M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Madame la ministre, je veux vous répondre sur un point : si l’on parle de déshumanisation, c’est bien parce que les personnes qui se retrouvent aujourd’hui devant un ordinateur ne sont pas forcément des jeunes.
Or les plus anciens n’y sont pas habitués, ils préfèrent avoir affaire à quelqu’un. En outre, je vous prie de croire que, quand on est bloqué dans une démarche informatique, il est très difficile d’en sortir ! Il faut bien tenir compte de ce problème, madame la ministre. (Mme la ministre opine.)
Madame la ministre, notre délégation aux collectivités territoriales fait un travail formidable, dont il faut tenir compte !
Mme Michelle Gréaume. C’est tout ce que je souhaite : que vous teniez compte de ces observations formulées par tous les membres de la délégation. (M. Pascal Savoldelli applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier de l’organisation de ce débat la très dynamique présidente de notre délégation aux collectivités territoriales.
Il est question aujourd’hui de l’État territorial, autrement dit de la présence dans nos vallées, sur nos littoraux ou dans nos îles d’administrations dépendant directement du pouvoir central. Longtemps, le centre de gravité institutionnel et politique de notre pays fut exclusivement à Paris. Du fait d’une idéologie jacobine et d’une organisation centralisatrice, les normes devaient s’appliquer uniformément sur l’ensemble du territoire.
Néanmoins, l’impératif d’adapter l’application des normes aux circonstances locales et, surtout, la nécessaire efficacité des politiques publiques ont suscité plusieurs vagues de décentralisation, inaugurées par les lois Defferre, à partir de 1982, mais aussi l’émergence d’une différenciation territoriale, avec la loi Montagne de 1985.
Adossée à un État territorial, que je préfère aujourd’hui appeler « la France des sous-préfectures », cette politique de décentralisation et de déconcentration a montré son efficacité dans les territoires.
Le bilan de cette France des sous-préfectures n’est pourtant pas, de mon point de vue, totalement satisfaisant. Le dernier rapport de notre délégation, intitulé À la recherche de l’État dans les territoires, est de ce point de vue sans appel.
Pour commencer, la baisse des moyens financiers et humains est largement perceptible, notamment dans les territoires les moins dotés. Les directions départementales interministérielles ont perdu 36 % de leurs effectifs entre 2011 et 2020.
Cet état de fait est directement responsable du sentiment d’abandon, souvent exprimé par les élus locaux et, spécifiquement, les maires ruraux. Les normes s’accumulent au même rythme que les responsabilités, alors que les interlocuteurs des services de l’État se raréfient et que les finances locales sont toujours plus contraintes, comme plusieurs orateurs l’ont déjà rappelé cet après-midi.
Quel est le résultat de cet effet de ciseaux ? La disparition de services publics de proximité et la lassitude des citoyens.
Ce rapport sur les services déconcentrés de l’État met également en lumière le manque de lisibilité institutionnelle pour les élus locaux. À titre d’illustration, les réponses au questionnaire élaboré par les rapporteurs montrent que 64 % des élus locaux considèrent que « les agences de l’État sont trop nombreuses ». Cette appréciation est partagée par les préfets et les sous-préfets, dans une proportion encore plus large, de 80 %. C’est bien connu : plus les effectifs diminuent, plus les services se multiplient !
Ainsi, pour le maire d’une commune rurale, il est souvent complexe d’appréhender l’organisation territoriale de l’État. Encore la semaine dernière, lors d’une tournée dans mon département, les maires me le confirmaient : pour eux, l’unique interlocuteur connu et accessible, aussi efficace que possible, demeure le sous-préfet d’arrondissement.
Le troisième enseignement majeur du rapport est le manque de concertation. Plus de quatre élus locaux sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes des services déconcentrés de l’État. Je m’inscris évidemment dans cette tendance statistique, en affirmant que ce ressenti est transposable à un grand nombre de politiques publiques.
C’est d’ailleurs une des problématiques dont se saisira la mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France, dont j’ai l’honneur d’être l’un des vice-présidents et dont la création envoie un signal fort au grand public et à la cohorte de nos collègues maires et élus locaux.
Pourtant, l’élu local est à la République ce que le cœur est au corps humain. Il est le premier réceptacle des attentes citoyennes, comme on l’a vu à l’époque des « gilets jaunes » ou pendant la crise du covid-19. C’est le garant du dernier mètre des politiques publiques ; la proposition de loi déposée par Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc sur l’objectif du zéro artificialisation nette le montrera encore, si tant est que ce soit nécessaire.
Aussi, madame la ministre, je veux dire au Gouvernement : faites confiance aux élus locaux !
Comment faire de l’État territorial une réalité ? Cela passe évidemment par un renforcement du couple bien-aimé des Français, le couple maire-préfet. Et il s’agit bien du maire et du préfet de département.
M. Mathieu Darnaud. Tout à fait !
M. Daniel Gueret. Absolument !
M. Jean-Michel Arnaud. En effet, je me souviens des déclarations de Mme la Première ministre lors la convention des intercommunalités de France ; elle y indiquait que, selon elle, il y avait un nouveau couple territorial, entre les préfets – de région ou de département – et les présidents d’intercommunalité. Cela ne nous paraît pas être une ligne satisfaisante si l’on veut enraciner la confiance dans les territoires et maintenir une commune et des maires actifs.
Du côté de l’État, le principe de subsidiarité doit offrir aux préfets des pouvoirs accrus. À cet égard, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur contient une disposition qui va dans le bon sens. Désormais, en cas de crise, le champ de l’autorité fonctionnelle des préfets sera élargi aux services et établissements ne relevant pas de leur autorité en temps normal.
Une autre idée a été rappelée tout à l’heure par Françoise Gatel : faire en sorte que le Premier ministre soit l’autorité coordinatrice et fonctionnelle du préfet dans le département. Cela aussi me paraît aller dans le sens d’une meilleure coordination des services et d’une lisibilité accrue des politiques de l’État central dans les territoires.
Il faut également redonner des moyens aux services déconcentrés de l’État, les réarmer pour qu’ils soient au plus proche des territoires.
Cela doit s’accompagner d’une amélioration de la lisibilité des champs d’action des services déconcentrés. Face à la jungle administrative, les collectivités, notamment celles dont le personnel est le plus limité en nombre, à savoir les communes rurales, doivent pouvoir trouver facilement l’interlocuteur adapté à leurs besoins.
Un autre rapport de notre délégation, fort prolixe en la matière, portant sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires, recommande de faire du sous-préfet d’arrondissement leur interlocuteur de premier niveau sur les questions d’ingénierie.
Je tiens à souligner, pour être équilibré dans mon propos, en bon centriste que je suis (Sourires sur les travées du groupe UC.), que la mise en place de sous-préfets complémentaires dans les territoires est une bonne chose, qui permettra notamment, dans les territoires dotés de peu de services préfectoraux, de disposer d’un interlocuteur de plus grande efficacité en proximité.
Je crois en revanche pouvoir dire – si besoin était de le rappeler – que la dotation des préfectures n’est pas suffisante. Il y a eu une vraie hémorragie de leurs agents dans des services importants pour les maires et pour les collectivités locales, tels que les directions départementales des territoires (DDT), dont les effectifs ont fondu comme neige au soleil ces dernières années.
Or ce sont des interlocuteurs précieux et quotidiens des collectivités et de leurs élus, pour les politiques liées au droit foncier, pour les questions de légalité, ou encore pour les questions de contentieux ou de précontentieux.
Je ne veux pas non plus passer sous silence la situation du personnel des directions départementales des finances publiques (DDFiP). Comment voulez-vous que les collectivités gèrent correctement leurs finances, avec des comptables publics ou des régies, si elles n’ont pas la possibilité d’avoir des interlocuteurs en nombre suffisant, qui soient à proximité et non pas simplement regroupés dans le chef-lieu de département ?
Des instances temporaires ont également été mises en place pendant la crise sanitaire ; je pense en particulier à la concertation menée par les délégués départementaux des ARS sur les questions de santé durant cette période. Je crois qu’il faut tirer l’enseignement de cette approche efficace et faire en sorte que les délégations départementales des ARS soient mieux soutenues et reçoivent beaucoup plus d’autonomie dans les territoires.
Je terminerai mon propos, madame la ministre, par deux interpellations.
Premièrement, vous avez affirmé, à plusieurs reprises, qu’il était important de réaliser un travail effectif sur la différenciation territoriale. Chiche !
Dès lors, madame la ministre, sur la question des compétences eau et assainissement, allez-vous enfin vous laisser convaincre, avec le Gouvernement, de permettre aux collectivités de choisir librement leur manière de s’organiser en la matière, dans chaque territoire ?
Allez-vous leur laisser la liberté de choisir entre un cadre communal et un cadre intercommunal ? Et n’allez pas nous prétendre, comme votre collègue présent ici ce matin, que ce choix est largement conditionné par des enjeux d’hygiène ou de sécurité d’approvisionnement en eau : je crois que c’est un mauvais argument !
Deuxièmement, concernant les maisons France Services, qui sont en quelque sorte des guichets mis en place par les collectivités locales pour le compte de l’État, je vous invite à nous garantir que les financements prévus par l’État pour la rémunération de leurs collaborateurs, qui sont employés par les collectivités, seront maintenus dans la durée.
En effet, les MFS et les collectivités locales qui en ont la responsabilité peuvent courir un grave danger si elles ne disposent plus des financements nécessaires pour payer des collaborateurs recrutés selon un tel statut. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Très bien ! Voilà un centriste qui parle clair et franc !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Arnaud, je ne reprendrai pas tous les propos élogieux que vous avez tenus à l’égard des sous-préfets d’arrondissement. Je veux simplement rappeler que nous trouvons en eux, ainsi que dans les sous-préfets référents ruralité, ou encore dans les sous-préfets France 2030 et investissements, des serviteurs de l’État qui sont en partenariat étroit avec nos élus locaux, comme vous l’avez souligné.
Vous avez aussi évoqué un certain nombre d’actions que vous jugez efficaces. Je voudrais mettre au premier rang d’entre elles un programme que vous n’avez pas cité expressément, Petites Villes de demain. Il s’agit d’un programme très efficace mené par l’ANCT dans les sous-préfectures. Peut-être, comme vous l’avez laissé entendre, pourrait-on être plus efficace encore en la matière : oui, on peut toujours faire mieux, on le doit et on va le faire, mais ensemble !
Tel est bien l’objet de ce débat, dont je me félicite : essayer de saisir toutes les idées que nous n’avons pas encore essayées et qui nous semblent pertinentes, pour faire mieux, au service des élus locaux, bien sûr, mais aussi des citoyens.
Vous dites souhaiter que nous fassions confiance aux élus locaux. Mme Gréaume vient à ce propos de rappeler l’engagement de Jean Castex. Je veux dire à quel point la Première ministre se place, elle aussi, dans une véritable relation de confiance avec eux, et à quel point le couple maire-préfet est important à ses yeux, même si elle a souligné que le couple préfet-président d’intercommunalité avait également du sens.
Comme vous le savez, les compétences communales et intercommunales sont différentes. On a vu l’efficacité du couple maire-préfet sur des sujets sanitaires, et ce couple est très précieux dans bien des domaines encore qui entrent dans le champ de compétence du maire. Sur des sujets qui relèvent de la compétence intercommunale, il est très important aussi de tisser du lien entre le préfet et le président d’intercommunalité. Je ne pense pas que le bon centriste que vous êtes doive les opposer ! (Sourires.)
Ensuite, parmi les nombreuses remarques intéressantes que vous avez formulées, je voudrais relever la mention du fonds vert. Celui-ci a l’immense vertu d’être au service de nos territoires et de nos élus locaux, d’être à la main des préfets et de bénéficier à des investissements pour la transition écologique et énergétique. C’est un fonds interministériel extrêmement précieux et très apprécié.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Enfin, concernant le financement des MFS, vous avez mon entier soutien : il faut faire en sorte qu’il soit quelque peu prolongé.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, permettez-moi tout d’abord de saluer les gendarmes présents dans nos tribunes ; on a besoin de forces de l’ordre dans nos départements, et les gendarmeries y sont précieuses.
Vous ne m’avez pas répondu – je n’en suis pas surpris – sur la compétence eau. Cela tombe bien : nous avons une proposition de loi sur ce sujet ; il y en aura peut-être une deuxième, peut-être une troisième… Nous allons également organiser des débats sur ce sujet, avec Françoise Gatel, Mathieu Darnaud et de nombreux collègues encore : très clairement, nous n’allons pas vous lâcher sur ce sujet ! (M. Mathieu Darnaud rit.)
En effet, si l’eau, par définition, passe rapidement, elle permet aussi de faire fructifier les territoires, en faisant pousser de belles graines. C’est pourquoi nous n’entendons rien lâcher sur ce point. Nous regrettons, si je puis rester dans un champ lexical aquatique, cette fuite en avant, car le sujet sera de toute façon remis sur la table.
Nous vous proposons de vous placer à côté des élus locaux et de prouver par l’exemple que l’on peut laisser la liberté de choisir son modèle d’organisation dans un cadre local, dans la proximité.
Saisissez donc au bond cette proposition généreuse et constructive, madame la ministre, et nous vous applaudirons avec beaucoup de force. Nous remercierons ce gouvernement de nous avoir entendus ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme j’ai déjà eu souvent l’occasion de le rappeler à cette tribune, dans une vie antérieure, j’ai été professeur d’histoire-géographie. Mais le sujet retenu pour le débat de ce jour – « L’État territorial, entre mirage et réalité » – me rappelle plutôt les bonnes heures de la terminale et les sujets du baccalauréat de philosophie. (Sourires.)
En effet, vous n’ignorez pas que les historiens, les géographes et les philosophes aiment souvent s’écharper sur les concepts et les récits, afin de défricher ce qui relèverait du mythe ou du réel, de l’illusion ou du vécu. Autant dire que l’intitulé du débat a tout pour me plaire !
Seulement, pour vous parler en toute transparence, j’ai été dubitatif en découvrant son objet, car je n’ai pas su exactement ce que signifiait l’expression « État territorial ». Est-ce une variante de l’État unitaire ? De l’État fédéral ? De l’État décentralisé ou de l’État déconcentré ? Vise-t-on la France en particulier, ou s’agit-il, plus largement, d’un modèle théorique abstrait ?
Bien entendu, je comprends l’esprit de la formule : elle vise le rapport de l’État à son territoire, ou à ses territoires, et plus spécifiquement le rapport entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales. C’est finalement un moyen de nous confronter à l’ambiguïté du lien entre le territoire de l’État et les territoires dans l’État. Bref, voilà un vaste programme, que notre assemblée ne craint pas d’affronter. Je m’en réjouis !
En effet, par cette expression, nous poursuivons les travaux déjà engagés en 2016 par le Sénat à la suite du rapport d’information rédigé par Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont.
Nos anciens collègues dressaient le constat suivant : les services déconcentrés de l’État sont confrontés à une succession de réformes qui remettent périodiquement en question leurs modalités d’organisation, leurs priorités d’action et leurs moyens matériels et humains.
Plusieurs axes de progression étaient ressortis de ce rapport, parmi lesquels je relèverai la volonté de maintenir la proximité de l’administration déconcentrée avec les collectivités territoriales, mais surtout de donner à ces dernières les moyens de surmonter la complexité de l’organisation administrative et de ses procédures.
Il y a quelques semaines, nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche se sont chargés de dresser un nouveau bilan de ces problématiques, via un nouveau rapport, d’ailleurs excellent, sur le thème de l’État territorial. Je veux souligner la qualité de leur travail et faire observer que notre assemblée tient assidûment son rang de chambre des territoires.
Surtout, il ressort de ce travail que les problématiques identifiées dès 2016 demeurent, pour l’essentiel, les mêmes.
C’est tout particulièrement le cas de l’ingénierie territoriale, qui continue de poser de nombreuses difficultés dans nos collectivités. Les petites communes et communautés de communes de notre ruralité, symboles de la diversité territoriale de notre pays, sont les plus concernées.
Là-bas, les acteurs locaux, élus et agents constatent une baisse régulière des compétences des services déconcentrés de l’État.
Le RDSE étant forcément sensible à cette question, nous avons souhaité, en 2018, y apporter une réponse en créant l’ANCT. Celle-ci devait remédier à l’insuffisance, voire à l’absence de moyens d’ingénierie, ainsi qu’à la trop grande complexité des procédures, accrue par la multiplication des intervenants et des opérateurs.
Hélas, de nombreux progrès restent à faire, l’agence ne pouvant répondre à elle seule à une telle problématique. Nos collègues Josiane Costes et Charles Guené l’avaient d’ailleurs souligné en 2020 dans leur rapport intitulé Les collectivités et l’ANCT au défi de l’ingénierie dans les territoires.
Une pluralité d’acteurs sont mobilisés : intercommunalités, services départementaux et régionaux, services privés d’ingénierie, etc. Pourtant, il reste des carences. Les besoins en ingénierie des collectivités territoriales les moins densifiées sont encore largement non pourvus.
Il nous reste donc de quoi nous occuper dans les années à venir pour mettre en place des dispositifs qui favoriseront la bonne administration de nos territoires. Et cela devra naturellement venir de l’État.
En conclusion, pour revenir à l’intitulé du débat, s’il faut choisir entre mirage et réalité, l’idée d’un « État territorial » donne moins à représenter la réalité qu’à la transformer.
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Elle offre un cap : celui d’une administration homogène et collaborative entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales.
En voulant décrire et expliquer cette notion d’État territorial à partir de nos expériences locales, nous découvrons finalement un moyen d’analyser les sources du mal que rencontrent nos administrations et, ce faisant, des remèdes se dégagent. De ce point de vue, il n’y a ni mirage ni réalité, mais une méthode et une volonté ! (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Éric Kerrouche applaudissent également.)
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Requier, vous avez abordé plusieurs sujets – l’administration déconcentrée auprès des collectivités territoriales, les difficultés d’ingénierie territoriale – et appelé de vos vœux une plus grande simplification.
En ce qui concerne le maintien de l’administration déconcentrée auprès des collectivités, je redis à quel point le Gouvernement renforce les moyens de l’État. Comme promis, je listerai les cinq sous-préfectures qui ont rouvert leurs portes : Château-Gontier en Mayenne, Clamecy dans la Nièvre, Montdidier dans la Somme, Rochechouart en Haute-Vienne et Nantua dans l’Ain, auxquelles s’ajoute la nouvelle sous-préfecture créée à Saint-Georges, en Guyane.
Ensuite, j’insiste sur le fait que, après des années de diminution des effectifs, aucun emploi n’a été supprimé sur le périmètre de l’administration territoriale de l’État en 2021 et en 2022. Au contraire, nous ajoutons des postes : 350 ETP supplémentaires seront créés en cinq ans, dont 43 dès cette année ; plus 30 postes de sous-préfet, par redéploiement des postes de sous-préfet à la relance, dans les départements ruraux ; plus les sous-préfets référents thématiques ; plus 200 brigades de gendarmerie. J’en profite pour saluer très amicalement les gendarmes qui viennent de quitter la tribune.
Vous avez évoqué la création de l’ANCT : il s’agit selon nous du lieu où s’incarne le choc d’ingénierie que nous voulons créer au profit de nos collectivités territoriales. Vous appelez à renforcer ses moyens : c’est déjà une réalité. En effet, nous avons doublé dès le premier semestre 2023 les effectifs des délégués de proximité, qui sont dépêchés par l’ANCT dans les préfectures. Chaque région en comptera au moins un, afin que toutes les collectivités locales, y compris les plus petites, disposent d’un interlocuteur privilégié sur les questions d’ingénierie.
À ce propos, je vous confirme que nous travaillons sur un programme visant à servir les plus petites de nos communes, dont les besoins d’ingénierie sont réels. J’aurai plaisir, dans le cadre du nouveau souffle de l’agenda rural, à venir vous en parler d’ici à un mois, si vous le souhaitez.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.
M. Jean-Claude Requier. Madame la ministre, mon groupe a porté ici, avec M. de Nicolaÿ, qui était rapporteur au nom de la commission, le texte portant création de l’ANCT. Celui-ci a été édulcoré à l’Assemblée nationale, où on l’a affaibli en introduisant l’échelon régional, qui est trop lointain. À l’origine, nous comptions mettre sur pied un organisme départemental placé sous l’autorité du préfet afin de combler les silos qui séparent les administrations.
Je me réjouis toutefois que vous renforciez les effectifs de l’ANCT.
Pour ce qui est des sous-préfectures, j’en suis un fervent défenseur, en particulier dans le monde rural. En effet, les maires trouvent appui et conseil auprès des sous-préfets – et des sous-préfètes ! Il s’agit d’un maillage essentiel pour administrer les territoires ruraux.
M. Jean-Claude Requier. Je dis souvent aux maires de mon département : « Si vous voulez défendre et fortifier les sous-préfectures, faites travailler les sous-préfets ! »
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si réforme de l’État territorial et décentralisation vont de pair, il n’y aura pas de décentralisation réussie sans une déconcentration pertinente.
Aussi, je regrette la méthodologie défaillante des trop nombreuses réformes de l’État déconcentré depuis quinze ans. Françoise Gatel a eu raison de rappeler l’enchaînement frénétique et l’empilement des réformes, qui ont donné le tournis aux élus locaux et désorienté les agents de l’État eux-mêmes.
Si encore cette frénésie de réformes s’accompagnait d’évaluations régulières et d’une analyse des retours d’expérience, nous pourrions, à la rigueur, la suivre. Il est, hélas ! frappant que, dans ce mouvement perpétuel, chaque nouvelle réforme ne soit jamais précédée d’une évaluation sérieuse, rigoureuse et documentée de la réforme précédente.
La mission d’information que nous avons menée, mon collègue Éric Kerrouche et moi-même, a permis de souligner cette lacune. Elle a mis en évidence l’insatisfaction profonde des maires et des autres élus locaux. Alors que 61 % des élus locaux considèrent que la réforme de l’organisation de l’État est souhaitable, 82 % d’entre eux regrettent de ne pas avoir été associés à ces réformes, qui les concernent pourtant en priorité.
En outre, plus de la moitié des maires, notamment ceux de communes de moins de 1 000 habitants, estiment que l’offre de l’État s’est dégradée ou est défaillante sur leur territoire. Ce hiatus est d’autant plus préjudiciable que le couple maire-préfet a fait ses preuves, en particulier pendant la crise sanitaire. Chacun sait, dans cet hémicycle, le rôle essentiel des maires et de leurs équipes pour apporter une réponse efficace et de proximité.
Les élus locaux ne sont plus dans la défiance envers l’État territorial. Au contraire, ils attendent de lui qu’il soit un véritable partenaire, un accompagnateur plus attentif.
Ainsi, une clarification du rôle de l’État dans nos territoires est désormais indispensable. Il est urgent de mieux répartir les compétences de l’État sur la base de deux principes essentiels : la subsidiarité et la différenciation. Ce n’est qu’à cette condition que l’État pourra irriguer tout le territoire jusqu’au dernier kilomètre.
La contractualisation entre l’État et les collectivités représente une modalité intéressante pour aller vers davantage de souplesse. Elle permet de sortir de la logique des appels à projets, qui, en leur imposant un cadre strict et trop technique, brident les initiatives des petites communes au lieu de les soutenir.
Par ailleurs, certains sujets de tension doivent être déminés afin de rendre plus effective la relation maire-préfet. Les conditions d’attribution de la DETR et de la DSIL sont particulièrement concernées.
Actuellement, le préfet décide seul des attributions pour les projets dont le montant est inférieur à 100 000 euros, les élus n’ayant parfois même pas accès aux informations sur les dossiers qui ont été déposés à cet effet. Aussi avons-nous proposé, au terme de la mission d’information menée au nom de la délégation aux collectivités territoriales, davantage de transparence dans l’attribution des dotations.
En ce qui concerne l’accompagnement des projets et des investissements locaux, la question du devenir de l’ingénierie territoriale d’État se pose. Figure de proue de l’État dans les territoires pendant longtemps – chacun se souvient notamment du rôle des directions départementales de l’équipement (DDE) –, l’offre d’ingénierie se trouve amoindrie, pour ne pas dire déstabilisée, depuis la disparition de l’assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (Atésat). Nous pouvons même nous interroger sur la capacité de l’État à entretenir et à pérenniser son expertise technique.
Il n’est pas anodin de constater que, en matière d’ingénierie, les communes les moins peuplées recourent surtout aux départements, voire aux intercommunalités, qui ont développé leur propre expertise.
En parallèle, les plus grandes collectivités se tournent davantage vers des prestataires privés et, de manière accessoire, vers l’État et ses opérateurs. Si la création de l’ANCT marque un progrès, il ressort de notre enquête que celle-ci souffre d’un vrai déficit de notoriété auprès des élus locaux.