Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Rémi Cardon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à saluer nos collègues députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta. Le travail qu’ils ont accompli ces derniers mois le prouve : un texte législatif est nécessaire pour réguler le Far West de l’influence. Il nous rappelle aussi que, parfois, les propositions de loi peuvent dépasser les clivages politiques.
Je remercie également Mme la rapporteure, qui, au Sénat, a su faire preuve du même esprit. Une dizaine d’amendements présentés par les membres de mon groupe ont ainsi été adoptés en commission.
Cette proposition de loi traite manifestement d’un sujet crucial pour notre société, et son adoption pourrait avoir un impact significatif sur une économie en plein boom : celle de l’influence commerciale.
Le marché mondial du marketing d’influence est en pleine croissance. Il a atteint 15,5 milliards d’euros en 2022, un chiffre en hausse de près de 20 % en un an.
En France, il est difficile de connaître précisément le montant de ce marché : il n’est pas pris en compte par l’observatoire de l’e-pub, qui consacre son analyse aux recettes des médias et supports numériques. Pourtant, chaque jour, les Français passent en moyenne une heure quarante-six sur les réseaux sociaux. Un tiers d’entre eux déclarent suivre des créateurs et créatrices de contenus, et le chiffre culmine à 63 % pour les 18-34 ans.
Surtout, c’est la relation nouée avec les créateurs de contenus qui interpelle. Au total, 61 % des personnes qui suivent des influenceurs éprouvent de la sympathie pour eux, voire des sentiments plus forts comme la confiance, à 43 %, ou l’admiration, à 41 %. Les créateurs de contenus sont donc un puissant levier d’achat pour les annonceurs.
Cependant, leur influence croissante et la manière dont certains d’entre eux décident d’opérer, pour faire de cette activité leur principale source de revenus, inspirent des préoccupations légitimes.
Nombre d’influenceurs font la promotion de produits dangereux, trompeurs ou ne respectant pas certaines règles éthiques figurant déjà dans le code la consommation. Dylan Thiry, qui cumule plusieurs millions de followers, est par exemple accusé de pratiques frauduleuses, comme le dropshipping et la publicité mensongère, ou, plus récemment, de tentative de trafic d’enfants.
Le collectif d’aide aux victimes d’influenceurs (AVI) a joué un rôle précurseur dans la lutte contre ces pratiques frauduleuses et dangereuses.
Mes chers collègues, vous l’avez compris : il est temps pour nous, parlementaires, de prendre les mesures nécessaires pour encadrer cette activité et protéger les consommateurs.
À cet égard, le présent texte permet d’actionner plusieurs leviers.
Tout d’abord, il clarifie les règles régissant la publicité sur les réseaux sociaux. Les influenceurs seront tenus de déclarer clairement leurs partenariats publicitaires et les activités promotionnelles qu’ils assurent via les contenus qu’ils réalisent.
Nous souhaitons aller beaucoup plus loin dans ce sens, en créant un badge influenceur permettant aux créateurs de contenus de s’afficher en tant que tels. Nous proposons cet outil par souci de transparence et par volonté de faciliter le travail des autorités chargées de réguler l’influence commerciale.
Les personnes relevant de ce secteur devront également respecter certaines normes éthiques. La promotion de produits dangereux ou illégaux sera ainsi proscrite.
Cette proposition de loi rappelle, à juste titre, des interdictions en vigueur pour la publicité à la télé et à la radio. Les membres de notre groupe entendent répondre à d’autres pratiques douteuses, comme l’usage détourné de certains médicaments.
À ce titre, peut-être avez-vous entendu parler d’un cas alarmant : celui de l’Ozempic. Suivant les recommandations de plusieurs influenceurs sur TikTok, de plus en plus de personnes prennent aujourd’hui ce produit pour mincir, si bien que cet engouement a entraîné une crise sanitaire. Certains laboratoires se sont trouvés en rupture de stock. Or des personnes diabétiques dépendent vraiment de ce traitement.
Nous espérons que le présent texte pourra évoluer, afin de mettre un terme à ces pratiques dangereuses pour la santé publique.
Ensuite, pour ce qui concerne l’exercice de l’activité d’influence commerciale, les élus du groupe socialiste appellent la vigilance du Sénat sur plusieurs points.
Plus de la moitié des enfants de 11 ans sont déjà présents sur les réseaux sociaux, et le chiffre dépasse 70 % pour les adolescents de 12 ans. À cet âge, il est encore difficile de distinguer un contenu publicitaire et de prendre du recul sur la relation nouée avec tel ou tel influenceur.
C’est pourquoi nous souhaitons étendre la portée de ce texte, par exemple en interdisant aux créateurs de contenus adultes de faire la promotion de la malbouffe auprès des mineurs. La génération TikTok ne doit pas devenir une génération McDonald 2.0.
Pour garantir le respect du cadre fixé, cette proposition de loi instaure un mécanisme ad hoc : les autorités compétentes seront chargées de surveiller les influenceurs et de prendre des mesures en cas de violation des règles éthiques. Les sanctions pourraient aller de l’amende à la suspension temporaire, voire permanente, des comptes de l’influenceur.
Comme l’a rappelé Mme la ministre, ce travail est déjà engagé. Mercredi dernier, le ministre de l’économie a annoncé que la DGCCRF avait contrôlé presque autant d’influenceurs en trois mois qu’au cours de l’année 2022.
Au total, 60 % des influenceurs contrôlés, soit 30 sur 50, ont fait l’objet de constats d’infractions. À l’évidence, il est nécessaire, premièrement, de réguler plus fortement cette activité et, deuxièmement, de renforcer les moyens de contrôle.
Au rythme de 50 personnes par trimestre, il faudrait 750 années pour contrôler les 150 000 influenceurs recensés en France. Je précise que la brigade compétente de la DGCCRF est composée de quinze personnes : un agent est donc potentiellement chargé, à lui seul, de 10 000 influenceurs ! Ce n’est pas acceptable.
Il s’agit là d’un travail titanesque, pour ne pas dire d’une mission impossible, d’autant que pour constituer leurs dossiers les enquêteurs doivent collecter les preuves et les identités.
Madame la ministre, je vous alerte une nouvelle fois sur ce manque de moyens criant.
Puisque nous entendons réguler l’activité de l’influence commerciale, les moyens de l’État doivent suivre sans tarder : la bonne application de ce texte en dépend. Les tweets du ministre de l’économie ne doivent pas, justement, se réduire à des « coups de com’ ».
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en sont convaincus : cette proposition de loi est nécessaire pour protéger les consommateurs, en garantissant que les influenceurs agissent de manière responsable, éthique et respectueuse de leur public.
Il faut le souligner, ce texte ne vise pas à restreindre la liberté d’expression ou la créativité des influenceurs. À cet égard, je tiens à rassurer les influenceurs signataires d’une tribune parue dans le Journal du dimanche juste avant que l’Assemblée nationale ne commence l’examen de ce texte. Ils expriment le souhait que notre « seule boussole soit la protection des consommateurs des dérives d’une minorité qui se croit tout permis » : je puis vous assurer que tel est bel et bien le cas.
Cette proposition de loi est une première étape. Elle nous permettra de poser les premiers jalons de la régulation de l’influence commerciale, même s’il reste beaucoup à faire.
J’y insiste : pour assurer la mise en œuvre de ce texte, il est indispensable de renforcer les moyens humains de la DGCCRF. J’espère que l’équipe qui se consacre au contrôle des influenceurs verra son nombre d’équivalents temps plein (ETP) porté de quinze à une cinquantaine au cours des prochaines années. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les métiers de l’influence sont l’exemple type d’une activité qui s’est développée à vitesse grand V sans que le pouvoir politique s’en saisisse : il n’a ni vu venir son émergence ni mesuré son importance.
Vous me direz qu’il est difficile de réguler une activité qui vient d’apparaître : c’est vrai. Mais aujourd’hui, étant donné l’ampleur du phénomène – notre pays compte désormais plus de 150 000 influenceurs, qui agissent sur tous les réseaux sociaux et regroupent des agents économiques de différents ordres –, il est temps de mettre fin au Far West.
Lorsqu’une nouvelle activité économique apparaît, beaucoup s’y livrent évidemment en toute honnêteté, mais des abus, voire des escroqueries, se font également jour.
Pour empêcher ces dérives, il ne servirait à rien d’interdire les partenariats rémunérés aux influenceurs. Ce serait une aberration et, même en le voulant, on ne le pourrait pas. La réponse ne relève pas de la morale. Elle ne saurait suivre une logique d’interdiction. Elle suppose un effort de régulation et d’encadrement.
Cette proposition de loi va dans le bon sens en posant un certain nombre de règles. Les agents économiques dont il s’agit s’adressent principalement à un public jeune, âgé de 15 ans à 25 ans, et, de ce fait, très influençable. Parfois, les influenceurs façonnent toute une vision du monde. En les suivant, certains construisent la vision de leur propre corps ou nourrissent l’espoir de devenir riches en quelques clics.
Certains influenceurs sont drôles, d’autres cuisinent, d’autres encore jouent aux jeux vidéo. Certains sont payés pour placer des produits ou des voyages.
Nous regardons des publicités sur tous les écrans, et ce n’est pas interdit. Pour autant, nous ne saurions renoncer à dénoncer la société de consommation, qui ne peut être le seul horizon offert à la jeunesse.
Il faut bien sûr pouvoir avertir le follower que ce qu’il regarde est une publicité. Mais l’affaire se corse lorsque l’influenceur parle de cryptomonnaies ou de copy trading ; lorsqu’il incite à parier ; lorsqu’il vend des produits de beauté frelatés ou fait la promotion d’aliments trop gras, trop sucrés ou trop salés.
Il en va de même de l’incitation à la chirurgie esthétique. À l’adolescence, les complexes sont nombreux : l’espoir de ressembler aux standards de beauté que nous voyons partout et qui s’imposent comme un modèle peut avoir des conséquences très graves.
Oui, dans un certain nombre de domaines, il faut interdire l’exposition de nos adolescents, voire préadolescents, à des produits qui peuvent les isoler socialement, les mettre mal dans leur peau, les ruiner ou menacer leur santé.
Contrairement à la publicité, les contenus proposés par les influenceurs impliquent un lien amical. Le jeune veut ressembler à l’influenceur qu’il suit. Il cherche à l’imiter : les torts qu’il peut subir dépassent largement ceux auxquels nous exposait la publicité, quand – je parle pour ma génération – nous regardions le Club Dorothée. (Sourires.)
Il est donc logique que nous définissions pour la première fois, non seulement l’influenceur, ou l’influenceuse, mais aussi l’agent d’influenceur. Ils doivent être rendus solidaires et sanctionnés de pair quand on constate la promotion d’escroqueries. Je pense, par exemple, aux influenceurs qui font la promotion de sites d’arnaque au compte personnel de formation (CPF).
Il faudra vraisemblablement aller plus loin et offrir aux influenceurs un véritable statut, au même titre que les mannequins et les journalistes pigistes, figurant au livre VII du code du travail. Non seulement le code de la consommation doit protéger leurs publics, mais il faut donner aux influenceurs les moyens de se protéger face à des contrats qui pourraient les exposer.
Qui dit loi dit encadrement et sanctions éventuelles ; et dans ce domaine, la police, c’est la DGCCRF.
Madame la ministre, une telle question ne saurait être réglée par un texte de loi ordinaire. Nous devrons en débattre à l’automne, dans le cadre du prochain projet de loi de finances ; et il faudra se battre pour obtenir des moyens supplémentaires. Aujourd’hui, seuls 10 des 1 800 agents de la DGCCRF sont affectés aux activités d’influence. Nous tous ici reconnaîtrons que ce chiffre est largement insuffisant.
La communication, c’est bien. À ce titre, Bruno Le Maire a annoncé l’ouverture d’une enquête portant sur 50 influenceurs. Mais les 30 infractions révélées montrent bien qu’il faudra déployer les moyens humains nécessaires pour faire appliquer la loi ; et – nous en conviendrons tous –, 50 influenceurs contrôlés sur 150 000, ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan.
Enfin, il nous faudra débattre avec les influenceurs eux-mêmes, notamment les plus connus d’entre eux, qui sont tous résidents à Doha, Dubaï ou Abu Dhabi.
On sait que, pour une story Instagram, mieux vaut le soleil éclatant de ces villes du Moyen-Orient que les paysages pluvieux chantés par Jacques Brel, certes très jolis, mais, comme chacun sait, moins vendeurs.
Ce sont surtout les taux d’imposition, avoisinant 0 %, qui attirent les influenceurs là-bas… Aussi, nous devons leur tenir le même discours qu’aux évadés fiscaux : quand on fait du business en France, on paye ses impôts en Franc ! Ce serait également un très bel exemple à donner à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mmes Esther Benbassa et Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, nous avons adopté en commission, à l’unanimité, cette proposition de loi encadrant de manière équilibrée les influenceurs sur les réseaux sociaux.
La place prépondérante des réseaux sociaux a permis l’émergence des influenceurs. L’activité de ces nouveaux acteurs économiques consiste à produire des contenus numériques visant, en général, à promouvoir des produits ou des services moyennant rémunération.
Mes chers collègues, les influenceurs pourraient s’apparenter à des vendeurs de téléachat 2.0. Léna Situations et Squeezie sont en quelque sorte les versions 2023 de Maryse Corson et de Pierre Bellemare : j’espère que certains d’entre vous se souviennent d’eux ! (Sourires.)
Il s’agit de nouvelles activités économiques et de nouveaux vecteurs de diffusion : pourquoi pas ? On entend souvent le bruit médiatique de celle qui vend l’eau de son bain,…
Mme Françoise Férat. … mais on découvre aussi des vulgarisateurs de connaissances, des humoristes ou des développeurs personnels, comme HugoDécrypte, Lénadorable ou Science étonnante.
Sur les réseaux sociaux français, l’on dénombre près de 150 000 influenceurs actifs, qui touchent entre 17 et 52 millions d’utilisateurs en France et perçoivent des revenus très disparates. Ainsi, 29 % des créateurs de contenus gagnent moins de 5 000 euros par an. Beaucoup de ces nouveaux entrepreneurs se servent donc de leur expérience numérique comme d’un tremplin vers d’autres métiers – journaliste, animateur, photographe, que sais-je encore.
Il ne s’agit pas de tuer le potentiel économique de ces jeunes chefs d’entreprise. Comme tous les entrepreneurs, les intéressés doivent trouver leur marché, développer leur savoir-faire et progresser. Mais, comme tous les entrepreneurs, ils doivent également respecter les lois.
Or l’action de certains influenceurs est sujette aux dérives, parmi lesquelles les escroqueries diverses – publicité mensongère ou clandestine, fraude, contrefaçon, etc. – et les incitations aux conduites à risque – paris en ligne, régimes alimentaires drastiques, chirurgie esthétique, etc.
Sachant que, pour l’essentiel, leur audience est constituée de mineurs et de jeunes adultes – au total, 40 % des personnes qui les suivent sont âgées de 15 ans à 24 ans –, des garde-fous sont salutaires pour protéger les mineurs et, globalement, garantir la santé des consommateurs.
J’ai remis, l’année dernière, un rapport relatif à l’information du consommateur. À cet égard, il me paraît essentiel d’encadrer les publications des influenceurs pour qu’elles satisfassent l’intérêt des acheteurs en toute transparence. Ces derniers doivent savoir, par exemple, qu’ils sont face à une publicité.
Sans attaquer la nouvelle économie, le présent texte permet de réguler les réseaux sociaux et s’inscrit dans la définition d’un modèle européen du numérique.
Entre 2023 et 2024, les directives européennes DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act) vont entrer en application. Dans ce contexte, cette proposition de loi assure une forme de régulation originale.
Entre le modèle américain, où la responsabilité de la régulation est totalement dévolue aux entreprises privées, et les modèles de la Chine et de la Russie, où les publications numériques sont contrôlées à outrance, l’Europe et la France offrent un modèle responsable et protecteur pour les usagers, notamment les mineurs, tout en conservant la liberté des influenceurs de créer et de faire du business.
Madame la ministre, permettez-moi néanmoins de formuler ce rappel, que je renouvelle à chaque rapport budgétaire et que j’ai réitéré dans mon rapport relatif à l’information du consommateur : il faut impérativement renforcer les contrôles de la DGCCRF. À cette fin, il faut recruter des personnels, faute de quoi nous serons contraints de rouvrir ce dossier dans quelques années.
Les élus du groupe Union Centriste voteront cette proposition de loi équilibrée et responsable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Jean-Noël Guérini et Pierre-Jean Verzelen applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer cette initiative parlementaire transpartisane et à remercier ses auteurs.
Le présent texte, s’il est voté, permettra l’encadrement légal de ces nouvelles pratiques commerciales, fréquemment douteuses, qui envahissent les réseaux sociaux. Ce sera une première en Europe. En la matière, le législateur a une grande responsabilité : il lui appartient de protéger les consommateurs des dérives de ceux que l’on appelle les influenceurs.
Entre ceux qui proposent de gagner de l’argent d’un coup de baguette magique, par des jeux de hasard, celles qui vendent des services de chirurgie plastique ou esthétique et ceux qui promettent de guérir le cancer par une pilule miracle, ce milieu – nous en prenons conscience – peut aller trop loin. Il peut mettre en danger les consommateurs et plus particulièrement la jeunesse.
Mes chers collègues, 87 % des adolescents âgés de 11 ans à 12 ans utilisent les réseaux sociaux et les jeunes sont les premières victimes du marché de l’influence. Ils sont perméables aux contenus qui vantent les nouveaux standards de beauté : corps ultramusclés et bodyliftés, lèvres pulpeuses, etc. Les influenceurs s’invitent jusque dans notre foyer : nous ne parvenons pas à les déloger de nos téléphones.
En 2021, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes relevait que six influenceurs sur dix ne respectaient pas la réglementation en vigueur sur la publicité et les droits des consommateurs. De fait, les influenceurs sont déjà soumis aux règles applicables à la publicité.
Selon la dernière étude de Médiamétrie, nous passons environ deux heures par jour sur internet. Il est de notre responsabilité de réguler ce qui s’y passe en forgeant les outils juridiques nécessaires pour encadrer, sanctionner et retirer s’il le faut les contenus en ligne susceptibles d’influencer les plus jeunes et les plus vulnérables d’entre nous.
Ce texte de loi a vocation à réprimer et, avant tout, à prévenir et protéger les honnêtes créateurs de contenus. Professionnels de l’influence, agences, annonceurs et plateformes auront enfin un cadre légal de référence, et les sanctions seront renforcées en cas de non-respect des règles.
Notre seule ambition doit être de protéger les Français. Il est des sujets sur lesquels nos désaccords sont grands, mais il y a aussi – c’est manifestement le cas aujourd’hui – des débats qui font l’unanimité. (Mme Monique de Marco applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « toute influence est immorale ; influencer quelqu’un, c’est lui donner son âme ». En 2023, à l’heure de la prolifération des comptes Instagram et TikTok, qui sont devenus de véritables plateformes marketing, cette citation d’Oscar Wilde peut faire sourire. L’influence est devenue un métier, sans état d’âme.
Si cela peut choquer certains d’entre nous, qui ne comprennent pas l’engouement suscité par plusieurs milliers d’influenceurs, l’image et la notoriété se monnayent désormais.
En toute honnêteté, reconnaissons-le : ce phénomène n’est pas nouveau. Depuis des décennies, les acteurs et les sportifs, entre autres, au-delà de leur art ou de leur discipline, mettent leur image au service de la publicité.
Personnes connues ou anonymes devenus célèbres, souvent par le truchement de la téléréalité, les influenceurs leur ont emboîté le pas. Néanmoins – là est toute la différence –, leurs médias ont changé : ils utilisent des vecteurs nouveaux, peu encadrés et méritant de l’être. Nous examinerons d’ailleurs très prochainement une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.
L’activité de l’influence commerciale méritait de sortir de l’opacité. À cet égard, les chiffres rappelés par notre commission des affaires économiques sont éclairants : on estime à quelque 150 000 le nombre d’influenceurs présents en France et, dans ce domaine, la DGCCRF a procédé à quatre-vingt-sept contrôles depuis 2022…
Ce texte entend répondre à ces enjeux de clarification : il offre un cadre à une activité qui est devenue une profession et dont les rémunérations sont au sommet pour certains.
Depuis qu’il a été monétisé – auparavant, les influenceurs recevaient plutôt des avantages en nature ou des cadeaux –, ce secteur exige, avant tout, une définition de l’activité et un rappel de la loi. En effet, certains ignorent manifestement les règles de base du commerce et de la publicité.
De même, les influenceurs sont bien entendu soumis aux dispositions législatives concernant les mineurs et les jeux d’argent, ou encore à la loi Évin. Ils représentent des secteurs très variés, car aujourd’hui l’influence est partout : des animaux de compagnie à la santé, rien n’échappe aux influenceurs, qui ont tout compris à la société de consommation.
Si nous pouvons nous interroger sur ces évolutions, nos états d’âme n’ont pas leur place dans ce débat. Dans le secteur de l’influence, seuls la protection des publics fragiles, c’est-à-dire essentiellement les jeunes, en particulier les mineurs, et le respect du droit doivent primer et nous guider.
À cet égard, j’ai proposé à mes collègues du RDSE un amendement visant à rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale : notre commission des affaires économiques ne mentionne que les communications à titre onéreux, ce qui exclut les avantages en nature. Or ces derniers, qui peuvent être très fréquents et d’une ampleur considérable, doivent être expressément pris en compte et assimilés à des rémunérations.
Un montant minimal des avantages en nature serait fixé par décret, par exemple à 150 euros, seuil applicable aux parlementaires et aux représentants d’intérêts.
Voilà pourquoi il est nécessaire d’imposer un contrat clair entre les parties.
Aujourd’hui, le commerce d’influence s’inscrit parfaitement dans des stratégies marketing qui, jusqu’à présent, sont souvent passées sous les radars : je défendrai, partant, deux autres amendements tendant à accroître la responsabilité des influenceurs.
Le premier vise à étendre aux personnes physiques ou morales qui sollicitent les services des influenceurs les interdictions et, en bonne logique, les sanctions applicables lorsque ces dernières sont violées.
Pour être efficaces, les sanctions doivent s’appliquer à tous ceux qui bénéficient de cette influence commerciale. Ne jetons pas l’opprobre sur une seule catégorie de personnes : c’est l’ensemble de la chaîne qu’il faut assainir, car tous les acteurs sont interconnectés, des influenceurs jusqu’aux annonceurs, en passant par les plateformes.
Dans certains secteurs où la publicité est interdite – je pense à la santé, par exemple –, d’aucuns recourent à l’influence pour enfreindre les règles. Les polémiques qui sont apparues, notamment au sujet d’interventions chirurgicales, nous incitent à réfléchir aux questions de déontologie. Il faut alerter les consommateurs, surtout les plus fragiles d’entre eux.
Au-delà de l’aspect commercial, il est également crucial de prévoir des garde-fous. C’est la raison pour laquelle la mise en place d’une formation et d’une charte éthique engageant tout influenceur me semble nécessaire.
Qu’il s’agisse d’aliments in vitro, comme nous l’avons vu en commission, d’intelligence artificielle ou de réseaux sociaux, ces nouveaux sujets sont parfois clivants. Ils nous font peur, mais mieux vaut anticiper et refuser toute politique de l’autruche. Que l’on soit pour ou contre ces phénomènes, ils existent et existeront.
Nous devons nous adapter et réfléchir aux moyens de clarifier et d’encadrer ces évolutions techniques et scientifiques qui font apparaître de nouveaux métiers. Nous devons surtout protéger le consommateur, afin qu’il ait conscience de ces évolutions et que s’instaure une relation de confiance.
Cette proposition de loi répond en partie à ces exigences, raison pour laquelle, sans vouloir influencer quiconque, le groupe RDSE la votera. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, adoptée à l’unanimité par la commission des affaires économiques la semaine dernière, est importante.
Très attendue de nos concitoyens, elle est aussi scrutée par nos homologues européens. C’est en effet la première fois, au sein de l’Union européenne, qu’un texte transversal dédié à la régulation de l’influence commerciale est examiné.
Certes, une grande partie des dispositions en vigueur en matière de protection des consommateurs, de concurrence ou encore de santé publique s’appliquent déjà : plutôt qu’un vide juridique, c’est un halo d’incertitudes qui entoure l’influence commerciale.
Les arnaques, les escroqueries et les dénonciations à répétition nous ont amenés à nous saisir de ce sujet ; j’espère que nos homologues européens feront de même.
Une nouvelle fois, les parlementaires français sont à l’avant-garde de la régulation de l’économie numérique et font preuve de justesse et créativité – nous en savons quelque chose au Sénat !
Cette proposition de loi est une pierre supplémentaire apportée à l’édifice d’une société numérique plus responsable, qui exploite pleinement les opportunités offertes par la numérisation de notre économie tout en protégeant les plus vulnérables et en évitant les abus, afin que ces mêmes opportunités profitent au plus grand nombre.
Je tiens à saluer la rapporteure de la commission des affaires économiques, Amel Gacquerre, qui a su, dans un temps très contraint, mener à bien l’examen de cette proposition de loi. Nous avons démontré qu’au Sénat, nous travaillons sans préjugés ni idées reçues.
Le travail mené a permis des apports significatifs pour mieux protéger notre santé publique, mais aussi les consommateurs et les épargnants que nous sommes.
D’abord, ce texte allège ou supprime les interdictions et les encadrements injustifiés, trop stricts ou trop pénalisants pour notre développement économique. C’est le cas dans le domaine de l’alimentaire, mais aussi du commerce en ligne ou des crypto-actifs. La commission des affaires économiques est parvenue à un texte équilibré, qui ne freinera pas l’innovation de nos entreprises et de nos entrepreneurs du numérique. C’est une bonne chose.
Ensuite, la proposition de loi rappelle les règles applicables aux acteurs de l’influence commerciale et les responsabilise en faisant preuve de pédagogie. Autrement dit, les acteurs mal intentionnés qui ne respecteraient pas les règles n’auront plus d’excuses.
Je salue aussi les sanctions, particulièrement dissuasives, qui ont été adoptées dans la continuité des travaux de l’Assemblée nationale, ainsi que les interdictions supplémentaires qui ont été instaurées. Je pense notamment à l’interdiction de la promotion de l’abstention thérapeutique, des sachets de nicotine ou encore des abonnements à des pronostics de paris sportifs. Tout cela va dans le sens d’une meilleure protection collective.
Je suis sincèrement persuadé qu’il faut parfois savoir se montrer offensif pour obtenir des changements significatifs et durables, surtout en présence d’abus impunis. Mais je prêche ici des convaincus, comme en témoignent nos débats de la semaine dernière sur d’autres sujets en matière de numérique.
J’y insiste, cette proposition de loi est une pierre supplémentaire apportée à l’édification d’une société et d’une économie numériques plus responsables. Elle s’inscrit dans la continuité de nombreuses autres initiatives parlementaires visant à civiliser l’espace numérique.
Sans être exhaustifs, citons la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, celle du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, celle du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, celle du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet ou encore celle du 3 mars 2022 pour la mise en place d’une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinée au grand public, dite loi sur le cyberscore.
Demain, nous examinerons une proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants et, la semaine prochaine, une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Chers collègues, veillons à la cohérence des dispositions que nous adopterons dans ces différents textes.
Au milieu de toutes ces initiatives, j’attends avec impatience, madame la ministre, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Si j’ai bien compris, ce texte ne devrait pas se limiter à adapter notre droit national aux règlements européens sur les services numériques et les marchés numériques, mais constituer un véritable projet de loi programmatique. Vous l’aurez compris, nous, parlementaires, avons des choses à dire et des propositions à faire pour définir la stratégie numérique des années à venir.
Mon groupe votera ce texte important et attendu sur la régulation des pratiques commerciales des influenceurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)