M. Emmanuel Capus. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer ici le travail de la commission des affaires sociales et celui de sa rapporteure, Frédérique Puissat, à qui je fais part de ma satisfaction de continuer à œuvrer de concert. Je félicite son pragmatisme, sa vivacité d’esprit – mais aussi de langage ! (Sourires.) –, ainsi que son efficacité en tant que rapporteure.
Philippe Mouiller, notre président de commission, affirme son style et nous donne le sentiment d’exercer cette fonction depuis toujours, comme s’il était tombé tout petit dans la marmite de la potion magique des présidents de commission.
Rapporter ce texte n’est pas un exercice facile, parce que nous avons l’obligation de ne pas le dénaturer, par respect pour le paritarisme.
Rappelons que l’accord relatif au partage de la valeur a été signé par sept organisations représentatives du patronat et des salariés.
Ne boudons pas notre plaisir lorsqu’il s’agit du respect du paritarisme, mes chers collègues !
Au lendemain de la conférence sociale, je réaffirme l’attachement de notre groupe au dialogue social, au paritarisme, ainsi qu’à la place et au rôle des corps intermédiaires.
Être favorable au paritarisme, cela signifie préférer le dialogue et la coconstruction à la verticalité du pouvoir.
Être favorable au paritarisme exige aussi que l’exécutif renonce aux tentations d’intrusion récurrentes dans la sphère du paritarisme.
Être favorable au paritarisme empêche des prélèvements autoritaires et unilatéraux de l’État, comme nous en connaissons parfois sur l’assurance chômage pour financer les politiques de l’emploi et de la formation ou comme nous en connaîtrons peut-être demain sur les retraites complémentaires du privé Agirc-Arrco.
Au travers de ce texte, je veux également saluer le retour en grâce de la négociation au sein des branches.
Un juste équilibre est à trouver entre négociations nationales et confédérales, négociations par branche et négociations au niveau de l’entreprise, à l’image de ce que produit ce qu’il est convenu d’appeler le modèle rhénan ; je pense à l’exemple du paritarisme en Allemagne.
Enfin, pour ce qui concerne le partage de la valeur lui-même, il est urgent de faire en sorte que le travail paie mieux dans notre pays – le travail qualifié, mais aussi, et surtout, le travail peu qualifié.
Revenons-en à présent au texte proprement dit.
Sur le fondement de l’article L. 1 du code du travail, le Gouvernement avait demandé aux partenaires sociaux d’engager des discussions, dans un contexte difficile marqué par les questions de pouvoir d’achat pour les salariés et par une grande incertitude économique pour bon nombre d’entreprises.
Nous saluons la démarche : les partenaires sociaux sont parvenus à un accord national interprofessionnel. Nous pouvons en être fiers collectivement et nationalement. J’ajoute que, depuis toujours, à l’exemple du président Larcher, le Sénat est attaché au paritarisme.
De manière générale, les dispositifs de partage de la valeur fonctionnent dans notre pays. En 2020, le montant moyen de la prime versée par les entreprises de plus de 10 salariés était de 2 440 euros, pour un total de 19 milliards d’euros à l’échelle nationale.
Notre commission des affaires sociales a modifié ce projet de loi en suivant deux objectifs : premièrement, assurer une transposition fidèle de l’accord afin de respecter la parole des partenaires sociaux ; deuxièmement, transposer les seules dispositions de l’accord qui nécessitent une modification de la loi.
Le présent texte tend à développer l’intéressement et la participation dans toutes les entreprises, y compris celles qui comptent moins de 50 salariés, et nous approuvons cette idée. Il comporte également des mesures concrètes visant à revaloriser le travail et à mieux associer les salariés. Je pense notamment à la question des classifications.
Dans un contexte d’inflation, de tensions de recrutement dans de nombreux secteurs d’activité et d’évolution du marché du travail, les classifications de branche revêtent aujourd’hui une importance particulière. Or, comme l’a dit M. le ministre, si les organisations représentatives de branche doivent en principe se réunir tous les cinq ans afin d’examiner la nécessité de réviser ces classifications dans le cadre des conventions collectives, ce n’est pas toujours le cas en pratique.
Ainsi, au 30 septembre 2023, 63 % des branches du secteur général n’avaient pas procédé à la révision des grilles de classification depuis plus de cinq ans, 43 % d’entre elles ne l’avaient pas fait depuis plus de dix ans et 9 % depuis plus de vingt ans ! L’enjeu est d’éviter que l’évolution des rémunérations ne soit trop « plate ».
Afin de transposer cette mesure dans la loi, l’article 1er prévoit l’ouverture avant le 31 décembre 2023 d’une négociation en vue de l’examen de la nécessité de réviser les classifications dans les branches n’ayant pas procédé à cet examen depuis plus de cinq ans. Il s’agit de développer le partage de la valeur, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME), et d’encourager la participation – c’est une bonne chose – dans les entreprises de moins de 50 salariés.
Ce texte permet de négocier, par accord de branche ou par accord d’entreprise, des formules de participation dérogatoires à la formule légale, laquelle constitue parfois un frein au développement du partage de la valeur dans ces entreprises.
En outre, en vertu de ce projet de loi, les entreprises de 11 à 50 salariés devront mettre en œuvre un dispositif de partage de la valeur dès lors que leur bénéfice net fiscal positif sera supérieur à 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois années consécutives. Ce mécanisme a pour but de rendre le dispositif obligatoire lorsque les entreprises concernées sont durablement bénéficiaires.
De plus, le projet de loi crée de nouveaux outils afin d’améliorer l’actionnariat salarié et de rénover certains dispositifs existants. Il crée ainsi un plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE) pour une durée de trois ans.
Mis en place pour l’ensemble des salariés et par accord d’entreprise, ce plan permet aux salariés de bénéficier d’une prime lorsque la valeur de l’entreprise a augmenté pendant ces trois années. Il s’agit là d’un outil innovant, qui permet de développer le partage de la valeur et la valorisation de l’entreprise tout en fidélisant les salariés – c’est important –, dans un contexte marqué par les tensions de recrutement.
Depuis plusieurs années, notre commission des affaires sociales soutient l’idée que la définition du niveau des salaires, dans notre pays, doit passer par l’indexation du Smic sur l’inflation au 1er janvier, avec des revalorisations intermédiaires lorsque l’inflation constatée est supérieure à 2 % pendant une période donnée.
C’est ainsi que le Smic a augmenté de 12,6 % depuis janvier 2021. Toutefois, du fait de cette indexation, un certain nombre de minima conventionnels passent sous le seuil du Smic – ce constat a été rappelé –, ce qui n’est pas acceptable. Notons d’ailleurs que quatre-vingt-cinq branches ont accompli un travail de remise à niveau conventionnel depuis le 1er mai dernier, date de la dernière revalorisation du Smic ; cet effort mérite d’être salué.
Je formulerai une dernière remarque de principe, concernant les primes défiscalisées et déchargées.
Il s’agit bien sûr d’une réponse concrète aux questions de pouvoir d’achat dans un contexte inflationniste. J’ai bien entendu les mises en garde formulées, notamment par Mme la rapporteure, s’agissant du risque de substitution. Pour notre part, nous pensons précisément qu’il faudra, dans un délai raisonnable, explorer de nouveau, dans le cadre du paritarisme et même – pourquoi pas ? – lors d’une grande conférence sociale, les questions de rémunération du travail, de coût du travail, de pouvoir d’achat et d’équilibre financier des caisses.
Mes chers collègues, vous l’avez compris : les membres du groupe Union Centriste voteront ce projet de loi, non seulement pour son contenu, mais aussi, beaucoup et même passionnément, par attachement au paritarisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon le Secours populaire, un Français sur trois est en situation de précarité alimentaire, soit dans l’incapacité de manger trois repas par jour ; selon l’Institut français d’opinion publique (Ifop), un Français sur quatre renonce à se soigner pour des raisons financières ; et, selon l’Insee, neuf millions de nos concitoyens sont en situation de privation matérielle et sociale – il s’agit là d’un niveau jamais atteint.
Ces constats mettent en lumière la situation dramatique dans laquelle sont plongés nombre de Français. Ils démontrent aussi que le travail protège de moins en moins de la pauvreté, notamment depuis que l’inflation fait rage, alimentée en grande partie par la boucle prix-profits.
Nous avons rappelé, lors de l’examen du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, cette réalité que le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) documente : cinq secteurs ont davantage augmenté leurs prix que ne le justifiait la hausse réelle de leurs coûts de production. Ainsi, dans l’agroalimentaire, les taux de marge ont grimpé à 48 %.
Le Fonds monétaire international est formel : au total, 45 % de l’inflation est due à une hausse des taux de marge. Et le Gouvernement laisse faire tout en multipliant les avantages fiscaux sans aucune conditionnalité sociale. (M. Alexandre Ouizille acquiesce.)
Pourtant, la déflation salariale n’est pas un fait nouveau. De fait, la part moyenne des salaires dans la valeur ajoutée des trente dernières années perd presque sept points par rapport à la moyenne des quinze années précédentes et reste inférieure au niveau enregistré pendant la période qui a suivi 1949. D’autres études confirment la baisse de cinq points de la part des salaires depuis 1990.
Face à cela, le Gouvernement s’en tient à l’obligation de revaloriser le Smic, mécanisme que les plus libéraux déplorent d’ailleurs régulièrement.
Or l’outil premier et fondamental de partage de la valeur, c’est le salaire.
Le salaire socialisé aurait dû être articulé avec les mécanismes de partage de la valeur ; mais le document d’orientation du ministère a limité le dialogue aux dispositifs défiscalisés et désocialisés, notamment la prime de partage de la valeur (PPV), laquelle est soumise au pouvoir discrétionnaire de l’employeur.
De plus, cette prime va perdre son caractère exceptionnel. Elle viendra dès lors concurrencer les dispositifs d’intéressement et de participation, alors même que son effet substitutif aux salaires est de 30 % selon l’Insee. Mes chers collègues, on peut bel et bien mesurer cet effet substitutif, et le chiffre avancé par l’Insee est cohérent avec la fourchette retenue par le CAE.
Ainsi, monsieur le ministre, l’année même où vous imposez par l’article 49.3 le report de l’âge de départ à la retraite en raison d’un déficit dû à l’atonie des ressources, vous amplifiez la politique de la caisse vide, tant dans le champ de la protection sociale que dans celui des finances publiques, pour faire passer d’autres contre-réformes.
La part des salaires, déjà en baisse tendancielle sur moyenne période, est ici attaquée par des primes, alors que vous refusez toute disposition qui assurerait justement l’effectivité du principe de non-substitution. À cette fin, il faudrait par exemple différencier le temps de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires du temps de la négociation des dispositifs de partage de la valeur, comme le demandent toutes les organisations syndicales.
Vous en appelez à la transposition fidèle de l’ANI, et pourtant certaines dispositions ont été écartées au seul profit d’une partie – je vous laisse deviner laquelle…
Il est légitime que le législateur veille à préserver l’esprit de l’accord et à garantir son effectivité. Pour notre part, nous défendrons des amendements visant, par exemple, à prévoir deux temps de négociation.
Il est aussi de notre responsabilité de législateur d’exiger le respect de l’obligation de compensation des exonérations. En effet, une partie d’entre elles se substituent aux salaires socialisés, qui seuls ouvrent des droits aux travailleurs.
Enfin, les ajouts adoptés par l’Assemblée nationale, avec l’assentiment des partenaires sociaux signataires, ont été méticuleusement détricotés par notre commission des affaires sociales. (Mme le rapporteur manifeste son désaccord.)
In fine, nous débattons d’un texte dont l’esprit initial me semble affaibli ; d’un texte dans lequel la question des salaires n’est pas traitée en lien avec les dispositifs de partage de la valeur.
Il eût fallu discuter de la place toujours croissante des exonérations sociales et fiscales, alors que les prochains projets de loi de finances nous préparent une cure d’austérité, faute de ressources financières.
Il eût fallu parler de l’évasion fiscale et de toutes les stratégies d’optimisation, qui représentent, selon le CAE, le véritable enjeu en matière de partage de la valeur…
M. Éric Bocquet. Bravo !
Mme Raymonde Poncet Monge. … et un manque à gagner de 15 milliards d’euros pour les finances publiques, selon les estimations les plus conservatrices.
Ce texte est certes issu de l’accord signé par les partenaires sociaux, à l’exclusion tout de même de la deuxième organisation syndicale, mais sa transposition après son passage en commission ne satisfait guère aujourd’hui, y compris certains signataires de l’accord.
Pour l’ensemble de ces raisons, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier s’est ouverte une conférence sociale afin « que le travail paie mieux », selon les propres termes de la Première ministre ; conférence sociale arrachée – je le rappelle – par les représentants de la gauche lors des rencontres de Saint-Denis, auxquelles le Président de la République avait invité les dirigeants des partis politiques.
Ces mots de la Première ministre sont l’aveu implicite que le projet de loi dont nous engageons la discussion ne se traduira pas véritablement par une augmentation du pouvoir d’achat des salariés ; ils atténuent singulièrement ce que M. le ministre vient de nous dire en parlant d’exercice de démocratie sociale réussi.
La conférence sociale était également demandée par les organisations syndicales, unies face à la nécessité d’augmenter les salaires, l’ensemble des salaires et pas seulement les plus bas, par exemple en les indexant sur l’inflation.
Les organisations syndicales ont tenu à inscrire cet impératif dans le préambule de l’accord national interprofessionnel, en précisant : « Les partenaires sociaux réaffirment que le salaire doit rester la forme essentielle de la reconnaissance du travail fourni par les salariés et des compétences mises en œuvre à cet effet. »
Les organisations syndicales ont unanimement exprimé une autre revendication : que les exonérations fiscales ou sociales des entreprises soient conditionnées. Elles ont manifesté leur déception à cet égard à l’issue de la conférence d’hier.
Ce projet de loi nous est présenté comme l’aboutissement d’un compromis entre les organisations syndicales et patronales ; mais l’on omet souvent de dire que la deuxième organisation syndicale de salariés de notre pays a refusé de signer l’ANI et que les organisations syndicales signataires en critiquent elles-mêmes la portée, extrêmement limitée.
Je pense aussi que, du côté du Gouvernement, la vision de la démocratie sociale est à géométrie variable.
Monsieur le ministre, quand l’intersyndicale, unanime, soutenue par 75 % des Français, rejette votre réforme des retraites, vous n’écoutez pas. (M. François Patriat proteste.) Quand l’intersyndicale, comme, du reste, les organisations d’employeurs, refuse une ponction sur les comptes de l’Agirc-Arrco, vous passez en force.
De votre côté, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous dites que les parlementaires doivent « s’effacer pour laisser place à la démocratie sociale ». Vous êtes pourtant venus au secours du Gouvernement pour sauver la très impopulaire réforme des retraites. Cette dernière n’a dû son adoption qu’à la volonté de 193 sénateurs, soit même pas la totalité de la majorité sénatoriale… Drôle de façon de s’effacer au profit de la démocratie sociale !
Vous prétendez vouloir que ce projet de loi soit la transposition fidèle de l’accord ; or non seulement la redéfinition des métiers repères pour le réexamen des classifications n’y figure pas, mais vous en avez extirpé les mesures les plus favorables.
Dès lors, le texte que nous allons examiner est en deçà de l’accord national interprofessionnel signé en février dernier. Il se résume essentiellement à l’obligation pour les entreprises de 11 à 49 salariés d’instituer un dispositif de partage de la valeur, limité en réalité aux entreprises qui réalisent un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives.
Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), ces conditions limiteraient le nombre d’entreprises à 17 500 sur les 130 000 concernées ; ainsi, seuls 180 000 salariés sur les 27 millions que compte notre pays pourraient bénéficier d’un tel dispositif.
Ce projet de loi crée également une obligation de négociation dans les entreprises de moins de 50 salariés pour mettre en place un dispositif de participation. Il s’agit d’une obligation de réunir représentants des salariés et employeurs autour d’une table, non d’aboutir à un résultat.
Enfin, en prévoyant d’établir un niveau d’intéressement inférieur au seuil prévu par la loi et en renvoyant aux employeurs le soin de définir la notion de résultats exceptionnels, une telle mesure aura un effet extrêmement limité sur le pouvoir d’achat des salariés.
La commission des affaires sociales du Sénat a par ailleurs supprimé des modifications apportées par l’Assemblée nationale, qui avaient pourtant recueilli l’approbation des organisations syndicales ; c’est bien le signe que, sur ce sujet aussi, droite sénatoriale et Gouvernement marchent main dans la main.
En résumé, vous multipliez les dispositifs de primes, de participation, d’intéressement ou encore d’actionnariat salarié, alors que la priorité demeure l’augmentation des salaires. En outre, on peut craindre que les outils déployés ne bénéficient pas beaucoup plus qu’aujourd’hui aux salariés des PME, où, précisément, il y a moins de négociations salariales que dans les grosses entreprises.
C’est pourquoi les élus de notre groupe voteront contre ce projet de loi, tout en défendant des propositions permettant de revaloriser les salaires de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen du projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 29 juin dernier.
Permettez-moi avant tout, au nom du groupe du RDSE, de saluer le travail des organisations syndicales et patronales, qui ont conclu cet accord national interprofessionnel le 10 février 2023. En effet, nous sommes de fervents partisans d’une refonte du dialogue social visant à donner plus de poids aux partenaires sociaux dans la négociation de compromis sociaux, en amont du travail législatif.
Les protestations contre la loi du 14 avril dernier de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, réformant le système de retraite, ont révélé l’utilité d’une meilleure prise en considération des corps intermédiaires. Celle-ci doit même devenir un automatisme : c’est primordial pour retisser des liens de confiance entre les gouvernants et la population.
Nous examinons le présent texte en séance publique au lendemain d’une conférence sociale au Conseil économique, social et environnemental (Cese), pilotée par Mme la Première ministre. Cette journée de débats s’est conclue par trois annonces du Gouvernement : la refonte de l’index de l’égalité professionnelle, la création d’un haut conseil des rémunérations et l’ouverture d’une concertation portant sur la réforme du congé parental.
Monsieur le ministre, ces diverses pistes et le projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise ont au moins un point commun : il n’y est jamais question des salaires.
Or, quand la plupart des Français vous parlent de partage de la valeur, ils évoquent l’augmentation des salaires et la revalorisation du Smic. Vous leur répondez par des primes ponctuelles, l’actionnariat salarié, la participation et l’intéressement.
Loin de nous l’idée de critiquer tout ce qui peut constituer un plus sur la fiche de paie des salariés. Mais, dans le contexte économique très incertain que nous connaissons, alors que l’inflation perdure depuis des mois, il serait légitime de se pencher sur la question de l’augmentation des salaires. En effet, le salaire, c’est la partie fixe de la rémunération. C’est ce qui permet de se projeter à moyen et long termes dans son épargne, ses dépenses du quotidien ou encore ses cotisations.
Ainsi – je le relève à mon tour –, cet accord national interprofessionnel a cinq objectifs, parmi lesquels les politiques de rémunération et de valorisation du travail ; le partage de la valeur au sein des entreprises et des branches professionnelles ; ou encore l’actionnariat salarié et l’épargne salariale.
Ces dispositifs nous paraissent contribuer à une meilleure association des salariés aux performances des entreprises, notamment dans les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises. Nous saluons en particulier le nouveau dispositif de partage de la valeur permettant d’intéresser les salariés à la valorisation de leur entreprise. Nous espérons qu’il pourra bénéficier au plus grand nombre d’entre eux.
Mes chers collègues, vous aurez compris la position des membres du RDSE sur ce texte : nous défendons l’ANI, en grande partie par respect pour le travail de qualité des organisations syndicales et patronales, tout en formulant le souhait que l’on puisse aller plus loin dans le partage de la valeur au sein de l’entreprise.
À cet effet, nous avons déposé plusieurs amendements pour être plus fidèles à l’ANI et aux désirs de nos concitoyens. Nous souhaitons notamment ajouter à l’obligation de négociation sur la révision des classifications celle sur les métiers repères, comme cela est précisé à l’article 4 de l’accord.
Le présent texte doit permettre une meilleure efficacité dans l’analyse des besoins de formation et de compétences des salariés, pour faciliter la mobilité professionnelle et les évolutions de carrière. Aussi, l’un de nos amendements tend à rendre automatique le versement d’un supplément de participation ou d’intéressement en cas de bénéfice exceptionnel. Cette notion d’automaticité nous paraît fondamentale, en particulier pour lutter contre le non-recours et les délais d’obtention démesurés.
Pour conclure, malgré les réserves que je viens de formuler, les élus du RDSE abordent ces discussions de manière constructive et voteront ce projet de loi.
À nos yeux, le présent texte constitue une première étape vers l’enrayement du phénomène des travailleurs pauvres et la reconquête du pouvoir de vivre de la population active du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le travail qui nous conduit à nous réunir aujourd’hui a commencé le 10 février dernier, autour d’une table réunissant l’ensemble des partenaires sociaux du pays. À l’invitation du Gouvernement, à l’issue d’un dialogue nourri et d’une saine concertation, ces derniers sont parvenus à s’entendre sur un cap commun pour mieux partager la création de richesse dans l’entreprise.
L’accord conclu a été signé par sept organisations syndicales et patronales sur huit. Notre rôle, en tant que parlementaires, est d’assurer sa transposition exacte dans la loi. Nous avons là une occasion de renouer avec ce qui fait la singularité et la réussite de l’approche à la française de notre rapport au travail et à l’entreprise.
Résolument avant-gardiste, le général de Gaulle posait déjà les bases d’une politique sociale fondée sur le travail, mêlant l’objectif d’une amélioration des conditions de vie des classes populaires au souci de tempérer l’économie capitaliste. De ces préoccupations sont nés, notamment, l’intéressement en 1959 et la participation en 1967.
Dans le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui, je vois une nouvelle émanation de cette vision. Non, le gaullisme social n’est pas mort : il n’appartient qu’à nous de le réactualiser.
Ce qui se joue ici, c’est bien la place que nous accordons au travail dans nos vies et aux entreprises dans la société. Ne cessant de se réinventer et de s’adapter, poussée par des consommateurs devenus conso-acteurs et par des salariés en quête de sens, l’entreprise ne se limite plus à sa seule définition économique. J’en veux pour preuve l’entreprise à mission, qui se dote d’une raison d’être et d’un rôle dans la résolution des défis sociaux et environnementaux du XXIe siècle.
Aujourd’hui, à nous de nous adapter et de construire la loi pour mieux répondre à cette nouvelle donne.
C’est ce que propose ici le Gouvernement, poursuivant son action en faveur du travail, de l’emploi, de la rémunération et de la redistribution. Cette nécessité est d’autant plus urgente dans un contexte d’inflation qui place le pouvoir d’achat au cœur des préoccupations de millions de nos compatriotes.
Je rappelle que, depuis 2017, de manière continue et méthodique, le Gouvernement et sa majorité ont avancé pour mener des réformes visant à remettre le travail au centre et à assurer un meilleur partage de la valeur.
Je pense notamment à la loi Pacte de 2019, qui a permis de simplifier la conclusion d’accords d’intéressement et de participation dans les PME, en particulier dans les petites entreprises.
Plus récemment, en août 2022, grâce à la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, le recours à l’intéressement a été facilité au sein des PME et une nouvelle prime de partage de la valeur a été créée, en remplacement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat. L’année dernière, plus de 5 millions de salariés ont pu bénéficier de cette prime, dont le montant peut atteindre 6 000 euros.
C’est pour aller plus loin qu’en septembre dernier le Gouvernement a invité les partenaires sociaux à engager une négociation nationale interprofessionnelle afin de trouver les voies d’une meilleure association des travailleurs à la richesse créée par l’entreprise.
Cette négociation s’articulait selon trois objectifs : premièrement, la généralisation du bénéfice pour l’ensemble des salariés, avec au moins un outil de partage de la valeur ; deuxièmement, l’amélioration de l’articulation des différents dispositifs de partage ; et, troisièmement, l’orientation de l’épargne salariale vers les grandes priorités d’intérêt commun.
Signé par le Medef, la CPME, l’U2P, ainsi que par la CFDT, la CGC, la CFTC et FO, un accord est venu conclure plusieurs mois de concertation.
Mes chers collègues, cet accord est la preuve que le dialogue social, même en France, peut être une réussite. Il est aussi la preuve que la méthode employée par le Gouvernement et M. le ministre est la bonne. Il est enfin le signe que ce gouvernement comprend ce qui se joue dans le pays et sait comment y répondre.
Le présent texte suit quatre axes : renforcer le dialogue social sur les classifications, faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur, simplifier leur mise en place et développer l’actionnariat salarié. Ils se traduisent par des mesures concrètes afin que les dispositifs de partage de la valeur puissent s’appliquer dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Ainsi, les petites entreprises de 11 à 50 salariés devront désormais instaurer un dispositif de partage de la valeur dès lors qu’elles auront réalisé un bénéfice constant pendant trois années consécutives.
À cela s’ajoute une utilisation facilitée de la prime de partage de la valeur. Les entreprises pourront notamment accorder jusqu’à deux primes par an, au lieu d’une seule aujourd’hui, et le montant accordé pourra être versé sur un plan d’épargne salariale afin que son détenteur puisse bénéficier d’une exonération fiscale.
Enfin, ce texte est l’occasion pour nous de prendre en compte l’expression, peut-être trop rare, d’une volonté directe manifestée par les Français et qui répond à deux besoins urgents : mieux armer les salariés face à l’inflation, en agissant pour leur pouvoir d’achat, et fournir aux salariés les moyens de s’investir davantage dans l’avenir de leur entreprise, de donner plus de poids et de valeur à leur travail.
En parallèle, il s’agit de permettre aux entreprises de pouvoir fidéliser leurs salariés, de gagner en productivité et de mieux remplir leur mission dans la société.
C’est pourquoi nous saluons le présent texte, également synonyme de simplifications et d’assouplissements, car il permettra d’augmenter le pouvoir d’achat de près de 1,5 million de Français.
Pour l’ensemble de ces raisons, les élus du groupe RDPI soutiennent pleinement ce projet de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)