Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra les 15 et 16 décembre prochain sera le premier depuis la libération de Kherson par les troupes ukrainiennes le mois dernier.
Le succès de la contre-offensive lancée par l’état-major ukrainien au mois de septembre dernier ne saurait masquer les nombreuses incertitudes qui continuent d’obscurcir le champ de bataille. La guerre déclenchée au mois de février dernier par l’agression russe sur le territoire ukrainien dure depuis plus de neuf mois. D’ores et déjà, elle est inédite sur notre continent par son ampleur et son intensité depuis la fin de la guerre froide. Il existe malheureusement un risque réel pour qu’elle s’installe dans la durée.
S’il est difficile de prédire ce que sera l’avenir de cette guerre, nous constatons déjà, sur le théâtre des opérations, l’importance de la mobilisation des Européens en faveur de la liberté du peuple ukrainien.
Au lendemain du 24 février dernier, l’Union européenne a fait la preuve de sa capacité à s’unir et à se mobiliser, y compris sur la scène géopolitique internationale. Depuis cette date, la valeur totale des livraisons d’armes létales et non létales assurées par les États membres au bénéfice des soldats ukrainiens dépasse 8 milliards d’euros.
Cette somme n’atteint certes pas les 19 milliards de dollars de l’aide américaine, mais elle représente une contribution substantielle et, surtout, décisive à l’effort de guerre de l’Ukraine. Les soldats ukrainiens font chaque jour la démonstration de l’importance intacte des forces morales pour prendre la supériorité sur le terrain. Il est de notre devoir de continuer de leur apporter un soutien financier et capacitaire à la hauteur de leur résistance héroïque. Pour ce faire, nous devons à tout prix préserver l’unité qui caractérise l’Union européenne depuis le début de la guerre.
Or, à l’échelle de l’Union européenne, les instruments que nous avions imaginés pour une période de paix ne sont plus adaptés, en cette période de guerre. La facilité européenne pour la paix a démontré, depuis sa création en 2021, sa pertinence et sa souplesse d’utilisation, mais le montant de 5,7 milliards d’euros que nous avions initialement prévu se révèle largement en deçà des besoins.
La situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons actuellement exige des réponses exceptionnelles. Le versement des aides prévues par la sixième enveloppe, avalisée lors du sommet de Prague, au mois d’octobre dernier, portera à plus de 3 milliards d’euros le financement de l’aide aux armées ukrainiennes issu de la facilité européenne pour la paix.
Le refinancement de cet instrument devient donc une urgence. Le retour de la guerre sur notre continent justifie pleinement que nous dégagions des crédits exceptionnels pour cette opération. Nous devons nous mobiliser pour que l’Union européenne continue de s’appuyer sur un instrument suffisamment solide pour financer l’aide militaire décidée en commun.
Au-delà de cet enjeu de court terme, sur lequel les chefs d’État et de gouvernement devront trouver rapidement un compromis praticable, la coopération européenne de défense doit répondre à des enjeux de long terme, comme c’est le cas avec la boussole stratégique européenne.
La mobilisation des gouvernements au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine s’est traduite par une hausse générale des budgets de défense au sein de l’Union européenne. Pour autant, si nous n’y prenons garde, celle-ci pourrait avoir pour effet de renforcer l’empreinte des industries d’armement américaines en Europe.
L’ambition française d’une autonomie stratégique européenne ne saurait se satisfaire d’une telle issue. Ce que nous devons promouvoir, dans le sillage de la boussole stratégique européenne, c’est un renforcement de nos dépenses en commun, pour financer la recherche et l’innovation dans le domaine de la défense ou des achats d’équipements.
Les statistiques les plus récentes sont inquiétantes dans ce domaine ; elles révèlent que la proportion des acquisitions communes de matériel militaire atteint seulement 18 % en 2021. C’est deux fois moins que l’objectif visé dans le cadre de la boussole stratégique européenne, soit 35 % des dépenses d’équipement en commun.
Dans ce contexte, la défense collective de l’Europe ne pourra être assurée qu’à la condition de répondre aux défis soulevés à court et à moyen terme par le retour de la guerre sur notre continent.
Madame la secrétaire d’État, nous serons attentifs à ce que la France soutienne les solutions qui permettront à l’Europe de se doter de l’autonomie stratégique que les circonstances exigent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – M. Claude Kern applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est difficile d’évoquer le Conseil européen qui se tiendra d’ici dix jours sans prendre en compte le conseil des ministres de l’économie et des finances, dit aussi conseil affaires économiques et financières, qui s’est tenu ce matin même.
Vous ne serez donc pas étonnée, madame la secrétaire d’État, que ma première question porte sur les résultats de cette réunion : pouvez-vous nous en préciser les conclusions ? J’ai en particulier à l’esprit l’état d’avancement du dossier des ressources nouvelles, auquel la commission des finances est très attentive puisqu’il conditionne les modalités de remboursement du plan de relance européen.
Plus précisément, il semble que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières fasse encore l’objet de divergences, alors qu’il doit entrer en vigueur dès 2023 ; à moins que vous nous annonciez – ce soir, peut-être ? – un report de cette échéance. Qu’en est-il du champ d’application du mécanisme et de la suppression des quotas gratuits ? Pouvez-vous également nous informer de l’utilisation des revenus issus de ce mécanisme ? Celle-ci est-elle désormais stabilisée ? En clair, nous souhaitons savoir à quel niveau cette ressource viendra abonder le budget européen.
La réforme du marché du carbone me fournit une transition pour aborder un point de l’ordre du jour du Conseil européen qui préoccupe tout particulièrement la commission des finances : les liens entre la crise énergétique et notre économie.
Cela a déjà été souligné, mais j’y insiste : l’évolution des cours du gaz depuis le début de l’année 2021 apparaît d’une ampleur inédite dans l’histoire européenne. Cette hausse se répercute évidemment sur les consommateurs et sur les entreprises. C’est la raison pour laquelle la commission des finances a proposé l’adoption sans modification de l’article 12 quater du projet de loi de finances pour 2023 – voté cet après-midi –, lequel vise à proroger les dispositifs de boucliers tarifaires sur les prix du gaz et de l’électricité l’année prochaine.
Sans ce prolongement, les prix de l’énergie auraient connu une évolution insupportable pour les acteurs économiques. Cette mesure ne peut évidemment pas être évaluée sans prendre en compte le contexte européen, ce qui me conduit à vous poser trois questions, madame la secrétaire d’État.
Quelles sont les perspectives d’accord sur le plafonnement du prix du gaz ?
Qu’en est-il de la réforme attendue du marché de l’électricité ?
Quel sera l’impact du plafonnement du prix du pétrole russe, décidé à la fin de la semaine dernière, conjointement avec les pays du G7 et l’Australie ?
La crise énergétique me conduit à aborder également une préoccupation majeure pour les mois à venir : depuis plus de trente ans, nous vivions dans l’idée que l’inflation avait pratiquement disparu ; l’année 2022 a bouleversé cette croyance et l’inflation atteint actuellement plus de 10 % en moyenne dans l’Union européenne.
D’un point de vue financier, on peut s’interroger sur l’impact de ce choc exogène sur la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience. En effet, les montants disponibles avaient été fixés début 2021, puis ajustés au 30 juin dernier. Ne sont-ils pas dépassés, dans la mesure où la hausse des prix touche fortement tous les États membres ? Elle est supérieure en moyenne à 10 % et atteint jusqu’à plus de 20 % dans les pays baltes.
À l’inverse, madame la secrétaire d’État, ne craignez-vous pas que, dans ce contexte de dégradation de la situation économique et financière, certains États membres éprouvent des difficultés à honorer leurs engagements quant au financement du budget européen ?
Si la hausse des prix a pour conséquence mécanique immédiate d’accroître les recettes de TVA, les perspectives de récession ne peuvent qu’emporter des conséquences négatives, tant sur le montant perçu au titre des droits de douane, qui sont la ressource propre traditionnelle de l’Union européenne, que sur le revenu national brut, qui représente la principale source de financement du budget européen.
Ce contexte général va-t-il se traduire par une accélération de la mise en chantier de la révision du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 ?
Telles sont, madame la secrétaire d’État, les questions que je souhaitais vous poser au nom de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen aura lieu le 15 décembre, une journée durant laquelle seront abordés plusieurs sujets importants. Parmi ceux-ci, les trois que nous évoquerons ce soir seront directement liés à la crise en Ukraine : l’énergie, les relations transatlantiques, la guerre et ses conséquences.
Comme c’est le cas depuis plus de neuf mois, cette prochaine réunion sera donc malheureusement dominée par la guerre en Ukraine, qui voit la Russie accentuer la pression sur les civils, en violation flagrante des règles fondant l’ordre international.
Nous comptons, bien entendu, sur le Conseil européen pour renouveler le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine dans tous les domaines, notamment – vous l’avez précisé, madame la secrétaire d’État – financier, mais aussi diplomatique et militaire comme humanitaire – nous y reviendrons –, afin d’obtenir que la Russie assume la responsabilité pleine et entière des crimes qu’elle commet.
À ce sujet, nous venons de recevoir au Sénat une délégation de parlementaires ukrainiens, menée par Maria Mezentseva, venue à Paris pour plaider en faveur de la mise en place d’un tribunal spécial chargé de juger le crime d’agression constitué par l’invasion russe.
Il est très important d’évaluer les différentes solutions juridiques envisageables pour que justice soit rendue dans les meilleures conditions d’impartialité et de sécurité juridique, sans quoi aucune paix durable ne pourra jamais se construire en Ukraine.
Dans ce contexte, le soutien public récemment apporté par la présidente de la Commission européenne à l’hypothèse du tribunal spécial réclamé par l’Ukraine ne peut manquer d’interroger. Madame la secrétaire d’État, le Conseil européen ne serait-il pas plus légitime pour s’engager au nom de l’Union européenne sur cette question juridiquement complexe et politiquement sensible ?
J’en viens à la crise énergétique. Ce sujet, en lien avec le précédent, s’imposera au Conseil européen lors de sa prochaine réunion.
L’objectif à court terme est double : il s’agit à la fois de cesser d’alimenter la Russie par nos achats d’énergie et d’amortir le choc économique et social que provoque la hausse des prix de l’électricité, plus globalement l’inflation.
Le sujet reste préoccupant malgré l’accalmie apparente que l’on doit aux températures clémentes, à l’approvisionnement soutenu en gaz naturel liquéfié (GNL) et à la quasi-saturation des capacités européennes de stockage.
Sur le long terme, l’Europe a besoin d’une énergie abondante, bon marché et décarbonée. La commission des affaires européennes travaille avec la commission des affaires économiques sur les réformes envisageables du marché de l’électricité européen pour y parvenir.
À cet égard, l’impulsion donnée par le Conseil européen des 20 et 21 octobre dernier reste inaboutie. Même s’ils s’accordent pour réduire la consommation d’électricité et taxer les superprofits, les États membres restent divisés sur les décisions structurantes que la crise exige de prendre et ils continuent d’avancer en ordre dispersé, avec le risque d’effets pervers et d’une distorsion de concurrence importante entre eux.
Nos industries ne peuvent pâtir plus longtemps des initiatives prises par d’autres États membres, qu’il s’agisse du mécanisme ibérique ou des aides d’État dont bénéficient leurs concurrents allemands. Madame la secrétaire d’État, dans quelle mesure le mécanisme temporaire de correction des prix du gaz que propose la Commission européenne peut-il sauver la compétitivité de nos entreprises ? C’est un point que vous avez abordé tout à l’heure, mais nous attendons de vous des réponses plus précises encore.
C’est le même souci qui m’amène à évoquer l’Inflation Reduction Act, cet arsenal législatif très puissant dont les États-Unis se sont dotés pour stimuler leur économie au prétexte de la transition verte.
Lors de sa récente visite aux États-Unis, le Président de la République n’a pu que déplorer le déséquilibre concurrentiel qui en résulte pour notre côté de l’Atlantique. Il est urgent que l’Union européenne réagisse et s’engage, elle aussi, à privilégier les achats européens. Le commissaire européen français Thierry Breton appelle à la création d’un fonds de souveraineté européen pour soutenir les projets industriels. Ce projet sera-t-il évoqué lors du Conseil européen ?
La question des relations transatlantiques figure bien à l’ordre du jour de ses travaux, mais nous savons aussi que certaines personnes outre-Rhin jugent le moment propice pour relancer les négociations d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Pouvez-vous nous rassurer à cet égard ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début de l’année, la question de l’Ukraine occupe naturellement une grande partie de l’ordre du jour des Conseils européens qui se succèdent.
Nous aurions aimé qu’il en soit autrement. Hélas, la poursuite de l’agression russe, intensifiée par des frappes massives sur les infrastructures ukrainiennes, repousse chaque jour l’espoir d’un retour rapide à la paix. Cette situation dramatique aux portes de l’Europe nous conduit à rester encore au chevet de l’Ukraine.
La lassitude ne doit pas l’emporter sur notre engagement en faveur de la liberté de nos amis ukrainiens, d’autant qu’il s’agit aussi de protéger la nôtre. À plusieurs reprises, jusque sur les bancs de l’Organisation des Nations unies (ONU) au mois de septembre dernier, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Vladimir Poutine a clairement déclaré la guerre aux valeurs démocratiques défendues par l’Occident.
Alors oui, quel que soit le coût de cet engagement, le groupe du RDSE soutient toutes les initiatives menées, d’un côté, pour sanctionner la Russie, de l’autre, pour apporter des solutions militaires et humanitaires à Kiev.
Nous approuvons, en effet, la mobilisation des différents leviers utilisés jusque-là pour aider l’Ukraine, qu’il s’agisse de l’assistance macrofinancière exceptionnelle de 9 milliards d’euros actée par le Conseil du 20 septembre dernier, de l’aide d’urgence humanitaire ou de la facilité européenne pour la paix.
En tant que présidente du groupe d’amitié France-Moldavie, je me réjouis également de l’attention particulière portée à ce pays et à certains de ses voisins. Le chef de l’État l’a rappelé il y a deux semaines aux côtés de la Première ministre moldave, « lutter pour la Moldavie […], c’est participer à l’effort de guerre que nous conduisons aux côtés de l’Ukraine ».
Nous savons bien que la déroute des troupes russes en Ukraine retarde pour le moment les projets à peine voilés de Moscou en Transnistrie. La communauté internationale doit donc demeurer vigilante.
S’agissant du soutien à Chisinau, entre les dons, les prêts et les projets financiers, avez-vous, madame la secrétaire d’État, une évaluation du montant cumulé des aides à la Moldavie ?
En ce qui concerne les sanctions contre Moscou, il faut espérer que la dernière mesure – celle de l’embargo sur le pétrole brut russe –, entrée en vigueur hier, remplisse son objectif de tarissement du financement de la guerre. En revanche, il est certain que le dispositif de plafonnement du prix du baril pour ceux qui continueront à importer du pétrole russe constitue une brèche. On peut le regretter, mais il est important de ne pas déstabiliser le marché mondial plus qu’il ne l’est déjà. Il s’agit aussi de ne pas alourdir outre mesure le choc énergétique, qui fragilise déjà beaucoup les économies européennes.
À cet égard, quel accueil la France réservera-t-elle au projet de compromis relatif au « mécanisme de correction du marché » des prix du gaz, récemment avancé par la présidence tchèque ? Il existe une ligne de fracture au sein de l’Union européenne qu’il faudra bien finir par aplanir si l’on veut avancer. Les conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre dernier invitent à présenter un nouvel indice de référence reflétant plus exactement les conditions du marché du marché du gaz. Il est urgent de le mettre en œuvre en 2023, car le temps presse face à une inflation qui relativise les efforts des différents États en matière d’action publique.
Qu’il concerne les ménages, les collectivités locales ou les entreprises, le bouclier tarifaire de l’électricité et du gaz est un outil opportun. Dans cette période où il nous est demandé de faire preuve de résilience, il est fondamental de protéger les plus vulnérables de l’inflation. Néanmoins, jusqu’à quand nos finances publiques permettront-elles de tenir ce cap ? En outre, un véritable chapitre social cohérent reste à ouvrir en Europe…
Si la guerre en Ukraine a précipité le défi énergétique, il apparaît clairement que la sobriété risque de durer, compte tenu de l’accélération attestée du réchauffement climatique. Dans ces conditions, nous attendons une réponse globale et stratégique de long terme. Porter à 40 % l’objectif de l’Union européenne d’énergie produite à partir de sources renouvelables d’ici à 2030, soit 8 points de plus que la cible en vigueur, est une nécessité. J’espère que les trilogues aboutiront à un compromis acceptable pour notre pays qui – disons-le – accuse un retard en matière d’énergies renouvelables.
Face à cette crise et à la récession qu’elle entraîne, l’Union européenne, sans renier les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), doit par ailleurs s’affirmer face à certaines initiatives de ses partenaires peu respectueuses des règles du jeu.
Je pense à l’Inflation Reduction Act (IRA) du président Joe Biden. Ce plan de 420 milliards de dollars, qui contient une part de subventions et de réductions d’impôts, est-il de nature à créer un exode massif de nos industries outre-Atlantique, comme on l’entend ? Quel est le résultat du Conseil du commerce et des technologies Union européenne-États-Unis et sur ce sujet ?
Mon groupe n’est pas partisan d’alimenter un conflit commercial ou d’appeler au protectionnisme en représailles. Cependant, nous attendons de savoir quelles réponses systémiques entend mettre en œuvre Bruxelles pour protéger les entreprises européennes. A minima, il serait souhaitable, d’une part, d’encourager la délivrance des agréments pour les projets d’intérêt européen, d’autre part, de revoir le cadre des appels d’offres publics.
Mes chers collègues, sans transition, je terminerai mon intervention par la question de l’Europe de la santé, un peu reléguée à l’arrière-plan alors que l’épidémie de covid-19 n’a pas disparu. Madame la secrétaire d’État, où en sommes-nous du paquet de mesures pour l’Union européenne de la santé ?
La Commission européenne devrait notamment remettre en début d’année sa proposition de législation générale européenne concernant les médicaments. Mon groupe sera particulièrement attentif aux problématiques d’accès aux médicaments, ainsi qu’aux leviers pour une industrie pharmaceutique innovante et leader en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. André Gattolin et Claude Kern applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2022 aura marqué le retour de la guerre sur le continent européen, une guerre totale qui vise autant l’armée ukrainienne que les populations. Pour l’instant, les desseins du président russe d’annexer l’Ukraine, d’y installer son pouvoir, de diviser et d’affaiblir les Européens ont été mis en échec.
Cet événement géopolitique majeur a forcé l’Europe à réagir avec fermeté et unité. La mise en œuvre du Fonds européen de la défense, l’adoption de la boussole stratégique européenne, la volonté d’accroître l’effort de défense et de mutualiser les achats militaires vont indéniablement dans le bon sens.
Malgré les mesures prises et l’unité affichée des Européens, nous sommes en réalité encore bien fragiles face aux soubresauts du monde, à l’affirmation de puissances désinhibées et à la dégradation du système multilatéral.
Les sanctions européennes n’ont pour l’instant pas permis d’affaiblir le pouvoir et l’économie russes autant que nous l’aurions espéré. Depuis plusieurs mois, les ventes d’hydrocarbures russes à la Chine sont en hausse et permettent en partie de pallier la défection des Occidentaux. Une Russie très affaiblie, voire exsangue, et dépendante de la Chine ne me semble pas, à terme, une bonne perspective pour la sécurité de l’Europe. Pourtant, ces sanctions sont nécessaires.
Le bannissement des productions pétrolières et gazières russes conduit à une crise énergétique déstabilisante. Elle a mis en lumière la dépendance et la légèreté de certains États membres en matière d’approvisionnement. Par ricochet, la filière nucléaire revient en grâce, mais après avoir été durablement affaiblie et dénigrée. Nous risquons ainsi des coupures de courant durant cet hiver.
Factuellement, la recherche de solutions de remplacement ne conduira-t-elle pas à de nouvelles dépendances, qu’il s’agisse du gaz de schiste américain ou de la production du Golfe et de la Caspienne, avec les conséquences politiques qui en découlent ? Le projet REPowerEU sera-t-il adapté et constitue-t-il vraiment une opportunité pour la France ?
Ces évolutions en matière de sécurité, d’énergie, de souveraineté seront-elles pérennes ? Avec le temps, ne risque-t-on pas d’en revenir au business as usal, au détriment d’une vision stratégique globale ?
Enfin, cet intérêt nouveau des Européens pour la défense profite surtout à la résurrection de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et se manifeste largement par l’achat d’équipements militaires structurants américains. La base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne doit être privilégiée, les coopérations recherchées chaque fois que cela est possible, sans s’interdire des développements strictement nationaux lorsque des coopérations se révèlent préjudiciables à nos intérêts.
Parmi les autres points d’inquiétude, je rappelle les mesures protectionnistes américaines, dont les plus récentes, l’Inflation Reduction Act, prévoient près de 400 milliards de dollars d’aides à la relocalisation sur le sol américain d’industries d’avenir. Je partage les propos du président de la commission des affaires européennes du sénat et ceux de Véronique Guillotin : il y a là une menace directe pour l’Europe.
Le commissaire Thierry Breton appelle à la création d’un fonds de souveraineté européen. Qu’en est-il réellement, madame la secrétaire d’État ?
Concernant la Chine, une prise de conscience commence à émerger à l’échelon européen à propos du déséquilibre des échanges, du non-respect de la propriété intellectuelle, des différences de normes sociales et environnementales ou de ses visées géopolitiques. Pour autant, des projets de cession d’infrastructures européennes à des entreprises chinoises demeurent. N’avons-nous pas retenu la leçon du Pirée ? Nos voisins britanniques viennent d’évincer un actionnaire chinois de leur principal fabricant de semi-conducteurs et d’interdire l’installation de caméras produites en Chine pour la vidéosurveillance des sites sensibles.
M. André Gattolin. Très bien !
M. Pascal Allizard. Par ailleurs, où en est le projet Global Gateway qui se voulait une alternative vertueuse à la Belt and Road Initiative (BRI) chinoise ? N’est-il pas trop contraignant face à une offre chinoise qui s’adapte aux réalités locales ?
Sur les côtes de la Manche, la pression migratoire s’est fortement accentuée en 2022. Les Britanniques vont augmenter leurs versements à la France pour enrayer les traversées, mais leur économie, de fait, continue d’absorber ces flux de migrants illégaux. L’effet d’attraction demeure.
On fustige certes l’attitude du gouvernement italien dans l’affaire de l’Ocean Viking, mais c’est précisément la question migratoire non résolue, laissant parfois l’Italie bien seule, qui est l’une des causes majeures de l’arrivée au pouvoir de cette majorité populiste. Cela pourrait bien se produire ailleurs si des mesures plus fermes ne sont pas prises…
Enfin, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’appelle votre attention sur la situation en Birmanie. Dans ce pays, qui peut sembler loin de l’Europe, la junte a prévu demain l’exécution de onze jeunes étudiants : c’est inacceptable ! Où sont les protestations françaises et européennes ? Le prochain Conseil européen devrait, me semble-t-il, aussi prendre position sur ce sujet.
Telles sont, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais partager avec vous avant ce Conseil européen. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la lumière du contexte international, de la guerre en Ukraine, mais également de l’urgence climatique, le prochain Conseil européen devra nous permettre de proposer des solutions pour faire baisser le prix de l’énergie. Il sera l’occasion d’évoquer la défense et la sécurité européenne, mais également de renforcer nos relations avec nos voisins des Balkans.
Néanmoins, c’est bien la question énergétique qui nous préoccupe aujourd’hui en premier lieu. L’Europe, qui dépendait jusqu’alors des hydrocarbures russes, se trouve aujourd’hui dans une situation difficile, ce qui annonce un hiver particulièrement complexe. Il nous faut trouver une réponse collectivement.
J’insiste sur l’adverbe « collectivement », car si l’on prend l’exemple du prix de l’électricité et de sa connexion à celui du gaz, on s’aperçoit qu’il n’est pas aisé de trouver une solution susceptible de satisfaire tous les États membres au vu de la diversité des degrés de dépendance aux énergies fossiles de chacun. Les actions solitaires, qui pourraient à terme déstabiliser l’Union européenne, sont à écarter.
C’est bien sur le volet énergétique que nos désaccords sont les plus profonds, à l’image du rendez-vous manqué entre les ministres européens de l’énergie réunis voilà dix jours pour convenir d’un plafonnement du prix du gaz. Madame la secrétaire d’État, quels sont vos lignes rouges et vos espoirs pour faire avancer ce dossier la semaine prochaine ?
L’urgence est également d’actualité en termes de défense. Vous annonciez récemment, madame la secrétaire d’État, que les relations franco-allemandes entraient dans une nouvelle phase. Force est de constater que les coopérations restent longues et parfois difficiles.
J’en profite pour vous interroger tout particulièrement sur le projet de système de combat aérien du futur (Scaf) lancé déjà depuis 2017 et qui peine à avancer. Comme chacun le sait, les négociations ont pris un sérieux retard. Or cette situation dessert de plus en plus la préparation de nos armées à la guerre aérienne du futur. Je me réjouis, cependant, de constater que nos deux pays avancent sur le sujet et que Dassault et Airbus poursuivent leur collaboration.
À ce titre, pouvez-vous nous en dire davantage sur les avancées concrètes à la suite de l’accord européen sur le démarrage de la phase 1B d’étude du démonstrateur, annoncé par le gouvernement allemand le 18 novembre dernier ?
Notre stratégie en termes de défense implique une industrie d’armements militaires forte et l’achat de produits européens. Nous ne pouvons que déplorer les commandes de F-35 américains passées par les Allemands.
Lors de la rencontre de notre Première ministre avec le Chancelier allemand, qu’est-il ressorti des discussions sur le volet défense ? Il était aussi question d’un Buy European Act, quelles évolutions en attendons-nous ?
Au-delà de ces questionnements, notre position européenne sur le conflit en Ukraine est claire. Je tiens notamment à saluer le vote de la proposition de résolution sur la reconnaissance de la Fédération de Russie en tant qu’État soutenant le terrorisme. Cette résolution condamne bien sûr la Russie de Poutine et réaffirme notre soutien aux Ukrainiens. Je le rappelle, ce soutien prend diverses formes et nous honore. Nous devons poursuivre sans relâche nos efforts.
La résolution établit plusieurs demandes en direction de la Commission européenne et des États membres. L’une d’entre elles concerne la création d’un mécanisme mondial de sanctions contre la corruption. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?
J’en viens à nos relations avec les pays des Balkans. Le sommet qui s’est tenu aujourd’hui à Tirana est l’occasion pour les Européens de réaffirmer leur engagement dans la région, de reconfirmer les avancées progressives d’adhésion des Balkans occidentaux et d’appeler à l’accélération des négociations. Au mois d’octobre dernier, la Commission européenne a notamment recommandé d’octroyer le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine ; cette décision reviendra au Conseil européen des 15 et 16 décembre prochain.
Le lien avec les Balkans occidentaux est d’autant plus nécessaire en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Cette guerre aux portes de l’Europe nous oblige à renforcer rapidement nos décisions à vingt-sept. Nous ne pouvons pas reporter indéfiniment nos choix communs.
Différents dossiers restent dans l’impasse, particulièrement le découplage des prix de l’électricité et du gaz. Le Conseil européen doit réussir à trouver un chemin pour répondre à notre défi énergétique. C’est décisif. Soyez assurée de notre soutien, madame la secrétaire d’État.
Enfin, il faudra selon moi aller au-delà d’une simple réponse structurelle basée sur le marché de l’énergie. Cette crise doit nous amener plus loin : nous devons revoir nos modes de vie et de consommation. Il ne s’agit pas d’en revenir à la bougie ou à la lampe à huile, comme le réclament certains prédicateurs, ni de tomber dans la radicalité, mais nous devons nous adapter grâce à l’innovation et à l’intelligence collective. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)