M. Rachid Temal. Pourquoi ne pas l’avoir écrit dès le début ? Pourquoi ne pas déposer un amendement ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je n’ai pas assisté aux réunions de la commission. Je ne sais pas quelle était l’intention de ses membres. Je peux évidemment proposer de rectifier mon amendement en signe de bonne volonté, mais il ne faudrait pas toutefois que l’on puisse reprocher aux états-majors, dans quelques années, de ne pas avoir atteint la cible, car celle-ci ne doit être qu’indicative.
Dans un même souci de transparence, j’ai aussi demandé aux états-majors de réfléchir à des objectifs par territoire. Quand le délégué militaire départemental de la Vendée – pour prendre un exemple au hasard – aura des objectifs à atteindre, il sera plus motivé pour les remplir.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Je vais vous expliquer, monsieur le ministre, comment la commission a procédé. Votre amendement tend à supprimer la trajectoire de hausses annuelles des effectifs de la réserve opérationnelle, qui a été introduite en commission. Il nous a semblé que les objectifs inscrits dans le projet de loi étaient trop flous, car il se bornait à fixer deux jalons, en 2030 et en 2035, soit respectivement sept et douze ans après le vote de la loi de programmation.
Nous avons alors demandé des précisions à vos services. Le texte de la commission reprend exactement les chiffres qu’ils nous ont donnés. Nous avons leur réponse écrite – il n’est pas fait mention d’ailleurs des 15 000 volontaires du SNU, même si l’on observe un rattrapage. Si les chiffres qui nous ont été transmis sont inexacts, alors cela pose un problème de méthodologie…
À moins que vous ne rectifiiez les chiffres, auquel cas notre commission pourrait revoir sa position, nous émettrons un avis défavorable sur cet amendement, car nous souhaitons préciser la montée en puissance des effectifs de la réserve opérationnelle.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Les questionnaires ne remplaceront jamais le ministre !
La rédaction adoptée par la commission traduit une ambition réduite.
Je suis prêt à rectifier mon amendement pour introduire une chronique dans le texte, mais il conviendrait dans ce cas de suspendre la séance quelques instants, le temps de réaliser le tableau.
Mais mon engagement de ministre, consigné au Journal officiel, peut aussi suffire à éclairer le Parlement sur les objectifs du Gouvernement. Au fond, l’essentiel n’est pas de savoir si les objectifs seront atteints en 2030 ou en 2035 ; la vraie question est de savoir comment les réservistes seront répartis par armée, par service, voire par grade – il ne faudrait pas que l’augmentation du nombre de réservistes aboutisse à modifier le pyramidage des effectifs par grade. Il ne serait pas utile que la réserve soit constituée uniquement d’officiers. Une armée a aussi besoin de sous-officiers et d’hommes du rang. Une approche globale est nécessaire.
Je peux aussi, si vous le souhaitez, m’engager à ce que mes services remettent au Parlement un rapport sur la réserve opérationnelle, ou à venir présenter devant votre commission, lors d’une audition, la politique du Gouvernement en ce domaine. Je ne me dérobe pas, je souhaite faire preuve de transparence, car, pour atteindre les objectifs, nous devons avancer ensemble : il s’agit d’une affaire humaine et l’enjeu est de mobiliser la Nation pour inciter les gens à s’engager. Sur ce sujet, il ne suffit pas de prescrire des objectifs, il faut susciter la motivation.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cambon, rapporteur. Nous sommes très fâchés de constater que votre cabinet nous a fourni des réponses qui diffèrent des vôtres ! C’est pourquoi je vous propose de trancher ce point en commission mixte paritaire. Nous aurons le temps d’y réfléchir d’ici là.
En attendant, je maintiens un avis défavorable sur l’amendement. J’entends vos explications, mais je vous invite à demander à votre cabinet de vérifier les informations qu’il nous donne ! Il est difficile pour nous de travailler dans ces conditions. Nous vous avons soumis un questionnaire de quatre-vingt-deux questions afin d’éclairer le Sénat. Si les réponses ne sont pas bonnes, c’est compliqué… (Mme Marie Mercier applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour explication de vote.
Mme Marie-Arlette Carlotti. L’évolution de la réserve opérationnelle constitue l’un des éléments forts de la politique que vous portez. Au-delà de l’affichage, il convient de définir des objectifs, fussent-ils « mous ». C’est ce que la commission a voulu faire. Notre objectif est non pas d’imposer un « carcan », mais de donner une vision.
Si vous aviez rectifié votre amendement en séance, le groupe SER l’aurait soutenu. Toutefois, et j’ai écouté le président Cambon, en l’état, il nous est difficile de le voter.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. L’adoption de l’amendement du Gouvernement aurait pour effet de supprimer la chronique de l’évolution des effectifs de la réserve. Puisque nous travaillons en bonne intelligence, je le retire, ce qui permettra de conserver le tableau dans le texte, afin que ce dernier constitue un point d’accroche de la discussion en commission mixte paritaire. Je vous invite à le compléter, à le légender pour décrire la politique publique en matière de réserve, en détaillant les objectifs par grade, par service, etc. Il est important de préciser que la cible est indicative, et non prescriptive.
Mme le président. L’amendement n° 241 est retiré.
L’amendement n° 292, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Le ministère adaptera la réalisation des cibles d’effectifs fixées par le présent article et sa politique salariale en fonction de la situation du marché du travail.
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cet amendement vise à rétablir une disposition qui a été supprimée lors de l’examen en commission. Pourtant, cette disposition offre une souplesse dans la gestion des ETP bien appréciable dans les relations entre le ministère des armées et Bercy. Elle est très utile aux états-majors. Au nom de mon ministère, je plaide fortement pour le retour à la rédaction initiale. Veillons à ne pas revenir à un cadre de gestion des ETP rigide.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Je vous suggère, monsieur le ministre, de convaincre d’abord le Conseil d’État ! Celui-ci a considéré, dans son avis du 30 mars 2023, que l’alinéa que nous avons supprimé était « obscur ». Sa portée normative apparaissait limitée. Les recrutements du ministère des armées ne doivent dépendre que de ses besoins opérationnels, exprimés par les armées. Il n’est pas souhaitable qu’ils dépendent de la situation du marché du travail.
La commission émet donc, à ce stade, un avis défavorable.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cet alinéa est peut-être « obscur » pour le Conseil d’État, mais il est bien utile pour les armées ! Ne m’avez-vous pas dit plusieurs fois, lors de mon audition, que vous souhaitiez « défendre » le ministère des armées ?
L’alinéa concerné comporte une mesure de souplesse qui aide les employeurs militaires. Il s’agit de permettre au ministère d’adapter sa politique salariale en fonction de la « situation sur le marché du travail », afin de lui permettre de lutter contre le dumping, dont je parlais tout à l’heure pour les métiers du cyber, d’aménager l’architecture des postes ou les systèmes de rémunération, etc. Je ne m’exprimerai pas dans Le Figaro la prochaine fois…
Il importe de ne pas créer une rigidité qui ne serait pas profitable aux armées françaises. Je le redis, avec la même chaleur et le même engagement que le président Retailleau tout à l’heure : l’adoption du texte de la commission en l’état priverait le ministère d’un bon outil pour les armées, même si je note que vous voulez faire plaisir au Conseil d’État… J’appelle donc le Sénat à voter cet amendement, non pas parce qu’il vient du Gouvernement, mais parce qu’il est bon pour les armées. Je ne peux pas dire mieux.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour explication de vote.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Voilà encore un amendement de souplesse, encore une rédaction souple ! Nous ne voulons pas faire plaisir au Conseil d’État, mais cet amendement est confus.
La commission a émis un avis défavorable parce qu’il laisse entendre que les recrutements se feraient non pas dans l’intérêt des armées, mais en fonction du marché du travail. Cette mesure va à l’encontre des objectifs de fidélisation ou d’attractivité, que vous avez mentionnés tout à l’heure et que nous défendons aussi.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cambon, rapporteur. J’entends vos observations, monsieur le ministre. Je vous propose de revoir la rédaction de votre amendement d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire. Nous apprécierons alors si notre position peut évoluer.
En attendant, je maintiens notre avis défavorable.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je maintiens cet amendement qui donne au ministère des armées de la souplesse dans ses négociations budgétaires annuelles avec Bercy pour s’adapter en fonction de l’évolution de la situation du marché du travail.
Le cadre est fixé par la programmation militaire. Mais des tensions peuvent apparaître ici ou là, dans certains bassins d’emplois ou surtout dans certains métiers. Dans ce cas, l’employeur militaire peut alors conserver ses ETP et les redistribuer en fonction des besoins. C’est le travail du major général des armées – la direction générale de l’armement et le service de santé des armées fonctionnent un peu différemment.
Le ministère dispose de cette souplesse dans ses échanges avec Bercy grâce à l’alinéa que vous souhaitez supprimer. Si cette disposition n’existait pas, cette faculté ne serait plus possible. J’y insiste, la suppression de cet alinéa ne constituerait vraiment pas une bonne nouvelle pour le ministère des armées ! J’ajoute que j’ai été autorisé à déposer cet amendement en interministériel.
Pour le bien du ministère des armées, je vous appelle donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter cet amendement.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
La présente programmation fera l’objet d’une actualisation par la loi avant la fin de l’année 2026. Précédée d’une actualisation de la Revue nationale stratégique, cette actualisation permettra de vérifier l’adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens alloués. Elle permettra également de consolider la trajectoire financière et l’évolution des effectifs en fonction des besoins mis à jour au regard de l’inflation, du contexte stratégique du moment et des avancées technologiques constatées.
Cette actualisation sera suivie de la mise en place d’une commission chargée de l’élaboration d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en vue de la prochaine loi de programmation militaire.
Mme le président. L’amendement n° 61 rectifié bis, présenté par MM. Bonneau et J.M. Arnaud, Mme Billon, MM. Levi, Kern, Détraigne et Chasseing, Mme Gatel, M. A. Marc, Mmes Ract-Madoux et Saint-Pé et MM. Le Nay et Belin, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
tout en prenant en compte la vie et la dignité de la personne humaine
II. – Compléter cet article par six alinéas ainsi rédigés :
Afin de garantir le respect des vies et de la dignité humaine lors de la mise en œuvre de cette programmation, les points suivants doivent être pris en compte à l’occasion d’un rapport transmis par le Gouvernement au Parlement. Ce rapport comprendra :
- Une évaluation des impacts sur les vies humaines et la dignité humaine. Cette évaluation devra prendre en considération les conséquences directes et indirectes sur les individus et les communautés, en accordant une attention particulière aux populations vulnérables ;
- Une évaluation sur la protection des droits fondamentaux. Les mesures prises ne devront en aucun cas porter atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou mentale, à la liberté et à la dignité des populations civiles ;
- Des mécanismes de surveillance et de contrôle. Ces mécanismes de surveillance et de contrôle devront être mis en place pour garantir que la mise en œuvre de la programmation respecte les vies et la dignité humaine.
Ce rapport est remis par le Gouvernement au Parlement dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi.
En cas de préjudices avérés causés aux vies ou à la dignité humaine dans le cadre de la mise en œuvre de la programmation, des mécanismes de réparation appropriés devront être mis en place. Les personnes affectées devront bénéficier d’un accès à des voies de recours efficaces et équitables, et des mesures correctives devront être prises pour rétablir leur dignité et compenser les préjudices subis.
La parole est à M. François Bonneau.
M. François Bonneau. Cet amendement a pour objet de garantir que la mise en œuvre de la programmation se fera dans le respect des vies et de la dignité humaine. Il vise à renforcer les principes éthiques et les droits fondamentaux qui doivent guider toutes les actions militaires entreprises dans le cadre de cette loi. En cas de préjudices avérés causés aux vies ou à la dignité humaine, des mécanismes de réparation appropriés devront être mis en place pour assurer une protection adéquate des personnes affectées.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Nous sommes évidemment très sensibles à la dimension éthique et au respect du droit international humanitaire. La France tient ces notions pour tout à fait fondamentales. Toutefois, cet amendement n’a pas sa place à l’article 7 puisque ce dernier concerne les conditions d’actualisation de la programmation militaire.
La commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Monsieur Bonneau, l’amendement n° 61 rectifié bis est-il maintenu ?
M. François Bonneau. Non, je le retire.
Mme le président. L’amendement n° 61 rectifié bis est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 242, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Sébastien Lecornu, ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Il s’agit là encore d’un amendement d’appel sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Je n’ai pas d’opposition de principe à la réalisation de Livres blancs, mais force est aussi de constater que les deux derniers ont été conçus pour donner une légitimité technique à une décision de réduction des crédits militaires. En tout cas, c’est ainsi qu’ils ont été perçus, d’un point de vue « rétinien », au sein du ministère. Il faut tenir compte de cette réalité.
Devons-nous réfléchir à une forme de comitologie à l’avenir qui permettrait de réfléchir tous ensemble ? La réponse est oui. Le sénateur Temal a ainsi ouvert le débat lors de son intervention dans la discussion générale.
Le président Cambon l’a dit : jamais une loi de programmation militaire n’a fait l’objet d’un tel travail de préparation. Le Gouvernement a tenu compte de toutes les contributions des parlementaires et des rapports des commissions, à la différence de ce qui s’était passé lors de la réalisation des derniers Livres blancs, car certains think tanks ou lobbies d’intérêt avaient su se faire davantage entendre que les parlementaires. (M. Rachid Temal acquiesce.)
Or, dans les démocraties représentatives, la loi fait l’objet d’une construction avec le Parlement. Celui-ci doit donc être écouté. C’est le cas en l’espèce : le nombre d’amendements déposés à l’Assemblée nationale ou au Sénat sur le projet de loi de programmation militaire le prouve. L’article 1er ainsi que votre intervention lors de la discussion générale, monsieur Temal, valent tous les Livres blancs : vous avez cité toutes les menaces, il ne manquait que l’Iran…
Je ne me battrai pas sur cet amendement, à la différence de ce que j’ai fait pour le précédent, dont le rejet constitue une mauvaise nouvelle pour le ministère des armées.
Il importe de définir un cadre de discussion. Nous devons nous appuyer sur les orientations politiques des parlementaires. Je préfère débattre avec le président Laurent ou avec la sénatrice Gréaume, qui expriment leurs convictions à la tribune sur le nucléaire ou sur l’Otan, même si je ne suis pas d’accord avec eux, que m’efforcer de capter l’appui de lobbies, qui ont intérêt à faire la promotion d’amendements ou à faire inscrire leurs préconisations dans un Livre blanc. Le dernier qui a été rédigé a révélé à cet égard de sérieuses limites et difficultés.
Je suis en tout cas favorable à ce que l’on continue à réfléchir à une méthodologie pour l’avenir. Il me semble que cette démarche participe à la construction de la loi.
Mme le président. L’amendement n° 76 rectifié, présenté par MM. Temal et Kanner, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Todeschini, M. Vallet, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
place
insérer les mots :
, avant le 30 juin 2028,
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Cet amendement vise à renforcer le dispositif relatif à la mise en place d’une commission chargée de rédiger un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Pour que cette mesure soit effective, il est proposé que la commission soit installée avant le 30 juin 2028. La LPM qui succédera à la LPM pour les années 2024 à 2030 devra en effet être votée au cours de l’année 2029.
Le rôle d’un Livre blanc est de définir une stratégie globale de défense et de sécurité. Son élaboration est également l’occasion de donner une certaine visibilité à l’ensemble des acteurs chargés de notre sécurité, de ceux qui produisent les matériels militaires à ceux qui les utilisent, c’est-à-dire les militaires, en passant par celles et ceux qui votent les budgets, c’est-à-dire les parlementaires.
Le document est, à nos yeux, aussi important, puisqu’il sert de référence pour définir des objectifs et une vision stratégique dont nous avons besoin, que l’exercice de concertation qui l’accompagne. Cette dernière a cruellement manqué dans le cas du texte que nous examinons…
Je ne souscris d’ailleurs pas à votre avis selon lequel le seul objectif d’un Livre blanc serait de réduire le budget. Nous sommes attachés à la concertation, au travail de réflexion approfondi et sérieux qui, sur un sujet aussi régalien que la défense nationale, demande un engagement de toutes et de tous. Il y va de notre sécurité et de la paix à laquelle nous aspirons. Le Sénat entend jouer pleinement son rôle dans l’exercice de concertation fourni par le Livre blanc.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. L’amendement n° 76 rectifié, déposé par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est en quelque sorte le résultat de la frustration que nous avons ressentie durant la préparation de ce projet de loi de programmation militaire.
En effet, la revue stratégique qui nous a été communiquée a été rédigée avec une rapidité excessive, sans que le Parlement ait été véritablement associé à sa conception comme cela avait été le cas précédemment. Nous soutenons donc cette demande, relative à la préparation de la loi de programmation militaire qui succédera à ce texte-ci : cela aura lieu autour de 2028, on a encore le temps d’y réfléchir.
La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement, dans la perspective de la nécessaire constitution de la commission préparatoire au Livre blanc.
En revanche, l’avis de la commission sur l’amendement n° 242 du Gouvernement est défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 76 rectifié ?
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Ce débat sur le Livre blanc témoigne des problèmes que j’ai essayé de présenter dans ma défense de la motion tendant à opposer la question préalable : quelques débats que nous ayons sur le fond, le Parlement, dans son ensemble, éprouve une très grande frustration quant à la préparation stratégique de ce projet de loi de programmation militaire. Quoi qu’en disent les différents orateurs, ce manque de partage dans la conception de ce texte se fera toujours plus ressentir au fur et à mesure des évolutions, désormais extrêmement rapides, de la situation internationale et des enjeux de défense.
Le texte que nous examinons, tel qu’il a été amendé par la commission, renvoie encore ce travail très loin. C’est pourquoi je voterai en faveur de l’amendement de nos collègues socialistes, qui tend au moins à rapprocher la perspective des futurs travaux sur ce sujet.
En effet, le travail qui n’a pas été mené sur le présent texte est indispensable et le restera. Si on le repousse jusqu’à la fin de la période couverte par ce texte, il sera trop tard. Nous n’avons pas eu de débat sur l’actualisation de la LPM en vigueur ; nous avons raté la préparation de ce texte-ci. Prévoir d’en rediscuter dans sept ans seulement, c’est trop lent, au vu de la vitesse à laquelle les choses évoluent. Il faut des échéances plus rapides et plus sérieuses.
Dès lors, malgré la frustration que nous inspire la situation, je voterai, avec les autres membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste l’amendement n° 76 rectifié, car son adoption permettrait de faire advenir plus tôt ce travail, collectif et national, qui est absolument indispensable.
Mme le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Monsieur le ministre, vous évoquez la question du Livre blanc en faisant référence au passé. Je pensais que, dans le nouveau monde, on ferait la même chose, ou mieux !
Il s’agit, comme vous l’avez reconnu, d’associer au travail l’ensemble des parlementaires. Mais je voudrais élargir encore un peu l’espace du débat : au-delà du Parlement, on peut se poser la question de l’association des Français à ce travail.
On le voit bien en Ukraine, quand la population se sent concernée par sa propre sécurité, elle peut être associée aux décisions. Pourtant, en France, le débat sur les questions de défense se tient assez peu au Parlement et encore moins avec les Français. Nous n’avons certes pas déposé d’amendement à cette fin, mais il faudrait peut-être, dans la prochaine phase, celle de la préparation d’une loi de programmation militaire qui viendrait succéder à ce texte-ci, réfléchir à une association plus large des Français à ce processus. Cela me semble essentiel : si l’on veut que la position de notre pays sur les questions de défense soit partagée par la population, autant que les Français y soient associés en amont.
Vous avez vous-même su, par le passé, organiser de grands débats. On pourrait imaginer différentes formules, mais, quoi qu’il en soit, nous serons encore confrontés à ce sujet après l’entrée en vigueur de ce texte.
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. On pourrait avoir deux débats différents sur ces deux sujets : le Livre blanc et l’association des Français.
Je suis absolument convaincu de la nécessité d’associer davantage la population à ce débat. Je dirais même plus : il faudrait davantage y associer les élites aussi. En effet, comme je l’ai suffisamment rappelé à cette tribune, quand on entend certains commentateurs placer la France dans la même position que l’Ukraine, prétendre que nous ne pourrions tenir qu’un front de 80 kilomètres pendant quinze jours, on constate que certaines élites parlent sur les plateaux de télévision sans avoir rien compris à notre modèle d’armée !
M. Rachid Temal. Sont-ce des élites ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. La question est posée !
À mes yeux, l’expression « Livre blanc » renvoie à deux exercices normés qui, dans leur pratique, n’associaient pas la population. En l’employant, vous n’échapperez pas au fait qu’une partie de notre écosystème politico-militaire se référera aux exercices du passé.
M. Rachid Temal. Livre kaki, alors ! (Sourires.)
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cette possibilité d’avoir des débats avec la population me fait penser à la séquence dont je sors, à ce qui s’est passé autour de l’Ukraine, et au bon débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur l’Afrique, avec les questions sur les raisons de la mort de nos militaires ou sur l’utilité de l’opération Barkhane.
À ce propos, madame Gréaume, j’ai presque bondi quand vous avez comparé le nombre de nos chars Leclerc et celui des chars russes. Nous ne sommes pas une armée d’agression ! Notre modèle est purement défensif. Et c’est précisément grâce à notre dissuasion nucléaire que nous n’avons pas les mêmes besoins que d’autres en matière d’armement conventionnel. De fait, si vous vouliez supprimer la dissuasion nucléaire, il faudrait aussi que vous déposiez en urgence des amendements visant à augmenter la cible à 1 000 chars, puisque, pour le coup, on devrait revenir à d’autres techniques de défense.
Les modèles sont ce qu’ils sont, monsieur Laurent, mais il est injuste d’affirmer que le travail n’a pas été fait. Il l’a été, même s’il a abouti à des conclusions que vous ne partagez pas !
M. Pierre Laurent. Il a été fait par peu de personnes !
M. Pierre Laurent. Ils ne doivent pas le faire seuls !
M. Sébastien Lecornu, ministre. … et il a été fait devant vous, devant votre commission. J’ai d’ailleurs répondu – avec un succès limité, je le reconnais – à davantage de questions sur les marges frictionnelles que sur le rôle de la France au sein de l’Otan, évoqué par M. Temal. En revanche, l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale nous a permis d’avoir ce débat pendant deux semaines.
M. Pierre Laurent. Les militaires sont parfois moins réticents que les politiques…
Mme le président. M. le ministre a seul la parole, mon cher collègue !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Les militaires sont prêts à débattre, y compris de la dissuasion nucléaire. Mais qu’est-ce que l’examen par le Parlement d’un projet de loi de programmation militaire, sinon un débat sur la défense nationale ?
À ce propos, comme je l’ai déclaré dans un entretien accordé à un quotidien paru ce matin, j’aurais préféré en tant que citoyen que, lors des dernières élections législatives et de la constitution de l’alliance dite de la Nupes,…