M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, votre question est essentielle : si nous voulons décarboner l’industrie traditionnelle en développant l’industrie de la décarbonation dans nos territoires, en créant de l’emploi et de la prospérité, en réconciliant économie et écologie, il faut produire l’hydrogène chez nous.
Nous pourrions nous appuyer sur les importations, comme souhaitent le faire un certain nombre de nos voisins. Pour notre part, nous sommes convaincus que nous devons développer l’hydrogène chez nous.
Celui-ci sera issu à la fois d’énergies renouvelables et d’énergies décarbonées. On peut et l’on doit faire l’un et l’autre.
Vous avez examiné deux projets de loi : l’un, relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, l’autre, visant à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires. Comme M. le sénateur Gremillet l’a souligné dans son intervention, vous attendez et vous aurez une loi de programmation pluriannuelle qui permettra de mettre tout cela en perspective. Nous croyons en l’un et en l’autre, nous aurons l’un et l’autre et vous aurez l’occasion d’en discuter très bientôt.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, votre mix énergétique s’appuie essentiellement sur le nucléaire et le renouvelable. Pour ma part, vous le savez, je ne suis pas favorable au nucléaire.
Il faut regarder les choses en face : pour une énergie primaire issue d’une centrale thermique, qu’elle soit fossile ou nucléaire, le rendement de la production électrique est de 35 %. Ensuite, à partir de cette électricité, le rendement de la production d’hydrogène est de 30 %. Résultat des courses : 90 % de l’énergie primaire est partie dans la nature. C’est un immense gâchis ! Surtout à partir de centrales thermiques.
Il en va tout autrement quand on emploie une électricité issue du renouvelable, car l’on ne subit pas, d’emblée, 35 % de pertes.
Il me semble donc indispensable de développer la production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables : ces dernières offrent un rendement nettement supérieur et l’on sait qu’à l’avenir elles seront bien plus compétitives que l’énergie nucléaire.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué. Monsieur le sénateur, les chiffres de rendements que vous mentionnez ne tiennent pas compte de l’intermittence, facteur clé de l’énergie renouvelable.
J’ai rappelé les prix auxquels l’hydrogène était compétitif. Aujourd’hui, les industriels indiquent avoir besoin d’un hydrogène entre 2 et 2,5 euros le kilogramme. Or, à ce stade du développement des énergies renouvelables, le prix de l’électricité que fourniraient les projets d’électrolyse est quasiment du double, entre 4 et 6 euros le kilogramme. (M. Daniel Salmon acquiesce.)
À ce jour, les énergies renouvelables ne permettent donc pas de produire de l’hydrogène compétitif. Nous y arriverons sans doute à mesure de l’augmentation des volumes. D’ici là – peut-être serons-nous d’accord pour reconnaître ce désaccord entre nous –, le nucléaire est un élément essentiel du développement de l’hydrogène.
M. Julien Bargeton. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, j’entends bien votre réponse, mais vous ne m’avez pas franchement convaincu.
Certes, le nucléaire n’est pas une énergie intermittente ; mais si l’on tient compte de tous ses coûts induits, il affiche un rendement assez détestable. Dans les années à venir, le mégawattheure produit par le nouveau nucléaire atteindra 100 à 120 euros. Bien entendu, vous misez sur une baisse de ces coûts, mais ce n’est guère ce qui se passe à Flamanville. On observe même plutôt le mouvement inverse, l’électricité produite devenant de plus en plus chère.
On assiste aujourd’hui au développement massif de l’éolien offshore, surtout par les pays nordiques ; dans son ensemble, le renouvelable présente de très grandes potentialités.
Nous sommes effectivement face à un certain nombre de défis technologiques. Peut-être pourrez-vous nous apporter quelques réponses au sujet des électrolyseurs, dont le rendement serait meilleur. Où en est la recherche actuellement ?
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. S’appuyer sur nos laboratoires de recherche et sur nos industriels à la pointe de l’innovation, créer une filière compétitive d’hydrogène renouvelable et bas-carbone et devenir l’un des leaders mondiaux de l’hydrogène décarboné par électrolyse : telle est la feuille de route de notre pays en la matière.
Néanmoins, pour offrir à l’hydrogène un futur prometteur dans notre mix énergétique, il est indispensable de lever certains freins, en améliorant le rendement des procédés de production, en optimisant le stockage à haute pression ou encore en favorisant les investissements, ce qui suppose de réduire autant que possible le risque industriel.
Il semble donc incontournable de mettre en place des politiques publiques visant à encourager le déploiement et la baisse de coûts de certaines technologies.
L’Union européenne et ses États membres ont récemment réaffirmé leur intention de mettre en œuvre des contrats pour la différence, plus connus sous le sigle anglais de CFD, visant à soutenir la production d’hydrogène. Or une note récente de l’Institut pour le développement durable et les relations internationales (Iddri) met en exergue quelques antagonismes dans le système retenu.
Jusqu’à présent, l’attribution des contrats repose souvent sur un système d’enchères, remportées par les projets les moins coûteux par volume d’hydrogène produit ou par tonne de CO2 évitée. L’objectif est d’encourager la concurrence entre acteurs industriels et de réduire au maximum le coût pour la puissance publique ; mais les enchères défavorisent les technologies plus chères et plus innovantes ainsi que les nouveaux entrants, alors que ces acteurs peuvent jouer un rôle important dans la décarbonation.
On pourrait envisager d’octroyer les CFD par paniers de technologies, en isolant les technologies de production que l’on estime incontournables tout en conservant une forme de concurrence.
Chaque panier pourrait disposer d’une enveloppe budgétaire garantie. Ce faisant, la concurrence entre paniers serait contenue dans des limites précises – c’est le cas dans le nouveau système mis en place aux Pays-Bas et en Angleterre pour l’électricité renouvelable.
En outre, les contrats pourraient faire l’objet d’un guichet ouvert au lieu d’être mis aux enchères. Dès lors, tous les projets éligibles pourraient recevoir une aide.
Monsieur le ministre, à l’instar de ce qui a été réalisé pour les énergies renouvelables, envisage-t-on de conclure des CFD entre la puissance publique et des acteurs privés afin d’accélérer la production d’hydrogène ? Je pense notamment à l’électrolyse : ces contrats permettraient de soutenir de premiers projets de nature commerciale grâce à la garantie de revenus aux producteurs et, ainsi, d’inciter les développeurs à la commercialisation directe.
M. Julien Bargeton. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, votre question est pertinente : comme vous le soulignez, les contrats pour la différence peuvent avoir quelques effets pervers. Parfois, seuls les producteurs les plus compétitifs y ont accès et profitent, ainsi, de l’écart avec le prix du marché.
Néanmoins, tel n’est pas le cas pour l’hydrogène : les projets les plus innovants sont même souvent ceux qui présentent les rendements les plus élevés. En finançant les Capex (Capital Expenditures), comme nous nous y engageons dans le cadre des Piiec, on peut obtenir des Opex (Operating Expenses) plus faibles pour les projets les plus innovants. Les CFD deviennent ainsi un mécanisme vertueux : in fine, ils bénéficient aux acteurs les plus innovants, lesquels proposent aussi le meilleur rendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Un débat relatif à l’hydrogène a tout son intérêt pour le législateur, car il le conduit à poser deux questions essentielles : cette énergie est-elle réellement utile et positive pour notre transition énergétique ? Si oui, comment pouvons-nous assurer sa démocratisation au-delà des aspects uniquement économiques ?
Monsieur le ministre, au sujet de la première interrogation, il me semble nécessaire de formuler ce rappel à la suite de notre collègue Daniel Salmon : la majeure partie de l’hydrogène est aujourd’hui produite à partir de combustibles fossiles – elle est dérivée du méthane pour les trois quarts, et du charbon pour le dernier quart. En parallèle, l’hydrogène vert ne représente que 1 % de la production mondiale totale, notamment en raison de son coût.
Comment la France, qui entend devenir, pour citer le Président de la République, le « leader de l’hydrogène vert en 2030 », compte-t-elle réussir cette transition vers un hydrogène vert ? Malgré les millions d’euros investis par l’Union européenne, l’on peut nourrir quelques doutes quant à la crédibilité des annonces présidentielles, voire des craintes pour la réussite de la transition de notre mix énergétique.
J’en viens à la démocratisation de cette énergie. En 2020, lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le président-directeur général (PDG) d’Air Liquide reconnaissait que le développement de l’hydrogène se concentrait essentiellement sur l’industrie et les transports lourds. Il admettait surtout que la voiture individuelle à l’hydrogène restait un mythe, faute d’attrait économique.
Après avoir tranché les questions de production, comment le Gouvernement prévoit-il d’accompagner la démocratisation de l’hydrogène, non seulement auprès des particuliers, mais aussi auprès des collectivités territoriales ? Certaines d’entre elles perçoivent l’intérêt économique et énergétique d’un développement local de l’hydrogène – il en est de même pour la méthanisation –, mais manquent souvent d’information quant à ces projets industriels d’ampleur.
Au sein de votre ministère, mène-t-on une réflexion pour bâtir une communication dédiée aux collectivités territoriales, en traitant à la fois des aspects positifs et négatifs de telles solutions ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, l’hydrogène fait bel et bien partie des piliers énergétiques du futur. Il relève essentiellement des relations de commerce à commerce, ou B to B, plutôt que de commerce à consommateur, ou B to C.
La démocratisation de l’hydrogène, que vous appelez de vos vœux, n’est sans doute pas pour demain : elle supposerait de déployer partout en France des réseaux très coûteux pour que les véhicules individuels puissent « faire le plein », si je puis m’exprimer ainsi. De plus, pour les petits véhicules, le rendement de l’hydrogène est insuffisant pour concurrencer les batteries.
J’y insiste : la meilleure manière de démocratiser l’hydrogène, c’est de cibler les transports en commun. Les trains et les bus à hydrogène existent déjà et ils seront rentables – je pense aussi aux poids lourds. Pour les autres moyens de transport, nous privilégions le développement de l’industrie bas-carbone de demain.
C’est, j’en suis convaincu, une belle histoire que nous avons à écrire. Nous sommes en train d’assister à une nouvelle révolution industrielle. Des territoires depuis trop longtemps déclassés, à la suite de la désindustrialisation, reprennent espoir grâce à l’industrie de la décarbonation : on va produire de l’acier à partir d’hydrogène ; on va capturer du carbone dans des cimenteries ; on va fabriquer des engrais à partir d’hydrogène.
Si l’hydrogène restera bien cantonné aux usages professionnels, nous aurons ensemble l’occasion d’écrire cette belle histoire pour les Françaises et les Français en créant de l’emploi partout, y compris dans des territoires qui en ont bien besoin.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. L’hydrogène est une énergie d’avenir, porteuse de nombreux espoirs en vue de la décarbonation de notre industrie.
Aujourd’hui, la stratégie nationale hydrogène se décline en trois objectifs issus du plan d’investissement France 2030 : installer suffisamment d’électrolyseurs pour décarboner l’économie, développer les mobilités propres et construire une filière industrielle en créant 50 000 à 150 000 emplois.
Monsieur le ministre, se tourner vers le futur ne doit pas empêcher d’apprendre des erreurs du passé, en particulier lorsque l’ambition est de garantir à la France une souveraineté et une maîtrise technologiques.
Au total, 7 milliards d’euros sont mis sur la table : très bien. En finançant des entreprises, notamment des start-up, ces crédits sont censés développer la filière française de l’hydrogène. Le modèle choisi, c’est donc une nouvelle fois celui de la subvention publique, essentiellement réservée au secteur privé.
J’aimerais comprendre ce qui permettra concrètement de maîtriser l’emploi, les savoir-faire et les moyens de production – je pense en particulier aux électrolyseurs – si, demain, les investisseurs trouvent que l’herbe est plus verte ailleurs.
En l’état, l’Europe essaie tant bien que mal d’apporter une réponse à l’Inflation Reduction Act américain, mais il ne faut pas se voiler la face : les États-Unis, qui subventionnent massivement l’hydrogène décarboné, sont pour l’instant bien plus attractifs que nous.
Si, demain, tel ou tel industriel privé décide de fermer des sites français au motif qu’il serait plus rentable de s’installer outre-Atlantique, de quelle maîtrise la France disposera-t-elle ? Concrètement, nous devrons réinvestir des milliards et des milliards d’euros sous peine de voir s’effondrer la filière et prendre une nouvelle fois du retard.
Ma question est simple. En misant sur le secteur privé pour développer une énergie d’avenir, comment comptez-vous garantir à la France la maîtrise de sa filière hydrogène à long terme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, nous sommes convaincus que l’Europe possède des atouts face aux États-Unis, n’en déplaise à votre américanophilie apparente… (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)
M. Fabien Gay. Ce n’est pas sérieux !
M. Fabien Gay. Allez !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Vous mentionnez l’Inflation Reduction Act. Mais, comme vous le savez, l’Europe bénéficie d’un énorme avantage compétitif : ses brevets, sa technologie, sa recherche et son développement.
Nous avons en Europe plus de brevets dédiés à l’hydrogène qu’il n’en existe partout ailleurs dans le monde. La France est particulièrement forte de sa capacité à innover : en la matière, elle est au deuxième rang mondial et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dispose du plus gros portefeuille de brevets au monde. Profitons-en en tirant parti de cet avantage technologique, que nous ne possédons pas dans d’autres industries traditionnelles, pour investir.
Investir signifie effectivement aujourd’hui subventionner. Vous l’avez rappelé : les États-Unis, chantres du libéralisme, sont eux aussi entrés dans la course aux subventions. Leur stratégie est extrêmement ambitieuse, au risque, d’ailleurs, d’avoir des effets délétères.
Oui, nous allons continuer de subventionner cette technologie. Oui, nous allons continuer de subventionner les investissements pour que la France et l’Europe développent une industrie souveraine, à même de s’inscrire dans la durée.
Devrions-nous agir dans un cadre public ? J’en doute. Nous le faisons dans un certain nombre de domaines. Vous le savez : l’entreprise Électricité de France, qui va construire l’essentiel des futurs réacteurs nucléaires, est sur le point d’être nationalisée à 100 %. Si je ne m’abuse, cette mesure prend effet aujourd’hui même, la justice ayant donné son blanc-seing au Gouvernement. C’est tout au plus une question de jours.
Pour ce qui concerne l’électricité d’origine nucléaire, nous croyons à la souveraineté publique. Mais les enjeux auxquels nous sommes confrontés au sujet de l’hydrogène, tant en matière d’innovation que de financement, sont bien trop grands et les solutions bien trop diverses pour que l’État puisse, à la place d’autres, choisir ce qui est bon.
Nous croyons à l’innovation. Nous croyons à l’entrepreneuriat. Évidemment, les subventions seront extrêmement encadrées, notamment par les règles européennes. Toutefois, selon nous, ce modèle est le meilleur, car il est le mieux à même de nous fournir de l’hydrogène…
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.
M. Patrick Chauvet. L’Union européenne s’est récemment fixé pour objectif, à l’horizon 2030, d’atteindre un niveau de production de 10 millions de tonnes d’hydrogène vert.
Ambitieux pour certains, utopique pour d’autres, cet objectif passera nécessairement par la multiplication de nos capacités d’importation d’énergie d’origine renouvelable.
Dans cette perspective, l’Union européenne a d’ores et déjà signé des protocoles d’accord avec nombre de pays, notamment africains, afin de bénéficier de leurs capacités de production d’énergies renouvelables.
Toutefois, un certain nombre d’observateurs alertent dès à présent quant aux limites d’un fort recours à l’importation. En effet, les pays exportateurs d’énergies renouvelables devront puiser dans leurs réseaux nationaux pour fournir l’énergie nécessaire à l’Union européenne, au détriment des populations locales.
L’exemple de la Namibie est particulièrement éloquent. En 2022, seuls 56 % des Namibiens avaient accès à l’électricité. Pourtant, leur pays se dit prêt à exporter en masse sa production d’énergies renouvelables vers les États européens. L’accord trouvé avec l’Union européenne est symbolique de cette dynamique dramatique.
Afin de développer l’hydrogène vert, nous cannibaliserons les ressources en énergies renouvelables de ces pays. Nous renforcerons, en conséquence, leur dépendance aux énergies fossiles. Or la lutte contre le changement climatique ne saurait être menée en vase clos. Notre transition énergétique sera mondiale ou ne sera pas. Il est de notre responsabilité de la concevoir à l’échelle mondiale.
Monsieur le ministre, ferons-nous le pari de l’hydrogène vert s’il implique une dépendance toujours plus grande d’autres pays aux énergies fossiles ?
De plus, l’immense majorité de l’hydrogène produit est aujourd’hui de l’hydrogène bleu. Le vert ringardisera-t-il le bleu en dépit des qualités manifestes de ce dernier et de sa plus forte disponibilité immédiate ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler : pour la France comme pour l’Europe, produire son hydrogène décarboné ou renouvelable est une bonne manière d’assurer sa souveraineté et de créer de l’emploi. À l’inverse, importer cette énergie, c’est remplacer notre dépendance aux hydrocarbures venus du Moyen-Orient ou de Russie par une autre, à l’égard de pays producteurs d’énergies renouvelables.
Notre liste d’arguments est déjà longue et vous l’étoffez encore : en important l’hydrogène, l’on risquerait de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Les pays exportateurs n’en produisant pas suffisamment pour couvrir leurs propres besoins, ils seraient conduits à accroître leur consommation d’énergies carbonées et leur exposition à ces dernières.
Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver un exemple de ce type. Actuellement, l’Allemagne connaît à la fois une forte augmentation de la part de ses énergies renouvelables et, du fait de la fermeture de ses centrales nucléaires, une forte hausse de sa consommation d’énergie carbonée.
Ce risque-là existe : raison de plus pour assurer la souveraineté française et européenne dans ce cadre. Nous continuons de penser que nous sommes capables, via les centrales nucléaires et les énergies renouvelables, de produire l’hydrogène dont nous avons besoin en assurant notre souveraineté. (M. Daniel Salmon manifeste son désaccord.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour la réplique.
M. Patrick Chauvet. Monsieur le ministre, vous insistez sur la nécessité de produire nous-mêmes l’hydrogène vert en France. C’est effectivement une bonne stratégie, mais serons-nous compétitifs face à ces pays ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Poursuivant ses efforts de neutralité climatique, notre pays a l’ambition de faire décoller la filière hydrogène bas-carbone. Il prévoit ainsi le déploiement de 6,5 gigawatts d’électrolyseurs installés à l’horizon 2030, permettant d’éviter l’émission de 6 millions de tonnes de CO2 par an. On ne peut qu’approuver un tel objectif.
L’hydrogène dit vert ou décarboné obtenu par électrolyse est non seulement une manne pour le développement des énergies renouvelables, mais aussi un vecteur incontournable pour la décarbonation de secteurs comme l’industrie lourde, les mobilités routières intensives ou les transports maritimes et aériens. Toutefois, je tiens à soulever quelques questions concernant l’amont de sa production.
L’hydrogène par électrolyse mobilise la ressource en eau. Ainsi, la production d’un million de tonnes d’hydrogène renouvelable et bas-carbone nécessiterait entre 10 millions et 20 millions de mètres cubes d’eau.
Certes, ce volume représenterait à peine 0,2 % de la consommation d’eau annuelle de notre pays : c’est bien peu comparé aux besoins du secteur de l’énergie dans son ensemble, lequel représente à lui seul le tiers de la consommation nationale. Cependant, dans le contexte actuel, marqué par les sécheresses à répétition, quelle stratégie adopter pour une meilleure utilisation de la ressource ?
Ne faudrait-il pas créer de nouvelles synergies pour la réutilisation des eaux usées industrielles, le développement des technologies de désalinisation partielle ou encore l’utilisation d’eau marine dans l’industrie ? Je souhaiterais connaître votre avis sur ces différentes pistes.
L’autonomie minière est également un enjeu majeur. En effet, la filière hydrogène n’échappe pas aux besoins en métaux critiques, tels que l’iridium et le platine. Alors que la production de platinoïdes est concentrée dans quelques pays, dont certains sont fragiles sur le plan géopolitique, et que la dynamique autour de l’hydrogène est très importante, en Europe comme dans d’autres régions du monde, comment sécuriser l’approvisionnement de la filière hydrogène pour les prochaines décennies ?
Enfin, sur les 10 milliards d’euros dédiés à l’hydrogène, qu’en est-il des 4,2 milliards d’euros réservés au mécanisme de soutien à la production ? Il semble que ces crédits peinent à être déployés. Si vous ne me donnez pas la réponse aujourd’hui, vous me l’apporterez sans doute demain, puisque nous avons rendez-vous pour traiter de l’industrie verte.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Monsieur le sénateur, vous posez là trois questions en une.
Tout d’abord, vous m’interrogez au sujet de la consommation d’eau. La production d’hydrogène, comme toutes les industries, n’échappe évidemment pas aux enjeux de sobriété : sa consommation doit devenir encore plus raisonnable.
Néanmoins, en la matière comme dans de nombreux autres domaines, l’industrie a été plutôt en avance. Depuis déjà une dizaine d’années, elle réduit ses besoins en eau.
Nous avons eu l’occasion de l’indiquer au Sénat lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement : nous travaillons à un plan de sobriété, annoncé par le Président de la République, dans le cadre duquel l’industrie joue elle aussi son rôle.
L’hydrogène, comme les autres industries, est capable de réutiliser son eau. Le décret relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées, dit décret Reut, va permettre aux industriels de réutiliser leurs eaux usées dans leur processus de production, ce qui est aujourd’hui largement interdit. Il permettra, ce faisant, de limiter fortement la consommation d’eau, y compris pour produire l’hydrogène.
Ensuite, vous évoquez la dépendance aux métaux critiques. Vous avez raison : notre logique stratégique nous commande de réduire notre dépendance à cet égard. C’est précisément pourquoi nous créons un fonds d’investissement destiné à sécuriser nos approvisionnements, dans le monde comme en France. Sachez tout de même que les nouvelles technologies d’hydrogène, notamment les technologies dites solides, ne font plus appel aux métaux rares que vous mentionnez : leur intérêt n’en est que plus grand.
Enfin, l’enveloppe de 4,2 milliards d’euros que vous citez est encore en négociation, au titre des aides d’État, avec la Commission européenne. Nous avons bon espoir de converger très vite.
Je vous dis donc à demain pour notre réunion relative à l’industrie verte ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Assurément, l’hydrogène occupera une place de choix dans l’avenir énergétique de notre pays ; notre débat d’aujourd’hui le confirme une fois de plus.
Offrant des capacités de stockage de l’électricité inenvisageables par le passé, l’hydrogène vert ouvre également la voie à la décarbonation de certaines industries qui n’avaient, jusqu’à présent, aucune solution pour faire baisser leurs émissions de gaz à effet de serre. En outre, il ouvre de nouvelles perspectives pour la mobilité, notamment lourde, en complément des batteries.
Monsieur le ministre, l’industrie du décolletage, très présente dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, que vous connaissez, est menacée par la fin des moteurs thermiques d’ici à 2035 : elle voit dans ces nouvelles technologies une importante piste de développement.
Toutefois, vous l’avez rappelé vous-même : considérer l’hydrogène comme une solution miracle appelée à remplacer les autres formes d’énergie reviendrait à se méprendre.
Son usage ne peut s’inscrire qu’en complémentarité avec les énergies renouvelables telles que le photovoltaïque, l’hydroélectricité et l’éolien, lesquelles devront nécessairement monter en puissance pour que la France puisse produire suffisamment d’hydrogène. Toutefois, même en accélérant notre production d’énergie renouvelable, la France et plus largement l’Union européenne ont nettement moins de potentiel de production renouvelable que des pays situés sur d’autres continents.
Il est donc essentiel que l’hydrogène produit grâce à l’énergie nucléaire, également appelé hydrogène rose, puisse être considéré comme renouvelable. Autrement, il serait illusoire de penser répondre à notre demande intérieure et a fortiori exporter.
Bruxelles a ouvert une porte en février dernier, par le biais d’un acte délégué, mais sept États membres, dont l’Allemagne et l’Espagne, s’y opposent et les négociations sont loin d’être terminées : à ce stade, la révision de la directive RED III, que vous avez mentionnée, n’inclut toujours pas l’hydrogène bas-carbone dans les objectifs d’énergies renouvelables.
Monsieur le ministre, où en sont les négociations européennes relatives à l’inclusion de l’hydrogène rose ? Quels moyens la France compte-t-elle mettre en œuvre pour infléchir la position des sept États qui s’y opposent ? (Mme Martine Berthet et M. Stéphane Piednoir applaudissent.)