Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, je veux répondre à vos inquiétudes.
Je rappelle qu’il peut être difficile pour les maires de baisser le taux de la taxe foncière pour faire face à l’augmentation de la base, compte tenu de la situation financière dans laquelle se trouvent les communes.
Votre intervention m’inspire plusieurs réflexions.
L’épargne brute des communes est de 15 % et est en augmentation de plus de 15 % entre le 30 septembre 2022 et le 30 septembre 2023. Cela rejoint le diagnostic posé par la Cour des comptes, selon laquelle, à la fin de l’année 2022, les collectivités territoriales étaient dans des situations bien plus favorables qu’avant même le début de la crise. Votre argument n’est donc pas bon.
Le deuxième argument que vous avancez est la baisse des dotations.
Je rappelle que la DGF, que nous aurons déjà augmentée de 320 millions d’euros en 2023, augmentera encore de 220 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2024 ; c’est le projet qui est le nôtre. Voilà douze ans qu’une telle augmentation de la DGF n’était pas arrivée ! C’est d’ailleurs ce qui permet que plus de 90 % des communes voient leur DGF augmenter.
Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que c’est la suppression de la taxe d’habitation qui conduit les maires à augmenter la taxe foncière ; j’y reviendrai. Cette suppression a été compensée à l’euro près, de manière dynamique avec le coefficient correcteur, et alors que nous avons donné une base qui est elle-même dynamique.
Enfin, en matière de tax bashing, nous avons de la marge, madame la sénatrice, puisqu’il me semble que nous sommes sur le podium des pays européens pour ce qui est des taux de prélèvements obligatoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, rénovation thermique des bâtiments, petite enfance, adaptation au vieillissement de la population, revitalisation, sécurité : les communes sont sur tous les fronts, toujours plus mobilisées financièrement pour assurer des missions transversales, sans toujours bénéficier des ressources propres suffisantes.
Oui, 15 % à 16 % des collectivités ont décidé d’augmenter leur taux de taxe foncière ; plus de la moitié d’entre elles par des taux inférieurs à 1 point. Le phénomène est marginal, mais compréhensible.
Comme mon collègue Pascal Savoldelli l’a rappelé tout à l’heure, l’autonomie fiscale des collectivités atteint sa cote d’alerte. C’est au cœur du débat de ce soir.
Le premier responsable des finances locales est aujourd’hui l’État. Cette situation est tout à fait intenable, sous la pression des charges externes et tirées vers le haut par les dépenses de fluides, par exemple. Depuis le début du premier quinquennat de M. Macron jusqu’aux dernières données disponibles, celles de 2022, les communes ont dû s’acquitter de 3,73 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Cette explosion de 13,04 % doit être mise en regard de la diminution de 180 millions d’euros de la première recette des collectivités locales : la DGF.
Les collectivités alertaient déjà sur cette situation impossible quand le Gouvernement décidait de supprimer la taxe d’habitation et sur un report d’imposition vers la taxe foncière. Le Gouvernement, feignant de ne pas entendre, niait sa responsabilité – comme il le fait aujourd’hui, monsieur le ministre –, en prétendant compenser à l’euro près la taxe d’habitation aux communes.
De ce point de vue, les maires ont, ces dernières années, appris la prudence…
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. Éric Bocquet. Pire, le Gouvernement décide unilatéralement d’actualiser des valeurs locatives plutôt que d’engager la révision générale, qu’il préfère repousser aux calendes grecques. Une ordonnance du 7 janvier 1959 avait prévu : d’abord, une « révision générale toutes les six années du loyer moyen fictif annuel » ; ensuite, une « majoration tous les trois ans » ; enfin, une « actualisation forfaitaire tous les ans ».
Une seule révision a eu lieu, en 1980, et on n’a vu aucune majoration !
Dès lors demeure la solution de facilité, à savoir l’actualisation de la valeur des bases pour toutes les valeurs locatives, indistinctement de l’année de construction du bien, de son état général, de son confort, de ses besoins ou non d’investissement ; une augmentation de 7,1 %, aveugle aux conditions de logements, aux évolutions urbaines et géographiques, qui, depuis cinquante ans, ont été bouleversées par la métropolisation du territoire. C’est votre décision.
Et je me dois de noter que la seule chose qui n’est pas indexée, ce sont les salaires des travailleurs et la DGF des collectivités. C’est un pari dangereux, contestable et contesté. Nous en discuterons ces prochaines semaines, dans le cadre du débat budgétaire.
Cette illisibilité des méthodes de détermination des bases et sa complexité inhérente engendrent des coûts de gestion globaux – frais d’assiette, recouvrement, coût des dégrèvements et admissions en non-valeur –, à un niveau de 1,8 milliard d’euros. À bien y regarder, ce ne sont ni plus ni moins que 377 140 dossiers non collectés l’année donnée, pour un manque à gagner de 144 millions d’euros ! Les raisons ? Notamment la disparition du redevable, mais plus encore l’insolvabilité de nos concitoyens et concitoyennes. Cela doit nous mettre en garde sur cette taxe, qui doit être refondée et actualisée afin de se conformer aux réalités sociales.
Par ailleurs, les inégalités territoriales se creusent depuis que le dernier levier fiscal d’importance restant s’articule autour du foncier bâti et non bâti. Pour s’en convaincre, le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties, en 2021, était de 14 millions d’euros à Mayotte, par exemple, quand il était de 1,06 milliard d’euros à Paris. En somme, les Mahoraises et Mahorais représentent 13 % de la population parisienne, mais 1,3 % de ses recettes de taxe foncière.
Monsieur le ministre, j’aimerais enfin, s’agissant des inégalités territoriales, rappeler que votre augmentation de taxe foncière frappera aussi les offices HLM et leurs locataires, car la taxe foncière représente l’une des principales charges des bailleurs sociaux aujourd’hui.
Vous devez à tout le moins traiter le problème de la sous-compensation aux collectivités du régime fiscal actuel, qui prévoit une exonération d’une durée de quinze à trente ans pour les nouveaux logements sociaux. Pour ceux qui ont été financés avant 2022, la compensation des exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties est évaluée à 12 % en 2019, soit 86 millions d’euros de compensations, sur un total d’exonérations de 715 millions d’euros. Nous demandons une compensation pérenne à 100 % des exonérations décidées par l’État. Le logement social se porte mal, très mal, et les décisions du Gouvernement depuis 2017 en sont les principales responsables.
Votre responsabilité dans les conséquences de votre hausse de la taxe foncière est pleine et entière. Cette augmentation affecte également les bailleurs et locataires du parc social.
Ce débat est là pour nous le rappeler ! Nous nous en félicitons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, je le répéterai dans cette enceinte chaque fois que l’on affirmera le contraire : le Gouvernement n’a pas augmenté la taxe foncière.
Le législateur a décidé que les bases étaient indexées sur l’inflation. Pour notre part, nous n’avons rien fait. Il n’y a eu aucun acte du Gouvernement, contrairement à ce que vous m’avez donné l’impression d’affirmer dans vos propos.
Nous avons décidé de décaler la revalorisation des bases de deux ans, à la fois pour les particuliers et les locaux professionnels.
Nous avons avancé sur une solution technique s’agissant des locaux professionnels. Nous allons d’ailleurs rencontrer la semaine prochaine les associations d’élus pour voir si les pistes que nous avons instruites sont susceptibles de recueillir leur assentiment et si elles soulèvent des difficultés.
Nous n’avons donc pas renoncé, mais convenons que c’est un exercice technique difficile.
Enfin, pour ce qui concerne les bailleurs sociaux, je vous rappelle que la construction de logements sociaux donne lieu à une exonération de taxe foncière.
Et le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une exonération pour ceux d’entre eux qui procèdent à des rénovations énergétiques importantes : il s’agit du dispositif « Seconde vie », qui vise à répondre à une demande de l’Union sociale pour l’habitat (USH).
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues du groupe communiste d’avoir pris l’initiative de ce débat sur la taxe foncière.
La hausse de cette taxe, seul levier fiscal restant à la main des collectivités, alimente polémiques et controverses depuis son arrivée dans les foyers. L’intervention télévisée du Président de la République, le 24 septembre dernier, y a largement contribué. Il est inutile de dire que les propos du chef de l’État ont profondément choqué les maires, qui – rappelons-le – n’ont, dans leur très grande majorité, pas touché aux taux communaux, alors même que la situation financière de leur commune l’aurait amplement justifié.
Encore une fois, le Président de la République choisit sa cible : les élus locaux ! Le fait n’est pas nouveau. Nous nous souvenons tous ici de ces prétendus élus mauvais gestionnaires, trop nombreux et qui coûteraient trop cher aux finances publiques.
Nous nous souvenons tous ici aussi de l’appel aux maires lors de la crise des « gilets jaunes », de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine.
Tour à tour conspués, puis encensés, les élus locaux, qui sont tous les jours sur le terrain, au plus près des besoins et des difficultés des habitants, n’en peuvent plus d’autant de mépris.
Le retour de l’inflation, qui met à rude épreuve le budget des ménages et des collectivités, a mécaniquement entraîné la revalorisation des valeurs locatives cadastrales. Cette augmentation des bases, de 7,1 % cette année, devrait, selon toute vraisemblance, se situer autour des 5 % l’an prochain et peser de fait une nouvelle fois sur les ménages, certes propriétaires, mais dont les revenus sont modestes et déjà fortement touchés par la hausse du coût de l’énergie.
La suppression de la taxe d’habitation a notablement déséquilibré la fiscalité locale en la faisant reposer sur le seul foncier, mais aussi sur une seule catégorie de contribuables, entraînant un sentiment d’injustice de plus en plus sensible chez nos concitoyens. Ce débat sur la hausse du foncier pose donc avec une acuité particulière la question des ressources des collectivités et de leurs marges de manœuvre.
En quelques années, les collectivités ont dû contribuer au redressement des comptes publics et n’ont plus eu la possibilité de percevoir de taxe d’habitation. Quant à la CVAE, elle ne sera bientôt plus qu’un souvenir.
Dans le même temps, les charges ont explosé du fait de la conjoncture ou de décisions de l’État. Si l’on ne peut que se réjouir du traitement plus avantageux dont bénéficient les fonctionnaires, la hausse du point d’indice constitue cependant une charge nouvelle importante pour les collectivités.
Insidieusement aussi, au fil du temps, les transferts de charges se sont accentués, que ce soit pour la délivrance des cartes d’identité ou l’accueil dans les maisons France Services, sans la compensation correspondante.
Dans ce contexte, nous aurions pu imaginer que la DGF soit de nouveau indexée sur l’inflation ou, à tout le moins, qu’elle tienne compte de ces nouvelles contraintes… Mais cela ne semble pas être la volonté du Gouvernement.
En tout cas, le prochain projet de loi de finances n’incite guère à l’optimisme. Comment des communes limitées dans leur développement urbanistique, sans possibilité de percevoir de taxes ou de toucher au peu qui reste, et sans dotations suffisantes, pourront-elles agir demain ?
Dans la crise démocratique que nous connaissons, il est plus que souhaitable de renforcer notre socle républicain. Parce que les communes constituent le premier échelon de la démocratie locale, il est urgent de poser un nouvel acte de décentralisation et de déterminer un panier de ressources pour ces dernières, comme pour les autres collectivités, afin de garantir leur liberté d’action. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commençons malheureusement à en avoir une certaine habitude : le Président de la République est coutumier des formules à l’emporte-pièce et des attaques en règle contre les élus locaux. Soit !
Mais le dimanche 24 septembre dernier, en s’en prenant directement aux élus locaux lors d’un entretien sur TF1 et France 2, il a clairement dépassé les limites admissibles, distendant un peu plus encore le lien de confiance entre ceux-ci et l’État, lien passablement endommagé sous sa gouvernance.
Passons sur le fait que s’adresser sciemment à nos concitoyens au moment même où arrivent les résultats d’élections sénatoriales peu favorables à ses troupes n’est pas forcément d’une élégance rare de la part d’un chef de l’État…
Mais oser dire, comme il l’a fait : « Quand vous avez votre taxe foncière qui augmente, ce n’est pas le Gouvernement. C’est votre commune qui le décide. Et c’est un scandale quand j’entends des élus qui osent dire que c’est la faute du Gouvernement. » Alors là, oui, monsieur le ministre, c’est parfaitement indigne et malhonnête intellectuellement pour qui connaît un tant soit peu le fondement de la situation. Comme le dit l’adage : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ! »
Tout d’abord, il est bon de rappeler que les taux communaux de taxe foncière en question s’appliquent sur des bases qui sont, que vous le vouliez ou non, de la responsabilité de l’État et de la majorité. En cette année 2023, on parle d’une hausse de 7,1 % des bases, contre 3,4 % l’année passée. C’est un véritable festival !
Ensuite, aucun élu local ne pense ni ne dit d’ailleurs que la taxe foncière est un impôt d’État ! Les taux de taxe foncière, qu’elle soit sur le bâti ou le non bâti, sont en effet, et fort heureusement, encore votés en conseil municipal. C’est même le dernier levier fiscal restant aux communes après le véritable hold-up en règle commis sur la taxe d’habitation, en violation totale – là encore, que vous le vouliez ou non – avec l’esprit de l’article 72 de notre Constitution et du principe même de libre administration des communes, qui est si cher au Sénat.
Je rappelle que le contexte financier est extrêmement difficile pour les communes, entre inflation et baisse des dotations de l’État, augmentation des fluides, prolifération normative, péréquations de tout poil, sans même parler du Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France (FSRIF) ! La taxe foncière est donc, malheureusement, pour certains élus locaux, l’unique moyen de maintenir un niveau de service public satisfaisant dans leur commune, et donc la cohésion sociale, qui est tellement nécessaire dans un pays aussi fracturé.
J’ajoute que ces décisions d’augmentation de la taxe foncière, prises par seulement 14 % des 35 000 communes de France, sont généralement mesurées et calculées pour que la charge fiscale globale des ménages reste inférieure à ce qu’elle était avant la disparition de la taxe d’habitation, avec pour objectif essentiel de préserver la qualité des services publics, tout en maintenant la dette à un faible niveau et en poursuivant un programme d’investissements durables. En somme, les principes de base d’une saine gestion à l’œuvre dans nos communes !
En vérité, le sujet central que révèle cette insupportable polémique, c’est que nous constatons amèrement les effets délétères du phénomène de recentralisation massive qui frappe de plein fouet nos collectivités. Les maires n’ont plus qu’un seul levier fiscal pour y faire face : la taxe foncière !
Je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE-Kanaky, notamment Pascal Savoldelli, d’avoir organisé ce débat.
Lorsque le chef de l’État sera en capacité d’équilibrer le budget de notre pays – une contrainte qui s’impose rigoureusement aux maires –, il pourra éventuellement venir nous donner des leçons. Mais pas avant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, j’ai l’impression que vous passez, peut-être avec un peu de malice, de l’autonomie financière à l’autonomie fiscale.
Quand on supprime la taxe d’habitation et qu’on la compense, on ne rompt pas le principe qui garantit l’autonomie financière telle qu’elle est prévue par l’article 72 de la Constitution (M. Jean-Raymond Hugonet le conteste.),…
Mme Pascale Gruny. Vous jouez sur les mots !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … car on garantit les ressources. Ce qui est garanti, c’est non pas l’autonomie fiscale, mais l’autonomie financière ; je pense que vous le savez pertinemment.
Vous dites, et cela illustre bien le débat que nous avons, que les maires qui ont augmenté la taxe foncière l’ont fait en évitant que cette hausse ne soit pas complètement à la hauteur de la suppression de la taxe d’habitation. Or cette suppression a été décidée pour redonner du pouvoir d’achat, et non pour permettre aux maires d’augmenter la taxe foncière ! Nous sommes un peu dans un dialogue de sourds… (M. Jean-Raymond Hugonet acquiesce.)
La hausse de la taxe foncière ne peut en aucun cas être justifiée par la suppression de la taxe d’habitation puisque celle-ci a été compensée à l’euro près. Je pense qu’il faut donc replacer cette question dans un débat purement local, car il s’agit de fiscalité locale. Les décisions prises à l’échelon national n’ont rien à voir avec les décisions locales d’augmentation, ou non, des taux. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, sauf votre respect, c’est en effet un dialogue de sourds !
J’aimerais que vous puissiez mettre vos grandes compétences réellement au service des communes. Je vous le dis très sincèrement en tant qu’élu assumant son mandat depuis vingt-cinq ans, comme peut-être nombre de mes collègues ici.
Vous êtes en décalage profond. Personne n’a été dupe de ce coup de bonneteau que l’on a fait avec la taxe d’habitation. Contrairement à ce que vous avez dit, il ne s’est pas agi de redonner du pouvoir d’achat ; cela, c’était un hold-up politique. La réalité, c’est que nous croulons sous les taxes ! Mais peut-être ne vivons-nous pas dans le même pays ?
Croyez-moi, nous ne connaissons pas dans nos communes la situation que vous exposez. Votre présentation, brillante, est – permettez-moi de vous le dire – verbeuse. Sortez de votre ministère et allez voir dans nos territoires, quels qu’ils soient, où ils en sont !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président; monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la question fiscale qui occupe la rentrée – la flambée de la taxe foncière – s’entremêlent plusieurs réalités.
Tout d’abord, pour 100 % des propriétaires, la valeur locative cadastrale, donnée de référence, a été révisée à la hausse à hauteur de 7,1 %. Cette hausse a un lien non pas avec la fiscalité locale, mais avec l’inflation des prix harmonisés à la consommation sur lesquels elle est directement indexée, annuellement, depuis la loi de finances de 2018. Notons au passage que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom) est touchée de la même manière.
Vient ensuite la part de hausse éventuellement votée par les collectivités. Entre 2022 et 2023, elle ne concerne finalement que 15 % des collectivités, dont 80 % ont procédé à une hausse de moins de 2 %. Les fortes hausses concernent moins de 1 000 collectivités sur 35 000. Les taux communaux de taxe foncière sont donc en réalité, pour 85 % des propriétaires, d’une grande stabilité.
Il s’agit pourtant de l’un des derniers leviers fiscaux dont disposent les collectivités, dans un contexte de forte hausse de leurs dépenses de fonctionnement liées à l’énergie ou aux achats alimentaires.
Malgré les tensions sur leurs finances publiques, les communes font le choix, dans leur grande majorité, de ne pas rechercher de revenu complémentaire dans cette fiscalité foncière. Beaucoup d’entre elles préfèrent miser sur un cercle plus vertueux pour faire recette : l’accueil de nouvelles populations.
À ce titre, je souhaite rappeler les inquiétudes d’un nombre croissant de communes concernant la tension foncière liée aux résidences secondaires. Ce sujet n’est plus seulement réservé aux zones littorales ou aux zones les plus touristiques. Cela préoccupe les maires de nombreuses communes rurales, qui étaient jusqu’alors bien loin de cette problématique. Et pour ceux qui y étaient déjà confrontés, le sujet devient insurmontable.
Nous avons eu à plusieurs reprises dans cet hémicycle le débat sur la corrélation entre les taux des impôts locaux, à laquelle doivent obéir les communes et leurs groupements.
Les collectivités ne peuvent pas agir sur le taux de taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS) sans alourdir la taxe foncière. Mais à la suite de l’apparition du « zéro artificialisation nette » (ZAN), le levier THRS n’est pas un moyen de faire de l’argent ; c’est une arme permettant de lutter contre la pression foncière, c’est-à-dire de limiter le développement des résidences secondaires au profit des résidences principales. Mais alors, lier une hausse de THRS à une hausse de taxe foncière pénalise tout autant les résidences principales… C’est devenu absurde !
Je note que le Gouvernement n’est pas favorable à la décorrélation des taux, au motif que la fiscalité ciblerait certaines catégories d’électeurs. Mais c’est bien la suppression, dès 2020, de la taxe d’habitation sur les seules résidences principales qui a entraîné cette différenciation, et non pas l’idée d’une future décorrélation !
Nous ne pourrons pas faire l’économie d’un nouveau débat sur le sujet au Parlement. La décorrélation des taux de taxe foncière et de taxe d’habitation est un enjeu croissant pour les collectivités en vue de l’accueil de nouveaux habitants.
Mais aussi, et surtout, le ZAN est passé par là. Cet objectif change totalement la donne : il exacerbe les difficultés des communes qui n’ont plus de réserve foncière et qui voient également s’envoler toute perspective de droits à construire dans les décennies à venir. Pour les maires concernés, ne pas avoir d’arme pour lutter contre le développement, même modeste, des résidences secondaires sur leur territoire est une double peine. Nous leur devons de retravailler la question dès l’examen du projet de loi de finances pour 2024.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe CRCE-Kanaky d’avoir pris l’initiative de ce débat important. Habituellement, je participe plutôt aux débats qu’ils proposent sur le soutien au ferroviaire… (Sourires.)
Le sujet des finances locales est très important et, honnêtement, très compliqué ! N’étant pas très versé dans internet, je reste basique, et je reçois mes feuilles d’impôt par la poste, ce qui fait fonctionner le service public postal ! (M. Jacques Fernique applaudit.)
Mme Cécile Cukierman. Bravo !
M. Marc Laménie. Je suis un peu le nostalgique de service ! (Sourires.)
En prévision de cette modeste intervention, je me suis penché plus avant sur mon dernier avis : la taxe foncière pour 2023, impôt local dû par les propriétaires d’un bien immobilier, est calculée en multipliant la base imposable du bien par le taux applicable.
Au niveau des 35 000 communes, qui représentent la démocratie de proximité – c’est une chance ! –, il y a une ligne « intercommunalité ». Il y a vingt-cinq ans ou trente ans, et même avant puisque la fiscalité locale est très ancienne, une ligne était consacrée au département et à la région. Pascal Savoldelli a évoqué la situation des départements. Je me souviens qu’à l’époque où j’étais conseiller général d’un petit canton des Ardennes, nous bénéficiions aussi d’une part de fiscalité.
On a longuement évoqué la suppression en 2021 de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Elle est, certes compensée à l’euro près – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – par le transfert aux communes de la part départementale, qui a donc été perdue par les départements, de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Personne ne parle de la suppression de la redevance audiovisuelle, qui représentait 3 milliards d’euros, personne n’en parle. Certes, comme nous le savons, la reconnaissance n’est pas un sentiment très répandu… Cette suppression a-t-elle permis de redonner du pouvoir d’achat, par exemple ? C’est un sujet d’actualité…
Lorsque je regarde mon avis de taxe foncière, je constate donc une hausse de 7,1 %. En décortiquant ce document, on s’aperçoit que figurent dans la part intercommunale la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la taxe spéciale d’équipement, la taxe « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (Gemapi)…
Je veux aussi évoquer les moyens humains des directions des finances publiques, ces interlocuteurs de qualité dont le métier est difficile et qui méritent notre reconnaissance, et saluer le travail des commissions communales et intercommunales de dévolution.
Je reste volontaire, mais c’est un combat permanent… Merci encore à nos collègues d’avoir pris l’initiative de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Savoldelli, vous avez souhaité organiser ce débat relatif à l’augmentation de la taxe foncière, et je vous en remercie. C’est en effet l’occasion d’échanger sur la hausse des bases, qui a pu être imputée par certains au Gouvernement.
Lorsque j’étais président de la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, j’ai toujours été partisan d’un dialogue sincère et constructif entre les élus locaux et l’État. Je reste sur la même ligne en tant que ministre chargé des comptes publics.
Or un dialogue sincère et constructif ne peut pas reposer sur des approximations, voire des contre-vérités. Vous le savez, depuis la loi de finances du 30 décembre 2017, les valeurs locatives cadastrales sont revalorisées chaque année au moyen d’un coefficient forfaitaire qui tient compte de l’indice des prix à la consommation harmonisé, publié par l’Insee au mois de novembre précédant la taxation. Les hausses de taxe foncière observées sont donc avant tout le résultat de l’inflation, mais aussi des choix locaux.
Soyons clairs, la taxe foncière est un impôt 100 % local. Ce sont bien les maires qui décident du montant de la taxe que paient leurs administrés, et c’est très bien ainsi. Je le rappelle, le Gouvernement n’a pris aucune décision en la matière.
Pour la prise en compte de l’inflation, une règle automatique a été votée en 2016 par le Parlement, à une très large majorité, et elle est appliquée sans exception depuis 2018.
L’an dernier, alors que le niveau de l’inflation était élevé, l’application de cette règle avait fait l’objet d’une demande unanime des associations d’élus locaux. C’est ce qui a été fait, afin de ne pas préempter les choix des élus locaux.
Ces élus ont ainsi pu décider librement d’augmenter, de maintenir ou de baisser le taux de cet impôt. J’observe d’ailleurs que la majorité des élus – cela a été dit au cours du débat – ont pris la décision de ne pas augmenter le taux de cette taxe : 85 % des communes ont opté pour un taux stable, soit un niveau supérieur à celui de 2022, où il se situait à 83 %. Par ailleurs, 463 communes ont fait le choix de réduire le taux pour protéger le pouvoir d’achat de leurs administrés, allant même parfois jusqu’à annuler l’effet de la revalorisation des bases. D’autres ont opté pour un partage de l’effet de l’inflation entre la commune et les contribuables.
Un choix différent a été fait par 14 % des communes, dont plusieurs grandes villes. Quelles en sont les raisons ? Il s’agit là d’un débat local qui doit avoir lieu entre le maire et ses administrés, et, là encore, c’est très bien ainsi.
Certains disent avoir été contraints de procéder à cette augmentation du fait du niveau de soutien de l’État. C’est faux ! Le débat n’a aucun lien ni avec le niveau des dotations de l’État ni avec la suppression de la taxe d’habitation.
Rappelons que l’État a fait sa part en 2023 en augmentant considérablement son soutien financier aux collectivités territoriales, que ce soit pour les investissements ou le fonctionnement : hausse de la DGF pour 90 % des communes ; doublement des dotations d’investissement à hauteur de 4 milliards d’euros avec le fonds vert ; mise en place d’un bouclier, d’un amortisseur et d’un filet de sécurité pour plus de 2 milliards d’euros.
Rappelons aussi que la suppression de la taxe d’habitation a fait l’objet d’une compensation intégrale et dynamique. Le bloc communal a bénéficié de l’affectation de l’intégralité du rendement de la taxe foncière, précédemment partagé avec les départements. En outre, pour assurer qu’aucune commune ne soit perdante, l’État abonde de près de 600 millions d’euros par an un mécanisme de correction.
La suppression de la taxe d’habitation n’a pas eu d’impact sur les collectivités territoriales. Sa seule conséquence est bien le soutien au pouvoir d’achat des ménages !
Tels sont les effets des choix opérés par le Gouvernement en faveur des Français. Cela représente en moyenne 760 euros par foyer et par an. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Affirmer que l’on augmente la taxe foncière pour compenser la suppression de la taxe d’habitation serait au final ne pas vouloir prendre ses responsabilités.
L’augmentation de la taxe foncière n’a pas non plus de lien avec la situation financière des collectivités. Celles-ci, dans leur majorité, connaissaient une situation financière favorable à la fin de 2022. (M. Pascal Savoldelli s’exclame. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est la Cour des comptes qui le dit, pas moi !
Bien sûr, la Cour des comptes rappelle qu’une situation globale positive n’exclut pas des disparités. En 2022, il se trouve que le nombre de collectivités en difficulté a significativement diminué. Le nombre de communes dont l’épargne brute est négative est ainsi passé de près de 6 000 à un peu moins de 5 000.
L’inflation continue d’être forte, mais les recettes de fonctionnement sont dynamiques. La situation financière du bloc communal au 30 septembre 2023 se révèle meilleure, globalement, qu’elle ne l’était au 30 septembre 2022.
Nous avons besoin d’avoir sur ces sujets un débat apaisé et constructif avec les collectivités locales. C’est la démarche que nous proposons, car c’est la seule qui marche !
Conclusion du débat