M. Pap Ndiaye, ministre. Je l’examinerai. Croyez bien que les réponses que vous attendez ne relèvent pas simplement de la mise en place de formations attractives. Nous disposons d’un éventail de moyens d’action, dont fait partie la sectorisation, que j’évoquais précédemment. Si celle-ci ne concerne pas l’établissement privé auquel vous faites allusion, elle peut s’appliquer à un autre établissement public du voisinage, voire de la ville du Havre.
Pour répondre à votre question, les moyens d’enseignement doivent être pris en compte, mais il convient également de donner aux établissements publics défavorisés la capacité de garder des élèves susceptibles d’aller ailleurs, en particulier dans l’enseignement privé sous contrat.
Il est donc utile de réfléchir à la meilleure manière de conserver ces élèves. Des expériences intéressantes ont été menées un peu partout en France, qui montrent que des formations d’excellence peuvent offrir de bons résultats à ce titre. Il peut s’agir d’une classe de préparation aux études supérieures, au travers d’un conventionnement avec un institut d’études politiques, par exemple, ou encore d’une section internationale.
Les moyens d’enseignement sont, quant à eux, directement dépendants des effectifs scolaires. S’ils baissent dans certaines régions, nous veillons alors à améliorer le taux d’encadrement ; ce sera le cas dans le département de la Seine-Maritime.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Monsieur le ministre, vous indiquez que l’allocation des moyens est presque exclusivement liée aux effectifs. Tel était bien le sens de ma question : j’entendais vous demander comment prendre en compte la situation sociale des établissements pour renforcer les moyens d’éducation.
Par ailleurs, dans la palette de propositions que vous avancez, il me semble que vous mettez beaucoup à contribution les collectivités pour garantir la mixité sociale. Nous connaissons pourtant tous, ici, la situation dans laquelle celles-ci se trouvent…
Enfin, je m’inquiète de vos propos qui semblent envisager des regroupements d’écoles dans les centres-bourgs,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Céline Brulin. … alors que l’existence d’une école rurale, fruit d’un maillage très fin du territoire, est aussi un gage de réussite des élèves.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre. Madame la sénatrice Brulin, les moyens d’enseignement dépendent non pas seulement des effectifs, mais aussi de l’IPS et de l’éloignement. Les directions académiques font des calculs et mènent chaque année ce travail, en échangeant d’ailleurs avec les élus ; cela peut donc aboutir à des variations complètement indépendantes des effectifs stricto sensu.
Certes, le maillage a de l’intérêt. Mais, dans le secondaire tout au moins, les meilleurs résultats scolaires ne sont pas le fait des très petits établissements, et une taille réduite ne garantit pas des résultats scolaires convenables. Il nous faut réfléchir à une taille critique d’établissement en vue de la réussite de nos élèves.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. J’entends que vous prenez en compte les IPS dans l’allocation de moyens. Nous nous préparons dès lors à avancer nos arguments quant à certaines situations, avec l’espoir d’obtenir l’attribution de postes et de DHG supplémentaires pour les établissements concernés.
Quant au maillage scolaire en milieu rural, j’y insiste, car il favorise la réussite des élèves : dans les communes rurales se forme un vivier social autour de l’école, où se nouent des relations et où se créent des associations. Tout cela contribue à la réussite et me semble très important.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le postulat de départ est clair – l’article 1er du code de l’éducation rend la mixité obligatoire dans l’enseignement primaire et secondaire –, force est de constater, près de cinquante ans plus tard, que cet objectif est loin d’être atteint, malheureusement.
Le rapport de la Cour des comptes de décembre 2021 relève, d’ailleurs, que la possibilité pour chaque enfant, quelles que soient ses origines, de bénéficier des mêmes conditions de scolarisation n’est pas garantie : il s’agit d’un frein à l’efficacité générale de l’école, qui reste segmentée, dont l’impact est négatif en termes d’accès au savoir et à la culture, ainsi que d’appartenance à la Nation.
Aussi, monsieur le ministre, quel plan comptez-vous mettre en œuvre pour rendre concret l’objectif de mixité sociale fixé dans le code de l’éducation ?
Par ailleurs, concernant l’enseignement privé sous contrat, vous avez récemment évoqué les efforts à envisager afin que ce secteur « participe à une plus grande mixité sociale ». À quoi pensez-vous et de quels leviers disposez-vous dans cette perspective, sachant que la loi reconnaît à ces établissements un caractère propre ?
Enfin, quels bilans et enseignements tirez-vous des réformes mises en place pour rendre l’école plus juste, au travers de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, ou s’agissant de la sectorisation dans le secondaire, dont l’assouplissement, en 2007, n’a pas modifié in fine la composition sociale des collèges à l’échelle nationale ?
Évaluer l’efficacité d’une politique publique et en corriger le cas échéant les faiblesses en proposant des solutions de rechange, cela exige du courage politique. Il faut un message clair et fort, massivement compris et soutenu, dont l’impulsion ne peut venir que de l’État, de manière transversale.
Quels sont vos objectifs en la matière ? Comment comptez-vous amorcer le changement nécessaire pour permettre à l’enseignement obligatoire de jouer pleinement son rôle intégrateur ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Kern, en matière de mixité scolaire, je le répète, il existe un ensemble de leviers, qui peuvent être utilisés différemment selon les territoires et les réalités locales.
Notre méthode consiste à proposer aux recteurs une palette d’actions que ceux-ci peuvent mettre en œuvre de manière souple en lien avec les collectivités. Ils ont également la possibilité d’inventer d’autres moyens, pour atteindre les objectifs que nous leur fixons, avec une progressivité annuelle.
Parmi ces leviers, j’ai mentionné la situation de l’enseignement privé sous contrat et j’ai indiqué que nous avions adopté une démarche de négociation pour aboutir à un protocole. Nous avons des moyens d’action : les postes, les bonus-malus que les collectivités peuvent appliquer, mais aussi, pour ce qui nous concerne, les allocations de fonds supplémentaires via le programme 139, au-delà des strictes exigences de la mission de service public qu’assure ce secteur.
La sectorisation a fait l’objet de nombre de travaux et de réflexions depuis plus de quinze ans. Je vous invite à examiner ce qui a été réalisé récemment à Paris dans le cadre d’Affelnet pour l’affectation des lycéens à l’entrée en seconde. Cet outil a donné des résultats tout à fait probants : des établissements, parfois très prestigieux, qui recevaient peu d’élèves boursiers en accueillent beaucoup plus ; à l’inverse, des établissements avec un très fort taux de boursiers retrouvent une population scolaire plus équilibrée.
Avec l’aide des chercheurs, grâce aux statistiques issues des travaux de la Depp, nous avons une connaissance bien plus fine de la carte scolaire qu’il y a une quinzaine d’années.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, « la principale injustice de notre pays demeure le déterminisme familial, la trop faible mobilité sociale. Et la réponse se trouve dans l’école, dans l’orientation ». Ces mots sont d’Emmanuel Macron, lors de ses vœux aux Français pour 2023.
Le secteur privé compte 40 % d’élèves très aisés, contre 20 % dans le public. Quelque 42 % des élèves du public sont issus de milieux sociaux défavorisés, contre 18 % dans le privé. Ces écarts se creusent à un rythme accéléré depuis les années 2010.
Vous avez indiqué vouloir impliquer l’enseignement privé sous contrat dans la poursuite de l’objectif de mixité sociale, consubstantiel à celui d’égalité des chances. Le taux de boursiers dans les écoles privées sous contrat est actuellement inférieur à 10 %, « un chiffre trop faible au regard de la composition sociale de nos effectifs scolaires », selon vos propres mots.
L’intégration, depuis la rentrée de 2022, des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV dans le système d’affectation Affelnet semble prometteuse. Les candidats parisiens y sont recrutés non plus sur dossier, mais en fonction de leur proximité géographique et de caractéristiques sociales, et des quotas d’élèves boursiers sont désormais appliqués. Parmi les classes de seconde, la part d’élèves de catégories moyenne et défavorisée est ainsi passée de 13 % à 29 % à Louis-le-Grand et de 12 % à 22 % à Henri-IV.
L’entrée de ces deux établissements dans Affelnet semble avoir produit un effet incitatif sur les élèves parisiens, qui sont plus nombreux à avoir candidaté – plus 29 % – par rapport à l’an dernier, et qui proviennent de collèges plus divers.
Devant la délégation sénatoriale à la prospective, Jacques Attali a recommandé la présence de 20 % à 30 % d’élèves issus de familles défavorisées dans tous les établissements. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à imposer ce niveau de mixité sociale dans le public et dans le privé sous contrat ? Si tel est le cas, comment comptez-vous y parvenir ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez souligné l’écart entre les taux de boursiers dans le privé sous contrat et dans le public : il est inférieur à 10 % dans le premier, alors qu’il avoisine 29 % dans le second, soit un rapport d’un à trois.
Il faut le réduire, et c’est le sens du protocole que j’espère signer dans quelques semaines, avec des engagements précis de la part des établissements privés sous contrat. Je vous confirme l’intérêt de leurs organisations représentatives pour cette question. Il reste un certain nombre de points à régler, concernant, notamment, la restauration scolaire, mais nous avançons, avec l’aide des collectivités.
Vous avez très justement mentionné le cas des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV. Dans la situation issue de la réforme d’Affelnet, des lycéens de Louis-le-Grand, par exemple, peuvent venir de zones distantes du lycée, parce que le quartier dans lequel celui-ci est situé ne garantit pas une mixité sociale très intense.
Nous utilisons les moyens de transport très denses de Paris, en particulier la ligne du RER B, pour acheminer vers ce lycée des élèves qui en sont géographiquement éloignés. Ceux qui habitent dans le nord de Paris peuvent ainsi s’y rendre en une demi-heure environ. La proximité géographique compte moins que le temps de transport, ce qui offre beaucoup de possibilités dans une ville comme Paris.
Cette réforme a donné d’excellents résultats ; sa mise en œuvre nécessite un travail très fin, avec des calculs impliquant les modes de transport, et aboutit à une carte à l’allure parfois baroque. Mais c’est à cette condition que nous avons pu obtenir des résultats probants pour des lycées qui étaient en quelque sorte hors normes par leur recrutement, mais également par leurs résultats scolaires.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je veux le rappeler, la France enregistre de mauvais résultats en matière de réussite scolaire pour tous ses élèves. Certes, cela touche particulièrement ceux qui sont issus des milieux défavorisés, mais cela concerne aussi les autres.
Notre groupe soutient donc toute initiative visant à assurer la performance scolaire et l’égalité des chances. Il ressort de vos premières annonces que vous souhaitez principalement revoir la sectorisation et ouvrir davantage l’enseignement privé à la mixité sociale. Pourquoi pas ?
Pour autant, le risque sera grand de renforcer l’incompréhension des parents et la mise en place de stratégies d’évitement, sans apporter de réponse globale et durable à la question de la réussite de tous les élèves.
En réalité, nous ne visons pas le même objectif : vous parlez de mixité sociale, nous parlons d’égalité des chances et de réussite scolaire. Pour y parvenir, ne faudrait-il pas plutôt nommer dans les établissements à besoins éducatifs particuliers des enseignants expérimentés ?
L’affectation quasi exclusive de professeurs fraîchement issus des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), voire des formations accélérées de quarante-huit heures proposées in extremis aux vacataires, n’est-elle pas l’un des points de faiblesse majeurs de ces établissements qui auraient tant besoin de stabilité et d’expérience ?
Ne pourrait-on pas leur donner davantage d’autonomie, afin de laisser aux acteurs de terrain les marges de manœuvre nécessaires et les moyens d’assurer l’égalité des chances ?
Ne faudrait-il pas, enfin, instaurer un véritable service public du soutien scolaire, épaulé par la création d’une réserve éducative ?
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. Max Brisson. Telles sont les propositions que je souhaitais formuler et dont nous reparlerons. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Brisson, je ne vois pas de contradiction entre mixité sociale et réussite scolaire de tous les élèves.
Des études, comme les travaux de M. Grenet auxquels il a déjà été fait allusion, montrent que dans les établissements dans lesquels on crée de la mixité, comme à Paris ou à Toulouse, les résultats des élèves défavorisés s’améliorent, tandis que ceux des élèves favorisés ne baissent pas du tout. Si la progression des premiers n’est toutefois pas spectaculaire – il n’existe pas de baguette magique en la matière ! –, elle ne se fait pas au détriment des autres.
Deux autres points peuvent être relevés : d’une part, les élèves défavorisés voient leur ambition scolaire et post-bac décuplée, des perspectives s’ouvrent à eux et ils se projettent très différemment par rapport à leur situation précédente ; d’autre part, les réseaux d’amitié entre les élèves se reconfigurent. Autrement dit, les élèves se mélangent entre eux et ne forment pas des groupes séparés qui obéiraient aux logiques scolaires anciennes.
Ces évolutions sociales sont tout à fait intéressantes et invitent à penser la mixité comme un facteur de réussite, plutôt que comme un élément qui l’embarrasserait.
Je vous rejoins sur la question de la formation des enseignants, et nous aurons l’occasion d’en reparler : nous avons besoin d’enseignants mieux formés. En France, la formation académique est plus longue qu’ailleurs, alors que la formation au métier est courte. C’est paradoxal, alors que l’on attend des enseignants, dans leurs établissements, une compétence élevée dans leur métier.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Il ne me semble pas que ce soit en permettant à quelques élèves issus de milieux défavorisés de se retrouver à Pierre-de-Fermat ou à Louis-le-Grand que l’on réglera le problème de la mixité sociale et les difficultés des élèves issus de tels milieux…
Je le répète, ce n’est pas en tentant d’imposer la mixité sociale à tout prix, par la sectorisation rigide et les quotas, que nous ferons progresser le niveau scolaire des élèves les plus éloignés de la réussite. Nous le ferons par la différenciation de nos politiques éducatives sur le terrain, dans ces établissements, laquelle passe par une nouvelle approche contractualisée des ressources humaines et de l’affectation des moyens dans nos territoires.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre. Monsieur le sénateur Brisson, là encore, je ne vois pas de contradiction. Ce ne sont pas quelques élèves qui sont concernés et qui masqueraient le reste !
À Toulouse, par exemple, plusieurs centaines d’élèves du quartier du Mirail ont été envoyées dans sept collèges du centre-ville, mais aussi des bordures de la ville. Il s’agit non pas seulement des meilleurs élèves du Mirail, mais bien d’une cohorte dont la mixité scolaire est élevée. Cette expérience mérite d’être examinée de près.
Par ailleurs, j’insiste sur l’importance de valoriser des établissements défavorisés, problématiques ou délaissés, grâce à des filières d’excellence, ainsi qu’à des travaux menés sur le bâti scolaire.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, je ne vous ennuierai pas davantage quant au caractère cosmétique de ce que vous évoquez.
En revanche, je vous pose de nouveau une question : quand cesserons-nous de nommer dans les établissements des quartiers les plus difficiles, où la population a des besoins éducatifs particuliers, les professeurs les plus jeunes et les moins expérimentés, sortant des Inspé, voire des vacataires n’ayant reçu que quelques heures de formation ?
Quand allons-nous réfléchir à une nouvelle politique de ressources humaines, conduisant à orienter vers ces établissements des professeurs chevronnés, expérimentés et capables de sortir le plus grand nombre de ces élèves des difficultés scolaires dans lesquelles ils se trouvent ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la mixité scolaire se pose différemment dans les agglomérations et dans les territoires ruraux, où les établissements scolaires sont plus éloignés les uns des autres, limitant ainsi l’impact de la ségrégation résidentielle et les stratégies d’évitement des familles.
La mixité est une réalité bien plus tangible dans les écoles, les collèges et les lycées de nos communes rurales, où le vivre ensemble existe de fait. C’est une raison supplémentaire de leur accorder les moyens de fonctionner dans des conditions correctes et de maintenir leur ancrage territorial. Sur le terrain, on observe en effet une montée en puissance des écoles privées rurales, notamment hors contrat, qui pourrait remettre en cause ce fragile équilibre.
Nous payons aujourd’hui très cher les suppressions de postes actées lors du vote du budget pour 2023, en particulier dans le premier degré. Dans la Drôme, plus de 40 classes vont ainsi être fermées, essentiellement dans les communes rurales, victimes d’une logique comptable.
Monsieur le ministre, que prévoyez-vous pour maintenir des conditions d’enseignement à la hauteur des besoins dans ces territoires ?
La situation des lycées ruraux appelle également votre attention, car la réforme du lycée a mis à mal leur attractivité. Nous avions pointé ce problème dans le rapport Bilan des mesures éducatives du quinquennat, que j’ai signé avec mes collègues Annick Billon et Max Brisson : en raison de leur dotation globale horaire limitée, les lycées ruraux sont contraints d’opérer des choix entre les spécialités et les options proposées, ce qui incite des élèves à les quitter.
Le Gouvernement a-t-il prévu de renforcer les moyens qui leur sont consacrés, afin de garantir une offre éducative homogène et une égalité d’accès aux enseignements, qui sont des facteurs-clés de la mixité sociale ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Monier, selon les données dont nous disposons, la question du rural ne saurait être abordée en laissant entendre que les écoles rurales seraient sous-dotées par rapport aux écoles urbaines : c’est le contraire qui est vrai.
Le taux d’encadrement est souvent meilleur dans les écoles rurales : 18 % des élèves sont accueillis dans ces établissements, qui représentent 35 % des écoles. Il est vrai que les moyens d’enseignement diminuent pour la rentrée 2023, mais cela correspond malheureusement à une baisse des effectifs scolaires.
Pour autant, la diminution des moyens n’est pas proportionnelle à cette baisse, de sorte que le taux d’encadrement s’améliore. Par ailleurs, nous examinons au cas par cas les situations délicates et, d’ici au mois de juin prochain, nous allons procéder à certains ajustements dans les différentes académies.
S’agissant de la réforme des lycées, celle-ci n’a pas restreint le choix des élèves.
Actuellement, 93 % des établissements proposent au moins sept spécialités sur les douze possibles. Notre intention est d’accroître le nombre de spécialités proposées, en particulier les spécialisés « Numérique et sciences informatiques (NSI) » et « Sciences de l’ingénieur », puisque nous souhaitons augmenter le nombre d’élèves se dirigeant vers les voies technologiques.
Je tiens toutefois à souligner la variété des offres et à rappeler que la présence de ces sept spécialités au moins permet un choix très large comparé à la situation qui prévalait précédemment.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre Monier. Nous avons pourtant bien le sentiment que les suppressions de postes sont proportionnelles au nombre des élèves…
La moyenne des élèves par classe en primaire est de 21,9 enfants en France, contre 19,4 dans l’Union européenne. Dans nos classes rurales, après fermeture, ce nombre monte souvent à 24, 25 ou 26. Cela rompt l’égalité et fragilise la mixité.
Vous avez indiqué que les directions académiques négociaient avec les élus, mais elles le font à partir de ce qui a été voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, c’est-à-dire pas grand-chose ! À Grenoble, aucun poste n’est ainsi prévu ; la Drôme, quant à elle, a dû en rendre 11.
Je vous ai entendu évoquer la notion de trajet raisonnable et de regroupements, ce qui m’interpelle. Nous ne souhaitons pas un retour à l’article 6 quater de la loi pour une école de la confiance. Je vous rappelle que, dans les zones rurales, un trajet raisonnable se calcule en minutes, et non en kilomètres. Il importe d’y être attentif.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Sylvie Robert et son groupe, qui sont à l’initiative de ce débat sur l’école.
J’ai aussi à l’esprit, ce soir, la famille, les collègues et les élèves d’Agnès Lassalle, sauvagement assassinée dans son établissement scolaire.
Monsieur le ministre, 43 nouvelles sections internationales devaient être ouvertes à la rentrée de 2022 dans les collèges les plus défavorisés. Ce dispositif bilingue, qui propose d’accueillir des élèves français et étrangers dans une même section, est l’un des leviers à actionner pour améliorer la mixité sociale à l’école. Il permet aux élèves de bénéficier d’un total de 6 heures de cours supplémentaires par semaine – 2 heures d’histoire-géographie ou de mathématiques dans la langue de la section, ainsi que 4 heures de lettres étrangères.
Monsieur le ministre, mercredi dernier, vous avez affirmé votre volonté de multiplier les ouvertures de sections internationales dans les collèges et les lycées défavorisés. Pour assurer ces 6 heures de cours hebdomadaires, les professeurs en poste devront être mobilisés et de nouveaux professeurs embauchés dans certaines académies.
Or les enseignants n’ont jamais été aussi nombreux à quitter leurs fonctions. Les partants représentent ainsi près de 3,5 % des effectifs actuellement, contre 0,05 % en 2008.
S’y ajoutent les démissions qu’un certain nombre d’enseignants contractuels, recrutés à la rentrée de 2022 pour pallier les 4 000 vacances de poste de professeur titulaire, présentent après quelques semaines ou quelques mois d’exercice.
Monsieur le ministre, face aux difficultés de recrutement et à la crise d’attractivité du métier, comment entendez-vous garantir l’effectivité de ces sections internationales ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Billon, l’ouverture de sections internationales donne effectivement de bons résultats, puisque l’indice de positionnement social des établissements concernés progresse d’année en année, ce qui est bien sûr un très bon signe pour des établissements défavorisés.
Telle est la raison pour laquelle nous n’envisageons d’ouvrir de section internationale que dans des établissements défavorisés. Nous optimisons ainsi l’effet de ces ouvertures de sections tout en assurant une forme de rattrapage.
Ces ouvertures se font de manière progressive, la première année en classe de sixième, puis dans les classes de cinquième, quatrième et troisième. Le déploiement des moyens nécessaires est ainsi réparti sur quatre années, ce qui permet de l’envisager de manière graduelle, en prenant en compte les difficultés de recrutement que nous rencontrons dans le secondaire et que vous pointez à juste titre, madame la sénatrice.
Ces difficultés de recrutement sont inégales selon les disciplines. Si elles sont importantes pour le français et l’allemand, elles sont moins marquées pour les mathématiques, la physique-chimie ou la technologie.
En dépit de ces difficultés, nous avons décidé de consentir un effort particulier en faveur des établissements défavorisés. Dès la rentrée de 2023, nous ouvrirons donc 16 sections internationales supplémentaires. Je souhaiterais faire davantage, mais à ce stade nos calculs montrent que nous pourrons assurer ces ouvertures.
Le taux de démission des enseignants contractuels auquel vous faites allusion est effectivement préoccupant, madame la sénatrice. C’est pourquoi nous déployons un programme au long cours de formation des enseignants contractuels.
Je précise toutefois que 87 % des enseignants contractuels embauchés à la rentrée de 2022 avaient déjà enseigné l’année scolaire précédente. Dans leur grande majorité, ils n’ont donc pas été engagés à la dernière minute, et beaucoup avaient plusieurs années d’expérience.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. Contrairement à vous, monsieur le ministre, je ne suis pas convaincue que le risque de précarisation soit faible.
Il sera intéressant d’évaluer l’efficacité des moyens que vous vous apprêtez à engager au regard des objectifs fixés. Pour ma part, je demeure sceptique à ce stade.
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Monsieur le ministre, « il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs », écrivait Victor Hugo avant que Jules Ferry n’édifie l’école républicaine, comprenant que pour moissonner le bonheur public, il faut d’abord en semer les germes dans la jeunesse.
En rendant l’école laïque, gratuite et obligatoire pour tous, la IIIe République nourrissait l’ambition de façonner des citoyens libres, instruits et éclairés, unis par des valeurs partagées dans le grand creuset social scolaire.
Pendant des décennies, la République a fait de l’école sa pierre angulaire, y plaçant son essence, alors même que les divisions qui traversaient la France étaient peut-être plus vives qu’aujourd’hui.
L’école a donné une instruction solide à tous, distingué les plus méritants et offert à une République jeune et hésitante un corps social cohérent et soudé derrière elle. L’école, alors, cimentait la Nation. Aujourd’hui, cette dernière s’y lézarde.
Preuve de ce malaise, l’enseignement privé, dont on a beaucoup parlé, ne s’est jamais si bien porté, et certainement pas pour des raisons religieuses. Ce que recherchent les parents d’élèves dans le privé d’aujourd’hui, c’est l’école publique d’hier, où le travail, la discipline et l’autorité du maître étaient les points cardinaux.
Comment s’en étonner quand le niveau des élèves s’effondre, quant au temps des hussards noirs a succédé celui des contractuels recrutés en job dating, quand la carte de l’éducation prioritaire oublie les trois quarts du pays ?
L’enjeu de la mixité sociale à l’école est capital pour empêcher l’avènement d’une société-archipel, mosaïque de groupes antagonistes refusant de faire nation ensemble.
La non-mixité sociale couve les séparatismes de demain. La mixité, elle, forge le sentiment d’appartenance à une communauté de destin, liant de toute société.
Monsieur le ministre, la première pierre d’une vraie mixité sociale n’est-elle pas le retour à certains fondamentaux pédagogique : le travail, la discipline, le respect de l’enseignant ?