M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Eh bien, mon cher collègue, je vous répondrai que le point commun à 85 % des usagers de drogue est d’avoir été victimes de violences, y compris sexuelles, dans leur enfance. La question générale des addictions et des comportements est donc beaucoup plus complexe que cela. Nous partageons tous ici, je pense, la volonté de réduire l’exposition des jeunes aux addictions.
Ce sont évidemment des amendements d’appel, Mme la ministre a raison, mais notre pays doit cesser d’esquiver le débat sur les addictions. On ne peut pas aborder cette question avec les représentations habituelles – drogues dures, drogues douces, par exemple. L’addiction est un parcours, un comportement, et le législateur est régulièrement interrogé parce que ses actes peuvent contribuer à réduire ou à laisser filer la consommation.
Or les résultats de notre pays sont extrêmement mauvais : la France est le deuxième pays d’Europe en matière de consommation de cannabis chez nos jeunes. Personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle.
J’aurais aimé débattre de cette question, comme de la consommation de tabac et d’alcool, avec le ministre de la santé et de la prévention, car ce dernier a tenu récemment des propos très intéressants : il a déclaré ne pas vouloir tendre vers la légalisation du cannabis, car le cannabis d’aujourd’hui n’est pas comme celui d’hier, il est beaucoup plus fort en tétrahydrocannabinol (THC).
Mme Laurence Rossignol. Justement !
M. Bernard Jomier. Justement, c’est bien là le problème !
Les produits actuellement proposés sont livrés aux réseaux mafieux, sans contrôle. Si ce produit était légalisé, l’État prendrait la main, contrôlerait les produits et, c’est indiqué dans le dispositif de l’amendement, fixerait un taux maximal au-delà duquel le produit serait illégal. Nombre d’exemples étrangers le démontrent : une légalisation contrôlée par l’État au travers de critères sanitaires réduit la consommation chez les jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il s’agit en effet d’une question de santé publique et je me réjouis que nous puissions avoir ce débat dans l’hémicycle. Je ressens d’ailleurs un cheminement au sein de la Haute Assemblée. Voilà quelques années, ce débat était un peu plus passionnel et l’on avait du mal à échanger.
Moi-même, j’ai évolué sur cette question, en étant rapporteure, à partir de 2011, de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). J’ai rencontré, à ce titre, des professionnels d’organismes participant à la Fédération Addiction, qui, tous, ont insisté sur la nécessité d’avoir une réflexion sur cette question et d’aboutir à la légalisation du cannabis.
En effet, outre les arguments déjà soulevés, les trafics sont aujourd’hui aux mains de réseaux mafieux, ce qui entraîne une violence terrible. Dans les quartiers, quels que soient les territoires, on assiste à un accroissement de la violence liée à ce sujet.
Aussi, conduire une réflexion, sans hypocrisie, sur la légalisation me paraît important, en termes de vivre ensemble, mais également de santé publique, via la qualité du produit. En effet, dès lors que l’État est dans la boucle, il maîtrise les choses, il peut contrôler les produits et ne pas laisser faire tout et n’importe quoi.
Enfin, certains jeunes ne comprennent pas notre permissivité à l’égard de l’alcool et notre blocage à l’égard du cannabis.
Je voterai donc ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Alain Milon a toujours des avis extrêmement justes et je suis d’accord pour l’écouter et débattre, mais je suis réservé sur cette question.
Lorsque les adolescents prennent du cannabis, ils peuvent s’orienter ensuite vers d’autres drogues beaucoup plus dures et, surtout, ils souffrent souvent de troubles du comportement et de troubles de mémoire – ils courent un risque de schizophrénie.
Par ailleurs, dans les pays où le cannabis est autorisé, la sécurité n’est pas du tout plus grande.
Il y a un problème, c’est vrai, mais je ne suis pas pour la légalisation du cannabis. Par conséquent, je ne voterai pas ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.
Mme Victoire Jasmin. Pour ma part, je suis contre ces amendements identiques.
De 2004 à 2008, j’ai été présidente d’une fédération de parents d’élèves et, dans le cadre du plan régional de santé publique et de la lutte contre les addictions, j’ai conduit des projets.
Par ailleurs, dans le cadre de la mission d’information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, notre ancien collègue M. Antoine Karam a étudié la cocaïne, particulièrement en Guyane, mais également à la Martinique et à la Guadeloupe. Or, aujourd’hui, nombre de nos jeunes sont des mules ; cela ne concerne pas que le cannabis, mais c’est un véritable problème sur notre territoire.
Je ne peux donc pas voter de tels amendements sans qu’un travail de prévention soit prévu. L’intitulé du ministère de la santé inclut la prévention ; eh bien, j’aurais voulu que cette notion soit mise en avant, avant d’adopter une telle mesure. Il faut prévoir un véritable accompagnement.
Nous avons encore beaucoup à faire.
Récemment, Jean Sol et moi avons remis un rapport d’information au nom la commission des affaires sociales sur les effets de l’épidémie de covid-19 sur la santé mentale. Nous avons montré qu’au plus fort de la pandémie l’usage des stupéfiants avait augmenté.
Pour ma part, je ne peux pas dresser de tels constats dans un rapport d’information et voter ensuite de manière précipitée deux amendements qui ne tendent à proposer aucun accompagnement. Je comprends les arguments de mes collègues, mais, compte tenu de ce qui se passe dans mon territoire, mais aussi en Guyane et en Martinique, il m’est impossible de les suivre.
Mme Laurence Rossignol. C’est la situation actuelle de prohibition qui veut cela !
M. le président. Mes chers collègues, vous êtes quinze à avoir demandé la parole sur ces amendements : si chacun s’exprime pour expliquer qu’il ne va pas lancer le débat, il nous faudra trente minutes avant de passer au vote !
Je vous prie de noter dans vos agendas que nous siégerons samedi.
La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Nous sommes tout de même là pour débattre : si tant de collègues prennent la parole, c’est que le sujet suscite l’intérêt. S’il nous faut siéger samedi, nous le ferons – là n’est pas le problème.
Il est intéressant que nous débattions de cette question de santé dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas le débat : c’est un produit illégal !
M. Guillaume Gontard. Nous savons bien que ces amendements ne seront pas votés – ce sont des amendements d’appel. Ils sont là pour provoquer le débat.
Nous avons eu de nombreuses discussions sur les mesures concernant le tabac ou l’alcool. Pourquoi peuvent-elles avoir lieu ? Pourquoi avons-nous des programmes de prévention, des taxes, des moyens de contrôle sur ces produits ? C’est justement parce qu’ils sont légaux. Nous devons nous inspirer de ces dispositions et réfléchir aux manières de mieux encadrer le cannabis.
Oui, c’est un vrai problème de société, notamment pour la jeunesse. J’ai visité des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie. L’ensemble des professionnels nous disent qu’il y a un vrai enjeu : les jeunes consomment de plus en plus tôt des produits non contrôlés qui sont de plus en plus dangereux.
Évidemment, comme l’a souligné Victoire Jasmin, la prévention est nécessaire ; reste qu’elle ne pourra exister que par une légalisation et un encadrement.
Madame la ministre, vous avez rejeté ces amendements pour des raisons techniques, mais j’aimerais connaître la position de fond du Gouvernement dans ce débat, car il est nécessaire. Nous devons travailler dès maintenant sur cette question : que prévoit le Gouvernement à cet égard ?
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Le débat sur le cannabis est très intéressant, mais je rappelle que nous examinons un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous l’avons dit : il n’est pas possible de taxer un produit illégal, comme le proposent les auteurs de ces amendements.
Je n’ai rien contre un débat sur le cannabis, mais, monsieur le président, si cela nous conduit à siéger samedi, je ne souhaite pas que nous poursuivions nos travaux jusqu’à deux heures du matin ce soir. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut dire cela à chacun de nos collègues, madame la présidente. Ce n’est pas à nous de décider de cela.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je vous le dis à vous, je le dis à chacun. Si nous lançons des débats sur des sujets qui ne relèvent pas du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous pouvons même siéger dimanche, voire lundi.
M. Martin Lévrier. Oui, on peut !
M. le président. La séance n’est pas ouverte dimanche, mais nous pouvons très bien tenir une conférence des présidents samedi pour le faire ! Je n’ai pas d’état d’âme à cet égard – je serai là, comme tous les jours… (Sourires.)
La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yan Chantrel. Rassurez-vous, je serai très court pour ne pas rallonger nos travaux, mais je veux réagir à ce que j’ai entendu concernant les jeunes.
Parmi tous les pays ayant légalisé le cannabis, aucun ne l’a fait pour les jeunes.
Mme Michelle Meunier. Exactement !
M. Yan Chantrel. La vente leur est interdite. D’ailleurs, les paramètres relatifs à l’âge peuvent varier : la consommation peut être autorisée à partir de 18 ans, 20 ans… Nous devons en discuter.
Quoi qu’il en soit, l’usage du cannabis est interdit aux jeunes dans tous les pays qui l’ont légalisé. Ne dites donc pas n’importe quoi !
À la suite de ces légalisations et de l’interdiction aux jeunes, nous avons justement pu constater que des politiques de prévention et de sensibilisation se mettent en place dans les écoles pour prévenir les comportements à risque ou prendre en charge les élèves. Voilà ce qu’est une véritable politique de santé publique !
Finalement, dans votre aveuglement, vous refusez d’agir sur un problème de santé publique – votre position est grave.
La France compte 4 millions de consommateurs et rien n’est fait pour encadrer ce phénomène. De fait, la légalisation apparaît comme la meilleure solution. Nous souhaitons donc que vous votiez ces amendements, ce qui permettra indirectement de le faire.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Madame Vogel, vous avez parlé de posture morale : il n’est pas inutile d’avoir quelques valeurs morales et je pense que vous n’en manquez pas sur d’autres sujets. En soi, la valeur morale a toute sa place dans ce type de débat.
Il y a une forme d’illusion. Je fais partie de ceux qui estiment qu’il doit y avoir un principe d’interdiction de l’usage du cannabis – je ne parle pas des usages thérapeutiques – qui pèse et soit effectif. De ce point de vue, l’amende délictuelle forfaitaire a prouvé quelque efficacité malgré tout. (Sourires sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. Mathieu Darnaud. Tout à fait !
M. François Bonhomme. De manière plus générale, les législations davantage libérales ont eu pour effet le déplacement du marché noir et de la criminalité sur des produits d’une plus grande toxicité. Un tel constat devrait nourrir notre débat.
M. Mathieu Darnaud. C’est évident !
M. François Bonhomme. Regardez ce qui se passe aux Pays-Bas et en Belgique : une véritable mafia marocaine prospère et l’État n’a plus la capacité de maîtriser ce phénomène. (Protestations sur les mêmes travées.)
Si nous suivons ce chemin sans prendre quelques précautions et sans nous pencher sur le fond de la question, nous risquons d’ouvrir la boîte de Pandore. (M. Bernard Jomier s’exclame.)
Mme Laurence Rossignol. Nous ne sommes pas des irresponsables !
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour explication de vote.
Mme Florence Lassarade. Sur un cerveau de moins de 25 ans, le premier joint peut faire basculer vers la schizophrénie. La toxicité sur les neurones est considérable.
Il est irresponsable de lancer ce débat en laissant penser qu’il est totalement anodin de fumer du cannabis sous prétexte que des drogues plus dures existent. Il s’agit non pas d’une question d’addiction, mais d’une question de salubrité neuronale du jeune.
Mme Laurence Rossignol. Nous ne pouvons pas discuter en faisant comme si les jeunes n’en consommaient pas déjà !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 976 rectifié et 995 rectifié ter.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 33 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 303 |
Pour l’adoption | 46 |
Contre | 257 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. François Bonhomme. Bravo !
M. le président. L’amendement n° 1039 rectifié quindecies, présenté par MM. Jomier et Kanner, Mmes Lubin et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Le Houerou, Meunier, Poumirol et Rossignol, MM. Chantrel, P. Joly et Redon-Sarrazy, Mmes Artigalas et Briquet, M. Marie, Mme Préville, MM. Tissot, Devinaz, Kerrouche et J. Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Antiste et Assouline, Mme Blatrix Contat, M. Cardon, Mme Conway-Mouret, MM. Éblé et Féraud, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme de La Gontrie, MM. Leconte, Lozach, Lurel, Magner et Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Todeschini, M. Vallet et Vallini et Mme Van Heghe, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – La troisième phrase du dernier alinéa de l’article L. 245-9 du code de la sécurité sociale est supprimée.
II. – Après le mot : « peut », la fin du deuxième alinéa de l’article L. 313-19 du code d’imposition des biens et des services est ainsi rédigée : « être négative. »
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Cet amendement entre bien dans le champ d’une loi de financement de la sécurité sociale, puisqu’il concerne l’alcool. Dans ce texte, le Gouvernement applique l’inflation à l’évolution des prix du tabac. L’objet de cet amendement s’inscrit dans une logique strictement parallèle.
D’un point de vue de santé publique, une baisse relative des prix de l’alcool en comparaison des autres produits incite à la surconsommation. Ce phénomène concerne notamment les alcools aux prix déjà faibles et est d’autant plus dangereux qu’il touche encore plus les personnes ayant une consommation excessive, c’est-à-dire 15 % à 20 % de la population de notre pays.
Depuis que les lois de financement de la sécurité sociale existent, l’inflation n’a jamais dépassé les 2 %. Une disposition a ainsi longtemps fait consensus et servi de point d’équilibre : les taxes liées aux boissons alcooliques ne pouvaient pas augmenter de plus de 1,75 % par an ; or il n’a échappé à personne que l’inflation sera bien supérieure en 2022.
Cet amendement vise donc simplement, en supprimant ce taux de 1,75 %, à donner la latitude de faire évoluer le taux en fonction de l’inflation. Ainsi, sans créer une taxation supplémentaire sur l’alcool, nous n’abandonnons pas pour autant l’évolution des prix de l’alcool à un niveau inférieur à celui du panier moyen des Français. Il s’agit donc d’un amendement d’adaptation à l’inflation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer la position de la commission sur l’ensemble de ces amendements.
Je rappellerai deux chiffres. Chaque année, 41 000 décès sont dus à l’alcool, ce qui représente un coût social de 118 milliards d’euros – c’est énorme. Nous connaissons malheureusement tous, dans nos propres familles, parmi nos amis, des accidents dus à l’alcool et des maladies aggravées par une consommation excessive d’alcool.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Oui, le poids de la fiscalité sur le prix de l’alcool est bien plus faible que pour le tabac. Il est donc moins déterminant dans la conduite des politiques de santé.
En effet, la fiscalité représente 20 % du prix d’une bouteille de vin, contre 80 % de celui d’un paquet de cigarettes. L’indexation compte ainsi beaucoup moins dans la fixation du prix des boissons alcoolisées.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour explication de vote.
M. Daniel Laurent. À mon sens, cet amendement est infondé pour plusieurs raisons.
D’une part, les vins et les boissons alcoolisées sont déjà touchés par le contexte inflationniste actuel : l’augmentation constatée du prix des vins s’élève à près de 10 % sur les douze derniers mois, bien au-delà de celle des autres produits.
D’autre part, la hausse drastique du prix de l’énergie et des emballages pénalise lourdement les vignerons, qui ne parviennent pas à compenser ces envolées et voient leur chiffre d’affaires diminuer. Vous n’êtes pas sans savoir, mes chers collègues, que les flacons et bouteilles en verre et les cartons voient leur prix exploser – il est même difficile de se les procurer.
Enfin, le plafonnement existant permet d’éviter les variations brutales de taxes qui ajoutent de l’incertitude à une profession dont les revenus sont déjà fluctuants, car dépendants des récoltes et des aléas climatiques. Tous les ans, malheureusement, les viticulteurs de ce beau pays subissent des sinistres inattendus : grêles, gels, tempêtes, inondations… C’est donc un métier à risque.
Je rappelle par ailleurs que plane toujours au-dessus de nos têtes la menace de la taxe Trump. Nous avons l’impression qu’elle n’existe plus, alors qu’elle est en réalité toujours applicable : le nouveau président des États-Unis l’a suspendue, mais il pourrait très bien décider de la réactiver. La présidente de la commission des affaires économiques et moi-même, président du groupe d’études Vigne et vin, avons ainsi écrit au Président de la République pour que, lors de sa rencontre avec le président des États-Unis, il fasse en sorte de faire supprimer cette taxe.
Je compte sur la sagesse du Sénat pour que cet amendement soit rejeté.
M. le président. Il faut conclure.
M. Daniel Laurent. J’ajoute que le secteur des vins et spiritueux joue un rôle important dans notre balance commerciale extérieure – à hauteur de 14 milliards d’euros d’excédents. Il est le deuxième contributeur après l’aéronautique.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour explication de vote.
Mme Florence Lassarade. Je n’ai rien à ajouter à l’intervention de Daniel Laurent, et, comme sénatrice de la Gironde, vous comprendrez bien que j’ai été sollicitée toute la journée par les viticulteurs. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Et vous êtes médecin !
M. le président. Mes chers collègues, pas d’interpellation en séance ! Nous devons nous écouter les uns les autres.
La parole est à M. Christian Klinger, pour explication de vote.
M. Christian Klinger. Je partage l’argumentaire de notre collègue Daniel Laurent.
La France est passée du deuxième au cinquième rang mondial en matière d’exportations. Elle était le grenier de l’Europe, elle est désormais déficitaire dans le domaine alimentaire. Le monde viticole est dans la tourmente, nul besoin de charger la barque. Oui à plus de prévention, mais non à plus de taxation.
M. Vincent Segouin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Monsieur Jomier, je reconnais votre ténacité à déposer un tel amendement chaque année.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit. Vous savez comme moi qu’un groupe d’experts missionné par Santé publique France a conclu que boire deux verres de vin par jour, et pas tous les jours, n’était pas néfaste à la santé. (M. Thomas Dossus s’exclame.)
Mme Florence Lassarade. Très bien !
M. Henri Cabanel. Je conçois comme vous qu’il faut combattre les addictions. Dans l’objet des motifs, vous indiquez que plus de 20 % de la population a une consommation excessive d’alcool – il faut combattre ce phénomène –, mais que faites-vous des près de 80 % restants, qui consomment régulièrement et sans excès ?
La méthode employée n’est pas la bonne. Nous devons sensibiliser les gens à maintenir un niveau de consommation qui ne nuise pas à leur santé.
Les organisations professionnelles mettent également en avant des systèmes de communication pour lutter contre les addictions.
Il faut être raisonnable. Au regard de l’inflation actuelle et du prix des matières premières, la situation de la viticulture française mérite mieux qu’une telle augmentation.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour explication de vote.
Mme Françoise Férat. Soyons clairs : l’alcoolisme est un fléau qu’il nous faut combattre – cela ne se discute même pas. Pour autant, cet amendement va-t-il aider à ce combat ?
Prenons l’exemple de l’augmentation frénétique du prix du tabac : elle n’a servi qu’à amplifier la contrebande et la contrefaçon.
À longueur de reportages, sur tous les médias, on nous rappelle les augmentations diverses et variées : +12 % pour ceci, +40 % pour cela… Nous recevons l’information, mais demeurons dans une sorte de résignation.
Daniel Laurent l’a dit, le surcoût des matières premières est une réalité, en viticulture comme ailleurs, que ce soit pour les emballages, les bouchons, les bouteilles, le carburant… Et je vous fais grâce de celui de l’énergie.
Vous mesurez tous l’ampleur des aléas climatiques, qui accroissent le prix de revient pour nos viticulteurs, ces derniers ne pouvant compenser ces hausses.
Pensez-vous que les exploitations soient toutes florissantes ? Croyez-moi, ce n’est pas le cas. Vous choisissez de charger un peu plus les finances d’une grande part de notre viticulture à un moment où elles sont déjà fragiles et alors même que notre balance commerciale doit beaucoup à ce secteur. Et je ne mets pas l’un contre l’autre, monsieur Jomier.
Cette mesure me semble contre-productive : le consommateur se tournera vers des produits de moindre qualité et les accidents ne seront pas évités, madame la rapporteure générale, et, ne vous y trompez pas, nos concurrents sauront profiter de cette aubaine.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour explication de vote.
M. Bernard Buis. Je m’oppose également à cet amendement dont l’adoption touchera injustement nos vignerons et nos brasseurs. Après l’année noire du covid-19, après les hausses du prix de l’énergie, ce secteur n’a vraiment pas besoin de cela !
Je reprends à mon compte les arguments de Daniel Laurent.
Ici, nous ne parlons pas des grands groupes qui sauront amortir les coûts, nous parlons de petits artisans des TPE, des PME, ancrés dans nos territoires. Contrairement au tabac, il s’agit bien d’une filière agricole – brasseurs, agriculteurs, coopératives, vignerons – ne pouvant accepter ce qui s’apparente à une sanction injustifiée.
Cette sanction est d’autant plus injustifiée que cette indexation n’aura aucune conséquence sur la baisse de consommation d’alcool.
M. Jean Sol. Bien sûr !
M. Bernard Buis. Travaillons plutôt sur la prévention, discutons avec les acteurs du secteur et évitons de stigmatiser une filière déjà lourdement affectée par les crises à répétition. (M. Mathieu Darnaud approuve.)
M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg, pour explication de vote.
M. Alain Duffourg. Je voterai moi aussi contre cet amendement, car je ne crois pas qu’une hausse de la fiscalité sur le vin puisse modifier le comportement de nos concitoyens.
En effet, nos territoires comptent tous des producteurs, des vignerons, et je ne pense pas que ce soit une bonne méthode que de les taxer davantage. Cela l’est d’autant moins que le coût de l’énergie les frappe durement et qu’ils ont été victimes de calamités – grêle, gel, sécheresse…
Pour toutes ces raisons, cet amendement ne me semble pas à-propos.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Nous discutons du projet de loi de financement de la sécurité sociale : il s’agit donc d’un débat sanitaire. Je comprends que mes collègues élus de zones viticoles défendent aussi, dans ce débat sur la santé, une activité traditionnelle importante.
Tout à l’heure, lors du débat sur des effets du cannabis, certains nous ont expliqué avec beaucoup de compétence les effets du cannabis sur les jeunes cerveaux. Personne ne les conteste, puisque nous connaissons déjà cette situation en France, malgré la prohibition.
Parlons des effets de l’alcool. Coût social de l’alcool : 120 milliards d’euros par an – c’est autant que le tabac. Coût humain de l’alcool : des dizaines de milliers de décès par an liés à la consommation d’alcool. Nous discutons d’un fléau.
Je n’ai pas besoin d’expliquer les conséquences sur les femmes : vous connaissez le lien entre alcoolisme et violences conjugales.
Il est vrai que, pour l’alcool comme pour le cannabis, si les usages peuvent être récréatifs, ils peuvent aussi être toxiques, et pour les consommateurs et pour leur environnement.
D’un certain point de vue, nous contribuons tous à financer le coût social de l’alcool. Par conséquent, se poser la question de la taxation de l’alcool, ne serait-ce que pour contribuer non pas proportionnellement, mais de manière juste à l’effort engagé par la collectivité pour limiter et réparer les dégâts de l’alcool, ne me paraît pas constituer une discussion agressive à l’égard des professionnels du vin.
C’est une discussion de santé publique : c’est un texte de la commission des affaires économiques, pas de la commission des affaires sociales. Notre seule préoccupation est la santé des Français. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)