Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, plus d’une année s’est écoulée depuis l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Ce que l’on redoutait se produit : le conflit dure.
Il est trop tôt pour parler d’enlisement, mais on peut certainement déplorer un durcissement. Sur le terrain, la dureté des combats à Bakhmout illustre en effet une situation très difficile.
Devons-nous craindre qu’une guerre initialement confinée à l’Europe ne se mue en conflit plus général ? Le flou de Pékin sur d’éventuelles livraisons d’armes à Moscou interroge, de même que les manœuvres de Vladimir Poutine pour pousser l’Iran à l’offensive contre l’Occident. Aussi, l’Union européenne doit s’apprêter à affûter ses armes, si j’ose dire.
Tout d’abord, à ce stade de la guerre, il ne reste plus de place pour l’hésitation. L’Europe doit définitivement s’accorder sur une vision unique : si le peuple russe n’est pas l’ennemi, la Russie de Vladimir Pouline l’est devenue. Tant que ce dernier restera au pouvoir, il apparaît difficile de rétablir la confiance.
Pour garantir la sécurité collective, les pays membres de l’Union européenne doivent donc tous partager les craintes exprimées depuis longtemps par les membres du centre de l’Europe et les pays baltes. À cet égard, en tant que présidente du groupe d’amitié sénatorial France-Moldavie, je suis inquiète face aux tentatives de déstabilisation de Chisinau. La présidente moldave, Maia Sandu, redoute un plan russe visant à troubler son pays, qui est, je le rappelle, candidat à l’Union européenne.
Dans ces conditions, je ne doute pas que le prochain Conseil européen réaffirmera, comme il l’a fait lors de sa dernière réunion du mois de février dernier, son soutien, non seulement à l’Ukraine, mais aussi à tous ses voisins menacés par l’impérialisme russe. Dans cette perspective, mon groupe soutient la politique de pression collective engagée par l’Europe, notamment le plafonnement des prix des produits pétroliers, toutes les mesures restrictives adoptées en étroite coordination et coopération avec les partenaires mondiaux, ainsi que les dispositifs anti-contournement qui les accompagnent.
Le dernier Conseil européen a exprimé son soutien à la formule de paix en dix points présentée par le président Zelensky. Au sein du RDSE, nous sommes bien entendu également dans l’attente de la recherche d’une paix négociée, même si, je l’ai dit, le dialogue avec Moscou est rompu.
En attendant, mes chers collègues, nous sommes dans une impasse face à un conflit qui a un impact direct sur l’économie européenne.
Si les prix de l’énergie se tassent un peu, cette question sera une nouvelle fois à l’ordre du jour du prochain Conseil. Madame la secrétaire d’État, comment recevez-vous les propositions avancées hier par Bruxelles sur le marché de l’électricité ? On voit bien qu’une vraie réforme de fond, promise par la présidente de la Commission, s’éloigne de plus en plus. Il semblerait que l’on se contente de stabiliser les prix, alors qu’il faudrait revoir leur mode de fixation.
En attendant, je dois dire que l’on ne peut qu’accueillir favorablement l’idée d’imposer à tous les fournisseurs d’énergie ayant plus de 20 000 clients particuliers des contrats à prix fixes. De même, la possibilité pour les États membres de réduire la facture des consommateurs est également une bonne chose, à un moment où nos concitoyens les plus modestes sont pris en tenaille entre les coûts croissants des charges contraintes et les dépenses alimentaires incontournables. Quant aux petites entreprises, les protéger contre les fluctuations des énergies fossiles par un régime de garantie ou un soutien public au contrat d’achat de combustibles non fossiles constitue aussi une initiative de bon sens.
Si toutes ces mesures, pour beaucoup conjoncturelles, méritent d’être soutenues, il faut que la France renforce encore sa vision de long terme. C’est une nécessité pour que notre pays retrouve une grande part de souveraineté énergétique.
Vous nous avez confirmé, madame la secrétaire d’État, que le nucléaire faisait bien partie de la réforme proposée par Bruxelles. Compte tenu de notre modèle énergétique, il est évident qu’il paraît difficile de se passer de centrales nucléaires. Pour autant, ce maintien de l’atome dans notre mix énergétique ne doit pas empêcher la France de combler le retard considérable qu’elle a pris dans le développement des énergies renouvelables. J’espère que la loi relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables, tout juste adoptée, et que mon groupe a soutenue, tiendra ses promesses.
Pour terminer, je tiens à souligner la demande du Bureau européen des unions de consommateurs, qui recommande à l’Union européenne d’interdire les allégations climatiques trompeuses sur les aliments, telles que « bananes climatiquement neutres ». Ce bureau a publié une étude rappelant, notamment, que la production de tous les aliments et boissons nécessitera toujours l’émission de carbone et que ces allégations induisent les consommateurs en erreur. Attachée aux questions d’étiquetage des aliments, je souhaite, madame la secrétaire d’État, que la France soit attentive à cette politique, ainsi qu’à celle de la protection des indications géographiques protégées.
Sur ce dernier point, j’insiste pour qu’une approche harmonisée ne remette pas en cause la richesse, l’identité et les usages dans nos territoires des produits d’excellence. Comme vous le savez, près de 200 appellations viticoles de l’Union européenne se sont inquiétées de la proposition de réforme des règles en matière d’indications géographiques. Il serait question d’externaliser l’examen des cahiers des charges vers une agence de l’Union européenne, à savoir l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Merci de rassurer nos producteurs et artisans du goût sur ce volet. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les nombreux sujets qui seront abordés lors du Conseil européen des 23 et 24 mars, il y aura celui de la compétitivité de l’Union européenne.
Cette compétitivité doit être ardemment soutenue, que ce soit dans le domaine agricole ou dans le domaine industriel. Il y va de l’avenir de nos économies, mais aussi de notre souveraineté.
C’est tout l’objet du plan industriel du Pacte vert, qui sera encore au menu des discussions des Vingt-Sept à Bruxelles, et dont l’ambition est claire : décarboner notre économie et enrayer notre déclin industriel. Et il y a urgence !
Depuis plusieurs décennies, les pays émergents exercent sur notre industrie une concurrence de plus en plus vive, y compris dans des secteurs où l’Europe pensait qu’elle aurait toujours une longueur d’avance, comme l’aéronautique, le nucléaire ou la grande vitesse ferroviaire.
À cela s’ajoute une remise en cause permanente de l’organisation collective du commerce international. Pendant que l’Europe s’évertue à respecter à la lettre les règles multilatérales, la Chine continue ses pratiques commerciales déloyales et les États-Unis se réfugient dans un néoprotectionnisme assumé.
Le dernier exemple en date est la loi sur la réduction de l’inflation, dite IRA, qui va concentrer les fonds publics américains sur les produits Made in America, creusant encore un peu plus les écarts de compétitivité et augmentant le risque de délocalisations de nos entreprises vers les États-Unis.
Si l’Europe ne réagit pas, ce plan américain pourrait, selon la Première ministre, faire perdre à court terme 10 milliards d’euros d’investissements à la France et entraîner la perte de 10 000 créations potentielles d’emplois.
Dans ce contexte, la nécessité de bâtir une politique industrielle à l’échelon européen est non plus une option, mais une obligation !
Nous devons nous donner les moyens de jouer à armes égales avec nos concurrents, en exigeant la réciprocité dans nos relations commerciales, en adaptant notre politique de concurrence à la réalité de l’économie du XXIe siècle, et en imposant dans nos programmes de subventions des exigences de localisation des approvisionnements et de la production.
Certaines clauses contenues dans le projet de règlement pour une industrie « zéro émission nette » semblent nous conduire dans cette direction, mais tout cela est encore bien timide, alors qu’il nous faudrait affirmer avec force un changement complet de paradigme.
De la même façon, comment comprendre, au regard du contexte climatique, que ce projet de règlement semble vouloir exclure le nucléaire de son champ d’application ? Comment imaginer que, demain, l’industrie européenne puisse être à la fois compétitive et sobre en carbone, tout en snobant l’atome ? L’« alliance du nucléaire » lancée par Agnès Pannier-Runacher a visiblement encore beaucoup de travail pour que la Commission et certains États membres ouvrent enfin les yeux sur cette question fondamentale.
Le risque de déclassement touche aussi l’industrie agricole. Je voudrais prendre l’exemple de l’industrie sucrière, qui apparaît actuellement en grande fragilité. Tereos vient ainsi d’annoncer la fermeture de deux de ses usines en France. Comment ne pas y voir la conséquence directe de la pression réglementaire croissante sur les moyens de production de la culture betteravière ?
Les surtranspositions nationales et les distorsions de concurrence en Europe aboutissent inexorablement à une baisse continue des surfaces de betteraves et fragilisent nos outils industriels, qui doivent faire face à un environnement toujours plus concurrentiel.
Le choix politique d’interdire totalement les néonicotinoïdes à partir de 2018 a conduit toute une filière dans l’impasse. Madame la secrétaire d’État, allez-vous demander l’activation de la réserve de crise agricole de l’Union européenne pour venir en aide aux producteurs de betteraves affectés par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur les dérogations d’urgence pour les néonicotinoïdes ?
Je voudrais également évoquer deux autres sujets, sur lesquels je travaille en ce moment avec la commission des affaires européennes du Sénat.
Il y a d’abord la création d’un espace européen des données de santé. Si l’on souhaite que nos concitoyens autorisent l’utilisation de leurs données de santé à des fins de recherche, il faut leur assurer que celles-ci seront protégées et qu’elles ne seront pas utilisées à d’autres fins.
Il est donc indispensable, comme l’a demandé le Parlement européen, que ces données soient hébergées sur le territoire de l’Union, où les États membres respectent le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Cet hébergement suppose également des technologies de pointe, que nous devons maîtriser. Pour cela, il nous faut absolument investir davantage dans le domaine du numérique, sans quoi nous condamnerions notre économie à être en permanence dépendante de technologies venues d’ailleurs.
La compétitivité des entreprises passe aussi par un système réglementaire favorable à l’investissement. Nous devons donc être attentifs à certaines propositions de règlement, comme celle qui consiste à réviser le système de redevances perçues par l’Agence européenne des médicaments. Il s’agit de s’assurer que certains produits continueront d’être fabriqués et commercialisés sur le territoire de l’Union.
La Commission européenne doit présenter à la fin du mois de mars une réforme de la législation pharmaceutique. Nous comptons sur vous pour veiller à ce que celle-ci permette le développement effectif d’une industrie pharmaceutique innovante sur le territoire de l’Union, mais également le maintien d’une industrie produisant des médicaments plus matures, afin d’éviter les pénuries que nous connaissons aujourd’hui.
Le second sujet concerne la directive sur les travailleurs de plateformes, pour laquelle les négociations au Conseil se poursuivent, mais semblent patiner.
Au vu des divergences encore existantes entre les États membres, plusieurs questions se posent : est-il légitime d’espérer un accord au Conseil pour faire aboutir ce texte sous présidence suédoise, comme celle-ci l’annonce, ou plutôt compter sur la présidence espagnole, dont la législation nationale est avancée sur le sujet ? La France est-elle prête à faire des concessions pour parvenir à un accord ?
Pour conclure, mes chers collègues, sur toutes ces questions ayant trait à la compétitivité de l’Union européenne, nous n’avons d’autre choix que de faire preuve de volontarisme. À défaut, l’Europe risque d’être balayée par des concurrents internationaux toujours plus déterminés et conquérants.
Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée des chemins : soit nous nous donnons les moyens de continuer à peser dans les affaires du monde, soit nous devenons un continent sous influence. Je forme le vœu que l’Europe choisisse la voie du sursaut, et non celle du renoncement ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cela fait plus d’un an que les atrocités sont en cours en Ukraine ; plus d’un an que des enfants ukrainiens sont déplacés massivement vers la Fédération de Russie.
Ces enfants sont naturalisés, leurs noms sont changés, et même leurs filiations sont modifiées. Ces crimes sont punis par le droit international, et je salue le travail fourni par de nombreuses personnes et organisations, afin de faire toute la lumière sur ces faits innommables.
La commission des affaires européennes du Sénat a travaillé, sur l’initiative de notre collègue André Gattolin, sur une proposition de résolution européenne dénonçant ces transferts forcés. Plusieurs points concernent l’action de l’Union européenne et vont au-delà des sanctions qu’il faut maintenir, bien sûr, pour exercer une pression significative sur la Russie.
Nous devons, collectivement, continuer à condamner ces faits. Il faut les documenter le plus précisément possible, afin que justice puisse se faire en temps et en heure.
Le groupe Les Indépendants est très investi sur la question de l’Ukraine. Sur l’initiative de Claude Malhuret, nous avons fait adopter au Sénat le 7 février dernier, à une très large majorité, une proposition de résolution exprimant le soutien de notre assemblée à l’Ukraine, condamnant la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie et appelant au renforcement de l’aide fournie à l’Ukraine. Nous y dénoncions déjà l’enlèvement des enfants et les déplacements forcés. La proposition de résolution portée par André Gattolin prolonge ce travail.
J’espère, madame la secrétaire d’État, que la France portera la vision de ces deux propositions de résolution au Conseil européen.
Ce conflit a aussi de fortes répercussions sur les Européens. En matière énergétique, les annonces de la Commission sur son projet de réforme du marché de l’électricité marquent un premier point d’évolution. C’est le futur des Européens qui se dessine. Cette nouvelle crise majeure nous oblige à avancer.
Madame la secrétaire d’État, quels sont les points principaux que vous défendrez au-delà du découplage des prix du gaz et de l’électricité, mesure qui n’a pas été retenue bien qu’elle me semble essentielle ?
De plus, comment vont se passer les hivers prochains, particulièrement concernant les stocks de gaz, sujet dont on doit se soucier dès l’été ? Les citoyens européens ont besoin de prévisibilité face aux prix de l’énergie.
Le sujet de l’énergie déstabilise notre compétitivité à court terme, mais aussi à long terme. La loi IRA des États-Unis, dont l’objectif est de « booster » l’industrie verte et le secteur de la santé, met en danger notre marché commun. Bien que l’objectif de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % en 2030 soit louable, nous ne pouvons pas laisser partir nos industries.
Nous ne pouvons pas accepter que notre marché commun soit envahi par des produits moins chers, fabriqués hors Union européenne. Les règles de concurrence doivent rester équitables. Il faut stimuler et soutenir notre compétitivité. Notre souveraineté n’est pas une option. Seule notre indépendance doit nous guider.
Le plan industriel du pacte vert, présenté demain, sera l’un des sujets majeurs de la semaine prochaine. La Commission européenne travaille sur la simplification de l’accès aux financements, aux aides d’État, tout comme sur la facilité en matière de réglementation. L’objectif est de réaliser une transition juste et efficace.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous déjà nous indiquer les actions que pourrait mettre en œuvre le Gouvernement, afin que ces règles puissent s’appliquer rapidement et correctement sur nos territoires ? Une ingénierie locale est-elle prévue, afin d’aider nos entreprises et nos concitoyens qui font face aux complexités européennes et se sentent parfois bien démunis ?
Enfin, j’en terminerai par un point non moins stratégique, même s’il ne sera pas forcément à l’ordre du jour du Conseil européen : notre relation avec le Royaume-Uni.
Nous avons longuement débattu du sujet dans cet hémicycle. Nous nous sommes émus du choix des Britanniques de sortir de l’Union. Nous avons exprimé notre colère et nos craintes face à leur attitude lors des négociations de l’accord de retrait, ainsi qu’après. Nous sommes restés fermes face au Northern Ireland Protocol Bill et aux remous provoqués par le sujet de la pêche. Nous avons tenté de formuler des solutions. Nous sommes restés suspendus bien des fois au vote du Parlement britannique et, quelquefois, à son refus.
Trois ans après le départ du Royaume-Uni, la relation semble enfin apaisée, tout du moins au niveau des discussions. Le 27 février dernier, le cadre de Windsor a permis d’apporter une nouvelle pierre à notre relation nouvelle.
Certains ont évoqué une normalisation. Nous partageons une histoire, des valeurs et une vision communes sur bien des plans. Nous vivons sur le même territoire. La relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sera toujours au-delà de la normalité, car elle est extraordinaire.
Cependant, madame la secrétaire d’État, les règles négociées sur le statut de l’Irlande du Nord assurent-elles la protection du marché unique ? Ma question concerne le volet pratique : sommes-nous sûrs de pouvoir matériellement assurer les contrôles et la coopération nécessaires en matière d’effectifs et d’infrastructures ? Si tel n’est pas le cas, à quel horizon serons-nous prêts ? Plus largement, pouvez-vous revenir sur les étapes qu’il reste à franchir pour entériner concrètement ce cadre ?
Le Conseil européen qui arrive est encore une fois crucial. Comme à chaque fois, vous n’avez d’autre choix que de réussir, mais vous avez aussi toute notre confiance ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté hier sa proposition de réforme du marché de l’électricité pour soulager les consommateurs en agissant sur les prix, orienter le marché vers les énergies renouvelables et dépendre moins des coûts des fossiles.
Alors que cette présentation ouvre une phase qui sera déterminante, je pose nettement la question : devons-nous nous résigner, sur ces enjeux européens majeurs, à voir la France se comporter comme un petit pays de la négociation européenne, obnubilé par la défense, partout et toujours, de sa spécificité nucléaire ?
Ainsi, notre gouvernement s’est montré très actif pour développer les contrats à long terme, notamment pour soutenir le nucléaire. Pour faire plaisir à la France, l’Espagne propose donc de promouvoir les contrats de différence pour les technologies qui ne sont pas soumises à la concurrence d’une nouvelle entrée sur le marché,… comme le nucléaire !
Ce lobbying s’étend à bien d’autres dossiers, comme la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, par exemple, ou prend la forme de pressions pour inclure des objectifs de déploiement de l’hydrogène nucléaire dans le cadre réglementaire européen en cours de révision.
Pendant ce temps, la France est le seul État membre à devoir débourser 500 millions d’euros pour n’avoir pas atteint son objectif d’énergies renouvelables pour 2020 ! Notre pays européen est le seul à la traîne, tant pour l’éolien que pour le solaire, dont le boom mondial et les bas coûts sont à présent avérés.
La France persiste et signe dans la voie du nucléaire. Or ce choix n’aura aucune utilité dans les quinze ans à venir. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le martèle pourtant : c’est dans les dix prochaines années que les principaux investissements de transition énergétique doivent produire leurs résultats pour le climat. Chaque euro dépensé au profit d’un nouvel essor nucléaire sera autant en moins pour le déploiement des énergies renouvelables.
La découverte de fissures non négligeables sur des réacteurs à Penly et à Cattenom, les sécheresses plus fréquentes et plus marquées qui fragiliseront les localisations le long des fleuves, les déchets, les incertitudes sur un financement qui n’est absolument pas maîtrisé et un coût moyen de production d’électricité nettement plus élevé sont autant d’arguments pour ne pas tout engager dans cette voie et au travers d’un tel lobbying européen.
Ce lobbying est même cynique : ignorant la demande du Parlement européen d’un embargo immédiat, notamment sur l’uranium russe, la Commission a plié face au président Emmanuel Macron. Elle a renoncé, à l’instar du Conseil, à sanctionner des cadres importants du nucléaire russe, comme ceux de Rosatom, une entreprise créée par Poutine lui-même.
Le nucléaire est à l’abri des sanctions. En pleine guerre russe contre l’Ukraine, la France a quasiment triplé ses importations d’uranium enrichi provenant de l’aire d’influence russe, et elle a exporté en 2022 vers la Russie l’intégralité de son uranium de retraitement.
La France ne brille pas non plus par son exemplarité concernant la protection des océans. Notre secrétaire d’État chargé de la mer a réussi l’exploit ici même, la semaine dernière, de qualifier le traité sur la haute mer d’« historique », tout en défendant bec et ongles, dans la même phrase, le chalutage de fond dans les aires marines protégées.
Quel est le sens de la notion d’aire marine protégée si un ministre défend des engins de pêche qui ravagent les fonds marins, des pratiques si destructrices de la biodiversité ? L’écart entre les opérations de communication du Gouvernement et ce qu’il défend réellement est sidérant ! Jacques Attali s’en est d’ailleurs offusqué sur Twitter.
Il serait grand temps d’écouter les scientifiques du Conseil international pour l’exploration de la mer (Ciem) et de fermer les zones de pêche concernées pendant les pics d’échouage de dauphins, tout en compensant financièrement les pêcheurs. L’inaction du Gouvernement en la matière cause la mort de plusieurs centaines de dauphins par an sur la côte Atlantique et lui vaudra sans doute d’être bientôt condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
A contrario de mes critiques sur les renouvelables et la protection des biodiversités marines, je tiens à saluer le cap maintenu par le Gouvernement concernant l’échéance européenne de fin de vente des véhicules neufs à moteur thermique en 2035.
Le revirement allemand et sa tentative de monter une minorité de blocage sont inacceptables. Comment le parti libéral-démocrate, en déconfiture électorale, et de mèche avec des intérêts privés de petits et moyens constructeurs sous-traitants, pourrait-il saboter les chances de nos constructeurs de répondre au défi chinois en contrecarrant ainsi l’échéance de 2035, qui est une nécessité écologique et industrielle ?
C’est précisément le Green Deal européen et une stratégie industrielle qui ne soit pas à très courte vue qui réduira l’écart avec les constructeurs chinois et contribuera à apporter une réponse à la hauteur de l’IRA.
Ne laissons pas détricoter le Green Deal ! Ne laissons pas tuer dans l’œuf les discussions sur la norme Euro 7, qui viennent de très mal démarrer ! Tenons bon sur l’échéance de 2035 !
Enfin, je salue le vote au Parlement européen, aujourd’hui, d’un revenu minimum européen. Il est temps de concrétiser l’un des objectifs affichés par l’Union : réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2030 sur le continent.
Cela passe aussi par notre jeunesse : en France, une personne pauvre sur deux a moins de 30 ans. Cette dynamique européenne, dont témoigne le vote intervenu ce jour doit inciter notre pays à mettre un terme à la discrimination des moins de 25 ans pour l’accès au revenu de solidarité active (RSA) ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrice Joly applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne se trouve dans une situation des plus paradoxales. Ce n’est pas la première fois de son histoire, mais, dans le contexte actuel et extrêmement grave de la guerre en Ukraine, ce paradoxe interroge et, d’une certaine manière, inquiète.
Après avoir honorablement fait face à trois crises inédites qui auraient pu la mettre en péril ou lui coûter son existence, l’Union européenne semble aujourd’hui potentiellement menacée par un banal accident de voiture. Je vous l’accorde, ce propos sibyllin et quelque peu mystérieux mérite explication…
Ces trois crises inédites successives, ces trois astres noirs qui ont fait irruption dans la paisible galaxie Europe, nous les connaissons tous.
La première crise est évidemment celle qui a résulté du Brexit.
Pour la première fois de son histoire, l’Union a vu l’un de ses membres, et non des moindres, claquer la porte, en posant pour sa sortie des conditions parfois assez irréalistes. La négociation fut longue et pénible, et l’accord une fois trouvé fit encore l’objet de renégociations.
Les divisions fratricides, souvent prédites, entre les vingt-sept membres restants de l’Union n’ont cependant pas eu lieu. Il nous semble même apercevoir le bout du tunnel après l’accord de Windsor, évoqué par notre collègue Colette Mélot, passé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, qui révise en termes acceptables l’épineux protocole douanier concernant l’Irlande du Nord.
Le sommet franco-britannique qui s’est tenu voilà quelques jours à l’Élysée vient également de sceller les bases d’une nouvelle relation constructive entre nos deux pays. Bien sûr, et même si une proportion croissante de Britanniques dit désormais regretter le choix du Brexit, le Royaume-Uni n’est pas près de revenir sur sa décision historique.
On note cependant que la nouvelle donne internationale et, plus encore, la dégradation de la situation économique outre-Manche semblent ouvrir la voie à des relations plus apaisées et, surtout, à des coopérations accrues entre l’archipel et l’Union européenne.
Pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, nous faire un point sur les perspectives qui s’ouvrent aujourd’hui à ce sujet ?
La deuxième crise inédite, à la fois sanitaire, économique et sociale, fut celle de la pandémie de covid-19.
Là encore, l’Union a réagi assez vite, notamment dans un domaine, la santé, qui ne relevait pourtant pas de ses compétences propres. Elle a su aussi réagir économiquement, avec un plan de relance sans précédent et une suspension de ses sacro-saintes règles sur le déficit budgétaire et l’endettement public autorisés.
Après une récession très marquée en 2020, les économies européennes ont connu un rebond presque inespéré en 2021. Certes, tout cela s’est fait au prix d’un endettement accru des États membres, et la Commission appelle depuis quelques mois à un retour au respect des règles budgétaires édictées par les traités européens.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelle est aujourd’hui la philosophie de la Commission en la matière, notamment au regard des lourdes conséquences, en particulier budgétaires, qui résultent de l’actuelle guerre en Ukraine ?
La troisième crise inédite affrontée par l’Union est celle de la terrible guerre d’agression menée par la Russie depuis plus d’un an à l’encontre de l’Ukraine, avec son cortège déjà long de graves conséquences tant économiques que politiques.
Chronologiquement, c’est la plus récente des crises dont je viens de faire la liste, mais rien malheureusement ne nous assure qu’il s’agisse de la dernière, compte tenu de l’instabilité géopolitique globale qui règne désormais, des soubresauts qui agitent le monde bancaire et financier ou des nouvelles crises migratoires qui pourraient se profiler.
Notons que si ces trois crises paraissent se succéder dans le temps, certaines conséquences au long cours des deux premières viennent en partie se superposer à l’instant présent, le tout impactant simultanément nos économies et les équilibres politiques qui, jusqu’à présent, s’imposaient au sein de l’Union.
Le premier constat que l’on peut faire, avec toute la prudence qui sied lorsque l’on s’aventure sur les terres incertaines de l’avenir, c’est que l’Union a réagi avec davantage de rapidité et d’ampleur que nous n’aurions osé l’imaginer avant cette guerre. Cette réaction, souvent qualifiée de « réveil géopolitique de l’Europe », est d’ailleurs – il faut bien l’avouer – moins significative en valeur relative qu’en volume des engagements pris. Elle nous frappe surtout en comparaison de l’inanité qui prévalait dans la partie occidentale de notre continent face à la menace extérieure.
En valeur relative, force est de constater que, si progrès il y a, en revanche, on n’observe pas encore « l’effet waouh » qui ferait entrer l’Europe dans le cercle restreint des acteurs géostratégiques pesant le plus dans notre monde en pleine recomposition. Pour autant, il faut admettre qu’en dépit de la grande diversité des nations qui composent l’Union, cette dernière a fait preuve d’une grande cohésion et de résilience depuis le début du conflit.
Bien sûr, le cas de la Hongrie fait singulièrement tache dans ce tableau européen plutôt harmonieux. Madame la secrétaire d’État, pensez-vous que M. Viktor Orban puisse être en mesure de refuser et de bloquer d’éventuelles nouvelles mesures européennes en faveur de l’Ukraine – ou au détriment de la Russie – et de son adhésion future à l’Union ?
Notons qu’il existe au moins une conséquence positive de l’attitude négative de la Hongrie : le fameux groupe de Visegrad, qui a souvent entravé la dynamique européenne au cours des quinze dernières années, a définitivement volé en éclats.
Il faut également se féliciter du rééquilibrage Est-Ouest qui semble s’opérer aujourd’hui, à la faveur des événements, au sein de l’Union. Le poids nouveau pris par la Pologne et la Roumanie pourrait favoriser, à terme, une meilleure intégration politique de ces pays dans une Europe qui n’a désormais pas d’autre choix que de se repenser.
Plus généralement, et en dépit des réactions positives aux crises des dernières années, nous restons dans les faits encore loin de l’union invoquée en guise de prophétie auto-réalisatrice lorsque nous avons formellement décidé, en 1993, d’adopter la dénomination d’« Union européenne ». Objectivement, et près de vingt ans après le grand élargissement, nous commençons à peine à nous commuer en une véritable communauté de nations et de peuples. Alors, restons lucides, d’autant que le processus d’intégration, comme le processus démocratique, n’est ni constant ni linéaire. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une régression.
Pour illustrer ce risque et éclairer mon propos préalable sur un possible banal accident automobile qui pourrait mettre à mal le fonctionnement de l’Europe, je veux rapidement évoquer, à l’instar de Jacques Fernique, l’attitude récente de l’Allemagne, qui a remis soudainement en cause l’accord trouvé à l’issue d’un trilogue, pourtant concluant, sur la proposition de règlement mettant fin à la vente de véhicules neufs à moteur thermique à l’horizon 2035.
Nous connaissons tous l’importance de l’industrie automobile dans l’économie et la politique allemandes. Nous sommes nombreux à nous rappeler l’empressement de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission, à se rendre à Washington au mois de juillet 2018 pour tenter de convaincre le président Trump de renoncer à une hausse des taxes d’importation sur les automobiles européennes, comme par hasard à 80 % allemandes, au détriment des alcools et des produits de luxe, comme par hasard essentiellement français et italiens…
Ce type d’attitude est totalement délétère pour un juste et équitable fonctionnement interne de l’Union. Déjà, le « cavalier seul » qui fut par le passé opéré par l’Allemagne en matière de dépendance gazière excessive à l’égard de la Russie continue aujourd’hui de nous coûter collectivement très cher.
Voilà quelques mois, nous avions tous salué, au Sénat et ailleurs, la décision allemande d’investir enfin très significativement dans sa défense et dans celle de l’Europe. Par sa très récente décision, Berlin semble renouer avec une conception plus nationale qu’européenne, plus mercantile que politique, de sa place au sein de l’Union. C’est une erreur, je crois, qu’il convient très vite de corriger. (Applaudissements au blanc des commissions. – M. Jacques Fernique applaudit également.)