M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission, pendant sept minutes et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, madame la rapporteure Eustache-Brinio, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette proposition de loi, il est très exactement question de transition écologique et de cohésion des territoires. Comment, en particulier, soutenir les élus locaux et leur donner les moyens d’accélérer leur action en matière de rénovation des bâtiments publics, dans un contexte que nous connaissons et avec une équation à résoudre entre urgence climatique, d’un côté, et montants colossaux à investir, de l’autre ?
Notre pays, comme toute l’Europe, est engagé dans une stratégie de décarbonation. Nous en connaissons les termes : avoir réduit nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % en 2030. Pour atteindre cet objectif, il faut jouer sur tous les leviers.
Celui de l’énergie, nous l’avons mobilisé avec le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, qui a été voté, et avec le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, qui est en attente d’une adoption définitive.
S’agissant des infrastructures, je peux évoquer la remise imminente du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et les efforts que nous allons avoir à faire sur le transport ferroviaire, en particulier.
La rénovation des bâtiments constitue le troisième levier d’importance. Il faut, à ce titre, distinguer les deux types de bâtiments concernés.
Les logements individuels – le parc résidentiel – sont responsables d’environ deux tiers des émissions. Pour ces logements, nous disposons déjà d’un mécanisme, certes perfectible : MaPrimeRénov’ a permis d’engager 1,5 million de rénovations et nous allons continuer de travailler sur sa performance.
Parmi les bâtiments non résidentiels, responsables d’un tiers des émissions, une part considérable est formée par les bâtiments publics : représentant plus d’un tiers du parc tertiaire, ils cumulent une surface supérieure à 400 millions de mètres carrés, dont 100 millions de mètres carrés appartenant à l’État et plus de 300 millions de mètres carrés aux collectivités locales. Dans cette dernière catégorie, un mètre carré sur deux est scolaire – écoles, collèges, lycées –, c’est un patrimoine vivant, et non dormant, dans lequel la transmission des savoirs s’opère et la relève générationnelle se construit.
Cette proposition de loi entend faire œuvre d’efficacité et d’exemplarité : efficacité, parce que, sans rénovation du parc public, nous n’atteindrons pas nos objectifs ; exemplarité, parce qu’au moment où l’État et les collectivités locales encouragent nos concitoyens à faire des efforts sur leurs biens, si eux-mêmes ne font rien sur leur propre patrimoine, la capacité prescriptive de leur parole risque de s’en ressentir.
Le problème est assez simple. Si l’on considère qu’une grande partie des 400 millions de mètres carrés du parc public nécessite d’être rénovée et que l’on applique des ratios moyens en termes de coûts d’isolation des bâtiments, les factures se chiffrent en centaines de milliards d’euros. Comment y faire face dans le contexte actuel des finances publiques ?
Les subventions et crédits ont leurs limites. Même en ayant ajouté un fonds vert doté de 2 milliards d’euros, avec les crédits issus du plan de relance, la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), qui peut servir à une partie de ces travaux, les certificats d’économie d’énergie et un fonds Chaleur que vous avez majoré de 150 millions d’euros par rapport à la trajectoire initiale et qui atteint désormais 520 millions d’euros, nous arrivons à un total de 4 milliards d’euros. On constate bien évidemment un delta par rapport aux montants à financer…
D’où cette idée de sortir du cadre et de desserrer le frein à la rénovation des bâtiments publics que constitue l’impossibilité de lisser les paiements et, en conséquence, de se rembourser sur les économies d’énergie stratégiques que de nombreux acteurs privés, eux, sont en train de dégager.
Il serait désormais possible, par dérogation au code de la commande publique, de procéder à un paiement différé pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique, et ce dans le cadre de marchés globaux de performance énergétique. Il s’agirait, non pas d’une réhabilitation des partenariats public-privé, mais d’un mode permettant de maintenir l’exigence de gestion publique tout en offrant une nouvelle faculté aux élus volontaires – ceux qui ne le souhaitent pas n’auront aucune obligation de s’en saisir.
La conclusion en ce sens de contrats de performance énergétique (CPE) serait autorisée pour une durée de cinq ans – ce délai détermine la période pendant laquelle les contrats pourront être conclus et n’a rien à voir avec la durée des travaux ou de l’amortissement.
J’y insiste, ce n’est pas un partenariat public-privé, d’une part, parce que l’on peut opter pour un partenariat public-public, par exemple en s’appuyant sur son intercommunalité, la Banque des territoires, une société d’économie mixte (SEM), une société publique locale (SPL) ou un syndicat d’énergie, ce qui évite d’avoir à s’interroger sur le niveau de profit ou de rentabilité du dispositif ; d’autre part, parce que la délégation porte uniquement sur le chantier, et pas sur la gestion du bâtiment.
La présente proposition de loi a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Elle a été adoptée à l’unanimité en commission des lois du Sénat, cette unanimité tenant au travail de votre rapporteure, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, que je salue. Les amendements adoptés par votre commission me semblent effectivement apporter à la fois quelques garde-fous et quelques incitations supplémentaires.
En particulier, en étendant le bénéfice de l’expérimentation aux actions de mutualisation des travaux de performance énergétique menées par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou les syndicats d’énergie, on travaille très clairement à lever une partie des freins que j’évoquais voilà quelques instants.
Dans le même temps, la simplification de la procédure de vérification demandée aux collectivités est cruciale. On le sait, si le dispositif est trop lourd, les plus petites collectivités ne s’en saisiront pas, alors même qu’ayant les épargnes les plus contraintes, elles sont les moins à même de pouvoir avancer sans ce type de dispositifs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite évidemment que ce texte fasse l’objet du vote le plus large possible. Je conclurai en vous livrant trois réflexions à haute voix.
Premièrement, nous ne contraignons personne en votant ce texte. Nous ajoutons simplement, dans la boîte à outils de tous les élus de ce pays, la possibilité de bénéficier d’un mode de financement innovant pendant quelques années et, ainsi, de sortir de la double injonction voulant que, si l’on ne fait rien, on n’agit pas face à l’urgence climatique et, si l’on fait quelque chose, on prend le risque d’engager des montants de financement public à des hauteurs difficiles à assumer.
Nous avons ici une solution rationnelle, inscrite dans la durée, apportant un bienfait immédiat pour le climat et, si ce n’est pour le pouvoir d’achat, au moins pour les dépenses budgétaires des collectivités locales à moyen terme. J’y ajoute un autre bienfait, celui que ressentiront les usagers de ces bâtiments : on raisonne effectivement comme s’il ne s’agissait que de décarbonation ou de dépenses, mais il y a des enfants et des enseignants dans nos écoles et la qualité des cours dépend aussi de la température dans les bâtiments !
Deuxièmement, je travaille en temps masqué pour que, lorsque la proposition de loi aura été votée, nous disposions des véhicules permettant de se saisir de manière simple de la mesure : ingénierie, offre de prêts structurés, mécanismes d’accompagnement, y compris des régions ou des départements ayant décidé d’une accélération sur leur territoire. Grâce à ce travail mené avec la Banque des territoires, et toujours sous réserve de l’adoption de ce texte par le Sénat, puis d’une commission mixte paritaire conclusive, nous serons en mesure dans un mois de proposer un dispositif à tous les élus locaux de ce pays.
Troisièmement, et je terminerai sur ce point, nous sommes dans une année où, avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France, nous allons discuter des budgets verts. Nous pourrons réfléchir dans ce cadre, en tenant compte des dépenses à engager, à un possible accroissement des soutiens de l’État sur les projets vertueux pour le climat ou la biodiversité.
Nous avons aussi le souci de montrer ce qu’est une dette verte et comment l’on peut investir de l’argent aujourd’hui pour éviter des dépenses plus élevées demain – le climat est un usurier et l’inaction a un coût que nous ne sommes pas encore totalement capables de mesurer. Nous ferons donc œuvre utile dans ce domaine également.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les propos enthousiastes que nous venons d’entendre – nous en avons besoin en ce moment –, il me revient de vous présenter brièvement la position de la commission des lois sur ce texte, qui revêt à première vue une forte dimension technique, mais dont les enjeux sont considérables, aussi bien pour améliorer le confort des usagers et des agents du service public que pour réussir la transition énergétique de notre pays sans dérapage financier.
Pour rappel, et comme vous l’avez détaillé, monsieur le ministre, derrière l’intitulé assez aride de cette proposition de loi se cache un dispositif somme toute assez simple : il s’agit de déroger, à titre expérimental, au code de la commande publique afin de permettre à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics respectifs d’initier plus facilement des travaux de rénovation énergétique en différant leur paiement de façon que ces derniers puissent être financés par les économies d’énergie qu’ils devraient entraîner. Le paiement initial des travaux est ainsi réalisé par un tiers, d’où le terme de « tiers-financement ».
Cette expérimentation représenterait ainsi un nouvel outil à la disposition de l’État et des collectivités territoriales, confrontés à l’engagement d’investissements colossaux au regard des objectifs particulièrement ambitieux de réduction de la consommation d’énergie des bâtiments publics que nous avons inscrits dans la loi – une première fois dans la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite Grenelle I, puis de nouveau dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan.
Celle-ci impose notamment une réduction de 60 % de la consommation d’énergie finale des bâtiments publics d’ici à 2050, par rapport à leur niveau de 2010.
L’atteinte de ces objectifs, bien évidemment louables, représente néanmoins un immense défi collectif, tant les sommes à mobiliser apparaissent démesurées. D’après les estimations qui nous ont été transmises, il faudrait engager au moins 400 milliards d’euros pour procéder, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, à la rénovation énergétique des 400 millions de mètres carrés détenus par des propriétaires publics. Pour la seule sphère étatique, les montants évoqués atteignent 90 milliards d’euros.
Je n’ai donc pas été surprise de constater, lors des auditions que nous avons menées, « l’incapacité d’atteindre ces objectifs sans mobilisation de ressources supplémentaires dédiées à la mise à niveau du parc immobilier » du secteur public, selon les termes de la direction de l’immobilier de l’État (DIE), qui a pourtant mobilisé près de 4 milliards d’euros pour la rénovation énergétique de ses cités administratives depuis 2019.
Dans ce contexte, évidemment accentué par la hausse récente des coûts de l’énergie, le texte qui nous est proposé peut indéniablement représenter une solution pour aider l’ensemble des propriétaires publics à relever le défi de la transition énergétique. Il ne fait aucun doute que cette expérimentation permettra à certains projets de voir le jour en bénéficiant d’un plan de financement adéquat.
Toutefois, ce texte ne peut en aucun cas être présenté comme une solution miracle – tout le monde le sait – qui nous dédouanerait de toute réflexion supplémentaire sur les moyens que nous nous donnons pour achever la transition énergétique du secteur public. Nous avons vu dans cette expérimentation un outil complémentaire pour favoriser cette transition plutôt qu’un remède indolore pour alléger le budget des collectivités territoriales peinant à respecter leurs engagements en matière de rénovation énergétique.
C’est pour de bonnes raisons, il convient de le rappeler, que la jurisprudence constitutionnelle et le droit commun de la commande publique encadrent très strictement le recours au tiers-financement et au paiement différé, encadrement auquel cette proposition de loi permettrait de déroger. En effet, le tiers-financeur répercutera nécessairement sur l’acheteur public le coût de l’avance de trésorerie induite par le paiement différé. In fine, ce dispositif sera donc plus coûteux pour l’acheteur public qu’un financement classique, qu’il soit sur fonds propres ou par le biais d’un emprunt bancaire.
Cette remarque m’apparaît d’autant plus fondée que l’ensemble des personnes que nous avons interrogées partagent le constat selon lequel les économies d’énergie ne pourront compenser le coût total des travaux de rénovation.
En outre, nous avons constaté que les conditions de passation de ces contrats, inspirées des marchés de partenariat, apparaissent parfois assez lourdes, ce qui risque de limiter fortement l’intérêt du dispositif pour certains propriétaires publics.
C’est pourquoi la commission des lois a apporté des modifications au texte transmis au Sénat, afin de rendre plus accessible cette expérimentation tout en maintenant l’exigence de soutenabilité financière des projets, notamment lorsque ceux-ci engagent plusieurs acheteurs publics. Dans ce cas, la part supportée par chaque acheteur public devra être clairement identifiée préalablement à la signature du contrat.
Dans l’objectif de favoriser les synergies locales, nous avons en outre étendu le dispositif expérimental aux établissements publics de coopération intercommunale et aux syndicats d’énergie, qui pourront prendre en charge, comme l’autorise le code général des collectivités territoriales, les travaux de performance énergétique pour le compte de leurs membres.
En parallèle, et en réponse aux réserves évoquées, nous avons renforcé le suivi et l’évaluation de cette expérimentation, afin, d’une part, que les dérogations au code de la commande publique soient pleinement justifiées à l’issue d’un retour d’expérience dûment effectué et, d’autre part, que les collectivités en difficulté puissent rapidement être identifiées et donc accompagnées.
Compte tenu des améliorations apportées à ce texte lors de son examen en commission des lois, la commission s’est prononcée, à l’unanimité, en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rénovation énergétique des bâtiments est indéniablement l’une des principales solutions de maîtrise de la consommation d’énergie, telle qu’assignée aux personnes publiques dès 2009, et de participation à la réduction de l’empreinte carbone.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette stratégie de rénovation énergétique des bâtiments publics des différents acteurs, lesquels mettent en avant, à juste titre, une double nécessité d’exemplarité et d’atteinte de nos objectifs en la matière.
En effet, le patrimoine immobilier du secteur public représente 400 millions de mètres carrés, dont un peu plus des trois quarts sont détenus par les collectivités et leurs établissements.
Les sommes nécessaires aux travaux de rénovation énergétique d’un tel parc seraient évaluées à plusieurs centaines de milliards d’euros, ce qui explique que la direction de l’immobilier de l’État évoque la nécessité d’une « mobilisation de ressources supplémentaires ».
Le financement de ces travaux constitue tout l’enjeu de cette proposition de loi. Ceux-ci peuvent effectivement représenter des sommes faramineuses pour les personnes publiques. Je pense, en particulier, aux bâtiments scolaires, qui représentent la moitié de la surface totale des bâtiments publics des collectivités locales.
Cette proposition de loi nous amène à envisager le tiers-financement comme solution à ce problème, à savoir un mécanisme de facilitation permettant d’inclure un tiers dans le portage financier d’une rénovation.
Le dispositif central de ce texte réside ainsi dans une expérimentation, pour une durée de cinq ans, d’une dérogation aux dispositions du code de la commande publique, lequel interdit actuellement tout paiement différé dans les marchés passés par l’État, ses établissements publics, les collectivités locales, leurs établissements publics et leurs groupements.
La dérogation vise les contrats de performance énergétique conclus sous la forme d’un marché global de performance pour la rénovation énergétique.
Ces contrats restent peu employés par les acheteurs publics : on en dénombre seulement 380 sur les quinze dernières années. Il est donc nécessaire que les personnes publiques s’approprient mieux cet outil.
Nous soutenons la solution avancée, qui est pertinente et se concrétise, en plus, sous la forme d’une expérimentation, ce qui nous permettra de procéder à une évaluation rigoureuse et, éventuellement, d’en corriger les défauts.
Nous nous réjouissons des facilitations d’accès au dispositif adoptées en commission, notamment l’extension du bénéfice de l’expérimentation à la prise en charge des travaux de rénovation énergétique par les EPCI et les syndicats d’énergie pour le compte de leurs membres.
J’en profite pour saluer la qualité du travail mené en commission, sous l’impulsion de notre rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio, qui a su, malgré les délais contraints, apporter des améliorations indispensables à ce texte.
L’assouplissement des conditions de mise en œuvre, prévu à l’article 1er bis, est également bienvenu : l’expérimentation pourra ainsi advenir dès lors que le bilan préalable est au moins aussi favorable que les autres modes de passation. Cet article a également le mérite d’accroître le degré de précision de l’étude de soutenabilité budgétaire, ce qui contribuera à prévenir les situations de surendettement.
Toutefois, comme le soulevait en commission notre collègue Françoise Gatel, certaines interrogations subsistent sur certaines entreprises proposant davantage du copié-collé que de l’ajustement au cas par cas, ainsi que sur la nature de la dette engendrée par les collectivités.
La question reste en effet posée de savoir s’il faudra considérer cette dette comme une dette « verte » et quels dispositifs il sera possible d’associer ou de mettre en place afin d’accompagner au mieux les collectivités – mais pas seulement – dans leurs efforts de rénovation énergétique des bâtiments, ce que nous appelons tous de nos vœux.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons en faveur de cette proposition de loi. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, entre les records de chaleur régulièrement battus à des dates incongrues, puis les vagues de froid, les déficits pluviométriques et l’augmentation du coût de l’énergie, ces derniers mois continuent de souligner l’urgence climatique et l’impérieuse nécessité d’agir qui s’impose à tous, notamment aux pouvoirs publics.
Les fronts sont multiples : modes de production de l’énergie, traitement des déchets, protection des espaces naturels, adaptation de la mobilité, des transports et, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, rénovation énergétique des bâtiments.
L’enjeu est évidemment de taille. L’immobilier et les constructions représentent dans notre pays plus d’un tiers de la consommation d’énergie et près d’un quart des émissions de dioxyde de carbone. Il va sans dire que les bâtiments publics tiennent dans cet ensemble une place considérable, qu’il s’agisse des écoles, collèges et lycées, des hôpitaux ou des diverses administrations.
Chaque année, nous partageons tristement le constat que les travaux de rénovation sont trop peu mis en œuvre dans le secteur public. Pourtant, il y a unanimité à vouloir s’engager dans de réelles politiques publiques de rénovation énergétique des bâtiments.
Cette proposition de loi me paraît s’inscrire dans une dynamique attendue – c’est valable, d’ailleurs, pour tous les textes – de souplesse accrue pour plus d’efficacité.
Elle propose effectivement un nouvel outil, le recours au tiers-financement, sans en supprimer d’autres. Il a été observé une trop faible utilisation des contrats de performance énergétique, souvent liée à la difficulté que représentait l’investissement pour les collectivités territoriales, tout particulièrement pour les petites communes.
Les règles de la commande publique sont contraignantes, le plus souvent pour de bonnes raisons : l’usage des deniers publics doit être contrôlé et strictement encadré.
Ces motifs justifient donc d’interdire tout paiement différé dans les marchés passés par l’État, les établissements publics ou les collectivités territoriales. Toutefois, cette contrainte ne doit pas conduire à ce que l’administration « s’isole » – sans jeu de mots – du reste de la société et ne l’accompagne pas dans ses défis fondamentaux.
L’introduction du tiers-financement pourrait permettre aux administrations la réalisation de travaux d’envergure, dont le coût serait lissé dans le temps. L’option est intéressante et, dans son ensemble, le groupe du RDSE souscrit à cette souplesse.
Nous y souscrivons d’autant plus qu’il s’agit, non pas d’un moyen imposé aux collectivités, mais d’une nouvelle solution qui s’ajoute à d’autres solutions déjà existantes.
Cela étant, mes chers collègues, il faudra demeurer vigilants, comme nous devons l’être chaque fois que nous assouplissons les règles d’utilisation de l’argent public.
Heureusement, ce nouveau dispositif aura un caractère expérimental, pour une durée limitée à cinq ans. À l’issue de ce délai, il nous reviendra d’observer si les collectivités se sont effectivement saisies de l’outil que nous créons et de veiller à ce que ce dernier n’ait pas été perçu comme trop complexe pour être mis en œuvre.
Il faudra aussi nous assurer qu’en renonçant aux règles de la commande publique, nous n’avons pas contribué à l’émergence de mauvaises pratiques ou de mauvaises dettes, parce que le remboursement ne serait pas aussi simple qu’annoncé ou parce que les travaux de rénovation ne seraient pas aussi efficaces qu’espéré.
Bref, le travail d’évaluation propre à chaque expérimentation devra être fait le plus sérieusement possible, sans quoi la pérennisation du dispositif ne sera pas acceptable. Le Sénat est la chambre idéale pour ce faire.
Notre groupe est donc, dans son ensemble, favorable à la proposition de loi. Nous le sommes d’autant plus au regard des améliorations apportées lors de l’examen en commission.
Nous vous soutenons, madame la rapporteure, dans votre volonté de rendre plus accessible l’expérimentation, en permettant notamment la prise en charge des travaux de performance énergétique par les EPCI et les syndicats d’énergie. Nous vous soutenons également sur le renforcement de certains mécanismes de contrôle, comme l’étude de soutenabilité budgétaire.
Avec ces ajustements, le Sénat devrait donc adopter un texte équilibré. Le groupe du RDSE s’en réjouit ! (Mme Nadège Havet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains.
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous achevons nos travaux de cette semaine par l’examen d’une proposition de loi touchant deux sujets sur lesquels notre assemblée s’est toujours montrée très attentive, à savoir les finances des collectivités territoriales et l’environnement.
Ce texte, de prime abord assez technique, vise à ouvrir la procédure de tiers-financement aux entités publiques, afin de permettre l’accélération des travaux de rénovation énergétique de près de 400 millions de mètres carrés – c’est énorme – du bâti public.
Cette accélération est effectivement indispensable si nous souhaitons atteindre les objectifs de réduction de la consommation d’énergie fixés depuis la loi Grenelle de 2009, et ce d’autant plus que, dans le contexte économique et géopolitique actuel, la maîtrise de ces consommations est devenue un enjeu crucial.
Je n’ai certainement pas besoin de vous rappeler les difficultés rencontrées par certaines communes qui, confrontées à la hausse abrupte du prix de l’énergie, sont forcées de faire des choix très difficiles, sans toujours y parvenir !
Cette détresse, nous l’avons tous entendue dans nos échanges avec les élus locaux de nos territoires, des élus qui réalisent un travail remarquable dans les communes malgré un contexte de plus en plus difficile, notamment du fait de la précarité énergétique, qui touche certaines collectivités autant que certains Français. Dans ce climat financier dégradé, ces mêmes communes, souvent propriétaires d’un foncier abondant et vieillissant, rencontrent des difficultés croissantes pour effectuer les investissements nécessaires au financement des rénovations et de l’isolation.
Il faut dire que les outils juridiques actuels ont déjà montré leurs limites : les contrats de performance énergétique sont relativement peu utilisés, que ce soit sous la forme d’un marché global de performance ou d’un marché de partenariat de performance. Seuls 380 contrats de ce type ont été conclus entre 2007 et 2021, un chiffre bien décevant au regard de l’ampleur du travail restant à faire.
C’est la raison pour laquelle le présent texte propose d’assouplir certaines règles de la commande publique à titre expérimental, afin de permettre la participation de tiers, et donc de fonds privés, à ce travail de rénovation dans le cadre des marchés globaux de performance, en contrepartie de versements étalés dans la durée.
Plus simple à concrétiser qu’un marché de partenariat et préservant la maîtrise d’ouvrage de la personne publique, ce dispositif contribuera à lever l’un des freins à l’investissement dans la rénovation énergétique.
L’idée sous-jacente est naturellement de permettre l’utilisation des économies engendrées par la rénovation énergétique pour équilibrer le coût inhérent au recours au financement extérieur.
Toutefois, comme l’a très justement relevé en commission notre rapporteure Jacqueline Eustache-Brinio, que je remercie pour son important travail, le dispositif proposé ne constitue évidemment qu’un outil complémentaire, auquel notre approche de la question ne saurait se limiter.
Il n’a pas vocation à être systématisé et ne doit pas devenir une source de fragilisation des finances publiques locales, d’autant plus qu’il est encore difficile de quantifier l’ampleur réelle des économies susceptibles d’être dégagées par ce biais. In fine, les choix décisifs sur le plan financier se feront souvent directement en situation, à l’échelon local.
Pour garantir une approche équilibrée, près de dix amendements ont été adoptés en commission. Ils visent à étendre le bénéfice de l’expérimentation aux EPCI et aux syndicats d’énergie, mais aussi à affiner les exigences de soutenabilité budgétaire entourant la mesure.
Il est impératif que les contrats conclus constituent bien un outil de financement au moins aussi favorable que ceux dont disposent déjà les collectivités. Il y va du bon usage des deniers publics, sur lequel nous devons être absolument intraitables quand nous travaillons sur un chantier d’une telle ampleur.
Même si, à titre personnel, j’espère que la remise d’un rapport d’évaluation de l’expérimentation prévu par le texte ne constituera pas un frein, ce travail sera sans doute l’occasion de dresser un bilan, non seulement en vue de traiter la question de l’éventuel maintien du dispositif, mais aussi sur les tendances gouvernant l’évolution de l’effort de rénovation du bâti public en France.
On nous refuse souvent les rapports d’évaluation ; pourtant, leur importance est extrême. Il nous faut à la fois des études d’impact, qui nous manquent parfois cruellement – je pense, par exemple, à la réforme des retraites –, et des rapports.
En outre, pour permettre d’améliorer le pilotage du dispositif pendant la durée de l’expérimentation, la commission a également proposé qu’il fasse l’objet d’un suivi régulier par le Gouvernement et d’un rapport de mi-parcours. On voit bien là, mes chers collègues, tout l’intérêt du contrôle que nous exerçons.
Compte tenu de l’ensemble des améliorations apportées dans le cadre des travaux de notre commission, notre groupe est disposé à voter ce texte. (Mme la rapporteure applaudit.)