Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.
2. Souhaits de bienvenue à une nouvelle sénatrice
3. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Jean-Claude Requier ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Jean-Claude Requier.
Mme Raymonde Poncet Monge ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion ; Mme Raymonde Poncet Monge.
accompagnement des artisans face à la crise énergétique
M. Franck Menonville ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
hausse des factures d’électricité
M. Jean-François Husson ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Jean-François Husson.
difficultés des boulangers avec leurs factures de gaz et d’électricité
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
remise en cause du service universel de la poste
Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications ; Mme Marie-Claude Varaillas.
mesures de soutien aux tpe et pme face à la hausse du prix de l’énergie
M. Didier Rambaud ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Monique Lubin ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion ; Mme Monique Lubin.
marché de l’électricité dans l’union européenne
Mme Sophie Primas ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique ; Mme Sophie Primas.
décision de justice dans l’enquête sur le chlordécone aux antilles
M. Victorin Lurel ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; M. Victorin Lurel.
crise du système de santé et de l’hôpital
M. Alain Milon ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; M. Alain Milon.
avenir du service public postal
M. Pierre-Antoine Levi ; M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications ; M. Pierre-Antoine Levi.
influence française en afrique
M. Hugues Saury ; Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
industrie du médicament et problèmes d’approvisionnement
Mme Émilienne Poumirol ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; Mme Émilienne Poumirol.
Mme Christine Lavarde ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; Mme Christine Lavarde.
M. Jean Pierre Vogel ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Jean Pierre Vogel.
Suspension et reprise de la séance
4. Crise du système de santé. – Débat d’actualité
Mme Patricia Schillinger ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Bernard Jomier ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Laurence Cohen ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Laurence Cohen.
Mme Jocelyne Guidez ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Stéphane Ravier ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Stéphane Ravier.
M. Jean-Yves Roux ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
Mme Catherine Deroche ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
M. Daniel Chasseing ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
M. Jean-Luc Fichet ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; M. Jean-Luc Fichet.
Mme Nadia Sollogoub ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Nadia Sollogoub.
Mme Corinne Imbert ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé ; Mme Corinne Imbert.
Suspension et reprise de la séance
5. Communication d’un avis sur un projet de nomination
6. Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. – Débat organisé à la demande de la commission des finances
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Rémi Féraud ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Éric Bocquet ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
Mme Sylvie Vermeillet ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; Mme Sylvie Vermeillet.
M. Jean-Claude Requier ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Antoine Lefèvre ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Daniel Breuiller ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Didier Rambaud ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Victorin Lurel ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Michel Canévet ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ; M. Michel Canévet.
M. Stéphane Le Rudulier ; M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
7. Politique du logement dans les outre-mer. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer
M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer
Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
Mme Nassimah Dindar ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; Mme Nassimah Dindar.
M. Stéphane Artano ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
Mme Micheline Jacques ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; Mme Micheline Jacques.
M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
M. Daniel Salmon ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; M. Daniel Salmon.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
Mme Victoire Jasmin ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
Mme Viviane Malet ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
Suspension et reprise de la séance
Mme Catherine Conconne ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer ; Mme Catherine Conconne.
Mme Annick Petrus ; M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer.
M. Victorin Lurel, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Souhaits de bienvenue à une nouvelle sénatrice
M. le président. Je salue la présence de notre nouvelle collègue, Mme Véronique Del Fabro, sénatrice de la Meurthe-et-Moselle, qui remplace M. Philippe Nachbar.
Je lui souhaite la bienvenue au nom du Sénat. (Applaudissements.)
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d’adresser à chacun d’entre vous mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année.
L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Je vous appelle à veiller au cours de nos échanges au respect des uns et des autres, ainsi qu’à celui du temps de parole.
réforme des retraites (i)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. Jean-Claude Requier. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.
« Avec la réforme des retraites, il y a de quoi faire sauter plusieurs gouvernements », affirmait Michel Rocard, ancien Premier ministre de François Mitterrand. C’est donc avec courage, madame la Première ministre, que vous vous attaquez à cette réforme.
Au cours des dernières semaines, vous avez beaucoup consulté les partis, les groupes politiques et, bien entendu, les syndicats.
En tant que président du groupe du RDSE, vous m’avez reçu à l’hôtel de Matignon, avec mon collègue Henri Cabanel, en présence des ministres Olivier Dussopt et Franck Riester.
Nous vous avons fait part de nos préoccupations et de nos interrogations, et, au cours d’une discussion franche et ouverte, vous nous avez donné des précisions sur la pénibilité, sur l’usure professionnelle, sur les carrières longues, sur l’emploi des seniors, sur l’avenir des régimes spéciaux, ainsi que sur l’augmentation des pensions minimales.
Vous avez dévoilé hier votre projet, qui vise à fixer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans en 2030, au lieu de 65 ans comme cela avait été envisagé initialement.
Sur ce point, qui cristallise de nombreux mécontentements, pourquoi ne pas maintenir l’âge légal à 62 ans et tenir compte uniquement des trimestres cotisés, qui détermineraient le montant des pensions ? Une modulation de la durée de cotisation selon les situations n’offrirait-elle pas le système le plus équitable, et, par là même, un compromis dans la tradition radicale – mais sans radicalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Requier, je voudrais tout d’abord présenter mes meilleurs vœux à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs, ainsi qu’à leurs équipes et aux services du Sénat.
Monsieur le président Requier, le système de retraite par répartition est au cœur de notre modèle social. Les Français y sont profondément attachés, nous l’avons dit à plusieurs reprises. Je sais que vous-même et votre groupe l’êtes aussi. Je partage cet attachement et, avec mon gouvernement, je suis résolu à agir pour le préserver.
Aujourd’hui, pourtant, chacun le sait, le nombre de personnes qui travaillent par rapport au nombre de retraités diminue, menaçant notre modèle.
Mme Cathy Apourceau-Poly. N’importe quoi !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Aussi, après des mois de concertation, j’ai présenté hier notre projet pour garantir l’avenir de nos retraites.
Il s’agit tout d’abord d’un projet d’équilibre. Nous refusons d’augmenter les impôts ou de baisser les pensions : le seul chemin possible est donc de travailler progressivement plus longtemps.
Comme vous l’avez souligné, nous porterons l’âge légal de départ à 64 ans en 2030 et nous allons également accélérer la mise en place de la réforme Touraine, pour atteindre 43 années de cotisations en 2027. Comme vous le voyez, cela rejoint les grandes lignes du dispositif voté par le Sénat depuis plusieurs années.
Quant à l’âge d’annulation de la décote, il est fixé à 67 ans et il le restera ; c’est important pour les nombreuses femmes qui doivent travailler jusqu’à cet âge pour ne pas subir de décote sur leur pension.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Qu’en est-il de l’égalité des salaires ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Grâce à cela, notre système sera à l’équilibre en 2030.
Je suis bien consciente de ce que cela signifie pour nombre de nos compatriotes. C’est pourquoi nous avons construit un projet de justice. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.) Celles et ceux qui ont commencé à travailler plus tôt pourront partir plus tôt ; les carrières des femmes, souvent incomplètes ou hachées, seront mieux prises en compte ; la pénibilité des métiers sera mieux reconnue ; enfin, nous continuerons à tenir compte des plus fragiles : un départ à 62 ans sera toujours possible pour les personnes en invalidité, en incapacité ou en inaptitude.
Au total, quatre Français sur dix, souvent les plus fragiles, les plus modestes, celles et ceux qui ont des métiers difficiles, pourront partir avant 64 ans.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Arrêtez !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. J’ajoute que la justice, c’est aussi fermer la plupart des régimes spéciaux, car le même métier doit donner la même retraite.
Ce n’est pas tout : notre projet sera porteur de progrès social. (Rires ironiques sur les travées du groupe CRCE.)
M. Fabien Gay. On aura tout entendu !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Conformément à l’engagement du Président de la République, nous allons augmenter la retraite minimale pour une carrière complète au niveau du Smic à 85 % de ce dernier, soit une hausse de 100 euros par mois, et cela dès cette année.
Nous avons aussi entendu l’appel de plusieurs groupes politiques et d’organisations syndicales et patronales, et je vous confirme que l’augmentation de la retraite minimale concernera bien les retraités actuels. Au total, près de deux millions de Français verront leur pension revalorisée dès cette année. Cela concerne d’abord des femmes, des commerçants et des artisans qui ont travaillé toute leur vie : il s’agit d’un progrès social majeur.
Enfin, nous voulons rendre aux salariés proches de la retraite toute leur place dans l’entreprise, avec davantage de transparence sur les politiques des employeurs, avec l’assouplissement de la retraite progressive et avec un cumul emploi-retraite plus avantageux.
Monsieur le président Requier, aujourd’hui, mon ambition, partagée par mon gouvernement et tous ceux qui veulent préserver notre système de retraite par répartition, est de convaincre autour de ce projet et de chercher à l’améliorer avec le Parlement – je sais que le Sénat y prendra toute sa part –, afin de construire, ensemble, un système juste, équilibré et porteur de progrès social. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.
M. Jean-Claude Requier. Au Sénat, il n’y aura pas de 49.3 et certainement pas de question préalable. Le débat ira à son terme, et notre groupe y prendra toute sa part.
Permettez-moi un bref rappel historique. Au début du règne de Louis XVI, Turgot a été appelé comme contrôleur général des finances en raison de l’importance du déficit. Il a proposé des mesures audacieuses et ambitieuses, parmi lesquelles la suppression de certains privilèges. Pour les justifier, il a eu cette formule : « La réforme plutôt que la révolution ». Sa réforme n’a pas été mise en œuvre ; quelques années plus tard, la Révolution commençait.
Je forme le vœu que cette réforme des retraites ne débouche pas sur une révolution ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)
réforme des retraites (ii)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Monsieur le ministre, vous avez présenté hier une réforme qui allonge de nouveau de deux ans l’âge de départ à la retraite. Vous avez balayé nos solutions alternatives pour combler un déficit que vous dramatisez sciemment et qui n’aurait jamais dû être un problème si le Fonds de réserve des retraites (FRR) avait été non pas siphonné, mais alimenté, comme cela était prévu.
Vous vous gardez de présenter le bilan de la contre-réforme de 2010, que vous vous apprêtez à copier : une baisse tendancielle du montant des pensions comme de la durée de vie à la retraite.
Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), la réforme de 2010 a déjà fait perdre presque un an de durée de retraite à la cohorte 1980. En cumulant toutes les réformes accomplies depuis 2010, plusieurs générations perdront jusqu’à vingt mois de durée de retraite.
Ces réformes ont affecté une grande partie des gains d’espérance de vie au travail, et la vôtre va empiéter sur les années de vie à la retraite en bonne santé. Il n’y a rien de plus inégalitaire, alors que, selon l’Institut national d’études démographiques (Ined), l’écart de vie en bonne santé est de dix ans entre catégories socioprofessionnelles.
Votre réforme s’en prend au droit au repos de tous les travailleurs, mais cogne plus dur sur les classes populaires, sur les ouvriers et sur les employés. Elle va allonger le sas de précarité de ceux qui ne sont ni en emploi ni en retraite, mais, pour partie, au chômage ou au revenu de solidarité active (RSA), et dont vous réduisez en même temps les droits.
L’attaque contre le monde du travail et la protection sociale est frontale et systémique. Elle dévoile ce que recouvre le credo du « travailler plus », pour perdre sa vie à la gagner, jusqu’à détruire l’habitabilité de notre planète.
Monsieur le ministre, considérez-vous vraiment que, après une crise sanitaire qui a questionné la place et le sens du travail, à l’heure des urgences, il est responsable d’imposer une réplique de la contre-réforme inégalitaire de 2010, et cela contre l’avis d’une très large majorité des Français et des représentants syndicaux ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Madame la sénatrice, finalement, votre question est : « Faut-il faire une réforme des retraites ? » La réponse est oui ! Et cela pour trois raisons, que vous retrouverez dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR).
Premièrement, ce rapport indique que le système est déficitaire.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n’est pas vrai !
M. Olivier Dussopt, ministre. Il l’est dès 2023, avec une perte de 1,8 milliard d’euros. Il le sera en 2027, de 12,5 milliards d’euros, en 2030, de presque 15 milliards d’euros, en 2035, de 20 milliards d’euros par an et, en 2040, de 25 milliards d’euros par an.
L’enjeu de cette réforme est donc de préserver le système de répartition. C’est d’autant plus nécessaire que les chiffres du COR que j’avance correspondent à l’hypothèse du plein emploi. Nous le souhaitons, nous nous engageons en ce sens, mais cela reste une hypothèse optimiste.
Si le plein emploi n’était pas au rendez-vous, ces chiffres seraient encore plus élevés et le système serait encore plus en danger.
Le premier acte de solidarité est de permettre aux générations qui viennent de conserver un système de répartition sans être étouffées par la dette et assommées par les impôts.
Deuxièmement, il faut faire cette réforme, parce que, si nous ne la faisions pas maintenant, le niveau de vie des retraités baisserait, comme le rapport du COR l’indique. Je ne suis pas certain, madame la sénatrice, que vous souhaitiez retrouver la situation des années 1970, quand les retraités étaient les pauvres du pays, alors que notre système par répartition leur a justement permis de bénéficier d’un niveau de vie identique à celui de l’ensemble des Français.
Troisièmement, il faut prendre en compte la démographie, comme l’a rappelé Mme la Première ministre : à la fin des années 1970, nous comptions 3 actifs cotisants pour 1 retraité. Aujourd’hui, il y a un tout petit peu plus de 1,5 actif pour 1 retraité. C’est la démonstration que le système ne tient pas. Il faut donc le réparer, avec des mesures d’accompagnement concernant la pénibilité ou les carrières longues pour protéger les plus fragiles.
Il faut également le réparer dans le débat. Je le dis ici parce que la secrétaire nationale de votre parti, Europe Écologie Les Verts, a appelé de ses vœux la transformation de l’Assemblée nationale en ZAD (zone à défendre). (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Cela ne correspond pas à notre conception de la démocratie, et je souhaite que, au moins au Sénat, nous puissions mener un débat apaisé. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, la réponse des Français vous sera apportée le 19 janvier par leur mobilisation aux côtés des organisations syndicales, des partis de la gauche et des écologistes ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Vives protestations sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
accompagnement des artisans face à la crise énergétique
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Franck Menonville. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Monsieur le ministre, en raison des hausses exorbitantes des coûts de l’énergie, sept boulangers ont déjà cessé leur activité dans mon département de la Meuse. Pour faire face à l’augmentation des prix des matières premières, certains boulangers ont dû réévaluer leur prix de vente. Une nouvelle augmentation tarifaire serait inenvisageable. Pour un grand nombre d’entre eux, la situation est aujourd’hui intenable.
Différentes mesures ont été annoncées le 4 janvier dernier à leur bénéfice. Je ne reviendrai pas sur les conditions d’éligibilité, mais 80 % des boulangeries ne peuvent aujourd’hui prétendre au bouclier tarifaire, car elles dépassent le seuil de 36 kilovoltampères avec l’utilisation des fours, des chambres froides, des pétrins et des vitrines.
Certes, l’amortisseur électricité devrait pouvoir être activé, mais nos boulangers nous alertent régulièrement sur le prix de 280 euros le mégawattheure, qui reste trop pénalisant et insuffisamment protecteur à leurs yeux.
Les conditions d’éligibilité de ces dispositifs ne sont pas suffisamment adaptées aux difficultés rencontrées par la profession, et les démarches nécessaires sont perçues comme trop complexes.
Pour que ces mesures soient accessibles et rapidement applicables, il convient de s’appuyer sur le réseau local, notamment pour faciliter leur compréhension. Les accompagnements annoncés vont, certes, dans le bon sens, mais force est de constater qu’ils sont insuffisants au regard de l’intensité des difficultés rencontrées par la profession.
Monsieur le ministre, le Gouvernement entend-il proposer un dispositif plus protecteur pour les très petites entreprises (TPE) les plus touchées ? Il me semble important et urgent d’envisager un déplafonnement de la puissance de 36 kilovoltampères pour étendre le bénéfice du bouclier tarifaire. Cette mesure simple serait facilement comprise. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur, il existe aujourd’hui à peu près 2,1 millions de très petites entreprises de moins de dix salariés et de moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Vous l’avez rappelé, 1,5 million d’entre elles sont protégées par des tarifs régulés, parce que la puissance électrique qu’elles utilisent est inférieure à 36 kilovoltampères. Elles sont donc totalement couvertes par le bouclier tarifaire et ne subiront pas d’augmentation de leur facture d’électricité de plus de 15 %. Je rappelle qu’aucun autre pays européen ne propose cela à ses très petites entreprises.
Il reste 600 000 entreprises. Nous aurions pu, effectivement, étendre à leur profit le bénéfice des tarifs réglementés de vente (TRV).
M. Fabien Gay. Cela aurait été préférable !
M. Bruno Le Maire, ministre. Cela aurait coûté 3 milliards d’euros et certainement bénéficié à quelques milliers de boulangers, mais aussi à des centaines de milliers d’autres entreprises qui n’en ont pas nécessairement besoin.
Or il faut également protéger les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) industrielles qui sont exposées à la concurrence internationale.
Pour cette raison, la Première ministre et moi-même avons fait un choix différent, mais très protecteur. Nous avons obtenu des fournisseurs que la facture moyenne ne puisse dépasser les 280 euros le mégawattheure en moyenne au cours de l’année 2023.
Nombre de boulangers sont pris en tenaille entre l’augmentation du prix de la farine et des matières premières et les coûts de l’électricité qui pouvaient atteindre 700 euros, 800 euros, voire 1 000 euros le mégawattheure. Avec ce dispositif, ils ont la garantie que leur facture sera plafonnée à 280 euros le mégawattheure en moyenne. Il s’agit d’une protection majeure et nécessaire pour eux.
Si certains d’entre eux rencontrent encore des difficultés, ils peuvent également bénéficier du report de charges, de l’amortisseur électricité et du guichet unique auquel ils pourront réclamer des subventions, au besoin, pour amortir la facture de 40 %.
Il me semble très sincèrement que nous avons pris, Élisabeth Borne et moi-même, toutes les dispositions nécessaires pour protéger une profession à laquelle nous sommes profondément attachés – les boulangers –, ainsi que toutes les très petites entreprises de France.
Pour autant, ma porte et celle d’Olivia Grégoire restent toujours ouvertes pour des discussions supplémentaires. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE.)
hausse des factures d’électricité
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Monsieur le ministre, vous nous jouez l’acte II de vos vœux aux acteurs économiques. J’entends votre brevet d’autosatisfaction, mais, il y a encore quelques instants, j’avais au téléphone un chef d’entreprise qui me faisait part des demandes de nombre de ses pairs.
Cela concerne les boulangers – il en manque, et c’est grave –, mais également l’ensemble des acteurs économiques qui ne comprennent pas l’absence de vision stratégique du Gouvernement pour les soutenir.
Vous évoquez un plafonnement à 280 euros le mégawattheure, mais cela représente jusqu’à 350 % d’augmentation par rapport à des prix pratiqués récemment. Comment les acteurs économiques pourraient-ils résister à cette situation ? Vous le savez, le risque est que nous nous heurtions à un mur de cessations d’activité, voire de faillites. Bpifrance a lancé l’alerte à cet égard.
Monsieur le ministre, considérez-vous aujourd’hui que vous avez pris toutes les mesures nécessaires pour répondre aux besoins de l’ensemble des entreprises qui font vivre la maison France ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, on n’est jamais certain d’avoir pris toutes les mesures nécessaires.
Pour autant, ce n’est pas la première crise que j’ai à gérer : nous avons affronté la crise du covid-19. Avec votre soutien et votre compréhension, nous avions alors mis en place le « quoi qu’il en coûte », parce que la richesse française s’était effondrée avec la production et qu’il existait un risque de faillites par vagues successives, entraînant une explosion du chômage de masse. On m’avait averti de ce risque, mais il ne s’est pas réalisé.
Nous avons protégé le monde économique, les entrepreneurs et les entreprises et nous avons évité un chômage de masse. Nous avons donc géré avec efficacité la crise du covid-19.
Face à la crise de l’inflation, le « quoi qu’il en coûte » n’est pas la bonne solution,…
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Bruno Le Maire, ministre. … car cela reviendrait à jeter de l’essence sur l’incendie et à ne pas se débarrasser de l’inflation.
Vous nous reprochez de ne pas avoir de vision stratégique, mais nous en avons une : diminuer l’inflation dans le courant de l’année 2023 et ne rien faire qui puisse la prolonger dans les années qui viennent.
Actuellement, le « quoi qu’il en coûte » servirait sans doute immédiatement à certaines entreprises, mais l’ensemble de la population française se verrait exposé au maintien d’un niveau très élevé d’inflation, avec tous les dommages que cela représenterait pour les entreprises comme pour les ménages.
Nous avons choisi une voie plus difficile, mais j’ai toujours considéré que la voie difficile était en général la meilleure. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Elle consiste à cibler les entreprises qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les très petites entreprises qui n’ont pas les reins suffisamment solides pour réagir.
Ces entreprises bénéficient de tarifs préférentiels. Elles sont protégées. Elles ont accès à un guichet qui a été maintenu au 1er janvier. Elles peuvent reporter les charges ; dans chaque département, le numéro de téléphone portable d’un conseiller qui peut les aider est à leur disposition.
M. Marc-Philippe Daubresse. Un numéro vert ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Elles ont, enfin, la possibilité d’étaler le remboursement des prêts garantis si elles le souhaitent.
Restent les PME, avec lesquelles nous sommes en discussion. Nous voulons protéger notre outil industriel, ainsi que nos PME et nos ETI qui, elles, sont exposées à la concurrence internationale et ne peuvent pas augmenter leurs prix, car elles perdraient alors leurs marchés. Pour elles aussi, nous ferons le nécessaire.
Notre vision stratégique est donc de protéger immédiatement ceux qui en ont besoin, de faire baisser l’inflation à moyen terme pour se débarrasser de cette plaie et de poursuivre, à long terme, une politique de l’offre qui favorise la compétitivité de nos entreprises. Je sais que vous nous rejoindrez sur ce dernier point. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, vous avez indiqué récemment que vous souhaitiez parler aux fournisseurs d’énergie. Justement, il y en a un que vous avez sous la main et que vous contrôlez entièrement : EDF. Mettez-vous donc rapidement au travail pour apporter des solutions.
S’agissant d’EDF, je rappelle que nous payons très cher les choix funestes, réalisés depuis dix ans, tendant à arrêter la production d’électricité nucléaire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Nous avons besoin d’une vision stratégique dans le domaine de l’énergie, pour travailler sur les énergies renouvelables, sur notre autonomie et sur notre souveraineté, notamment en matière de renouvelable et de nucléaire. Tout cela améliorera en outre le solde de notre balance commerciale.
Enfin, TPE, PME, ETI, grandes entreprises, toutes ont besoin d’un soutien adapté. Encore faut-il, pour cela, travailler avec constance avec leurs représentants. Ces derniers comptent sur vous ; les Français ont besoin d’un État fort à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
difficultés des boulangers avec leurs factures de gaz et d’électricité
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question s’adresse également à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et porte également sur la situation des boulangers en France.
Il y a quelques semaines était annoncée l’inscription de la baguette française au patrimoine immatériel de l’Unesco, mettant en lumière la filière de la boulangerie, ses traditions et ses savoir-faire. Celle-ci serait-elle pourtant menacée ? Dans nos départements, des maires nous alertent sur les graves difficultés rencontrées par les boulangers, qui doivent faire face à une explosion de leurs factures d’électricité.
Monsieur le ministre, vous avez exposé les mesures annoncées par le Gouvernement : possibilité de recourir à l’amortisseur électricité, report du paiement des impôts et des cotisations sociales et étalement du paiement des factures d’énergie.
Les fournisseurs ont, par ailleurs, accepté que l’ensemble des TPE ayant signé un contrat d’électricité au cours du second semestre de 2022 ne paient pas plus de 280 euros le mégawattheure en moyenne sur l’année 2023. C’est bien, mais ces dispositifs, complexes, ne seront mis en place qu’à la fin du mois.
Or les boulangers nous alertent sur leurs problèmes immédiats. Ils font face dès maintenant à une hausse considérable du coût des matières premières, qui se répercute sur leurs charges à hauteur de plus de 30 %, et ils ne peuvent augmenter perpétuellement leurs prix, sous peine de voir leur clientèle baisser.
L’heure est donc grave, et nombre d’entre eux sont au bord du dépôt de bilan. C’est un drame pour eux, mais également pour nos territoires. La boulangerie est en effet le commerce le plus élémentaire en zone rurale, celui qui maintient la vie dans nos villages.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire à ce sujet ? Agirez-vous en lien avec les grandes régions, lesquelles disposent de la compétence économique et œuvrent aussi à trouver des solutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Permettez-moi tout d’abord une petite digression pour répondre à M. Husson (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), qui me demande de me mettre au travail. Je vous rassure, monsieur le sénateur, je suis au travail. Je n’ai pas grand goût pour la fainéantise !
Madame Catherine Morin-Desailly, concrètement, la seule chose que nous demandons à nos amis boulangers, c’est de se rendre sur le site dédié ou sur impots.gouv.fr et de se déclarer comme très petite entreprise, car les fournisseurs d’énergies ne connaissent pas leur qualité. À ce sujet, je rassure encore M. Jean-François Husson : je reçois EDF au minimum toutes les semaines avec Agnès Pannier-Runacher et Olivia Grégoire. Nous sommes donc en contact très régulier.
Les commerçants intéressés doivent ensuite indiquer qu’ils souhaitent bénéficier du tarif garanti à 280 euros en moyenne. Nous venons de modifier le formulaire à cet effet.
Ainsi, tous les contrats qu’ils auraient signés à 500 euros, 600 euros ou 1 000 euros le mégawattheure sont résiliés, et ils bénéficieront automatiquement de ce tarif de 280 euros. Il s’agit bien d’une protection massive.
En outre, je le répète, ceux d’entre eux pour lesquels cela ne suffit pas peuvent s’adresser au guichet unique et bénéficier de l’amortisseur électricité, qui réduit de 20 % l’augmentation de la facture, ainsi que du décalage du paiement des charges lorsque c’est vraiment nécessaire. Le maximum a donc été fait.
Restent les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, lesquelles sont confrontées à la même augmentation des tarifs et sont exposées à la concurrence internationale. Pour citer un exemple très concret, j’étais il y a quelques jours à Charleville-Mézières, où j’ai visité une entreprise industrielle qui produit des plaques en aluminium pour refroidir les véhicules électriques. Or son acheteur, un constructeur automobile allemand, l’a menacé de se fournir ailleurs si elle augmentait ses prix.
Que peuvent faire ces entreprises confrontées à des acheteurs qui refusent de modifier leurs prix et à une augmentation des coûts de l’électricité ? Nous devons leur apporter des solutions et nous y travaillons. Nous n’entendons pas laisser cette crise énergétique affaiblir notre base industrielle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
remise en cause du service universel de la poste
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, j’aurais pu vous envoyer ma question par la poste, mais j’aurais alors dû prendre mon mal en patience, faire le choix du timbre vert et de son délai de trois jours, désormais, ou payer une e-lettre rouge, que j’aurais dû scanner avant de l’importer sur un site internet, afin qu’un agent de La Poste l’imprime et la transporte jusque chez vous… Cet agent aurait ainsi eu accès à ma correspondance, aussi confidentielle soit-elle !
Le timbre rouge n’est plus, et vous entendez faire passer cela comme une lettre à la poste – une expression que vous vouez à la désuétude. Cette mesure, effective depuis le 1er janvier, est un pas de plus vers la désagrégation du service public qui devrait pourtant garantir l’égalité et l’équité.
Il n’y a pas de plan B. Cette dématérialisation, synonyme de déshumanisation, ignore la fracture numérique qui concerne, selon l’Insee, 13 millions de Français. Ceux-ci vont-ils devenir des sous-citoyens ?
En conséquence, vous lancez dans 68 communes l’expérimentation de la réduction de la fréquence du passage du facteur. Or, derrière la tournée du facteur, derrière l’accueil à un guichet, ce sont des liens humains qui se tissent, bien souvent avec les plus fragiles et les plus défavorisés.
Or, nous le savons, tout ce qui coupe les liens sociaux abîme la démocratie. Ce que nous dit de nouveau cette mesure, c’est que la machine à exclure tourne à plein régime.
Monsieur le ministre, quand allez-vous arrêter cette opération de casse du service public, qui est pourtant essentiel pour la population ? Quand le Gouvernement entendra-t-il qu’un service public n’a pas vocation à être rentable ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Varaillas, vous interrogez le Gouvernement sur les évolutions de la politique de distribution du courrier du groupe La Poste.
La Première ministre, le ministre de l’économie et des finances et moi-même y sommes très attentifs, et il ne nous a pas échappé que des modifications récentes ont suscité de la part de nos concitoyens certaines questions et inquiétudes légitimes.
Permettez-moi de rappeler les deux raisons pour lesquelles La Poste fait évoluer son offre de distribution du courrier.
La première raison est que les usages de nos concitoyens ont évolué. Alors qu’ils envoyaient 45 lettres prioritaires en 2010, ils n’en ont adressé que 5 en moyenne en 2021 – cela ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas en envoyer !
La seconde raison est que, selon les calculs du groupe, les évolutions prévues permettraient d’économiser 60 000 tonnes de CO2 par an, soit 25 % de la consommation du groupe, notamment par l’arrêt du transport aérien dans l’Hexagone. (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Cela dit, si vous voulez bien me laisser terminer, mesdames, messieurs les sénateurs, j’évoquerai plusieurs points qui seront, je l’espère, de nature à vous rassurer.
Les timbres rouges qui ont été achetés avant la fin de l’année pourront évidemment être utilisés. (M. Jean-Pierre Sueur ironise.)
La présence du facteur six jours sur sept n’est pas remise en question…
M. Fabien Gay. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … et tout usager – c’est un engagement du groupe La Poste – pourra se faire conduire au bureau de poste à tout moment par un facteur. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Par ailleurs, la lettre service plus, qui arrive après deux jours, et la lettre verte, qui arrive après trois jours, seront évidemment disponibles.
S’agissant enfin de l’expérimentation que vous avez évoquée, madame la sénatrice, elle ne remet en aucun cas en question la présence du facteur tous les jours sur les territoires et pour toutes les activités de distribution de La Poste.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. Après l’hôpital, le rail, l’énergie, la disparition du timbre rouge symbolise le démantèlement de nos services publics, qui sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, monsieur le ministre.
Avec l’attaque contre notre système de retraite, c’est l’ensemble du dispositif de solidarité qui est mis en cause sous les injonctions de Bruxelles. L’exaspération des Français est à son paroxysme en ce début d’année.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Claude Varaillas. Allez-vous enfin les entendre ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, GEST et SER. – Mme Sonia de La Provôté applaudit également.)
mesures de soutien aux tpe et pme face à la hausse du prix de l’énergie
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous changeons d’année, mais les défis liés à l’actualité, eux, demeurent.
En ce début d’année où les cérémonies de vœux rythment nos soirées et nos semaines, nous sommes tous ici interpellés par les élus locaux, les professionnels des TPE, des PME et nos concitoyens sur la crise énergétique – non seulement sur ses conséquences, mais aussi sur la réponse politique et économique du Gouvernement.
Être entrepreneur requiert du sang-froid et beaucoup d’abnégation. La période actuelle en exige encore davantage. En effet, à l’image des boulangers de notre pays, parfois rares survivants du commerce de proximité dans nos territoires et particulièrement affectés par la hausse des coûts de l’énergie, de nombreux professionnels des TPE et des PME ne parviennent pas toujours à identifier le niveau d’aide dont ils peuvent bénéficier, et ils ne disposent pas toujours du temps nécessaire pour décrypter les différents dispositifs mis en place par le Gouvernement.
Ces dispositifs inédits, pertinents et adaptés gagneront à être rappelés collectivement au plus grand nombre.
Face à la désinformation et aux approximations, voire à la démagogie, pour que tout artisan ou boulanger de notre pays puisse bénéficier des aides considérables en vigueur et continuer de travailler avec davantage d’optimisme, je souhaite profiter de cette séance, madame la ministre, pour vous interroger sur le travail qui a été mené pour les Françaises et les Français.
Au-delà des modalités les encadrant, ces dispositifs sont-ils efficaces ? Sont-ils suffisants ?
Les réponses apportées aux boulangers, symboles des professionnels affectés, ont-elles été entendues ?
M. Jacques Grosperrin. Question téléphonée…
M. Didier Rambaud. Enfin, comment l’État entend-il accompagner concrètement les professionnels pour faciliter leurs démarches et faire en sorte que chacune et chacun puisse bénéficier des aides ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Rambaud, nous nous adaptons à la situation, qui est difficile, en particulier pour nos artisans et pour nos boulangers.
Permettez-moi d’évoquer quelques points.
À cette heure, quelque 12 milliards d’euros sont mobilisés pour aider nos PME et nos TPE. Plus les entreprises sont petites et exposées, plus elles sont protégées.
Selon la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie, la consommation de 80 % des boulangers dépasse les 36 kilovoltampères. Au-delà de ce seuil, les boulangers bénéficient du tarif réglementé de vente, c’est-à-dire d’un prix garanti de 280 euros le mégawattheure.
Ils n’ont pour cela qu’une chose à faire : cocher la case indiquant que leur entreprise est une TPE sur l’attestation que nous mettons à leur disposition sur différentes interfaces, pour nous assurer qu’ils la trouveront : sur leur espace professionnel, auprès de leur fournisseur d’énergie, mais aussi, dès maintenant, sur la page d’accueil du site impots.gouv.fr. Il suffit de cocher cette case pour que, dès les semaines suivantes, les nouvelles conditions tarifaires soient mises en œuvre.
Si cela ne suffit pas, le dispositif de l’amortisseur électricité permet aux TPE, mais aussi aux PME, de bénéficier de 15 % à 20 % de baisse directement sur leur facture. Il n’y a pour cela rien d’autre à faire que de cocher une case indiquant que l’entreprise est une TPE ou une PME.
Si cela ne suffit pas, et permettez-moi de répondre en même temps à M. Husson…
M. le président. Je vous remercie de vous en tenir à la question sur laquelle vous avez été interrogée, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Les formulaires d’aide sont téléchargeables sur le site impots.gouv.fr depuis six mois.
M. Jean-François Husson. Expliquez cela aux boulangers !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Je ne fais que cela, monsieur le sénateur ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je rappelle que les aides consenties au titre des mois d’octobre, de novembre et de décembre dernier pourront être obtenues dès le 16 janvier en allant sur le site impots.gouv.fr.
J’ajoute que je travaille également avec les experts-comptables pour mieux accompagner les artisans et les boulangers. Ces derniers ont confiance en leur expert-comptable, auquel ils confient chaque mois leur déclaration de TVA. En cas de doute, je les invite donc à se rapprocher de leur expert-comptable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
réforme des retraites (iii)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le ministre, hier soir, en écoutant les annonces de Mme la Première ministre, j’ai pensé à des amis ou connaissances – Isabelle, Jean-Marc, Philippe.
La première travaille dans l’agroalimentaire depuis quarante ans, et elle devait prendre sa retraite à 62 ans. Elle devra travailler un an et trois mois de plus.
Le deuxième est charpentier. Il peut bénéficier du dispositif carrière longue, mais, en raison du report de l’âge de départ à la retraite prévu dans le cadre de celui-ci, il devra travailler plusieurs mois de plus.
Le troisième vient de perdre son emploi. À 60 ans, il a peu d’espoir d’en retrouver un. Vous venez généreusement de réduire la durée d’indemnisation du chômage, et voilà que la perspective d’un meilleur revenu produit par la retraite s’éloigne…
Vous allez faire payer votre réforme idéologique par ceux qui travaillent depuis longtemps déjà, qui cotisent depuis longtemps déjà et qui ont les métiers les plus difficiles et les moins bien rémunérés, ainsi que par les personnes précaires.
Dans le même temps, vous ne demandez aucune contrepartie aux employeurs et vous refusez obstinément de mobiliser les gains, parfois faramineux, engrangés par certains depuis quelques mois.
Monsieur le ministre, vous qui ne cessez de mettre en avant la valeur travail, pourquoi maltraitez-vous à ce point les travailleurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Madame la sénatrice Lubin, la réforme est nécessaire. J’ai évoqué la raison pour laquelle il nous fallait la faire – sauver le système par répartition – et j’ai indiqué qu’il fallait la faire avec le plus de justice possible.
Plusieurs éléments répondent très précisément à votre question.
Dans le cadre de la concertation que j’ai menée pendant plusieurs mois et durant laquelle nous avons travaillé avec tous les partenaires sociaux, tous les syndicats, toutes les organisations patronales et avec les groupes politiques que nous avons consultés, nous avons abouti à un certain nombre de convergences. Cela n’efface pas les désaccords sur l’âge, mais ces convergences ont été trouvées. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Pour ce qui concerne la pénibilité, nous modifions le compte personnel de prévention, de manière à faciliter l’acquisition de points au travers des six critères.
Nous créons la possibilité d’un véritable congé de reconversion.
Nous faisons en sorte de mieux protéger ceux qui travaillent de nuit ou en équipe, c’est-à-dire de manière postée.
Nous allons retravailler sur les questions relatives au port de charges, aux postures pénibles, aux vibrations, pour faire en sorte que des accords de prévention soient signés.
Au total, un milliard d’euros sur cinq ans seront consacrés au financement de la prévention, et la possibilité de partir de manière anticipée dans le cadre d’un suivi médical renforcé sera confortée.
J’en viens aux carrières longues. Nous maintenons bien évidemment le départ à 58 ans pour tous ceux qui ont cotisé cinq trimestres avant 16 ans.
Nous maintenons le dispositif existant, qui permet de partir avec deux ans d’avance, pour ceux qui ont cotisé cinq trimestres avant 20 ans. Et nous créons un nouveau dispositif, qui s’appliquera très certainement aux personnes que vous avez évoquées, permettant à ceux qui ont cotisé cinq trimestres avant 18 ans – je pense tout particulièrement aux apprentis – de partir avec quatre ans d’avance et à 60 ans sans qu’il y ait de décalage de l’âge pour ceux qui ont commencé à travailler plus tôt.
Madame la sénatrice, je souhaite que les amis que vous évoquiez soient des amis imaginaires, car le décalage de leur âge de départ à la retraite est principalement imputable à la hausse de la durée de cotisation que vous avez votée en 2013…
Vos propos rappellent ceux du premier secrétaire du parti socialiste, qui s’est converti à la doctrine de Jean-Luc Mélenchon. Ils montrent que vous avez perdu le sens de la raison et de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Vives protestations sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Que vos remarques sur les dispositions votées par ma famille politique sont douces à mes oreilles, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Puisque vous me tentez, je rappellerai seulement que j’ai quelques souvenirs, dans le département des Landes, d’un certain Henri Emmanuelli, que vous appréciiez beaucoup, à l’époque ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Monsieur le ministre, le Conseil d’orientation des retraites indique que la part des retraites dans le PIB s’établit à 14 % et qu’elle est stable. Le système n’est donc pas en danger.
Les critères de pénibilité que vous venez d’évoquer ont été supprimés par vos soins en 2018, lorsque vous êtes entré au Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.) Et vous pouvez le présenter comme vous voulez, monsieur le ministre, mais vous faites payer cette réforme uniquement par les salariés les plus modestes !
Enfin, soyez assuré que mes amis ne sont pas imaginaires. Croyez bien que, quand on a travaillé quarante-deux ans, un an de plus, c’est un an de trop ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
marché de l’électricité dans l’union européenne
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique.
Depuis un an, notre pays traverse une crise énergétique effroyable. Le Gouvernement allume bien sûr des contre-feux – bouclier tarifaire, amortisseur, filet de sécurité… –, dont le coût, d’un montant de 24 milliards d’euros en 2022, s’élèvera à 43 milliards d’euros en 2023.
Il est très dangereux de gouverner à coups de chèques, d’autant plus lorsque ces derniers sont financés par de la dette et qu’ils sont en outre mal calibrés, complexes dans leur exécution et toujours insuffisants. À défaut de solution structurelle, vous arrosez le sable avec de l’eau, madame la ministre.
La solution structurelle est européenne, car nous sommes aujourd’hui prisonniers de l’architecture européenne du prix de l’électricité liant électricité, gaz et charbon.
Madame la ministre, l’état de guerre a pulvérisé le marché énergétique. La disparition du gaz russe l’a déséquilibré profondément et probablement définitivement. Il faut donc tirer les conséquences de cet état de fait et abolir immédiatement les mécanismes de concurrence qui sous-tendent l’architecture du prix.
De Conseil européen en Conseil européen, nous ne voyons rien venir, nous ne voyons rien bouger. Si la France n’a désormais plus suffisamment d’influence au sein de l’Union européenne pour faire bouger les choses, demandez des dérogations immédiates, madame la ministre. D’autres pays l’ont fait, y compris ceux où l’interopérabilité est forte.
Le temps presse, madame la ministre ! On ne peut plus attendre les prochaines réunions du Conseil européen. Notre économie ne le supportera pas. Je vous remercie de nous indiquer votre action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la présidente Primas, vous l’avez dit, nous avons d’abord agi au service des ménages, des entreprises et des collectivités locales, en prenant le plus rapidement possible des mesures. Ainsi, aujourd’hui, ces différentes catégories de consommateurs bénéficient du prix de l’électricité le plus bas d’Europe.
Il ne s’agit pas d’une politique du chèque, car elle repose sur une contribution sur la rente inframarginale, c’est-à-dire sur le surplus de bénéfices que cette situation particulière de crise énergétique suscite pour nos producteurs d’électricité. Nous gérons le budget de l’État à des fins utiles, en allouant des aides proportionnées, et les ménages et les TPE sont les mieux protégés.
Avec Bruno Le Maire et Olivia Grégoire, j’ai notamment obtenu le plafonnement du prix de l’électricité des contrats à 280 euros du mégawattheure.
Vous soulignez à juste titre que notre action doit aussi être menée à l’échelon européen, car nous subissons un acte de guerre. En Europe, 40 % de l’approvisionnement de gaz sont d’origine russe et 22 % de la production d’électricité européenne reposent sur le gaz. C’est une réalité qu’il nous faut prendre en compte.
Vous savez également – nous l’avons évoqué ce matin en commission lors de la présentation du projet de loi sur l’énergie nucléaire – que la situation de notre parc nucléaire nous rend aujourd’hui dépendants d’autres pays européens pour notre approvisionnement en électricité. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est une réalité que nous devons également prendre en compte.
Nous avons agi en Européens : c’est ce qui nous permet de passer cette crise et cet hiver en bénéficiant d’un prix de l’électricité qui n’est certes pas satisfaisant, mais qui est en baisse par rapport à son niveau du début de l’année dernière, grâce au stockage du gaz et au plafonnement du prix du gaz.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. J’ajoute que, grâce à l’action du Gouvernement, la Commission européenne présentera au premier trimestre une proposition d’évolution du marché de l’électricité allant dans le sens que vous appelez de vos vœux, madame la sénatrice. (MM. Julien Bargeton et Martin Lévrier applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour la réplique.
Mme Sophie Primas. Madame la ministre, nous étions un pays fort, capable d’imposer des décisions à l’Europe.
Il y a urgence, car à la fin du premier trimestre, quand l’Europe aura peut-être pris une décision, nous aurons dépensé des milliards d’euros au travers de chèques et nous n’aurons toujours pas de solution structurelle.
Je rêve d’un pays fort, capable de faire bouger l’Europe et de prendre des décisions au bénéfice de son économie, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
décision de justice dans l’enquête sur le chlordécone aux antilles
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, mes chers collègues, compte tenu de la gravité du sujet et de son caractère interministériel, ma question s’adresse à Mme la Première ministre. J’y associe mes collègues Catherine Conconne et Victoire Jasmin.
Elle porte sur le non-lieu, prononcé le 2 janvier dernier, dans l’enquête sur la contamination et la pollution au chlordécone. Je respecte les décisions de justice, mais en l’espèce, personne ne pourrait s’en satisfaire.
Cette décision est un indéniable déni, susceptible d’allumer des brasiers. Il n’y aurait en effet ni coupable ni responsable.
Bien qu’elle fût attendue, cette décision ajoute au scandale d’État un scandale judiciaire, madame la Première ministre.
Au-delà des actions menées par tous les gouvernements et par le vôtre, des plans mis en place et de la reconnaissance de la carence fautive des pouvoirs publics, je considère que l’État est un coresponsable majeur de cette tragédie, dont il demeure, de ce fait, comptable. Quelque quarante-six ans après les premières alertes et seize ans après la première plainte, vous ne pouvez rester indifférente.
Je formulerai quatre interrogations, madame la Première ministre.
Au-delà des suites que les parties civiles ne manqueront pas d’intenter, comptez-vous tout faire, dans le respect du droit, pour que le parquet rouvre ce dossier ?
Êtes-vous prête à créer un fonds d’indemnisation pour toutes les victimes ?
Êtes-vous prête à faire pour les victimes du chlordécone ce qui a été fait pour les victimes de l’amiante ?
Êtes-vous prête à renforcer l’action de l’État en faveur de la recherche fondamentale et de la dépollution des eaux et des sols ?
J’attends de vous une réponse humaine, débarrassée de toute vaine polémique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme Catherine Conconne. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des outre-mer.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je constate comme vous – j’ai eu l’occasion de le dire hier à l’Assemblée nationale – la décision prise librement par les autorités judiciaires. Un membre du Gouvernement ne peut qu’en prendre acte.
J’ai bien lu les attendus de l’ordonnance : ils pointent une responsabilité collective dans ce scandale sanitaire. Mais comme vous l’avez indiqué, cela n’amoindrit en rien la responsabilité de l’État face à ce scandale. Celui-ci a d’ailleurs été reconnu pour la première fois par le Président de la République en 2018, et nous devons continuer d’avancer sur ce chemin.
Notre priorité commune est de protéger la santé de nos concitoyens, d’aider les secteurs économiques affectés et de renforcer la recherche. Avec Gérald Darmanin et le ministre de la santé et de la prévention, le Gouvernement s’est engagé et s’engage encore à répondre à ces enjeux.
Plusieurs avancées fortes, j’y insiste, ont déjà été obtenues : la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle ouvrant droit à indemnisation, l’analyse gratuite du taux de chlordécone dans le sang, l’analyse des sols ou encore les importants de travaux de recherche engagés pour la dépollution des sols.
Le colloque scientifique Chlordécone, connaître pour agir et les rencontres de terrain organisées au mois de décembre dernier ont été l’occasion de porter à la connaissance de tous ces nombreuses avancées, mais ils ont également montré qu’il y avait encore beaucoup à faire.
Je prends donc note de vos propositions, monsieur le sénateur. Nous les étudierons avec attention et avec la volonté d’aboutir.
Si l’ordonnance est le droit et la chose jugée, nous continuerons d’avancer. Je me rends en Martinique dès demain, en partie pour cela. La coordonnatrice du plan chlordécone m’accompagnera à cet effet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour la réplique.
M. Victorin Lurel. Madame la Première ministre, je regrette que vous n’ayez pas saisi l’occasion d’exprimer votre considération pour les populations de Martinique et de Guadeloupe, frappées de sidération et déjà marquées dans leur chair.
Monsieur le ministre, votre réponse, que je connais, est celle d’un communicant. Vous savez fort bien que tous les gouvernements ont engagé des actions et que les plans chlordécone, notamment le plan chlordécone IV, est insuffisant, parce qu’il est sous-financé.
Seulement 2,4 millions d’euros par an sont consacrés à la recherche fondamentale, quand il en faudrait au moins 5. Et seulement 10,8 millions d’euros par an sont consacrés aux plans chlordécone, quand ce budget s’élevait à 12 millions d’euros en 2010, durant le mandat de M. Sarkozy, et à 13 millions d’euros en 2016. C’est insuffisant.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Victorin Lurel. Je demande que, comme il l’a fait dans le cas de l’amiante, le Gouvernement nous fasse bénéficier du préjudice d’anxiété. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
crise du système de santé et de l’hôpital
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Le Président de la République a clairement exprimé la nécessité de reconstruire notre système de santé et de l’adapter pour satisfaire aux attentes des professionnels comme des patients.
Toutefois, pour y parvenir, une réforme globale de l’organisation des soins, de leur mode de financement et des synergies à mettre en œuvre est nécessaire. Il faut en effet redonner à ces métiers l’attractivité qu’ils ont perdue et fonder un système innovant, performant, viable et humain.
Les orientations proposées posent, hélas, davantage de questions qu’elles n’apportent de solutions efficaces et urgentes.
Le financement est totalement absent de ce discours présidentiel. Sortir de la tarification à l’acte (T2A), par exemple, dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), pour lui substituer une rémunération fondée sur des objectifs de santé publique négociés à l’échelle du territoire et sur un critère populationnel non défini laisse perplexe…
Comment imaginer que l’objectif d’efficience puisse être atteint tout en rendant la part de financement ainsi dégagée à l’activité minoritaire ? Cela revient bel et bien à mon avis à sonner le glas de l’hôpital.
Quant aux 6 000 postes d’assistants médicaux supplémentaires, l’assurance maladie paiera pendant trois ans. Quid de l’après, et comment l’assurance maladie paiera-t-elle, quand on sait que les 4 000 assistants déjà en poste lui coûtent 160 millions d’euros ?
Les propositions concernant la médecine de ville ne sont pas à la hauteur : elles ne permettent d’enrayer ni la crise des vocations ni la propagation des déserts médicaux.
Monsieur le ministre, comment entendez-vous répondre précisément et concrètement aux attentes des soignants hospitaliers et libéraux, sans procéder à une refondation complète des modes de financement entre les financeurs que sont la sécurité sociale et les mutuelles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Milon, le 6 janvier dernier, le Président de la République a tenu un discours devant les soignants au cours duquel il a donné un nouveau cap et indiqué une feuille de route pour la refondation complète de notre système de santé, fondée sur un diagnostic lucide, mais surtout sur un changement dans l’analyse et la méthode.
Vous le savez, il s’agit de passer d’un système qui a été construit autour de l’offre de soins, donc forcément concurrentiel, à un système permettant de mieux répondre aux besoins de santé de nos concitoyens.
Beaucoup a déjà été fait, notamment dans le cadre du Ségur de la santé ou par la suppression du numerus clausus, mais nous devons aller plus loin et plus vite pour répondre aux défis qui sont devant nous – l’ensemble des pays européens et, d’une manière générale, l’ensemble des pays industrialisés doivent d’ailleurs relever les mêmes défis.
Les axes forts consistent à régler les difficultés dans chaque territoire, à sortir de cette logique concurrentielle pour travailler en complémentarité – ville-hôpital, hôpital-clinique, médecins-paramédicaux-personnels médicaux administratifs –, et à retrouver des collectifs à échelle humaine, en particulier grâce aux chefs de service hospitaliers.
Redonner du temps médical, redonner du temps de soins est un enjeu majeur, car, comme l’a précisé le Président de la République, la suppression du numerus clausus ne produira pas ses effets tout de suite.
Cela suppose de laisser les soignants faire ce pour quoi ils sont formés, c’est-à-dire le soin, d’accroître le nombre d’assistants médicaux en aidant à leur installation, de développer les maisons de santé pluriprofessionnelles et d’intégrer, à l’hôpital, les logisticiens et les administratifs au plus près des services.
Il faut utiliser au mieux les compétences et la plus-value apportées par chaque professionnel au sein d’équipes traitantes constituées autour du médecin traitant ou au sein des services hospitaliers, raisonner territoire par territoire et, comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur, réformer le financement de notre système de santé.
Il s’agit en particulier de sortir de la T2A, qui n’est qu’un financement à l’acte, et de développer un financement qui, même s’il continue pour partie de reposer sur le nombre d’actes effectués, réponde aux besoins de santé de la population et dépende de la qualité et de l’efficience des soins.
Nous avons déjà instauré un tel financement pour les services d’urgences, et nous allons l’étendre à l’ensemble des soins – le processus est déjà engagé pour les médecins généralistes.
Tels sont les engagements forts que nous prenons pour les soignants et pour la santé de nos concitoyens, monsieur le sénateur. Soyez assurés que nous les tiendrons très rapidement, car les échéances sont prochaines. Je suis pour ma part pleinement mobilisé en ce sens. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Monsieur le ministre, nous entendons les propositions que vous venez d’évoquer depuis des années. Elles ont déjà été formulées au cours des ministères de Mme Touraine, de Mme Buzyn ou de M. Véran. Il n’y a finalement rien de nouveau ; aucune vision alternative ne structure la réflexion du Gouvernement.
Permettez-moi d’indiquer quelques pistes inspirées par des systèmes de santé qui se construisent autour des soins primaires, du panier de soins régulé, de la mise en réseau obligatoire, d’un pilotage fort et décentralisé – la décentralisation du pilotage des agences régionales de santé (ARS) n’a jamais été évoquée, et c’est bien dommage –, ou encore d’une réflexion, non pas marginale comme vous le proposez, mais globale sur le financement de la santé, en particulier sur les dépenses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
avenir du service public postal
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.
Monsieur le ministre, comme ma collègue Marie-Claude Varaillas tout à l’heure et comme beaucoup de Françaises et de Français, je me demande où va le service public postal aujourd’hui. En effet, depuis le 1er janvier dernier, le timbre rouge, réservé aux envois de lettres prioritaires, n’est plus commercialisé.
La modernité, selon La Poste, serait la e-lettre rouge. Il faudra donc se connecter en ligne pour rédiger ou scanner une lettre, qui sera ensuite retranscrite, puis imprimée par un agent de La Poste avant d’être envoyée. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Où est la confidentialité des correspondances dans ce nouveau processus ?
Cette prétendue révolution pose surtout le problème de l’accès de tous au service public postal. L’égalité est pourtant l’un des grands principes au cœur de la notion de service public dans notre pays.
La réalité est que, en pratique, l’illectronisme touche près de 14 millions de nos concitoyens, surtout en milieu rural. Ces derniers pourront certes toujours se rendre dans un bureau de poste, si bien sûr il y en a un et qu’il n’est pas fermé, pour envoyer leur lettre prioritaire. Mais comment expliquer aux citoyens qu’il faille à présent utiliser un automate, une borne, pour faire envoyer leurs lettres après avoir scanné des documents ?
De plus, en pratique, les agents des bureaux de poste ne pourront pas toujours aider les usagers lorsque l’affluence est très importante. Ils seront donc laissés seuls devant l’automate.
Cette réforme donne l’impression que l’on ajoute de la complexité à quelque chose qui était fort simple.
Enfin, nous apprenons également que, à partir du mois de mars, le courrier ne serait plus distribué tous les jours, mais un jour sur deux, puis – pourquoi pas ? – un jour sur trois. Ce dispositif est expérimenté dans certains départements, mais il risque d’être généralisé à toute la France.
Le risque est grand que cette réforme ne désorganise le service postal et qu’elle n’aboutisse in fine à la suppression de nombreux emplois.
Ma question est simple, monsieur le ministre, et vous n’y avez pas répondu tout à l’heure : laisserez-vous le délitement de ce service public historique se poursuivre ? Il est urgent d’agir, avant que nous ne devenions tous timbrés ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Levi, je ne reviendrai pas sur les constats qui ont conduit le groupe La Poste à prendre ces décisions, mais je tiens à réaffirmer une nouvelle fois le profond attachement du Gouvernement à l’universalité du service postal, qui est d’ailleurs inscrite dans la loi.
Je veux dire, une nouvelle fois, que la présence du facteur est maintenue six jours sur sept. Tout usager rencontrant des difficultés et devant effectuer un envoi prioritaire pourra se faire accompagner par un facteur au bureau de poste.
Enfin, les services de la lettre Services plus, qui arrive deux jours après à destination, et de la lettre verte, qui arrive en trois jours, seront évidemment assurés.
L’expérimentation que vous mentionnez porte sur de nouvelles modalités de distribution dans les 68 communes concernées, mais, en aucun cas, elle ne remet en cause la présence quotidienne du facteur sur l’ensemble du territoire.
En revanche, monsieur le sénateur, je ne peux laisser dire – sur d’autres travées, peut-être – que ce gouvernement se désintéresse de la fracture territoriale. Avec 2 600 maisons France Services (MFS) réparties sur l’ensemble du territoire (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, UC, GEST, SER et CRCE.), avec Action cœur de ville, avec Petites Villes de demain, avec Territoires d’industrie, avec 4 000 conseillers numériques qui ont accompagné 1,3 million de personnes depuis un an sur le territoire national, c’est ce gouvernement qui a mis fin à une quinzaine d’années d’aveuglement sur l’aggravation de la fracture territoriale, vous en conviendrez. (Mêmes mouvements.)
M. Max Brisson. Et La Poste ?
Une voix à gauche. Et les trésoreries ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Soyez convaincus, mesdames et messieurs les sénateurs, de l’attachement de ce gouvernement à la résorption de la fracture territoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.
M. Pierre-Antoine Levi. Je ne suis absolument pas convaincu. Je peux vous confirmer, comme l’ensemble de mes collègues, que La Poste distribue le courrier non six jours sur sept, mais parfois quatre ou cinq jours par semaine seulement. Cette expérimentation inquiète énormément de Français dans tous les territoires.
Je vous le redemande : que ferez-vous pour éviter le délitement du service public ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)
influence française en afrique
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Madame la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à la fin du mois de décembre, les autorités en place à Ouagadougou ont demandé, sous d’obscurs prétextes, le départ de l’ambassadeur de France. Ce nouvel épisode des tensions qui émaillent nos relations avec le Burkina Faso n’est pas sans rappeler le scénario qui s’est déjà produit au Mali et en Centrafrique.
Il illustre surtout le fait que, dans cette partie de l’Afrique, où elle a pourtant tant œuvré, la France est récemment devenue indésirable. Malgré l’engagement de nos militaires contre le terrorisme islamiste et le sacrifice de 53 d’entre eux, malgré le niveau considérable de l’aide au développement déployée dans cette zone prioritaire, jamais la France n’y a été tant critiquée et tant rejetée.
Nos concitoyens expatriés en subissent malheureusement les effets.
Plus largement, c’est bien dans l’ensemble du continent africain que l’influence économique, politique, diplomatique et même culturelle de notre pays ne cesse de s’éroder.
Ses parts de marché ont ainsi fondu de moitié par rapport au début des années 2000, et ce recul ne fait que s’accélérer. Depuis l’année dernière, la France n’est le premier partenaire commercial de plus aucun des pays du Maghreb.
Dans de nombreux pays, la langue française voit son influence reculer. Elle est maintenant concurrencée par l’anglais jusque dans les programmes scolaires voire, comme au Rwanda, en tant que langue officielle.
Si la France reste le premier pays de destination des étudiants africains, sa capacité à attirer les futures élites, pour les former sur son sol, est désormais en recul par rapport à d’autres destinations.
Avec ses formidables atouts, aussi bien humains que naturels, l’Afrique est, à n’en pas douter, un continent d’avenir. Mais cet avenir, si nous ne sommes pas capables de remettre à plat l’ensemble des politiques que nous y avons menées ces dernières années, risque fort de s’écrire sans la France.
Depuis 2017, la situation s’est dégradée et nous en voyons aujourd’hui les conséquences. Alors, madame la ministre, quelle stratégie le Gouvernement entend-il mettre en œuvre au cours de ce quinquennat pour, enfin, enrayer le déclin général de l’influence française en Afrique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Saury, disons les choses : en Afrique comme ailleurs, les manipulations de l’information ne cessent de prendre de l’ampleur. Dans plusieurs pays, la France est visée par des campagnes, dont nous savons bien qu’elles n’ont rien de spontané. Ainsi, la secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux était, hier encore, au Burkina Faso. Je la remercie de cette visite. Elle portait un message clair, comme vous l’avez vu.
Face à cela, nous devons agir, mais avec les moyens et les outils d’une démocratie. C’est ce que nous faisons en opérant un triple changement. J’ai demandé à mon ministère de le mettre en œuvre, car l’Afrique change, et nous devons également changer.
Le changement est, tout d’abord, celui du contenu. Il s’agit de mieux expliquer la réalité de nos partenariats, où l’innovation, les entreprises, les artistes et les jeunes ont une place centrale. Changer, c’est aussi soutenir ceux – journalistes et fact checkers – qui luttent contre la désinformation.
Il s’agit ensuite d’un changement de support. Il nous faut être partout présents, beaucoup plus qu’auparavant, là où se forment les opinions africaines, y compris sur les réseaux sociaux, pour s’adresser à un public plus jeune.
Enfin, il faut un changement d’échelle, par l’accroissement du volume de ce que nous produisons et par la mobilisation du réseau diplomatique, en prise avec les réalités et les interlocuteurs locaux.
Tout cela, monsieur le sénateur, vient en complément de nos relations humaines et économiques, qui persistent et qui changent, elles aussi. L’enjeu est considérable, vous l’avez dit. Soyez assuré que notre mobilisation l’est tout autant. D’ailleurs, si je suis arrivée avec quelques instants de retard à cette séance – je vous présente mes excuses –, c’est parce que le Président de la République recevait le président des Comores. Après cette séance, je me rendrai, avec ma collègue allemande, à Addis-Abeba, siège de l’Union africaine. Comme vous le voyez, nous sommes actifs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
industrie du médicament et problèmes d’approvisionnement
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
Mme Émilienne Poumirol. La pénurie de médicaments, sujet quasi inexistant dans les années 2010, devient un problème majeur de sécurité et de souveraineté nationales, avec une aggravation des tensions depuis la crise covid.
En 2023, nous dépendons encore et toujours de l’Inde et de la Chine en particulier, à qui nous achetons plus de 80 % des matières premières. Moins de 40 % des médicaments sont fabriqués en Europe.
Pourtant, dans le monde d’après, tout devait être différent, le président Macron nous l’avait assuré : la France allait retrouver sa souveraineté industrielle.
Or les pénuries et les tensions n’ont jamais été aussi fortes, en particulier sur les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. À l’hôpital, certains anticancéreux ou immunosuppresseurs utilisés pour les greffes du rein, par exemple, manquent, obligeant à choisir les patients pouvant en bénéficier.
C’est une perte de chances inadmissible.
D’autres pénuries de médicaments aussi courants que le paracétamol ou l’amoxicilline obligent les pharmaciens à délivrer les boîtes au compte-gouttes.
Monsieur le ministre, ma question est simple : quelle est votre stratégie pour retrouver une production en France, ou au moins en Europe ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Poumirol, je souscris en partie à votre diagnostic, mais je vais préciser les choses.
Les deux années de crise sanitaire que nous avons traversées ont bouleversé notre consommation, entraînant à la clé des difficultés d’anticipation des volumes de production par les industriels.
En parallèle, nous constatons une forte reprise de la consommation – 13 % de hausse en France, pour le paracétamol ; la Chine est aussi concernée. La situation ne concerne donc pas que la France ou l’Europe : elle est mondiale.
Notre système d’alerte nous permet d’anticiper cette situation, grâce au suivi de nos stocks stratégiques. Je comprends l’inquiétude de ceux qui cherchent leurs médicaments en pharmacie, tout en étant conscient de la mobilisation remarquable des pharmaciens pour trouver les produits.
Face à ce diagnostic, nous avons mis en place un traitement. Nous avons agi tôt : nous interdisons les exportations – ce qui est en France reste en France –, nous contingentons les stocks et les adaptons pour une répartition homogène sur l’ensemble du territoire, nous échangeons avec les laboratoires concernés pour prioriser certaines formes de médicaments, nous avons autorisé la reproduction d’amoxicilline par des laboratoires en France, nous adaptons la dispensation en officine aux justes besoins des patients, et nous travaillons avec les professionnels sur les alternatives thérapeutiques.
Outre ces actions immédiates, nous allons plus loin dans la reconstruction de notre souveraineté industrielle, mais cela prendra du temps. La France investit massivement, depuis plus d’un an, dans le cadre de France Relance et de France 2030. Des projets concrets de relocalisation voient le jour, avec le projet Seqens pour le paracétamol, mais aussi des masques, des gants en nitrile, ou encore, à Arras, une usine de production de médicaments à partir de plasma sanguin.
Oui, nous sommes sur la bonne voie pour regagner notre souveraineté sur les médicaments. En attendant, nous faisons le maximum pour que tous les Français aient les traitements qui leur sont nécessaires. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, il ne faut pas se cacher derrière la crise. Les mesures que vous indiquez ne relèvent que de la gestion de la pénurie. Notre groupe propose pourtant depuis plusieurs années, dans le cadre de la discussion des PLFSS, plusieurs solutions, à commencer par le renforcement des capacités publiques de production, avec les pharmacies centrales des hôpitaux, celle des armées et la réquisition d’entreprises.
Il faut, surtout, un plan concerté de réindustrialisation, en France et en Europe. Les industriels arguent d’un prix trop bas des médicaments ? Jouons cartes sur table sur la fixation des prix, aujourd’hui protégée par le secret des affaires, pour que ceux-ci tiennent compte des aides publiques directes ou indirectes. La loi du marché et le libéralisme ne peuvent gouverner notre politique en matière de produits de santé, remboursés in fine par la sécurité sociale, donc par l’argent des contribuables.
Pour construire une véritable indépendance de la production, il faut une politique publique forte et volontariste ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
filière automobile électrique
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, l’édition 2023 du salon de l’électronique grand public – Consumer Electronics Show, ou CES – de Las Vegas vient de s’achever. Elle a laissé une large part à l’automobile. À cette occasion, Carlos Tavares, PDG de Stellantis, a sonné une nouvelle charge contre le prix extrêmement bas des véhicules chinois zéro émission, qui met en péril l’industrie européenne. Cette industrie, pour le seul territoire national, représente 210 000 emplois directs, auxquels il faut ajouter les emplois indirects.
À en croire les objectifs affichés par Geely, SAIC et Great Wall, trois constructeurs chinois, un million de véhicules pourraient être exportés vers l’Europe d’ici à dans trois ans. Ils sont déjà en train de construire le système de distribution pour atteindre cet objectif.
Certes, sur le territoire national, les véhicules électriques progressent – 46 % d’immatriculations supplémentaires en 2021 –, mais 80 % de ces véhicules sont importés. La presse ne s’y trompe pas, indiquant que le loup chinois est dans la bergerie.
En effet, la Chine concentre 50 % de la valeur totale d’un véhicule électrique, 75 % de la chaîne de valeur des batteries et 90 % des moteurs électriques produits dans le monde. Face à cela, l’industrie européenne est en très grande difficulté, ne parvenant même plus à pénétrer le marché chinois.
Dans cette bataille qui commence, monsieur le ministre, quelles sont nos armes ? Avez-vous choisi une guerre de position, dans laquelle nous continuons de subir les assauts chinois, ou entendez-vous sortir de la tranchée et lancer une guerre de mouvement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Anne-Catherine Loisier et Mme Sonia de La Provôté applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Madame la sénatrice, je vous remercie pour votre excellente question. Ma réponse est claire : nous sommes favorables à une guerre de mouvement (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), offensive et défensive.
Offensive, tout d’abord : il faut avoir, au XXIe siècle, une industrie automobile électrique en France et en Europe aussi performante que celle du véhicule thermique au XXe siècle. Je rappelle que ce sont ce gouvernement et cette majorité qui ont pris l’initiative, il y a quatre ans, de mettre en place une filière de batteries électriques, pour être moins dépendants de la Chine – nous allons ouvrir les deux premières usines. Notre objectif pour 2030 est de produire de 100 à 120 gigawatts de puissance électrique avec des batteries produites sur le territoire français.
Nous voulons rouvrir une usine de lithium (Mme Sophie Primas s’exclame.), diversifier nos approvisionnements et être indépendants en matière de semi-conducteurs, indispensables aux véhicules électriques : nous avons obtenu l’investissement de GlobalFoundries sur le site de STMicroelectronics pour les développer massivement. L’objectif est donc clair : être indépendants pour la production de véhicules électriques. Voilà pour l’offensive : les matériaux, les batteries, les semi-conducteurs et, au bout du compte et comme l’a annoncé Stellantis, la production de véhicules électriques sur le sol français. Croyez-moi, cette offensive sera très volontariste.
Vous soulevez ensuite une question majeure – je vous invite d’ailleurs à participer aux travaux du projet de loi pour une réindustrialisation verte : celle du volet défensif. Devons-nous réserver les aides – 7 000 euros pour un véhicule électrique, par exemple – à des véhicules produits et assemblés en France et en Europe ? (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est une question légitime : après tout, d’autres le font.
Faut-il renforcer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, au-delà du ciment, de l’acier et de l’aluminium, pour concerner des biens manufacturés comme des automobiles ? (Mêmes mouvements.)
Je n’ai pas la réponse à ces questions. Cependant, la défensive, c’est avoir l’audace de les poser et d’en discuter avec tous les sénateurs et sénatrices qui le voudraient dans le cadre du projet de loi pour une réindustrialisation verte.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. Il faut conclure !
M. Bruno Le Maire, ministre. La Première ministre et moi-même sommes prêts à mettre en œuvre ce volet de l’autonomie sur le véhicule électrique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, vous aviez déjà répondu à certaines des questions que vous avez posées. En octobre dernier, devant la Plateforme automobile, vous disiez qu’il ne fallait pas se laisser envahir et qu’il fallait réserver les aides aux véhicules produits en Europe, ce que vous a proposé le Sénat, avec un amendement diminuant de 500 millions d’euros les aides versées essentiellement aux industriels chinois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. Vous ne l’avez pas retenu, alors que c’était une mesure de souveraineté qui améliorait notre déficit budgétaire ! C’est bien dommage. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Pierre Vogel. Ma question s’adresse à Mme Olivia Grégoire.
La filière équine représente plus de 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 20 000 entreprises et 66 000 emplois directs. Présente dans 91 % des cantons, elle irrigue notre territoire, avec plus de 1 million de chevaux. L’équitation, c’est aussi 2 millions de pratiquants, dont 700 000 licenciés. Elle est la troisième fédération olympique, et il s’agit du premier sport féminin. Le monde du cheval, c’est, enfin, plus de 827 millions d’euros de recettes directes pour l’État grâce aux paris hippiques, et 295 millions d’euros par la TVA.
Alors que beaucoup de Français ont du mal à boucler leurs fins de mois, les activités équines ne sont pas un luxe, mais une force économique pour nos territoires ruraux et la passion d’un grand nombre de nos compatriotes.
Comme vous le savez, à la suite d’une décision de justice européenne, la filière se bat, depuis plus de dix ans, pour retrouver un taux de TVA conforme à son caractère agricole et lui permettant d’être compétitive.
Je rappelle qu’en Irlande, pays qui concurrence directement nos éleveurs, la TVA est de 4,1 %. Alors que le Sénat avait voté, lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, un amendement prévoyant un taux réduit pour la filière, et au lendemain de l’adoption du budget par le 49.3, la déception est grande. Le Président de la République avait pourtant obtenu, en 2022, la révision de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, dite directive TVA, pour permettre à la France de revenir au taux réduit antérieur. Il s’était engagé à le faire dès que possible.
Ma question est donc simple : madame la ministre, quand et par quel véhicule législatif le Gouvernement donnera-t-il à la filière équine un cadre fiscal garantissant sa pérennité et son développement, respectant ainsi sa parole ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Vogel, je vous remercie de votre question, qui est l’occasion pour moi de souligner la constance du Gouvernement sur le cadre fiscal de la filière équine. Cela a été rappelé lors des débats sur le PLF pour 2023 : la cohérence du système fiscal repose sur une application du taux réduit de TVA de 5,5 % réservée aux biens de première nécessité – denrées alimentaires, appareils et équipements pour les personnes handicapées, logement et nourriture dans les maisons de retraite.
Dans cette optique, généraliser le bénéfice du taux réduit de 5,5 % à toutes les ventes d’équidés et à l’ensemble des prestations qui leur sont liées ne serait pas justifié et poserait des difficultés d’équité à l’égard d’autres disciplines éducatives et sportives également dignes d’intérêt.
Le Gouvernement est attentif à la filière équestre, et il apporte un soutien significatif à ses différentes composantes. Je rappelle que l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) dispose d’un budget de 43 millions d’euros, ce qui témoigne de l’engagement constant et du respect de la parole donnée du Gouvernement.
Les échanges entre le Gouvernement et la filière sont approfondis et réguliers. Nous souhaitons qu’ils le demeurent, pour continuer à accompagner cette dernière dans le changement de doctrine européenne que vous avez mentionné, monsieur le sénateur, et, surtout, dans la valorisation des savoir-faire, des pratiques et des activités sportives et culturelles essentielles, sans oublier le tourisme équestre, qui compte un million de pratiquants et permet une découverte inédite du patrimoine de nos régions. Bercy se tient à votre disposition. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, pour la réplique.
M. Jean Pierre Vogel. Les dispositions actuelles sont insuffisantes, car le contexte économique défavorable et, surtout, la distorsion de concurrence entre pays en matière de TVA applicable à la filière équine provoquent l’annulation de courses en France faute de partants, entraînant des pertes de recettes pour le PMU, et donc pour la filière et pour le budget de l’État.
L’application d’un taux réduit de TVA conforme au caractère agricole de la filière est donc urgente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 18 janvier, à quinze heures.
Avant cette séance, nous réaliserons notre photographie officielle, qui n’avait pu être prise en 2020 en raison de la crise sanitaire. Aussi, je vous remercie d’être présents à quatorze heures vingt précises dans l’hémicycle, étant entendu qu’il ne sera plus possible ensuite d’y entrer par la suite.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Crise du système de santé
Débat d’actualité
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’actualité sur le thème : « La crise du système de santé ».
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous la souhaitons en masse le 1er janvier, nous trinquons, étrangement d’ailleurs, en son nom, et nous nous rendons compte encore plus de son importance depuis trois ans. Nous savons à quel point elle nous est précieuse : oui, la santé est et doit demeurer au cœur de nos politiques publiques, car elle est au cœur de nos vies.
Nous l’avons déjà dit, mais il faut toujours le répéter, et la triple épidémie à laquelle nous faisons face nous le rappelle : les professionnels de santé sont essentiels à notre pays.
Leur importance est connue de tous, mais le constat demeure alarmant : trop de Français sont sans médecin traitant, et trop de professionnels de santé sont surmenés face à un flot de patients qui ne baisse pas. Trop de nos concitoyens vont aux urgences faute d’accès à un médecin de garde, et trop de services d’urgences sont surchargés par ces arrivées qui ne devraient pas être nécessaires.
Face à cette situation inquiétante, je souhaite rappeler ici que de nombreuses mesures ont déjà été prises, dont les 19 milliards d’euros investis à travers le Ségur, avec des revalorisations allant de 180 à 400 euros par mois, l’augmentation du nombre de places ouvertes aux infirmiers et aux infirmières, la mission flash sur les urgences et soins non programmés – qui concerne pour partie les difficultés des services d’urgences –, le renforcement des champs de compétences de plusieurs de nos professionnels de santé, ou encore la montée en puissance du parcours d’infirmier en pratique avancée (IPA).
Ces mesures ont ainsi, pour un temps, pansé les plaies de notre système, mais les mouvements de grève nous montrent qu’il reste encore beaucoup à faire.
Plusieurs chantiers nous attendent. Je souhaiterais ici m’arrêter tout particulièrement sur celui de l’égal accès aux soins sur l’ensemble de notre territoire. Cela suppose de répondre à un double enjeu : permettre à chacun de nos concitoyens d’être soigné près de chez lui dès qu’il en ressent le besoin tout en répondant au surmenage de nos professionnels de santé – un travail d’équilibriste, j’en conviens.
C’est ce sujet même qui avait motivé la présentation d’un rapport, rédigé avec mon collègue Philippe Mouiller, intitulé Les collectivités à l’épreuve des déserts médicaux : l’innovation territoriale en action. Nous y avions proposé des pistes de réflexion pour améliorer l’accès aux soins dans les territoires avec le concours des collectivités territoriales, car elles sont évidemment centrales dans la mise en œuvre d’une politique de santé ambitieuse. Ainsi, leurs élus sont parmi les premiers à constater et à subir les inégalités géographiques dans l’accès aux soins.
En dépit des moyens limités dont elles disposent en matière de santé, les collectivités sont nombreuses à prendre des initiatives afin de répondre aux difficultés d’accès aux soins de leurs administrés : création de centres de santé ou de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), développement de la médecine ambulante et de la télémédecine. De fait, elles ne manquent pas d’imagination et de volonté pour apporter des solutions à ce problème.
Plusieurs mesures présentées par le Président de la République lors de ses vœux vont dans ce sens. Je pense ainsi à l’amélioration des conditions de vie de nos soignants, afin de renforcer l’attractivité de ces métiers dans tous nos territoires.
Je pense également à la suppression du plafond de 20 % pour les téléconsultations, car, sans être une solution universelle, ce nouveau mode de consultation est un outil indiscutable pour répondre à la pénurie de médecins, et notamment de spécialistes, dans certains de nos territoires.
Je pense enfin à l’engagement pris de permettre aux 600 000 patients atteints d’une maladie chronique d’avoir un médecin traitant attitré avant la fin de l’année.
Le Président a également annoncé vouloir travailler sur la question des rendez-vous non honorés. Je m’en félicite, car j’ai présenté des amendements allant dans ce sens lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le temps médical est précieux, et il n’est pas juste que certains de nos concitoyens le gâchent en ne respectant pas les rendez-vous pris.
Renforcer le temps médical de nos médecins implique aussi que l’on simplifie les différentes tâches administratives qui leur incombent ou encore qu’on leur apporte le soutien nécessaire.
Face à ces mesures, un enjeu d’importance perdure, et je sais qu’il concentre toute notre attention : la permanence des soins. Je crois profondément au rôle que pourront avoir les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dans l’organisation de cette dernière. Je crois également que les professionnels de santé ont leur rôle à jouer à cet égard, en faisant en sorte de garantir à nos concitoyens, partout en France, un égal accès aux soins, chaque fois qu’ils en ont besoin.
Aucun Français ne devrait se sentir désemparé et seul lorsqu’il est question pour lui de préserver sa santé face à une pathologie ou à l’imprévu.
Des travaux sont en cours ; je pense évidemment aux nombreuses discussions qui ont pu avoir lieu au sein du Conseil national de la refondation en santé (CNR Santé) au niveau de nos territoires. Le dialogue, la coordination et la collaboration nous permettront de préparer les chantiers qui s’ouvrent à nous.
Madame la ministre, à la suite du CNR Santé et des concertations que j’ai évoquées, quelles sont les premières solutions que vous pourriez proposer pour assurer un égal accès aux soins, et plus particulièrement pour garantir la permanence des soins dans tous nos territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tenais tout d’abord, à l’occasion de cette première réponse de l’année, à vous présenter mes meilleurs vœux et à vous souhaiter, comme vous l’avez fait, madame la sénatrice, une bonne santé. Ce serait en effet une très bonne chose si nous pouvions tous être en très bonne santé…
Répondre en deux minutes à la question fondamentale que vous venez de me poser me semble assez difficile, mais, puisque l’occasion me sera offerte de répondre à plusieurs autres questions, je vais tenter de le faire au fur et à mesure de ce débat.
Vous avez commencé votre propos en insistant sur la nécessaire coordination entre les collectivités, les soignants, les élus, les agences régionales de santé et l’État pour satisfaire les besoins de santé de nos concitoyens. Ainsi, nous avons vu pendant la crise sanitaire à quel point les collectivités ont su apporter l’aide nécessaire pour répondre à l’enjeu de la vaccination. Nous pensons que cette coordination est indispensable.
Je suis ministre chargée de l’organisation territoriale : lors de mes nombreux déplacements, je constate à quel point la volonté des élus locaux de participer à l’organisation des soins, de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens est forte.
Telle est d’ailleurs la nouvelle méthode souhaitée par le Président de la République : c’est avec les territoires et à partir des territoires, ensemble, que nous répondrons aux besoins de santé de nos concitoyens.
C’était aussi tout l’enjeu du Conseil national de la refondation : plus de trois cents réunions ont eu lieu, dont mon ministère est en train de faire la synthèse, puisque la dernière réunion s’est déroulée le 16 décembre dernier.
Le ministre François Braun et moi-même présenterons à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février le résultat de ces consultations, qui viendra compléter les propositions faites par le Président de la République vendredi dernier lors de ses vœux aux acteurs de la santé.
Nous parviendrons ensemble à répondre aux besoins de santé de nos concitoyens, au travers à la fois de la refondation de l’hôpital et de celle de la médecine de ville, car l’un ne va pas sans l’autre. Il s’agit d’une absolue nécessité, et même si l’enjeu reste devant nous, ensemble, nous réussirons !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’imagine que, si le président et le bureau du Sénat nous ont invités à débattre d’un tel sujet aujourd’hui, c’est évidemment au regard de l’état actuel de notre système de santé.
Beaucoup de Français, beaucoup de nos compatriotes se demandent comment il est possible que, dans un pays qui consacre 55 % de ses moyens à la dépense publique, laquelle a augmenté de neuf points en vingt ans, la justice et les infrastructures ferroviaires soient dans un tel état, et que le système de santé, que nous croyions jusqu’il y a encore quelques années être le meilleur au monde, soit en train de s’effondrer, tant à l’hôpital qu’en ville.
Il faut leur fournir une réponse. Du reste, on se trompe en ne le faisant pas, car, sans cette réponse, on ne peut pas élaborer le cadre politique approprié pour agir.
À regarder de près cette dépense publique qui a progressé de neuf points en vingt ans, on s’aperçoit en fait que, ce qui s’est accru, ce sont les transferts vers les ménages et les entreprises : ils ont augmenté de dix points en vingt ans.
Le budget consacré aux services publics, quant à lui, a régressé. Et c’est là l’explication principale de l’état actuel de nos services publics : celui-ci ne représente plus qu’un tiers de la dépense publique.
Le secteur de la santé n’a que très partiellement échappé à cette évolution. Si sa part dans la dépense publique a bénéficié d’une hausse de 8 % depuis les années 1980, les plus de soixante ans, pour prendre cet exemple, cette population qui représente l’essentiel de la dépense, a quant à elle progressé de plus de 30 % dans le même temps. Nous consacrons donc, en 2022 et en 2023, moins de moyens à la santé que nous n’en consacrions à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Intéressons-nous maintenant à la rémunération des professionnels, y compris ceux qui travaillent dans le privé – en effet, s’il y a des acteurs privés, le financement est, vous le savez très bien, essentiellement public – : sa part dans le PIB a baissé de 2 points depuis 1995.
Mes chers collègues, nous pourrons aborder tous les thèmes et engager tous les débats essentiels relatifs à la gouvernance et à la conception du système de santé, la répartition des tâches entre les uns et les autres, tous ces points qu’Alain Milon a d’ailleurs listés tout à l’heure en posant sa question d’actualité au Gouvernement, mais tant que nous resterons dans ce cadre général, nous ne ferons que gérer la pénurie.
La maison France sous-finance ses services publics depuis au moins vingt ans. Et cela n’a pas changé ces six dernières années ! Cela continue puisque nous avons adopté un budget de la sécurité sociale qui, pour la première fois depuis que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) existe, progressera moins que l’inflation. Ce sont des faits incontestables.
Malgré tout, il faut se pencher sur les différents chantiers en cours.
Aussi, j’ai entendu, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt le chef de l’État.
Il y a six ans, j’étais comme un certain nombre d’entre vous à l’Élysée et j’avais applaudi à la fin du discours du Président consistant à présenter Ma santé 2022 et ses dix chantiers prioritaires.
Lors de ses vœux aux professionnels de santé la semaine dernière, j’ai constaté que les propositions du chef de l’État étaient restées les mêmes six ans plus tard : six ans de perdus !
La réforme de la tarification à l’activité, la T2A, figurait déjà dans Ma santé 2022. Elle est nécessaire, mais n’a toujours pas été menée. Et l’épidémie de covid-19 n’explique pas tout, loin de là !
Affirmer que la santé est une politique prioritaire de notre pays, que préserver le service public de santé revient à préserver un haut niveau de soins et un égal accès aux soins pour nos concitoyens constitue donc une nécessité politique. Ce n’est qu’ensuite, et ensuite seulement, que l’on pourra discuter des différents sujets et faire en sorte que cette discussion ne soit pas un simple instrument de gestion de la pénurie, mais permette d’impulser un nouvel élan à la politique de santé de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, pour tenter de répondre à votre question, je vais tout d’abord me permettre de vous rappeler deux chiffres : depuis 2017, le budget consacré à la santé a augmenté de 53 milliards d’euros, soit une hausse de 20 %, pour s’établir à plus de 240 milliards d’euros ; par ailleurs, cela fait deux projets de loi de financement de la sécurité sociale, deux années de suite donc, que nous ne faisons aucune économie sur le budget de l’hôpital.
Vous avez raison : l’enjeu est à la fois de faire en sorte que les moyens soient bien utilisés et orientés vers les bonnes personnes. Tel est le défi que nous avons à relever.
Notre objectif est de fidéliser les soignants, car nous savons très bien que, par exemple à l’hôpital, ce n’est pas parce que les moyens manquent que les lits ferment, mais parce qu’il n’y a pas assez de personnel.
Nous devons aussi rendre les métiers attractifs. Pour ce faire, nous avons notamment, chose que personne n’avait jamais faite, procédé à un rattrapage au niveau des salaires.
Vous l’avez souligné, le Ségur de la santé a contribué à une augmentation des rémunérations, dont une enveloppe de 12 milliards d’euros pour les soignants, et à débloquer 19 milliards d’euros pour les investissements.
En 2018, le Président de la République avait posé un diagnostic clair. Ce qu’il a établi vendredi dernier à Corbeil-Essonnes, ce n’est pas le diagnostic, mais la feuille de route : il a ainsi fixé un cap et un objectif ambitieux.
Enfin, monsieur le sénateur, si la réforme de la T2A n’a pas pu être menée à bien depuis le lancement du plan Ma santé 2022, c’est parce que – vous ne l’avez sans doute pas oublié –, entre-temps, nous avons fait face à une crise sanitaire et que les soignants et les personnels administratifs avaient vraisemblablement autre chose à faire qu’à réformer le système de financement de l’hôpital ! (M. Bernard Jomier hoche la tête en signe de désapprobation.)
M. Éric Jeansannetas. Trop facile !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vendredi dernier, le Président de la République, lors de la présentation de ses vœux aux personnels de santé, a reconnu que notre système de santé connaissait une crise multifactorielle et qu’il fallait le réorganiser, mais ce sans moyens supplémentaires.
Ainsi, alors que l’hôpital est à l’agonie, que la médecine de ville est en grande difficulté, aucun financement exceptionnel ne sera dégagé par le Gouvernement.
Emmanuel Macron a acté l’épuisement des soignantes et des soignants, constaté que de nombreux patients n’ont plus de médecin traitant, déploré que de plus en plus d’étudiantes et d’étudiants infirmiers abandonnent leurs études en cours de route. Ce sont autant de problèmes que nous avons dénoncés dans cet hémicycle, sans que les ministres au banc les prennent en compte.
Et le président Macron continue dans la même veine en prescrivant les mêmes remèdes qui ont aggravé les maux de notre système de santé.
Pour répondre à la grogne des médecins libéraux, notamment à propos de la charge administrative excessive qui est la leur, il a promis de créer 10 000 postes d’assistants médicaux d’ici à la fin de 2024, sans pour autant instaurer de dispositif de régulation à l’installation. Il a également misé sur une forme de récompense pour celles et ceux qui accepteraient de prendre en charge davantage de nouveaux patients.
S’agissant des gardes de nuit et des week-ends, au lieu de revenir sur le décret Mattei qui, en 2002, a supprimé l’obligation pour tous les médecins d’y participer, il en est resté à des mesures d’incitation particulièrement inefficaces.
Je vous rappelle, madame la ministre, que notre groupe demande depuis des années le rétablissement de cette obligation pour les généralistes, ainsi que pour les spécialistes, d’assurer ces permanences.
Face aux nombreuses luttes en cours du côté des médecins libéraux et des personnels hospitaliers, aux alertes de plus en plus nombreuses en raison de la triple épidémie de covid-19, de bronchiolite et de grippe, qui renforce le désarroi et la colère des soignants, on aurait pu espérer que les réponses du Président changent radicalement la donne.
Or, alors que les différents personnels sont épuisés, que toutes et tous remettent en cause les conditions et la charge de travail, qui entraînent les départs en nombre de praticiens hospitaliers, ce seraient les 35 heures qui seraient à l’origine de la désorganisation de l’hôpital.
Mais pourquoi ne pas plutôt s’interroger, madame la ministre, sur la hausse du nombre d’embauches qui aurait dû accompagner cette baisse du temps de travail ? Pensez-vous motiver les équipes, au bout du rouleau, en leur demandant de gérer la pénurie de personnels ?
Les revendications sont sur la table depuis longtemps : revalorisation des carrières et augmentation des traitements indiciaires de la fonction publique, moratoire sur les fermetures de services, d’établissements, ainsi que sur les suppressions de lits. Depuis 2017, 21 000 lits d’hospitalisation ont été supprimés, soit 5 % des capacités d’accueil !
Mais, surtout, il y a urgence à mettre en place un plan de recrutement dans le service public hospitalier, en créant 100 000 emplois, comme le demandent les syndicats et les collectifs de défense de l’hôpital.
Parallèlement, il faut revenir sur Parcoursup, supprimer le numerus apertus et accroître les capacités de formation des universités.
En outre, pour mieux articuler soins hospitaliers et soins de ville, il convient de développer des centres de santé partout en France, en veillant à leur attribuer les moyens nécessaires.
Madame la ministre, mes chers collègues, ce qui ressort des nombreuses auditions que la commission des affaires sociales a conduites, c’est la déshumanisation de l’hôpital et l’hérésie d’un « hôpital-entreprise ».
Aussi, pour redonner de l’attractivité à l’hôpital, il faut « redonner de la bientraitance institutionnelle », comme le souligne le docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste.
Cela passe, outre l’amélioration des conditions de travail que j’ai déjà mentionnée, par la mise en œuvre de la démocratie sanitaire.
Ainsi, la création d’un tandem administratif et médical est une mesure positive qui répond à une demande très forte des soignants hospitaliers. Il faudra l’accompagner d’autres mesures, comme la suppression des pôles au profit des services, le retour d’un conseil d’administration qui garantisse une meilleure représentation des personnels, des élus, ainsi que des usagers, et qui soit doté d’un droit de veto sur le budget et le projet d’établissement.
Alors, bien sûr, il faut rompre avec la T2A. Mais l’essentiel est d’arrêter de faire voter un budget de la sécurité sociale insuffisant chaque année, car nous en subissons les conséquences au travers de la dégradation quotidienne de l’offre de soins pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire.
En conclusion, madame la ministre, ma question est simple : allez-vous enfin garantir un financement de l’assurance maladie à la hauteur des besoins, et donc augmenter les recettes au lieu de réduire les dépenses, ce qui met à mal l’hôpital et la médecine de ville ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, vous avez raison, la crise est multifactorielle. C’est bien la raison pour laquelle il nous faut absolument refonder notre système de santé. Et quand je dis « refonder notre système de santé », il s’agit à la fois de l’hôpital et de la médecine de ville. On n’y arrivera pas si l’on ne travaille que sur une seule jambe. Pour que tout aille bien, il nous faut absolument agir à la fois pour la ville et pour l’hôpital.
Je le répète, nous avons contribué à une augmentation de 20 % du budget consacré à la santé depuis 2017, dont 12 milliards d’euros alloués à l’augmentation des salaires – même si nous sommes d’accord qu’il ne s’agissait que d’un rattrapage – et 19 milliards d’euros en investissement.
On peut toujours décréter qu’il faille embaucher 100 000 personnes. Moi, je vais rappeler un chiffre : l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) a embauché 2 200 infirmières en 2022, alors que, entre-temps, 2 800 d’entre elles sont parties.
Mme Laurence Cohen. Et pourquoi ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. L’enjeu, je le redis, est à la fois de mettre en œuvre tous les moyens pour fidéliser les personnels en activité et de rendre les métiers attractifs.
Pour fidéliser les personnels en place, il faut tout d’abord – vous l’avez évoqué – prévoir un rattrapage au niveau des salaires : celui-ci a eu lieu ; il nous faut aussi travailler et travailler encore sur la question de la qualité de vie et coconstruire sur ce sujet.
La fidélisation passe aussi, comme l’a dit le Président de la République, par la refonte des emplois du temps à l’échelle des services.
Il convient également de redonner du sens aux métiers, en permettant aux soignants de rester dans le même service, en leur évitant, comme certains le pensent ou le disent peut-être, de « boucher les trous » dans le service d’à côté.
Il faudra enfin sortir de cette spirale négative et aboutir à ce que chacun se dise que ces métiers de la santé sont de beaux métiers, donner envie aux jeunes de s’engager dans cette filière. On ne réussira que si, à un moment donné, tout le monde en parle positivement.
Pour conclure, je rappellerai que la majoration des indemnités pour travail de nuit a été prolongée dans le cadre de la mission flash sur les urgences l’été dernier.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, si vous réussissez tout aussi bien que vous le dites, comment expliquer que notre système de santé soit dans l’état dans lequel il est ?
Ensuite, parlons chiffres : excusez-moi, mais la réalité, c’est 1,7 milliard d’euros de moins pour le budget de la santé. Voilà la réalité ! C’est cela que vous avez fait voter !
Vous nous parlez d’argent, mais cet argent existe ! Simplement, ce sont vos choix politiques qui sont en cause : il manque 70 milliards d’euros dans les caisses de la sécurité sociale du fait de l’exonération des cotisations patronales. Eh bien c’est là qu’il faut puiser, car il n’est pas vrai de dire que cette mesure est créatrice d’emplois.
Les besoins dans le domaine de la santé, hors inflation, sont évalués à 10 milliards d’euros.
Vous voyez, madame la ministre, d’un côté, il y aurait 70 milliards d’euros de recettes, de l’autre 10 milliards d’euros de dépenses. Mais vous ne voulez pas faire ce choix-là et vous êtes en train de mettre notre système de santé à genoux.
Certains personnels sont en souffrance et ne se satisfont pas de vos paroles : regardez tous les mouvements qui se développent un peu partout. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’importance de notre débat m’invite à commencer mon propos par une citation de William Arthur Ward : « Le pessimiste se plaint du vent ; l’optimiste espère qu’il va changer ; le réaliste ajuste ses voiles. »
Crise des urgences, tensions engendrées par la triple épidémie de covid-19, de grippe et de bronchiolite, déprogrammation de soins médicaux, déficit criant de personnels hospitaliers, postes vacants, démissions, soignants en burn-out : la liste des notes de cette triste mélodie est bien longue.
La situation de l’hôpital continue d’inquiéter dans un contexte où la demande augmente du fait du vieillissement de la population. Nos services publics d’urgence connaissent des sous-effectifs chroniques et restent sous tension pour faire face à un afflux important de patients.
Cette situation inadmissible, qui continue à se dégrader depuis l’été 2022, est le révélateur de la crise profonde que traverse notre système de santé et témoigne du poids important de l’hôpital, en particulier de l’hôpital public, dans la prise en charge des urgences.
L’engorgement des urgences résulte d’une conjonction d’éléments défavorables.
D’abord, l’accès à une consultation chez un médecin généraliste dans un délai raisonnable devient de plus en plus compliqué. La question du temps médical disponible continuera de s’aggraver avec la croissance des départs à la retraite non remplacés.
Ensuite, les praticiens ne s’installent pas de façon harmonieuse sur le territoire. Le problème des déserts médicaux est récurrent, non seulement en secteur rural et en outre-mer, mais aussi en zone urbaine.
Enfin, il existe un déficit d’information sur la conduite à tenir en cas de problème de santé. Ainsi, de nombreux patients qui se rendent aux urgences de leur propre chef le font faute d’une meilleure orientation.
Il importe de mettre en place des mesures alternatives pour accueillir des soins non programmés, et ce afin de répondre aux besoins des patients qui souffrent d’un mal qui ne relève pas de l’urgence vitale, ce que l’on appelle la petite « bobologie ».
Il serait aussi pertinent d’inciter les médecins de ville installés dans les maisons de santé à maintenir une permanence particulièrement les week-ends, afin de désengorger les urgences.
Néanmoins, ce dispositif ne peut être imposé au niveau national tant les situations sont différentes d’une région à une autre. En revanche, les agences régionales de santé peuvent jouer un rôle moteur dans différentes expérimentations. Je vous mets cependant en garde : à trop attendre, la voie de l’obligation de garde finira par s’imposer.
Au-delà, des adaptations du terrain se révèlent nécessaires : une meilleure coordination des soins, un meilleur partage des compétences, une meilleure répartition du pouvoir de décision et des responsabilités entre médecine de ville et hospitalisation.
Augmentation des capacités d’accueil en médecine de ville, accompagnement au travail collectif, développement de la télémédecine de manière bien encadrée, amélioration de la qualité de vie au travail, réduction du temps perdu dans les démarches administratives sont d’autres pistes de réflexion.
La pénurie de soignants, d’infirmiers et de médecins risque de s’installer dans la durée. Force est de constater que l’augmentation des salaires prévue dans le cadre du Ségur de la santé n’a pas entraîné une nette évolution des recrutements. Afin de résoudre le problème de ressources humaines en santé, il est essentiel d’établir un plan pluriannuel.
Mes chers collègues, face à cette crise, aucune solution simple n’existe. Mais, pour reprendre les mots de Winston Churchill, « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ». Hélas, je crois que c’est déjà fait… (Mme la ministre déléguée rit.)
Madame la ministre, notre retard est significatif. N’attendons plus ! Alors que plus de six millions de Français n’ont pas de médecin traitant, une transformation ambitieuse de notre système s’impose. Celle-ci nécessite l’engagement de toutes les professions de santé dans une démarche collaborative pour améliorer l’accès aux soins et garantir la qualité des pratiques.
À l’aube de cette nouvelle année, reconstruisons ensemble notre système de santé.
Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je souhaiterais que vous nous exposiez, madame la ministre, votre vision réformatrice, ainsi que le plan d’action du Gouvernement en matière de prévention, de gestion de crise, pour répondre dans l’urgence aux défis auxquels est confronté l’ensemble de notre système de santé avec ses deux piliers, le public et le privé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, 87 % du territoire est un désert médical.
L’hôpital ne va pas bien et c’est bien la raison pour laquelle – je le redis et je pense que je vais le redire encore et encore – il est nécessaire de refonder notre système de santé – médecine de ville et hôpital – et de travailler à une meilleure coordination entre public et privé – vous avez bien fait de le souligner.
En six mois, j’ai effectué environ quarante déplacements, souvent lointains. Je peux vous assurer, et ce que vous avez dit sur le sujet est très juste, que nous ne pouvons pas appliquer la même méthode en Île-de-France, qui est le plus vaste désert médical, que dans la Drôme, où je suis allée récemment. C’est donc bien à partir des territoires et avec les territoires que nous allons élaborer les réponses.
Je suis raisonnablement optimiste parce que nous constatons que les territoires apportent des solutions efficaces. La volonté et la résilience des professionnels, de tous les professionnels, il faut le souligner, nous rendent raisonnablement optimistes et vont nous permettre, en complément de la feuille de route établie par le Président de la République et des travaux du CNR, de vous faire des propositions.
Ce dont nous sommes convaincus, c’est qu’il nous faut mieux répartir la tâche – c’est particulièrement vrai pour ce qui concerne la permanence des soins. Nous ne pouvons pas laisser à quelques médecins seulement la charge d’assurer cette permanence. Il nous faut développer sur le thème de la responsabilité collective une logique de « gagnant-gagnant ». C’est ce que nous sommes en train de faire, notamment dans le cadre de la négociation collective menée avec les médecins.
Comme je viens de le dire, il nous faut donc mieux répartir la charge de la permanence des soins. C’est ce sur quoi nous travaillons et c’est l’une des réponses que je peux apporter à vos nombreuses questions.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon le préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous […] la protection de la santé ». Mais ça, c’était avant !
Depuis le début de la présidence En Marche, les Français ont pourtant entendu tant de promesses : dès 2018, le président Macron présentait un grand plan pour la santé appelé Ma santé 2022, censé structurer notre système pour les cinquante prochaines années. En 2020, c’était le Ségur de la santé, en 2021, le plan Innovation Santé 2030 puis, en 2022, l’annonce brutale de la refondation d’un système que vous jugez « à bout de souffle ».
Notre système de santé, envié par le monde entier, a été saccagé en quelques années.
Car la réalité de votre politique, la voilà : 4 300 lits fermés à l’hôpital public en 2021, 5 700 lits fermés au cœur de la pandémie en 2020 ! Au total, 21 000 lits ont été supprimés en cinq ans, lesquels viennent s’ajouter aux 10 000 lits fermés sous François Hollande et aux 37 000 fermés sous Nicolas Sarkozy.
On comptabilise près de 100 000 lits fermés en vingt ans alors que notre population augmente et que son vieillissement nécessite davantage de soins et, donc, de moyens.
Les déserts médicaux concernent la France rurale, mais aussi une partie de la France urbaine, jusqu’à nos hôpitaux où nous trouvons porte close devant les urgences.
Notre système de santé encourage à faire du chiffre, ne promeut plus la qualité des soins et essore le personnel soignant.
Les images qui nous viennent de tous les hôpitaux de France sont déplorables : depuis le début de décembre, 150 patients seraient morts aux urgences faute de prise en charge.
Je veux aussi vous dire, madame la ministre, que des milliers de soignants non vaccinés viennent, pour la deuxième fois, de passer les fêtes de Noël suspendus, sans salaire et sans indemnités de chômage. La France est le dernier pays européen à ne pas les avoir réintégrés ! Le dernier ! Vous qui n’avez de cesse de vous référer en toutes circonstances à nos voisins européens, qu’attendez-vous pour les imiter ?
Je manque de temps pour évoquer les pénuries enregistrées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, conséquence de notre dépendance à la production étrangère.
En ce début d’année où nous échangeons des vœux de bonne santé – que je vous adresse bien sincèrement, madame la ministre –, quelles sont les actions concrètes qu’a déjà engagées votre gouvernement pour creuser les « oasis » nécessaires au milieu de ce désert médical national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous avez beaucoup parlé d’Europe. Je vous invite, puisque vous observez ce qui se passe à l’étranger, à regarder l’état dans lequel se trouvent les systèmes de santé des autres pays européens : le manque de professionnels est mondial, j’y insiste.
On ne peut pas se satisfaire de cette réponse, mais on ne peut pas non plus dire que l’herbe est plus verte ailleurs. Regardez bien ce qu’il se passe en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne et même aux États-Unis : le manque de professionnels de santé, je le répète, est mondial.
Il nous faut trouver des moyens pour notre pays : c’est ce à quoi nous travaillons et c’est ce que nous allons faire grâce à la feuille de route fixée par le Président de la République.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réplique.
M. Stéphane Ravier. Madame la ministre, j’avoue mon humilité : je suis sénateur français, c’est donc le système médical français et nos compatriotes qui m’intéressent. Je ne peux me contenter d’entendre dire qu’ailleurs c’est pire ou de vous écouter justifier la situation qui est la nôtre, laquelle est pourtant le résultat direct des politiques menées par les gouvernements français.
Faisons preuve d’un peu d’audace, de réflexion et d’autonomie pour que les idées franco-françaises permettent à notre système de santé d’évoluer de nouveau selon une pente favorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (M. Henri Cabanel applaudit.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout au long du XXe siècle, la France avait le meilleur système de santé du monde. Mais depuis trente ans, si l’excellence est toujours là, notre système de santé publique connaît sans doute l’une des plus grandes crises de son histoire.
C’est bien simple, trop de nos concitoyens, ruraux en particulier, ne trouvent plus de médecins de ville et les médecins qui restent n’en peuvent plus.
C’est tout le système de santé qui doit donc se réinventer, moyennant l’investissement de tous, à la mesure de ses moyens, et grâce à la responsabilité de chacun.
Lors de ses vœux aux personnels soignants, le Président de la République a évoqué quelques pistes d’action, dont certaines méritent d’être précisées.
Parfois, ce qui paraît être une bonne idée peut s’avérer complexe. Je citerai un exemple, celui des 600 000 malades chroniques. Un malade chronique peut souffrir de diabète, d’une entorse au pied ou d’une dépression. Pas de chance, me direz-vous, mais à qui devra-t-il alors s’adresser, sachant que le médecin de ville est la personne à qui l’on parle de tout ?
Vous me permettrez en effet d’adopter un point de vue, celui du patient qui cherche, qui parfois a peur et qui doit être aiguillé, parce que ce n’est pas son métier. À ce titre, le préadressage est essentiel. Nous souhaitons rapidement surdoter les centres 15 et 18 dans chaque département. Nous demandons la prompte mise en œuvre des plateformes de service d’accès aux soins (SAS), prévues pour orienter convenablement les patients, selon une logique de pluridisciplinarité. Nous pensons qu’il est utile de généraliser des plateaux techniques avec des infirmiers en pratique avancée, permettant de traiter la « bobologie », quand cela est opportun, ou de préadresser les patients aux urgences avec des examens déjà réalisés.
Le Président de la République a évoqué une sorte de donnant-donnant visant à rétablir des permanences de santé contre une consultation mieux rémunérée. Des maisons médicales de garde ouvertes le week-end seraient, à nos yeux, un objectif prioritaire. Les plateformes SAS pourraient déjà disposer de créneaux de réservation de rendez-vous des médecins de ville, des kinésithérapeutes ou des infirmiers. Nous souhaitons en retour que les rendez-vous non honorés soient sanctionnés quand l’abus est manifeste, parce que ces créneaux sont des trésors.
Nous avons besoin d’une réelle régulation publique, décentralisée et pluridisciplinaire.
Où concentrer nos efforts à moyen terme ? Dans les territoires, avec les acteurs locaux, et ce dès le début de la scolarité supérieure. Nous avons constaté que les plus jeunes médecins et infirmiers souhaitaient pratiquer la médecine de façon collégiale, une proposition identique devrait alors être faite – je le crois – à nos étudiants.
Nous déplorons tous l’installation des jeunes médecins ailleurs que dans nos territoires ruraux ou sous-dotés. Cependant, c’est oublier que la cassure territoriale se produit dès le premier stage d’internat. Nous proposons ainsi la création de lycées médicaux, ou d’options médicales, sur le modèle des lycées agricoles.
Nous croyons également nécessaire d’introduire, de nouveau, un entretien dans le cadre des inscriptions en école d’infirmiers et en faculté de médecine, afin d’éviter de trop nombreux abandons, mais aussi de permettre le redoublement de la première année pour empêcher les fuites à l’étranger.
Nous proposons l’agrandissement des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et la création de petits centres universitaires médicaux décentralisés dans des villes moyennes, adossés à des logements. Ainsi, les étudiants en médecine, insupportablement sous-payés, pourront découvrir, avec leurs amis, la réalité de nos territoires, dans le cadre d’une démarche contractualisée. Ils n’auront plus à s’inquiéter de trouver un toit ni de chercher à revendre leurs tours de garde à des camarades plus riches afin d’assurer leur subsistance. Les collectivités locales y sont prêtes. Les Alpes de Haute-Provence y sont prêtes, car nous savons combien un soignant en devenir, ou en place, est précieux.
Cela me conduit à mon dernier point.
Nos territoires sous-dotés ont dû investir dans le recours à des médecins intérimaires hospitaliers, parce que rien ne marchait. Nous ne cautionnons pas ces pratiques, mais il est cependant nécessaire de faire avec l’existant. Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale limitant ce recours, tandis que la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, prévoyait une restriction d’emplois au cours de cette année. Le flou profite déjà aux intérimaires, qui dressent des listes d’établissements acceptant ces pratiques, et il est bien évident que nos établissements publics hospitaliers ne pourront pas s’aligner.
Madame la ministre, comment nos hôpitaux, déjà exsangues, pourront-ils tenir s’ils sont désertés du jour au lendemain par ces intérimaires ? Ne pourrions-nous pas créer, dans ces cas précis, des postes fixes dans les structures concernées ? (M. Henri Cabanel applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous m’avez posé de nombreuses questions, aussi vais-je essayer de répondre à quelques-unes d’entre elles.
S’agissant de nos 657 000 concitoyens souffrant d’une affection de longue durée (ALD), donc suivis pour une pathologie chronique, c’est l’urgence. Nous devons apporter des réponses à leur situation, collectivement avec les médecins.
Le cap a été fixé par le Président de la République : avant la fin de l’année, chaque patient atteint d’une ALD doit avoir accès à un médecin traitant. Ce travail sera réalisé avec la Caisse nationale d’assurance maladie.
Nous allons rapidement pouvoir appeler chaque patient souffrant d’une ALD et le mettre en contact avec un médecin traitant. Nous sommes dans une logique de « gagnant-gagnant ». Les médecins sont les premiers concernés, si je puis dire, et veulent absolument nous accompagner afin de répondre à ce besoin. Un patient atteint d’une ALD, par exemple en situation de décompensation diabétique, se retrouvera alors aux urgences. Il nous faut donc travailler très rapidement sur ce sujet.
Nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer dans cet hémicycle : la réforme ou l’évolution du parcours de formation de nos infirmières et de nos infirmiers est nécessaire ; nous le savons.
Un taux de fuite s’élevant à 30 % en première année, puis à 20 % à la fin de la formation, signifie que 50 % de nos jeunes qui ont commencé une formation d’infirmier ou d’infirmière ne la poursuivent pas jusqu’à son terme. Cela veut dire qu’un problème existe. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) est très clair sur ce point. Nous allons aussi, rapidement, faire des propositions afin d’éviter cet écueil.
Au sujet des rendez-vous non honorés, nous pouvons tous apporter des réponses si nos concitoyens nous y aident. Les besoins de santé ne sont pas des besoins de consommation et un rendez-vous n’est pas un bien de consommation comme un autre : je prends un rendez-vous, je l’honore, car si je ne m’y rends pas, cela signifie que quelqu’un d’autre n’a pas pu être pris en charge. Nous allons donc travailler et faire des propositions.
Concernant le pacte avec les collectivités, souhaité par le Président de la République, celui-ci est nécessaire. Mes nombreux déplacements montrent à quel point l’investissement des collectivités, afin de rendre le territoire attractif et d’accueillir de jeunes internes ou de jeunes médecins, est intéressant.
La maison des internes et des soignants à Morteau est un bel exemple de travail de coconstruction entre les collectivités, les ARS et les soignants, afin de permettre aux jeunes de découvrir le milieu rural ou semi-urbain et d’éventuellement s’y installer.
Enfin, s’agissant de l’intérim, nous avons pris la décision d’une mise en application à partir du mois de mars : cette loi est votée et doit donc être appliquée. Nous avons trouvé une voie avec les ARS et les hôpitaux. Les ARS sont prévenues, mais évidemment, il nous faut trouver les personnels… (M. Jean-Yves Roux acquiesce.)
M. le président. Madame la ministre déléguée, veuillez conclure.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Oui, monsieur le président. Je compléterai ma réponse tout à l’heure.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ses vœux aux acteurs du secteur, le Président de la République a tenté de fixer un nouveau cap pour la santé dans notre pays.
Ce cap était nécessaire et attendu. Après trois ans d’une pandémie qui a épuisé les soignants et qui continue de les mobiliser quotidiennement, il se devait d’aller au-delà d’une sorte de rediffusion de Ma santé 2022 voire d’un « autosatisfecit » presque gênant.
Le constat dressé par le Président de la République est largement connu et partagé. Les annonces, en revanche, manquent de contenu et, concrètement, de crédibilité au service de la santé des Françaises et des Français.
La médecine de ville est en crise, tiraillée entre des besoins plus importants de la population, des « déserts médicaux » toujours plus préoccupants et des professionnels de santé qui, en nombre insuffisant, peinent à dégager le temps médical nécessaire.
Face à cela, nous avons eu droit au catalogue des annonces relatives au système de santé des cinq dernières années.
Quelle signification concrète pour la solidarité collective, les revalorisations différenciées, la valorisation de l’exercice coordonné ? Certes, ce n’est pas simplement une question de moyens, mais nous sommes au milieu d’une négociation conventionnelle particulièrement tendue !
D’un seul coup, le seuil de 20 % de téléconsultations ne serait plus pertinent. Quelle médecine voulons-nous ? Une médecine sans examen clinique pratiquée dans des centres d’appels éloignés des populations ? Une médecine à deux vitesses vidant un peu plus encore les territoires ? La télémédecine est un outil complémentaire, mais ne doit pas être un substitut « ubérisé » à une médecine de qualité.
Il faut embaucher davantage d’assistants médicaux, nous dit le Président de la République. Soit ! Cependant, pour ce qui est du financement, aucune précision !
Bien sûr, le Président de la République s’est aussi prononcé sur la délégation d’actes, estimant qu’elle devait être « simplifiée, généralisée » et qu’« il ne faut pas qu’il y ait de conflits entre les professions ». Quels choix cette formule sibylline traduit-elle ? Que veut dire concrètement apporter une « solution de santé en incitant les acteurs de santé sur un territoire à coopérer entre eux » ? Quid, par exemple, des infirmiers en pratique avancée, à peine cités par le Président de la République ?
Au chapitre des solutions simples, le Président de la République a annoncé, concernant les 6 millions de Français sans médecin traitant, que les 600 000 malades chroniques qui n’en disposent pas s’en verraient prochainement proposer un par la Caisse nationale de l’assurance maladie. On se demande pourquoi cette annonce n’est pas venue plus tôt…
Surtout, se poser la question du nombre de Français dépourvus de médecin traitant est une chose ; se demander quel est le rôle de ce dernier aujourd’hui dans le système de soins en est une autre. Or, pour cette seconde question, aucune vision n’est portée par l’exécutif. « Le médecin traitant doit être la porte d’entrée, mais pas le verrou de notre système » : en disant cela, certes, on ne fâche personne, mais on ne résout aucun problème.
Quelle est la feuille de route poursuivie par la multiplication désordonnée des accès directs ? Comment ces derniers sont-ils justifiés, mis en cohérence ? Au-delà d’être la « porte d’entrée », comment donner réellement au médecin traitant les moyens d’être le pivot ?
En Suède, où s’est rendue la commission des affaires sociales, le rôle du médecin traitant n’est pas de s’occuper de la régulation, laissée souvent aux infirmiers, mais bien du diagnostic médical et de la coordination des soins. Est-ce le choix qui nous est annoncé ?
S’agissant de l’hôpital, qui connaît une crise tout aussi profonde et durable, malheureusement, le discours présidentiel n’était pas beaucoup plus clair.
Bien sûr, l’annonce « choc » relative à la tarification à l’activité a fait couler beaucoup d’encre. Derrière ce slogan d’une fin de la T2A, le Président de la République n’a fait que reprendre ce que la commission d’enquête du Sénat appelait de ses vœux l’an dernier : un modèle de financement mixte, avec une part de dotation communément appelée populationnelle, un financement lié à la qualité et, bien sûr, une part demeurant assise sur l’activité.
Cette annonce ne suffira pas à rassurer les professionnels de santé, car, répétons-le, le problème de la T2A n’est pas de lier le financement à l’activité, mais bien d’appliquer un tarif qui ne couvre pas réellement les charges des établissements. Se tromper de problème, c’est apporter une mauvaise solution.
Par surcroît, on nous dit aujourd’hui qu’il n’y aura pas de transition et que le nouveau modèle sera voté dès le PLFSS pour 2024 ! Que de promesses quand nous voyons que le Gouvernement n’a même pas conduit l’expérimentation d’un tel modèle de financement, pourtant votée dans le cadre de la LFSS pour 2021, et que les réformes du financement des soins de suite ou de la psychiatrie, jamais passés à la T2A, ne sont toujours pas effectives.
J’aimerais, pour ma part, que le Gouvernement nous fasse l’exégèse du verbe présidentiel quand il proclame qu’« on doit sortir de la tarification à l’activité dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale », tout en annonçant plus loin « une part de rémunération à l’activité qui est tout à fait légitime et qui doit continuer ».
Surtout, en évoquant un changement de modèle de financement, le président Macron évite précautionneusement le sujet de la dépense et de sa régulation. Alors que l’on nous annonce des revues de dépenses et que la maîtrise de la dépense publique est une nécessité, quelle part le Gouvernement veut-il réellement consacrer à l’hôpital ?
Madame la ministre, si le nouveau modèle de financement n’est qu’une nouvelle règle de partage du même gâteau, économisons-nous des débats techniques et gardons le système actuel !
Le premier engagement à prendre à l’égard de l’hôpital est celui de l’humilité. La commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France avait choisi de ne pas appeler à une nouvelle loi Santé, comme elle avait revendiqué de ne pas engager de nouveau des modifications de la gouvernance, estimant que le cadre issu des réflexions du professeur Claris laissait la souplesse nécessaire pour revaloriser le service, d’une part, et pour « médicaliser » la direction, d’autre part.
Cessons d’annoncer de fausses révolutions et des changements de paradigme en trompe-l’œil : le véritable besoin des soignants aujourd’hui, ce sont les effectifs. Où en sont les recrutements ? Comment les hôpitaux sont-ils en capacité de renouer avec l’attractivité des postes, des carrières, et en capacité de financer davantage de soignants auprès du lit des patients ?
C’est cela la réalité des prix, madame la ministre ; c’est cela la réalité de la politique que vous avez à mener.
La feuille de route donnée par le Président de la République ne permet de déceler aucune ambition concrète pour les soignants et le système de santé qu’ils portent et, je le crains, n’annonce aucune politique structurée de la part du Gouvernement face à la crise que nous connaissons.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, cette année 2023 commence par des annonces qui n’en sont pas, pour des réalisations dont je crains qu’elles n’en soient pas. Des mots, toujours des mots, les mêmes mots, rien que des mots… Je vous souhaite néanmoins, madame la ministre, une excellente année 2023. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, je vais essayer, par des mots qui seront suivis d’actes, de vous convaincre.
S’agissant des assistants médicaux, l’objectif du Gouvernement est que leur nombre passe de 4 000 à 10 000. En effet, l’emploi d’un assistant médical engendre un gain de 15 % de temps médical que le médecin généraliste peut alors consacrer au suivi des patients et à la prise en charge de nouveaux malades.
Concernant le financement, il faut être très clair : il est annoncé et s’élève à 36 000 euros la première année, à 27 000 euros la deuxième année et à 21 000 euros à partir de la troisième année. Le financement est donc assuré après la troisième année.
Le médecin traitant doit demeurer la pierre angulaire de notre système de santé. Le Président de la République l’a clairement dit ; c’est une volonté affichée et assumée. Il peut être le chef d’orchestre, mais ne sera pas l’homme-orchestre. Le Président de la République l’a également affirmé, me semble-t-il, et vous l’avez certainement noté.
Quand le Président de la République souligne qu’il ne doit pas être un verrou, cela signifie que d’autres professionnels pourraient constituer une porte d’entrée permettant d’amener ces quelque 6 millions de nos concitoyens dépourvus de médecin traitant vers l’un d’entre eux.
À propos de la téléconsultation, la crise sanitaire a été un accélérateur de son usage ; nous avons gagné presque quinze ans s’agissant de son développement. Néanmoins, lorsque le Président de la République aborde la question du seuil maximal de 20 % de téléconsultations par an, il ne s’agit pas de déréguler le système, mais de tenir compte du caractère bloquant de ces 20 % pour certaines spécialités. Je pense notamment à la psychiatrie, pour laquelle ce seuil est clairement limitant.
Ce n’est donc pas déréguler le système, mais faire en sorte de l’utiliser au mieux pour certaines spécialités. L’usage de la téléconsultation – et nous partageons la même analyse – est aussi un complément, qui, dans certains territoires, peut être intéressant. C’est bien l’objectif fixé.
Concernant la T2A, le Président de la République n’a pas annoncé sa suppression totale. Je rappelle que cela figurait dans la feuille de route de 2018. Il était impossible – je l’affirme de nouveau – de réformer le financement de l’hôpital avec la crise sanitaire que nous avons traversée dès 2020.
L’objectif est de coconstruire, avec les professionnels, cette réforme de la tarification de l’hôpital, tout en tenant compte des enjeux en matière de populations, de qualité et de pertinence des soins – comment éviter certaines dépenses ? M. le sénateur Milon l’a évoqué tout à l’heure –, sans sortir complètement de la T2A, puisqu’une part pourra être conservée. Puisque vous avez été également attentive au discours, vous savez que le chantier de cette réforme sera lancé dès le PLFSS pour 2024.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail des soignants, que ce soit en ville, en médico-social ou à l’hôpital. Ils réalisent un travail remarquable dans des conditions très difficiles.
Depuis de nombreuses années maintenant, le monde de la santé fait face à de graves difficultés. La pandémie a révélé et aggravé les contraintes qui pèsent sur notre système de santé, malgré une augmentation importante de l’Ondam de 4 % cette année et de 57 milliards d’euros depuis 2017.
Nous sommes maintenant à un tournant. Nous ne pouvons plus laisser notre système de santé se dégrader davantage. Avec vous, madame la ministre, nous devons trouver des solutions pour remédier à la situation.
À la croisée des nombreuses difficultés que connaît notre système de soins se trouvent les services d’urgence. Leur état d’engorgement est alarmant, comme le soulignera mon propos.
Alors que l’État doit pouvoir garantir de disposer de soins sur l’ensemble du territoire, les urgences sont aujourd’hui devenues le dernier rempart médical pour un nombre important de nos concitoyens.
Il est cependant essentiel que ces services restent focalisés sur les cas graves et qu’ils ne soient pas « embolisés » simplement par des soins non programmés, qui n’ont pas pu être prodigués faute de médecins.
Pour qu’ils puissent accomplir au mieux leur mission, les services d’urgence doivent tout d’abord être préservés, en amont, par une régulation efficace. En Corrèze, le nombre de personnes qui se sont rendues aux urgences au cours de l’année 2022 a augmenté de 10 %, soit un doublement en vingt ans. La régulation doit permettre de distinguer ce qui relève de l’urgence de ce qui n’en relève pas.
Une bonne régulation doit aussi réorienter. À cet égard, il me semble indispensable que les médecins de ville, qui auront à leur disposition des IPA et des assistants médicaux afin de libérer du temps médical, acceptent de réaliser davantage de soins non programmés, notamment ceux qui sont destinés aux patients qui auront été réorientés depuis les services d’accès aux soins, qui sont aux côtés du médecin régulateur.
Ces soins pourraient être assurés dans le cadre d’une communauté professionnelle territoriale de santé avec des maisons de santé pluriprofessionnelles, qui pourraient être de garde à tour de rôle afin de prendre en charge les soins non programmés.
Il convient ensuite de soulager les services d’urgence également en aval. Une fois la situation médicale du patient stabilisée, il doit être transféré hors des urgences. Un problème se pose alors. En effet, il est très fréquent que les autres services hospitaliers, devenus hyperspécialisés, refusent d’accueillir un patient qui ne relève pas de leur spécialité.
Les services d’urgence n’ont pourtant pas les moyens de conserver ces patients sans mettre en péril l’exercice de leur mission. Il faudrait mettre en place, en aval, des services de soins polyvalents destinés à accueillir les patients qui doivent être hospitalisés.
Pour cela, madame la ministre, il faudra trouver les moyens de rouvrir des lits. Ces dernières années, beaucoup de lits ont été fermés en raison d’un manque de personnel. Pour les médecins, la suppression du numerus clausus – je n’en parlerai pas – aura des effets seulement en 2030.
Actuellement, des mesures peuvent être prises afin de disposer de davantage d’infirmières et d’aides-soignantes. Ce besoin ne fera d’ailleurs que croître avec le temps, au fur et à mesure que la population deviendra de plus en plus dépendante, en raison notamment de son augmentation entre 2020 et 2030.
La prévention sera nécessaire, tout comme la prise en charge de nos aînés. Or, à ce jour, cette dernière est minutée dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ce qui décourage les soignants. Le plan Grand Âge doit être rapidement mis en place, avec les 50 000 emplois annoncés par le ministre Jean-Christophe Combe.
Un plan massif de formation est aussi nécessaire. La validation des acquis de l’expérience semble être une bonne piste.
Par ailleurs, aux termes du dernier PLFSS, les étudiants devront effectuer une quatrième année d’internat auprès d’un médecin maître de stage ; or il n’y en a pas partout. Je suggère que les six derniers mois puissent être réalisés auprès d’un médecin référent pour irriguer l’ensemble des territoires. Le médecin référent connaît bien la patientèle et est apte à conseiller ainsi qu’à orienter. Un médecin senior, en dixième année et détenteur d’une thèse, doit être payé comme un remplaçant, c’est-à-dire dix consultations par jour minimum.
Les défis que nous devons relever sont nombreux. Madame la ministre, nous devons ensemble, le plus rapidement possible, résoudre les problèmes situés en amont et en aval des urgences, ainsi qu’embaucher massivement des infirmières et des aides-soignantes, afin de prendre en charge les personnes arrivant dans ces services.
Un aménagement de la quatrième année est obligatoire pour irriguer tout le territoire, mais aussi, comme cela a été dit, pour aider les collectivités à embaucher des médecins salariés. La téléconsultation peut également rendre quelques services. (Mme Colette Mélot et M. Jean-Claude Requier applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous avez raison, les défis devant nous sont nombreux. Ensemble, nous trouverons les solutions à mettre au service de notre système de santé.
Je partage pleinement la nécessité d’assurer une gradation du recours aux différents niveaux de soins. Les services d’urgence sont aujourd’hui trop souvent la seule solution identifiée, par défaut, par nos concitoyens. Le manque de médecins de ville en est sans doute le meilleur des exemples.
Le déploiement du service d’accès aux soins constituera une véritable solution pour les patients afin que chacun soit orienté, en cas d’indisponibilité de son médecin traitant, vers une solution de soins non programmés, adaptée à son état de santé.
C’est ce que nous allons réaliser, puisque les services d’accès aux soins, après avoir été mis en place cet été dans le cadre de la mission d’urgence, seront développés, car ils apportent une réelle réponse aux besoins des territoires.
En amont des urgences, nous sommes résolument engagés à soutenir les services de régulation grâce à un plan massif afin d’attirer des candidats et de former des assistants de régulation médicale, mais aussi en faveur des médecins régulateurs, dont nous avons déjà revalorisé financièrement la mission depuis l’été 2022.
Vous avez raison, il nous faut aussi agir en aval des urgences pour fluidifier les parcours. Pour cela, nous avons réactivé les cellules de gestion territoriale des lits qui ont fait leurs preuves durant la crise sanitaire et qui permettent d’avoir une vision complète des capacités d’accueil de l’ensemble des établissements d’un territoire.
Nous avons aussi autorisé, face aux tensions induites par la triple épidémie, des mesures dérogatoires pour disposer de davantage de véhicules susceptibles d’assurer des transports, grâce au possible remboursement par l’assurance maladie des trajets de taxi effectués à la sortie des services d’urgence ou grâce au recours à des équipages d’auxiliaires ambulanciers pour des transports ne nécessitant pas de surveillance médicale.
La clé, vous le soulignez, réside dans les ressources humaines, qu’il s’agisse de former de nouveaux professionnels ou de convaincre ceux qui ont quitté le système de revenir.
C’est sur les enjeux d’attractivité et de prise en compte de la pénibilité que nous sommes en train de travailler, travail qui doit produire des effets très rapidement.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la crise du système de santé.
Je crains, malheureusement, que cette question ne soit déjà obsolète.
Notre système de santé n’est plus en crise. Une crise, c’est soudain, une crise, c’est brusque et momentané, et puis une crise, cela passe.
Notre système de santé n’est plus en crise. Notre système de santé n’est même plus au bord de l’effondrement : notre système de santé s’effondre, sous nos yeux.
Qui aurait pu le prévoir ? Toute personne s’étant renseignée sur le sujet !
Si notre système de santé s’effondre, c’est la conséquence mécanique, logique et implacable de choix politiques, de mauvais choix politiques, qui ont déjà coûté des vies parmi, comme toujours, les populations les plus précaires et qui maltraitent, chaque jour, des soignantes et des soignants.
Trente-six des trente-huit infirmiers et infirmières ou soignants du service des urgences de l’hôpital de Saint-Avold sont en arrêt maladie. Résultat : l’absence d’accueil la nuit à partir de dix-neuf heures.
À l’hôpital de Pontoise, en région parisienne, 90 % des effectifs des urgences sont en arrêt maladie.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Je ne peux plus entendre dire que c’est la faute du covid-19, de la grippe, des bronchiolites ou, comme on nous le rabâche tous les matins depuis des mois, des trois à la fois.
Un système de santé existe pour éviter que les gens ne tombent malades et pour les soigner quand ils le sont.
Un système de santé ne s’effondre pas à cause des maladies, comme un système éducatif ne s’effondre pas à cause de l’illettrisme, comme un système judiciaire ne s’effondre pas à cause des crimes, comme un système électoral ne s’effondre pas à cause des élections.
Le système de santé est là parce que la maladie existe, parce que la prévention est nécessaire et parce que la guérison est possible. C’est son objet, le sens même de son existence.
S’il s’effondre parce que les gens tombent malades, c’est qu’il s’effondre de lui-même. Et s’il s’effondre de lui-même, c’est parce qu’il a été sous-financé au point qu’il ne puisse simplement plus tenir.
Je ne peux pas entendre, non plus, que c’est la faute des 35 heures.
Quel déshonorant mépris à l’encontre de celles et de ceux qui, à bout de souffle, s’épuisent chaque jour et chaque nuit, et qui persistent à le faire, malgré tout, afin de remplir la mission qu’ils ont acceptée : soigner.
Si, pour soigner, il faut soi-même être malade et épuisé, si, pour guérir les autres, il faut se tuer à la tâche, si notre système de santé doit reposer sur des personnes condamnées à en avoir besoin, car elles ne sont pas en bonne santé, tout cela n’a plus aucun sens.
Alors non, la responsabilité de l’effondrement de notre système public de santé n’est celle ni des maladies ni des 35 heures.
La responsabilité incombe à celles et à ceux qui ont organisé le désinvestissement dans l’hôpital public, le forfait patient urgences, les salaires de misère, les conditions de travail indignes, la tarification à l’acte, les fermetures de lits et de services, les déserts médicaux.
Notre système de santé subit l’enchaînement, depuis plusieurs décennies, de décisions politiques à courte vue, dominées par une idéologie mortifère, qui consiste à considérer que les services publics doivent coûter le moins cher possible ainsi qu’à ne pas reconnaître la santé comme un bien commun et que le service public qui s’en occupe doit – nous le répétons depuis tellement d’années ! – être organisé uniquement en fonction des besoins.
Cependant, il y a sans doute plus grave encore. Permettez-moi de vous lire quelques phrases.
« Selon un rapport de l’OMS de 2016, 23 % des décès dans le monde sont directement liés au fait d’avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre. […] Ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l’environnement. Le changement climatique et l’appauvrissement de la biodiversité provoqueront des chocs écologiques de forte amplitude sur notre économie et la société, dont la pandémie actuelle, d’origine zoonotique » – ce texte date quelque peu – « n’est qu’une des premières manifestations. […]
« […] Notre protection sociale n’est pas suffisamment résiliente face aux risques environnementaux et l’État ne s’est pas doté des outils prospectifs pour faire face à la survenance plus fréquente et plus aiguë d’événements climatiques et de crises imprévues, dont les effets sur les finances publiques seront lourds de conséquences. La pandémie […] l’a démontré avec force. Les chocs futurs risquent d’être encore plus violents. Il est donc urgent de changer de paradigme, avec des politiques publiques dont l’impact environnemental est pris en compte dès la conception et en développant une culture de prévention, d’adaptation et de résilience de notre système de protection sociale. »
Ce n’est pas moi qui ai écrit ces quelques lignes, en tout cas pas directement ; elles viennent du rapport adopté par notre chambre sur la sécurité sociale écologique, dont j’avais l’honneur d’être la rapportrice.
Qui peut prévoir l’impasse vers laquelle nous fonçons ? Ici, tout le monde ; simplement, tout le monde ici n’est pas au pouvoir pour l’éviter… (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
(Mme Pascale Gruny remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, ce n’est effectivement pas une crise que traverse notre système de santé et, ce que nous devons accomplir, c’est sa réforme structurelle. C’est bien pourquoi nous parlons de refondation.
Comme toute activité humaine, le système de santé est bien sûr sensible aux enjeux climatiques. Le Gouvernement fait de la santé environnementale une de ses priorités dans la politique de santé : ce sujet figure ainsi dans ma feuille de route. À ce titre, j’ai pris part ce matin aux travaux du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), au cours desquels nous avons pu poser quelques briques d’un projet de santé environnementale dont j’aurai sans doute l’occasion de venir vous parler dans les semaines à venir.
La France fait partie des États européens les plus engagés en matière de santé environnementale. Elle élabore tous les cinq ans un plan national santé environnement (PNSE) décliné en région.
Inscrits dans le code de la santé publique, les plans successifs ont permis des avancées notables pour réduire l’impact de l’environnement sur la santé, mieux prendre en compte la santé environnementale à toutes les échelles du territoire et développer des programmes de recherche structurés.
Le quatrième plan a été lancé en 2021. Il comporte plusieurs axes pour réduire les expositions environnementales affectant la santé humaine ou encore mieux connaître les expositions et les effets de l’environnement sur la santé des populations et des écosystèmes.
De même, nous prenons en compte les impacts environnementaux des activités de santé. L’évacuation des déchets d’activités de soins à risques infectieux sans atteinte de l’environnement ou le développement des possibilités de recyclage font ainsi l’objet de travaux associant l’ensemble des professionnels de santé.
De tels enjeux concernent beaucoup de ministères : soyez convaincue que le Gouvernement met tout en œuvre pour que ce dossier soit traité à l’échelle interministérielle. Je suis systématiquement aux côtés de Christophe Béchu et de Bérangère Couillard lorsqu’il s’agit de parler des problèmes relatifs à l’air ou à l’eau. La santé environnementale figure bien parmi nos sujets de préoccupation.
Enfin, prévenir, c’est guérir : voilà pourquoi la prévention est aussi un enjeu majeur de la politique que nous avons l’intention de mener. C’est tout le rôle du ministre de la santé et de la prévention et, dans le cadre du dernier PLFSS, nous avons déjà pris des mesures en ce sens.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tous les secteurs de la santé dans notre pays traversent une crise profonde, qu’il s’agisse de la médecine de ville, de l’hôpital ou des professions paramédicales. Tous les acteurs de santé font état de leur épuisement et de leur découragement.
La santé est un bien commun. Chaque citoyen devrait pouvoir se faire soigner de manière optimale, ce qui n’est plus le cas, loin de là, depuis de nombreuses années.
La crise actuelle renforce ma conviction profonde : il est absolument nécessaire de créer un nouveau service public de la santé et il est indispensable que ce dernier soit fort.
Rappelons une évidence : le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
Les réactions des différents acteurs de la santé à l’intervention présidentielle de vendredi dernier sont majoritairement marquées par un sentiment de déception.
Le président Macron est fidèle à sa ligne politique avec, par exemple, la remise en cause des 35 heures à l’hôpital, vieille lune de la droite. La réponse au malaise actuel de l’hôpital serait de faire travailler plus les personnels hospitaliers sans que ces derniers gagnent plus.
Rappelons que, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, la majorité présidentielle a voté la possibilité pour les médecins et les infirmières de travailler jusqu’à 72 ans : quel cynisme !
Il est urgent de dégager des vraies solutions pour répondre à la pénibilité des métiers. Beaucoup d’infirmières, par exemple, abandonnent leurs fonctions moins de cinq ans après leur diplôme.
Certaines solutions préconisées peuvent sembler aller dans le bon sens, comme la remise en cause de la T2A à l’hôpital ; mais prenons garde aux modalités d’application.
En outre, madame la ministre, pouvez-vous nous préciser ce que sont « les objectifs de santé à l’échelle d’un territoire » évoqués par le Président de la République ?
Le chef de l’État a aussi mentionné les conseils d’administration des hôpitaux, qui, semble-t-il, sont censés se substituer aux conseils de surveillance actuels. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Il vous appartiendra de mettre en application les annonces présidentielles, mais – force est de le constater – vous paraissez affaiblie par la nécessité, éprouvée par le Président de la République, de monter en première ligne.
La réorganisation de la médecine de ville a peu été abordée, alors qu’elle constitue le cœur du problème. Les dispositifs d’incitation ont échoué : même l’ancienne ministre de la santé Roselyne Bachelot le dit, alors qu’ils ont été créés sur son initiative.
Au titre des gardes, on ne prévoit pas de mesure contraignante pour les médecins libéraux. L’obligation de garde permettrait pourtant de décharger les urgences hospitalières des « petites urgences ».
En parallèle, les conditions d’exercice, pourtant difficiles, des internes en médecine hospitalière ne font l’objet d’aucune réflexion.
Rappelons que 30 % de nos concitoyens vivent dans un désert médical, que 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant et que 600 000 d’entre eux souffrent d’une affection de longue durée. Sur ce point précis, les mesures annoncées vendredi dernier ne rassurent pas.
La délégation de soins et, donc, la possibilité pour les paramédicaux de prescrire est une orientation intéressante, mais dangereuse, si elle n’emporte pas l’adhésion des professionnels de santé et si elle ne s’inscrit pas dans un projet global.
Le Président de la République semble avoir totalement renoncé au volontarisme politique dans le domaine de la santé : pas de moratoire sur les fermetures de lits ; incertitudes quant aux moyens ; pas d’annonce sur les déserts médicaux.
La santé a besoin d’un plan global et cohérent, loin des annonces à l’emporte-pièce. C’est pourquoi nous, sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sommes favorables à un plan massif d’investissement dans le domaine de la santé.
En conclusion, j’insiste sur l’importance d’associer l’ensemble des parlementaires, notamment les sénateurs, à la construction d’un projet global de santé pour notre pays, seul à même de garantir le droit à la santé pour tous nos concitoyens.
Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Jean-Luc Fichet. Dans le cadre des réflexions et des travaux à venir, il nous faudra saisir l’occasion de mettre un coup d’arrêt à la gestion privée…
Mme le président. Cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole et je vous rappelle qu’un autre débat doit suivre.
M. Jean-Luc Fichet. Merci ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, nous sommes d’accord au moins sur un point : la santé est un bien commun.
C’est bien parce que les différents secteurs de la santé et leurs acteurs vont mal qu’il nous faut – je le répète – refonder l’ensemble de notre système de santé, qu’il s’agisse de l’hôpital ou de la médecine de ville.
Le Président de la République n’a pas remis en cause les 35 heures à l’hôpital. Il a simplement dit qu’il fallait donner plus de souplesse et d’autonomie au système hospitalier pour organiser les emplois du temps à l’échelle d’un service. Ce sera le moyen d’accroître la qualité de vie au travail et de redonner du sens à celui-ci. Il faut permettre aux soignants de rester dans le service qu’ils ont choisi au lieu d’aller de service en service, comme c’est trop souvent le cas actuellement.
La réforme de la T2A doit être programmée par le prochain PLFSS ; cette réflexion sera lancée prochainement. À cet égard, nous devons coconstruire différents objectifs de santé publique, y compris à l’échelle des territoires. En effet, ces objectifs ne peuvent pas être les mêmes partout ; ce n’est pas possible, même si nous devons assurer un socle national.
Pour ce qui concerne les médecins généralistes, la nouvelle convention médicale est en cours d’élaboration : les discussions doivent se poursuivre jusqu’au mois de mars prochain.
Nous souhaitons que la médecine de ville s’inscrive dans une logique de gagnant-gagnant et le médecin traitant doit rester la pierre angulaire de notre système de santé.
Je rappelle que 650 000 de nos concitoyens en ALD sont actuellement sans médecin traitant. Pour ce qui les concerne, nous nous sommes fixé un objectif ambitieux et je suis sûre que nous arriverons, avec les médecins, à répondre à leurs besoins.
Enfin, la délégation de tâches ne se fera pas contre les professionnels, bien au contraire : elle se coconstruira avec eux, et avec eux tous. C’est tout l’enjeu du comité de liaison des institutions ordinales (Clio), lesquelles ont exprimé une volonté unanime en ce sens ; c’est ce que nous allons mettre en œuvre avec les professionnels de santé.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique. (Mme Catherine Deroche proteste.)
M. Jean-Luc Fichet. Cette réplique me permettra de conclure mon propos, madame la présidente.
Il est temps de mettre un coup d’arrêt à la gestion privée lucrative des établissements de santé. Le scandale Orpea a révélé ce qui peut se passer dans les maisons de retraite : à la lumière de cette affaire, il est grand temps de s’orienter davantage vers le public et le privé non lucratif.
Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre système de santé traverse une crise grave, profonde, inédite et généralisée, dont les victimes sont tout autant les soignants que les patients. Chacun d’eux se sent lésé, oublié et désespéré.
Le problème dont il s’agit est d’ordre mathématique : il y a, d’un côté, une demande de soins et, de l’autre, une offre de soins. L’unité de mesure est le temps horaire. Il faut réussir, très vite, à remettre un signe « égal » entre les deux membres de cette équation.
Du côté de la demande de soins, il faut un travail de fond sur la prévention, d’une part, et la bonne orientation des patients, de l’autre. Il faut éviter que ce volume ne soit gonflé par tout ce qui est évitable, tout particulièrement par les actes redondants.
Les mesures de prévention relèvent du temps long ; l’efficacité du parcours de soins relève d’un temps plus court, mais elle est très perturbée par la pénurie généralisée de soignants, associée à une forme de panique des patients, qui leur fait rechercher n’importe quelle solution en cas de besoin.
Du côté de l’offre de soins, le volume est gravement insuffisant, toutes professions de santé confondues.
Madame la ministre, concernant l’offre de temps médical, il faut des mesures urgentes et parfois de simple bon sens, qui nous remontent du terrain, que vous connaissez déjà, mais que l’on n’arrive pas à rendre opérationnelles.
Par exemple, les dossiers de médecins étrangers, européens ou non, aux équivalences reconnues en France, doivent être traités en urgence par les services du Conseil national de l’ordre. Ils sont des milliers en souffrance ; certains de ces praticiens attendent parfois depuis des mois une date de réunion de commission et l’on nous sollicite tous les jours pour des dossiers de cette nature : c’est incroyable qu’on ne puisse pas faire mieux. Renforcez les services s’il le faut, madame la ministre.
Pour reprendre mon équation à multiples inconnues, je ne pense pas que le temps médical soit toujours optimisé. Nous disposons pourtant de plusieurs solutions : délégation de tâches de soin, télémédecine dans certains cas, ou encore allégement des tâches administratives. Il faut que les médecins puissent se concentrer sur leur principale plus-value, c’est-à-dire le diagnostic. Ils ne doivent plus perdre la moindre minute à effectuer des transports ou encore à remplir des papiers.
Le volume de temps médical offert dépend bien sûr du nombre de médecins. Si, pour de multiples raisons, les nouveaux praticiens produisent globalement deux fois moins de temps médical que ceux des générations précédentes, il faut théoriquement en former deux fois plus.
Même si l’on actionne les autres leviers, force est de constater qu’avec 12 000 médecins formés par an au lieu de 20 000 la situation ne fera qu’empirer.
Nos facultés et nos professeurs de médecine, même avec les cours en distanciel, ont-ils atteint un maximum capacitaire ? Chaque année, des professeurs de médecine démissionnent désormais de leur chaire faute de moyens pour mener leurs travaux : dès lors, on comprend qu’il faut redonner de l’attractivité à ces carrières essentielles.
Certains de nos étudiants partent aujourd’hui pour la Roumanie ou l’Espagne afin de former.
Mme Sonia de La Provôté. Tout à fait !
Mme Nadia Sollogoub. Cette situation traduit un élitisme insupportable. Nous sommes face à un grave constat d’échec.
D’une façon plus générale, l’attractivité des carrières est un sujet d’une brûlante actualité.
Les médecins généralistes ne réclament pas qu’une augmentation de leurs actes. (Mme la ministre déléguée le confirme.) J’entends surtout qu’ils demandent un dialogue, une reconnaissance et les moyens d’attirer, partout sur le territoire, de jeunes praticiens passionnés.
Pour ma part, je m’interroge : comment se sentent les étudiants en fin de cursus, avant de faire le grand saut dans la marmite bouillonnante du système de santé français ? Ce ne sont pas des primes qu’il faut leur donner, mais des assurances.
Nous manquons de 60 000 infirmiers, mais 120 000 diplômés n’exercent pas en France. Peut-on renouer le dialogue avec ces derniers ? Il serait plus rapide de les faire revenir que d’en former de nouveaux. En parallèle, comment éviter que nos futurs diplômés ne jettent l’éponge au bout de quelques années ? Ce gâchis de formation est dramatique et coûte terriblement cher.
L’attractivité – je l’ai dit – n’est pas purement financière. Nos auditions nous laissent entendre que l’hôpital pâtit aussi de problèmes de gouvernance et de lourdeurs administratives. À cet égard, l’hôpital de Valenciennes, où les soignants semblent s’épanouir et dont le budget est excédentaire, peut-il être une source d’inspiration ?
J’ai évoqué la situation des médecins et des infirmiers. Mais que dire des aides-soignants, des sages-femmes, formées en nombre dramatiquement insuffisant, des dentistes, qui sont toujours sous les radars, ou encore des kinés…
Mme le président. Merci, chère collègue !
Mme Nadia Sollogoub. La réplique me permettra de conclure… (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, avec la mise en place du numerus apertus en 2019, nous avons beaucoup augmenté notre capacité à former des médecins. Ce sont ainsi près de 52 000 étudiants en médecine qui seront formés entre 2021 et 2025 par toutes les facultés du pays, soit 10 300 par an en moyenne. Toutefois, compte tenu de la longueur des études de médecine, les effets de la fin du numerus clausus ne seront pas perceptibles avant 2030 : nous avons encore huit années difficiles devant nous.
Il nous faut donc travailler autrement.
Vous évoquez la délégation de tâches : c’est clairement une solution que nous devons approfondir.
Je le répète, nous souhaitons que le médecin reste la pierre angulaire et le chef d’orchestre de notre système de santé. Contrairement aux caricatures que l’on rencontre parfois, il ne s’agit pas de le remplacer par des acteurs moins qualifiés.
Au contraire, nous voulons que chaque professionnel de santé puisse se concentrer sur les missions pour lesquelles il a été formé, donc lui permettre d’exercer son métier. Certaines tâches, un peu répétitives ou plus simples, peuvent ainsi être déléguées à des professionnels paramédicaux. La délégation d’actes doit être simplifiée, généralisée, et s’inscrire dans une logique d’exercice coordonné ou de réseau pour inciter chacun à coopérer.
Pour ce qui concerne les praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue), nous avons retenu, dans le cadre du dernier PLFSS, la date du 30 avril 2023 pour assurer la gestion du stock de demandes. Cet objectif sera tenu. Pas plus tard que tout à l’heure, nous avons évoqué cette question lors d’une réunion avec l’ordre des médecins ; ce dernier s’engage à nous accompagner, avec le centre national de gestion (CNG), pour tenir ce cap. De même, il s’engage à travailler, dans le cadre du projet de loi relatif à l’immigration, à la gestion du flux de demandes.
J’en viens à « Mon espace santé ». À ce titre, 65 millions de Français ont aujourd’hui un espace ouvert et moins de 2 % de nos concitoyens se sont opposés à sa création. Plus de 5 millions de documents y sont versés chaque mois. C’est un outil au service de la coopération entre les professionnels de santé. De plus, grâce à lui, les Français peuvent s’approprier pleinement leur dossier médical.
Vous avez raison : renouer avec tous les professionnels qui n’exercent plus, afin de les faire revenir, est aussi un moyen de répondre plus rapidement au manque d’effectifs criant que nous constatons. Je le répète, nous ne manquons pas tant de moyens que de professionnels.
Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Parmi les professionnels en souffrance, je tiens également à citer les pharmaciens.
Madame la ministre, selon moi, le cœur de l’équation n’est pas le nombre de professionnels de santé, mais le temps médical. Certes, on augmente de 10 % le nombre de médecins formés, mais les intéressés donneront beaucoup moins de temps médical que leurs prédécesseurs. Si ce temps est réduit par deux, il ne faut pas 10 % de médecins supplémentaires : il en faut deux fois plus.
Voilà pourquoi l’équation retenue par le Gouvernement est mauvaise. La suppression du numerus clausus ne résout pas du tout le problème : on ne forme toujours pas suffisamment de médecins et la situation ne va faire qu’empirer. (Marques d’approbation sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Bravo !
Mme le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour un débat d’actualité relatif à la crise du système de santé. Malheureusement, le terme d’actualité est un euphémisme : quand une situation dure et se dégrade, de jour en jour, de mois en mois et d’année et d’année, on parle de routine quotidienne, si délétère soit-elle.
Le sujet est vaste et ces quelques minutes ne sauraient suffire pour balayer les multiples causes qui ont conduit à la situation actuelle.
La pandémie a évidemment aggravé l’épuisement des professionnels de santé, à l’hôpital comme en ville. Elle a surtout révélé la perte de notre souveraineté sanitaire.
La crise du système est d’abord le fruit de plusieurs années de politiques hasardeuses en matière de santé. Comment ne pas rappeler les coups de rabot subis par l’hôpital, comme par le secteur du médicament et du dispositif médical, dans une logique dominée par la maîtrise des dépenses de santé et la réduction du déficit de la sécurité sociale ? Comment en est-on arrivé là ?
Les 35 heures non compensées ont été appliquées à l’hôpital alors que ce dernier prend en charge des patients vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Qu’on le veuille ou non, elles l’ont désorganisé.
En conséquence, on a demandé aux internes de travailler sans compter ; on sait combien leur contribution est importante pour le fonctionnement de l’hôpital. En est résulté, pendant des années, une formation très « hospitalocentrée », cependant que la médecine générale était dévalorisée.
Le souci du déficit de la sécurité sociale est d’abord celui d’une juste dépense de l’argent public ; mais depuis des années Bercy a pris, à ce titre, le pas sur l’avenue Duquesne, à une exception près – il faut le reconnaître –, la pandémie de covid-19. Pour répondre à cette crise sanitaire, l’on a accepté un déficit historique de la sécurité sociale.
L’objectif national de dépenses d’assurance maladie pour 2023, rejeté dans cet hémicycle en novembre dernier, illustre l’incohérence entre, d’un côté, d’importants moyens financiers – ils s’élèvent à 250 milliards d’euros – et, de l’autre, des missions d’intérêt général parfois mal identifiées ou encore un financement de l’hôpital qui ne fait l’objet d’aucun débat, faute d’information.
Le 15 décembre dernier, lors des traditionnelles questions d’actualité, j’alertais en outre le Gouvernement sur notre souveraineté sanitaire.
Les ruptures de stocks de médicaments et de vaccins avaient déjà fait l’objet d’une mission d’information sénatoriale en 2018, donc avant la pandémie. Alors même que le monde traverse une tempête diplomatique inédite depuis la fin de la guerre froide, il semble fondamental de prendre à bras-le-corps la question de la souveraineté sanitaire.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’initiative de nos collègues du groupe CRCE visant à créer une commission d’enquête relative auxdites ruptures de stocks et, ce faisant, à poursuivre les travaux du Sénat sur ce sujet. À titre personnel, je n’ai jamais vu une telle situation en quarante ans d’exercice professionnel. Madame la ministre, je suis sûre que vous êtes dans la même situation.
Enfin, la souveraineté du médicament est intimement liée à son prix, qu’on le veuille ou non. Dans un marché concurrentiel marqué par une demande mondiale en augmentation, certains laboratoires préfèrent se tourner vers des pays où les prix sont plus avantageux. Cette situation a des conséquences directes sur les capacités d’innovation dans le domaine de la recherche. Dans certains cas, se pose ainsi la question de l’efficience de la clause de sauvegarde.
Enfin, pour ce qui concerne la fixation du prix du médicament, un amendement a été voté sur l’initiative de mon collègue René-Paul Savary afin d’encourager les entreprises du médicament qui relocaliseraient leurs sites de production en Europe. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas écouté la sagesse du Sénat.
Comment ne pas évoquer, lors de ce débat, la question de la formation en internat de médecine générale ?
Je rappelle une nouvelle fois qu’un amendement avait été voté à la quasi-unanimité du Sénat en 2019, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, afin de transformer la dernière année de troisième cycle de médecine générale en une année de professionnalisation dans les territoires sous-dotés. À l’issue de la commission mixte paritaire, nous avions abouti à un accord pour créer un semestre de formation, mais le décret d’application n’est jamais paru.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le Gouvernement a repris l’idée de la proposition de loi du président Bruno Retailleau votée en octobre dernier, à savoir la création d’une quatrième année de professionnalisation pour les internes de médecine générale.
Ce sujet inspire deux constats amers.
Premièrement, que de temps perdu depuis la loi de 2019 ! Cette mesure aurait pu entrer en application le 1er novembre 2021.
Deuxièmement, le Gouvernement a dénaturé la mesure proposée initialement, en permettant que cette quatrième année puisse être en partie accomplie à l’hôpital : l’esprit initial était de renforcer une médecine de ville aux abois.
Pour approfondir le sujet majeur de l’accès aux soins, je rappelle l’importance qu’occupe et que doit continuer d’occuper la médecine générale. Le peu de temps que le Président de la République a consacré, dans son discours de vœux, à la médecine de ville interroge à tout le moins. Un tel choix est même un peu choquant.
L’hôpital ira mieux si la médecine de ville va mieux.
« Nous sommes face à un système de santé au bord de la rupture » : cette phrase n’est pas de moi, même si, au terme d’une journée de travail, je puis nourrir une telle pensée. C’est le cri d’alarme lancé par le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) en avril 2022.
Le collège de la HAS a en effet publié une lettre ouverte « à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements ». Tout y était : pénurie des personnels soignants et médicaux, déserts médicaux, mauvaise qualité des soins, accès aux soins, etc. Dans le même temps, le collège proposait bien sûr un certain nombre de mesures urgentes à mettre en œuvre.
Madame la ministre, avez-vous pris connaissance de l’appel de la HAS ? Qu’en avez-vous fait ? Si ce jugement est sévère et nous attriste tous, il reflète aussi, à bien des égards, la triste réalité.
Les professionnels de santé sont épuisés. L’ensemble des soignants sont sous l’eau. Que ferons-nous le jour où la digue sautera ? Un effondrement de notre système de santé aurait des conséquences sur l’ensemble de la société et menacerait directement l’équilibre du pays.
Je tiens à saluer tous ceux qui tiennent bon et qui, avec conscience professionnelle et abnégation, continuent jour après jour à prendre en charge des patients.
Je tiens également à rappeler la formidable implication des élus locaux, qui se battent sans relâche afin de faciliter l’installation de professionnels de santé dans leurs communes. C’est un véritable cri de désespoir que les élus et les patients poussent eux aussi. Nous l’entendons régulièrement dans nos départements respectifs.
La crise de notre système de santé est évidemment majeure, à l’hôpital comme en médecine de ville. Pourtant, nombre de professionnels de santé sont prêts à agir pour sauver ce système, dans l’intérêt des patients, notamment grâce aux progrès technologiques et à certaines innovations thérapeutiques majeures.
Cette crise touche aussi le secteur médico-social et tous les acteurs qui interviennent dans la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées à domicile : ne l’oublions pas.
À ce titre, que dire du Ségur, dont l’intention initiale était bonne, mais qui a fait tant et tant d’oubliés ? Parler de l’attractivité des métiers ne suffit pas : il faut effectivement fidéliser les personnes en poste.
Enfin, si vous savez pouvoir compter sur les maisons de santé pluriprofessionnelles et sur les professionnels de santé qui les composent, ayez le courage de reconnaître que les communautés professionnelles territoriales de santé ne sont pas la solution…
Mme le président. Merci, chère collègue ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Il ne me manquait que dix secondes, mais je finirai après ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, je vais essayer de répondre aux nombreuses questions que vous avez posées, en particulier pour ce qui concerne la pénurie de médicaments.
Annoncé par le Président de la République en 2021, le volet santé du plan France 2030 prévoit un ensemble de mesures législatives et réglementaires ainsi que 7,5 milliards d’euros pour faire de la France la nation la plus innovante et souveraine en santé d’Europe. Il s’agit notamment de l’élever au rang de leader en matière de produits de santé innovants et de renforcer son attractivité.
C’est un défi majeur, que nous avons largement abordé pendant la crise sanitaire et pour lequel nous agissons. Notre objectif est de réinstaller en France, et plus largement en Europe, les industries ô combien essentielles de production de médicaments.
Des projets de relocalisation très concrets émergent progressivement. À terme, ils permettront de limiter notre dépendance, qu’il s’agisse de l’usine de paracétamol relevant du projet Seqens, de l’usine de masques et de gants en nitrile ou encore de l’usine pour la production de médicaments dérivés du sang, à partir de plasma sanguin, à Arras.
En 2023, l’Ondam s’établit à 244 milliards d’euros, ce qui représente une croissance de 3,5 % hors dépenses covid. Il est donc difficile de parler de coups de rabot. En outre – je vous le répète –, le budget dédié à la santé a augmenté de 20 % entre 2017 et 2023.
Par ailleurs, aucune économie n’est envisagée sur les hôpitaux.
Quant à la quatrième année du diplôme d’études spécialisées de médecine générale, elle n’est pas destinée à réaliser un stage en zone sous-dense. Cette réforme a pour objectif de doter la spécialité de médecine générale d’une phase de consolidation : c’est un apport pédagogique qui vise à permettre au docteur junior d’acquérir de l’autonomie dans le cadre protecteur de la supervision, pour pouvoir s’installer rapidement, ensuite, à la sortie de ses études. La maquette de formation de troisième cycle des études de médecine générale est d’ailleurs en cours de révision dans le cadre de cette réforme.
La médecine générale et l’hôpital doivent être réformés : c’est l’enjeu de la refondation à l’œuvre. Nous sommes au moins d’accord sur ce point.
Mme le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, vous terminez votre propos en parlant de refondation.
Dans ses vœux, le Président de la République a quant à lui parlé d’un conseil national de la refondation locale, qui relève à l’évidence de la réunionnite aiguë. Or les professionnels de santé n’ont pas de temps à perdre.
Je le répète, vous pouvez compter sur les maisons de santé pluriprofessionnelles et sur les professionnels de santé qui les composent. Toutefois, les CPTS ne sont pas la solution à tout, même si certaines d’entre elles fonctionnent bien.
Le ministère, via les unions régionales des professionnels de santé (URPS), veut qu’elles couvrent tout le territoire national. Mais, dans le département que je connais le mieux, c’est là où il y a le plus de problèmes qu’il n’y en a pas, et pour cause : les soignants n’ont pas de temps à perdre.
Les professionnels de santé peuvent être de très bonne volonté. Si les médecins et les patients changent, vous pouvez compter sur eux pour s’organiser dans une logique de proximité ; laissez-les faire, ils sauront aller à l’essentiel.
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi de consacrer l’un de vos premiers débats de l’année qui s’ouvre à la crise du système de santé ; je suis d’accord avec vous pour considérer comme une priorité la nécessité de s’attaquer aux difficultés structurelles dont souffre notre système de santé et je partage avec vous le sens de l’urgence qu’exprime clairement la notion de crise, que vous avez choisi de développer.
En effet, si nous sortons aujourd’hui de la violente tempête épidémique de la covid-19, dont les vagues successives ont ébranlé notre système de santé, celui-ci n’en est pas moins en « crise » et vos nombreuses questions et interventions le démontrent.
Oui, la baisse inexorable de la ressource médicale, conséquence de choix politiques d’un autre temps, le vieillissement de notre population, la mutation des modes de vie et des aspirations des professionnels de santé, la perte de sens de ces beaux métiers du soin sont des déterminants de la crise systémique qui se fait jour dans un monde qui change. Ce constat de crise, ce diagnostic, a déjà été maintes fois posé et le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler vendredi dernier, lors de ses vœux aux acteurs de la santé.
Une fois cela dit et répété, il nous faut désormais être à la hauteur des enjeux dans ce qui constitue un moment charnière : nous devons bâtir. Le Président de la République a tracé un cap clair le 6 janvier dernier dans son allocution à l’hôpital de Corbeil-Essonnes et il a posé des jalons pour la mise en œuvre des mesures à prendre. Pour faire avancer ensemble ce chantier collectif, nous avons fixé un horizon et des objectifs.
Notre premier combat reste celui de la lutte contre toutes les inégalités en matière de santé, que celles-ci soient sociales, géographiques ou liées à des vulnérabilités particulières, comme le handicap ou le grand âge. Un chiffre symbolise pour moi cette crise de l’accès aux soins : 657 000 de nos concitoyens, atteints de maladies chroniques, n’ont pas accès à un médecin traitant ou à une équipe soignante. Cette réalité, il faut la regarder en face, sans que cela la rende pour autant plus tolérable.
J’ai pu le souligner précédemment, une bonne politique fait correspondre le temps bref des crises avec le temps long des grands changements structurels.
Nous avons transformé le numerus clausus en numerus apertus et corrigé une erreur historique, mais les bénéfices de cette réforme ne seront visibles que dans une décennie. Aussi notre objectif et notre défi consistent-ils à mobiliser tous les leviers afin de gagner du temps médical pour nos soignants, au service des patients.
Ce temps, nous le dégagerons en délestant les médecins de toutes les tâches, notamment administratives, qui rongent leur emploi du temps, déjà largement surchargé. Ce temps, nous le partagerons mieux entre les différents maillons de la chaîne des soins, via une organisation coordonnée dans laquelle chacun pourra, à sa place, être le plus efficace et le plus utile.
Concrètement, cela passe, d’une part, par l’accélération des recrutements d’assistants médicaux, dont nous voulons porter le nombre de 4 000 à 10 000 d’ici à l’année prochaine et, d’autre part, par un effort inédit sur les formations paramédicales, avec notamment l’augmentation de 20 % des places dans les instituts de formation en soins infirmiers. Ces nouveaux paramédicaux, nous leur donnerons des perspectives d’évolution de carrière et de nouvelles compétences, grâce à toutes les mesures et expérimentations concernant la pratique avancée, l’accès direct et les délégations de compétences.
Nous nous assurerons en outre que les efforts seront plus équitablement répartis entre tous les acteurs : hospitaliers et libéraux, cliniques et hôpitaux doivent participer avec la même intensité à la permanence des soins et être rémunérés en conséquence. Pour la médecine de ville comme pour notre hôpital, nous oserons prendre à bras-le-corps le dossier de l’organisation de l’offre de soins, en accompagnant ces transformations.
Cela passera en particulier par une direction hospitalière rénovée pour mieux équilibrer les décisions, par le passage de la rémunération à l’activité à une rémunération fondée sur des objectifs de santé publique et par un assouplissement des règles relatives au temps de travail, toujours dans le but de s’adapter à la réalité et de permettre de répondre aux besoins d’un univers médico-social en mutation.
Quant à nos soignants, nous devrons très concrètement faciliter l’exercice quotidien de leur profession, dont l’exigence et parfois la pénibilité ne sont plus à prouver. Nous avancerons dans la compensation de la pénibilité et du travail de nuit et, dans l’attente de cette évolution, les mesures transitoires prises à l’occasion de la mission flash sur les urgences seront maintenues sine die. La dureté de l’exercice ainsi que l’enjeu majeur de la prévention de l’usure professionnelle seront, comme l’a dit la Première ministre hier, pris en compte dans la prochaine réforme des retraites.
Je me réjouis que nous ayons eu ce débat essentiel dans la perspective de la refondation de notre santé publique, pour laquelle certaines pierres importantes ont déjà été posées. (MM. Ludovic Haye et Pierre Louault applaudissent.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat d’actualité sur le thème : « La crise du système de santé ».
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures vingt-deux.)
Mme le président. La séance est reprise.
5
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable, par 25 voix pour et 5 voix contre, à la nomination de M. Patrice Vergriete à la présidence du conseil d’administration de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
6
Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales
Débat organisé à la demande de la commission des finances
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.
Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Husson, au nom de la commission qui a demandé ce débat. (Mme Laure Darcos applaudit.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales s’inscrit dans la continuité des travaux engagés par la commission des finances et la Haute Assemblée il y a de nombreuses années.
Au cours des dernières années, il y a bien sûr eu l’examen du projet de loi devenu la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui comprend de nombreux apports du Sénat, mais aussi les tables rondes organisées par la commission des finances sur les Pandora Papers ou les CumEx Files et les amendements que nous avons pu proposer dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances. Surtout, une mission d’information de la commission, présidée par le président Claude Raynal et dont j’étais le rapporteur, a achevé ses travaux et a rendu ses conclusions au mois d’octobre dernier.
La lutte contre la fraude a un triple objectif : dissuasif, budgétaire et répressif. J’insisterai sur la dissuasion, car être efficace dans notre lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, c’est à la fois parvenir à dissuader certains acteurs de « tenter leur chance », au mépris de nos règles communes, et préserver le consentement à l’impôt, tout en assurant le financement par tous, dans le respect des capacités de chacun, de nos services publics. J’ajoute que, en période de crise, la fraude fiscale est d’autant moins acceptable que nous demandons à tous de faire des efforts et que nous devons maîtriser nos finances publiques.
Dans le cadre de cette mission d’information, nous avons travaillé sur quatre aspects : le renforcement de l’efficacité de la réponse pénale à la fraude fiscale, l’amplification des efforts déployés pour lutter contre la fraude à la TVA, la nécessité d’assortir les dispositifs d’accès aux données des garanties juridiques nécessaires pour assurer leur pleine effectivité et le renforcement des outils de lutte contre les montages fiscaux et internationaux abusifs.
Notre première conclusion fut que l’arsenal normatif mis en place par la France pour lutter contre la fraude paraissait plutôt robuste. De fait, nos travaux n’appellent pas à une révolution fiscale, mais, comme nous le souhaitions, ils aboutissent à l’élaboration d’un bilan de la loi de 2018 ainsi qu’à des propositions concrètes, réalistes et, pour la plupart, faciles à mettre rapidement en œuvre.
D’ailleurs, plusieurs recommandations ont d’ores et déjà donné lieu à des amendements présentés dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2023. Ils ont, dans leur grande majorité, été adoptés à l’unanimité et certains ont même survécu au couperet de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Je pense, par exemple, à l’extension des compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries concernant la TVA ou à l’impératif de mieux évaluer la fraude.
L’évaluation est en effet un enjeu fondamental : alors que les chiffres se multiplient dans le débat public, parfois à tort et à travers, nous avons besoin d’évaluations méthodologiquement plus étayées et plus robustes. Il faudrait pouvoir estimer, monsieur le ministre, la proportion des droits fraudés que l’administration parvient finalement à récupérer : 10 % ? 20 % ? 30 % ? Plus ? Personne ne peut véritablement le dire…
Il serait évidemment dommage de nous arrêter là dans le suivi des travaux de la commission. D’abord, toutes les recommandations relevant de la loi n’ont pas encore trouvé leur traduction législative. C’est le cas par exemple de la sécurisation des dispositifs d’accès aux données ou de certaines propositions concernant la lutte contre la fraude à la TVA. Ensuite, certaines dispositions, qui n’ont pas été retenues dans la loi de finances pour 2023, doivent être rediscutées. Il s’agit par exemple du rôle des assistants spécialisés, qui aident les procureurs dans le traitement des dossiers de fraude les plus complexes, de la détaxe à la TVA, des moyens des services d’enquêtes spécialisés ou encore – sujet majeur – du droit de visite des douanes.
Pour résumer, il nous reste donc encore bien du travail pour donner toute leur portée aux recommandations de nature législative de la mission d’information et pour améliorer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Nous devons réfléchir au véhicule le plus approprié pour les inscrire dans la loi.
Toutefois, il est également des sujets sur lesquels d’éventuels progrès dépendent non pas véritablement du Parlement, mais bien du Gouvernement. C’est notamment le cas de la lutte contre les montages transfrontaliers abusifs, sujet majeur s’agissant d’une source inépuisable de fraude et d’évasion fiscales.
Les évaluations de l’Observatoire européen de la fiscalité sont, à cet égard, sans appel : plus de 10 % de la richesse nette totale de l’Europe, soit 2 300 milliards d’euros, seraient détenus à l’étranger, pour une perte de recettes fiscales de l’ordre de 55 milliards d’euros par an. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estimait en 2020 que, à l’échelon mondial, 11 000 milliards d’euros étaient détenus sur des comptes offshore. Or le pouvoir du législateur est relativement limité pour lutter contre ces phénomènes, si le Gouvernement n’agit pas en amont, à l’échelon européen ou international.
Je ne nierai pas que le projet de taxation minimale est un premier pas satisfaisant, même s’il est insuffisant et perfectible, mais il n’y a encore que trop peu d’avancées, par exemple sur la renégociation des conventions fiscales. Pouvons-nous encore accepter que certaines conventions facilitent les arbitrages de dividendes, pratique plus connue sous le nom de CumEx Files ? Un chiffre, monsieur le ministre : ces montages auraient coûté à la France 33 milliards d’euros de recettes fiscales en vingt ans. Sur la seule année 2018, près de 1,2 milliard d’euros auraient échappé à la France, le montant recouvré ne s’élevant qu’à 277 millions d’euros. Monsieur le ministre, quels sont les efforts déployés pour renégocier certaines conventions ou pour les assortir de clauses anti-abus ? La commission des finances suit ce dossier depuis le premier jour et elle poursuivra son travail.
De même, encore trop souvent, les services du contrôle fiscal, pourtant expérimentés et déterminés, ne peuvent accéder à des documents essentiels à leurs enquêtes. Des blocages persistent dans certains pays et la transparence n’est pas toujours garantie. Les actuelles listes, grise ou noire, de paradis fiscaux sont insuffisantes.
Que fait le Gouvernement, à l’échelon européen ou international, pour lutter contre les paradis fiscaux et pour accroître la transparence sur les bénéficiaires effectifs ? Quelle sera sa position lorsqu’il s’agira de revoir la réglementation européenne relative aux informations sur les bénéficiaires effectifs de sociétés, alors que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a sévèrement amoindri la portée de cette réglementation pour ce qui concerne les objectifs de lutte contre l’évasion fiscale ?
Après cette brève présentation de nos récents constats et de nos recommandations pour l’avenir, mais aussi ces quelques questions adressées à M. le ministre, je laisse maintenant la place au débat.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction de ce débat, je tiens à souligner combien je me réjouis que le Sénat ait inscrit ce débat important à son ordre du jour.
Ce débat est en effet crucial pour notre pacte social, la lutte contre la fraude étant un facteur essentiel du consentement à l’impôt et de notre capacité à rester une société unie.
C’est également un enjeu politique important, nous avons pu le mesurer quand, lors de la dernière campagne présidentielle, un certain nombre de candidats ont proposé de créer un ministère de la lutte contre la fraude. Il se trouve que ce ministère existe, c’est le ministère des comptes publics, et je vous prie de croire que nous avons fait du renforcement de notre efficacité en la matière une priorité importante. D’ailleurs, avant la fin du premier trimestre de 2023, j’aurai l’occasion de présenter un plan de lutte contre toutes les fraudes, fiscale, sociale ou douanière.
À cet égard, je tiens à saluer la très grande qualité du travail du Sénat et notamment de la mission d’information de votre commission des finances. Nous avons eu l’occasion de débattre à plusieurs reprises, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, des conclusions de cette mission et plusieurs des mesures recommandées dans son rapport ont été intégrées – vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur général – dans la loi de finances.
Néanmoins, certaines d’entre elles n’ont pas survécu au couperet non du 49.3, mais du Conseil constitutionnel (Sourires.), qui les a censurées en tant que cavaliers budgétaires. Peut-être aurons-nous l’occasion de les insérer dans de futurs textes.
En tout état de cause, nous allons avoir cet après-midi un débat important pour le redressement des comptes publics, lequel passe aussi par cette lutte, mais aussi, de manière plus globale, pour notre pacte social et pour le consentement des Français à notre modèle de solidarité.
Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Rémi Féraud. C’est à la demande de la commission des finances que nous débattons aujourd’hui de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, pour faire suite au rapport rendu voilà quelques semaines par le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson.
Ce sujet nous anime tous, surtout depuis que de grandes affaires ont été révélées par la presse : Panama Papers, CumEx Files, Pandora Papers… Si l’on reprend l’historique des mesures adoptées au cours des dix dernières années, il faut souligner les progrès que représentent la création du parquet national financier (PNF), celle de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales et celle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). C’est grâce à la mise en place de ces institutions que les avancées de notre pays en matière de lutte contre la fraude fiscale ont été jugées positivement par certaines ONG.
Au cours du quinquennat précédent, nous avons également eu à examiner le projet de loi de 2018 relatif à la lutte contre la fraude. Lors de nos débats, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait souligné les avancées du texte, comme la réforme du « verrou de Bercy », qui avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie. D’autres dispositions, comme celle qui portait sur la lutte contre la fraude à la TVA, constituaient de réelles avancées et nous ne nous étions pas opposés à ce texte.
En revanche, nous avions exprimé nos regrets sur la timidité du Gouvernement à l’égard des paradis fiscaux, la liste retenue excluant de nombreux pays dont les pratiques s’apparentent pourtant à un véritable dumping fiscal. Mon collègue Thierry Carcenac alertait également le Sénat sur la faiblesse des effectifs de la direction générale des finances publiques affectés au contrôle fiscal, alors que le nombre d’entreprises soumises à la TVA ne cesse d’augmenter.
La mission d’information de la commission des finances permet de dresser un premier bilan de l’application de cette loi. Le premier enseignement qu’elle a tiré est la difficulté d’apprécier l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale en France. Si les résultats du contrôle fiscal sont en hausse depuis 2018, nous ne pouvons pas apprécier pleinement l’efficacité du dispositif, faute de données fiables sur l’ampleur de la fraude.
Néanmoins, pour ce qui concerne la réforme du verrou de Bercy, la mission d’information a montré dans ses conclusions que l’équilibre trouvé en 2018 permet d’obtenir des résultats encourageants, les dossiers transmis par l’administration fiscale aux parquets ayant fortement augmenté. C’est bien la preuve que cette remise en cause partielle du verrou de Bercy était nécessaire…
Sur la TVA, les travaux de la commission justifient les inquiétudes que nous avions exprimées, puisque la part de la TVA dans les résultats du contrôle fiscal ne cesse de régresser d’année en année. Il y a sur ce point un réel besoin de faire monter les contrôles en puissance. Il ne faut pas prendre de retard, afin que le contrôle s’adapte à l’évolution de la fraude.
Vous le voyez, tous les principes, alertes et objectifs que nous défendions en 2018 sont toujours vrais aujourd’hui.
J’ajoute qu’il ne peut pas y avoir de véritable lutte contre la fraude fiscale sans une détermination de même ampleur contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux.
À cet égard, les députés de gauche se sont alarmés récemment, à juste titre, d’une mesure inscrite discrètement dans la loi de finances. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, ils ont protesté contre la création d’une nouvelle niche fiscale, en faveur des captives de réassurance, insérée dans le texte par voie d’amendement au Sénat et adoptée quasiment sans débat grâce au recours à la procédure du 49.3. Ces captives sont un moyen d’optimisation fiscale : sur la centaine d’entre elles qui sont détenues par des entreprises, moins de dix sont domiciliées en France, le reste étant réparti dans des paradis fiscaux.
Comment le Gouvernement peut-il affirmer qu’il agit avec une vraie détermination contre l’évasion fiscale quand il fait adopter une telle mesure ? Alors que la France est « à l’euro près », selon le ministre de l’économie, comment peut-il prendre des mesures qui favorisent l’exil fiscal des multinationales et coûteront encore quelques centaines de millions d’euros supplémentaires à l’État ?
Cela montre bien qu’il est indispensable d’agir à l’échelon international, le rapporteur général y insistait. Je me félicite également de l’instauration d’un taux d’imposition minimal sur les sociétés, fixé à 15 % dans l’Union européenne ; c’est un premier pas, mais il doit s’inscrire dans une politique globale, cohérente et déterminée, pour prendre tout son sens.
Parce que l’évasion et la fraude fiscales minent notre contrat social et démocratique, le consentement à l’impôt, la régulation mondiale, la capacité des peuples à maîtriser leur destin et à rechercher l’intérêt général au service de tous, ce n’est qu’en conjuguant mesures françaises et internationales qu’il sera possible d’établir une politique efficace en la matière. Je me félicite que le Sénat y contribue (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Beaucoup de sujets ont été abordés, je vais devoir choisir…
Je vous rejoins, monsieur le sénateur, sur la question de la fraude à la TVA. C’est en effet un enjeu majeur, puisque, selon la dernière évaluation de l’Insee, la fraude à cette taxe s’élève à environ 20 milliards d’euros par an. On voit donc à quel point il est nécessaire d’agir plus efficacement.
À cet égard, un chantier me semble majeur : celui de la facturation électronique interentreprises, décidée par le Parlement voilà plusieurs années. Cette réforme, qui va entrer en vigueur à partir de 2024, sera majeure. D’un point de vue technique, elle est d’une ampleur comparable à celle du prélèvement à la source. On en parlera probablement moins, parce que cela concerne non pas les Français directement, mais les entreprises, mais nous y travaillons tout de même d’arrache-pied pour anticiper les choses et pour rendre cette réforme simple pour les entreprises ; c’est d’ailleurs ce qui justifie une entrée en vigueur progressive.
L’Italie a été le premier pays d’Europe à mettre en place une telle réforme et, dès les premières années, elle a pu recouvrer plusieurs milliards d’euros de TVA supplémentaires. Ensuite, il y a eu un effet comportemental sur la déclaration des entreprises. Donc, oui, je suis d’accord pour faire de la fraude à la TVA une priorité et le chantier de la facturation électronique est à cet égard crucial.
Le second sujet concerne le secteur du e-commerce, qui a pris énormément d’ampleur. Des discussions sont actuellement menées à l’échelon européen sur ce thème ; je pense notamment à la directive dite « e-commerce », sur laquelle nous souhaitons également avancer.
Mme le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’excellente initiative de la commission des finances, sous l’impulsion de son président et de son rapporteur général, consistant à mettre sur pied la mission d’information sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, près de quatre ans après l’adoption de la loi, dite Darmanin, du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
En effet, il convenait de tirer un premier bilan des dispositions adoptées à l’époque ; il est très salutaire que le Parlement s’intéresse à ce sujet de manière permanente, tant l’enjeu est fondamental pour nos finances publiques. Au cours des dernières années, on a constaté une difficulté : les révélations sur ce sujet dans la presse suscitent des réactions indignées pendant quarante-huit heures au mieux, puis le soufflé retombe, tandis que les réactions du Gouvernement ne sont pas à la hauteur des enjeux financiers colossaux.
Chacun a ici en mémoire la déclaration très péremptoire du président Nicolas Sarkozy, le 23 septembre 2009 : « Les paradis fiscaux, c’est terminé ! »
Pourtant, au cours des quatorze dernières années, les scandales se sont répétés. Si l’on fait le compte, depuis 2013 – année de la tristement célèbre affaire Cahuzac, qui a fait tant de mal à notre République –, pas moins de quinze affaires ont été révélées par les journalistes d’investigation et les lanceurs d’alerte. Je les remercie, au nom de l’intérêt général !
Chaque fois, on retrouve les mêmes montants astronomiques, les mêmes systèmes sophistiqués et, trop souvent, malheureusement, l’implication de responsables politiques de haut niveau, ici et ailleurs. C’est ainsi que nous eûmes successivement droit aux Panama Papers, aux Paradise Papers, aux LuxLeaks, à l’OpenLux, aux CumEx Files, à l’affaire UBS et, plus récemment, aux Pandora Papers. Quel exotisme…
Cette accumulation d’affaires illustre parfaitement le caractère systémique et quasi industriel de l’évasion fiscale. Ce constat confère aux responsables politiques, quels qu’ils soient, une responsabilité majeure. Quel est donc le bilan de la loi de 2018 ?
La mission d’information a constaté l’insuffisante évaluation de la fraude fiscale, notre rapporteur général l’a rappelé. La loi de 2018 avait prévu la création d’un observatoire d’évaluation de la fraude fiscale. Celui-ci n’a jamais vu le jour, faute d’un président. Pourtant, j’avais modestement proposé, à l’époque, ma candidature, à titre bénévole, soucieux que je suis des deniers publics. L’observatoire est donc mort-né, perdu dans les limbes…
Certes, le verrou de Bercy fut quelque peu desserré. C’est une bonne chose, mais il n’a toutefois pas été complètement supprimé. Nous sommes nombreux à penser que sa suppression totale devrait être envisagée, mais cela nécessiterait de renforcer en parallèle les moyens de la justice, notamment le parquet national financier, afin que notre justice puisse traiter comme il convient tous les dossiers de fraude fiscale.
Je ne partage pas la satisfaction de la mission d’information à propos des réponses pénales et des instruments de justice que constituent la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) – je me demande toujours où est l’intérêt public dans ce dispositif – et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), une sorte de plaider-coupable à l’anglo-saxonne.
Certes, le Gouvernement peut mettre en avant les condamnations de McDonald’s ou du Credit Suisse au cours des derniers mois, mais les amendes récupérées ne représentent pas la totalité des sommes détournées et cette méthode de « négociation » laisse entendre au commun des mortels que la loi fiscale ne s’applique pas de la même manière, « selon que vous serez puissant ou misérable », pour reprendre les termes du grand Jean de La Fontaine.
Notre mission d’information a aussi examiné de manière très logique la dimension européenne du sujet. L’Union européenne considère qu’il n’existe en son sein aucun paradis fiscal. Pour répondre à cela, je me contenterai de citer l’exemple de nos « partenaires » du Luxembourg, mis en cause en février 2021 dans une enquête au long cours du journal Le Monde intitulée OpenLux. Nous apprenions dans cette enquête que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore, cumulant ensemble 6 500 milliards d’euros d’actifs, quasiment vingt fois le budget de la France ! En outre, parmi ces 55 000 sociétés venaient, en tête de classement, les Français, 17 000 de nos concitoyens détenant des sociétés offshore.
L’une des armes essentielles, indispensable dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, est la transparence. Or, de ce point de vue, l’Union européenne envoie ces derniers temps des messages quelque peu inquiétants et contre-productifs, comme Jean-François Husson l’a rappelé.
Jugeons-en : la Cour de justice de l’Union européenne considère au travers d’une décision très surprenante que la communication des informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés est réservée aux pouvoirs publics et aux organismes spécialement habilités à recevoir ces données. Jusque-là, de telles informations étaient en libre accès sur internet. La CJUE freine ainsi les ardeurs des défenseurs d’une transparence absolue.
Il est clair que seules une volonté politique forte, pérenne, et une priorisation de ce combat permettront d’avancer véritablement, au nom de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Les conventions judiciaires d’intérêt public me semblent, à plusieurs titres, être un outil utile. D’abord, elles font gagner du temps, les procédures judiciaires pouvant être extrêmement longues. Ensuite, elles permettent de s’assurer que les finances publiques recouvrent une part très importante de la fraude.
Indépendamment du fait que les recours en appel, ou les procédures elles-mêmes, peuvent être très longs, il faut savoir, au moment d’entamer une bataille judiciaire, qui l’on affronte. Même si l’État est, évidemment, très outillé, de grandes entreprises disposent parfois d’une armée juridique ; aussi, les choses peuvent durer.
De plus, la succession d’instances et d’appels peut finir par faire baisser le montant que nous parvenons à recouvrer. J’en veux pour preuve le cas d’UBS : le contentieux n’est pas encore réglé, il me semble, mais il est clair que la peine sera amoindrie, entre la première condamnation et l’appel, de plusieurs milliards d’euros.
Je tiens à saluer l’engagement des agents et des enquêteurs de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). Ils ont notamment permis la signature de la CJIP avec McDonald’s cet été ; j’étais allé les rencontrer sur site pour saluer ce travail qui a rapporté 1,3 milliard d’euros. Vous-même, monsieur le sénateur, avez cité une autre affaire, concernant le Credit Suisse.
Si la DVNI me paraît un outil utile, il faut examiner si signer un accord avec les parties « vaut le coup », ou s’il vaut mieux aller au contentieux ; je vous rejoins évidemment sur ce point. Les agents remarquables qui ont été à l’œuvre sur les affaires mentionnées, en l’occurrence, ont considéré que signer la CJIP valait la peine, ce sur quoi nous étions d’accord. Elle nous permet de recouvrer les montants contestés, et garantit également, par rapport à des procédures multiples étalées sur plusieurs années, de remettre plus rapidement « dans les clous » l’entreprise concernée.
Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (M. Michel Canévet applaudit.)
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à parcourir les multiples et vertigineuses estimations de la fraude fiscale, à les comparer à nos semaines de débat pour ajuster les lois de finances, on a l’impression de se trouver devant le tonneau des Danaïdes…
En effet, pendant que nos travaux se concentrent sur la création, la suppression ou la répartition de tel ou tel impôt, des dizaines de milliards d’euros nous échappent du fait d’une telle fraude.
Par conséquent, je remercie la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et je salue son travail important, en premier lieu celui du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson. En effet, compte tenu des montants en jeu, il y a bien urgence à agir dans ce domaine.
Je souscris sans réserve aux recommandations visant à donner accès aux données nécessaires à leur mission de contrôle et de répression aux services de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction générale des douanes et droits indirects et à ceux de la justice. Je souscris également aux recommandations dont l’objectif est de fluidifier les échanges entre ces directions et de favoriser le partage des données utiles à chacune.
Il est urgent de mettre en œuvre la recommandation n° 5 du rapport, visant à doubler, d’ici à cinq ans, le nombre d’officiers fiscaux judiciaires, ce qui suppose que les salaires soient attractifs.
Tout commence par là, monsieur le ministre : il nous faut les meilleurs des meilleurs pour déjouer les systèmes les plus sophistiqués qui soient. Fort heureusement, quelques-uns de ces spécialistes sont de notre côté, mais ils sont trop peu nombreux, et sous-rémunérés au regard de ce que la grande finance peut offrir. Pour inverser le rapport de force, il nous faut déployer des armes de gros calibre. Cela suppose, en premier lieu, de disposer d’agents nombreux, très bien payés et bénéficiant de moyens.
En matière de fraude à la TVA, estimée entre 20 milliards et 25 milliards d’euros chaque année, je présenterai trois constats.
Le premier est lié aux fraudes à la TVA. Leurs sources sont multiples : absence de reversement de la TVA collectée, reversement de cette taxe à un taux minoré, optimisation des opportunités du droit intracommunautaire en multipliant, pas seulement en matière de e-commerce, les opérateurs non immatriculés ou défaillants et, bien sûr, organisation de fraudes de type « carrousel ».
En raison de ce fléau qu’est la fraude carrousel, j’ai un doute sur l’efficacité de la généralisation de la procédure d’autoliquidation de la TVA au 1er janvier 2022. L’autoliquidation constitue justement le point de départ d’une telle fraude ! Si les déclarations ne sont pas contrôlées, les failles vont devenir des gouffres ; le machine learning à disposition des services de contrôle de la DGFiP n’est pas encore assez intelligent pour vérifier cette autoliquidation.
Mon constat est donc un appel à la vigilance : le guichet unique de déclaration de la TVA à l’importation sera-t-il efficace ?
Mon deuxième constat sera une suggestion au sujet des actifs numériques, notamment les jetons non fongibles, les NFT (Non Fongible Tokens), pour lesquels la fraude de type carrousel est tentante. Essayons de ne pas prendre trop de retard sur les voleurs et adaptons notre réglementation !
Les NFT peuvent être instantanément acquis et cédés entre deux assujettis à la TVA. L’absence de flux physique facilite la fraude. Comme il n’existe pas de registre officiel permettant de faire le rapprochement entre l’adresse publique détenant les actifs numériques et la dénomination sociale du bénéficiaire, ne peut-on pas obliger les entreprises françaises à déclarer, comme les particuliers, leurs comptes d’actifs numériques à l’administration fiscale ?
Dernier constat, si la fraude carrousel est un enjeu important, il existe aussi toute une fraude de base consistant à ne pas déclarer tout ou partie de ses recettes. Je me suis déjà exprimée plusieurs fois à ce sujet, car il est clair que les comptables et les banquiers savent qui triche et qui déclare.
L’agence Tracfin est, bien sûr, opérationnelle, mais les experts-comptables ne vont pas lui adresser des signalements pour des affaires mineures. Or de telles affaires représentent, à l’échelle de la France, quelques milliards d’euros de TVA.
Aussi, monsieur le ministre, quelle est votre position sur le secret professionnel inhérent aux professions bancaires et comptables ? Ne pensez-vous pas qu’il pourrait exceptionnellement être levé lorsque l’administration fiscale procède à des contrôles ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Premièrement, je confirme qu’il faut renforcer les moyens du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Ce service, très utile, dirige des enquêtes judiciaires avec les services de Bercy. Au-delà des moyens, je souhaiterais élargir la réflexion à la question des compétences et des pouvoirs.
En effet, les moyens ne peuvent être dissociés du champ de compétence, ce que le Sénat a bien perçu en préconisant dans le rapport de sa mission d’information une extension des pouvoirs des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA. Cette extension pourrait intégrer d’autres domaines, conformément à la feuille de route du plan de lutte contre toutes les fraudes que j’évoquais précédemment, sur lequel nous travaillerons dans les trois prochains mois.
Deuxièmement, les NFT étant des actifs numériques, ils sont traités fiscalement comme tels. À ce titre, nous avons adapté notre droit pour améliorer le traitement des revenus issus des crypto-actifs. Aussi, nous ne sommes pas pris de court par l’irruption des NFT : nous savons déjà comment les prendre en compte. Les particuliers comme les entreprises doivent déclarer ceux qu’ils détiennent.
Il faut probablement aller plus loin, perfectionner les obligations déclaratives et nos outils. Pour cette raison, la Commission européenne a dévoilé un projet : la directive relative à la coopération administrative DAC8. Elle vise à renforcer les obligations déclaratives en la matière. Il me semble que la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne en a fait une de ses priorités. Évidemment, la France elle-même sera à la manœuvre.
Troisièmement, je rappelle que les intermédiaires financiers ne peuvent opposer le secret professionnel lorsque la DGFiP leur demande des informations ou, en tout cas, lorsqu’elle exerce ce qu’on appelle son droit de communication. Lorsque cela est le cas, ces intermédiaires s’exécutent ; ils ont également l’obligation de communiquer ces données à Tracfin, en cas de doute sérieux.
Bien entendu, il arrive que des professionnels ne se conforment pas à la loi. Il faut alors les identifier puis les sanctionner. Toutefois, l’écrasante majorité d’entre eux respecte, sur demande, le droit de communication et fait les signalements à Tracfin.
Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.
Mme Sylvie Vermeillet. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses. Malgré tout, le prochain fléau en termes d’évasion fiscale et de fraude à la TVA sera, je le pense, lié aux NFT. La preuve, l’administration fiscale britannique a ouvert une enquête sur trois de ces jetons ; 250 sociétés sont mises en cause.
Il faut conserver une vigilance particulière en matière de déploiement de ces crypto-actifs. Je suis certaine que vous ne prenez pas de retard et que vous faites ce qu’il faut.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est un sujet étudié de longue date par notre commission des finances. Mon collègue Éric Bocquet a rappelé nos discussions, remontant à quelques années, sur l’organisation de véritables COP fiscales et financières.
Pour sa part, en 2019, le groupe RDSE avait organisé, sur l’initiative de notre ancien collègue Yvon Collin, un débat relatif à la fraude à la TVA transfrontalière, un sujet également crucial. Cette thématique a été conservée dans les travaux de la mission d’information : je m’en félicite.
En effet, le montant de la fraude à la TVA, et plus largement à l’ensemble des impôts, est considérable. Pourtant, on bute encore sur la difficulté à évaluer le montant exact de la fraude fiscale, et ce à plusieurs dizaines de milliards d’euros près.
C’est un aspect particulièrement éclairant du rapport d’information remis à l’automne dernier : il pointe « un défaut d’évaluation du phénomène de fraude […] préjudiciable à la juste appréciation des résultats du contrôle fiscal ». On ne saurait être plus clair !
Plusieurs de nos voisins, qui ne sont pourtant pas les derniers en matière de fraude ou d’optimisation, publient des estimations de la fraude fiscale, ou, plus exactement, de l’écart entre les recettes attendues et celles qui sont effectivement recouvrées. Il s’agit principalement des pays anglo-saxons et nordiques. Cela suppose d’importants travaux méthodologiques et des contrôles aléatoires. Cette mission pourrait concrètement relever de l’Insee.
Une première évaluation – bonne nouvelle ! – a été donnée en 2022 pour la TVA : entre 20 milliards et 25 milliards d’euros de fraude par an. Cela représente un taux de fraude sur la première ressource fiscale compris entre 10 % et 15 %.
Notre arsenal juridique en matière de lutte a pourtant évolué ces dernières années. Je pense en particulier à la suppression du fameux verrou de Bercy, en 2018, à mettre au crédit du précédent gouvernement. Avant, le juge avait l’initiative des poursuites non pour fraude fiscale, seulement pour blanchiment de fraude. Dorénavant, la justice dispose de marges de manœuvre plus importantes, même si cela a pour conséquence logique une forte hausse du nombre de dossiers à traiter par le parquet national financier.
Plus largement, la lutte contre la corruption a été renforcée depuis l’adoption de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2. Les entreprises et les banques implantées en France se voient désormais appliquer des règles de conformité plus strictes, entrant également dans le cadre d’accords internationaux, comme ceux de Bâle III.
Parallèlement, les technologies évoluent aussi : l’échange automatique de données est une réalité, bien que les moyens de contournement soient eux aussi toujours plus sophistiqués. Les règles internationales plus strictes ont eu pour effet collatéral le développement de la finance de l’ombre, tandis que le système Beps (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE, visant à lutter contre l’érosion des bases fiscales, reste facultatif dans bien des domaines.
Les propositions d’évolution législative se heurtent à des difficultés de procédure. Je pense ainsi aux dispositions de la dernière loi de finances censurées il y a quelques jours par le Conseil constitutionnel : l’article 83, qui concernait la levée du secret professionnel des agents des finances publiques en faveur des assistants détachés auprès du procureur de la République, et l’article 187, qui réduisait le nombre de membres de la commission des infractions fiscales, ont été considérés comme des cavaliers législatifs malgré l’avis favorable émis en séance par le Gouvernement. C’est la preuve que les sages de la rue de Montpensier peuvent se montrer aussi tatillons que notre commission des finances en matière de recevabilité ! (Sourires sur le banc des commissions.)
Je terminerai mon propos sur les lacunes persistant dans notre droit national ou européen. En 2023, certaines de nos conventions fiscales bilatérales restent avantageuses pour les investisseurs étrangers, alors que la France est souvent décrite comme un enfer fiscal. Il est vrai que notre droit fiscal est l’un des plus complexes, et que la pression fiscale moyenne reste élevée. À ce propos, dispose-t-on d’une évaluation de la fraude involontaire, liée à l’ignorance de certaines règles de fiscalité ?
En conclusion, a-t-on réellement progressé dans la lutte contre l’évasion fiscale depuis le sommet du G20 à Londres en 2009 ? Si les connaissances et les moyens de lutte se sont indéniablement renforcés, force est de constater que les ordres de grandeur sont restés plus ou moins les mêmes. Le « mur de l’argent », évoqué il y a plus d’un siècle par Édouard Herriot, garde encore de beaux jours devant lui…
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur Requier, vous abordez dans votre intervention un point important : la capacité d’évaluation de la fraude, et notamment celle à la TVA. Je tiens à dire que nous avons précisément fait évoluer notre méthodologie d’évaluation de la fraude à la TVA sur l’initiative du Parlement.
J’évoquais l’étude de l’Insee estimant cette fraude à 20 milliards d’euros ; en réalité, le chiffre exact est de 23 milliards d’euros par an. Cette estimation est justement élaborée à partir d’une nouvelle méthodologie, construite avec les services de la direction générale des finances publiques. À partir des contrôles fiscaux effectués, la nouvelle évaluation se fonde sur une extrapolation. La méthode est clairement différente de la précédente, celle de l’écart de TVA.
Comme vous, je crois profondément qu’il faut perfectionner notre évaluation. La question du montant de la fraude dans notre pays, qu’elle soit fiscale ou sociale, revient beaucoup dans le débat public, mais il est très difficile d’y répondre. Si nous étions capables d’apporter une réponse précise, nous saurions où se situe la fraude ; elle serait alors recouvrée.
J’y vois une question démocratique essentielle. Je le disais précédemment, la lutte contre la fraude a pris une place importante lors de la dernière élection présidentielle, les procédures que vous évoquiez ayant été au centre de l’attention ; cette lutte est même devenue aux programmes des candidats à l’élection présidentielle ce que le tabac est aux amendements parlementaires (M. Antoine Lefèvre rit.), à savoir un gage pour faire passer toutes les propositions. Face à des propositions nombreuses, il suffit de dire que ces dépenses seront financées par l’argent recouvré grâce à la lutte contre la fraude, mais quel est le montant recouvrable derrière cette expression de « lutte contre la fraude » ?
Dans le cadre de la feuille de route que je présenterai, il sera essentiel de renforcer notre capacité d’évaluation et d’objectivation du phénomène.
Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la fraude est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme », disait Georges Pompidou. L’ancien Président de la République soulignait de cette façon l’étroite relation entre la contribution obligatoire des citoyens aux charges publiques, respectée par le plus grand nombre, et la proportion d’individus qui choisira de s’y soustraire au cours de son existence.
La fraude fiscale priverait chaque année l’État de 80 milliards à 100 milliards d’euros de recettes, selon l’Insee. Ces estimations sont approximatives, les déterminer précisément étant impossible, mais elles donnent à elles seules le tournis. Elles équivalent en tout et pour tout à près d’un quart des 450 milliards d’euros du budget de l’État adopté pour 2023.
Cette fraude porte gravement atteinte aux principes de solidarité nationale et d’égalité devant tant la loi fiscale que les charges publiques, qui figurent – vous le rappeliez, monsieur le ministre – en préambule de notre Constitution.
Ses préjudices pour notre société sont innombrables. Ils sont autant d’investissements manqués dans les politiques publiques de notre nation que de coups de couteau donnés à notre contrat social. La redistribution pour nos concitoyens les plus défavorisés n’est pas pleinement opérée, l’idée même de performance publique est affaiblie, la confiance qui doit régir les rapports entre les citoyens et l’administration se trouve durablement sapée.
C’est parce que notre société condamne avec la plus grande sévérité les faits de fraude fiscale que notre puissance publique s’est dotée, au fil des décennies, d’armes nouvelles pour la combattre. Le Conseil constitutionnel a fait le choix de l’ériger au rang d’objectif de valeur constitutionnelle par une décision du 29 décembre 1999. Le législateur, pour sa part, a examiné puis adopté la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ; notre chambre avait puissamment contribué à l’élaboration de ce texte en adoptant notamment en commission la fin du verrou de Bercy, ainsi que le renforcement des diverses sanctions pénales et administratives applicables.
La commission des finances du Sénat a souhaité ramener ce sujet au cœur des discussions il y a un an, en mettant sur pied en janvier 2022 une mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Je remercie le président de cette commission, Claude Raynal, ainsi que son rapporteur général, Jean-François Husson, pour leur initiative extrêmement judicieuse, ainsi que pour la grande qualité des travaux qu’ils ont rendus.
Leurs conclusions font état d’un gain d’efficacité des instruments affectés au contrôle fiscal, et, ainsi, d’une progression des montants recouvrés sur les cinq dernières années : environ 10,6 milliards d’euros en 2021 contre 7,7 milliards d’euros trois années plus tôt. Face à cette hausse de 38 % des recouvrements, nous serions bien ingrats de bouder notre plaisir…
Hélas, ces montants demeurent bien loin de la réalité de ceux annuellement soustraits à l’État et aux collectivités. Il revient dès lors au législateur non seulement de poursuivre les efforts engagés dans cette direction, mais aussi, et peut-être en premier lieu, d’interroger les motifs de la persistance de cette fraude fiscale.
Si l’on se fonde sur la pensée développée par l’économiste américain Richard Musgrave en 1959, l’État doit pourvoir trois grandes fonctions constitutives de sa puissance publique : l’allocation des ressources, la redistribution des richesses et la régulation de l’activité économique. Partant de là, la volonté qui anime l’auteur de l’infraction de fraude fiscale résulte de la perte de légitimité de ces missions, et donc de l’absence de consentement à y contribuer à un titre quelconque, fût-il marginal.
En réalité, assurer le consentement des citoyens à l’impôt dépend invariablement de sa juste et proportionnelle détermination par le Parlement. « Demandez plus à l’impôt et moins au contribuable ! », disait Alphonse Allais à la Belle Époque. Ce propos est en substance repris par la théorie de la courbe de Laffer, qui introduit une corrélation entre, d’une part, une trop grande pression fiscale et, d’autre part, une baisse de la légitimité des prélèvements obligatoires et, ainsi, un déclin des recettes publiques.
Toutefois, il me semble particulièrement important de saluer le fait que la répression de la fraude et de l’évasion fiscales jouit en France de moyens autrement plus étendus que par le passé.
D’abord, la fin du monopole de l’administration fiscale sur les poursuites pénales a considérablement élargi les voies de recours du ministère public contre les auteurs d’infractions.
Ensuite, les dénonciations obligatoires au parquet de fraudes fiscales supérieures à 100 000 euros, introduites par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, ont favorisé un rebond de 75 % des dossiers transmis par l’administration. En 2021, 1 217 dossiers de fraude sur les 1 620 recensés par la DGFiP étaient le fruit de cet assouplissement.
Enfin, n’omettons pas la fin d’une relative opacité des décisions de la commission des infractions fiscales, qui n’était pas tenue avant 2018 de motiver ses avis en faveur ou défaveur de poursuites. J’y vois la preuve que la justice fiscale n’aurait su déroger plus longtemps à l’exigence de transparence qui régit ses homologues pénale ou civile.
Toutefois, il revient au législateur d’examiner davantage de nouvelles pistes d’amélioration de notre politique en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Dans son rapport rendu en octobre 2022, la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales a préconisé que soient estimés dans la loi de finances initiale les montants approximatifs de la fraude – vous les avez évoqués, monsieur le ministre – sur le fondement d’une méthodologie aussi précise que possible. Une telle ambition donnerait potentiellement une lisibilité nouvelle à l’action publique en matière de répression, voire faciliterait une prise de conscience dans l’opinion de l’ordre de grandeur des sommes échappant à l’État. Peut-être même, soyons fous, permettrait-elle un infléchissement des comportements des auteurs d’infraction…
La lutte contre la fraude fiscale ne pourra jamais se prévaloir d’une pleine efficacité tant que des coups continueront d’être portés au lien qui unit le citoyen à l’administration. La légitimité de ce lien est une condition essentielle au retour du consentement à l’impôt. La suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) adoptée dans la loi de finances pour 2023 constitue un exemple d’atteinte à ce lien, en ce qu’elle est appelée à étioler, à long terme, le lien d’appartenance entre les acteurs économiques et leur territoire.
Par ailleurs, si les récentes avancées ont permis de mettre fin à l’anomalie démocratique qui privait notre pays d’une police fiscale opérationnelle, les autorités en charge des poursuites judiciaires en matière fiscale et leurs services ne disposent toujours pas d’une plénitude de compétence. En effet, si le service d’enquêtes judiciaires des finances constitue bel et bien le bras armé de la répression des fraudes, ses effectifs étant dotés des pouvoirs de police judiciaire, les vingt-cinq officiers en poste ont une compétence qui reste cantonnée à certaines infractions fiscales, les privant ainsi de la même amplitude d’intervention que les officiers de police judiciaire.
Regrouper sous une seule et même bannière les pouvoirs d’enquête et de poursuite sera une étape importante pour assurer la pleine performance de la police fiscale, telle qu’on peut l’observer en Allemagne ou aux Pays-Bas. Peut-être tendrons-nous un jour vers la constitution d’une véritable police fiscale et financière française autonome, sur le modèle de la Guardia di Finanza italienne, appelée à œuvrer en binôme avec le parquet national financier.
Enfin, il paraît indispensable de renforcer la coopération entre les différents services de répression, tant au niveau territorial, entre les directions régionales des finances publiques (DRFiP) et les directions régionales des douanes et droits indirects (DRDDI), qu’au niveau international, avec les autorités des pays voisins.
Le législateur en est conscient : la lutte contre la fraude fiscale a encore de beaux jours devant elle. Charge à nous, parlementaires, de poursuivre ce combat et d’améliorer la sensibilisation du public sur les préjudices liés à cette fraude.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je vous remercie, monsieur Lefèvre, de votre intervention. Je crois comme vous qu’une lutte efficace contre la fraude fiscale fait partie du pacte social.
Je vous remercie également d’avoir salué les effets de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. À l’occasion de son adoption, il a été rappelé un point essentiel : cette politique tient sur deux jambes, à savoir, d’un côté, la lutte contre la fraude, de l’autre, la nouvelle relation de confiance entre l’administration fiscale et les acteurs économiques, particuliers et entreprises, notamment pour apporter une sécurisation juridique à ces derniers.
Je salue une nouvelle fois tout le travail de la direction générale des finances publiques pour établir cette confiance. Il porte véritablement ses fruits. Nous le voyons notamment du côté des chefs d’entreprise : un changement a été perçu, il est reconnu comme utile.
J’estime, comme vous, que la réforme du verrou de Bercy a été extrêmement positive. Elle a permis une augmentation très forte du nombre des dossiers transmis à la justice.
J’ajouterai simplement, en écho à l’intervention de Mme Vermeillet et à nos échanges sur le renforcement des moyens du SEJF, que l’enjeu actuel est celui de la priorisation. En effet, de nombreux dossiers étant actuellement transmis à la justice, il faut aider les parquets à mettre en avant les dossiers nécessitant, selon l’ampleur de la fraude estimée, de véritables enquêtes judiciaires.
Ce travail sera mené. Je discute régulièrement avec mon collègue Éric Dupond-Moretti sur ce sujet pour mieux accompagner les parquets en la matière.
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Comme les autres intervenants, je salue l’initiative de la commission des finances. Cette dernière nous propose de nous pencher sur un sujet à l’origine de nombreuses discussions et de divers fantasmes, lié, de manière centrale, au financement du budget de l’État. Il s’agit également d’une certaine conception de la justice face à l’impôt, notamment pour les contribuables, particuliers comme entreprises, qui le paient.
Dans ce débat, je distinguerai la fraude fiscale de l’évasion fiscale.
La fraude fiscale est condamnée par la loi, puisqu’il s’agit de minimiser ses revenus, de les détourner, de ne pas les déclarer, de se soustraire frauduleusement au paiement de l’impôt. Dit simplement, elle consiste, par des moyens illégaux, à ne pas payer d’impôt ou à en payer une moindre part.
L’évasion fiscale, quant à elle, n’est pas définie par le droit. Elle consiste à utiliser des moyens à la limite de la légalité pour payer le moins d’impôts possible, dans une démarche d’optimisation. Autrement dit, par des procédés licites, l’objectif est de faire disparaître l’impôt payé en France au profit de contrées fiscales plus accueillantes. Nous sommes ici dans une zone grise juridique.
Comme cela a été dit, notamment par vous, monsieur le ministre, chacun vient avec ses chiffres. Par nature, il est compliqué d’additionner des données qu’on ne connaît pas, même si des méthodes de calcul permettent de se faire une idée du total. Pour ma part, le chiffre dont je disposais tournait autour de 25 milliards d’euros par an.
Le montant de la fraude et de l’évasion fiscales fait l’objet de nombreux fantasmes. Certains voient dans le recouvrement des sommes détournées la solution à tous les problèmes. La difficulté est qu’il faut parvenir à mettre la main sur ces montants. Quand bien même nous recouvrerions les sommes en question, elles ne représenteraient qu’un très faible pourcentage du coût des propositions économiques de plusieurs candidats à l’élection présidentielle… Je le précise pour replacer le curseur au bon endroit.
De manière régulière, le débat sur l’imposition des plus riches et des grandes entreprises revient logiquement dans le débat public. En effet, plus le niveau d’imposition sera proche entre notre pays et les autres, qu’ils soient voisins ou non, moins il y aura de dumping et de projets d’évasion fiscale. Un tel débat a eu lieu lors de l’examen de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 au sujet des superprofits. Il est tout à fait légitime de réfléchir à la mise en place d’un impôt exceptionnel sur des années tout aussi inhabituelles.
Néanmoins, l’enjeu fondamental est celui d’un impôt minimal, afin de faire en sorte que toutes les entreprises, grands groupes compris, paient ce taux plancher. Elles ne doivent pas pouvoir optimiser jusqu’à parvenir à une contribution nulle.
À ce sujet, notons l’action du Gouvernement menée depuis quelques années auprès de nos partenaires européens et au sein de l’OCDE pour instaurer un impôt minimal de 15 %. Il devrait être mis en œuvre en 2023 pour les 138 juridictions ayant accepté cet accord.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la mise en place de cet impôt minimal est en cours, et qu’elle sera une réalité dans les mois qui viennent ?
La situation que je viens d’évoquer est celle d’États qui se réunissent autour d’une table pour discuter, mais d’autres ne souhaitent pas participer aux échanges : j’en viens donc à la question de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux. Comprenons-nous bien sur ce point important : sans paradis fiscal, pas d’évasion fiscale.
Depuis la crise financière de 2008, plusieurs réformes ont visé à s’attaquer aux paradis fiscaux, mais les résultats sont loin d’être à la hauteur de ce que nous pourrions attendre. Évidemment, les pays concernés sont indépendants et n’ont pas à recevoir d’ordres. Néanmoins, une volonté politique internationale coordonnée peut faire avancer la lutte contre cette distorsion.
Comme une collègue l’indiquait précédemment, il reste beaucoup à faire sur le plan bancaire. Ayant travaillé dans ce secteur, je me souviens de l’embargo sur l’Iran : pour tout virement de France vers ce pays ou vers les pays plateformes permettant le transit des fonds, il fallait réunir un nombre extrêmement important de documents ; les sommes demeuraient bloquées plusieurs semaines entre les pays. Il était beaucoup plus simple et souple, en parallèle, d’opérer des virements vers les paradis fiscaux, malgré les déclarations à Tracfin. Il reste donc des marges de progression en ce domaine.
Monsieur le ministre, quelles mesures coordonnées à l’échelle internationale et coercitives pourraient être mises en œuvre pour lutter contre l’opacité des paradis fiscaux ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Nous avons évidemment à cœur de poursuivre la lutte contre les paradis fiscaux, et nous actualisons régulièrement la liste des États dits non coopératifs en la matière. Croyez bien, monsieur le sénateur, en la célérité absolue de notre action sur ce sujet.
Je veux revenir – il faut choisir, en deux minutes – sur le pilier 2, à savoir l’instauration au niveau mondial d’une imposition minimale des grandes entreprises, en saluant le progrès majeur que constitue cette initiative.
J’en rappelle l’histoire : on nous a dit, quand le Président de la République a porté ce sujet devant l’OCDE en 2020-2021, que nous n’arriverions pas à obtenir un accord. Or nous avons bel et bien obtenu, en octobre 2021, un accord dans le cadre de l’OCDE rassemblant 140 États sur la mise en œuvre d’une telle imposition minimale.
On nous a dit, ensuite, qu’il n’y aurait pas d’accord au niveau européen pour transcrire cette déclaration dans le droit communautaire. Et il est vrai que certains pays, notamment la Hongrie, pour ne pas la citer, bloquaient en utilisant leur droit de veto, tant et si bien que, en septembre 2022, sur l’initiative de la France, cinq pays – l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et la France – ont signé une motion commune indiquant que, en l’absence de transcription à brève échéance du pilier 2 dans le droit de l’Union européenne, ils l’appliqueraient unilatéralement. Cette position a contribué à faire bouger les lignes au niveau européen, jusqu’à l’accord historique obtenu lors de la réunion du Conseil de l’Union européenne le 15 décembre dernier.
Il s’agit vraiment d’un progrès majeur, qui va permettre de lutter contre l’optimisation fiscale, laquelle scandalise évidemment les Français. Une petite PME n’a pas la possibilité de minorer son impôt sur les sociétés en délocalisant une partie de ses profits dans des pays où l’imposition est moindre, ce qui crée une véritable inégalité entre les entreprises. En tant que ministre du budget, j’ajoute que cette lutte va engendrer des rentrées fiscales supplémentaires permettant de financer nos politiques publiques.
Vraiment, il faut saluer cette avancée importante et la faire connaître. Les Français étant régulièrement scandalisés par la révélation d’affaires dans ce domaine, il importe, lorsque les choses avancent, de le leur montrer.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Breuiller.
M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour commencer à saluer, comme l’ont fait les orateurs qui m’ont précédé, les travaux de la mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales lancée sous l’impulsion de Jean-François Husson et de Claude Raynal. Je vous remercie également, mes chers collègues, pour ce débat en séance publique.
Si le groupe écologiste a voté les recommandations de ce rapport – ce n’est pas si fréquent –, c’est qu’il répond aux enjeux du civisme, de la dissuasion et de la répression. À cette fin, évidemment, il faut en premier lieu une véritable volonté politique. Le Gouvernement veut-il se donner les moyens de lutter plus vigoureusement contre la fraude et l’évasion fiscales ?
La réponse réside sans doute en partie dans le fameux « en même temps » jupitérien : si des avancées majeures sont à noter, subsistent néanmoins des ambiguïtés idéologiques et des mesures pensées, sans doute, pour ne pas trop effrayer les milliardaires et les champions du CAC 40. En d’autres termes, on observe, d’un côté, une attitude dure avec les fraudes des pauvres et, de l’autre, une attitude parfois plus conciliante, au nom de l’efficacité et de la rapidité des procédures – c’est ainsi que vous l’avez justifiée, monsieur le ministre –, avec la fraude des multinationales ou des plus riches.
Le sujet est difficile, car la marge est étroite entre la fraude fiscale et l’évasion fiscale ; dans cette marge grandissent les populismes.
Je pense notamment au président Macron faisant le choix de l’opacité lorsqu’il défend, en 2021, la « clause de sauvegarde », qui empêche la publication d’informations indispensables pour lutter contre l’évasion fiscale.
Je pense aussi – vous venez d’en parler – au choix de la France, lorsque Joe Biden propose une imposition minimale à hauteur de 21 % des 7 000 ou 8 000 plus grandes entreprises du monde, de se ranger plutôt, dans un premier temps, du côté de l’Irlande, qui ne compte pas vraiment parmi les pays les plus allants en la matière…
En décembre, l’Europe est parvenue à un accord, adoptant un impôt minimum global au taux de 15 %. C’est une victoire, vous venez de le souligner, et nous ne la boudons pas, mais ce n’est pas assez.
Selon nous, en effet, il reste injuste, et même inacceptable, de taxer moins les multinationales que des TPE et des PME. Ces écarts nourrissent un sentiment d’injustice.
Il est indispensable d’amplifier les actions menées contre l’opacification des flux financiers mise en lumière, entre autres, par les affaires des Pandora Papers, des Panama Papers ou des CumEx Files.
Il est indispensable de doubler le nombre d’officiers fiscaux judiciaires, comme cela est préconisé dans le rapport de la mission d’information, et de leur donner les moyens de traiter aussi la fraude à la TVA. Au passage, chacun des postes créés génère des recettes bien supérieures aux coûts salariaux afférents, ce qui démontre tout l’intérêt du service public. Ne nous en privons pas ! Là où il y a une volonté d’agir, il y a des résultats.
Pendant les derniers débats budgétaires, monsieur le ministre, vous n’avez cessé, sur tous les sujets, d’opposer à nos propositions un sempiternel « combien ça coûte ? ». Mais demandons-nous aussi un instant combien cela coûte de ne pas se donner les moyens de mieux lutter contre la fraude et l’évasion fiscales !
Le coût de la fraude à la TVA est estimé à 20 milliards ou 25 milliards d’euros par an par l’Insee, qui montre également que les pertes de recettes globales dues au non-respect des droits fiscaux seraient de l’ordre de 80 milliards à 100 milliards d’euros par an.
Au niveau européen, on estime que plus de 7 900 milliards d’euros d’avoirs sont cachés dans des places offshore, échappant à l’impôt du pays d’origine. C’est près de dix fois le montant du plan de relance européen ! C’est vertigineux.
Ne faut-il pas y voir la conséquence d’une attitude qui, consistant à répéter inlassablement qu’il y a trop d’impôts, finit par accréditer l’idée que l’impôt n’est pas une ardente nécessité ? De l’optimisation fiscale à la fraude fiscale, la marge est parfois ténue. Cela engendre une délinquance qui se croit au-dessus des lois, au-dessus des droits, au-dessus du pacte républicain et du contrat social.
Ces fraudeurs font baisser les recettes publiques, diminuant les capacités de l’État à financer des politiques publiques ambitieuses indispensables au quotidien des Français ou à la si nécessaire transition écologique, mais aussi, tout simplement, à équilibrer les comptes publics.
M. le ministre Le Maire nous a assuré qu’il serait « intraitable avec ceux qui ont triché ». Tant mieux ! Car les personnalités mises en cause par les Pandora Papers sont des gens de pouvoir : anciens dirigeants, élus, familles royales, milliardaires. Flanqués d’armées de juristes, ils maîtrisent les lois, s’en exonèrent et profitent de l’opacité du système financier international.
Il est donc urgent, au niveau national, de renforcer encore davantage les moyens de l’administration fiscale et, au niveau européen, d’étendre la liste des paradis fiscaux en y incluant tous les pays impliqués dans les Pandora Papers. Le travail de la commission des finances représente à cet égard un point d’appui utile, et le Gouvernement gagnerait, ou plutôt gagnera, à l’intégrer pleinement.
Quelques mots en guise de conclusion : vive le journalisme d’investigation, la presse libre et les lanceurs d’alerte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je rejoins le sénateur Breuiller lorsqu’il dit qu’il faut lutter contre toutes les fraudes et se garder d’être fort avec les faibles et faible avec les forts. Toutes les fraudes doivent être poursuivies et sanctionnées, tous les impayés recouvrés.
Je vous livre un chiffre important : 40 % du montant total des fraudes recouvrées par la DGFiP chaque année est issu des enquêtes de la DVNI, cette direction que j’ai citée voilà quelques instants à propos de l’affaire McDonald’s et qui enquête sur les très grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 400 millions d’euros.
On voit combien est importante la part des très grandes entreprises dans les montants recouvrés par la DGFiP chaque année.
N’opposons pas une fraude à une autre : je l’ai dit, toutes les fraudes doivent être combattues. Parfois, dans le débat politique, on peut avoir le sentiment que certains portent leur regard sur la seule fraude fiscale, quand d’autres ne considèrent que la fraude sociale, dans une logique de stigmatisation. Telle n’est pas du tout ma position : mon souhait est que nous luttions contre toutes les fraudes, fiscale, sociale, douanière, sans stigmatisation, sans instrumentalisation, en ayant simplement à cœur de renforcer notre cohésion et notre pacte social. C’est ce que les Français attendent de nous.
Mme le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fraude fiscale consiste à échapper ou à tenter d’échapper à l’impôt, par tout moyen. C’est le détournement illégal d’un système fiscal. Un peu plus de quatre ans après l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, nous pouvons affirmer que, depuis 2017, notre pays a considérablement progressé en la matière.
Je commencerai par évoquer, de ce point de vue, la réforme de ce que l’on désigne comme le verrou de Bercy. Antérieurement seule habilitée à engager les poursuites en cas d’infraction de fraude fiscale, l’administration fiscale est désormais tenue d’informer le procureur de la République, qui décide seul de l’opportunité de poursuites pénales, dans le cas où le montant des droits fraudés est au moins égal à 100 000 euros.
De surcroît, la coopération entre les services de Bercy et la justice a été renforcée. Par exemple, les dossiers des personnalités enregistrées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peuvent être transmis au parquet, sous certaines conditions, lorsque le montant des droits fraudés est au moins égal à 50 000 euros.
Par ailleurs, les agents de l’administration fiscale ne sont plus tenus au secret à l’égard du parquet, même pour des dossiers ne faisant pas l’objet d’une transmission. Une telle réforme permet aujourd’hui de constater qu’une action conjointe des services de la justice et de Bercy, moderne et efficace, est possible. C’est l’occasion de saluer le travail réalisé par les femmes et les hommes de ces services.
De nouveaux outils ont également été votés en matière de lutte contre la fraude sociale, à l’image de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et de la convention judiciaire d’intérêt public. Rappelons, en outre, que la liste des paradis fiscaux dressée par l’Union européenne a été transposée en droit français.
À l’échelle internationale, l’extension du projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, mené sous l’égide de l’OCDE, doit également être soulignée. La quinzième et dernière action du projet consistait en l’élaboration d’une convention multilatérale, outil juridique innovant qui fait gagner du temps puisqu’il permet d’aménager automatiquement l’ensemble des conventions liant les États. Autrement dit, la convention multilatérale ne se substitue pas aux conventions bilatérales, mais elle les modifie. Une fois encore, la France a été pionnière dans la mise en œuvre de cette convention, grâce à l’impulsion donnée par la majorité présidentielle.
Force est de constater qu’en matière de lutte contre la fraude sociale et l’évasion fiscale les gouvernements successifs, depuis 2017, agissent. En 2020, M. le ministre le confirmera, l’État a récupéré près de 7,8 milliards d’euros grâce aux contrôles effectués dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale.
C’est la raison pour laquelle la mission d’information conduite par M. le président de la commission des finances et par M. le rapporteur général ne conclut pas à la nécessité d’une « révolution fiscale », mais préconise plutôt un certain nombre d’ajustements et d’évolutions. Une telle conclusion atteste qu’il existe d’ores et déjà, à ce jour, des dispositifs efficaces pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Est-ce pour autant suffisant ? Bien évidemment, non !
Paradise Papers, Panama Papers, LuxLeaks, SwissLeaks, voilà autant d’exemples qui démontrent que, en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, des progrès peuvent indéniablement être réalisés.
À cet égard, certaines recommandations du rapport d’information semblent pertinentes, à commencer par l’augmentation du nombre d’officiers fiscaux judiciaires jusqu’à leur doublement à l’horizon de cinq ans. Le service d’enquêtes judiciaires des finances ne dispose à l’heure actuelle que de 40 officiers fiscaux judiciaires alors qu’il a été saisi de 169 affaires de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale.
Pour ce qui est de la fraude à la TVA, sujet complexe – nous le savons tous, il s’agit d’un gisement important de ressources budgétaires –, nous pourrions envisager de permettre aux agents des douanes de sanctionner directement ce type de fraude dans le cadre du dédouanement à l’importation, via la création d’un délit douanier spécifique dans le code des douanes.
Enfin, parce que les montages fiscaux complexes sont réalisés en tenant compte des différences juridiques d’un pays à l’autre, les solutions les plus efficaces exigent d’être conçues à l’échelle internationale. Pourquoi ne pas envisager une réflexion sur la création d’un dispositif de name and shame envers les pays qui ne jouent pas le jeu de la coopération en matière d’échange d’informations, en complément des listes européennes ?
La complexité de la fiscalité internationale requiert en effet des efforts concertés pour avancer, notamment à l’échelle européenne. C’est bien en ce sens que la France doit continuer d’être moteur et force de proposition, comme elle sait l’être depuis 2017, avec l’objectif de renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je remercie le sénateur Rambaud d’avoir rappelé tous les apports majeurs de la loi de 2018 en matière de lutte contre la fraude : il y a un avant et un après concernant les outils, les moyens et les résultats.
Je salue aussi le fait qu’il ait mentionné l’enjeu essentiel de la communication et du partenariat entre les services fiscaux et le monde économique, c’est-à-dire les entreprises.
Je donne un chiffre : 20 000 rescrits sont transmis chaque année par l’administration fiscale aux entreprises, avec, dans l’écrasante majorité des cas, un délai de transmission de moins de trois mois, et un taux de satisfaction des entreprises de 95 % quant à leur confiance dans les services de la DGFiP. Ces données sont extrêmement positives.
Vous avez également mentionné les outils nouveaux qui ont été créés par la loi de 2018, dans le domaine du numérique notamment. Il en est un que l’on cite souvent – ce fut le cas notamment pendant les débats budgétaires –, le web scraping. Sur ce sujet, je proposerai à un groupe de travail incluant les parlementaires d’analyser les résultats issus de l’expérimentation avant de statuer sur une éventuelle généralisation.
Nombre d’efforts et de progrès ont été réalisés grâce aux outils numériques à la suite de la réforme de 2018. Dans un certain nombre de cas, nous avons procédé par expérimentation ; il nous faut maintenant poser la question de savoir lesquels de ces outils nous décidons de généraliser ; je sais, monsieur le sénateur Rambaud, que vous serez au rendez-vous pour y travailler avec nous.
Mme le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, au nom de mon groupe, remercier la commission des finances, son président, Claude Raynal, et son rapporteur général, Jean-François Husson, ainsi que les membres de cette mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, pour le travail technique d’évaluation qui a été conduit.
Ma conviction est que les préconisations qui sont émises dans ce rapport peuvent utilement aider les législateurs que nous sommes à faire évoluer la portée et l’efficacité des dispositifs de lutte contre la fraude.
En la matière, il me semble que la prudence ne doit pas entraver l’ambition, car, au-delà des milliards d’euros de recettes récupérées par l’État, la lutte efficace contre l’évasion et la fraude fiscales constitue un enjeu fondamental de justice sociale autant qu’un défi administratif et financier, recouvrant, de fait, des enjeux éthiques, politiques et démocratiques.
Je souscris sans réserve à l’ensemble des recommandations faites dans ce rapport, et singulièrement à celles qui sont relatives aux moyens techniques et budgétaires nécessaires pour mieux chiffrer et mieux appréhender l’ampleur de la fraude.
Au-delà de la complexité des montages et des schémas de dissimulation, il reste incompréhensible qu’en 2023 nos services ne parviennent toujours pas à savoir si le contrôle fiscal réussit à recouvrer 1 %, 10 %, 20 %, ou davantage, des montants fraudés.
Il est vrai, depuis vingt ans, la DGFiP est l’administration qui connaît les plus importantes baisses d’effectifs.
Je l’affirme donc : bien que relativement efficaces – nonobstant leurs ambiguïtés idéologiques et philosophiques, évoquées par l’un de mes collègues –, ni le data mining ni les nouveaux outils de ciblage ne remplaceront parfaitement, à mes yeux, le travail d’un enquêteur.
Je souhaite aussi profiter de cette tribune pour formuler un point d’alerte à l’adresse de notre assemblée. Au travers des évolutions législatives récentes en matière de contrôle fiscal, je crains en effet que nous n’encouragions une dérive de la philosophie même du contrôle, dérive consistant à requalifier ou à réapprécier les comportements de fraude pénalement répréhensibles en tant que simples « erreurs » ou « optimisations » pouvant faire l’objet, parfois dans l’opacité, de transactions ou d’arrangements de gré à gré, ce qui modifierait la nature même de ce contrôle.
Je pense ici, naturellement, au recours aux conventions judiciaires d’intérêt public pour les personnes morales et aux comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité pour les personnes privées.
Certes, le développement d’une logique préventive est louable, mais faire primer l’absolution des fraudeurs me paraît une voie glissante, donc dangereuse.
C’est la raison pour laquelle je reste particulièrement réservé quant à l’usage croissant des CJIP, qui permettent aux grandes entreprises d’échapper à une condamnation pénale. Initialement réservées aux faits de corruption, les CJIP ont été étendues en 2018 aux faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, sans par ailleurs, et contrairement à ce qui se passe dans le cas des CRPC, que les condamnations soient inscrites au casier judiciaire.
Si je reconnais volontiers qu’un tel dispositif permet d’enregistrer des rentrées directes de recettes fiscales et d’éviter de longues procédures judiciaires, je dois avouer que la relative impunité pénale accordée à ces entreprises fraudeuses continue de me poser problème.
Dès lors que les justifications apportées à l’utilisation de la CJIP découlent, pour la plupart, du manque de moyens des différentes institutions concernées, je crois de bonne politique de renforcer les moyens humains et matériels de la justice et des services fiscaux et de simplifier les procédures.
En conclusion, je souhaite une nouvelle fois remercier notre président et notre rapporteur général pour la richesse des conclusions de cette mission ; je souhaite ardemment qu’elles inspirent le Gouvernement dans l’effort d’amélioration de notre arsenal législatif et qu’elles nourrissent les propositions de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Lurel, l’enjeu de la réforme de 2018, il faut le rappeler, c’est précisément que davantage de dossiers soient transmis à la justice. J’ai entendu, dans votre intervention, s’exprimer la crainte que certains dossiers de fraude n’échappent à l’examen de la justice, alors que celui-ci serait justifié.
Je le répète, le fait d’avoir fait sauter le verrou de Bercy vise précisément à transmettre davantage de dossiers à la justice en nous rendant capables, notamment, de distinguer les fraudes d’un montant important, les fraudes « à enjeux », d’erreurs qui ne relèveraient pas de la fraude, et ce pour mieux sanctionner les premières. Mais je suis d’accord avec vous : l’enquête se doit d’être toujours véritablement exhaustive.
Je veux revenir sur les outils dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, sur l’initiative du sénateur Bocquet notamment, et en particulier sur les conventions judiciaires d’intérêt public : ces conventions sont largement négociées par le PNF, puis homologuées et validées par le juge. Ces outils, qui permettent de recouvrer des créances fiscales de manière beaucoup plus rapide, mais surtout de manière certaine – nous retrouvons le débat que nous avions plus tôt –, sont donc bel et bien examinés et validés, in fine, par l’autorité judiciaire.
Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est particulièrement heureux du travail qui a été réalisé par la commission des finances autour du président Claude Raynal et du rapporteur général Jean-François Husson concernant la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, car ces sujets le préoccupent tout spécialement. Des amendements ont notamment été déposés en la matière, au fil des sessions et des textes, par notre collègue Nathalie Goulet, dont la persévérance n’est plus à démontrer ; mon collègue Alain Duffourg y est également très attentif, et notre groupe est particulièrement attaché à la mise en œuvre des valeurs d’équité et de transparence.
Le montant de la fraude fiscale a récemment été évalué par l’Insee, en décembre dernier, à 80 milliards d’euros environ, dont un quart correspondrait à la seule fraude à la TVA. Je ne reviendrai pas sur ce dernier point, notre collègue Sylvie Vermeillet l’ayant largement évoqué. Je veux simplement vous rendre attentifs, mes chers collègues, au développement considérable, dans notre pays, du commerce en ligne et du commerce à distance ; il faut redoubler de vigilance à cet égard. La commission des finances s’est rendue en particulier à Roissy, pour voir comment travaillent les douaniers : elle a pu constater qu’il leur fallait des moyens tant humains que techniques pour mieux appréhender la nature des colis, éviter la fraude et, in fine, l’évasion fiscale.
Dans un contexte où les préoccupations budgétaires sont fortes, il importe que nous trouvions et mobilisions tous les outils permettant de renflouer les finances publiques, parmi lesquels, précisément, un effort accru de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, tout en évitant, autant que possible, de recourir à l’endettement.
La commission des finances a présenté, dans son rapport, une vingtaine de recommandations, qui ont été largement commentées par les orateurs précédents.
J’évoquerai, outre la question de la fraude à la TVA, celle des montages financiers complexes, qui doit retenir toute notre attention. Notre collègue Éric Bocquet l’a très savamment abordée ; son traitement requiert une coopération accrue avec les autorités douanières et financières des pays tiers, notamment européens, l’objectif étant de lutter efficacement contre l’évasion fiscale et de faire revenir tout le monde dans le droit chemin.
Il est un autre sujet auquel nous devons être attentifs, monsieur le ministre : celui de la connaissance de l’identité des bénéficiaires effectifs des sociétés. Un registre a été mis en place en 2017, il est rendu public depuis 2021. Je déplore, car c’est anormal, qu’à la faveur de la dématérialisation des formalités légales nous n’ayons plus accès, dorénavant, à ce registre des bénéficiaires effectifs des sociétés. Il paraîtrait logique que ce registre soit de nouveau consultable par chacun auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).
J’ajoute – cette question figure dans le rapport – que la renégociation des conventions de coopération internationale doit pouvoir se faire ; en la matière, aucun tabou n’est de mise. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Canévet, je veux revenir sur l’un des sujets que vous avez abordés, celui du commerce en ligne. Cela fait maintenant plusieurs années que ce secteur est en plein essor ; son chiffre d’affaires annuel a récemment dépassé les 130 milliards d’euros. On mesure l’enjeu essentiel qu’il y a à garantir notre capacité de recouvrer les montants dus, notamment en matière de TVA.
Des législations ont d’ores et déjà été adoptées, je pense évidemment au paquet TVA sur le commerce électronique, mis en œuvre à compter de juillet 2021. La véritable innovation est que les plateformes sont rendues redevables de la TVA pour certaines activités de vente à distance. Il s’agit bel et bien d’un outil utile. Pour preuve, un chiffre : entre juillet et décembre 2021, dans les premiers mois de la mise en œuvre de ce paquet TVA sur le commerce électronique, nous avons recouvré 700 millions d’euros via le guichet unique permettant aux plateformes de verser de manière simple la TVA qu’elles doivent à l’État.
Il faut évidemment continuer et aller plus loin ; des discussions et des négociations sont en cours au niveau européen pour garantir le bon encadrement fiscal de ces plateformes.
Mme le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.
M. Michel Canévet. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces explications sur le commerce en ligne. C’est très important ! Le groupe Union Centriste est bien sûr particulièrement attaché aux efforts réalisés en ce domaine. Nous voyons bien que, pour ce qui concerne la lutte contre la fraude fiscale, les résultats s’améliorent : nous réussissons à recouvrer davantage. Mais il faut intensifier ces efforts, en particulier, comme je l’ai dit, par des moyens humains obtenus par redéploiement au profit des missions de contrôle.
Dialoguant avec le service interrégional qui s’occupe du contrôle en Bretagne, j’ai pu constater qu’il travaillait de manière particulièrement efficace. Il faut continuer sur cette voie en dotant les services concernés des outils nécessaires à une meilleure appréhension des risques de fraude – je pense notamment au data mining.
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Mme Laure Darcos applaudit.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le thème de la lutte contre la fraude fiscale revient régulièrement dans le débat national, et pour cause : frauder, comme cela a été largement rappelé, c’est en quelque sorte refuser d’apporter sa contribution au financement des politiques publiques et à la solidarité nationale ; il y va du consentement à l’impôt.
On peut légitimement s’interroger sur le montant du manque à gagner pour l’État. Plusieurs estimations ont été faites ; on évoque souvent le chiffre, qui tourne en boucle, de 100 milliards d’euros de fraude fiscale. Ce chiffre a notamment été régulièrement avancé par le syndicat Solidaires finances publiques, étant entendu que le recouvrement d’un pareil montant permettrait sans nul doute de diminuer considérablement notre déficit structurel.
Seulement voilà, personne n’est en réalité capable de mesurer précisément le montant de la fraude fiscale, et ce chiffre est fortement sujet à caution. Ces 100 milliards d’euros allégués, en effet, ne concernent pas exclusivement la fraude fiscale au sens juridique du terme, mais correspondent à une extrapolation opérée à partir de l’ensemble des manquements fiscaux : ils incluent non seulement l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale abusive, mais aussi les erreurs et les divergences d’appréciation entre l’administration fiscale et le contribuable.
D’autres évaluations, comme celle du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), nous indiquent qu’on serait plus vraisemblablement en réalité autour de 30 milliards à 40 milliards d’euros de « vraie » fraude fiscale au sens juridique du terme, ce qui est déjà considérable étant donné que les services fiscaux ne détectent qu’entre 5 % et 10 % de ces affaires.
Étonnamment, et malgré l’arsenal législatif et technologique renforcé ces dernières années – je pense au desserrement du verrou de Bercy ou à l’instauration, en 2024, de la facture électronique, qui contribuera sans doute largement à l’amoindrissement de la fraude à la TVA –, les résultats annuels sur les droits et pénalités mis en recouvrement et encaissés franchissent péniblement la barre des 10 milliards d’euros en 2021, preuve de l’efficacité toute relative de la seule coercition.
La France est le pays de l’OCDE où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. C’est un élément essentiel et peut-être trop souvent minoré lors de nos débats dans l’explication de la fraude fiscale. Si l’on se réfère à la courbe de Laffer, un accroissement des taux d’imposition se traduit au-delà d’un certain seuil par un amoindrissement des recettes fiscales. En clair, trop d’impôt tue l’impôt !
Un pays attractif et dynamique économiquement retient ses talents et ne les fait pas fuir ! Faire revenir des exilés politiques dans un pays d’origine suppose de garantir un changement de cadre politique garant de leur sécurité. Il en va de même pour l’exil fiscal : sans changement de cadre fiscal, il n’y a pas de retour possible.
Dans une économie mondialisée, dans un monde interconnecté, maintenir des prélèvements obligatoires records en se révoltant – à juste titre – contre la fraude et surtout l’évasion fiscale se révèle être une utopie dangereuse.
Aux États-Unis, en 2004 et 2005, sous l’administration Bush, années où les mesures de réduction d’impôt sont entrées en vigueur, les recettes fiscales du gouvernement ont augmenté de 8 % et de 9 %. La hausse s’est poursuivie en 2006, avec une augmentation de 10 % au premier semestre, alors que la croissance de l’économie a été de 3,9 % par an.
Au Royaume-Uni, la tranche marginale de l’impôt sur le revenu passa sous Margaret Thatcher de 83 % à 60 %, puis à 40 %, ce qui entraîna simultanément une hausse des recettes fiscales de plus de 1 milliard de livres sterling entre 1985 et 1986.
Si nous voulons faire reculer la fraude fiscale et augmenter les recettes fiscales, alors il faudra baisser les impôts, bien que cela paraisse intuitivement paradoxal ! Car, nous aurons beau débattre de tous les moyens normatifs, de tous les carcans, de toutes les armes possibles, la seule et meilleure façon de réduire la fraude fiscale consiste avant tout à baisser massivement les impôts et les charges, il n’y en a pas d’autre !
Encore une fois, la fraude fiscale est évidemment et bien sûr condamnable, parce qu’elle est le refus d’obéissance à une loi démocratique de la République. Elle doit être le combat de chaque instant et nous ne pouvons en aucun cas la défendre ici. Mais force est de constater que fraude fiscale résulte essentiellement, voire exclusivement, de l’asphyxie fiscale. Pour sept Français sur dix, le poids de la fiscalité est excessif.
Pour conclure j’aimerais citer Winston Churchill, qui disait ceci : « Une nation qui essaie de prospérer par l’impôt est comme un homme dans un seau qui essaie de se soulever par la poignée. » C’est peine perdue, alors changeons de logiciel et osons la liberté !
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Le Rudulier, je vous rejoins à propos de la nécessité d’alléger la pression fiscale qui pèse sur les particuliers et les entreprises. C’est la politique que nous menons depuis 2017. Nous sommes d’ailleurs parfois critiqués dans le débat, notamment en ce qui concerne la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et l’instauration de la flat tax.
Pour autant, les résultats de cette politique ont été visibles immédiatement, avec un nombre de retours en France de personnes assujetties à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) désormais supérieur au nombre des départs. C’est une première. Ce phénomène ne s’est pas démenti depuis. L’enjeu est donc bien réel.
Nous devons également garantir l’attractivité de notre pays au niveau des entreprises. Voilà pourquoi nous avons tenu, y compris lors de la dernière lecture du projet de loi de finances, à réintroduire la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui avait été rejetée par le Sénat. Il est en effet important de suivre la même logique que pour les particuliers en ce qui concerne les entreprises et le secteur industriel.
M. Michel Canévet. Et pour les finances publiques ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pour les finances publiques, c’est aussi plus de recettes à la fin : si vous baissez les impôts, mais que plus de contribuables y sont assujettis, en volume, vous percevez davantage. C’est ce que nous avons constaté pour entreprises : nous collectons plus de recettes au titre de l’impôt sur les sociétés depuis que le taux est à 25 % qu’à l’époque où il était à 33 %, car la baisse de l’impôt a permis le développement de l’économie.
En revanche, je ne pense pas – mais telle n’était pas votre intention, je crois – que l’on puisse « excuser » la fraude au motif qu’il y aurait trop impôts. Heureusement, le Conseil constitutionnel veille : lorsqu’un impôt est considéré comme confiscatoire, il est aussitôt censuré. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec vous : il est nécessaire de diminuer la pression fiscale dans notre pays. Nous continuons à travailler en ce sens, car la France reste le deuxième pays en matière de pression fiscale. C’est la raison pour laquelle je me suis opposé avec Bruno Le Maire à des propositions de création d’impôts même temporaires. Dès lors que l’état des finances publiques le permettra, nous poursuivrons cette politique de baisse de la pression fiscale.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. J’ai déjà apporté beaucoup de réponses dans ce débat. Il existe une constance sénatoriale et, me semble-t-il, transpartisane sur le sujet de la lutte contre la fraude fiscale, comme en témoigne le rapport de la mission d’information. Celui-ci, d’une très grande qualité, s’inscrit dans la logique et dans la politique qui est la nôtre.
Nous tâcherons d’en suivre les préconisations, au-delà des mesures censurées par le Conseil constitutionnel dans le cadre du projet de loi de finances. Je le redis, mon intention est de construire dans les prochains mois avec les parlementaires une feuille de route pour lutter contre les fraudes fiscale, sociale et douanière. Je proposerai aux présidents des groupes des deux chambres de désigner un représentant pour travailler avec le Gouvernement, dans la logique des dialogues de Bercy. Je constate que M. le rapporteur général s’en réjouit d’ores et déjà… (Sourires.)
Je vous remercie de nouveau pour votre participation à ce débat et je me tiens à votre disposition pour travailler avec vous sur ces sujets.
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat a été de bonne tenue. J’en remercie évidemment chacun d’entre vous, même si nos discussions ont quelque peu dérapé à la toute fin sur la question de la baisse de l’impôt (Sourires.), mais c’est marginal par rapport à l’ensemble des interventions.
Sans prétendre faire une synthèse de tout ce qui a été dit, chacun faisant son miel de ce qu’il a pu entendre, je soulignerai l’intérêt de cette mission voulue par la commission des finances. Je remercie également certains de nos collègues non-membres de la commission des finances d’avoir participé à ce débat et d’avoir donné leur avis sur les sujets qui ressortaient de nos échanges.
Le premier axe, rappelé par plusieurs intervenants, c’est le sujet de l’évaluation de la fraude fiscale et des « zones de risque » dans ce domaine. C’est un exercice délicat, qui ne sera d’une certaine manière jamais totalement abouti, car les techniques de fraude évoluent au fur et à mesure. Néanmoins, en termes d’équité fiscale, il est indispensable de connaître l’ampleur des sommes qui sont soustraites à l’impôt pour avoir une approche la plus fine possible.
Le Gouvernement doit mettre des moyens pour réaliser davantage d’études sur le sujet. Pour sa part, la commission des finances s’est engagée depuis plusieurs années sur le sujet de la lutte contre la fraude à la TVA, avec des mesures concrètes qui ont été adoptées, notamment sur la responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA. Au départ, il n’a pas été évident de convaincre sur ce point, mais cela a produit ses effets. Il faut aller encore plus loin dans ce domaine en développant les partages d’informations entre les administrations publiques en matière de déclaration de TVA.
Un deuxième axe, qui a été mis en lumière par les travaux de la mission d’information et pour lequel nous attendons une implication du Gouvernement, car tout ne dépend pas du législateur, est l’approfondissement et la fluidification de la coopération entre l’administration fiscale et l’autorité judiciaire. Elle est bien meilleure aujourd’hui qu’elle n’a été dans le passé, mais il reste encore des progrès à accomplir.
Depuis la réforme du verrou de Bercy, davantage de dossiers de fraude fiscale sont traités par la justice. Or la question de la fraude fiscale n’est pas le sujet central pour notre justice : il faut donc une impulsion, mais aussi une formation des magistrats et des moyens dédiés pour que ce sujet, très technique, prenne toute sa place.
Par ailleurs, certains critiquent les instruments de justice négociée comme les conventions judiciaires d’intérêt public et les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, mais il me semble qu’il faut surtout déployer tous les moyens possibles pour permettre de faire revenir dans les caisses de l’État les sommes qui lui sont dues, sans oublier bien sûr la responsabilité pénale des fraudeurs lorsqu’elle est avérée.
Un troisième axe me semble résider dans les enjeux de coopération européenne et internationale. Ils sont évidemment très importants. La fraude peut démarrer par les logiciels de caisse non certifiés chez des petits commerçants, mais la plus difficile à combattre est celle qui implique des mouvements transfrontaliers et des intermédiaires financiers spécialisés dans ce type de montages, quand ce ne sont pas des États eux-mêmes qui se spécialisent dans ce domaine.
Il existe des circuits extraordinairement sophistiqués pour éluder l’impôt par le biais de montages offshore. Nous avons vu le sujet particulièrement complexe et, me semble-t-il, non résolu des CumEx Files. Un important effort doit être réalisé pour lutter contre ces montages et faire « rentrer dans le rang » les États qui ne coopèrent pas en matière d’échange d’informations fiscales.
Enfin, nous devons tous être attentifs à la conciliation entre respect des libertés individuelles et lutte contre la fraude, sans tomber dans l’excès de protection des fraudeurs. Les libertés individuelles ne sauraient être brandies pour échapper au contrôle fiscal.
L’accès à des données « librement accessibles » sur les réseaux sociaux, et non plus seulement à celles qui sont « publiquement accessibles » au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, permettrait des avancées concrètes.
Soyez sûr, monsieur le ministre, que la commission des finances du Sénat restera mobilisée sur ce sujet important, tant ces questions de fraude ou d’évasion fiscale sont insupportables pour nos concitoyens, comme tous les intervenants l’ont souligné à juste titre.
J’espère que le Gouvernement saura entendre les propositions du Sénat et trouver les moyens d’aller toujours plus loin sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. le rapporteur général applaudit également.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Politique du logement dans les outre-mer
Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux outre-mer, sur la politique du logement dans les outre-mer.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. le président de la délégation.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les besoins en logements dans les outre-mer sont criants. En 2021, notre délégation a consacré un rapport détaillé en écho au constat d’échec dressé par la Cour des comptes concernant le premier plan Logement outre-mer, dit Plom 1.
Face à la gravité de la crise du logement et pour contribuer à la réussite du Plom 2 du Gouvernement, notre délégation a procédé à un travail très approfondi de contrôle et de propositions sur cet aspect fondamental dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Le fort investissement de nos collègues rapporteurs dans ce travail les a conduits à élaborer un véritable programme d’actions pour « reconstruire cette politique ».
Leurs propositions sont articulées autour de trois axes majeurs.
Premièrement, il s’agit de refonder les cadres d’action de la politique du logement outre-mer pour la rendre plus efficiente.
Deuxièmement, il s’agit d’assurer un habitat pour toutes les populations dans leur diversité.
Troisièmement, il s’agit de faire de l’habitat ultramarin un modèle d’adaptation et d’innovation capable de répondre aux nouveaux défis de la politique du logement, en particulier à celui du vieillissement dans certains territoires et du réchauffement climatique.
Après le report de ce débat pour des raisons sanitaires il y a un an, nous nous félicitons de sa tenue, car le diagnostic est toujours d’actualité et la volonté de nos rapporteurs de rompre radicalement avec la « méthode descendante » qui a prévalu, au profit d’une approche territorialisée, fondée sur une évaluation fine des besoins exprimés par les collectivités elles-mêmes et dotée d’un pilotage permettant une meilleure coordination et concertation locales, apparaît toujours aussi pertinente.
Je souhaiterais insister sur quatre points.
Tout d’abord, il convient de diminuer le coût des opérations immobilières dans nos outre-mer en libérant notamment davantage de foncier aménagé, ce problème étant commun à l’ensemble des territoires.
Par ailleurs, le chantier de l’adaptation des normes doit être accéléré, l’inadaptation normative étant, là encore, un des facteurs du renchérissement des coûts. Un travail important reste à conduire avec la Commission européenne, nous le savons. Le travail mené par la Nouvelle-Calédonie est, de ce point de vue, précurseur et devrait servir de modèle. En octobre, vous nous aviez confirmé que votre objectif était bien de faire évoluer certaines normes européennes. Où en est-on aujourd’hui après la présidence française du Conseil de l’Union européenne et la présidence de la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques (RUP) européennes en 2022 ?
Ensuite, on doit s’atteler à la résorption des habitats indignes de la République. Le nombre d’habitats indignes se chiffre à 110 000 dans les départements d’outre-mer et le phénomène est de plus en plus diffus. Les opérations d’autoconstruction et d’autoréhabilitation peuvent apporter des réponses. Pourtant, elles sont encore trop peu utilisées, notamment du fait du manque de soutien des assurances.
Enfin, il est nécessaire d’accélérer la construction de logements sociaux et très sociaux. Faut-il rappeler que seuls 15 % des ménages des départements et régions d’outre-mer (Drom) résident dans des logements sociaux, alors que 80 % d’entre eux sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social ? Le Plom 2 fixait un objectif de 30 % de logements très sociaux.
Monsieur le ministre, où en sommes-nous à l’heure actuelle ? Quel bilan dresserez-vous du plan Logement outre-mer 2019-2022 ? Quelles initiatives avez-vous prises à la suite de vos rencontres avec les bailleurs sociaux et les acteurs majeurs que sont la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Action Logement ? Quelles sont donc les perspectives pour les outre-mer en 2023 ?
Permettez-moi d’insister aussi sur la situation à Mayotte et en Guyane, car le manque de logements et la multiplication des bidonvilles ont d’innombrables répercussions, notamment sur la santé, l’éducation, l’environnement ou la sécurité de leurs populations.
Mes collègues compléteront ce court propos liminaire, mais, à nos yeux, le chantier du logement est prioritaire, immense et absolument vital pour nos outre-mer ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER. – Mme Marie Mercier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation aux outre-mer.
M. Guillaume Gontard, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Artano vous a présenté succinctement les axes majeurs du riche rapport de la délégation aux outre-mer La politique du logement dans les outre-mer.
Mes excellents corapporteurs, Micheline Jacques et Victorin Lurel, que je remercie de leur confiance pour m’avoir laissé m’exprimer au nom de la délégation, vous préciseront nos travaux et nos propositions sur les deux premières parties du rapport.
La première partie vise à refonder les cadres de la politique du logement outre-mer, qu’il s’agisse des financements, mais également du besoin de penser une politique plus adaptée à chaque territoire et plus en appui des collectivités locales.
La deuxième partie vise à faciliter l’accès des populations à un habitat décent, en diminuant le coût des opérations immobilières, notamment via une adaptation normative, mais aussi en résorbant l’habitat indigne, en réhabilitant le parc existant et en accélérant la construction de logements sociaux.
Pour ma part, je me concentrerai sur la troisième partie du rapport que j’ai plus directement pilotée. Au-delà des difficultés structurelles dont le constat est posé dans ce rapport, l’habitat dans les outre-mer peut être un modèle d’adaptation et d’innovation pour répondre aux nouveaux défis de la politique du logement, et ce pour trois raisons principales.
D’abord, les outre-mer sont de véritables laboratoires des évolutions des besoins de logement et des modes d’habitat. Ensuite, ils sont déjà un terrain d’expérimentation pour l’adaptation de dispositifs et de procédures innovants. Enfin, les outre-mer ont un formidable potentiel de systèmes constructifs locaux, adaptés aux nouveaux défis du logement, comme le réchauffement climatique, qu’il conviendrait surtout de mieux promouvoir et mutualiser.
Autrement dit, comment sortir de la standardisation de la production de logement et du tout béton ? Comment réduire les coûts de construction tout en améliorant la qualité ? Comment limiter la dépendance énergétique des logements et respecter les ambitions de la stratégie bas-carbone ? Comment renforcer la résilience du bâti face aux catastrophes naturelles ? Comment construire pour s’adapter aux évolutions démographiques, notamment au vieillissement et aux modes de vie tournés vers le plein air, tout cela en favorisant les économies locales ?
La bonne nouvelle, c’est que la réponse à tous ces défis est presque unique : développer une filière locale du bâtiment en s’appuyant sur le savoir-faire des architectes ultramarins, notamment sur la mémoire de l’habitat vernaculaire, sur les matériaux locaux et biosourcés – le bois, le bambou, la brique de terre compressée, etc. –, pour bâtir de nouvelles formes d’habitats légers, ouverts, moins gourmands en énergie et plus résilients face aux risques climatiques. À rebours de notre jacobinisme historique, l’enjeu est de s’adapter aux spécificités de chaque territoire ultramarin.
Cela passe naturellement par un assouplissement ou par une adaptation des normes en vigueur que le rapport détaille. Pour ne prendre qu’un exemple, il est indispensable de faciliter la certification des matériaux biosourcés venant des pays voisins de nos Drom pour leur permettre de raccourcir les circuits d’approvisionnement. Cela passe également par une meilleure utilisation des financements publics pour soutenir notamment des éco-quartiers.
Cela doit permettre de penser un habitat, notamment social, plus ouvert et inclusif, avec des espaces extérieurs et des espaces verts, favorisant une meilleure aération, une diminution des frais de climatisation et un mode de vie souvent plus collectif qu’en métropole, tourné vers l’extérieur.
S’agissant des risques sismiques et cycloniques, la problématique est grande. L’habitat léger est plus résilient face au risque sismique, l’habitat en béton plus résilient face au risque cyclonique. Pour concilier les deux et rester cohérent avec sa philosophie générale, le rapport suggère de favoriser l’habitat léger et de prévenir le risque cyclonique en prévoyant des pièces sécurisées dans les logements, ainsi que des refuges collectifs.
C’est donc une filière économique complète et totalement locale – architecture, matériaux majoritairement biosourcés, bureaux d’études, maîtrise d’œuvre, etc. – qu’il nous faut développer, une filière pourvoyeuse d’activité économique et d’emplois, une filière écologiquement beaucoup plus vertueuse, une filière permettant de bâtir mieux pour moins cher.
Pour ce faire, nous préconisons l’organisation d’assises pour la construction ultramarine, qui réuniraient l’ensemble des acteurs publics et privés et auraient notamment pour objet de valoriser les initiatives, les techniques, les matériaux et les expériences locales. L’objectif serait également de mutualiser les bonnes pratiques, les réussites et les retours d’expérience, ainsi que de proposer une révision des normes de construction, etc.
Faisons de nos territoires ultramarins un laboratoire de l’innovation écologique et sociale en matière de logement. Monsieur le ministre, nous n’attendons que votre signal ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour discuter d’un sujet important et dont les réponses ne sont toujours pas à la hauteur des besoins : le logement.
C’est un sujet qui nous concerne tous. Les demandes explosent, la précarité est grandissante, la population a besoin de compter sur une réelle politique du logement pour faire face à l’ensemble des enjeux. C’est d’autant plus vrai en outre-mer, où trop souvent les problématiques métropolitaines se trouvent exacerbées.
L’échec du premier plan Logement outre-mer, entre 2015 et 2019, témoigne d’une inefficacité du Gouvernement à apporter collectivement, avec tous les acteurs des territoires, des réponses locales et concrètes face à la diversité et à la spécificité de chaque territoire ultramarin. Apporter une réponse verticale n’a pas été la solution.
Le second plan Logement outre-mer, qui a été allongé d’un an afin de prendre en compte la crise sanitaire, a pour ambition d’agir avec tous les acteurs concernés par la politique du logement en outre-mer : les collectivités, les services déconcentrés, les bailleurs, les représentants de locataires et tant d’autres. Est-ce la réalité dans les faits ? La route est encore longue et les difficultés sont encore présentes.
Pour mémoire, 80 % de la population en outre-mer est éligible au logement social, alors que ce dernier constitue uniquement 18 % du parc immobilier. Ce taux d’éligibilité est supérieur à la moyenne nationale, qui tourne autour de 73 %.
Le vingt-septième rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement revenait sur la situation en outre-mer. L’État n’est toujours pas au rendez-vous. « Plus un seul sans-abri », disait le Président de la République en 2017 : aujourd’hui, le nombre de sans domicile fixe explose, l’accès au logement n’est pas garanti pour tous, la pauvreté en outre-mer est deux à cinq fois plus élevée qu’en France métropolitaine.
Le droit de vivre dignement est condamné, c’est d’autant plus frappant à Mayotte et en Guyane. Les loyers sont chers, l’accès au logement devient difficile face à des revenus, là encore, inférieurs à la moyenne nationale. Il faut accompagner nos concitoyens ; on ne peut imaginer une politique du logement sans prendre en compte la détresse sociale.
Monsieur le ministre, il convient d’élaborer une réelle stratégie autour du logement, une stratégie efficace, efficiente pour répondre à ces problématiques, y compris en outre-mer. Les associations vous interpellent : il faudrait produire 15 000 logements par an pour répondre à la demande globale des territoires ultramarins. Aujourd’hui, nous n’arrivons guère à atteindre les 10 000 logements par an fixé par la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer.
L’habitat indigne représente 13 % du parc immobilier en outre-mer. Rien qu’à Mayotte, il y a autant de personnes vivant dans un bidonville que dans tout l’Hexagone.
L’habitat privé est également fortement dégradé, des moyens sont indispensables pour accompagner les réhabilitations et les opérations de désamiantage.
La rareté du foncier, le réchauffement climatique, la croissance démographique sont des enjeux centraux à intégrer pour permettre à chaque habitant d’outre-mer de vivre dignement.
La réponse à ces objectifs doit passer par des discussions et des échanges, en associant tous les acteurs liés à la politique du logement en outre-mer. Les territoires ultramarins font partie intégrante de la République et doivent être représentés dans chaque instance nationale, y compris pour les questions de logement. Les dispositifs existants doivent être plus lisibles, plus transparents, afin que chacun puisse accéder à ses droits concernant le logement, la propriété, les travaux…
Le développement de l’ingénierie locale, mais aussi l’accroissement de l’accompagnement de l’État sont essentiels. Il faut accompagner les collectivités territoriales en leur octroyant plus de moyens humains et financiers pour qu’elles puissent assurer leur mission de service public. L’accompagnement des bailleurs sociaux est également important pour protéger le parc social et les locataires, ainsi que pour développer l’offre.
J’espère fortement que ce débat et le travail engagé sur le sujet permettront d’avancer sur la politique du logement, en France métropolitaine et en outre-mer. Le conseil interministériel des outre-mer qui se tiendra au printemps prochain sera un moment décisif pour les territoires ultramarins. Nous espérons que les annonces seront à la hauteur des engagements pris par le Gouvernement, mais surtout à la hauteur des besoins, car la détresse est grande.
Monsieur le ministre, je termine en vous posant une question : parviendrez-vous à atteindre l’objectif de construction de 15 000 logements par an en outre-mer, malgré la baisse drastique des moyens alloués ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, je partage votre analyse sur les besoins – on y reviendra tout au long de ce débat –, mais pas l’idée selon laquelle le Gouvernement est le seul responsable.
Nous sommes tous collectivement responsables !
Je rappelle d’ailleurs que, dans un certain nombre de territoires, le Gouvernement n’a aucune compétence en matière de logement – n’est-ce pas, monsieur Artano ? Nous en reparlerons également.
J’en viens à votre question, madame la sénatrice. Oui, nous devons changer. J’ai décidé de proposer non pas un Plom 3, mais un objectif Logement outre-mer pour la période à venir, territorialisé et signé cette fois par les collectivités locales, par les présidents d’association des maires, par les représentants des organismes HLM. Il nous faut changer de méthode. C’est pourquoi je propose cet objectif logement partagé avec tous les partenaires.
Cependant, un problème foncier et un problème de simplification se posent.
Dans le cadre du comité interministériel de l’outre-mer (Ciom), à la suite de l’appel de Fort-de-France et de la réunion organisée par le Président de la République le 7 septembre dernier, un certain nombre de données m’ont été transmises. Nous commençons à mettre en œuvre des mesures. Il faut bien calibrer notre action, car nous ne prendrons pas 500 mesures, mais seulement celles qui accroissent véritablement notre capacité à faire, ensemble, du logement.
Pour ce qui concerne le foncier, je le dis très simplement, les collectivités locales qui sont largement propriétaires de foncier disponible seront sollicitées, et fermement. Nous ferons du name and shame : nous désignerons les collectivités qui veulent construire du logement sans donner de foncier.
La situation ne date pas d’hier ; elle dure depuis quarante ans… Ce qui va changer, sous l’impulsion du Président de la République, c’est que nous allons agir ensemble.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar.
Mme Nassimah Dindar. Vous venez de le dire, monsieur le ministre, le Plom 1 n’a pas tenu son objectif de construction et de réhabilitation de 10 000 logements par an. Malgré les outils mobilisés et les plans successifs, le constat est sans équivoque : le secteur du logement reste en crise dans l’ensemble des territoires ultramarins.
Nous n’avons pas encore le bilan détaillé du Plom 2 et nous souhaitons vivement en connaître les résultats concrets. Quant aux perspectives, vous venez de les indiquer, monsieur le ministre.
En clair, avons-nous vraiment reculé sur le nombre d’habitats indignes, encore trop important dans les Drom, alors même que l’insalubrité affecte la santé physique et mentale des publics vulnérables ? Je pense aux habitats infestés de moustiques, à l’épidémie de dengue qui sévit encore à La Réunion, à la déscolarisation précoce, à la précarisation des femmes battues qui ne trouvent pas de logement social alors qu’il est prévu qu’elles en bénéficient.
Quels sont les résultats en matière d’amélioration de l’habitat privé ? Entre le 1 % logement, MaPrimeRénov’ accordée par l’État et les aides régionales existantes – il y a donc des moyens financiers ! –, force est de constater que l’éparpillement des dispositifs freine leur mobilisation respective.
Autre point de vigilance : le vieillissement de la population ultramarine, particulièrement accéléré aux Antilles, nécessite un véritable plan stratégique, comme le préconise le rapport interministériel sur l’adaptation des logements, des villes, des mobilités des territoires à la transition démographique de Luc Broussy du mois de mai 2021.
En 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France. Face à ce scénario catastrophe, ce plan doit être élargi aux autres territoires également touchés par la transition démographique, comme La Réunion, qui comptera 1 million d’habitants avant 2030, et Mayotte.
Pour ce qui concerne la jeunesse, tous les acteurs, notamment les bailleurs sociaux, reconnaissent qu’elle a de plus en plus de mal à accéder à un logement. Qu’il soit jeune travailleur ou étudiant, le Domien a des difficultés pour se loger.
Je ne donnerai que ce chiffre : à La Réunion, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) dispose de 1 381 places d’hébergement pour 21 000 étudiants. Un tel constat n’est pas différent dans les autres départements ultramarins.
Vous avez raison, monsieur le ministre, ce n’est pas seulement « de la faute de » : l’incurie est collective. Par exemple, la réserve foncière n’a pas été mise en place. Nous le constatons, les défis sont nombreux et variés. Aussi plaidons-nous pour une plus grande territorialisation de la politique du logement, car il convient de mieux prendre en compte les particularités de chaque territoire pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens.
Cette territorialisation doit aussi passer par une meilleure représentation des outre-mer dans les instances nationales du logement. En effet, le ministère des outre-mer n’est membre ni du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), laquelle n’est pas suffisamment mobilisée dans nos territoires, ni de celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) ; on peut s’interroger sur une telle absence, mes chers collègues…
Si nous voulons résorber les habitats indignes, si nous reconnaissons l’inadaptation normative dans le secteur du bâtiment, décriée depuis de nombreuses années comme étant l’un des facteurs du renchérissement des coûts de la construction, si nous reconnaissons l’exiguïté de la réserve foncière et le manque de financements du fonds régional d’aménagement foncier et urbain (Frafu), principal ou secondaire, nous savons aussi qu’aucune collectivité n’aura la réserve foncière, notamment dans les territoires où il y a des pentes, pour aménager ces terrains – je pense, par exemple, aux communes des Hauts, à La Réunion.
Reconnaissons, alors, qu’un véritable plan Marshall du logement outre-mer est nécessaire, bien plus qu’un Plom 3.
Au-delà de la ligne budgétaire unique (LBU), nous pourrions être de véritables laboratoires à ciel ouvert, car les outre-mer sont des terres d’innovation et d’expérimentation. Les grandes tendances de l’habitat de demain y sont déjà perceptibles et identifiées, avec l’utilisation du bambou et des galettes de chanvre pour la construction par exemple, ou encore du bois de goyavier et du cryptomeria à La Réunion et dans d’autres territoires. Quant à l’habitat local de type « bangas », présent à Mayotte, il a vocation à être amélioré.
Nous pourrions développer une filière de recherche et de développement de l’habitat innovant avec des nouveaux matériaux, ce qui constituerait un levier important permettant de mobiliser davantage de financements européens dédiés à l’innovation. Des lignes budgétaires européennes sont en effet largement sous-utilisées dans le secteur de l’habitat.
À cet égard, le chantier de la performance énergétique des bâtiments constituerait un test, comme vous le savez en tant qu’ancien président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), monsieur le ministre.
Dans le même ordre d’idées, on pourrait envisager de modifier la réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM), avec une obligation d’installer des panneaux en complément des chauffe-eau solaires, lesquels sont très présents à La Réunion, par exemple. Développer le photovoltaïque pour tendre, à terme, à l’autonomie énergétique dans l’ensemble de nos territoires me semble de bon aloi pour améliorer les trop nombreux habitats indignes. Le Sénat a d’ailleurs adopté un amendement qui vise à rendre de nouveau éligibles les installations de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil.
Pour ce qui concerne le plan de réhabilitation des logements sociaux anciens, malgré les moyens alloués par l’État, les bailleurs rencontrent de grandes difficultés financières pour répondre à leurs obligations.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, au cours des dernières décennies, nous ne sommes parvenus ni à traiter le mal-logement dans les outre-mer ni à corriger l’accroissement des disparités. En effet, les prix immobiliers ont doublé de manière disproportionnée par rapport aux niveaux de revenus. Il est de plus en plus difficile de devenir propriétaire lorsque l’on habite outre-mer.
En clair, tout cela dessine les contours de territoires inégalitaires sur le critère de la capacité à constituer un patrimoine et à accéder à un cadre de vie adapté aux aspirations et à la diversité des compositions familiales. La lutte contre le mal-logement et la politique du logement social demeurent donc un défi à relever pour l’ensemble de nos territoires, pour les maires qui doivent faire face à ce problème, et pour la population qui se sent oubliée.
Ces disparités fortes sur les marchés, aux conséquences directes sur la capacité d’accès au logement des ménages, posent également la question du creusement des inégalités. Les territoires ultramarins ont parfois l’impression d’être – j’y insiste – les grands oubliés de la politique nationale, alors même que des moyens financiers existent.
Les débats restent ouverts sur l’application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, et, plus encore, sur les moyens d’atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) dans les départements d’outre-mer.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je plaide, comme vous, pour une plus grande territorialisation de la politique du logement et pour un plan d’urgence, que je nommerai « plan Carenco », afin qu’aucun Domien ne soit laissé sur le bord du chemin.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice Dindar, la tentation du bien est parfois pire que la tentation du mal…
Il nous faut bien cerner les questions : nous les connaissons et les partageons. Nous devons ordonnancer ce que nous avons à faire ensemble, mais il ne faut pas agir tous azimuts.
Je fais, pour ma part, une différence entre l’Anah et l’Anru, dont vous auditionnerez prochainement la directrice générale. Vous pourrez ainsi lui demander pourquoi on ne construit pas de logements HLM dans les zones relevant du PNRU (programme national de rénovation urbaine). On n’en construit plus à La Réunion ! Nous allons changer cela.
Il faut appréhender les problèmes généraux, puis les territorialiser. C’est ce que je ferai, dans la suite du Plom, et que j’appellerai, comme je l’ai dit, « objectif Logement outre-mer ».
Qu’est-ce que le Frafu ? Il s’agit de la LBU, plus des fonds des régions que l’on mobilise sur des sujets particuliers.
M. Victorin Lurel. Pas tout à fait…
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. C’est ainsi que l’on me l’a décrit, mais vous m’en direz plus, monsieur le sénateur… En tout cas, le Frafu utilise les fonds de la LBU.
La question est donc la suivante : que finance-t-on avec la LBU ? Nous devons nous mettre d’accord. Peut-être ne devrait-on pas, selon les territoires, financer les mêmes projets avec la LBU. Cela participe de la territorialisation, sur laquelle je suis vigilant.
Les organismes HLM, même si j’y suis très attaché, doivent être plus dynamiques, car la problématique repose sur eux ! Il nous faut aussi travailler avec l’Anah, qui, pour le dire ainsi, ne fait pas tout à fait le job outre-mer… Le nombre de logements vacants à réhabiliter est considérable ! J’ai invité le président du conseil d’administration et la directrice générale de l’Anah à entrer davantage dans le système.
Essayons de bien cerner les questions et de territorialiser les priorités, qui ne sont pas les mêmes selon les territoires.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Nous allons, par exemple, financer à 100 % le déplacement du village de Miquelon.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour la réplique.
Mme Nassimah Dindar. Monsieur le ministre, le Frafu est un fonds qui concerne l’aménagement, soit le poste qui souvent coûte le plus cher. Vous avez raison, on a recours à la LBU quand on a besoin d’aménager les routes en vue de la construction de logements sociaux, mais on pourrait aussi mobiliser fortement le Frafu via les dispositifs européens.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que, ces dernières années, la question du logement a fait l’objet de nombreux rapports d’information et d’amendements visant à améliorer le traitement de l’habitat indigne et à faciliter la production de logements sociaux. Pour autant, la situation reste toujours aussi préoccupante et contraignante. En effet, force est de constater que leur déclinaison opérationnelle tarde à se concrétiser et que les effets ne se font pas encore sentir.
En parlant de réalités territoriales, je vais me permettre d’apporter quelques précisions sur les dispositifs relatifs au logement à Saint-Pierre-et-Miquelon.
En application de la loi organique, la compétence en matière de logement appartient à la collectivité. Par voie de conséquence, la loi de 1989 sur le logement ne s’applique pas sur l’archipel alors qu’elle est d’ordre public dans l’Hexagone.
Ainsi, au travers de son schéma territorial d’aménagement et d’urbanisme (Stau), la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon porte un véritable projet d’accompagnement à la rénovation thermique et, parallèlement, mène un processus d’élaboration d’un programme territorial de l’habitat.
Dans le contexte tendu que nous connaissons et face à la pénurie du parc immobilier, la collectivité souhaite répondre aux besoins de la population en matière de logements. Les bâtis sont parfois dégradés, tandis que les loyers proposés ainsi que les coûts à l’achat ont fortement augmenté ces dernières années et ne sont plus du tout maîtrisés.
Dans ce cadre, il est nécessaire de réfléchir à la mise en place d’outils fiscaux de lutte contre la vacance et la rétention foncière – la collectivité y travaille –, ainsi qu’au déploiement d’un système d’aide incitatif à la rénovation énergétique, avec un focus social et urbanistique. Nous devons aussi étudier la faisabilité de l’instauration d’un code de la construction et de l’habitation qui prenne en compte la reconnaissance des normes pour les matériaux de construction nord-américains utilisés localement et la pratique dominante de l’autoconstruction.
Afin de répondre à ces différentes problématiques, je souhaite vous interpeller sur cinq thèmes, monsieur le ministre.
Premièrement, concernant la réactivation de la LBU pour Saint-Pierre-et-Miquelon, que vous avez évoquée, je rappelle que ce dispositif a eu un réel effet de levier sur la création d’une offre dans le marché locatif aidé entre 1981 et 2015. La réactivation de ce type de dispositif permettrait d’augmenter rapidement l’offre locative et redonnerait de l’activité au secteur du bâtiment et aux PME de la construction, à coût réduit pour la puissance publique et, in fine, pour le particulier.
Deuxièmement, le rôle de l’État dans la politique de logement social sur le territoire doit être clarifié en matière de financement des résidences sociales et des aides personnalisées au logement. Par ailleurs, la collectivité territoriale souhaite que l’État puisse accompagner dans leurs projets de rénovation et d’adaptation les personnes en perte d’autonomie ou de handicap.
Troisièmement, à ce jour, Saint-Pierre-et-Miquelon n’entre toujours pas dans le champ d’intervention de l’Anah, qui reste un partenaire privilégié des collectivités territoriales dans le développement de leur politique de logement. Il est indiscutable que l’appui méthodologique et les moyens financiers proposés par l’Anah permettraient à l’archipel de se doter d’une véritable politique de l’habitat.
Quatrièmement, au regard des objectifs fixés par le Gouvernement en matière de consommation d’énergie et de rénovation thermique, l’État pourrait-il s’engager à étudier les possibilités d’accompagnement des usagers dans leurs projets de rénovation et d’adaptation du logement en termes tant de financement que d’expertise en appui au point info énergie (PIE) local ? Je sais que Stéphane Normand a interrogé le Gouvernement à ce sujet récemment.
Cinquièmement, et ce n’est pas le moindre des thèmes que je souhaite aborder – vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le ministre –, le déplacement du village de Miquelon, du fait du changement climatique et de la montée des eaux a pour conséquence la nécessité de s’adapter et de réurbaniser de nouvelles zones. Cette initiative, lancée par la mairie de Miquelon, a été soutenue par l’État, donc le Gouvernement, et la collectivité territoriale.
La question se pose aujourd’hui des moyens financiers qui pourront être mis sur la table pour accompagner la mise en œuvre des réseaux de la nouvelle zone à urbaniser. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, ce que vous venez de dire à ce sujet ? Tous les habitants de l’archipel, notamment ceux de Miquelon ainsi que les jeunes qui voudraient revenir s’y installer, seraient heureux d’entendre cet engagement de l’État, que je saurais apprécier à sa juste valeur.
De manière globale – j’anticipe quelque peu et je le dis comme je le pense –, il serait inacceptable de s’entendre dire que la compétence logement de la collectivité l’oblige à faire face et à se débrouiller seule.
Ce que nous demandons, ce sont des moyens financiers en investissements afin de soutenir le conseil territorial – nous l’avons récemment précisé à la Première ministre –, afin de donner une impulsion et un effet de levier aux constructions locatives à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet effet de levier ne serait pas le même que sur d’autres territoires ultramarins : les moyens financiers à mobiliser ne sont pas aussi énormes que cela si nous nous y mettons tous.
Nous souhaitons un véritable partenariat. C’est d’ailleurs ce que l’État vient de faire en Guadeloupe en apportant, dans le dernier budget un soutien massif de 20 millions d’euros, notamment pour redresser les finances du syndicat mixte d’eau et d’assainissement. On ne peut pourtant pas dire que l’État ait des compétences en ce domaine, mais je salue son initiative et cet investissement. Il s’agit, selon moi, d’intelligence collective. Je suis persuadé que nous saurons trouver cette voie à Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Artano, vous savez combien Saint-Pierre est cher à mon cœur ! Je m’y rendrai d’ailleurs au mois de mars ou d’avril prochain.
Je vous ferai des réponses simples.
Oui, la compétence logement relève de la collectivité et, de ce fait, les aides de l’Anru et de l’Anah ainsi que la LBU et les aides à la pierre ne s’y appliquent pas. Il faut changer cela, car une commune de 6 000 habitants ne peut, sans aide, disposer des mêmes services que les autres collectivités.
Dans le cadre des discussions engagées avec le président du conseil territorial et dans la ligne de la réunion du 7 septembre dernier et de l’appel de Fort-de-France, nous allons donc nous efforcer d’y remédier soit au travers du Ciom, soit de manière institutionnelle. L’objectif est d’intervenir sans empiéter – c’est important – sur la compétence de votre collectivité. Il s’agit seulement de se donner les moyens de vous aider.
Vous l’avez dit, la LBU finance depuis 2017, à titre dérogatoire, le logement à Saint-Pierre-et-Miquelon ; il n’y a pas de raison de s’arrêter….
Il faut nous engager vers la responsabilisation et la différenciation ; ainsi, la discussion engagée aboutira. J’en présenterai les résultats au ministre de l’intérieur et des outre-mer au mois de juillet prochain, puis, au mois de septembre, nous soumettrons ce volet ensemble, après le Ciom, à la Première ministre et au Président de la République.
J’en viens au déplacement du village de Miquelon.
La République a déménagé des dizaines de villages, notamment pour construire des barrages hydrauliques. Ici, ce sera plus simple. Je vous confirme que la direction générale de la prévention des risques (DGPR) financera à hauteur de 100 % les dépenses individuelles.
Doit-on donner cette aide directement aux personnes – et c’est le fonds Barnier qui joue à plein –,…
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. … ou essaie-t-on de centraliser à l’échelon de l’État pour financer aussi les investissements collectifs ? Ce sera l’objet de ma prochaine visite dans votre territoire, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques.
Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, il n’y a pas de politique publique efficace sans cadre normatif adapté. Cette problématique est au cœur des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et c’est une approche qui me tient à cœur.
En effet, au cours des auditions en vue du rapport d’information sur la politique du logement dans les outre-mer, de trop nombreux freins normatifs à la production de logements nous ont été rapportés. Or une bonne adaptation permettrait de répondre, certes, au défi de la production, mais aussi à d’autres enjeux. Ceux-ci sont notamment environnementaux et peuvent aussi constituer des leviers de production de valeur, à laquelle je vous sais particulièrement attaché, monsieur le ministre.
Comment comprendre que la Guyane ne puisse importer de bois de charpente du Brésil, mais qu’elle doive le faire venir de Scandinavie ? À l’heure du renchérissement du coût des énergies fossiles et des objectifs de décarbonation, cette situation est l’illustration même de l’inadaptation normative.
La Guyane pourrait également fournir davantage de bois à la Guadeloupe et à la Martinique, sachant en outre qu’elle produit des arbres disposant de solides qualités anti-termites.
À Mayotte, l’entrée en vigueur de nouvelles normes pour les portes de garage a « entraîné la destruction de toute une partie de l’artisanat local ». Voilà un autre exemple de norme qui, se concentrant sur l’objectif de sécurité, occulte les dommages collatéraux qu’elle produit.
Au contraire, il convient désormais d’évaluer de manière plus globale l’impact des normes pour renforcer ce qui pourrait être fragilisé. Là encore, la protection des savoir-faire locaux peut constituer une formidable source d’innovation tout en répondant à plusieurs enjeux.
De fait, la part de recherche et développement est encore très faible dans les outre-mer et offre un potentiel de croissance colossal, notamment pour l’adaptation des matériaux locaux ou régionaux aux contraintes de sécurité. Cela pourrait représenter des opportunités de développement de formations et, pourquoi pas, d’écoles d’ingénieurs dans chacun des bassins océaniques. J’ai eu l’occasion de le suggérer lors du débat budgétaire.
Par ailleurs, le coût des matériaux représente l’un des principaux freins à la construction. C’est pourquoi notre délégation préconise notamment les échanges, transfrontaliers et avec les îles voisines, de matériaux, mais aussi de techniques. L’arsenal normatif doit mieux prendre en compte les pratiques des pays voisins, dont les conditions climatiques ou d’exposition aux risques naturels sont plus proches de celles des outre-mer.
Stéphane Artano l’a rappelé, la Nouvelle-Calédonie a montré la voie avec un chantier d’acclimatation des normes qui s’appuie largement sur la coopération technique régionale avec l’Australie. Si son statut lui permet d’en prendre l’initiative et de maîtriser le processus d’adaptation dans les autres collectivités, l’État pourrait être coordonnateur de la même démarche pour tous les outre-mer. Elle plaide aussi depuis plusieurs années pour la tenue d’assises de la construction outre-mer qui favoriseraient, de surcroît, l’échange de bonnes pratiques, compte tenu de son expérience. C’est une proposition que la délégation a également relayée et que la direction générale des outre-mer (DGOM) et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) pourraient organiser.
Depuis la publication du rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer intitulé Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d’un obstacle un atout, on peut noter les efforts des organismes et administrations producteurs de normes techniques. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour territorialiser la certification, les échanges d’informations entre territoires et, surtout, la production du cadre normatif, afin qu’il ne soit plus essentiellement pensé depuis la métropole.
Enfin, je ne saurais conclure ce propos sans évoquer l’absence de filière de désamiantage dans les outre-mer, ce qui entraîne des coûts considérables. Des propositions de neutralisation existent. Cela m’amène, du reste, à évoquer l’intérêt de l’utilisation de matériaux biosourcés au détriment du béton.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, je suis convaincue qu’en ces temps troublés et de contrainte budgétaire une approche pragmatique du logement ne peut faire l’économie de sa dimension normative.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, puisque vous représentez Saint-Martin et Saint-Barthélemy, je tiens à dire que je compte beaucoup sur les collectivités territoriales pour proposer des terrains dont elles sont propriétaires en vue de construire des logements destinés aux fonctionnaires.
Si vous me proposez des terrains soumis à bail emphytéotique de soixante ans, je m’engage à trouver des investisseurs prêts à financer la construction de ces logements. Cela ne coûtera un sou ni à vous ni à personne ; mieux, cela vous reviendra dans soixante ans ! Je suis en train d’écrire, à cet effet, à chacun des présidents de collectivité : tous ont des terrains, à Saint-Martin comme à Saint-Barthélemy !
Pour ce qui concerne les normes, je vous annonce une bonne nouvelle : la mise en place en 2023, en accord avec la Commission européenne, des marquages outre-mer en substitution des marquages CE pour favoriser l’approvisionnement dans le bassin.
Cette année verra aussi la production du tableau d’équivalence des normes Europe pour une liste de familles de matériaux de construction importés des pays limitrophes outre-mer.
Sur les normes, vous avez raison, il faut avancer.
Je me suis fâché contre les artisans du Plom 2, car je trouvais que cela n’allait pas assez vite. Un certain nombre de normes sortiront en 2023 : nous devrions donc avancer.
Pour le reste, nous progresserons dans le cadre du Ciom.
Enfin, je suis en discussion avec mes homologues espagnol et portugais sur les régions ultrapériphériques – une réunion aura lieu à Madrid prochainement –, en vue d’une révision prévue par l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin de balayer toutes ces normes qui sont bloquantes, en matière de logement comme dans d’autres domaines.
Il faut cependant faire attention, car l’Europe nous apporte beaucoup : nous sommes donc sur un chemin de crête. Les RUP procurent beaucoup d’argent, mais ont aussi de nombreuses contraintes. Il faut trouver le bon chemin, et c’est l’objet des discussions institutionnelles que je mène. J’irai cette semaine à Saint-Martin, à la Martinique et en Guyane afin de travailler sur les sujets suivants : RUP, Europe, normes, Fonds européen de développement régional (Feder).
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour la réplique.
Mme Micheline Jacques. Monsieur le ministre, je ne représente que la collectivité de Saint-Barthélemy. Je transmettrai votre réponse à son président, Xavier Lédée.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du logement dans les outre-mer constitue un problème grave et persistant. La question du logement est au centre des attentes et des préoccupations des populations ultramarines.
Les chiffres sont là : dans les départements et régions d’outre-mer, on évalue à 110 000 le nombre de locaux impropres à l’habitation et présentant pour leurs occupants des risques sanitaires ou sécuritaires.
En outre, 80 % des ménages des Drom sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social. Or ce sont seulement 15 % des ménages qui accèdent aux logements sociaux. Sur l’île de La Réunion, ce sont 33 000 familles qui sont dans l’attente d’un logement social !
Enfin, on compte près de 120 000 logements vacants dans les Drom. Ce phénomène concerne en particulier les Antilles.
Les conditions de vie dans certains de ces territoires sont indignes de la République. C’est pourquoi il est urgent de mener une grande et ambitieuse politique publique en faveur du logement en outre-mer. Nous l’avons compris, l’État n’est pas le seul concerné : les collectivités, les bailleurs sociaux sont aussi parties prenantes. En outre, les problématiques sont différentes selon les territoires.
Après l’échec du Plom 1, qui n’a pas tenu son objectif de construire et de réhabiliter 10 000 logements par an, un deuxième Plom a été lancé pour les années 2019-2022. Abandonnant la stratégie quantitative du premier plan, le second, qui a été prolongé d’un an, présente une nouvelle approche, tendant à mieux prendre en compte les spécificités des territoires et les enjeux qualitatifs.
Aussi, monsieur le ministre, quel premier bilan pouvez-vous nous présenter en matière de construction de logements locatifs sociaux et très sociaux et de logements réservés à des publics ciblés ? Quels chiffres pouvez-vous également nous donner sur l’action du Gouvernement menée en faveur de la résorption de l’habitat insalubre ? Qu’en est-il, enfin, de la réhabilitation du parc locatif social et de l’accession sociale à la propriété, destinée aux ménages sous plafond de ressources ?
Face à l’ampleur de la crise du logement ultramarin, laquelle, faute d’une véritable politique volontariste de l’État – et depuis longtemps ! –, ne pourra que s’aggraver et afin d’anticiper l’après-Plom 2, la délégation sénatoriale aux outre-mer a recommandé au Gouvernement, dans son rapport d’information datant du mois de juillet 2021, la mise en œuvre d’une action territorialisée et adaptée aux facteurs économiques, environnementaux et humains des outre-mer.
À cet égard, nous l’avons dit, il paraît pertinent que cette territorialisation se traduise notamment par une véritable représentation des outre-mer dans chacune des instances nationales du logement. En effet, le ministère des outre-mer n’est membre ni du conseil d’administration de l’Anru ni de celui de l’Anah. De même, on peut regretter l’absence d’un parlementaire ultramarin au conseil d’administration de l’Anah.
Enfin, il me paraîtrait approprié que les agences nationales, telles qu’Action Logement ou la Banque des territoires, désignent des référents locaux au sein de chaque territoire ultramarin.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour être efficiente, la politique du logement dans les outre-mer requiert des objectifs concrets et territorialement adaptés. Elle nécessite également une volonté forte de l’État et une ambition du « sur mesure ». Elle exige aussi un pilotage au plus près des acteurs locaux.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je suis très content qu’un élu de l’Aisne s’intéresse au logement social outre-mer : cela prouve que l’on n’a pas perdu la bataille et qu’ensemble on peut la gagner ! (Sourires.)
Je ne ferai pas d’évaluation quantitative du dispositif que j’appelle objectif Logement outre-mer, car cela ne sert qu’à se faire taper dessus ensuite… Le plus possible ! Voilà ce que nous devons faire ensemble. Nous avons de la marge et, plus nous en ferons, mieux ce sera.
Permettez-moi de clarifier mon propos : la suite du Plom 2 sera donc un document intitulé « objectif Logement outre-mer », signé par l’ensemble des parties et pas simplement par l’appareil d’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez soulevé le grave problème des logements vacants, qui permettraient de loger des dizaines de milliers de personnes. Nous allons travailler avec l’Anah – comme je l’ai dit précédemment, je vais rencontrer le président du conseil d’administration et la directrice générale dans les jours qui viennent – pour mettre en place des mesures fortes.
L’aide à l’accession et à la sortie de l’insalubrité a été rétablie dans la loi de finances pour 2020. Les crédits de la LBU destinés aux opérations de résorption de l’habitat indigne, contre lequel nous luttons, ont été multipliés par deux entre 2019 et 2020, pour atteindre 32 millions d’euros.
Monsieur le sénateur, vous avez raison : il faut avoir cette vision d’ensemble que chacun appelle de ses vœux. C’est cela qui compte, ce qui explique que je veux non plus un plan Logement outre-mer étato-étatique, mais un objectif Logement outre-mer signé par tous, pour traduire une vision globale et qui décline ensuite, territoire par territoire, les efforts à réaliser.
Car il n’est pas vrai qu’il faille faire les mêmes efforts à La Réunion qu’à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon qu’en Martinique. C’est ce que nous essaierons de mettre en place : nous y parviendrons si toutes les parties acceptent de signer. Il faudra un peu de temps pour mettre en marche ce dispositif.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les problématiques de la politique du logement outre-mer sont nombreuses et le très riche rapport d’information de la délégation aux outre-mer dont nous discutons aujourd’hui en brosse un portrait éloquent.
Parmi les nombreux sujets soulevés par le rapport d’information et les 77 recommandations qu’il formule, j’ai souhaité concentrer mon propos, dans le temps qui m’est imparti, sur la dernière série de recommandations. Celles-ci sont relatives aux nécessaires évolutions de la construction pour s’adapter tout à la fois aux besoins des territoires et au dérèglement climatique, avec son corollaire de catastrophes naturelles qui n’épargnent pas, tant s’en faut, nos territoires ultramarins.
Inventer l’habitat résilient de demain, construit à partir de matériaux biosourcés, est un impératif quand le bâtiment représente les trois cinquièmes des déchets du pays. Les matériaux doivent être produits localement à partir de filières durables, comme le bois, la terre, la paille de chanvre, le bambou. L’habitat doit être imaginé par des architectes pour répondre aux besoins spécifiques des territoires, en tenant compte de leur géographie, de leur climat et des modes de vies de leurs habitants. Il doit aussi être plus économe en énergie et plus résilient face aux catastrophes naturelles qui vont se multiplier. Au-delà des outre-mer, inventer cet habitat de demain est un défi pour l’ensemble du pays.
Fidèles à leur tradition décentralisatrice, les écologistes ont toujours plaidé pour la différenciation des territoires, l’adaptation des normes et le renforcement des tissus économiques locaux. Ce qui est vrai pour résorber la fracture territoriale en métropole prend une dimension bien supérieure dès qu’il s’agit des territoires ultramarins.
De nombreuses préconisations du rapport ont un intérêt majeur. Elles permettraient de renforcer et de créer des tissus économiques locaux, de créer des emplois pour tout niveau de qualification, de créer de la richesse et de limiter l’exode de la jeunesse ultramarine, exode responsable également du vieillissement évoqué dans le rapport d’information.
Au-delà des nombreux bénéfices écologiques de ces propositions, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, leur mise en œuvre permettrait de doter les territoires ultramarins d’outils concrets pour prendre à bras-le-corps le défi du logement dont nous débattons ce soir.
Chaque territoire ultramarin dispose de savoir-faire traditionnels qu’il faudrait non seulement sauvegarder, mais aussi valoriser. Ainsi, la renaissance de la filière de la brique de terre comprimée à Mayotte doit être soutenue et étendue à d’autres expérimentations.
Dans tous les territoires, les potentialités sont multiples. J’en citerai quelques-unes pour vous faire voyager : pin des Caraïbes, bambou, bagasse, vétiver, falcata, amarante appelée aussi bois violet, angélique, gaïac, wacapou, wapa, etc. L’exemple de l’écomusée Te Fare Natura à Moorea en Polynésie française, conçu pour mettre en avant le bois et le style local, doit être érigé en modèle. Avec les matériaux biosourcés, c’est l’habitat vernaculaire qu’il faut réhabiliter.
Partout où une alternative existe, il faut substituer au béton des matériaux locaux moins onéreux, plus vertueux et beaucoup plus efficaces compte tenu des conditions climatiques – ils résistent souvent mieux à l’humidité et à la salinité de l’air. Ils sont également plus efficaces pour concevoir des logements mieux aérés, diminuant les besoins en climatisation, et mieux isolés pour limiter les besoins thermiques. Ils sont enfin plus efficaces face au risque sismique.
Si le béton a d’indéniables qualités, s’il résiste notamment mieux au risque cyclonique, c’est également une ressource non renouvelable et importée. Des alternatives doivent être trouvées pour limiter son usage au strict nécessaire. Comme les auteurs du rapport d’information, nous pensons qu’il faut plutôt privilégier les techniques locales et déjà expérimentées plutôt que de durcir la réglementation paracyclonique. Les architectes auditionnés ont rappelé qu’ils savaient concilier les différents risques dans la conception de l’habitation, mais aussi proposer des solutions de refuge adaptées.
Plus largement, nous sommes entièrement favorables à la promotion d’une architecture bioclimatique performante, reposant sur des savoir-faire traditionnels sublimés par les connaissances de notre siècle. À ce titre, comme le suggère le rapport d’information, les territoires ultramarins sont, et peuvent être davantage encore, de véritables laboratoires à ciel ouvert, des terres d’innovation et d’expérimentation.
Considérant les besoins de logements neufs, la réglementation environnementale 2020 (RE2020) trouvera en outre-mer une application proportionnellement plus massive qu’en métropole. Faisons de nos territoires ultramarins le modèle de nos nouvelles ambitions écologiques en matière de construction, en associant matériaux naturels et production d’énergies renouvelables ! On pourra ainsi constater que construction vertueuse, confort de vie et développement économique se conjuguent favorablement. Tout ira ainsi de mieux en mieux ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je le redis, cela fait plaisir de voir un élu non ultramarin s’intéresser à ces questions. Je vous remercie donc de votre intervention.
L’État ne saurait être maire, architecte et constructeur. Je suis d’accord avec vous à 100 %, à une réserve près : je ne sais pas si, avec les méthodes que vous évoquez, nous réussirons à construire 80 000 logements sociaux d’urgence, qui est le besoin actuel. Si nous en faisions 5 000, ce ne serait déjà pas mal.
Monsieur le sénateur, c’est aux maires et aux architectes qu’il faut tenir votre propos ! Le ministère chargé de l’outre-mer ne délivre pas les permis de construire et ne définit pas les plans de ces bâtiments que, tout comme moi, vous appelez de vos vœux.
Nous allons faire de la publicité en ce sens, mais que pouvons-nous faire de plus ? Nous essayons de planifier – je pense notamment au bioéthanol que j’ai évoqué récemment devant des parlementaires –, mais nous devons progresser tous ensemble.
L’objectif Logement outre-mer devra conduire les différentes parties à s’engager dans cette voie. Dans ce domaine – malheureusement ou heureusement, je ne sais pas –, nous ne pouvons qu’inciter les élus locaux.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, un ministre peut tout de même prendre un certain nombre d’initiatives, ne serait-ce que pour organiser les filières, pour faire de la formation et travailler sur le côté normatif. Vous le savez, certaines normes sont très bloquantes – vous l’avez évoqué précédemment. Il faut les faire évoluer et les assouplir, afin que des expérimentations soient menées dans les territoires d’outre-mer.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation sénatoriale aux outre-mer a publié, il y a tout juste dix-huit mois, un rapport d’information très intéressant sur la politique du logement dans les outre-mer.
La problématique de l’habitat informel a retenu l’attention de mes collègues et méritait d’être débattue dans cet hémicycle. Aussi, je profite de l’occasion pour remercier le président de la délégation, Stéphane Artano, de cette initiative, ainsi que les rapporteurs Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel du travail accompli.
Pour répondre à la problématique du logement en outre-mer, le Parlement adoptait au moins deux novembre 2018, dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan, des dispositions spécifiques à la Guyane et à Mayotte pour lutter contre l’habitat informel. Dans ces territoires, le législateur donnait ainsi aux représentants de l’État le pouvoir d’ordonner aux occupants des habitats informels d’évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à la démolition des structures dès lors que celles-ci présentaient des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique.
La nouveauté résidait dans le fait que les préfets pouvaient ordonner les démolitions sans passer par une décision judiciaire.
Nous pouvons le dire, la loi Élan a suscité un formidable espoir au sein de nos populations, éprouvées par le développement des habitats sans droit ni titre. La Guyane et Mayotte sont confrontées à l’accroissement de l’habitat spontané qui se développe sous la pression démographique, conséquence d’une très forte immigration.
En Guyane, un logement sur quatre a été construit sans droit ni titre. À Saint-Laurent-du-Maroni, commune frontalière avec le Surinam, l’habitat informel représente 60 % des logements. Aussi, dès que la mairie envisage un projet de construction, le terrain est occupé. Il en est de même pour une opération d’intérêt national dont la mission première est d’enrayer la dynamique du logement informel et d’anticiper la démographie galopante en créant près de 30 000 logements d’ici à 2030.
Paradoxalement, de nombreuses zones d’habitat spontané sont installées sur du foncier appartenant à l’État, le premier propriétaire foncier de Guyane. L’impuissance de certains acteurs ne rassure guère les petits propriétaires, qui ont le désagréable sentiment d’être privés de leurs droits, mais aussi du fruit de leur dur labeur.
L’ancienne maire que je suis a fréquemment été confrontée aux difficultés liées à l’occupation illégale de logements et au développement de zones d’habitat informel.
L’ancienne maire que je suis a souvent eu à intervenir face à la colère des habitants, des propriétaires, désabusés par les occupations illégales de certains bâtiments et de nos espaces publics.
En tant que maire, je devais m’employer à calmer l’exaspération des citoyens face à l’inaction de l’État. En 2018, alors même que les parlementaires, ici au Sénat, discutaient des contours de la loi Élan, une foule vindicative avait procédé au délogement d’une dizaine de familles d’un squat à Cayenne. Nous avons évité de peu un drame. Alors, moi aussi, j’avais placé beaucoup d’espoir dans cette loi.
Quatre ans après, quel bilan pouvons-nous tirer de cette loi ? En s’appuyant sur son article 197, les préfets de Guyane et de Mayotte ont certes ordonné la démolition de plusieurs zones d’habitat spontané, des opérations ont permis de raser des dizaines de squats où se côtoyaient insalubrité, misère et insécurité, mais nous devons avoir la franchise et l’honnêteté de dire que ces opérations n’ont malheureusement pas eu les résultats escomptés.
Face à la pression migratoire qui frappe ces deux territoires et à la multiplication des contentieux qui ralentissent les procédures, plusieurs limites sont à souligner.
À Mayotte comme en Guyane, le législateur a voulu, au travers de cette loi, faciliter l’expulsion des occupants de terrain sans droit ni titre. Le passage de la théorie à la pratique est toutefois bien plus complexe que prévu.
M. Victorin Lurel. Ah oui !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. En effet, dans un élan humaniste, le législateur a conditionné les expulsions à des propositions de relogement. Les préfectures ne sont néanmoins pas en mesure de proposer des solutions de relogement aux familles. Par conséquent, les opérations d’évacuation aboutissent systématiquement à la reconstruction de nouvelles zones. Les habitants errent d’un squat à un autre.
J’insisterai donc sur ce point : la Guyane n’est pas en mesure de proposer des solutions de relogement aux habitants délogés. En raison d’une offre de logements quantitativement insuffisante, la Guyane ne peut déjà pas répondre à la demande de nos compatriotes en matière de logements. Depuis vingt ans, l’habitat informel progresse bien plus vite que le logement légal.
Par conséquent, je me réjouis de ce débat, mais également de l’examen, demandé par le groupe RDPI, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite. Nous devons chercher de nouvelles adaptations, afin que l’État de droit puisse s’exercer pleinement en Guyane comme à Mayotte, mais aussi dans tous les territoires, face aux occupations illicites. Il n’est pas acceptable que certains territoires de la République continuent à livrer, seuls, ce combat contre l’habitat informel.
Pour conclure, je rappellerai une réflexion de l’ancien Président de la République, François Mitterrand, lors de son déplacement officiel en Guyane au mois de septembre 1985 : il s’était alors offusqué que l’on continue à lancer des fusées sur fond de bidonvilles. Près de quarante ans plus tard, les fusées décollent toujours. Les zones d’habitat informel, elles, se multiplient à la vitesse d’un lanceur au décollage.
Monsieur le ministre, rien n’a changé depuis plus quarante ans !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, une chose a changé : la pression migratoire est devenue extraordinaire.
Certes, c’est une constante en Guyane, notamment avec les Haïtiens, les Surinamiens et les Brésiliens. La Guyane a une tradition d’accueil, même si la question du logement se pose toujours.
Il ne faut pas confondre avec la nouvelle immigration d’Afghans, de Syriens, de Marocains et de Kurdes. Je le dis : je ne veux pas qu’ils stationnent autour de la cathédrale. J’ai donc donné instruction de démonter systématiquement leurs tentes. Nous avons obtenu parallèlement des places et de l’argent pour les loger. Je salue d’ailleurs l’action du président de l’assemblée de Guyane, Gabriel Serville, qui a mis à disposition des locaux. Nous sommes donc confrontés à un problème d’immigration.
Je suis un ancien préfet, et je dois dire qu’il faut choisir entre ordre et désordre. Je n’ai jamais expulsé, sauf cas grave, des personnes que l’on ne peut pas reloger. Et comme le territoire de la Guyane est contraint, nous n’y arrivons pas…
La solution passe par la construction de logements, notamment sociaux, et par le démarrage réel des opérations d’intérêt national (OIN). J’ai rencontré ce matin Mme Trochimera, la maire de Cayenne, pour lui dire que les 26 OIN ne se feront pas avec l’aide des Forces armées en Guyane (FAG). Il faudra vingt-cinq ans…
Nous allons nous atteler à faire avancer la zone d’aménagement concerté (ZAC) de Margot à Saint-Laurent-du-Maroni, en la confiant directement à la communauté de communes, comme je l’ai annoncé au président Serville. J’insiste, il faut construire du logement : c’est la réponse !
Nous avons des problèmes, mais, de grâce – je sais, madame la sénatrice, que vous pensez la même chose –, ne trahissons pas notre âme (Mme Marie-Laure Phinera-Horth approuve.), et ce en matière d’immigration comme de logement !
J’ai vu ces immigrés, je ne les blâme pas : ils sont comme vous et moi.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du logement dans les outre-mer a déjà fait l’objet de nombreux débats. Pour autant, elle demeure une préoccupation majeure de nos populations.
Le rapport d’information n° 728 sur la politique du logement dans les outre-mer de Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel comprend de nombreuses recommandations destinées à permettre la mise en œuvre d’un plan pluriannuel pour favoriser la construction de logements sociaux et résorber l’habitat insalubre.
Cela a été dit, le premier Plom, de 2015 à 2019, a été un échec. La non-prise en compte de nos spécificités locales n’a pas permis de conduire une politique de logement efficace.
Les mesures déployées sans réelle ingénierie locale ont laissé nos territoires avec les mêmes problématiques : habitat indigne et insalubre, dents creuses, friches, inadéquation entre l’offre et la demande, sans même parler des problématiques liées à l’indivision successorale.
L’objectif d’« assurer un habitat pour toutes les populations dans leurs diversités » n’a pas été atteint. Avec la mise en place du Plom 2 entre 2019 et 2022, on a tenté de rattraper le retard accumulé pour résorber l’habitat indigne et construire efficacement sur l’ensemble de l’archipel.
Au sein de notre population, ce sont 80 % des ménages qui sont éligibles au logement social. Il y a clairement une inadéquation entre l’offre de logement et les besoins exprimés.
Il nous appartient aujourd’hui, collectivement, de trouver des solutions innovantes pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Ces réponses devront s’inscrire dans l’esprit de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, en apportant des solutions différenciées, car, si la plupart de nos territoires sont exposés aux mêmes risques naturels majeurs, ils font cependant face à des contraintes différentes, liées en grande partie à leur position géographique, mais aussi à la densité de la population de leur territoire.
Plus de cinq ans après la production du rapport d’information de 2017, Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d’un obstacle un atout par nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer Éric Doligé, Karine Claireaux et Vivette Lopez, nous pouvons constater que certaines des recommandations formulées n’ont pas eu d’applications concrètes au sein des territoires ultramarins. Nous avons malheureusement pu en mesurer les conséquences après le passage des ouragans Irma et Maria en 2017 et Fiona récemment. Tout comme vous, monsieur le ministre, puisque vous vous êtes rendu sur place, nous avons vu les dégâts qu’ils ont occasionnés.
Il paraît indispensable de mieux prendre en compte nos modes de construction pour faire face aux risques naturels majeurs, mais aussi de repenser l’aménagement de nos territoires.
La réalité socioéconomique de nos populations doit aussi conduire notre réflexion et guider notre action.
Comment permettre au plus grand nombre de ménages d’accéder à la propriété, avec des coûts de construction modérés dans un contexte d’inflation ?
Quelles mesures pouvons-nous prendre pour diminuer notre impact énergétique lors de la construction des habitations, mais aussi dans les usages du quotidien ?
Nos politiques publiques doivent être la caisse de résonance de la dimension sociale, environnementale et économique de la vision stratégique qui doit inspirer nos débats sur les orientations des politiques de logement dans les outre-mer, afin qu’elles s’inscrivent à court, moyen et long termes.
Nous devons nous servir des exemples de constructions d’une particulière longévité comme base pour adapter nos pratiques, en appliquant, bien évidemment, les nouvelles normes.
Je pense à la maison Boc, une habitation en bois édifiée dans le centre-ville de Grand-Bourg de Marie-Galante, construite en 1900, et à la maison Zévallos, une maison coloniale de 1870, en bois, située dans la commune du Moule. Ces deux maisons toutes deux en bois et primées par le Loto du patrimoine pour faciliter leur rénovation interpellent par leur longévité et leur résistance aux aléas climatiques.
S’inspirer des modes de construction traditionnels et des styles architecturaux de l’époque en les adaptant à nos modes de vie actuels est un enjeu, notamment environnemental, que nous devons relever de façon efficiente.
La mutualisation des expertises locales sur les modes de construction adaptée aux territoires ultramarins doit faire l’objet d’un véritable projet qui pourrait se traduire par la création d’un laboratoire de recherche.
Maîtriser les coûts des constructions en édifiant des maisons en bois, plus respectueuses de notre environnement, moins coûteuses, grâce à la mise en place de circuits d’acheminement plus courts, favorisant aussi la diminution de l’empreinte carbone, est un double enjeu.
Enfin, je terminerai mon propos en rappelant qu’habiter un logement dans les Drom expose aux aléas climatiques et qu’il est important d’assurer son habitation. Si les risques sont importants, il nous appartient de veiller à maîtriser les coûts assurantiels, car nous n’en retirons pas toujours les effets escomptés.
Cela a été dit, le souhait de nombreux architectes est de construire différemment, selon de nouvelles normes. Le 20 janvier prochain, les architectes de la Guadeloupe et de la Martinique organiseront un colloque sur la construction en bois dans les outre-mer. Nous sommes sur le bon chemin et les propositions que vous avez formulées vont dans le bon sens, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, vous avez évoqué deux sujets.
Sur les divisions successorales, j’ai participé hier, comme certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à un colloque organisé par le Conseil supérieur du notariat et j’ai également rencontré les assureurs. Les uns et les autres doivent participer à la rénovation des logements outre-mer, car nous n’y arriverons pas sans eux.
Je pense aux difficultés que posent les successions compliquées à la Martinique et en Guadeloupe, sans parler de Mayotte et de Saint-Martin ! Les indivisions successorales conduisent à des blocages et les constructions sur la zone dite des cinquante pas géométriques posent également problème. Nous travaillons sur ces sujets avec les collectivités territoriales, notamment régionales, pour trouver des solutions.
Les logements vacants sont un autre sujet d’ampleur. Il suffirait d’occuper la moitié d’entre eux pour atteindre notre objectif. Ce point me préoccupe : comment peut-on avoir une crise du logement en Guadeloupe et en Martinique, alors que ces territoires perdent 5 000 habitants par an et que des milliers de logements sont vacants ? Il nous faut trouver la solution ! C’est ensemble que nous y parviendrons, avec les notaires et les assureurs notamment.
Je finirai en évoquant, dans le même ordre d’idées, un point qui concerne la Martinique et la Guadeloupe : faut-il ou non relever le revenu minimum pour permettre à un certain nombre de personnes plutôt âgées, qui ont réussi, d’occuper des logements HLM vacants ? J’y suis favorable, mais il faut mettre cette mesure au point.
Sur l’habitat individuel adapté, vous avez évidemment raison, madame la sénatrice. J’en parlerai en conclusion tout à l’heure.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet. (Mmes Micheline Jacques et Nassimah Dindar applaudissent.)
Mme Viviane Malet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à commencer mon propos en saluant l’initiative de la délégation sénatoriale aux outre-mer qui a demandé un débat sur la thématique de la politique du logement outre-mer.
Il s’agit d’un sujet fondamental pour les habitants de nos territoires frappés par une crise du logement sans équivalent, qui mérite que notre assemblée travaille sur cette question plus longuement qu’à la marge d’un projet national et hexagonal.
Les chiffres que je vais livrer ont déjà été moult fois donnés dans cet hémicycle. D’ailleurs, vous les connaissez, monsieur le ministre.
Je l’ai indiqué à cette même tribune le 1er décembre dernier, le logement, c’est tout d’abord un « constat saisissant » : « 80 % des Ultramarins sont éligibles à un logement social, mais 15 % d’entre eux seulement en disposent. » C’est d’autant plus préoccupant que nos populations vieillissent et que leurs revenus sont plus faibles que dans l’Hexagone.
Il est donc impératif de répondre au besoin annuel en logements sociaux, lequel est estimé entre 9 000 et 10 000.
Autre chiffre alarmant : les logements indignes et insalubres représentent près de 13 % du parc de logements dans les outre-mer, contre 1,3 % dans l’Hexagone.
Dans le seul département de La Réunion, plus de 100 000 habitants sont mal logés, 17 000 logements privés sont identifiés comme insalubres et 25 000 familles primo-accédantes sont en attente d’un logement social. Au 30 juin 2022, près de 38 000 demandes de logement social sont enregistrées, alors que 2 000 logements à peine ont été livrés par an en moyenne dans les cinq dernières années.
La production de logements outre-mer est en crise profonde. Les Plom 1 et 2 n’ont pas répondu aux attentes, ainsi que tout le monde en convient. Il est temps de redresser la barre, afin de présenter aux Ultramarins une politique du logement ambitieuse et efficace.
Une fois ce diagnostic posé, nous devons proposer ensemble des actions concrètes afin d’améliorer la situation. De multiples solutions existent ; encore faut-il les appliquer.
Pour que les crédits de la ligne budgétaire unique soient mieux consommés, nous devons tout d’abord mettre en adéquation les financements proposés avec les besoins réels. À La Réunion par exemple, les T1 et les T2 sont construits non seulement en nombre insuffisant, mais aussi à un coût trop élevé. La question de l’adaptation des normes et des matériaux doit être posée.
La rareté et la cherté du foncier, ainsi que le surcoût des matériaux, doivent nous obliger à changer de logiciel. Il faut impérativement diriger les financements vers les logements pour les seniors ou vers les petites surfaces à destination des jeunes ménages et des personnes seules.
Sans une adaptation de l’offre, mais aussi de la gouvernance, avec une décentralisation accrue de la gestion de ses crédits, la LBU ne sera pas mieux consommée et ne gagnera pas en efficacité.
L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) joue, par ailleurs, un rôle important dans nos territoires, mais elle doit impérativement revoir ses maquettes financières validées avant la crise sanitaire et économique, car les conséquences du covid-19 associées au contexte insulaire ont fait exploser les surcoûts.
La ville de Saint-Pierre, à La Réunion, est par exemple confrontée à ce problème. Elle a contractualisé avec l’Anru au mois de mars 2020, à la veille de la crise du covid-19, et se voit désormais contrainte de solliciter une modification du calendrier ainsi qu’une subvention supplémentaire pour finaliser son programme de rénovation urbaine, qui concerne 500 logements.
Nous avons identifié un autre combat à mener : l’Anah devrait pouvoir intervenir pleinement dans les Drom. Il est impératif de rendre les propriétaires occupants ultramarins éligibles à ses aides ; une telle disparité entre l’Hexagone et les outre-mer ne saurait perdurer.
Ajoutons que le déploiement des résidences autonomie, attendu depuis longtemps, est désormais possible grâce à la loi 3DS.
Enfin, l’accompagnement de l’autoréhabilitation des logements par leurs occupants constitue un autre levier. Certains centres communaux d’action sociale (CCAS) mènent avec succès cette politique, qu’il convient d’encourager et d’étendre. Le département de La Réunion s’est engagé dans cette voie en doublant le nombre de dossiers d’amélioration de l’habitat, le passant de 2 000 à 4 000 par an.
Je conclus mon propos en saluant la concertation opérée par l’association des maires du département de La Réunion, laquelle s’est autosaisie de cette problématique et a conduit un travail de fond en auditionnant tous les intervenants pour déboucher sur des propositions concrètes.
Selon les mots de son président, Serge Hoarau, la feuille de route qu’elle a établie « marque une étape importante, mais n’est en rien un aboutissement. ». Il ajoute : « Il est désormais de notre responsabilité à tous de la faire vivre… »
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. S’agissant de l’Anru, madame la sénatrice, j’ai demandé à sa directrice générale, Anne-Claire Mialot, de me transmettre toutes les conventions Anru concernant les outre-mer. Il faut en effet les revoir pour les rendre plus efficaces, même si cela représente beaucoup de travail. Je partage également votre analyse sur l’Anah, notamment à La Réunion.
Mme Mialot se rendra à La Réunion à la fin du mois pour déterminer s’il est possible de faire du logement dans les zones concernées par le programme national de rénovation urbaine. Il suffit de le décider : si nous ne le faisons pas, nous serons coincés.
Le volume des prêts d’Action Logement est appelé à diminuer, ce qui m’inquiète. Les dispositifs proposés par la Caisse des dépôts et consignations restent, bien sûr, disponibles, mais les taux proposés ne sont pas les mêmes.
Comment harmoniser tout cela et continuer à disposer de prêts, dont le taux d’intérêt ne peut plus être à 0,45 %, puisque nous sommes face à une augmentation, sans pour autant atteindre 3,6 % ? C’est tout l’enjeu, qui concerne notamment La Réunion, où beaucoup de logements sociaux doivent être construits.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinquante-deux.)
Mme Catherine Conconne. Monsieur le ministre, dans ce domaine, faisons la révolution ! Ouvrons le champ des possibles !
Tout d’abord, cessons de traiter le logement outre-mer dans un vrac dit outre-mer. Le logement est l’expression de la vie des gens, de leur histoire, de leur patrimoine culturel. On ne vit pas à Saint-Pierre-et-Miquelon de la même manière qu’à Tahiti ou à Fort-de-France. Ce traitement global est donc un peu gênant et empêche, me semble-t-il, une lecture clairvoyante de situations qui sont totalement différentes les unes des autres !
Pour ma part, je ne parlerai que de la Martinique, parce que c’est le pays que je connais le mieux. Par respect pour mes collègues, je préfère qu’ils évoquent eux-mêmes les territoires qu’ils connaissent mieux que moi.
La réalité à la Martinique ne correspond pas du tout à ce que j’ai entendu ce soir. En soixante-dix ans, des efforts très importants sur le logement y ont été consentis. Certes, on peut souhaiter plus et mieux, mais l’idéal n’existe pas !
Je ne suis pas si âgée, mais je sais les progrès réalisés depuis soixante-dix ans pour que les habitants de la Martinique vivent mieux. On est loin aujourd’hui du Canal Alaric d’alors ou des opérations de résorption de l’habitat insalubre (RHI) concernant des centaines de logements.
Je vous rappelle que le premier lotissement populaire de la Martinique, celui des Terres-Sainvilles, a été construit dans les années 1920, par le maire de l’époque, Victor Sévère. Celui-ci ne disposait ni de fonds européens, ni de LBU, ni de quoi que ce soit de ce genre, mais il l’a pourtant fait. – I fé’y ! dirions-nous en créole.
La première des révolutions à laquelle je vous invite, monsieur le ministre, c’est le transfert du paquet du logement aux collectivités de chacun de ces pays.
Comme le propose l’Appel de Fort-de-France, la totalité de la politique du logement devraient aujourd’hui être gérée par les collectivités locales. Comment peut-on encore imaginer, en 2023, que nous en soyons réduits à attendre la LBU en provenance de la rue Oudinot pour décider de telle ou telle politique de logement sur place ?
Donnez-nous les moyens ! Ne vous inquiétez pas, nous saurons faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.) Nous agirons, bien sûr, en partenariat avec l’État. (Sourires.)
Vous avez évoqué certaines réalités, monsieur le ministre. On dénombre 20 000 logements vacants actuellement à la Martinique, alors que nous perdons entre 4 500 et 5 000 habitants par an. Le pays est passé de 400 000 à moins de 350 000 habitants.
Que fait-on de ces 20 000 logements vides ? J’ai des idées à ce sujet, nous pourrons en reparler si vous le souhaitez, monsieur le ministre. Rassurez-vous, je n’ai pas la volonté de spolier les propriétaires, bien au contraire !
Il s’agit de redonner vie aux fantômes que sont devenus certains quartiers, certaines rues, certaines communes, dont souvent plus de 60 % des logements sont vacants. Que devons-nous en faire ? Il faut les occuper et les reprendre en main. On ne peut continuer éternellement à construire des barres de HLM sur 1 100 kilomètres carrés. Stop ! Nous n’avons d’ailleurs plus les terrains nécessaires pour cela.
À la Martinique, la politique publique doit nous permettre de faire de la dentelle. Nous ne pouvons plus construire de grands ensembles, comme nous avons pu le faire par le passé. Il faut travailler en finesse, densifier les centres-bourgs, réoccuper les logements vacants. Cela exige que nous travaillions ensemble pour coller au plus près de la réalité de chacun des pays concernés et que nous cessions de les traiter en vrac.
Ce que j’ai entendu ce soir ne correspond en rien à la situation de la Martinique. Je suis désolée, mais je ne me suis pas sentie concernée. Recentrons-nous chacun sur nos territoires et leurs réalités et travaillons dans la dentelle, de manière extrêmement précise.
Pour terminer, monsieur le ministre, vous savez que je suis une adepte de la responsabilité. J’insiste donc : dans le cadre de l’Appel de Fort-de-France, certaines actions pragmatiques pourraient être engagées et le logement pourrait fournir une excellente illustration de cette volonté de responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, sur le logement, j’entends votre appel. Ce que je vais vous dire, je ne le dirai pas au sénateur Lurel tout à l’heure. L’humanité naît à partir de la conscience d’un toit, qui crée le lieu de l’esprit humain sous le ciel et qui marque la première identité et le premier refuge de chacun. C’est ce que je crois et je voudrais transmettre cette foi à toutes mes administrations et à tout l’appareil d’État.
Non à une vision globale, dites-vous. Il me semble avoir déjà répondu en souhaitant mettre un terme au Plom 3 au profit d’un objectif Logement territorialisé, fondé sur quelques principes. Je suis donc très heureux que vous ne vous sentiez pas concernée par ce que nous essayons de faire à Mayotte, sinon intellectuellement et comme représentante de la Nation.
Mme Catherine Conconne. Tout à fait.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Les sujets doivent être séparés. Sur ce point, je vous suis.
Il en va de même s’agissant des logements vacants. Pour autant, je n’ai pas de solution à vous proposer aujourd’hui, il faut y réfléchir.
Concernant l’Appel de Fort-de-France, même si je parlerai plutôt du 7 septembre – chacun son maître ! (Sourires.) –, nous devons également travailler dans la dentelle : il n’existe pas une réponse unique pour tout le territoire.
Je recevrai tous les parlementaires des outre-mer, ainsi que les membres des délégations compétentes, le 24 ou le 25 janvier prochain pour exposer ce que doit être, à mon sens, la feuille de route qui découle de cet Appel de Fort-de-France ou de cette soirée du 7 septembre et que nous allons partager.
Tout est ouvert. Attention, cependant, à ne pas se laisser aller : tout cela doit être bien cadré. Je n’aime pas le terme « autonomie », parce que personne n’est autonome et que nous travaillons tous ensemble, mais peu importe : cette notion recouvre la question des recettes, de la fiscalité, de l’octroi de mer.
J’ai reçu de mes autorités la permission – l’instruction, même – d’aboutir vers la fin du mois de juillet prochain. Je rencontre à ce titre chacun des présidents des collectivités signataires. C’est pourquoi je me rends d’ici à la fin du mois à Cayenne, à la Martinique et à la Guadeloupe. Nous parlerons dans le détail de tous ces sujets et nous présenterons un résultat au mois de septembre.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour la réplique.
Mme Catherine Conconne. Monsieur le ministre, nous sommes d’accord.
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter d’ores et déjà la bienvenue dans le plus beau pays du monde : la Martinique ! (Sourires.)
M. François Bonhomme. Il ne faut rien exagérer !
M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus.
Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie avant tout la délégation sénatoriale aux outre-mer et son président, M. Stéphane Artano, de cette initiative, qui permet à nos territoires d’outre-mer de débattre, avec leurs ressemblances et leurs différences.
Nous le savons tous, nos territoires ne sont pas régis par les mêmes statuts et, selon que l’article 73 ou l’article 74 de la Constitution s’applique, selon que nous exercions une compétence ou une autre, les règles ne sont pas les mêmes.
La compétence logement n’échappe pas à ce principe. Ainsi, la situation de Saint-Martin dans ce domaine est singulière, entre identité et spécialité législative : cette compétence appartient à la collectivité, alors que le social relève du droit commun national.
Depuis un transfert de compétence intervenu au mois d’avril 2012, la collectivité fixe les règles applicables dans les matières suivantes : urbanisme, construction, habitation et logement. De ce fait, nous ne bénéficions plus des aides à la pierre, de la LBU, des dispositifs financiers liés à la RHI ou du Plom.
Au-delà de la complexité engendrée par ce transfert massif, Saint-Martin pâtit d’un manque d’accompagnement de l’État, lequel, je dois l’avouer, n’est pas sollicité, ainsi que d’un défaut de compensation des charges transférées, alors même qu’un cyclone dévastateur a suivi de près ces changements. Il en résulte un déficit de logement social comme de logement intermédiaire.
Si la collectivité peine à s’approprier la compétence logement au sens large, je reste convaincue que nous devons refonder les cadres d’action de la politique du logement à Saint-Martin, avec l’aide de l’État, par le biais de conventionnements sur des programmes spécifiques.
Nous devons ainsi progresser sur trois conventions tripartites : la convention collectivité d’outre-mer-État-Action Logement, que nous devons signer rapidement, et les conventions collectivité d’outre-mer-État-Anah et collectivité d’outre-mer-État-Anru. Dans ces trois cas, nous aurons besoin de l’ingénierie administrative de l’État, mais aussi de votre appui, monsieur le ministre, pour avancer.
La participation des employeurs à l’effort de construction (Peec), aussi appelé dispositif 1 % logement, est également une piste de travail pour le territoire de Saint-Martin. Huit entreprises y seraient éligibles, dont la plus grande compte plus de 250 salariés, ce qui équivaudrait, en 2022, à une recette de 88 000 euros.
La participation de l’employeur pourrait s’effectuer via un versement à un organisme collecteur agréé, comme Action Logement. Pour des raisons de simplification, ce dernier modus operandi devrait être privilégié à Saint-Martin.
La Peec, en comptant le plan d’investissement volontaire d’Action Logement, pourrait permettre à Saint-Martin de récupérer entre 2,5 millions d’euros et 3 millions d’euros par an sur les cinq prochaines années.
Il est en effet impératif que notre collectivité bénéficie du reliquat de 400 millions d’euros dudit plan d’investissement pour 2019-2022, lequel, je l’espère, monsieur le ministre, sera prorogé pour 2023-2024. (M. le ministre délégué fait une moue dubitative.) Nous attendons d’ailleurs d’être rassurés sur ce point !
Enfin, il pourrait être possible que notre collectivité soit destinataire, à l’instar de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, également régie par l’article 74, de crédits d’État au titre de la RHI. Sous l’angle de la politique publique de compétence étatique, la problématique du logement insalubre à Saint-Martin justifierait cet effort supplémentaire.
Telles sont, monsieur le ministre, les actions prioritaires pour Saint-Martin, qui pourraient sensiblement améliorer la situation du logement des Saint-Martinois.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice Petrus, je vois que vous copinez avec le président Artano, qui rencontre à peu près les mêmes problèmes à Saint-Pierre-et-Miquelon ! (Sourires.) Nous allons essayer d’y travailler. Je dois rencontrer prochainement le président de la collectivité de Saint-Martin, Louis Mussington, à Paris pour évoquer ces sujets.
Vous avez raison, certaines règles doivent être modifiées, ainsi que nous l’avons évoqué à la suite du 7 septembre ou de l’Appel de Fort-de-France. Vous n’avez pas accès à certains dispositifs, comme l’Anru et l’Anah ou les prêts d’Action Logement à 0,45 %, ce qui n’est pas satisfaisant.
Pour autant, le président de la collectivité territoriale de Saint-Martin, Louis Mussington, souhaite que les entreprises de son territoire puissent cotiser. Le problème ne concerne d’ailleurs pas tant les recettes que l’accès à l’ensemble des prestations d’Action Logement. Nous y travaillons avec l’Anah, l’Anru et Action Logement et j’en débattrai avec les présidents des territoires concernés.
Je rencontrerai bientôt le président de la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy, Xavier Lédée, et le président de la collectivité territoriale de Saint-Martin, Louis Mussington, et je pars demain à la Martinique pour travailler sur ces sujets.
Madame la sénatrice, j’en profiterai pour demander au président Mussington, comme je l’ai demandé à ses homologues de Saint-Pierre-et-Miquelon ou de Saint-Barthélemy, qu’il me donne des terrains afin que nous logions les fonctionnaires.
M. Victorin Lurel. Avec quel argent ceux-ci devraient-ils se les procurer ?
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Ils en sont propriétaires ! Je propose qu’ils les concèdent par un bail emphytéotique à des promoteurs que j’ai trouvés et qui rendront l’ensemble des constructions à la collectivité au bout de cinquante ans. Il s’agit de terrains qui sont la propriété des collectivités territoriales : cela ne coûte rien à personne et des investisseurs sont disposés à y construire des logements pour l’ensemble des fonctionnaires.
C’est une simple question de volonté : si l’on me donne le terrain, je le fais !
Madame la sénatrice, cela vaut notamment pour votre territoire. Comme je le dirai au président Mussington, c’est donnant-donnant.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le président, je remercie la délégation sénatoriale aux outre-mer, en particulier son président, d’avoir permis cet échange.
Je ne suis pas né du ciel : mesdames, messieurs les sénateurs, je suis là pour vous écouter me dire ce qu’il faut faire. Il est fondamental que nous puissions échanger, car, si je n’écoute pas les élus, j’écouterai les administrations, lesquelles feront de l’administration administrante… Ce sera réjouissant ! (Sourires.)
Il nous faut changer d’approche. Cela suppose de travailler avec l’administration et avec d’autres ministères. Nous avons commencé à le faire, mais nous ne réussirons pas tout de suite.
La problématique du logement – Victorin Lurel l’indiquera sans doute de nouveau – est au cœur de la vie des habitants, au cœur de ce qu’ils sont. C’est pourquoi il faut une approche différenciée.
Je pense que nous y parviendrons, forts de tout ce qui vient d’être dit.
Ce n’est pas un problème d’argent. C’est un problème d’organisation, de volonté, de différenciation et de travail en commun sur les règles et les normes.
Nous avons enfin consommé les crédits de la LBU pour 2020-2021 – j’ignore encore si nous y parviendrons pour 2022. Il reste que des financements sont disponibles.
Je suis prêt à mener ce travail, mais je n’y parviendrai pas sans vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sans les collectivités locales et sans les constructeurs.
Je crois profondément que la décision que j’ai prise en préparant ce débat de renoncer au Plom pour lui substituer un objectif Logement outre-mer cosigné par l’ensemble des parties et déclinant des objectifs territorialisés sous un chapeau général, nous permettra d’avancer.
Personne n’est jamais sûr de réussir, mais nous pouvons être certains que nous avons plus de chances si nous travaillons ensemble plutôt que de nous en tenir à de grandes déclarations. Évidemment, cela vaut aussi pour l’État.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie encore de pousser mon ministère, les administrations et l’État à agir. Tout seul, on ne bouge pas.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avoue mon embarras. C’est la première fois qu’il me revient de conclure un débat sans que je sache quoi vous dire… (Sourires.)
Si j’ai eu plaisir à écouter les différentes interventions et, si j’ai apprécié certains élans poétiques, le vieux parlementaire que je suis est assez étonné par la prestation de notre ministre. Je laisserai donc de côté le beau discours que j’ai préparé afin de me concentrer sur plusieurs points. Il n’est en effet pas utile de répéter ce qui a déjà été dit et que nous savons tous.
Monsieur le ministre, pour commencer, je ne saurais trop vous conseiller d’éviter des propos qui, prononcés dans une autre enceinte que le Sénat, pourraient prêter à débat.
Je suis pour ma part croyant et pratiquant, mais je considère qu’évoquer la pression migratoire exercée en Guyane par des Syriens, des Kurdes, des Marocains et des Afghans en pointant les abords de la cathédrale de Cayenne comme vous l’avez fait relève d’une approximation inopportune dans le temple républicain qu’est cet hémicycle.
Par ailleurs, je suis sénateur depuis bientôt six ans et, avant cela, j’ai été député pendant quinze ans. Les difficultés qui doivent être réglées ne datent pas d’hier : cela fait une vingtaine d’années que nous en débattons. Nous connaissons bien ces problèmes.
Vous n’êtes chargé des outre-mer que depuis sept mois, monsieur le ministre. Vous avez eu un prédécesseur, qui a eu lui-même des prédécesseurs – j’ai d’ailleurs moi-même occupé vos fonctions. Vous ne découvrez pas les problèmes que vous avez égrenés.
À vous écouter, monsieur le ministre, vous êtes d’accord sur tout !
Vous allez par exemple satisfaire aux demandes formulées par Saint-Pierre-et-Miquelon depuis fort longtemps.
Vous allez nous faire siéger au sein de l’Anah, de l’Anru, de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Reste que vous avez choisi d’ignorer la seule instance qui nous représente valablement, à savoir l’Union sociale pour l’habitat outre-mer (Ushom). (M. le ministre délégué s’exclame.)
Tous les parlementaires d’outre-mer, de nombreux maires et d’acteurs ont signé pour vous demander de mettre un terme au contentieux en cours. Faites-le ! Désignez des représentants de manière que nous puissions défendre nos intérêts, car ce n’est pas le cas actuellement.
À vous écouter, monsieur le ministre, nous allons continuer à impliquer de multiples acteurs. Monsieur le ministre, j’ose vous dire que vous n’arriverez jamais à régler ce problème, parce que vous n’êtes pas compétent sur tout.
Je suis par ailleurs quelque peu estomaqué par vos propos selon lesquels l’État ne serait pas responsable de tout. Nous n’avons jamais dit cela, mais la politique du logement, notamment du logement social – Catherine Conconne l’a remarquablement souligné –, est une politique de l’État, verticale et centralisée.
Monsieur le ministre, vous n’avez jusqu’à présent retenu aucune des 77 recommandations formulées dans l’excellent rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, intitulé La politique du logement dans les outre-mer. Peut-être ne l’avez-vous pas suffisamment lu ? Je ne sais pas quelles dispositions sont entrées en vigueur.
Monsieur le ministre, avant vous, il y avait un ministre ; il y a une continuité de l’action de l’État. Vous avez pris un relais, vous n’inventez pas tout. En vous écoutant, j’ai l’impression que vous avez tout découvert et que vous allez tout régler.
J’apprends – mais je ne suis peut-être pas le seul – qu’après l’échec du Plom 1 que j’ai contribué à instaurer, avant que d’autres ministres ne prennent la suite, et l’inexécution du Plom 2 dont vous êtes coresponsable, monsieur le ministre, car les comités de pilotage n’ont pas été réunis – de ce point de vue, c’est un échec total –, il y aura, non pas un Plom 3, mais un objectif Logement outre-mer. Faute d’une véritable orientation, celui-ci sera un empilement de mesures que nous connaissons déjà.
Ce que je vous propose, à l’instar de Catherine Conconne et de plusieurs collègues, c’est de faire une révolution systémique, monsieur le ministre.
Le budget de la LBU est passé de 243 millions d’euros en crédits de paiement à 179 millions d’euros. Vous déplorez l’absence d’ingénierie, alors même que vous avez diminué de 3 millions d’euros les crédits qui lui étaient consacrés !
À mon sens, monsieur le ministre, c’est une manière de vous défausser de vos responsabilités. Nous vous proposons, nous, de décider, entre adultes responsables, de décentraliser et de déléguer les crédits de la LBU.
J’entends les difficultés que cela susciterait pour le ministère du logement. Créez donc un ministère de la mer et des outre-mer relayé par des préfectures maritimes ! Cela contribuera à renforcer l’activité dans nos territoires. En tout état de cause, la direction générale des outre-mer n’a pas les moyens de s’occuper en temps réel de nos problèmes.
Monsieur le ministre, soumettez très rapidement l’objectif Logement outre-mer aux parlementaires. Notre délégation pourra lui donner visées et ambition.
Le budget que nous avons voté est en augmentation. Nous en attendons beaucoup.
Monsieur le ministre, cher ami, permettez-moi de vous dire qu’il est temps de se réveiller et d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Viviane Malet applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la politique du logement dans les outre-mer.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 12 janvier 2023 :
À dix heures trente :
Vingt-sept questions orales.
À quatorze heures et le soir :
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels, présentée par MM. Fabien Gay, Pierre Laurent, Mme Marie-Noëlle Lienemann et plusieurs de leurs collègues (texte n° 176, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER