M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Très bien !

M. Roger Karoutchi. Rien n’est pire que de dire : on ne bouge pas, on ne change rien, on verra bien ce qui se passe, après nous le déluge… La vérité est que cela ne pourra pas tenir, comme le montrent, déjà, un certain nombre d’éléments : les débats sur la publicité, les événements récents concernant les plateformes, l’échec de la fusion entre TF1 et M6 et ses conséquences sur l’audiovisuel public, ou encore certaines critiques ou demandes.

Dès lors, que faire ? Comme Jean-Raymond Hugonet le rappelait tout à l’heure, on nous a dit, voilà déjà plusieurs années, qu’il n’était pas nécessaire d’engager des réformes fortes et que les rapprochements se feraient presque de manière automatique.

Cependant, le rapprochement entre France 3 et France Bleu ne suscite pas mon admiration de chaque jour ! (M. André Gattolin sourit.) Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne réussit que moyennement, alors qu’il date déjà de plusieurs années.

On peut faire des réunions supplémentaires, des colloques et des conventions, mais, dans la pratique, si la loi ne fixe pas un certain nombre d’éléments, les rapprochements ne se font pas.

Pardon de le dire ainsi, mais c’est la logique du système : on a créé un certain nombre de chaînes, avec des présidents et des responsables qui assurent leurs fonctions et qui ne comprennent pas pourquoi l’on voudrait remettre en question ce qu’ils considèrent, eux, comme un passage abouti.

Or le passage n’est pas abouti ! Je le dis tranquillement : dans les années qui viennent, le système ne tiendra pas. Sans une réforme globale menée avec les acteurs de l’audiovisuel – pour notre part, nous considérons qu’il n’est pas possible de bouger sans eux –, il s’écroulera face à la concurrence des plateformes et du système privé.

Quant à réformer la Lolf, la loi organique relative aux lois de finances, pour mettre l’audiovisuel public au niveau de l’Europe ou des collectivités locales, j’ai envie de dire, madame la ministre : pas tout de suite ! Le président Lafon m’en excusera, mais, franchement, personne n’y croit. Cela ne se fera pas, et vous le savez.

Lorsque le Président de la République, dans sa campagne, a annoncé la suppression de la redevance sans contrepartie, il n’avait prévu aucune ressource de substitution. C’est cela, le vrai sujet ! Nous voilà donc tous en train de chercher désespérément les 3,5 milliards d’euros nécessaires pour l’audiovisuel public – budget, taxes nouvelles ? Cette dernière solution n’est pas envisageable.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Roger Karoutchi. J’en termine, monsieur le président.

Vous ne pouvez pas annoncer que vous allez créer une autre taxe : les gens ne comprendraient pas pourquoi vous avez supprimé la redevance.

Quoi qu’il en soit, madame la ministre, je vous souhaite bon courage ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Cette initiative non concertée de notre collègue Laurent Lafon en est, malheureusement, une nouvelle illustration.

Le 31 mai dernier, à la suite de l’adoption d’une loi pour la préservation du journalisme par l’assemblée de Californie, le directeur de la communication politique de Facebook-Meta a menacé de supprimer le fil d’actualité de Facebook, « plutôt que de payer pour une caisse noire », comme il l’a écrit sur Twitter.

Depuis une dizaine d’années, nous sommes devenus les spectateurs de la transformation du paysage médiatique international, avec l’essor des plateformes de service de vidéo à la demande, le développement des réseaux sociaux et la croissance du marché publicitaire comme source de financement, notamment des compétitions sportives.

Il en résulte une très forte concentration médiatique, dominée par quelques géants dont les règles internes ont presque force de loi.

En 2025, le marché mondial de la publicité pourrait franchir le cap de 1 000 milliards de dollars, soit le PIB des Pays-Bas. Les trois sociétés Google, Facebook et Amazon détiennent désormais plus de 50 % de ce marché. Cette position ultradominante leur permet d’exercer un chantage sur les parlements à travers le monde.

En France, la commission d’enquête sénatoriale conduite par notre collègue David Assouline a mis en lumière la concentration médiatique également à l’œuvre dans notre pays, ainsi que ses conséquences sur la liberté de la presse. Certes, on n’y découpe pas les journalistes à la tronçonneuse, comme en Arabie Saoudite, pas plus qu’on ne les détient arbitrairement pour motif d’espionnage, comme en Russie, mais on les licencie, on les démet de leurs fonctions.

Cette situation alimente la défiance populaire à l’encontre de ceux qui nous informent : 62 % des Français ne feraient pas confiance aux journalistes et 41 % d’entre eux s’informeraient dorénavant prioritairement via les réseaux sociaux, où les contenus journalistiques côtoient les commentaires dépourvus de fondements factuels, noyés dans une masse d’informations anecdotiques et personnelles.

Dans ce contexte, notre collègue Laurent Lafon nous propose une « stratégie ambitieuse et globale », rédigée sur sa seule initiative.

En fait de stratégie et d’urgence, ce texte propose de renforcer les positions dominantes, à l’opposé des recommandations de la commission d’enquête que j’ai citée, pour offrir une nouvelle fenêtre de fusion entre TF1 et M6 et pour adapter les règles de droits de diffusion des événements sportifs majeurs, qui favorisent Canal+.

Pis, après la suppression de la redevance l’été dernier, la création d’une holding réunissant quatre acteurs de l’audiovisuel public constitue l’autre pilier de cette stratégie. Cet étage supplémentaire nous promet des années d’immobilisme, à l’heure où l’évolution du secteur nécessite de la souplesse, de l’adaptation et de la rapidité décisionnelle. Cela va évidemment affecter les moyens destinés à la réalisation de missions de service public.

Les auteurs-réalisateurs et les cinéastes pourraient en être fragilisés. Aujourd’hui encore, France Télévisions est le deuxième diffuseur de films après Canal+, et près de 40 % des droits perçus par les auteurs proviennent de sociétés publiques…

À quoi bon renforcer notre souveraineté audiovisuelle si cela fragilise l’exception culturelle française ? Et je ne parle pas du mode de désignation du président de la holding par décret présidentiel, absolument contraire au projet de directive sur la liberté des médias présenté par la Commission européenne en septembre 2022… Nous y sommes fortement opposés.

L’information n’est pas un bien comme les autres. Les entreprises de médias devraient être soumises non pas au droit de la concurrence, mais à des règles spécifiques, destinées à garantir le pluralisme et l’indépendance des rédactions.

L’urgence, bien sûr, c’est de réviser la loi de 1986, qui est devenue obsolète.

L’urgence, ce n’est pas d’ajouter une strate supplémentaire, non budgétisée, qui « ne coûterait rien », selon notre rapporteur, mais qui viendrait, de fait, amputer le financement de l’audiovisuel public.

L’urgence, ce serait d’allonger les contrats d’objectifs et de moyens et de renforcer les synergies, mais ce serait aussi et surtout de garantir des mesures pérennes pour l’audiovisuel public. La Lolf doit prévoir un financement, comme le recommandent également les auteurs du rapport d’information publié le 7 juin dernier par l’Assemblée nationale.

Du côté de la publicité, des gisements fiscaux existent pour financer l’audiovisuel public. La Californie nous en montre le chemin.

L’urgence est au renforcement des moyens d’informer, non à la restriction budgétaire. Le journalisme de qualité a un coût, mais celui-ci est inférieur au prix démocratique de la désinformation.

Considérant que cette proposition de loi ne sert pas l’audiovisuel public,…

M. le président. Merci de conclure, ma chère collègue !

Mme Monique de Marco. … mais vise plutôt à l’affaiblir, nous ne la voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

(M. Roger Karoutchi remplace M. Pierre Laurent au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton. (M. François Patriat applaudit.)

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons tous un objectif commun : avoir dans le paysage audiovisuel français un service public fort et qui puisse rayonner à l’international, c’est-à-dire s’exporter.

Par conséquent, nous sommes en phase sur l’idée de consolider notre audiovisuel public. Cependant, nous divergeons fortement sur la façon d’atteindre cet objectif, c’est-à-dire sur les moyens.

Le texte propose essentiellement de créer une holding. Cette mesure n’est pas dénuée d’ambiguïté, d’abord parce que l’on ne comprend pas bien si c’est d’une étape avant une fusion qui n’ose pas dire son nom, ou s’il s’agit de s’arrêter là. Sans doute existe-t-il une forme d’entente pour ne pas trancher… On sort toujours de l’ambiguïté à son détriment !

La seconde ambiguïté porte sur la façon dont la proposition de loi va prospérer. On a compris que le Gouvernement et la majorité présidentielle y étaient défavorables. Dès lors, il appartient à ses initiateurs de nous expliquer comment elle pourra recueillir l’assentiment de l’Assemblée nationale… Mais nous pouvons toujours débattre !

Certes, la création d’une holding avait déjà été proposée en son temps, mais, depuis 2020, le contexte a profondément changé.

Ainsi, l’éventualité de la mise en place d’une contrainte a peut-être fait bouger les acteurs eux-mêmes. En février 2023, Delphine Ernotte et Sibyle Veil se sont prononcées pour un document stratégique unique de l’audiovisuel. Depuis lors, les coopérations se sont renforcées.

D’aucuns citent l’exemple du rapprochement entre France 3 et France Bleu, en estimant qu’il pourrait aller plus loin et plus vite. Certainement, mais on parle de directions régionales uniques ! On parle de contenus éditoriaux qui doivent se rapprocher. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas parvenus à le faire d’un coup qu’il faut renoncer à cette ambition. Il faut donner une chance aux éléments de coopération qui sont installés aujourd’hui.

La question se pose : en quoi une holding, c’est-à-dire un meccano institutionnel, répond-elle aux grands enjeux de l’audiovisuel actuel ? Ces derniers sont le rajeunissement du public – ceux qui regardent la télévision de flux sont de plus en plus âgés –, le numérique, la concentration de grands acteurs privés et, avec l’arrivée de concurrences étrangères, l’existence de plateformes disposant d’énormément de moyens d’investissement. On pourrait en relever d’autres.

Ces défis sont qualitatifs. Ce qu’il faut, surtout, c’est que les acteurs sachent que l’on a, à l’intérieur de nos chaînes, des personnes de qualité, qui savent formuler des propositions. Ce n’est pas une strate supplémentaire ou un meccano institutionnel qui répondra à des défis qualitatifs.

Au reste, quand on crée une strate, on a parfois du mal, en France, à faire des économies. La Cour des comptes a produit maints rapports montrant que l’ajout d’un niveau n’avait rien retiré au niveau inférieur. Au contraire, et je le dis sans vouloir critiquer telle ou telle collectivité, on trouve de nombreux exemples d’ajouts de strates qui se sont traduits par des dépenses supplémentaires. En créant une zone intermédiaire, on risque, finalement, de déposséder l’ensemble des acteurs : à la fois les chaînes qui sont « en dessous », si j’ose dire, et l’État actionnaire, qui est au-dessus.

La contrainte passe aujourd’hui par les contrats d’objectifs et de moyens. Sans doute faut-il les consolider. On peut réfléchir à la façon de les rendre plus contraignants, de les évaluer davantage, d’en tirer les conséquences et d’en faire un outil équivalent à la holding. En effet, partager une ambition similaire n’empêche pas de réfléchir à des outils différents pour y parvenir, par exemple en allant plus loin sur la première étape, celle d’un socle commun aux contrats d’objectifs et de moyens.

C’est notamment dans ce sens qu’il faut avancer pour faire face aux nouveaux enjeux, comme la lutte contre la désinformation et les fausses nouvelles – le fact checking. Il est certain que, dans cette perspective, il faut aller plus loin dans la mutualisation, en rassemblant les moyens de l’audiovisuel consacrés à la lutte contre la désinformation numérique.

Bref, pour aboutir à des résultats, il faut avancer concrètement, de façon pragmatique, sujet par sujet, plutôt que de chercher à concevoir une structure qui, en elle-même, répondrait, on ne sait trop comment, à l’ensemble de ces problèmes.

Je crains que, avec l’idée de holding, on ne donne finalement raison à l’adage selon lequel le mieux est l’ennemi du bien. Le bien, ce serait d’avancer concrètement, ensemble, pour faire bouger l’audiovisuel public. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où les grandes plateformes étrangères, les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – étendent leur pouvoir et leur influence gigantesques, accroissant sans cesse leur domination financière, qui les fait rivaliser avec les États les plus puissants du monde, au point de s’émanciper des règles et du droit, la droite sénatoriale a décidé de légiférer sur le service public de l’audiovisuel – en l’affaiblissant.

À l’heure où se poursuit dans notre pays la concentration des médias, qui sont pour l’essentiel détenus par neuf milliardaires, à l’heure où le groupe Bolloré franchit un nouveau cap dans sa prédation et la mise au pas des médias, avec la touche finale mise à l’acquisition du groupe Lagardère – l’édition, Paris Match, Le Journal du dimanche (JDD) et Europe 1, restructurés pour servir une ligne idéologique trumpiste à la française –, vous, la droite sénatoriale, avez décidé de montrer du doigt le service public de l’audiovisuel !

Pourquoi ? Parce que, dans la droite ligne des pressions que vous avez exercées, monsieur le rapporteur, à l’intérieur et à l’extérieur de la commission d’enquête Concentration des médias en France, dont j’étais le rapporteur, vous vous faites de nouveau le relais de ce lobbying.

Vous avez d’ailleurs annoncé cette proposition de loi au moment où tous les groupes privés de télévision faisaient une déclaration commune pour demander de réduire les financements et les « avantages » du service public. Par ce texte, vous accédez à leur demande en mettant en cause les revenus du parrainage après vingt heures, alors même que le financement de l’audiovisuel public n’est plus assuré sur le moyen et le long terme du fait de la suppression de la redevance.

Vous autorisez la troisième coupure publicitaire des fictions après vingt heures, pour satisfaire le privé.

Vous ramenez à deux ans le délai de revente d’une fréquence après son acquisition, alors que c’est le Sénat, sur ma proposition, soutenue par Catherine Morin-Desailly, qui l’avait porté à cinq ans pour éviter les reventes spéculatives.

Vous attaquez de nouveau la diversité de la production indépendante. Vous ouvrez le label Sieg (services d’intérêt économique général) aux sociétés privées pour une visibilité égale à celle des sociétés publiques, alors qu’elles ne remplissent aucune mission de service public.

Tout cela vient s’ajouter aux petits cadeaux offerts par le Gouvernement à l’audiovisuel privé au travers de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, laquelle assouplissait, à la demande des groupes privés, des dispositions anti-concentration potentiellement dangereuses au regard de l’exigence constitutionnelle de pluralisme dans le secteur. Et j’en passe…

Ce texte ne contient pas grand-chose en termes de défense de l’audiovisuel public, mais accorde ici et là des faveurs au privé, comme autant de petits cavaliers à la demande.

Pourquoi légiférer sur ce sujet maintenant, à la veille de l’été, tandis que la situation est urgente dans bien des domaines – pouvoir d’achat, sécheresse, démocratie en danger… – et que personne ne vous le demande, ni nos compatriotes ni les principaux concernés, c’est-à-dire les directions et les personnels de l’audiovisuel public ?

La situation de ces sociétés l’exigerait-elle ? Le service public de l’audiovisuel irait-il mal et aurait-il besoin, tout de suite, d’une loi improvisée ? Ou ses résultats seraient-ils mauvais ou inquiétants ?

Au contraire, le service public de l’audiovisuel va plutôt bien, et même bien mieux qu’auparavant en termes d’audience et de qualité des programmes, de complémentarité des offres sur les différents supports, de synergies réalisées par les chaînes de télévision ou de radio, à l’intérieur de chaque entreprise ou à l’extérieur, entre les entreprises – je pense à celles qui existent entre France Télévisions, l’INA, France Médias Monde, Radio France et même Arte.

Et à quel prix, déjà payé par les salariés ! On compte 900 emplois supprimés à France Télévisions, plus de 4 200 équivalents temps plein (ETP) à Radio France ces dernières années et des baisses budgétaires régulièrement imposées par les gouvernements du président Macron, soit 193 millions d’euros pour la période 2018-2022.

Vous proposez donc – quelle nouveauté, quelle innovation, quelle audace ! – de créer… une holding. Et vous osez dire que c’est pour mieux faire face aux plateformes étrangères et à la concurrence. J’imagine déjà la frayeur au sein des boards d’Amazon, de Netflix, d’Apple ou de Google ! Ils doivent encore être en cellule de crise pour élaborer la riposte, la peur au ventre… (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

J’imagine le vent de panique des propriétaires des fournisseurs d’accès du numérique – Patrick Drahi chez SFR, Martin Bouygues et Xavier Niel chez Free, lesquels, soit dit en passant, sont aussi fournisseurs d’accès au service public –, qui détiennent une part grandissante des médias privés français et contrôlent de façon verticale toute la chaîne de production de la valeur ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

J’imagine même l’effroi de M. Bolloré, demandant conseil à son confesseur qui, paraît-il, ne le quitte plus ! Je les imagine tous tourner en rond, en se demandant : « Comment riposter à la holding qui vient ? » (Mêmes mouvements.)

Soyons sérieux ! Je sais qu’ils sont au contraire très satisfaits que vous fassiez porter l’attention et la pression sur le service public et que vous accédiez, au passage, à leurs demandes dans quelques domaines.

Non seulement la holding n’est pas un sujet aujourd’hui pour l’audiovisuel public, puisque ses directions et ses personnels n’en veulent pas, mais, en outre, elle ne servirait à rien pour faire face à la concurrence des Gafam et du privé. Pis, elle créerait une nouvelle strate bureaucratique, une structure de plus coûtant des dizaines de millions d’euros de dépenses supplémentaires pour payer des super-chefs qui dirigeront des chefs, lesquels dirigent eux-mêmes d’ores et déjà des sous-chefs. (Mme la ministre samuse.)

Cette holding désorganiserait ce qui a mis du temps à se stabiliser. Elle concentrerait l’énergie de ces sociétés sur une réorganisation administrative interne, au moment où ladite énergie devrait être tout entière dirigée vers l’action, pour consolider l’offre créative dans les domaines de la fiction comme du documentaire, de l’information et du sport, qui sont les valeurs ajoutées de l’offre en continu et en direct, pour investir dans la révolution numérique, s’y former et se préparer à ses prochains bouleversements induits par l’intelligence artificielle (IA).

Au sein de cette holding, les directeurs des quatre sociétés seraient sous la tutelle d’un président tout-puissant, de nouveau nommé par décret en conseil des ministres, ce qui mettrait en danger l’indépendance du secteur par rapport aux pouvoirs publics. Un parfum de retour à l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), en somme… Quelle modernité !

L’actualité du service public de l’audiovisuel, c’est d’assurer son financement universel, pérenne et socialement juste via une taxe progressive sur l’impôt sur le revenu, directement affectée, comme mon groupe l’avait proposé.

Il faut en effet lui donner les moyens de résister à la concurrence des Gafam et des grands groupes privés qui détiennent les médias dans notre pays, en légiférant et en décidant de règles et de régulations nouvelles, dont certaines figurent parmi les 32 propositions votées à l’unanimité par notre commission d’enquête.

Il convient aussi d’engager une grande réflexion, très attendue, pour penser globalement une nouvelle loi qui remplacerait celle de 1986, percluse de rustines. Il s’agira certes de réaffirmer ses grands principes, notamment la liberté de la communication, mais il faudra repenser les moyens, devenus caducs, que le législateur avait prévus pour remplir ces objectifs et réguler notre paysage audiovisuel, aujourd’hui complètement bouleversé par la révolution numérique.

Il s’agira de protéger et de permettre le développement non pas du seul service public, mais bien de l’ensemble de l’écosystème des éditeurs, producteurs, créateurs et salariés de l’audiovisuel français, privé comme public, qui doivent faire face ensemble à ces défis majeurs. Il faut les défendre face aux Gafam, qui ne font pas le tri et qui risquent de mettre tout le monde d’accord… dans le cimetière de l’audiovisuel français ! Il y va de la démocratie.

Avec mes camarades du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je lance un appel urgent à cette prise de conscience.

Une grande illusion produit ses effets, car il y a un paradoxe : la multitude des offres, des titres et des chaînes numériques cache la réalité de la concentration de la propriété au profit d’un nombre réduit d’individus et de groupes industriels et financiers, lesquels ont d’ailleurs peu à voir avec le monde des médias. Cette diversité n’est, je le répète, qu’une illusion, puisque les contenus sont de plus en plus uniformisés.

Outre l’information, la culture aussi est en danger. Notre résistance doit se traduire tout d’abord par l’affirmation d’un service public fort et divers du fait de ses moyens et de sa créativité, de ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, ainsi que d’une multitude de médias indépendants, qui doivent enfin être soutenus et favorisés.

C’est ce paysage de l’audiovisuel que nous appelons à défendre avec constance et combativité, face à celui, hyperconcentré et vertical, dont les valeurs sont indexées sur la bourse et les clics.

C’est pourquoi, tout en saisissant l’occasion qui nous est offerte par ce débat de formuler quelques propositions sous forme d’amendements, nous voterons contre cette proposition de loi qui est, au pire, dangereuse, au mieux, inutile. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à dire tout d’abord que cette proposition de loi part d’une bonne intention : défendre l’audiovisuel public et réaffirmer sa spécificité. Il me semble important de le souligner, à l’heure où ce service public est attaqué de toutes parts.

L’enjeu des inégalités sociales liées à la multiplicité des services payants par abonnement, celui de la concentration des médias ou encore de la désinformation croissante rendent d’autant plus essentiel et urgent l’objectif de doter notre pays d’un service public audiovisuel fort, disposant des moyens nécessaires à son action, et de programmes spécifiques.

Nous avons la conviction profonde qu’un tel service public est le signe d’une démocratie qui fonctionne, d’un accès à la culture et au savoir pour tous et toutes.

C’est à ce titre que nous accueillons positivement la proposition concernant les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives, visant à obliger les plateformes à céder certains droits à des services de télévision en accès libre diffusés sur la TNT (télévision numérique terrestre), et ainsi à permettre un meilleur accès de nos concitoyens au visionnage d’événements sportifs.

Toutefois, nous sommes en désaccord avec le cœur de la proposition de loi, laquelle prévoit de placer les médias publics sous la coupe d’une holding.

Alors que l’audiovisuel public n’a été que rarement autant plébiscité – France Inter est depuis 2018 la radio la plus écoutée de France, et France 2 a enregistré au cours des derniers mois ses meilleures audiences depuis plus de dix ans –, ce texte risque de ne susciter qu’une nouvelle inertie des institutions publiques.

Par ailleurs, les coopérations entre les différentes entreprises de l’audiovisuel, que ce projet de holding vise à amplifier, produisent d’ores et déjà des effets marquants au travers de la création de plateformes, comme France Info ou encore « Ici », émanant de collaborations concrètes entre France Télévisions et Radio France.

Si cette holding nous semble inutile, elle pourrait aussi se révéler dangereuse.

Tout d’abord, si d’éventuelles nominations directes par l’exécutif n’y sont pas évoquées, la proposition de loi prévoit trop peu de garanties pour que l’indépendance effective du service public soit assurée à l’issue des procédures de désignation.

Ensuite, la répartition du budget entre les différentes sociétés de cette hypothétique holding sera soumise à la discrétion du directeur général. Sachant que la possibilité de concurrencer les plateformes est l’un des principaux arguments invoqués pour justifier cette réforme, il est fort à craindre que la radio ne soit le parent pauvre de ce nouveau paysage audiovisuel.

Comme vous, nous soutenons le principe d’une nécessaire mesure fiscale affectée, dont nous considérons qu’elle sera le mieux à même de garantir l’indépendance des organismes de l’audiovisuel et la prévisibilité de leurs ressources.

En revanche, rien dans l’exposé des motifs ne permet de savoir quelle serait la nature de cette mesure. S’il s’agit de pérenniser l’attribution d’une fraction de la TVA à l’audiovisuel public, permettez-moi, mes chers collègues, d’exprimer mon désaccord. Celle-ci est en effet moins protectrice que l’attribution d’une véritable taxe affectée : son montant étant fixé en loi de programmation des finances publiques, elle ne permet en aucun cas de garantir le respect des engagements pluriannuels de l’État.

En outre, la TVA constitue la mesure fiscale la plus anti-redistributive, en ce qu’elle fait peser l’effort sur la propension de consommation plutôt que sur l’épargne, désavantageant, de fait, les foyers les plus modestes.

Pourtant, le retour d’une contribution à l’audiovisuel public, payée par tous les Français en fonction de leurs revenus, serait totalement justifié pour maintenir un lien fort avec les citoyens et garantir la plus grande indépendance possible de l’audiovisuel public vis-à-vis du pouvoir politique et économique. Nous appelons celle-ci de nos vœux et continuerons de la défendre dans l’hémicycle du Sénat.

Pour ce qui concerne les revenus de l’audiovisuel public, je souhaite appeler votre attention sur le plafonnement des recettes publicitaires.

Cette proposition, adoptée en commission, fut notamment justifiée par l’idée que les recettes issues de la publicité dont bénéficie l’audiovisuel public « nuiraient » aux entreprises du secteur privé, dont la publicité constitue l’unique ressource. Nous déplorons ce choix réalisé en faveur des chaînes privées, qui cherchent toujours à obtenir une plus grosse part du gâteau publicitaire. Sans compensation financière garantie, une telle disposition fragiliserait encore davantage l’audiovisuel public.

À nos yeux, bien que cette proposition de loi soit inspirée par un bon sentiment et que nous approuvions certaines de ses dispositions, nous nous opposons fermement à ce projet de holding. Ce dont l’audiovisuel public a besoin, c’est d’une hausse résolue de son budget, qui est passé de 0,20 % à 0,16 % du PIB. À titre de comparaison, il représente 0,28 % au Royaume-Uni.

Ce service public a besoin non pas d’une réforme de sa gouvernance, mais de nouveaux moyens. Nous voterons donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Daniel Breuiller applaudit également.)