Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° I-845.
M. Éric Bocquet. Le débat sur les profits s’anime aujourd’hui sur plusieurs travées de notre hémicycle, jusque chez nos amis centristes, dont nous saluons la démarche.
Cette proposition s’appuie sur une attente populaire très forte, qui s’exprime régulièrement. Cette même volonté n’aura pas pu s’exprimer au travers du référendum d’initiative partagée dont nous avions, à gauche, voulu la tenue. La censure du Conseil constitutionnel marque une forme d’interdiction à se prononcer. Je crois que ce référendum était craint par le Gouvernement, qui s’est évertué à défendre auprès du Conseil une position en ce sens : le peuple n’a pas à donner son avis sur les affaires fiscales !
Au départ, certains ministres ont tenté de discréditer le sujet des superprofits, pensant ainsi éviter une nouvelle étiquette de défenseur des riches ou du patronat. A suivi une tentative d’une faiblesse incomparable, consistant à décrédibiliser les recettes qui en seraient tirées, au motif que les entreprises dont il s’agit ne payent pas d’impôt sur les bénéfices en France.
Ce refrain a été repris à la cantonade dans les médias : nul ne s’est dit que cela constituait un problème primaire, voire fondamental.
La réponse à une nouvelle taxation ne peut être que les entreprises ont déjà trop de moyens de contourner l’impôt. On l’a dit : autant rendre les clés du ministère des finances et laisser la place à ceux qui souhaitent prélever un juste niveau de richesses.
Enfin, le Gouvernement arrive devant nous avec une contribution exceptionnelle sur les raffineurs et un plafond sur les rentes des producteurs d’électricité. Le premier dispositif est notoirement insuffisant ; le second – passez-moi l’expression – est une usine à gaz. Nous en débattrons plus tard.
Pour sa part, le ministre Bruno Le Maire a lancé en substance à cette assemblée : une taxe sur les électriciens, une taxe sur les superprofits, appelez-la comme vous voulez !
Il n’y a pas de bons et de mauvais superprofits ; il n’y en a pas de bons pour certains secteurs et de mauvais pour certaines entreprises. Le mouvement de rente de l’argent pour l’argent concerne tous les secteurs de l’économie : s’ils ne relèvent pas de cette logique, les profits ne seront pas assujettis.
Cessons cette bataille sémantique, par laquelle le Gouvernement s’efforce de masquer qu’il a toujours su ce qu’étaient les superprofits et qu’il refuse d’aller les chercher.
Mme le président. L’amendement n° I-17, présenté par Mme Vermeillet, MM. Delcros, Delahaye, J.M. Arnaud, Canévet, Capo-Canellas, Maurey, Mizzon et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Après l’article 4 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Il est institué, au profit de l’État, une contribution exceptionnelle de solidarité sur le bénéfice net réalisé en 2022 par les sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 du code général des impôts, lorsque celui-ci a dépassé 10 millions d’euros et a été supérieur de 20 % ou plus à la moyenne des trois bénéfices nets les plus élevés réalisés en 2018, 2019, 2020 et 2021.
Le montant de la contribution est calculé en appliquant un taux de 33 % à la différence entre, d’une part, le bénéfice net réalisé en 2022 et, d’autre part, la moyenne majorée de 20 % des bénéfices trois nets les plus élevés réalisés en 2018, 2019, 2020 et 2021.
Lorsque, du fait de la date de création d’une entreprise, la moyenne de ses bénéfices nets ne peut être calculée sur les années 2018 à 2021, la moyenne prise en compte pour l’application des deux alinéas précédents est calculée sur la base des derniers exercices clos avant le 1er janvier 2022.
II. – Pour la détermination des bases d’imposition à la contribution exceptionnelle de solidarité mentionnée au I, la contribution temporaire de solidarité applicable aux entreprises des secteurs du pétrole, du charbon, du raffinage et du gaz et la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité prévues aux articles 4 nonies et 4 duovicies du présent projet de loi sont admises en déduction du bénéfice imposable de l’année de son paiement.
III. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis du même code, la contribution exceptionnelle de solidarité est due par la société mère. Cette contribution est assise sur l’impôt sur les sociétés afférent au résultat d’ensemble et à la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D dudit code, déterminé avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.
B. – Le bénéfice net mentionné au I du présent article s’entend du bénéfice net réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis du même code, de la somme des bénéfices nets de chacune des sociétés membres de ce groupe.
C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution exceptionnelle de solidarité.
D. – La contribution exceptionnelle de solidarité est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt.
E. – La contribution exceptionnelle de solidarité est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 du code général des impôts pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés.
La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.
Mme Sylvie Vermeillet. Cet amendement du groupe Union Centriste vise à instituer une contribution exceptionnelle de solidarité sur les superprofits, tous secteurs d’activités économiques confondus.
Les entreprises dont le bénéfice net aurait été, en 2022, supérieur à 10 millions d’euros et supérieur de 20 % à la moyenne des trois bénéfices nets les plus élevés réalisés au cours des quatre années 2018, 2019, 2020 et 2021 se verraient appliquer une contribution à hauteur de 33 %, dont la base de calcul serait la différence entre les deux montants.
Monsieur le ministre, en août dernier, lors de l’examen du projet de loi de finance rectificative (PLFR), M. Le Maire et vous-même vous étiez opposés à cette taxation, que nous avions déjà proposée, au motif qu’il fallait laisser aux entreprises la capacité de réussir leur transition écologique. J’ajoute qu’à l’époque vous ne parliez pas tellement de taxation européenne.
En septembre, la réflexion ayant un peu mûri, la Première ministre et le Président de la République ont évoqué la question : tout compte fait, le Gouvernement était prêt pour une taxation européenne.
Le problème, c’est que ceux qui vont être taxés, ce sont les énergéticiens, précisément ceux à qui s’applique l’argument de la transition écologique. Dès lors, je m’interroge : BNP Paribas a-t-elle également besoin de ses superprofits pour réussir cette transition ? J’ai du mal à comprendre la cohérence de vos décisions.
Monsieur le ministre, il y a deux jours, vous déclariez qu’il ne fallait pas taxer tout le monde, notamment pas ceux qui ont fait des profits pour des raisons étrangères à la crise énergétique. Pourtant, lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques, Bruno Le Maire a déclaré qu’il irait chercher l’argent là où il est,…
M. Éric Bocquet. Ah !
Mme Sylvie Vermeillet. … en premier lieu chez les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
Je ne vois toujours pas où est la cohérence : pourquoi certains sont-ils taxés et pas d’autres ? Pourquoi peut-on aller chercher ces superprofits chez les Gafam et non dans les autres entreprises qui font des superprofits en France ? En avons-nous les moyens ? À l’évidence non. Notre déficit public alimente l’inflation et ce n’est pas supportable. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme le président. L’amendement n° I-604, présenté par MM. Breuiller, Parigi, Gontard, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Labbé, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 4 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la section 0I du chapitre III du titre Ier de la première partie du code général des impôts, sont insérés une section 0I… et un article … ainsi rédigés :
« Section 0I ..
« Contribution exceptionnelle de solidarité sur les superprofits des entreprises
« Art. …. – I. – A – Il est institué une contribution exceptionnelle de solidarité sur les ventes nettes déclarées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, applicable aux entreprises des secteurs de l’énergie, du transport maritime, du secteur pharmaceutique, de l’agroalimentaire et sur le produit net bancaire applicable aux entreprises du secteur bancaire. Cette contribution est applicable aux grandes entreprises telles que définies par l’Institut national de la statistique et des études économiques.
« B. – La contribution s’applique automatiquement en période de bénéfices excessifs tels que prévus aux C, D et F.
« C. – Pour les entreprises des secteurs de l’énergie, du transport maritime, du secteur pharmaceutique, de l’agroalimentaire, la contribution est due lorsque le montant des ventes nettes déclarées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée pour l’exercice considéré, est supérieur à la moyenne du montant des ventes nettes déclarées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, réalisées du 1er janvier au 31 décembre des quatre meilleurs exercices précédant l’exercice de réalisation des bénéfices excessifs.
« D. – Pour les entreprises du secteur bancaire, la contribution est due lorsque le montant du produit net bancaire pour l’exercice considéré, est supérieur à la moyenne du montant des produits nets bancaires, réalisées du 1er janvier au 31 décembre des quatre meilleurs exercices précédant l’exercice de réalisation des bénéfices excessifs.
« E. – Les exercices donnant lieu à la réalisation des bénéfices mentionnés au B ne sont pas pris en compte dans le calcul de la moyenne évoquée aux C et D.
« F. – La contribution est assise sur le montant supplémentaire des ventes nettes réalisées, déclarées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée pour les secteurs de l’énergie, du transport maritime, du secteur pharmaceutique, de l’agroalimentaire ou le montant supplémentaire du produit net bancaire pour les entreprises du secteur bancaire obtenu après le calcul mentionné au C ou au D. Elle est calculée en appliquant à la fraction supplémentaire des ventes nettes déclarées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ou du produit net bancaire le taux de :
« a) 0 % pour la fraction inférieure ou égale à 1 500 000 euros du montant supplémentaire ;
« b) 10 % pour la fraction comprise entre 1 500 000 et 3 500 000 euros du montant supplémentaire ;
« c) 20 % pour la fraction comprise entre 3 500 000 et 7 000 000 euros du montant supplémentaire ;
« d) 33 % au-delà de 7 000 000 euros du montant supplémentaire.
« II. – A. – Cette contribution est déterminée avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.
« B. – Afin de protéger le consommateur des répercussions indues sur les prix à la consommation, les entreprises des secteurs de l’énergie, du transport maritime, du secteur pharmaceutique, de l’agroalimentaire tenues de payer la contribution visée au I. communiquent à l’Autorité de la concurrence, avant la fin de chaque trimestre, le prix moyen d’achat, de production et de vente du trimestre précédent. L’Autorité s’assure de l’existence des conditions préalables à l’adoption des mesures relevant de sa compétence, sur la base des données reçues et de vérifications spécifiques de la véracité des communications reçues. Les modalités de transmission des données sont établies par décret.
« C. – La contribution exceptionnelle de solidarité est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt. La contribution additionnelle de solidarité est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 du code général des impôts pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés. »
« III. – Le produit de la contribution mentionnée au I. est affecté au financement des mesures de redistribution économique et sociale des richesses créées, notamment pour les plus précaires, au renforcement des moyens des services publics de proximité, au financement des grands investissements nécessaires à la transition écologique et énergétique. Un décret en précise les modalités d’affectation.
« IV. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur à compter de la publication de la présente loi et s’appliquent automatiquement en période de bénéfices excessifs.
« V. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de l’application du I de la présente loi au plus tard le 31 décembre de chaque année d’application. »
La parole est à M. Daniel Breuiller.
M. Daniel Breuiller. Nous avons choisi de déposer cet amendement en commun avec nos collègues socialistes ; je me contenterai donc d’ajouter quelques mots aux explications précédentes.
Tout d’abord, nous nous félicitons qu’enfin, dans cet hémicycle, chacun sache ce que sont les superprofits : voilà trois mois, cette notion paraissait encore inaccessible, incompréhensible et inintelligible.
Les superprofits taxés en période de crise majeure ne sont pas une nouveauté : à bien des époques, l’État a su prendre des mesures de ce type – je ne pousserai pas le rappel historique jusqu’à Napoléon ou aux profiteurs de guerre. En tout cas, il n’y a rien d’incongru à cela.
Ce qui est incongru, c’est d’annoncer de tels superprofits dans une période où le budget de la Nation accumule les déficits.
À ce titre, j’entends sur toutes les travées de la majorité sénatoriale la crainte, sans doute fondée, de l’excès de ces déficits, mais en aucun cas la volonté de les réduire en taxant certains profits.
Il ne s’agit pas d’entrepreneurs ayant eu le courage et l’intelligence de créer quelque chose ou de faire de bons investissements, mais de ceux qui ont profité d’une situation de crise.
Monsieur le ministre, vous taxez les superprofits des électriciens et des énergéticiens du renouvelable ; mais l’énergie carbonée, la pharmacie, le transport maritime et le secteur bancaire dégagent eux aussi d’immenses profits.
Mes chers collègues, j’ai été l’élu d’une commune très populaire. À l’heure où certaines entreprises perçoivent des profits d’une ampleur stupéfiante, les files d’attente s’allongent devant les banques alimentaires. Les personnes qui doivent recourir à de telles aides, parmi lesquelles on trouve de plus en plus d’étudiants, ne comprennent pas que notre pays refuse de taxer ces superprofits, alors même que nous sommes en déficit et que nous n’avons pas toujours les moyens de mener les politiques sociales nécessaires, que nous appelons d’ailleurs tous de nos vœux.
Un tel refus est inacceptable. Il inspire des colères profondes et sourdes, qui risquent de mal tourner. Cela, nous ne le souhaitons pas : voilà pourquoi nous préférons anticiper en instaurant la taxation des superprofits.
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Après les superdividendes, nous abordons les superprofits, également appelés « profits indus » ou « profits exceptionnels » – chacun retient les mots qu’il veut.
Voilà quelque temps que les crises se succèdent : crise sanitaire, crise de l’énergie, puis des énergies, que la guerre russo-ukrainienne n’a fait que renforcer en amplifiant la profitabilité de certaines entreprises dans divers secteurs d’activité.
À cet égard, une juste appréciation de la situation se révèle assez difficile.
Tout d’abord – chacun le constate de manière évidente –, quelques entreprises ont réalisé des profits exceptionnels dans le domaine des énergies. Selon un calcul qu’a rappelé Sylvie Vermeillet, nos collègues centristes en déduisent que toutes les entreprises ayant dégagé un résultat supérieur à 10 millions d’euros sur une période de cinq ans devront passer à la caisse.
Cette mesure me semble trop sévère. Prenons l’exemple d’une société dont la croissance actuelle n’est que le contrecoup de la crise sanitaire, puis des crises énergétiques, liées au conflit russo-ukrainien : personnellement, je trouve ces dispositions excessives, voire injustes, en tout cas pour certaines entreprises.
Ensuite – vous le savez également –, certaines entreprises jouissent d’un rayonnement international. En vertu d’un mécanisme bien connu de chacun d’entre nous, les critères de définition de la profitabilité ne permettent pas à la France d’aller chercher ce que l’on identifie comme des profits exceptionnels.
Enfin, comme un certain nombre d’entre vous, je m’enorgueillis de voir le drapeau tricolore flotter au fronton de multinationales. Pour ma part, je préfère voir la France à la tête de grandes entreprises au rayonnement mondial et fortes d’un grand nombre d’emplois plutôt qu’à la remorque, moquée ou raillée. C’est aussi un autre élément qu’il faut verser au débat public.
Reste une question que certains orateurs ont abordée et que j’évoque sans aucune gêne à mon tour : il s’agit des dividendes et autres rémunérations des chefs d’entreprise.
Oui, ces sommes peuvent paraître choquantes. En matière de revenus, on a l’impression que l’écart-type s’allonge inexorablement, à la manière d’un chewing-gum ; comme la valse des milliards, ces sommes paraissent irréelles. Comment des personnes, même talentueuses – elles le sont nécessairement pour être à la tête de telles entreprises –, peuvent-elles percevoir de telles rémunérations ?
Concomitamment, si ces grandes entreprises vont chercher les meilleurs, qu’ils soient français ou non d’ailleurs, c’est pour entretenir leur dynamique et continuer d’engranger de bons résultats.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce travail ; j’ajoute que les plus talentueux ne sont pas toujours ceux que l’on croyait a priori. Comme dans le monde du sport, leurs rémunérations exceptionnelles donnent parfois le tournis. Faut-il pour autant les taxer à telles hauteurs, même temporairement ? Personnellement, je n’en suis pas convaincu.
Certes, il faut étudier cette question avec un esprit critique ; mais, en parallèle, il faut examiner aussi sereinement que possible le fonctionnement habituel de ces entreprises.
Outre la profitabilité, il faut prendre en compte les politiques de développement, les stratégies de rayonnement, les démarches relevant de la responsabilité sociale des entreprises comme de la transition écologique, économique et sociale, qui – je l’espère – vont devenir de plus en plus importantes.
L’économique, le social et l’environnemental : tels sont les trois piliers d’un développement et d’une croissance durables de ces entreprises, au service de notre pays, de son rayonnement et de l’emploi de nos concitoyens où qu’ils soient, en France et à travers le monde.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Beaucoup a déjà été dit par M. le rapporteur général, dans ce débat engagé avec les amendements ayant pour objet les dividendes.
J’y insiste : réjouissons-nous d’avoir trouvé, à l’échelle européenne, un mécanisme permettant de faire contribuer les secteurs qui profitent de l’inflation actuelle.
Il s’agit plus précisément des secteurs de l’énergie, qui, du fait de la spéculation ou de la raréfaction d’un certain nombre de ressources, bénéficient de profits que nous jugeons indus, car directement liés à cette situation. C’est le cas des énergéticiens : à ce titre, tel qu’il sera – je l’espère – amendé à l’issue du débat de ce soir, le projet de loi de finances permettra de rapporter 11 milliards d’euros.
En l’occurrence, on nous propose une supertaxe sur des entreprises dont les bénéfices ont connu une forte progression au cours des dernières années.
L’amendement centriste retient ainsi un bénéfice supérieur à 10 millions d’euros : le montant est certes élevé, mais un tel critère engloberait de nombreuses entreprises, y compris des ETI.
Ce qui me dérange, c’est qu’une telle mesure reviendrait à surtaxer des entreprises dont les profits des dernières années n’ont aucun lien avec la crise actuelle.
Je pense aux sociétés qui ont fait des profits parce qu’elles ont investi ; au cas des nouveaux dirigeants qui ont redressé leur boîte…
M. Vincent Delahaye. Avec l’argent public ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Ailleurs, si les résultats se sont améliorés, c’est avant tout parce que la société concernée était déficitaire lors de la crise du covid-19…
M. Thomas Dossus. Mais non !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pourquoi pénaliser ces entreprises, alors qu’elles ne « profitent » pas de l’augmentation des prix de l’énergie ?
Madame Vermeillet, telle est la réponse que je tenais à vous apporter. Pourquoi mettons-nous à contribution le secteur de l’énergie ? Parce qu’il bénéficie d’une forme de rente de situation du fait de la guerre en Ukraine, qui raréfie un certain nombre de ressources énergétiques, et d’une forme de spéculation – je pense notamment au secteur du gaz.
Vous avez mentionné les Gafam : la France a été l’un des premiers pays à leur imposer une taxe spécifique, qui, l’an prochain, rapportera 700 millions d’euros. Nous allons bien chercher les profits là où ils sont. Au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France reste le deuxième pays qui taxe le plus, derrière le Danemark : vous voyez que les impôts ne nous posent aucun problème de principe.
En résumé, votre supertaxe s’appliquerait à des entreprises qui n’ont pas spécialement profité de la situation actuelle, mais qui se sont redressées pour une raison X ou Y. Parfois, c’est tout simplement parce qu’elles avaient été déficitaires au cours des années précédentes, en particulier à cause du covid-19.
Vous taxeriez des entreprises comme Peugeot-Stellantis ou encore Airbus : ce serait un comble après la crise qu’a connue le secteur de l’aérien et quand on sait les enjeux que représentent, dans ce domaine, les investissements de recherche et de développement, qu’il s’agisse de l’avion bas carbone ou de l’avion à hydrogène, pour réduire l’empreinte carbone de l’aviation.
Vous taxeriez également Air Liquide, Saint-Gobain et nombre d’ETI qui ont pu connaître des difficultés pendant le covid-19 et, de ce fait, être déficitaires. Depuis, ces entreprises ont vu leur situation s’améliorer ; mais, à mon sens, elles ne doivent pas être pénalisées de ce fait.
Il s’agit là d’un vrai débat ; pour ma part, j’émets un avis défavorable sur ces amendements.
Mme le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.
M. Jean-François Rapin. Mes chers collègues, je vous propose un petit jeu de rôle. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je suis un chef d’entreprise. Quels que soient les montants évoqués sur les travées de cet hémicycle, je n’aurai pas l’impression de devoir payer une taxe ou une contribution, mais une amende ; une amende sur la réussite.
M. le ministre l’a rappelé : les gains dont il s’agit peuvent être tout à fait étrangers à la crise que nous avons vécue ; certains d’entre eux résultent tout simplement de la croissance de l’entreprise, après que cette dernière a su cibler un important élément du marché.
Je citerai un cas qui va toucher beaucoup d’entre vous : celui du transport maritime. Au total, 90 % des produits manufacturés circulent par la mer. Le groupe Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime (CMA-CGM) a dégagé des profits importants : pourquoi ? Parce que, dans ce domaine, l’offre est inférieure à la demande. Sur le marché, peu d’entreprises peuvent assurer cette fonction de transport maritime.
Lors d’une audition au Sénat, Rodolphe Saadé nous a expliqué qu’il mettait en œuvre un fonds vert doté de 1,5 milliard d’euros pour transformer ses navires et aller dans le sens que nous souhaitons tous ici : la transformation écologique de tous les matériaux circulants. Or, 1,5 milliard d’euros, c’est l’équivalent du fonds vert national que la France déploiera cette année : rendez-vous compte ! À ce titre, l’entreprise prélève d’elle-même sur ses bénéfices, que certains qualifient de superprofits : c’est important de le souligner.
Dans cet hémicycle, on déplore souvent le manque de rayonnement international de la France. Qui mieux que ces belles entreprises, défendant notamment le pavillon français, peut aujourd’hui nous offrir ce rayonnement, grâce aux profits qu’ils dégagent ?
Enfin, monsieur le ministre, quand vous parlez de l’investissement industriel, n’oubliez pas l’action des régions. (M. le ministre acquiesce.)
Mme le président. Merci, mon cher collègue.
M. Jean-François Rapin. Les investissements des régions ont toute leur importance : il faut le signaler.
Mme le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Les élus du groupe socialiste voteront l’ensemble des amendements présentés, notamment celui de nos collègues centristes, dont je salue le courage et la constance.
M. Loïc Hervé. Merci !
M. Thierry Cozic. Chers collègues, vous aviez formulé cette proposition l’été dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative ; vous persévérez aujourd’hui avec votre amendement et je vous en remercie.
Monsieur le ministre, vous avanciez tout à l’heure que les superdividendes posaient un problème de constitutionnalité par rapport à l’impôt ; mais la taxe sur les superprofits résout en grande partie cette difficulté.
Je tiens aussi, à mon tour, à évoquer l’Europe : plus que jamais, en ces temps troublés, la construction européenne est salvatrice.
Vous devez beaucoup à cette grande Europe. C’est grâce à elle que le ministre de l’économie a pu découvrir et comprendre ce qu’était un superprofit. (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE.) Avant son intervention, il déclarait ne pas savoir ce que c’était : l’Europe lui a permis d’y voir plus clair, et j’en suis heureux. C’est encore et toujours grâce à cette grande Europe qu’une taxation des superprofits, enfin définis, vous est apparue acceptable. Je tiens donc à remercier l’Europe, qui a mis fin à votre cécité en la matière.
Cela étant, il est très regrettable que, sur ces sujets structurants pour notre société, la France se contente d’enregistrer des décisions supranationales,…