M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, perversion partout, respect nulle part ! L’industrie pornographique organise un monde parallèle où le spectacle de violences, de sévices et de viols est la norme.
La pornographie s’est infiltrée partout dans notre société et installe dans les esprits une vision sordide de la sexualité. C’est une activité économique extrêmement lucrative, autrement dit une machine à cash, générant dans le monde des milliards d’euros chaque année.
Les taux d’exposition des mineurs à des images pornographiques sont plus qu’alarmants. Ils sont massifs et proprement hallucinants. Avant 13 ans, bien plus du tiers des garçons et plus du quart des filles sont concernés. Avant 18 ans – les chiffres donnent le vertige –, ce sont la quasi-totalité des garçons, 95 %, et une très large majorité des filles, 86 %.
Rappelons-le, la loi interdit l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. Par conséquent, nous sommes très loin du compte s’agissant du respect de la loi.
Les effets dévastateurs sur les comportements des enfants sont d’ores et déjà constatés, qu’il s’agisse de la multiplication des attouchements et harcèlements sexuels dans les collèges et les lycées, ou des visionnages forcés de vidéos pornographiques, les filles constituant bien évidemment la majorité des victimes. Tout cela se passe dans l’ignorance quasi totale des parents. Si un témoignage ou une affaire sont révélés, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : n’oublions pas que quasiment tous les enfants ont vu des vidéos pornographiques avant 18 ans.
Les effets du porno sont absolument toxiques sur les esprits, a fortiori sur les plus jeunes. Chez les adolescents, la rencontre avec la brutalité du porno précède la construction de l’imaginaire sexuel. L’enfant peut être profondément choqué et dans l’incapacité d’analyser ce qu’il a vu. Tous les possibles des rapports amoureux peuvent ainsi être balayés : rencontre, attirance et séduction.
Il s’agit – je le dis avec force, parce que c’est grave – d’une violence psychique qui constitue une blessure à vie pour les enfants auxquels on l’inflige en ne les protégeant pas. Les conséquences sont délétères, donnant lieu à de nombreux troubles et traumatismes et œuvrant surtout comme un apprentissage au non-consentement.
Il faut ajouter que les contenus sont de plus en plus violents. Il semble ne pas y avoir de limites, qu’il s’agisse de l’apologie du viol et de l’inceste ou de la déclinaison de tout un panel de déviances sexuelles.
Un nombre non négligeable de consommateurs développent une addiction entraînant une accoutumance à ces contenus de plus en en plus violents qui érigent la domination masculine en modèle dans une escalade sans fin : 90 % des scènes pornographiques sont violentes, voire ultraviolentes. Elles peuvent être qualifiées d’actes de torture et de barbarie impliquant la traite d’êtres humains.
De nombreuses femmes recrutées sont trompées et abusées : elles seront filmées alors qu’elles sont violentées, blessées et violées. La réalité, c’est qu’elles ont été piégées, n’ayant aucune idée de la violence inouïe des actes sexuels qu’elles allaient subir.
La rapide évolution de l’industrie pornographique, tirée par le développement d’internet, a créé des opportunités pour des acteurs sans scrupule qui ont bâti des fortunes alors que les pouvoirs publics restaient aveugles et sourds. Des empires se sont créés, insaisissables et tirant parti de l’absence de réglementation, de cadre et de surveillance, avec pour résultat l’instauration d’une réalité parallèle où prospère l’esclavage sexuel, dont la valeur marchande constitue une forme de barbarie contemporaine.
Ce monde semble échapper à toute poursuite et à toute sanction. Et les femmes victimes se trouvent dans la quasi-impossibilité de demander justice pour ce qu’elles ont subi. Si quelques affaires ont été révélées, dévoilant l’ampleur du phénomène, le constat des chiffres auxquels nous devons faire face est effrayant : 19 millions de visiteurs par mois en France, dont 17 millions d’adultes et 2 millions d’adolescents.
Le marché est colossal et crée un appel d’air qui favorise l’arrivée de nouvelles vidéos sur les plateformes pour répondre à la demande. Il connaît de plus une dérive sans précédent qui crée une passerelle vers une forme de proxénétisme très particulier, celui du viol sur commande d’une femme croyant participer au tournage d’une vidéo pornographique.
La lutte est vraiment inégale devant l’accélération du phénomène. Quelle société résultera demain de notre inaction et du manque de protection des enfants ?
Le constat du rapport est sans appel. Il faut agir sans tarder avec volontarisme et efficacité, en élargissant d’une part les prérogatives de l’Arcom pour sanctionner les sites qui ne respectent pas la loi et l’interdiction d’accès aux mineurs, en généralisant d’autre part le champ de la plateforme Pharos aux violences sexuelles. Pour cela, il faut engager des moyens humains substantiels.
La lutte contre la marchandisation du corps des femmes doit être une priorité absolue de politique publique. Alors que les violences exercées par les hommes sur les femmes ne diminuent pas dans notre pays, on peut légitimement se questionner, voire s’inquiéter, du rôle que joue la consommation massive de pornographie.
Je remercie très sincèrement la délégation aux droits des femmes pour ce travail ô combien nécessaire et courageux sur ce qu’elle a très justement appelé « l’enfer du décor ».
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons une proposition de résolution importante qui appelle à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique. Un principe de réalité s’impose à nous, mes chers collègues : nous vivons dans une société où la pornographie est omniprésente et où les violences sexuelles sont malheureusement aussi très présentes.
Car oui, la pornographie contribue à la culture du viol et à la normalisation de la violence sexuelle. Les images violentes et dégradantes qui y sont représentées ont un impact réel sur la manière dont les hommes et les femmes se perçoivent eux-mêmes.
C’est pourquoi nous devons nous opposer fermement à une industrie opaque et mondialisée qui exploite et objective le corps des femmes et des minorités de genre. Nous devons comprendre que le porno est un produit culturel qui se nourrit des discriminations de genre dans notre société pour générer des milliards d’euros de profit.
En effet, l’excellent rapport de nos collègues met en relief que dans la pornographie, les femmes et les minorités de genre sont souvent reléguées à des rôles stéréotypés et dégradants, tandis que le mythe de la performance masculine est surreprésenté.
Il est grand temps de dénoncer cette représentation des sexes biaisée, qui renforce les inégalités existantes et nourrit la culture de la violence sexuelle.
En outre, nous ne manquerons pas de pointer du doigt une industrie sans aucun scrupule, dans laquelle les actrices pornographiques sont victimes d’exploitation, de harcèlement et de violences sexuelles.
De plus, par cette résolution, nous souhaitons dénoncer une industrie du porno qui a des répercussions néfastes sur la santé physique et mentale des acteurs et des spectateurs. D’une part, les actrices pornographiques sont exposées à des infections sexuellement transmissibles, à des troubles de stress post-traumatique, à des troubles de l’alimentation et à d’autres problèmes de santé mentale ; d’autre part, les spectateurs de porno peuvent développer des addictions, des troubles de la sexualité et des problèmes de santé mentale.
Mes chers collègues, il est impératif que nous prenions des mesures pour contrer les effets nocifs de la pornographie actuelle sur notre société. En particulier, comme l’a évoqué ma collègue Laurence Cohen, nous devons fournir des ressources pour éduquer le public aux dangers de la pornographie et aux moyens de résister à ses effets néfastes. Cela peut inclure des campagnes de sensibilisation ou encore des programmes éducatifs pour promouvoir une éducation sexuelle mettant en avant la diversité des identités de genre et des orientations sexuelles, qui respecte la dignité et l’autonomie de chacune et qui lutte contre les stéréotypes sexistes et homophobes. Ces mesures sont plus que nécessaires lorsque l’on sait qu’en France, deux tiers des moins de 15 ans – mes collègues l’ont dit précédemment – ont déjà visionné des images pornographiques et 2,3 millions de jeunes de moins de 18 ans en visionneraient tous les mois.
Nous plaidons également en faveur de mesures pour lutter contre l’exploitation des actrices dans l’industrie pornographique. Il est grand temps de travailler à créer des espaces sûrs et égalitaires afin de protéger leur dignité et leur intégrité physique et mentale. Les violences systémiques qu’elles subissent doivent cesser.
Enfin, nous devons renforcer les lois et les politiques qui protègent les victimes de la violence sexuelle et de l’exploitation dans l’industrie pornographique.
En France, la justice commence à ouvrir les yeux. Avec l’affaire French Bukkake, pour la première fois en France, des acteurs ont été poursuivis pour viol dans des investigations visant l’industrie pornographique : nous voyons là un premier pas vers la reconnaissance du fait que les actrices pornographiques ne sont pas des citoyennes de seconde zone. Leurs plaintes à la police doivent être prises au sérieux. Il est nécessaire d’améliorer la formation des policiers pour recueillir de telles dénonciations.
En outre, le droit à l’oubli ne doit pas être à deux vitesses pour les actrices du porno. Faut-il donc rappeler que certaines ont dû débourser entre 3 000 euros et 5 000 euros pour faire retirer des vidéos en ligne dans lesquelles elles apparaissaient, en faisant valoir leur droit à l’oubli ? Cela n’est pas acceptable. Nous ne pouvons demeurer les bras croisés. À ce propos, madame la ministre, que comptez-vous faire des recommandations de ce rapport, qui méritent à l’évidence que nous agissions ?
Mes chers collègues, la violence sexuelle dans la pornographie est un problème de société qui nécessite des réponses collectives. En adoptant cette proposition de résolution, nous nous engageons en faveur de la lutte contre les violences pornographiques. Nous attendons que l’on érige celle-ci comme une priorité de politique publique, afin de mieux éduquer le public face aux dangers de ces violences et de protéger les actrices pornographiques, qui sont très souvent victimes de violences sexuelles. C’est une responsabilité que nous devons tous partager et un engagement que nous devons prendre.
C’est pourquoi le groupe CRCE, dont l’ensemble des élus sont signataires de la proposition de résolution, la votera bien évidemment. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, et comme tous ceux qui se sont succédé à cette tribune aujourd’hui, je tiens à saluer le travail exceptionnel qui a été effectué par la délégation aux droits des femmes, en particulier par la présidente Annick Billon et par nos collègues Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, auteures du rapport d’information Porno : l’enfer du décor, dont émane la présente proposition de résolution.
Il s’agit d’un travail véritablement pionnier. Aussi incroyable que cela soit, alors que la pornographie est à l’évidence devenue un problème social majeur, le Parlement ne l’avait jamais véritablement investi.
Grâce à ce rapport d’information et à cette proposition de résolution, la représentation nationale ouvre enfin les yeux. Il était temps. Contre les préjugés les plus communément répandus, cette prise de conscience est évidemment tout à l’honneur de notre Haute Assemblée.
Je tiens donc à affirmer sans ambiguïté que je soutiens sans réserve chaque considérant de cette proposition de résolution, dont je suis moi-même cosignataire.
La question qui est devant nous est importante. Après la publication du rapport, l’adoption de cette résolution, qui interviendra – je l’imagine – tout à l’heure, nous entraînera sans doute, madame la ministre, vers un texte législatif et posera nécessairement la question de l’adoption de mesures pragmatiques et efficaces.
L’interdiction pure et simple de la pornographie est un chemin que certains de nos collègues nous proposeront peut-être d’emprunter. Sans préempter ce débat, je crois pouvoir affirmer que la prohibition pourrait avoir pour conséquence immédiate la bascule de la pornographie dans la contrebande et la mafia, qui sont des maux encore pires que ceux que nous connaissons déjà.
Existe-t-il une pornographie éthique ? Existe-t-il une pornographie morale ? Est-ce notre rôle d’en juger ?
Dans les débats à venir, je serai de ceux qui défendront un encadrement strict. C’est un chemin de crête qui demande de la conviction. Mais, à mes yeux, c’est le seul qui soit en mesure de produire de réels effets sur la réalité vécue dans notre pays.
Or, pour encadrer la pornographie, nous avons tout à faire. Et c’est bien à ce travail que nous invite, me semble-t-il, la présente proposition de résolution.
La seule pornographie qui puisse exister se doit de respecter la loi, mais avant tout la personne humaine, et bien évidemment les femmes. C’est une pornographie d’adultes consentants et qui ne s’adresse qu’à eux. Aucune tolérance pour les viols : ce sont des crimes ! Aucune tolérance pour les abus de faiblesse ni la prostitution et encore moins le proxénétisme. C’est d’ailleurs ce que considère la Cour de cassation, qui, dans sa décision du 18 mai 2022, a refusé d’étendre la définition jurisprudentielle de la notion de prostitution à l’activité dite de caming, consistant à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d’images ou de vidéos à contenu sexuel.
Pour séparer le bon grain de l’ivraie, un cadre transversal doit être créé de toutes pièces.
Car, schématiquement, on peut classer les problèmes causés par la pornographie en deux grandes familles : ceux qui concernent les personnes qui la font et ceux qui concernent les personnes qui y ont accès.
La protection des premières, c’est-à-dire principalement les actrices, pose la question des conditions de travail et de tournage dans le cadre de la production de contenus pornographiques. Elle est la seule solution pour prévenir les crimes, comme ceux qui ont récemment défrayé la chronique et ont été portés devant les juridictions de notre pays. Ceux-ci sont sans doute à l’origine de notre prise de conscience collective.
Le grave problème de l’accès des enfants et des adolescents aux contenus pornographiques soulève l’impérieuse nécessité de contraindre les plateformes de diffusion à vérifier l’âge de la personne.
Enfin, la Cnil a formulé plusieurs propositions, dont celle, qui nous semble très importante et devrait selon nous constituer un élément de réflexion, d’une régulation des messageries instantanées.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera cette proposition de résolution sans aucune réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le ministre chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, déclarait récemment : « En 2023, c’est la fin de l’accès aux sites pornographiques pour nos enfants ! »
À seulement 12 ans, près d’un enfant sur trois a été exposé à des contenus pornographiques en ligne. L’interdiction de l’accès aux sites porno manque sa cible quand il est simplement demandé à un mineur de répondre « oui » à la question de confiance sur sa majorité.
Conscient de cette faille, le Gouvernement prévoit une phase test, à compter de ce mois pour bloquer toute consultation de site pornographique par des mineurs. De fait, la jeunesse est trop souvent confrontée à une représentation déformée et inégalitaire des rapports entre les hommes et les femmes.
Ces contenus, accessibles facilement, toujours plus violents, font la promotion de l’acte sexuel forcé. Or, selon une étude de la BBC, plus d’un tiers des femmes subissent des violences lors de l’acte sexuel. Ces pratiques ne sont-elles pas encouragées par la consommation d’un certain type de pornographie ?
Il est urgent d’agir, mais comment ?
La corrélation entre violences sexuelles et pornographie s’observe déjà au niveau des conditions de travail imposées aux actrices, ces dernières relevant pourtant du code du travail, censé les protéger. Notre législation a clairement échoué jusqu’ici à dissiper le flou juridique entourant les métiers de la pornographie.
Comment protéger les actrices sans les empêcher d’exercer leur métier ? Il ne faudrait pas aggraver leur précarité en espérant abolir le porno. Mais il faut se doter d’un arsenal législatif permettant à la fois de garantir efficacement le consentement et la dignité des actrices et de sanctionner efficacement les producteurs encourageant les actes de violence lors des tournages.
La pornographie relève du débat public. Cette résolution pourrait servir de point de départ à la rédaction d’un projet de loi. Sans oublier que le problème posé est un problème non pas français, mais international, et que l’Europe devrait collectivement s’en saisir. Sans oublier non plus qu’encadrer et punir ne suffit pas. La solution passe aussi, comme le suggère Amia Srinivasan, professeure à Oxford, par une éducation rappelant à nos jeunes que le sexe peut rester ce que les anciennes générations en ont fait, mais qu’il peut aussi, si eux-mêmes le choisissent, devenir quelque chose « de plus joyeux, de plus égalitaire, de plus libre. » (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant plus de six mois, la délégation aux droits des femmes a mené des travaux sur l’industrie pornographique. Ceux-ci ont abouti à la publication du rapport intitulé Porno : l’enfer du décor.
Je tiens à remercier la présidente de la délégation, Annick Billon, d’avoir abordé ce sujet de fond aux côtés des rapporteures Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, qui ont accompli un travail formidable, dont je souhaite les féliciter, car celui-ci fera avancer non seulement les mentalités, mais aussi, je l’espère, notre droit.
Plus de 250 sénateurs, dont sept présidents de groupe, ont souhaité être associés à l’élaboration de cette proposition de résolution. Le Sénat a pleinement conscience de l’urgence et de l’importance du sujet.
Les mesures proposées iront dans le sens d’une meilleure protection des mineurs face à l’industrie pornographique, qui – je tiens à le souligner – réalise un véritable hold-up sur l’intimité et le développement de nos plus jeunes.
Pour autant, ne passons pas à côté d’un autre enjeu, dont je voudrais vous parler.
En 2018, à l’Assemblée nationale, j’avais auditionné le journaliste Robin d’Angelo, qui venait de publier son livre Judy, Lola, Sofia et moi. Pendant un an, il avait infiltré le milieu du porno soi-disant amateur, incarné en France par la puissante entreprise Jacquie et Michel.
Aussi, alors que nous nous sommes interrogés à juste titre pendant des années sur l’exposition et l’accès des jeunes à la pornographie, nous avions occulté tout un pan de ce sujet si grave. Il m’avait expliqué ce que personne n’osait dire à l’époque : l’absence récurrente de consentement, le non-respect du droit du travail et des pratiques contraires à la dignité humaine ; n’ayons pas peur des mots.
Il avait alors parlé d’une « forme de normalisation de la violence, assez marquante et assez forte » qui conduisait forcément à des abus ; j’y insiste, ce sont des abus et des scènes de violences, et non des films !
Dès 2020, ces actes ont éclaté au grand jour avec l’ouverture d’une information judiciaire pour « traite d’êtres humains aggravée, viol en réunion ou proxénétisme aggravé » contre la plateforme de vidéos pornographiques French Bukkake.
Les plaignantes ont dénoncé de graves atteintes au consentement lors de scènes dégradantes et très violentes, tandis que le réquisitoire du parquet faisait état de viols répétés, de mensonges et d’intimidations, de l’utilisation de drogues, parfois à l’insu des victimes, de tests VIH falsifiés, et de rackets organisés pour retirer les vidéos pornographiques qui empoisonnent la vie des victimes.
De même, il faut mentionner l’ouverture d’une deuxième information judiciaire, dans le cadre d’une procédure distincte, à l’encontre notamment de la société Jacquie et Michel, l’un des sites pornographiques français les plus consultés, pour « complicité de viol et traite d’êtres humains en bande organisée ».
Ces procédures témoignent de la volonté des enquêteurs et de la justice de porter une plus grande attention aux violences sexistes et sexuelles commises dans le milieu dit du « porno français ».
Sans compter toutes les victimes qui n’ont jamais osé parler…
Près de 220 000 vidéos sont vues chaque minute sur la principale plateforme, où se cachent parfois des réseaux criminels, proxénètes et de traite d’êtres humains à grande échelle. Il s’agit d’une industrie prospère : je rappelle qu’une recherche sur huit sur internet concerne une vidéo pornographique.
Ayons le courage de dire que les méthodes de l’industrie pornographique sont trop souvent identiques à celles des réseaux de traite des êtres humains. D’ailleurs, c’est bien de cela qu’il s’agit : rabattage, mise en confiance, soumission par le viol, exploitation, intimidation, inversion de la culpabilité et chantage.
Les tournages des actes sexuels sous contrainte économique et morale, des agressions sexuelles et des viols, voire des actes de torture et de barbarie doivent être lourdement condamnés.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous ne pouvons pas à la fois voter des lois dans cet hémicycle pour protéger les victimes de violences sexuelles et fermer les yeux ou même tolérer ce qui se passe bien trop souvent dans les entreprises du porno.
Le Sénat peut donc être fier aujourd’hui d’émettre un certain nombre de propositions, parmi lesquelles celle de faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale, ou celle de favoriser l’émergence des plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d’accueil, en formant les forces de l’ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique.
Notre assemblée propose également de traduire dans les effectifs et les moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats la priorité donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie, ou encore de s’attaquer directement aux plateformes de diffusion.
Car ces femmes et, parfois, ces hommes – nous ne devons pas les oublier – doivent non seulement se reconstruire, mais aussi supporter la diffusion non contrôlée de vidéos dont ils sont les victimes.
Mes chers collègues, je sais qu’aujourd’hui il est de notre responsabilité de porter leur message : ces victimes sont aussi bien les personnes qui regardent ces vidéos que celles qui y figurent, les soi-disant acteurs qui subissent ces violences.
Voter cette résolution, c’est aussi leur dire : « Nous sommes avec vous ».
Soyons fiers d’adopter ce texte, car, en le faisant, nous protégeons ces hommes et ces femmes exploités. Nous défendons la liberté et la fraternité, et nous agissons pour la dignité humaine. La solidarité que nous leur devons est essentielle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
(Mme Pascale Gruny remplace M. Roger Karoutchi au fauteuil de la présidence.)