Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si la Petite Poucette de Michel Serres a la chance d’avoir au bout de ses doigts l’accès gratuit à l’ensemble des données universelles répertoriées dans les encyclopédies, nous savons que les enfants ont aussi entre les mains un instrument qui leur fait courir un risque élevé d’addiction aux réseaux sociaux, et qui leur colle aux doigts.
Le caractère addictif de ces réseaux, accentué par une course effrénée à l’engagement, est un danger pour la santé et pour la société. Sans régulation, les algorithmes augmentent leur emprise sur le cerveau des enfants contre laquelle les parents ne peuvent pas toujours lutter.
Les chiffres sont là : selon la Cnil, 82 % des 10-14 ans consultent internet sans leurs parents ; quelque 46 % des 6-10 ans disposent de leur propre smartphone, selon e-Enfance.
La consultation de contenus inappropriés par les enfants et par les jeunes adolescents a de lourdes conséquences psychologiques et sociales, allant – cela a été rappelé – de l’addiction au suicide, en passant par une baisse de l’estime de soi liée à des comparaisons avec des influenceurs, aux mauvaises rencontres ou au cyberharcèlement.
Pour toutes ces raisons, la régulation des réseaux sociaux est nécessaire et urgente. À ce titre, j’ai déposé un amendement tendant à ce que ces réseaux affichent un message d’avertissement concernant les conséquences néfastes que peut entraîner leur utilisation sur la santé physique et mentale.
Cette proposition de loi ne vise ni à punir les plus jeunes ni à provoquer des conflits relationnels avec les parents. Au contraire, ses auteurs aspirent à remettre le parent au cœur de la relation entre le mineur et l’outil numérique.
Ce texte constitue une avancée en matière de protection numérique. Il s’inscrit dans la lignée de l’article 8 du règlement général sur la protection des données (RGPD), un texte de l’Union européenne qui fixe déjà à 15 ans l’âge pour consentir au traitement de ses données personnelles.
Ainsi, en prévoyant une autorisation parentale pour l’inscription d’un mineur de 15 ans sur un réseau social, les auteurs de la présente proposition prolongent et améliorent le RGPD.
Toutefois, le numérique est une technologie connaissant une telle évolution qu’un contrôle à 100 % n’existe pas. Quand on est caché derrière son écran, la tentation de jouer avec les règles est grande.
En ce sens, il faut, sur la base d’un référentiel élaboré par l’Arcom et par la Cnil, mettre en place un outil technique permettant de contrôler l’âge des inscrits et des futurs inscrits. Aucune solution technique ne répond à ce jour à ce défi à l’échelle de la population. Toutefois, nous pouvons beaucoup espérer d’initiatives telles qu’EuConsent, soutenue par la Commission européenne.
Les réseaux sociaux doivent aussi prendre leur part dans la lutte contre la haine et les dérives en ligne. Ils doivent empêcher la consultation de contenus inappropriés au moyen de leurs algorithmes, sachant déjà très bien orienter leurs contenus vers des publics ciblés.
Si ces réseaux ne jouent pas le jeu de la collaboration et de la prévention, les pouvoirs publics seront en mesure de prononcer des sanctions dissuasives sur leur chiffre d’affaires mondial.
Cette proposition vise à lutter contre toutes les formes de haine en ligne. En ce sens, ses auteurs n’ignorent pas le cyberharcèlement, un fléau qui touche plus d’un million d’élèves chaque année. Aussi, si la mise en place des numéros 3820 et 3818 va dans le bon sens, il serait à mon avis plus simple et plus efficace de n’en proposer qu’un seul, bien repérable, ce qui n’est pour l’instant pas le cas ; par ce standard unique, le jeune serait orienté vers l’entité compétente.
Parce que l’État ne doit laisser aucun enfant seul, en détresse et apeuré derrière son écran, nous voterons cette proposition de loi. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi du député Laurent Marcangeli, dont l’objectif est de mieux encadrer l’usage des réseaux sociaux par nos jeunes en instaurant une majorité numérique à 15 ans et de lutter contre la haine en ligne.
En effet, nous constatons chaque jour certains effets délétères et toxiques que peuvent provoquer les plateformes de réseaux sociaux sur les enfants et les adolescents, avec – vous le rappeliez, monsieur le ministre – des expositions à des contenus inadaptés.
Le défi à relever est de taille. Il suffit de lire les différents chiffres cités dans le rapport de notre collègue Alexandra Borchio Fontimp, dont je salue l’excellent travail : 82 % des enfants de 10 à 14 ans consultent internet sans leurs parents, 46 % des 6-10 ans disposent de leur propre smartphone, 28 % de cette tranche d’âge se rend régulièrement sur un réseau social, tandis que 60 % des 11-18 ans seraient inscrits sur TikTok.
Ces chiffres sont alarmants et cachent parfois des situations particulièrement inquiétantes : dépression, anxiété, sédentarité, isolement, troubles du sommeil, de l’humeur et de la mémoire, ou encore cyberharcèlement. La Cnil rappelle ainsi que « 6 % des collégiens seraient harcelés jusque dans leur chambre via leur smartphone ou les réseaux sociaux ». Ce sont 6 % de trop !
De leur côté, les parents ignorent la vie numérique de leurs enfants ou n’ont pas toujours les moyens ni le temps de la superviser. Ces derniers sont pourtant très vulnérables face aux stratégies commerciales de plus en plus agressives et ciblées des plateformes, qui « sursollicitent » leur attention.
Dans ce contexte, la régulation de l’accès à internet pour nos jeunes constitue un véritable enjeu de santé publique. M. Marcangeli tente avec son texte d’y apporter une réponse en fixant à 15 ans l’âge en dessous duquel le mineur aura besoin du consentement de l’un de ses parents pour s’inscrire sur un quelconque réseau social.
Cette borne doit à la fois servir de boussole pour les parents et obliger les réseaux sociaux à repousser l’âge d’entrée, fixé jusqu’à présent à 13 ans.
Le but est d’envoyer un signal fort au moment où certains de nos voisins européens encadrent plus strictement l’usage des outils numériques. Ce texte contribue également à restaurer l’autorité parentale. La remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement permettra par ailleurs de mieux évaluer les conséquences des réseaux sociaux sur le développement cognitif de nos enfants et adolescents. Cela contribuera aussi à animer un débat public sur ce sujet de société.
Du point de vue technique, les auteurs de ce texte incitent vivement les plateformes à contribuer à l’encadrement de l’usage des réseaux sociaux par les mineurs en développant des solutions technologiques permettant de déterminer l’âge de la personne s’inscrivant à un réseau social et de recueillir l’accord de l’un des deux parents. Il s’agit aussi pour elles de respecter plus rigoureusement le cadre national et européen sur la protection des données personnelles des mineurs. C’est une bonne chose.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer. La mise en œuvre de cette proposition de loi sera complexe et longue. Il faudra compter sur la bonne volonté des plateformes. Si la perspective de sanctions devrait aider à avancer assez rapidement, la rapporteure a tout de même souhaité rendre le texte plus opérationnel par le biais de précisions techniques bienvenues.
Concernant les conditions de la majorité numérique, l’accord d’un seul des titulaires de l’autorité parentale suffira pour accepter l’inscription d’un mineur de 15 ans sur un réseau social.
Un nouvel article décale également l’entrée en vigueur de la loi afin de respecter l’obligation de consultation de la Commission européenne et d’augmenter le délai permettant de travailler à des solutions techniques.
Ainsi, cette proposition de loi ambitieuse constitue une partie de la réponse aux enjeux de santé publique et de protection de l’enfance qui nous préoccupent tous. Si elle est adoptée, ce que le groupe Les Républicains souhaite, elle devra encore faire face à de nombreux obstacles.
En effet, d’autres mesures sont nécessaires pour préserver les mineurs des dérives d’internet. C’est dans cet esprit que le Sénat s’est mobilisé en adoptant récemment la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux et la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants.
Mon groupe votera donc ce texte, car nous restons convaincus qu’exposer un enfant trop tôt aux écrans et à internet nuit à la construction sereine de sa personne et de son intelligence. Il faut se donner les moyens d’agir avant qu’il ne soit trop tard et trouver les bons équilibres face aux nouvelles technologies du numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous connaissons tous désormais les dangers des réseaux sociaux pour nos enfants et pour nos adolescents : accès aux fake news et aux contenus violents, challenges dangereux, etc. Nous sommes bien loin des premiers réseaux qui permettaient simplement de conserver des liens entre familles et amis éloignés les uns des autres.
L’utilisation de ces réseaux par des mineurs pose en réalité un double défi de protection de l’enfance et de santé publique.
Des millions de jeunes Français les utilisent quotidiennement : 55 % des 10-14 ans possèdent au moins un compte, selon la Cnil. En dessous de 13 ans, les enfants ne sont pourtant pas censés ouvrir un compte sur YouTube, sur Snapchat, sur Instagram, sur TikTok, sur Discord ou encore sur Twitch. Or la première inscription intervient en moyenne vers 8 ans et demi, toujours selon la Cnil.
Ces réseaux sont construits selon les principes de l’économie de l’attention : ils captent nos données tandis que leurs algorithmes analysent en continu notre comportement en ligne afin de nous proposer du contenu ciblé, c’est-à-dire, en bon français, addictif.
Les internautes mineurs ne sont pas épargnés. Confrontés aux fake news les plus farfelues et aux théories du complot les plus diverses, les enfants ne savent pas toujours faire le tri dans la surcharge d’informations auxquelles ils sont exposés.
L’Institut français d’opinion publique (Ifop) nous apprend qu’un jeune Français sur six, parmi les 11-24 ans, pense désormais possible que la Terre soit plate, et un cinquième des 18-24 ans pensent que les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres.
Nos jeunes sont également confrontés à des contenus violents, inappropriés et choquants, parfois sans le vouloir, tout simplement parce que certains sites pour adultes ne verrouillent pas l’accès à leur contenu.
Il est loin le temps du vidéoclub où il fallait passer le contrôle du vendeur pour louer une cassette ; désormais, le contenu pornographique est accessible gratuitement, sans la moindre vérification d’âge.
Près de 2 millions de mineurs en France sont exposés chaque mois aux contenus pornographiques sur internet, comme vous le rappeliez, monsieur le ministre. Cet état de fait préoccupant nous alerte et doit nous engager à agir.
Les réseaux sociaux autorisent une liberté de ton et un anonymat qui n’existent pas dans le monde réel. Ils favorisent toutes les dérives et tous les excès, comme l’avait souligné notre collègue Colette Mélot dans son rapport sur le harcèlement scolaire, dans lequel elle indiquait qu’un enfant sur dix est harcelé à l’école. Ce harcèlement est loin de se limiter à la cour de récréation : il se poursuit jour et nuit via les réseaux sociaux jusque dans l’intimité du domicile familial.
De la même manière, certains de ces réseaux participent à l’hypersexualisation des jeunes, particulièrement des jeunes filles ; d’autres permettent les échanges directs de mineurs avec des adultes malintentionnés, tout cela pour des enfants qui n’ont parfois même pas atteint l’âge de 10 ans. Évidemment, cela ne peut durer.
Permettre à nos enfants de naviguer sur internet en toute quiétude représente un défi majeur. Cette proposition de loi est une première étape dans la réponse que nous y apportons. Ce texte va foncièrement dans le bon sens. Je salue son auteur, notre collègue le député Laurent Marcangeli, pour son engagement sur ce sujet si important. Je remercie également notre rapporteure, Alexandra Borchio Fontimp, pour son travail attentif.
Notre assemblée doit se prononcer avec fermeté sur la question de la responsabilité des plateformes numériques. Dans le même sens, lors de l’examen de la loi confortant le respect des principes de la République, j’avais déposé un amendement visant à rendre les plateformes « civilement et pénalement responsables des informations qu’elles stockent ». Cet amendement, adopté à l’unanimité par le Sénat, n’a finalement pas été retenu par l’Assemblée nationale, ce que je regrette.
Imposer la mise en place effective d’une solution technique pour vérifier l’âge des utilisateurs et l’autorisation des parents est une avancée certaine. Je rappelle qu’il est également essentiel de sensibiliser les parents : il y a des règles d’usage à respecter collectivement.
Le nombre de textes relatifs aux enjeux du numérique et à la protection de l’enfance examinés ces derniers mois démontre une fois de plus l’engagement du Parlement sur ces questions. Je pense notamment à la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants ou à la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Nous pouvons nous en féliciter. C’est également le sens de la commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence, que je mène depuis quelques mois avec plusieurs de nos collègues.
Le débat d’aujourd’hui est essentiel au regard de l’immensité du défi d’un internet sûr, sain et sécurisé pour nos enfants. Il se poursuivra dans les semaines à venir lors de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, dont nous a parlé en introduction le ministre chargé de la transition numérique. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme la rapporteure, Alexandra Borchio Fontimp, de la qualité de ses travaux.
Pendant que nous débattons, de jeunes collégiennes et collégiens font l’objet de harcèlement en ligne, visionnent des films pornographiques, publient des chorégraphies, etc.
La législation européenne impose aux réseaux sociaux de fixer une « majorité numérique » comprise entre 13 ans et 16 ans. En deçà de 13 ans, les enfants ne devraient pas y avoir accès. Pourtant, en France, 87 % des 11-12 ans ont un compte sur au moins un réseau social et y publient du contenu régulièrement. Doit-on parler de défaillance ou de laxisme ?
La proposition de loi que nous examinons tend à créer une majorité numérique fixée à 15 ans. En dessous de cet âge, elle vise à conditionner l’inscription sur les réseaux sociaux à une autorisation parentale. Malheureusement, il suffit d’un clic et d’une fraction de seconde pour transgresser l’interdit numérique et accéder à l’immensité des réseaux sociaux. Contourner l’accord parental est bien plus simple que de copier la signature d’un parent sur un mauvais devoir !
À l’heure actuelle, nous ne disposons pas des outils de contrôle nécessaires, ce qui met en échec l’intérêt de l’accord parental et l’esprit des réglementations déjà existantes.
Avec Mme la rapporteure, et aux côtés de Laurence Cohen et de Laurence Rossignol, dans le cadre de notre rapport sur l’industrie pornographique intitulé Porno : l’enfer du décor, nous avons formulé des recommandations, dont certaines portent sur ces difficultés : comment définir, dans les lignes directrices de l’Arcom, des critères exigeants d’évaluation des solutions techniques ou imposer le développement de dispositifs de vérification d’âge, avec un système de double anonymat, proposé notamment par le dispositif du Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN), et la Cnil ?
L’appel du Sénat a été entendu par le Gouvernement, comme en témoignent les premiers articles du projet de loi sur l’espace numérique, que vous portez, monsieur le ministre, qui reprennent, en les améliorant, une dizaine de nos recommandations.
Au cours des derniers mois, plusieurs solutions de contrôle de l’âge ont été évoquées. Certaines sont en cours d’expérimentation et nous attendons résolument les premières conclusions.
Gardons cependant à l’esprit que les dispositifs qui seront déployés pour les sites pornographiques ne seront pas pour autant facilement transposables aux réseaux sociaux, du fait de la différence de l’âge minimum requis, à savoir 18 ans pour les premiers, contre 13 ans pour les seconds.
Par ailleurs, pour une réelle efficacité, les mesures en faveur de la protection des mineurs doivent se penser à l’échelle du réseau. À défaut, le recours à des dispositifs Virtual Private Network (VPN) permet déjà de contourner la loi française.
Cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre d’une prise de conscience générale et internationale du danger que peuvent représenter les réseaux sociaux, notamment pour les plus jeunes. Nous sommes face à un enjeu de santé publique. L’exposition aux écrans, et particulièrement aux réseaux sociaux, a des conséquences avérées notamment sur la concentration, l’addiction, l’estime de soi et le rapport aux autres. La liste est longue !
C’est pourquoi il y a urgence à combler les vides juridiques – ce que nous faisons aujourd’hui –, mais aussi à mettre en œuvre des dispositifs efficaces. Il s’agit de protéger les enfants et les futurs adultes, mais aussi notre modèle de société. Nous devons tout tenter et tout expérimenter, pour, enfin, réussir à contrôler l’accès à la toile.
Contrôler, sanctionner, éduquer, former au numérique : le travail est immense, et ce texte constitue un premier pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre droit doit sans cesse s’adapter face au développement des pratiques sur internet. Cela est particulièrement vrai s’agissant de la protection des jeunes. Alors que nous venons de voter la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, nous sommes de nouveau réunis pour légiférer sur leur accès aux réseaux sociaux.
Or l’évolution des technologies et le caractère international de l’économie numérique rendent difficile la mise en œuvre concrète des mesures que nous adoptons.
En l’espèce, nous sommes bien conscients des difficultés techniques qui se poseront pour rendre effective l’interdiction d’accès des mineurs de 15 ans aux réseaux sociaux.
Comment les plateformes pourront-elles s’assurer que l’âge communiqué est bien l’âge effectif de la personne qui s’inscrit ? S’il est établi que l’usager est bien un mineur de 15 ans, comment l’accord des parents sera-t-il recueilli ?
Les auditions ont montré que, pour le moment, les plateformes ne disposent pas des moyens techniques nécessaires. Pour autant, soyons-en persuadés, si elles le souhaitent, elles seront en mesure d’agir. Dès lors, pourquoi légiférer ?
Tout d’abord, les plateformes ont toutes évoqué des hypothèses de travail et des pistes prometteuses pour trouver des solutions technologiques. La proposition de loi les y incite fortement, en engageant leur responsabilité et en prévoyant des sanctions.
Ensuite, ce texte doit marquer notre volonté politique d’édicter des règles pour l’usage des réseaux sociaux et la protection de nos jeunes. Il s’inscrit d’ailleurs dans une démarche générale des pays européens visant à donner un cadre à l’usage du numérique. La France ne doit pas avoir un temps de retard ; elle doit au contraire donner l’exemple.
La protection des mineurs a une longue histoire dans notre pays, ce qui est tout à son honneur. Cette dernière doit désormais s’adapter à leur environnement numérique.
Pour autant, selon moi, la protection de nos jeunes doit aussi passer par d’autres actions, notamment de prévention. Nous devons également inscrire dans notre droit la place que les parents devraient occuper dans le processus d’inscription sur les réseaux sociaux.
Car les chiffres, cités ce soir plusieurs fois, sont édifiants : les enfants sont massivement connectés aux réseaux sociaux et s’y inscrivent de plus en plus tôt. Selon la Cnil, 82 % des enfants de 10 à 14 ans indiquent consulter régulièrement internet sans leurs parents. La première inscription sur les réseaux sociaux intervient en moyenne vers 8 ans et demi, et plus du quart des 7-10 ans les utilisent régulièrement. Le phénomène a été renforcé récemment par la crise sanitaire et les confinements successifs.
Parallèlement, les parents supervisent peu ou pas les activités en ligne de leurs enfants, par méconnaissance, mais également par un sentiment d’impuissance. Selon une enquête menée par e-Enfance, à peine plus de 50 % des parents décideraient du moment et de la durée de connexion de leurs enfants, tandis que 83 % d’entre eux déclarent ne pas savoir exactement ce que leurs enfants font en ligne.
Un nombre croissant d’études scientifiques attestent les risques induits par cette surexposition : risque pour le développement des enfants, pour leur construction sociale, pour leur santé, mais également risques de harcèlement et de cybercriminalité, l’actualité nous rappelant que ces derniers peuvent conduire à des drames.
Certes, l’expérience vécue sur internet ne se résume heureusement pas à ces effets néfastes. Il s’agit également d’un formidable outil de connaissance et de communication. Toutefois, il nous faut constater que notre société se trouve confrontée à un double défi de santé publique et de protection de l’enfance, qui n’a pas été suffisamment anticipé.
Le présent texte a le mérite d’impliquer les plateformes et de donner aux parents le cadre nécessaire pour mieux contrôler les usages de leurs enfants.
Il permet par ailleurs d’intégrer enfin la définition européenne des réseaux sociaux et d’édicter diverses règles concernant la diffusion de messages de prévention et des numéros verts, ou encore la procédure de réquisition judiciaire de contenus électroniques.
Notre rapporteure, dont je tiens à saluer l’investissement sur cette proposition de loi, mais aussi, plus généralement, sur la protection des mineurs dans l’environnement numérique, s’est attachée à rendre le texte plus opérationnel. C’est donc un texte abouti qu’il nous est proposé d’adopter aujourd’hui, et notre rapporteure, que je remercie de son engagement, a décidé avec raison de lui « laisser sa chance ».
Aussi, comme l’a dit Guillaume Chevrollier, le groupe Les Républicains apportera son soutien à ce texte, tout en soulignant, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, que vos échanges avec les fournisseurs de services de réseaux sociaux seront essentiels pour que le cadre fixé aujourd’hui devienne effectif. La balle est désormais dans leur camp. Je suis persuadé, comme je le disais à l’instant, que, s’ils le veulent vraiment, ils trouveront les moyens de donner du contenu à ce texte, qui les y incite.
Ainsi, en adoptant cette proposition de loi ce soir, nous faisons une bonne chose ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de trop nombreuses années, la législation française n’est pas à la hauteur des enjeux de santé publique et de protection de l’enfance qu’induit l’utilisation d’internet par des mineurs.
Exposition à la haine en ligne et prolongement du harcèlement scolaire au sein même du foyer, qui devrait pourtant être un refuge, déformation de l’image de soi, hausse des tendances suicidaires et des comportements addictifs, risque de revenge porn ou de prédation sexuelle : nombreux sont les dangers auxquels les enfants sont confrontés du fait de leur présence sur le Net, nous l’avons tous rappelé.
Certes, le droit européen interdit l’accès aux réseaux sociaux aux enfants de moins de 13 ans, avec la possibilité, laissée à la discrétion des États membres, de porter l’âge minimal jusqu’à 16 ans.
Nous avons légiféré afin d’acter l’obligation pour certaines plateformes de refuser aux mineurs de s’y inscrire ou de les consulter. Je pense notamment aux sites pornographiques.
Mais là où le bât blesse, c’est dans la vérification de l’âge des utilisateurs par les éditeurs. La plupart exigent une simple déclaration, sans aucun contrôle de sa véracité, ce qui laisse toute latitude à l’internaute de mentir. Demander d’entrer les informations d’une carte bancaire ne suffit pas non plus, puisqu’il est possible d’en obtenir une dès 12 ans ou d’utiliser celle de ses parents. De même, la reconnaissance faciale présente des lacunes, et le portefeuille européen d’identité numérique, qui ambitionne d’identifier, d’authentifier et de vérifier des données telles que l’âge ou des documents officiels, n’est pas non plus encore au point.
Faute de solution technique éprouvée pour vérifier l’âge, les plateformes ne respectent pas leurs obligations et ne sont donc pas, à ce jour, sanctionnées.
Ces derniers mois, des avancées technologiques ont toutefois été constatées, et une ou plusieurs solutions permettant d’obtenir un système de vérification satisfaisant et sécurisé devraient être trouvées à moyenne voire courte échéance.
C’est dans le cadre de ces avancées et de l’urgence qu’il y a à mettre fin à cette situation de non-droit au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant que la proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui intervient.
D’une part, elle vient définir une majorité dite « numérique » pour l’utilisation des réseaux sociaux, fixée à 15 ans. Les réseaux sociaux seront ainsi obligés de refuser l’inscription des utilisateurs n’ayant pas l’âge requis, sauf accord exprès de l’un des représentants légaux.
D’autre part, elle prévoit la création d’un référentiel par l’Arcom relatif aux systèmes de vérification de l’âge. Les réseaux sociaux devront mettre en place une solution technique conforme à ce référentiel. En l’absence de vérification ou en cas de non-conformité, l’Arcom pourra saisir l’autorité judiciaire en vue d’obtenir une sanction à l’encontre du réseau social.
L’entrée en vigueur de cette possibilité de saisine de la justice est toutefois reportée d’un an, afin de laisser le temps de perfectionner les solutions techniques. Ce compromis paraît satisfaisant, et je voterai donc, à l’instar de mon groupe, en faveur de cette proposition de loi.
Toutefois, je tiens à le souligner, elle comporte des angles morts.
Le premier me paraît être la question des sites de rencontre. Ils sont des réseaux sociaux au sens de la définition introduite par la proposition de loi, mais la limite d’âge pour les utiliser semble inadaptée.
Si certains sites de rencontre ont volontairement interdit l’accès à leurs services aux mineurs, il n’existera pas de sanction pour ceux qui y donnent accès aux plus de 15 ans. Alors que la question de l’accès aux mineurs à ces services pourrait être discutée, je n’ai pas l’impression qu’elle a été posée.
En outre, la proposition de loi se concentre sur les réseaux sociaux. Or des services en ligne ne pouvant être qualifiés comme tels doivent eux aussi être interdits d’accès aux enfants de moins de 15 ans, comme les sites de location de trottinettes électriques, ou de moins de 18 ans, pour les sites où il est possible d’acheter de l’alcool ou autres produits interdits aux mineurs, de louer des scooters ou des voitures, de jouer à des jeux d’argent en ligne ou d’accéder à des sites pornographiques.
Ces services numériques, qu’ils soient légalement obligés d’interdire l’accès ou qu’ils l’interdisent de manière volontaire, ne seront pas soumis à l’obligation de vérifier l’âge et de respecter le référentiel, s’ils ne sont pas qualifiés de réseaux sociaux.
Pour les sites pornographiques, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique met en place une solution similaire au dispositif prévu par la proposition de loi. Pour les autres services numériques, rien n’est prévu.
Pour conclure, je tiens donc à souligner qu’il nous faudra être attentifs à ces questions à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)