou non. Le rôle de la France est celui d’un soutien ferme et sans ambiguïté à l’Ukraine, au droit international, à la démocratie, à nos valeurs et à la lutte contre le dérèglement climatique, tributaire de la victoire de l’Ukraine et des démocraties.
Un soutien plus ferme dans ses mots, un soutien plus ferme dans ses actes : la France, première armée d’Europe, qui prône l’autonomie stratégique du continent, doit porter son effort d’aide à l’Ukraine à la hauteur de l’ambition géopolitique qui est la sienne, à la hauteur de notre voisin britannique, qui forme 20 000 soldats ukrainiens quand nous en formons dix fois moins, à la hauteur de notre voisin allemand, qui livre des chars d’assaut aux pays d’Europe de l’Est pour que ceux-ci puissent céder leurs chars soviétiques à l’Ukraine.
Afin de limiter les dégâts des drones iraniens, le 12 octobre dernier, le Président de la République annonçait que la France allait fournir à l’Ukraine des systèmes antimissiles pour se protéger. Vous nous confirmez aujourd’hui que cette promesse sera tenue.
Cette fermeté doit aussi s’adresser à nos entreprises poursuivant leurs activités en Russie, au premier rang desquels figure TotalEnergies, qui contribue indirectement à la fourniture en kérosène de l’armée de l’air russe et, en conséquence, au bombardement des populations civiles. L’énergéticien doit quitter la Russie. Il fait honte à notre pays, quand ses homologues occidentaux ont tous annoncé abandonner leurs activités en Russie. Il s’enrichit indûment grâce à l’explosion des cours du pétrole et du gaz, un véritable « profiteur de guerre » comme le dénonçait – bravache – le Président de la République en juin dernier au G7.
Madame la Première ministre, comment pouvez-vous, dans ces conditions, refuser encore et toujours de taxer les superprofits des profiteurs de guerre ? Allez-vous au moins faire vôtre l’excellente proposition de notre collègue Boris Vallaud et des députés socialistes de saisir, pour les verser à l’Ukraine, tous les dividendes et autres gains que les entreprises auraient perçus en demeurant sur le sol russe ?
Notre dépendance à l’énergie russe continue d’être notre talon d’Achille dans cette bataille : l’Allemagne dépend de son gaz ; nous dépendons de son uranium. Entre 2000 et 2020, la France a importé de Russie 19 245 tonnes d’uranium naturel et 8 213 tonnes d’uranium enrichi. Nous importons près de la moitié de notre uranium du Kazakhstan, pays militairement lié à la Russie. Le dernier arrivage connu depuis la Russie – cinquante-deux fûts d’uranium enrichi – date du 24 août dernier. La prétendue souveraineté qu’offre le nucléaire est une vaste farce.
Le régime de sanctions européennes en pâtit et notre effort est loin de ce qu’il devrait être : asphyxier économiquement la Russie. L’heure, pour le continent, pour le pays, est à la souveraineté et à la sobriété énergétiques – et vous l’avez rappelé –, celle que seuls le soleil, le vent et l’eau procurent à condition de doter l’Europe de filières industrielles en mesure d’assurer sa transition énergétique. Aucun plan européen, aucun projet de loi français pour accélérer le développement des énergies renouvelables n’atteindra ses objectifs si nous ne sommes pas capables de nous équiper par nos propres moyens.
Sous l’effet du plan de relance américain et des nouveaux objectifs du gouvernement chinois, la demande intérieure de panneaux solaires des deux plus grandes économies du monde va exploser. L’Europe doit pouvoir produire les siens !
Plus rapidement, nous devons développer les mesures de sobriété. Votre gouvernement a fait quelques promesses en la matière, mais qui reposent encore beaucoup trop sur le volontariat des entreprises. Il faut davantage de contraintes. Les solutions de court et de moyen termes sont pourtant légion.
Cette sobriété est d’autant plus indispensable que la crise énergétique avait débuté avant la guerre en Ukraine et qu’elle se poursuivra après, affectant toujours davantage le pouvoir de vivre de nos concitoyens.
La seule bonne nouvelle – s’il est possible d’en trouver une –, dans cette période de graves troubles, est que les intérêts vitaux du peuple ukrainien, les intérêts vitaux de nos concitoyens et les intérêts vitaux liés à la protection du climat se rejoignent. Voilà un problème de moins sur votre bureau ! Il faut sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles et décupler nos efforts en matière de transition et de sobriété énergétiques. Notre avenir est intimement lié à celui du peuple ukrainien. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER, CRCE, RDSE et RDPI. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame le Premier ministre, mes chers collègues, Tocqueville affirme que « les démocraties d’opinion sont incapables de stratégie persévérante ». La déclaration que nous venons d’entendre en est la preuve. Vous vous concentrez sur des épiphénomènes, des postures morales et sur un décalage de la crise économique par l’endettement public.
Mais, face à nous, s’affirme le retour des empires, armés d’une vision sur le long terme. Vladimir Poutine est constitutionnellement au pouvoir jusqu’en 2036 ; Xi Jinping, véritable empereur en Chine, menace Taïwan ; en Corée du Nord, la dynastie des Kim mûrit sa puissance depuis 1948 ; en Iran, le néosultanat affirme ses velléités nucléaires ; dans le Caucase, l’ex-Empire ottoman ambitionne de se reconstituer au détriment de la nation souveraine arménienne et de son peuple. Sans parler de l’émergence des puissances nucléaires que sont l’Inde et le Pakistan.
Le XXIe siècle s’annonce comme un siècle de fer, de feu et de sang. Depuis plus de trente ans, l’Occident s’est perdu dans l’euphorie de la chute du mur de Berlin. Pourtant, depuis lors, tant d’événements nous ont alertés sur la persistance de la guerre : Koweït, Yougoslavie, 11 septembre, Afghanistan, Irak, Crimée, État islamique, tensions indopacifiques.
Malgré cela, rien ne fut fait pour reconstituer notre puissance. Au contraire !
Si une Française connaît bien le rationnement et la fin de l’abondance depuis des décennies, c’est notre armée ! Elle a été victime de l’idéalisme de nos gouvernants, dont les principales illusions furent les « dividendes de la paix », l’Europe de la défense, le multilatéralisme onusien.
La démission du général de Villiers en 2017 avait pour but de lancer l’alerte sur l’état critique de nos forces face aux enjeux du monde ; le président Macron l’a méprisée.
S’agissant de votre chimérique Union européenne, nous assistons, aujourd’hui encore, au divorce du couple franco-allemand.
Le chancelier allemand annonce, en effet, un fonds de 100 milliards d’euros, en vue de constituer la première armée conventionnelle d’Europe et 40 milliards pour l’achat d’avions F-35 américains. Ceux qui ont organisé notre dépendance au gaz russe nous lâchent en pleine crise !
Dans ce contexte, nous devons cesser de déléguer notre souveraineté et regagner les moyens de notre indépendance nationale. Il nous faut prendre conscience des grands défis du siècle : voir que l’ordre du monde est régi par l’antique dialogue des Méliens et la loi du plus fort ; anticiper les évolutions industrielles et économiques, comme un moyen de ne pas perdre une guerre du même nom ; comprendre la réalité du choc migratoire et démographique en cours – la Turquie et la Biélorussie, avec leur chantage aux migrants, ont bien compris l’intérêt d’utiliser cette arme contre les nations d’Europe.
Alors que le président russe déclare que l’Union européenne est cobelligérante, vous confirmez, madame le Premier ministre, votre souhait de livrer des armes à l’Ukraine, mais sans vouloir faire la guerre, consciente de notre extrême faiblesse militaire, soulignée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat lui-même ! Celui-ci a déclaré que, en cas de guerre, nous disposions de quinze jours de munitions et, s’agissant de certains armements, de seulement trois ou quatre jours de réserves.
Ne doutons pas que les va-t-en guerre indépendants, armés de leur salive, troqueront leur costume et leurs mocassins contre un treillis et des rangers, et passeront ainsi des travées du Sénat aux tranchées des soldats !
Il est toujours temps d’imaginer, madame le Premier ministre, des scénarios de rupture et de profiter de notre position de puissance nucléaire pour négocier avec les grands, sans naïveté sur l’état de nos forces (Protestations sur les travées du groupe SER.) et sur les intérêts propres des autres États, fussent-ils nos alliés !