Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans 548 jours, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 s’ouvriront à Paris, cent ans après les Jeux de 1924.
Les Olympiades sont plus qu’un simple rendez-vous sportif : il s’agit d’un moment de cohésion nationale et de fraternité humaine. C’est également une vitrine pour le pays hôte : la France exposera aux yeux du monde le savoir-faire français et une certaine façon de célébrer l’esprit olympique, par le mérite, la maîtrise de soi, le dépassement.
Ce sera surtout un événement d’une ampleur exceptionnelle.
D’un point de vue sportif, d’abord : 10 500 athlètes de 32 disciplines différentes se mesureront lors de 549 épreuves.
En matière d’organisation, ensuite : les compétitions se dérouleront dans 37 sites olympiques, jusqu’en Polynésie pour le surf, et mobiliseront 63 collectivités hôtes et plus de 40 000 bénévoles.
Enfin, d’un point de vue événementiel, cette fête réunira 13,5 millions de spectateurs, 20 000 journalistes accrédités et quatre milliards de téléspectateurs dans le monde entier.
Fait inédit, la cérémonie d’ouverture prendra place le long de la Seine, sur six kilomètres, du pont d’Austerlitz au pont d’Iéna, où se dérouleront les spectacles et les cérémonies protocolaires. Ce sera la première fois qu’un tel événement se tient en dehors d’un stade fermé. Cette innovation, qui devrait réunir 600 000 spectateurs, représente aussi un défi en termes de sécurité.
Cette grande fête populaire et sportive focalisera l’attention du monde entier ; elle impose une organisation exemplaire.
Livrer les équipements dans les temps, faire monter en puissance les capacités de transport, coordonner les différents acteurs et prévoir une organisation de la sécurité à la hauteur de l’événement constituent autant de défis qui devront être relevés d’ici à juillet 2024 ; s’y ajoute, évidemment, la préparation de nos athlètes de manière à récolter le plus de médailles possible !
Afin de favoriser la préparation de l’événement, une première loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques a été promulguée le 26 mars 2018. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport rendu il y a quelques jours, « la phase de planification stratégique des Jeux de Paris 2024 s’est globalement bien déroulée ». Il convient, désormais, de passer à la phase de déclinaison opérationnelle.
Tel est l’objet de ce nouveau projet de loi soumis à notre examen.
Ce texte, intitulé sobrement « projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 », regroupe diverses mesures d’ampleur inégale ; la plupart d’entre elles ont une portée plus étendue, qui dépasse la simple organisation des Jeux.
Ainsi, seuls huit des dix-neuf articles du texte du Gouvernement ciblent spécifiquement les Jeux de 2024. C’est le cas des articles consacrés à l’installation d’un centre de santé, à l’extension des prérogatives du préfet de police de Paris, à la dérogation à l’interdiction de publicité sur le parcours de la flamme, à l’ouverture des commerces le dimanche le temps des Jeux, ou encore au devenir de la Solideo.
Huit articles accomplissent des mises en conformité avec des dispositions existantes ou créent de nouveaux dispositifs pérennes.
Deux articles, enfin, instituent des expérimentations pour lesquelles les jeux Olympiques auront un rôle d’accélérateur, mais qui ont vocation à perdurer : l’une concerne la vidéoprotection intelligente ; l’autre, l’augmentation du nombre de taxis accessibles aux personnes à mobilité réduite.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Si toutes ces dispositions, souvent techniques, sont nécessaires à la réussite des jeux Olympiques, deux dispositifs nouveaux soulèvent cependant l’épineuse question du juste équilibre entre la recherche d’efficacité et la garantie des droits et libertés individuelles, que ce soit en matière de lutte contre le dopage ou de sécurisation des jeux.
La France s’est engagée avec force, depuis les années 1990, dans la lutte contre le dopage, essentielle pour assurer l’équité entre les sportifs et garantir leur santé. Afin d’obtenir l’organisation des Jeux de 2024, la France a promis de compléter son arsenal de mesures antidopage par l’introduction des tests génétiques, conformément aux engagements internationaux qu’elle avait pris en 2007.
Paradoxalement, alors que l’introduction du recours aux tests génétiques assure la mise en conformité du droit français avec le code mondial antidopage, l’article 4 du projet de loi, dans sa version initiale, ne devait s’appliquer que jusqu’au 31 décembre 2024. Mais comment accepter que les sportifs français ne puissent pas être soumis aux tests génétiques en France alors qu’ils y sont soumis partout ailleurs ?
En effet, ces tests sont aujourd’hui les seuls à permettre de confirmer la manipulation d’échantillons, d’écarter une suspicion de transfusion de sang homologue, de vérifier l’inexistence d’une mutation génétique rare conduisant à un taux d’érythropoïétine (EPO) supérieur à la moyenne, ou de détecter les manipulations génétiques qui permettent d’augmenter la performance.
C’est pourquoi la commission des lois a adopté un amendement tendant à réécrire l’article 4 de manière à inscrire dans le code du sport la possibilité de recourir aux tests génétiques pour les deux premières finalités précitées, en assortissant cette possibilité de garanties fortes, relatives notamment au caractère subsidiaire des tests, à l’anonymat des échantillons, à l’interdiction de connaître le patrimoine génétique entier de la personne testée, ainsi qu’au recours à l’identification ou au profilage du sportif.
Pour la vérification des manipulations génétiques qui font appel à la recherche d’ADN codant, la commission avait en revanche choisi la voie de l’expérimentation. Depuis lors, nous avons poursuivi nos échanges, notamment avec l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et l’International Testing Agency (ITA), qui nous ont affirmé que cette distinction posait des difficultés techniques et n’assortissait pas l’ensemble des tests des mêmes garanties.
C’est pourquoi je vous proposerai de pérenniser l’ensemble de ces tests tout en renforçant les garanties afférentes.
L’adoption des règles de lutte antidopage en Polynésie française fait l’objet de l’article 5, dont les dispositions, chère Lana Tetuanui, ont été enrichies par nos discussions avec la collectivité de Polynésie.
Surtout, l’ampleur des jeux Olympiques et Paralympiques impose de se doter d’une organisation irréprochable en matière de sécurité, d’autant que la menace terroriste est toujours élevée en France. À cela s’ajoutent deux risques majeurs : le risque cyber et le risque sanitaire. Par ailleurs, la sécurisation de la cérémonie d’ouverture en plein air complexifie la tâche.
Les premières estimations indiquent que les Jeux nécessitent la mobilisation de moyens quotidiens humains et matériels substantiels : entre 22 000 et 33 000 agents de sécurité privés, dont le recrutement pose d’ailleurs quelques difficultés, et 45 000 agents publics – forces de sécurité intérieure et armée.
L’acceptabilité des Jeux implique en outre qu’un équilibre soit trouvé entre les missions de sécurité liées aux Jeux et la permanence des autres mesures sur le reste du territoire.
L’utilisation des images prises par les caméras de vidéoprotection ou les drones doit être renforcée pour aider les forces de l’ordre à sécuriser les espaces publics ; trois articles y concourent.
La mise en conformité, prévue à l’article 6, des dispositions relatives à la vidéoprotection avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) renforce les garanties liées au traitement de données à caractère personnel ; la Cnil avait exprimé ce souhait.
L’expérimentation de l’utilisation de la vidéoprotection « intelligente » ou « augmentée », inscrite à l’article 7, est une innovation majeure, mais elle soulève de nombreuses interrogations en matière de libertés publiques, qu’il convient de mettre en balance avec les avancées opérationnelles permises par un tel dispositif, notamment pour les Jeux.
Le traitement par des algorithmes des images captées permettra de détecter et de signaler des événements prédéterminés susceptibles de menacer la sécurité des personnes. Il constituera un outil d’aide à la décision pour les forces de sécurité, qui pourront ainsi se concentrer sur l’action.
Cette innovation est d’ailleurs l’une des recommandations formulées par nos collègues Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain dans leur rapport La reconnaissance biométrique dans l’espace public : 30 propositions pour écarter le risque d’une société de surveillance, adopté par la commission des lois le 10 mai dernier.
Réécrit après les avis du Conseil d’État et de la Cnil, l’article 7 instaure de nombreuses garanties à chaque étape de la mise en œuvre de ce dispositif.
La commission des lois du Sénat a considéré que ces garanties assuraient un équilibre satisfaisant entre la protection des droits et libertés et la plus grande opérationnalité en matière de sécurité. Elle a d’ailleurs souhaité sécuriser cette procédure en renforçant le contrôle assuré par la Cnil, tant dans la mise en œuvre du traitement que dans le suivi et l’évaluation de l’expérimentation.
Enfin, le criblage des fan zones et de tous les participants, ainsi que l’autorisation du recours aux scanners corporels à ondes millimétriques pour les gestionnaires d’enceintes sportives qui le souhaitent, assureront eux aussi une meilleure sécurisation des grands événements accueillis par la France.
Mes chers collègues, les jeux Olympiques et Paralympiques sont, tous les quatre ans, des événements sportifs singuliers dont la préservation du caractère festif justifie la mobilisation de moyens exceptionnels. Il faut que la France soit prête !
Les mesures contenues dans ce projet de loi, enrichi par le Sénat, nous dotent d’outils supplémentaires pour que la France réussisse cette épreuve unique et hors norme.
Le Sénat sera évidemment au rendez-vous pour s’assurer de l’application de la loi et du respect de son esprit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales s’est vu déléguer l’examen des dispositions du présent texte qui concernent la santé et le travail.
L’article 1er prévoit la création de la polyclinique olympique et paralympique, sous la forme d’un centre de santé au statut aménagé. La structure, qui sera gérée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, vise à mettre à la disposition des seuls athlètes et personnes accréditées une offre de soins de premier recours.
Outre un encadrement composé de salariés de l’AP-HP, le fonctionnement du centre reposera sur des praticiens volontaires olympiques et paralympiques. Au pic d’activité, ceux-ci devraient être au nombre de 193, dont 36 médecins, 28 masseurs-kinésithérapeutes et 14 infirmiers.
Trois principales dérogations ont été identifiées comme nécessaires au fonctionnement de ce centre de santé, afin de clarifier le public spécifique restreint auquel la polyclinique s’adresse et de prévoir la gratuité des prestations réalisées ainsi que la présence d’une pharmacie hospitalière.
Le même article 1er simplifie également différentes procédures relatives au projet de santé, ou encore à l’installation d’équipements d’imagerie.
La commission des affaires sociales a soutenu le dispositif proposé et a veillé à préciser le statut dérogatoire de la polyclinique.
L’article 2 complète l’article 1er quant à l’organisation d’une offre de soins spécifique aux Jeux, en autorisant l’exercice de leur profession à trois grandes catégories de professionnels de santé qui seraient mobilisés pour l’événement, mais ne justifieraient pas des conditions requises pour exercer leur profession en France.
Ainsi, les médecins des fédérations accréditées seront autorisés à exercer auprès des seuls athlètes concernés. Les professionnels de santé accompagnant les délégations de sportifs pourront quant à eux exercer auprès du personnel et des membres de la délégation qu’ils accompagnent. Enfin, l’article 2 autorise l’exercice de leur profession aux professionnels de santé étrangers qui pourraient participer à l’activité de la polyclinique en tant que volontaires, selon une procédure qui reste toutefois à établir avec le Conseil national de l’ordre des médecins.
La commission des affaires sociales a approuvé ces dispositions.
Elle a également approuvé la création, à l’article 17, d’une dérogation au repos dominical pour les commerces de détail situés dans les communes où auront lieu les compétitions, ainsi que dans les communes limitrophes et à proximité.
Les très nombreux visiteurs attendus pendant les Jeux doivent être accueillis dans les meilleures conditions, d’autant que les besoins du public seront source de développement économique.
Cette dérogation est assortie de garanties pour les salariés : parmi eux, seuls les volontaires travailleront le dimanche ; ils bénéficieront d’une rémunération doublée et de repos compensateurs.
Elle s’ajoutera aux dérogations déjà existantes, comme les dimanches du maire ou les ouvertures en zone touristique, afin de s’adapter aux besoins exceptionnels liés aux jeux Olympiques et Paralympiques.
Compte tenu des nombreuses demandes de dérogations attendues, des besoins du public déjà prévisibles et du caractère bien circonscrit de la mesure, notre commission a simplifié la procédure d’autorisation préfectorale, afin que le préfet puisse d’emblée autoriser un ou plusieurs établissements à déroger au repos dominical, au lieu de procéder par autorisation individuelle, puis par arrêté d’extension.
Je veux enfin dire un mot de l’article 4, dont la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis.
Cet article complète l’arsenal de la lutte antidopage en autorisant l’examen des caractéristiques génétiques afin de rechercher quatre méthodes possibles d’amélioration des performances. Il prévoit également l’orientation du sportif vers une consultation adaptée lorsqu’un tel examen entraîne la découverte incidente d’une caractéristique responsable d’une possible affection.
Cet article est utile pour adapter la lutte antidopage à l’innovation en matière de triche. Il nous est, de plus, imposé par les règles mondiales antidopage.
En conclusion, la commission des affaires sociales est favorable à l’adoption de ces différents articles dans la rédaction issue de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, ce projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 constitue probablement la dernière occasion d’adapter notre droit de manière à assurer la bonne tenue de cet événement.
Il constitue également une première opportunité de tirer les conséquences des événements survenus au Stade de France le 28 mai 2022, qui ont vu de très nombreux délinquants forcer l’entrée du stade et plusieurs milliers de fraudeurs tenter de s’introduire avec des billets falsifiés.
Ces événements, qui ont gravement entaché la réputation de notre pays et mis en doute sa capacité à organiser de grandes manifestations, s’inscrivent dans un contexte de recrudescence des violences dans les stades et de multiplication des vols avec violence dans la capitale, au moment où plusieurs centaines de milliers de spectateurs s’apprêtent à nous rendre visite, en 2023 et en 2024, pour assister à la Coupe du monde de rugby et aux Jeux.
La commission de la culture, qui s’est vue déléguer au fond l’examen des articles 12, 13 et 14, a souhaité tirer toutes les conséquences de ces événements en modifiant le texte selon deux axes.
Le premier est l’application de la recommandation n° 1 du rapport remis par les présidents François-Noël Buffet et Laurent Lafon le 13 juillet dernier, qui proposait de rendre obligatoire le recours à une billetterie infalsifiable pour les grands événements sportifs. Je vous remercie pour votre écoute sur ce sujet, madame la ministre ; la rédaction que le Sénat examine aujourd’hui porte la marque de nos échanges.
Le second axe a consisté à compléter notre arsenal juridique afin de sanctionner plus sévèrement les primo-délinquants isolés qui tentent de s’introduire dans les enceintes sportives ou sur les aires de compétition.
Notre commission a créé à cette fin une nouvelle amende délictuelle, de manière à renforcer l’effet dissuasif de ces dispositions tout en respectant le principe de proportionnalité des peines.
Notre commission a émis un avis défavorable sur plusieurs amendements visant à réduire les peines encourues par les délinquants qui cherchent à entrer de force dans les stades, à ne pas condamner les activistes qui interrompent les retransmissions sportives pour imposer leur message politique, ou encore à rendre inopérant le dispositif des interdictions de stade.
Je constate que la volonté de lutter contre les violences de toute nature qui prolifèrent dans nos stades ne fait pas consensus. Je le regrette d’autant plus que nous avons observé, ces derniers mois, une augmentation des violences dans le sport au sens large ; il ne me semble pas envisageable de baisser la garde à quelques mois du début des jeux Olympiques et Paralympiques.
Je veux enfin rappeler la nécessité, pour chacun d’entre nous, de concourir le mieux possible au succès de ces jeux Olympiques et Paralympiques. Pour le Parlement, cela signifie au moins deux choses.
En premier lieu, il convient de mener à bien l’examen de ce texte afin de clarifier le droit applicable. Madame la ministre, je salue l’écoute que vous avez eue pour nos propositions, ainsi que les réponses que vous avez apportées à nos interrogations.
En second lieu, il nous revient de veiller aux équilibres budgétaires de cet événement. Tel est le sens de notre amendement visant à faire remettre au Parlement par la Cour des comptes un rapport d’étape dressant un bilan des Jeux avant le 1er octobre 2025.
Nos échanges avec la Cour ont permis d’établir le caractère indispensable de ce rendez-vous qui, bien entendu, n’obérera en rien les travaux que celle-ci mènera d’ici à 2026 pour réaliser un bilan financier définitif de cet événement. Il me paraît toutefois essentiel que les Français sachent que leurs élus veillent au respect du budget des Jeux, compte tenu de la garantie financière apportée par l’État.
Je terminerai en remerciant Mme la rapporteure Agnès Canayer, ainsi que mon homologue Florence Lassarade, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, pour notre excellente collaboration et nos échanges fructueux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 6.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, examiné en procédure accélérée, relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (n° 220, 2022-2023).
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, aux termes de la Charte olympique, « le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ».
Dans notre monde globalisé, le sport a ce pouvoir unique de rassembler les peuples. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne peut que souscrire à l’esprit des jeux Olympiques.
Mes chers collègues, mon groupe émettra des critiques, mais en aucun cas nous ne dévaluerons l’importance du sport, qui est l’un des quelques domaines universels de l’activité humaine.
Des règles, mais également des valeurs, universelles l’encadrent – celles du fair-play, du respect et de l’amitié –, qui sont reconnues dans le monde entier. Notre groupe reconnaît et soutient le pouvoir rassembleur, le pouvoir d’intégration du sport.
Néanmoins, nous ne pouvons que regretter et dénoncer un texte hautement sécuritaire qui porte mal son nom, puisqu’il nous parle, hélas ! moins de sport que de sécurité.
Le groupe CRCE considère que la devise olympique « Plus vite, plus haut, plus fort » est ici détournée pour un « plus vite, plus haut, plus fort » de sécurité et d’atteinte au droit à la vie privée, protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’à la liberté d’aller et venir, protégée par les articles 2 et 4 de cette même déclaration.
Ce projet de loi – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – est un cheval de Troie, tant les dispositions attentatoires aux libertés et aux droits fondamentaux qu’il comporte seront susceptibles d’être pérennisées – c’est déjà le cas pour onze d’entre elles.
Nous dénonçons un projet de loi porteur de graves atteintes à des libertés constitutionnellement garanties. Dans ces conditions, mon groupe se doit de tirer la sonnette d’alarme. Nous ne laisserons pas passer de telles atteintes, qui gâcheraient la fête.
Nous constatons avec tristesse que les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 seront un accélérateur de surveillance.
Certes, nous ne nions pas l’enjeu que constitue la sécurité. Oui, les Jeux de 2024 nécessitent un niveau exceptionnel d’organisation et de sécurité.
À titre d’exemple, la Seine-Saint-Denis accueillera le village olympique en 2024. En tant que sénatrice de ce département, je suis inquiète. Le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions, en mai 2022, a mis en lumière les carences de la France pour assurer la sécurité d’un événement sportif majeur.
Pourtant, face à cet enjeu dont vous reconnaissez l’importance, vous nous proposez de recourir à des entreprises privées. Nous dénonçons cette réponse, qui n’est pas à la hauteur de l’ambition nécessaire.
Oui, mes chers collègues, le recours aux 22 000 à 33 000 agents de sécurité privée demandés par le comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques pour encadrer les Jeux confirme la tendance à l’intégration de la sécurité privée en tant que force de police institutionnalisée et bras armé de l’État.
Encore une fois, tout comme nous l’avions indiqué lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), nous estimons que la sécurité privée ne doit pas être confondue avec la sécurité étatique. Le cuisant échec essuyé en 2012 lors des Jeux de Londres l’atteste.
Nous ne pouvons que rappeler que cette montée en puissance de la sécurité privée dissimule également la marchandisation de la sécurité publique et la délégation de missions de service public à des entreprises qui ont pour unique finalité la recherche de la rente, une finalité bien éloignée des fonctions régaliennes de l’État.
Cela révèle un manque de cohérence en matière de politique publique que nous avions déjà pointé du doigt en mai 2021, lors de l’examen de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, puis lors de l’examen de la Lopmi.
Nous regrettons que la gestion sécuritaire des Jeux se traduise également par les opérations antidélinquance menées depuis novembre 2022 et qui continueront jusqu’aux Jeux.
Aujourd’hui, deux opérations antidélinquance d’envergure sont menées chaque jour à Paris et en Seine-Saint-Denis, auxquelles s’ajoutent deux opérations dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne, sans compter les initiatives de moindre ampleur pluriquotidiennes. Entre le 7 et le 27 novembre, 235 de ces opérations ont été conduites, pour une cinquantaine de gardes à vue. Est-ce bien nécessaire ?
La Lopmi nous l’annonçait déjà : les Jeux seront l’occasion d’illustrer la doctrine de maintien de l’ordre répressive et sécuritaire du ministère de l’intérieur, une doctrine à laquelle mon groupe s’oppose fermement, lui préférant le triptyque « prévention, dissuasion, répression ».
Mon groupe s’oppose tout aussi fermement à la légalisation de la vidéosurveillance algorithmique portée par ce projet de loi. La détection par logiciel d’événements et de comportements dits « suspects » portera, une nouvelle fois, une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et à la liberté d’aller et venir des participants.
Cette légalisation sera l’occasion, pour les entreprises françaises, de montrer leur savoir-faire en matière de répression et, pour le Gouvernement, de déployer une technologie encore illégale, mais dont l’offre commerciale est pourtant déjà bien disponible.
Nous dénonçons l’utilisation des Jeux pour faire franchir une nouvelle étape à l’acceptation par la population de telles technologies. L’état d’exception créé à cette occasion permet de faire passer des lois sécuritaires qui subsisteront ensuite ; ne nous leurrons pas !
J’en viens à un autre aspect de ce texte, tout aussi important. Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à entamer l’examen de la réforme des retraites, le présent projet de loi prévoit un recul scandaleux de la limite d’âge des fonctionnaires occupant des emplois participant directement à l’organisation des Jeux, « au nom de l’intérêt du service », et ce jusqu’au 31 décembre 2024.
Dans la même veine, l’ouverture le dimanche des commerces de vente dans les communes des sites de compétition et à proximité remet en cause le principe du repos dominical et porte atteinte au droit fondamental à la vie privée et familiale.
Par ailleurs, un seul aspect de ce projet de loi a un lien concret avec le sport : le contrôle antidopage. Je vous remercie à ce propos, madame la ministre, d’avoir cité parmi vos prédécesseurs mon amie Marie-George Buffet, qui a beaucoup travaillé sur le sujet.
Le texte autorise donc, pour le temps des Jeux, l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par ses empreintes génétiques afin d’améliorer les contrôles antidopage.
Si cette transposition d’une norme internationale encadrant le contrôle antidopage est nécessaire au déroulement des Jeux, mais aussi de la Coupe du monde de rugby, la Cnil et la Ligue des droits de l’homme dénoncent en revanche « des tests particulièrement intrusifs, qui dérogent de façon importante aux principes encadrant actuellement les analyses génétiques dans le code civil ».
Mon groupe dénonce le caractère paradoxalement temporaire de cette mesure qui sera appelée à se pérenniser, et ce alors même qu’elle déroge de manière disproportionnée à des dispositions du code civil.
Enfin, alors que la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques pouvait représenter une formidable opportunité de modernisation et d’amélioration de la qualité du service du réseau francilien, se pose aujourd’hui la question de la capacité d’Île-de-France Mobilités à répondre au défi de la saturation.
Alors que de nouvelles lignes de métro auraient dû être prêtes pour relier les différents sites olympiques et permettre le transport de 10 millions de personnes, seul le prolongement de la ligne 14 sera livré à temps. Les promesses de réponse aux besoins de mobilité générés par les Jeux au moyen de solutions décarbonées peineront à être tenues, et ce n’est pas la privatisation voulue par certains qui améliorerait la situation !
Toujours au sujet des transports, nous considérons que l’élargissement de l’accès aux images de vidéoprotection aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP ne procède pas d’une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public qui serait ainsi poursuivi et le droit au respect de la vie privée des usagers.
En conclusion, mon groupe considère que ce projet de loi libéral et sécuritaire ne respecte pas le juste équilibre entre sécurité et protection des libertés et droits fondamentaux. Il n’honore pas les jeux Olympiques, mais porte de graves atteintes aux libertés publiques. En ce sens, nous considérons qu’il est contraire au bloc de constitutionnalité.
Mon dernier mot sera pour celles et ceux qui seront exclus des enceintes des jeux Olympiques du fait du prix exorbitant des billets, et qui ne verront de ce fait les Jeux que de loin. Tout compte fait, et cela est bien dommage, les Jeux de 2024, qui devraient être une énorme fête populaire, seront un mirage de convivialité.
Je vous appelle ainsi à voter notre motion d’irrecevabilité. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, celle-ci se justifie amplement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)