PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. L’amendement n° 282, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
(En milliards d’euros courants) |
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2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total 2024-2030 |
Crédits de paiement de la mission « Défense » |
47,04 |
50,04 |
53,04 |
56,04 |
60,32 |
64,61 |
68,91 |
400,00 |
Variation |
+ 3,1 |
+ 3,0 |
+ 3,0 |
+ 3,0 |
+ 4,3 |
+ 4,3 |
+ 4,3 |
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je présenterai cet amendement comme un amendement d’appel, car je ne nourris aucune illusion sur le sort qui lui sera réservé…
Cependant, il permet d’apporter la grande clarification et les précisions souhaitées. De fait, au regard de ce que vient de dire Bruno Retailleau, je constate que nous pouvons converger politiquement, mais que nous ne partageons pas la même lecture technique sur la rédaction du texte.
Trois sujets sont devant nous.
Je ne reviens pas sur le premier, monsieur Todeschini : les 30 milliards d’euros ne doivent pas être soustraits puisqu’ils sont déjà dans la copie, comme je l’ai dit à plusieurs reprises en audition au rapporteur pour avis Dominique de Legge, à qui j’ai communiqué par écrit, ainsi que je m’y étais engagé, les modalités de calcul de la prise en compte de l’inflation. Je pourrai donc répondre une nouvelle fois à vos questions sur ce sujet. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit vraiment pas d’ôter 30 milliards d’euros à 413 milliards d’euros ou à 420 milliards d’euros, ou à je ne sais quelle autre somme encore.
D’ailleurs, le principe d’une programmation des années 1960 à nos jours vise à intégrer un aléa dont nul ne sait ce qu’il deviendra.
Les facteurs macroéconomiques vont-ils se retourner ? Ce serait une bonne nouvelle, puisque les projections sont plutôt prudentes selon les critères que nous avons retenus. La situation va-t-elle, au contraire, s’aggraver ? En ce cas, mesdames, messieurs les sénateurs, elle s’aggravera pour l’ensemble du budget de l’État et pour d’autres programmes. Nous aurons l’occasion d’y revenir et, au regard de notre engagement à documenter l’inflation année par année en loi de finances, vous pourrez, monsieur le rapporteur, constater ces effets dès les documents budgétaires annuels. Vous les constaterez sur ce que l’on appelle le « physique », à savoir, pour faire clair, des décalages de commandes que vous n’avez pas relevés jusqu’à présent.
Nous sommes revenus de nombreuses fois en commission sur ce sujet de l’inflation, mais je voulais l’aborder dans cet hémicycle.
Le deuxième sujet, que Bruno Retailleau a évoqué dans la seconde partie de son propos, est la dynamique – le rythme, en quelque sorte – de l’effort budgétaire.
J’en viens à la politique, au sens noble du terme.
Vous dites que l’essentiel de l’effort concerne l’après-2027. Pour ma part, je vois deux tiers d’efforts entre 2017 et 2027 ! J’y reviendrai dans un instant.
Je considère que cette trajectoire n’est pas la même marche, puisque monter sur la même marche d’un escalier revient à faire du sur-place… En l’occurrence, il y a bien 3 milliards d’euros qui s’ajoutent à chaque fois.
Cela dit, on pourrait revenir sur la dynamique des marches.
Le troisième sujet, c’est le montant global de l’enveloppe.
À ce propos, monsieur Retailleau, vous avez déclaré au nom du groupe que vous avez l’honneur de présider que le Sénat restait dans l’enveloppe des 413 milliards d’euros. C’est pourquoi, dans l’interview qui a paru ce matin…
M. Bruno Retailleau. Elle était désagréable !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Quand l’un de vos collègues de groupe publie un tweet quelques minutes seulement après le discours du Président de la République à Mont-de-Marsan,…
M. Cédric Perrin. C’est moi !
M. Sébastien Lecornu, ministre. … – en effet, c’est M. Perrin –, je ne m’offusque pas !
Quand le Sénat – et c’est de bonne guerre – trouve que le texte manque d’ambition, je ne m’offusque pas !
C’est cela aussi, le jeu démocratique.
De la même façon que vous avez une lecture et un avis sur ce projet de loi, le Gouvernement peut avoir un avis sur le texte tel qu’il est issu des travaux de la commission. (M. Jean-Noël Guérini acquiesce.) Au contraire, cela me semble sain : cela s’est produit à trois reprises en commission des affaires étrangères et de la défense, sous l’autorité de son président, Christian Cambon, et j’en informe nos concitoyens. Il n’y a pas là d’agressivité, vous le savez très bien.
En revanche, techniquement, je veux revenir sur l’interprétation des chiffres. Cela donnera peut-être lieu à des débats plus politiques dans un autre cadre, mais je pense utile de détailler de nouveau la copie du Gouvernement, ainsi que je l’ai d’ailleurs déjà fait par un courrier en date du 2 juin dernier que j’ai adressé à un certain nombre d’entre vous.
Ainsi, 400 milliards d’euros de crédits budgétaires sont prévus pour 413,3 milliards d’euros de besoins militaires. Les 13,3 milliards d’euros de différence se répartissent de la façon suivante.
Tout d’abord, 5,9 milliards d’euros correspondent à des ressources extrabudgétaires, dont on estime désormais qu’elles sont sécurisées.
M. Bruno Retailleau. On est d’accord !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela a suscité de nombreux débats, mais, sur ce point, en effet, nous sommes d’accord.
Ensuite, 1,2 milliard d’euros correspondent à l’une des parts du financement de l’Ukraine – je vous rappelle qu’il en existe trois différentes –, à savoir les prélèvements sur le parc des armées. Ceux-ci donnent lieu à un « recomplètement » par du matériel neuf. En d’autres termes, quand on fournit un AMX-10 RC ou un Crotale, le premier est remplacé par un Jaguar, le second par un VL-Mica. Ce faisant, on a touché au format des armées ; or, même s’ils sont anciens, ces matériels étaient encore dans la cible capacitaire jusqu’en 2030, voire 2035.
Enfin, 6,2 milliards d’euros sont destinés à deux outils différents : d’une part, le report de charges – on nous a suffisamment reproché de ne pas suffisamment prendre en compte l’inflation pour balayer désormais d’un revers de main l’outil qui, de tout temps, le permet (M. Rachid Temal s’exclame.) –, d’autre part, les marges frictionnelles, lesquelles correspondent aux retards qui sont déjà intégrés dans les 413 milliards d’euros.
Avec le recul, bien m’en a pris d’avoir opéré cette distinction, même si je n’y suis pour rien. En effet, les programmations militaires précédentes ont toutes été construites ainsi, mais, pour des raisons que je vous laisse deviner, mesdames, messieurs les sénateurs, le Parlement n’en était jamais informé. Il n’est qu’à voir la loi de programmation militaire sous l’empire de laquelle nous sommes encore.
Le Parlement a en effet voté 295 milliards d’euros de ressources budgétaires pour la LPM actuelle, alors que les besoins militaires s’élevaient à 304 milliards d’euros, sans que le Parlement ait jamais été informé de ce chiffre.
C’est pourquoi, au regard tant des sommes importantes qui sont désormais en jeu dans ces programmations que des modifications du tableau capacitaire – ce qui importe, c’est ce qui est livré aux forces armées et non ce qui est commandé –, j’ai souhaité partir du besoin militaire et prévoir les ressources budgétaires idoines, que celles-ci soient extrabudgétaires ou inscrites dans le budget de la nation.
J’en viens aux modifications apportées par la commission des affaires étrangères et de la défense, c’est-à-dire à la copie du Sénat qui nous est soumise, à l’exception des marches et du rythme.
L’enveloppe totale des crédits budgétaires s’élève à 407,4 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent toujours 5,9 milliards d’euros de ressources extrabudgétaires, ainsi que 7,4 milliards de reports de charges. Ces derniers figurent bien dans la programmation.
M. Bruno Retailleau. Non !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Bien sûr que si, ou alors cela revient à les compter deux fois – et c’est d’ailleurs bien ce que vous faites.
M. Bruno Retailleau. Non, c’est vous qui les comptez deux fois !
M. Christian Cambon, rapporteur. Oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Non, on ne les compte qu’une seule fois, puisqu’ils sont intégrés dans les 413 milliards d’euros. (M. Bruno Retailleau s’exclame.)
Par définition, nous disposons d’ores et déjà d’indications quant aux retards !
Monsieur Retailleau, pour que ce soit plus clair, et puisque vous ne partagez pas ma lecture, je prendrai le problème dans l’autre sens.
Le tableau capacitaire prévoit déjà 413 milliards d’euros. La commission a ajouté 1 milliard d’euros pour l’entraînement et 200 millions d’euros pour les ressources humaines. Qui plus est, certains amendements qui n’ont pas encore été examinés visent à augmenter le tableau capacitaire de 2 milliards d’euros. Par conséquent, et même si, je le répète, vous ne partagez pas ma lecture sur les marges frictionnelles, 3,2 milliards d’euros s’ajoutent aux 413 milliards d’euros. (M. Bruno Retailleau fait un signe de dénégation.)
Nous arrivons au moment de vérité. Si vous conservez l’enveloppe à 413 milliards d’euros avec plus de maintien en condition opérationnelle (MCO), plus de moyens capacitaires et plus d’entraînements, cela signifie qu’il faudra accepter des renoncements. (M. Bruno Retailleau fait de nouveau un signe de dénégation.)
Pourtant, si l’enveloppe que vous avez prévue est bien de 416,2 milliards d’euros – pour ma part, je pense qu’elle s’élève à 420 milliards d’euros, mais, si vous ne partagez pas ma lecture, je suis prêt à l’abandonner l’espace d’un instant (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, il faudra bien trouver quelque part ces 3,2 milliards d’euros supplémentaires.
Il n’y a pas d’argent magique, comme dirait quelqu’un que je connais bien et qui m’a nommé. (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)
Mon état d’esprit n’est pas à la polémique, je le dis sincèrement. J’insiste seulement sur le fait qu’il est compliqué de ne pas s’accorder techniquement sur la lecture des chiffres, qui plus est quand il s’agit d’une programmation militaire.
M. Bruno Retailleau. En effet !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Les marges frictionnelles existaient déjà quand Alain Richard était ministre de la défense, quand Jean-Pierre Raffarin était Premier ministre ou, plus tard, président de la commission des affaires étrangères du Sénat, quand Gérard Longuet, qui est membre du groupe Les Républicains, était ministre de la défense et des anciens combattants. La méthode est vieille comme Hérode ; je n’ai fait que la montrer.
Reste que vous avez décidé en commission – en tant que parlementaires, vous êtes tout à fait souverains pour ce faire – d’aller au-delà des 413 milliards d’euros prévus, ce qui pose néanmoins la question de la soutenabilité budgétaire globale. Nul besoin d’être Premier ministre ou ministre du budget pour le dire.
Trois éléments importants doivent être pris en compte : l’inflation, les marches et l’enveloppe globale. L’enveloppe globale est de 416,2 milliards d’euros – c’est une donnée factuelle, la colonne des dépenses a augmenté et les chiffres sont têtus. Par ailleurs, les marges frictionnelles n’ont pas disparu – il ne suffit pas de les budgéter pour qu’elles disparaissent.
S’il faut une suspension de séance pour se réunir de nouveau à ce sujet, j’y suis tout à fait favorable, car je tiens vraiment à montrer la bonne foi du Gouvernement.
L’exécution à l’euro près de la LPM nous oblige désormais à être rigoureux. Je reste à la disposition du Sénat pour trouver un point d’accord sur ce sujet dont nous faisons non pas un préalable politique ou politicien, mais bel et bien un élément de clarification important.
Je le répète, le Gouvernement a prévu 413 milliards d’euros de dépenses, alors que, au moment où je vous parle, le budget s’élève déjà à au moins à 416,2 milliards d’euros, si ce n’est à 420 milliards d’euros.
L’amendement du Gouvernement, qui vise à rétablir les marches et la trajectoire budgétaire telles qu’elles sont issues des travaux de l’Assemblée nationale, est défendu. Il s’agit surtout d’un amendement d’appel pour avoir ce débat noble sur ces trois paramètres : l’inflation, les marches, mais surtout l’enveloppe globale, puisqu’il y a là un enjeu de soutenabilité qui m’inquiète beaucoup.
Mme le président. L’amendement n° 6, présenté par M. de Legge, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Alinéa 3, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
(en milliards d’euros courants |
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2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total 2024-2030 |
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Crédits de paiement de la mission « Défense » |
47,04 |
50,04 |
54,05 |
58,06 |
62,06 |
66,07 |
70,08 |
407,40 |
Variation |
+ 3,1 |
+ 3,0 |
+ 4,0 |
+ 4,0 |
+ 4,0 |
+ 4,0 |
+ 4,0 |
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances. J’ai souhaité déposer de nouveau cet amendement de la commission des finances pour plusieurs raisons.
D’abord, il s’agit de soutenir la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le montant de 407 milliards d’euros, puisque cela correspond aussi à l’analyse de la commission des finances.
Ensuite, nous considérons que nous ne pouvons pas reporter l’effort au prochain quinquennat.
À cela s’ajoutent d’autres arguments, monsieur le ministre.
J’entends bien toutes les arguties de Bercy. Un haut gradé a même fait le tour des sénateurs pour leur donner des leçons de calcul budgétaire, ce dont tous se seraient dispensés. Pour autant, monsieur le ministre, votre explication ne nous a pas davantage convaincus, puisque cela reviendrait à dire que l’on finance une partie de l’objectif capacitaire en espérant ne pas l’atteindre…
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. … ou, bien pis, en faisant tout pour différer soit les paiements, soit les livraisons, ce qui aura forcément une conséquence sur la loi de programmation des finances publiques. En effet, celle-ci se trouvera frappée de la même insincérité – disons du même doute, si vous préférez.
Monsieur le ministre, j’en profite pour vous poser deux questions.
D’une part, à quel niveau de report de charges entrerons-nous dans la nouvelle loi de programmation militaire ? Ce n’est pas tout à fait neutre. Sauf erreur de ma part, cela représente 5 milliards d’euros de cavalerie qui s’ajoutent aux 7 milliards d’euros qui, selon vous, n’existent pas.
D’autre part, dans une interview du mois d’avril dernier, vous avez déclaré qu’en 2023 le budget de la défense serait abondé de 1,5 milliard d’euros. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?
Mme le président. L’amendement n° 67, présenté par MM. Temal, Féraud et Kanner, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Todeschini, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3, avant le tableau
Remplacer le mot :
courants
par le mot :
constants
La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le ministre, la pédagogie étant l’art de répétition, je vais vous donner l’occasion de vous répéter, puisque vous ne nous avez pas convaincus. (Sourires.)
Cet amendement vise à neutraliser les effets de l’inflation sur la loi de programmation militaire et à permettre que les crédits programmés soient ceux qui seront réellement consacrés à nos armées.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, vous avez évalué à 30 milliards d’euros les effets de l’inflation pour la période 2024-2030. On le sait déjà, la seule solution qui a été trouvée pour les neutraliser, c’est le report de charges.
Par respect pour nos armées, et au regard des engagements pris, la sincérité de ce projet de loi de programmation militaire serait totale si les montants prévus étaient exprimés en euros constants.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Une nouvelle trajectoire budgétaire ayant été adoptée en commission, l’amendement n° 66 se trouve satisfait. C’est pourquoi la commission en demande le retrait.
Monsieur le ministre, l’amendement du Gouvernement nous plonge au cœur du débat.
Le Président de la République a annoncé à Mont-de-Marsan une LPM de 413 milliards d’euros. Cela a été repris par tous et tout le monde a ce montant en tête.
J’en viens à la répartition que vous décrivez : 400 milliards d’euros sont budgétés, 5,9 milliards d’euros font l’objet de ressources bien identifiées – vente de fréquences, produit des soins dispensés par les hôpitaux militaires, ventes immobilières –, ce que nous acceptons. Restent les fameux 7,5 milliards d’euros.
C’est une étrange méthode que de dire que ces 7,5 milliards d’euros relèvent non du budget, mais de ressources extrabudgétaires. De quoi s’agit-il précisément ?
De deux choses l’une : soit on peut les dépenser, soit on ne le peut pas. Selon vous, nous les comptons deux fois. Ce n’est pas le cas ! Vous avez imposé une nouvelle méthode. (M. le ministre s’exclame.) Pour notre part, ce que nous voulons, c’est avoir l’assurance que 413 milliards d’euros seront dépensés pour le renforcement de nos forces armées, car nous abhorrons les reports de charges. Nous savons en effet très bien comment cela se passe. Nous l’avons vu avec la précédente LPM : lorsque nous avons demandé une actualisation, nous nous sommes aperçus qu’il manquait des milliards d’euros, parce que l’on ne cessait de reporter des charges !
Je le répète, de deux choses l’une : soit on a 413 milliards d’euros à dépenser, soit on ne les a pas.
Monsieur le ministre, vos développements oratoires laissent accroire que le Sénat veut dépenser plus. Non, nous voulons nous en tenir à l’enveloppe de 413 milliards d’euros. Nous sommes prêts à en discuter avec vous, mais – et c’est un sentiment unanime – nous ne comprenons pas que 400 milliards d’euros soient budgétés et que 7,5 milliards relèvent de ressources extrabudgétaires.
Vous parlez de marges frictionnelles, de programmes en retard. S’ils sont budgétés, mais qu’ils ne sont pas exécutés, il est possible de reprendre ces montants dans les lois de finances à venir. Dans la discussion générale, j’ai pris l’exemple des A400M qui seraient commandés, mais pas livrés : dans ce cas, on ne les paye pas et cet argent reste disponible.
Nous ne comprenons pas pourquoi vous utilisez un tel subterfuge. Il aurait mieux valu annoncer d’emblée que la LPM s’élevait à 405 milliards d’euros. Tout le monde aurait compris et l’on ne se serait pas livré depuis des mois à des débats et à des exégèses pour savoir où passeront les 7,5 milliards d’euros.
Dans ces conditions, la commission maintient bien évidemment la trajectoire qu’elle a fixée et émet un avis défavorable sur votre amendement. Nous souhaitons des éclaircissements supplémentaires sur lesquels discuter.
J’en viens à l’amendement n° 6 de la commission des finances, par lequel notre collègue propose une trajectoire dont les deux premières annuités sont les mêmes que celles qui sont proposées par le Gouvernement, puis un effort supplémentaire. Dans la mesure où elle a adopté à la majorité une autre trajectoire, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
L’accélération prévue par la commission est souhaitable. C’est en effet en ce moment que, sans être en guerre, nous sommes dans une situation extrêmement grave et tendue compte tenu de la situation en Ukraine. C’est en ce moment que nous livrons des armes ; or, par définition, ces armes que nous livrons, nous ne les avons plus et, si un conflit de haute intensité survenait, nous ne disposerions plus des armements nécessaires. (M. Rachid Temal s’exclame.) Ce n’est donc pas le moment de baisser la garde.
Qui plus est, le Gouvernement a prévu entre 30 milliards et 60 milliards d’euros d’effets inflationnistes. Par conséquent, tout ce qui est dépensé maintenant ne sera pas érodé par l’inflation.
Sur l’amendement n° 67, qui vise à retenir la trajectoire de la commission, mais en euros constants, plutôt qu’en euros courants, la commission émet un avis défavorable. En effet, cela entraînerait une hausse de la trajectoire comprise entre 30 et 60 milliards d’euros courants. Nous ne pouvons pas entrer dans cette logique, même si nous comprenons le sens de cet amendement, puisque, vous l’avez dit, cher collègue Todeschini, chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances, on aura une idée précise du dérapage inflationniste.
M. Rachid Temal. C’est un amendement d’appel !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. On peut prendre les chiffres par tous les bouts, mais sans les prendre sur l’ensemble de la programmation avec les chevauchements d’années – j’ai déjà eu ce débat avec Rachid Temal en commission. Si l’on prend le budget annuel de la défense en 2017 et celui qui est proposé pour 2030, on s’aperçoit que celui-ci a doublé.
M. Rachid Temal. Ce n’est pas le sujet !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pourtant, à lire cet amendement, on voit bien que l’on tourne autour du pot. Je m’en suis expliqué plusieurs fois, je n’y reviens pas.
J’en viens donc à l’amendement n° 6, qui me donnera l’occasion de décrire de nouveau les modalités de l’amendement du Gouvernement. Monsieur le rapporteur pour avis, vous essayez de faire en sorte que les deux premières annuités de la LPM correspondent aux deux premières annuités de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) que vous avez votée. Toutefois – je manie cet argument avec précaution, puisque, ce que le Parlement a fait, le Parlement peut très bien le modifier –, je note votre cohérence, puisque, en tant que commissaire aux finances, vous voulez vous assurer de la soutenabilité de ce texte.
Si j’ai bien compris l’esprit de votre amendement, vous proposez une accélération de la trajectoire pour les années qui ne sont pas couvertes par une LPFP adoptée par le Parlement.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, même si, intellectuellement, je comprends votre démarche, qui s’interroge sur la soutenabilité pour nos finances publiques.
À l’heure où nous parlons, nous en sommes à 4 milliards d’euros de report de charges. Le rapporteur dit avoir horreur des reports de charges.
M. Christian Cambon, rapporteur. Oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Moi, non !
Au contraire, ils nous permettent de traiter l’inflation et cela se fait en accord avec les industriels. En effet, ces derniers trouvent leur intérêt dans cette affaire : les programmes sont d’une masse telle que le report de charges nous permet aussi de déclencher la facture en accord avec les industriels au moment où les critères macroéconomiques sont les plus satisfaisants pour le contribuable.
Je ne comprends donc pas cet acharnement contre le report de charges. Les autres ministères se « rouleraient par terre » pour avoir les mêmes outils de gestion de l’inflation que le ministère des armées. Bien plus, ce sont souvent des outils qui ont été suggérés par les parlementaires dans des lois de programmation il y a dix, quinze ou vingt ans, considérant que les lois de programmation étaient telles qu’il fallait permettre à l’ordonnateur des dépenses ce report de charges, pourvu qu’il en montre le mécanisme dans la loi de finances – c’est ce que nous faisons.
Budgéter le report de charges ? C’est incompréhensible ! Je l’ai expliqué à de nombreuses reprises en commission, je l’ai même écrit : ce mécanisme est bénéfique pour les armées, je ne peux pas dire mieux. Interrogeons les anciens ministres Alain Richard et Gérard Longuet ou d’autres anciens ministres, qui siègent sur ces travées. Pour ma part, je défends ce mécanisme.
Quand Gérald Darmanin vous présente une loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), celle-ci ne prévoit pas de mécanisme pour absorber l’inflation et ses effets sur la construction des commissariats. Nos élus locaux, nos maires et nos présidents de conseil départemental seraient bien contents de disposer, comme le ministère des armées, d’un mécanisme de report de charges pour déclencher le paiement de leur gymnase ou de leur piscine.
Il y a selon moi un contresens à s’en prendre au mécanisme des reports de charges, car il est bon pour le ministère des armées. Si le Parlement veut le supprimer, soit, mais j’expliquerai alors qu’il a supprimé un outil bon pour les finances du ministère.
Monsieur le rapporteur pour avis, évidemment, on ne souhaite pas qu’il y ait des retards, mais, si nous ne les intégrions pas, cette LPM serait insincère – c’est d’ailleurs tout le charme d’une programmation sur sept ans… (Sourires.)
Si les marges frictionnelles existent, c’est parce que, depuis 1960, on a suffisamment de recul sur les différentes lois de programmation.
Je rechigne à prendre cet exemple, parce qu’il est malheureux, mais il peut aider à nous comprendre. C’est un peu le principe du surbooking : au regard de la masse des grands programmes, il y a évidemment à chaque fois un coefficient.
M. Christian Cambon, rapporteur. Vous l’ajusterez à chaque projet de loi de finances !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pourquoi affaiblir la programmation en repassant en annuités budgétaires ? C’est la force de la programmation ! C’est comme pour les reports de charges.
Dans ces conditions, privons-nous d’un autre outil qui est utile pour le ministère des armées. C’est promis, je ne m’en émouvrai pas dans Le Figaro la prochaine fois,…
M. Rachid Temal. Essayez le Journal du dimanche ! (Sourires.)
M. Bruno Retailleau. Ou L’Humanité ! (Nouveaux sourires.)
M. Sébastien Lecornu, ministre. … mais j’expliquerai ce qu’il en est. Sur le fond, je le répète, on est en train de s’en prendre à des outils qui sont bons pour le ministère des armées.
M. Retailleau a raison de dire que l’alinéa 1er de l’article 3 – primus inter pares… – n’a pas été modifié, puisque le montant s’élève à 413,3 milliards d’euros. Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, je l’indique pour la suite de la discussion. En effet, si des amendements de correction venaient à être déposés en séance, quoi qu’il arrive, même si vous ne partagez pas ma lecture sur les marges frictionnelles et les reports de charges, le Sénat a alourdi la facture de 3,2 milliards d’euros. Certes, il l’a fait avec des mesures qui sont bonnes, mais dont on ne sait pas comment elles seront financées.
Je le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, je reste à votre disposition, même dans un cadre plus informel, pour refaire le point sur tout cela. Reste que, au moment où je vous parle, je vous certifie, avec sincérité et bonne foi, que nous ne sommes plus à 413 milliards d’euros. Cela, je peux le signer – des deux mains – et pas dans Le Figaro ! (Sourires.)
Monsieur Todeschini, vouloir des montants en euros constants, plutôt qu’en euros courants, est très contradictoire avec les propos que vous avez tenus sur l’inflation lors de la discussion générale. Alors que vous émettez une crainte sur nos hypothèses en matière d’inflation, en demandant ce basculement en euros constants, vous écartez toute forme d’hypothèse sur l’inflation.
Sans remuer une nouvelle fois le couteau dans la plaie – Bruno Retailleau va finir par définitivement m’en vouloir… (Sourires.) –,…