M. Rémi Féraud. Et alors ?
Mme Pascale Gruny. Son usage s’est répandu rapidement à l’université. Certains professeurs encouragent cette pratique en rédigeant des énoncés d’examen en écriture inclusive et en proposant à leurs étudiants d’y répondre de la même manière. D’autres ont déclaré qu’ils risquaient de perdre leur charge d’enseignement s’ils refusaient d’utiliser ce type d’écriture.
Devant une telle situation, une seule réponse est possible : la loi, qui doit se prononcer avec clarté et fermeté sur ce sujet pour que chacun puisse s’y référer en toutes circonstances.
La proposition de loi que je défends aujourd’hui énonce un principe clair : l’interdiction du recours à l’écriture inclusive dans tous les cas où le droit exige un document rédigé en français. Elle complète ainsi utilement la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon, qui énonce déjà que la langue française est « la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».
L’interdiction de l’écriture inclusive s’appliquera à toute la sphère publique, comme les documents administratifs ou l’enseignement, mais aussi à une large partie du domaine privé, comme les documents commerciaux, la publicité ou les notices d’utilisation, tout en laissant bien évidemment un délai aux fabricants et distributeurs pour s’adapter au dispositif.
Ce texte vise également le monde du travail, puisque plusieurs dispositions du code du travail imposent l’usage du français dans le contrat de travail, le règlement intérieur, les documents comportant des obligations pour le salarié ou dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail, les conventions et accords collectifs.
Cette énumération n’est pas exhaustive : la disposition a vocation à s’appliquer de façon systématique dès lors que l’usage du français est exigé. Cela permettra d’appliquer les sanctions prévues par ces textes en cas de document rédigé en écriture inclusive : nullité de l’acte, sanction de l’agent public ou de l’enseignant.
Je remercie notre rapporteur Cédric Vial de la qualité du travail qu’il a accompli au sein de la commission afin d’enrichir le texte, par exemple en incluant dans le dispositif les mots grammaticaux constituant des néologismes comme les pronoms de type « iel ».
Je salue également l’intégration de la proposition de loi déposée par notre collègue Étienne Blanc, qui prévoit que tout acte juridique qui contreviendrait à l’interdiction d’usage de l’écriture inclusive soit nul de plein droit.
Mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas un combat d’arrière-garde. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Un peu, tout de même !
Mme Laurence Rossignol. Non, vous représentez l’avant-garde !
Mme Pascale Gruny. Elle ne vise d’autre objectif que celui de protéger la langue française de tous ceux qui veulent l’abîmer. Elle n’a d’autre ambition que de réaffirmer le droit de chacun au français, en plaidant pour une lisibilité démocratique de l’écrit.
J’attends du Président de la République qu’il soutienne activement cette initiative pour réaffirmer son attachement à notre langue.
M. Patrick Kanner. Il l’a déjà fait !
Mme Pascale Gruny. Il a commencé à le faire ce matin, à Villers-Cotterêts, en appelant à « ne pas céder aux airs du temps », affirmant qu’il n’y a « pas besoin d’ajouter des points ou des tirets au milieu des mots pour rendre notre langue visible ». Je compte aussi sur vous, madame la ministre, pour mener ce combat à nos côtés.
« La langue française, d’ailleurs, est une eau pure que les écrivains maniérés n’ont jamais pu et ne pourront jamais troubler », écrivait Maupassant.
M. Mickaël Vallet. Tout se tient !
Mme Pascale Gruny. Inspirons-nous de ses mots pour combattre une idéologie qui met en péril la clarté et la distinction de notre langue.
Parce que le français est notre destinée commune et qu’il s’est montré essentiel pour souder la Nation et assurer sa pérennité, parce que nous sommes les dépositaires temporaires des mots et des voix qui ont sculpté la langue française par le passé, parce qu’il est de notre devoir de transmettre à nos enfants une langue compréhensible qui n’exclut pas les plus fragiles d’entre nous, je vous invite à vous prononcer avec conviction et détermination en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « La langue de la République est le français », dispose notre Constitution dès son article 2.
« La langue française garantit l’unité de la Nation, elle est une langue de liberté et d’universalisme », déclarait ce matin même le Président de la République lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts.
« La langue française est une femme », déclarait Anatole France pour dire son amour de cette langue.
Pourtant, pour les partisans de l’écriture dite inclusive, la langue française serait sexiste ; selon eux, elle serait le reflet de plusieurs siècles de domination masculine, amalgamant ainsi le genre grammatical avec le sexe de la personne – cette « personne » dont le genre grammatical est féminin, mais qui peut indifféremment désigner quelqu’un de sexe masculin ou féminin.
En revanche, convenons-en, la langue française est en situation de fragilité : triomphe de l’anglais et du franglais, baisse du niveau des élèves, recul de l’apprentissage du français dans le monde.
Madame la ministre de la culture, l’écriture dite inclusive pose aujourd’hui une question supplémentaire : faudra-t-il bientôt considérer la littérature française des siècles passés comme dépassée, car reflet d’une époque intrinsèquement sexiste ?
Finalement, de quoi parle-t-on ? C’est une question intéressante qu’il convient de se poser, car il n’existe pas de définition claire et inscrite dans le marbre de l’écriture dite inclusive ; il n’existe pas d’Académie de l’écriture inclusive.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons non pas d’interdire l’écriture inclusive, mais de « protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive ». Il s’agit non pas d’interdire certaines pratiques rédactionnelles, tout à fait conventionnelles, bien qu’assimilées à cette écriture dite inclusive, mais de se garantir de certains abus et de protéger notre langue de certaines dérives.
Quelles sont ces pratiques ?
La féminisation des noms de métiers et fonctions ne pose évidemment aucune difficulté. Elle est acceptée aujourd’hui par tous, y compris, depuis 2019, par l’Académie française. Elle doit être promue.
L’usage de termes épicènes, identiques au féminin et au masculin – comme « les parlementaires » ou « les gens » –, ne pose pas non plus de difficulté.
La double flexion – mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs – ne pose pas davantage de difficulté, dès lors qu’il en est fait un usage approprié et non systématique, ayant pour finalité d’effacer tout emploi d’un masculin générique.
L’usage du point médian ou de tout autre signe de ponctuation, utilisé, par exemple, dans une forme plurielle dans laquelle le genre masculin devient générique ou pour se substituer à une double flexion, pose en revanche un problème et soulève des difficultés.
Les néologismes de formes neutres ou non binaires tels que « iel », « ul », « als », « toustes », « toux » ou « celleux », qui se développent de manière entropique, posent problème et soulèvent des difficultés.
Soyez-en sûrs, la créativité des partisans de l’écriture dite inclusive ne s’arrêtera pas là.
M. Daniel Salmon. C’est vrai !
M. Cédric Vial, rapporteur. Sont parfois également préconisées des modifications des règles grammaticales, comme l’accord de proximité. On parlera ainsi « d’hommes et de femmes radieuses », l’accord se faisant avec le terme le plus proche.
L’écriture dite inclusive est loin d’être marginale. Je ne partage pas le point de vue selon lequel la question serait anecdotique et ne mériterait pas que nous en débattions : l’écriture dite inclusive se répand rapidement, particulièrement dans la sphère publique, notamment sous l’influence du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui en fait la promotion.
Le HCE, organisme placé auprès de la Première ministre, a publié un guide pratique qui sert de référence. Il recommande l’usage du point médian et tend donc à en diffuser l’emploi, à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la circulaire de 2017 du Premier ministre Édouard Philippe.
À l’université, l’écriture dite inclusive est couramment répandue. On s’y rallie de plus ou moins bon gré, afin d’éviter d’être classé « réactionnaire » ou « rétrograde », pour utiliser la sémantique qui se veut culpabilisatrice de mon collègue de la Nup·e·s, Yan Chantrel. (L’orateur prononce : « Nup point e point s. » – Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Les correspondances privées ne sont pas les seules à être concernées : des statuts d’université ont été ainsi rédigés ; un sujet d’examen en écriture inclusive non binaire a été récemment proposé à des étudiants de l’université Lyon II.
L’écriture non genrée est déjà très employée outre-Atlantique, ses promoteurs considérant l’écriture inclusive binaire comme rétrograde !
C’est toute la question de l’universalité du langage qui est ici posée, de sa capacité à représenter un monde commun, plutôt que de vouloir rendre visibles toutes nos différences. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
À quelles difficultés sommes-nous confrontés ?
D’abord, l’écriture dite inclusive représente une menace pour l’intelligibilité et l’accessibilité de la langue.
Si nous parlons d’écriture dite inclusive, c’est que je réfute l’expression « écriture inclusive », laquelle ne possède, dans les faits, aucun des ingrédients de l’inclusion ; elle en vient même à produire l’inverse !
Alors que 11 % des jeunes participant à la Journée défense et citoyenneté (JDC) rencontrent des difficultés dans le domaine de la lecture et que beaucoup de linguistes soulignent l’écart grandissant entre le français oral et le français écrit, l’écriture dite inclusive ne fait qu’aggraver ce constat.
Elle est en fait profondément excluante pour les 2,5 millions de personnes considérées en situation d’illettrisme, pour les 6 % à 8 % de la population concernés par des troubles « dys », notamment la dyslexie, ou encore pour le million de personnes considérées comme aveugles ou malvoyantes. Pour toutes ces personnes, il n’y a pas de combat pour ou contre l’écriture dite inclusive, mais des difficultés supplémentaires et pratiques à résoudre. Pour eux, cette écriture est excluante.
Rappelons que l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle. À cet égard, l’écriture dite inclusive va à l’encontre de toutes les démarches de simplification administrative. Elle est en contradiction complète avec la démarche dite du Falc, le français facile à lire et à comprendre, méthode qui vise à rendre les publications plus simples et plus accessibles en les rédigeant dans un langage compréhensible par tous.
Par ailleurs, cette variation de notre langue ne répond pas à une demande et ne résulte pas d’une évolution spontanée du langage oral. C’est une nouvelle grammaire et une nouvelle syntaxe imposées de façon brutale par les militants de cette cause. Ce n’est donc pas une forme de langage neutre d’un point de vue politique : c’est une écriture militante.
Lors de nos auditions, il nous a été rappelé qu’il s’agissait d’un combat pour la cause féministe ou pour la cause LGBT. Dans tout combat, il y a des combattants…
Mme Mélanie Vogel. Ou des combattantes !
M. Cédric Vial, rapporteur. … – c’est ainsi que s’imaginent ces militants – et des combattus – c’est ainsi que doivent être considérés tous les autres.
Il faut choisir son camp : celui des progressistes ou des conservateurs.
Mme Laurence Rossignol. C’est souvent le cas !
M. Cédric Vial, rapporteur. Beaucoup se rallient dès lors moins par conviction que pour ne pas être classés parmi les réactionnaires, madame Rossignol.
Cette remise en cause de la neutralité du langage n’est pas critiquable dans les correspondances privées, mais elle l’est dans les services publics, où les agents sont tenus à une obligation de neutralité religieuse et politique.
La langue, aidée de la liberté d’expression, est là pour permettre d’exprimer toutes les opinions, mais la langue elle-même n’est pas une opinion !
J’en viens maintenant aux deux propositions de loi. Le droit applicable est aujourd’hui constitué de deux circulaires : l’une, de 2017, ne concerne que les textes publiés au Journal officiel ; l’autre, rédigée en 2021, traite de l’enseignement.
Avec ces deux textes, le Gouvernement nous dit que le droit et l’enseignement sont des affaires trop sérieuses pour y laisser libre cours aux expérimentations linguistiques, soit, mais ce qui vaut pour les actes publiés au Journal officiel doit valoir pour tout acte juridique. Et ce qui est pertinent dans l’enseignement primaire et secondaire doit aussi l’être dans le supérieur.
Le texte de notre collègue Pascale Gruny présente le grand intérêt de s’inscrire dans un cadre juridique existant, celui de la loi Toubon, qui a défini un certain nombre de textes et de documents dont l’accessibilité nécessitait leur rédaction en français. Ce texte, après son adoption, a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel.
Pour définir ce qu’il convient de bannir de l’écriture dite inclusive, c’est la définition donnée en 2017 par la circulaire du Premier ministre qui est ici reprise.
La commission a introduit trois types de modifications.
Premièrement, elle souhaite limiter certaines innovations d’ordre grammatical : sont visés les pronoms, prépositions, déterminants ou conjonctions de coordination constitués de néologismes dits neutres, tels que « iel », « als », « toustes » ou « celleux ».
Deuxièmement, elle a étendu l’interdiction aux publications émanant de personnes publiques ou de personnes privées chargées d’une mission de service public. C’est une question de neutralité et d’accessibilité, comme je l’ai déjà souligné.
Troisièmement, la commission a prévu, à compter de la promulgation de la loi, la nullité de plein droit de tout acte juridique non conforme, reprenant ainsi la proposition de notre collègue Étienne Blanc.
Mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce texte dans sa rédaction issue des travaux de la commission.
Continuons, ainsi, de débattre et d’exprimer nos différences par la langue plutôt que dans la langue. Continuons de protéger la langue française, qui est notre bien commun. Continuons, enfin, de faire progresser l’égalité femmes-hommes là où elle est vraiment menacée.
Je conclurai mon propos par la citation d’un ancien collègue, sénateur de la Seine et écrivain de talent : Victor Hugo, qui a siégé sur ces travées…
Mme Cécile Cukierman et M. Pierre Ouzoulias. (Montrant du doigt la médaille fixée au pupitre utilisé jadis par Victor Hugo, à l’extrême gauche.) Ici !
M. Cédric Vial, rapporteur. À gauche, oui. Vous faites bien de le rappeler !
Selon Victor Hugo, qui fut un grand défenseur des libertés et un promoteur acharné d’une langue vivante, sachant évoluer dans son époque, « les langues meurent quand la logique de la langue s’altère, les analogies s’effacent, les étymologies cessent de transparaître sous les mots, une orthographe vicieuse attaque les racines irrévocables, de mauvais usages malmènent ce qui reste du bon vieux fonds de l’idiome ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Billon et Marie-Claude Lermytte applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, cher Laurent Lafon, monsieur le rapporteur, cher Cédric Vial, madame le sénateur – puisque c’est votre souhait –, chère Pascale Gruny, nous voici réunis pour débattre de notre langue commune le jour de l’inauguration, par le Président de la République, de la Cité internationale de la langue française, premier lieu au monde dédié à la langue française, à Villers-Cotterêts, en Picardie, où François Ier a signé, en 1539, l’ordonnance qui a fait du français la langue des décisions de justice et des actes administratifs, afin de les rendre accessibles et intelligibles au plus grand nombre.
Le véritable enjeu était alors bien celui de l’égalité ; cette ordonnance marquait aussi la création de l’état civil.
Près de cinq siècles plus tard, nous voici rassemblés autour d’un sujet qui illustre une fois encore cette passion française autour de la langue. En tant que ministre de la culture, je ne peux que m’en réjouir : plus notre langue suscite des débats, des échanges, plus son importance est affirmée.
La langue française est à la fois la langue de l’unité, de la cohésion, celle qui fédère, qui rassemble, et la langue de la diversité, nourrie d’influences multiples, d’accents différents, d’une relation constante à nos langues régionales et aux autres langues du monde – une langue qui nous relie à 321 millions de francophones à travers le monde.
Légiférer sur notre langue, c’est toucher à notre bien commun le plus précieux. Les autres pays francophones regardent de près vos travaux ; c’est donc toujours un moment d’histoire, ce qui invite à la précaution et à la sagesse.
Que veut dire l’écriture dite inclusive ? Objet de polémiques depuis quelques années, elle recouvre différents procédés graphiques, syntaxiques, lexicaux et rédactionnels, visant initialement à assurer une égalité de représentation du genre féminin et masculin dans la langue.
Venons-en à la teneur de la proposition de loi qui nous occupe. La loi dite Toubon, que vous proposez ici de compléter et dont nous célébrerons l’an prochain le trentième anniversaire, est le socle légal qui permet de garantir l’emploi de la langue française dans les principales circonstances de la vie quotidienne, conformément à l’article 2 de la Constitution, selon lequel, vous l’avez tous rappelé, la langue de la République est le français.
Elle garantit un droit au français pour nos concitoyens, dans l’enseignement, au travail, dans l’accès aux savoirs et à la culture, dans leurs rapports avec les services publics ou dans leurs pratiques de consommation. C’est une loi fondamentale, qui crée des obligations concernant l’emploi de la langue, mais non son contenu ou sa forme. Elle n’a pas vocation à imposer un usage correct ni standardisé du français, comme l’a reconnu lui-même Jacques Toubon, que vous avez récemment auditionné.
Votre proposition de loi vise à interdire l’écriture inclusive dans tous les documents dont le droit exige qu’ils soient rédigés en français, ce qui concerne le point médian, mais aussi les néologismes, sur lesquels je reviendrai.
Nous connaissons tous les difficultés attachées à l’emploi du point médian : la fragmentation des mots et des accords qu’induit cet usage rend la lecture plus difficile. La complexification de la graphie et l’impossibilité de la transcrire à l’oral constituent un véritable obstacle à l’apprentissage de la langue. Cette graphie suscite des incompréhensions chez nombre de nos concitoyens et peut mettre en difficulté les publics les plus fragiles, ceux que l’on considère en situation d’insécurité linguistique, mais également les plus âgés et les personnes dyslexiques ou malvoyantes.
C’est pourquoi le Gouvernement, quelques mois seulement après le début du précédent quinquennat, a posé des règles précises : la circulaire du Premier ministre Édouard Philippe du 21 novembre 2017 prohibe le recours au point médian dans les actes administratifs, tout en encourageant la généralisation de la féminisation des métiers et des fonctions.
Cette circulaire a été complétée dans le champ de l’enseignement par celle du 5 mai 2021 relative aux règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’éducation nationale et des pratiques d’enseignement. Le Gouvernement a donc, depuis longtemps, une position ferme et équilibrée sur le sujet : clarté et intelligibilité de la langue dans l’intérêt de nos concitoyens.
Ces deux circulaires ont posé les limites nécessaires sur un sujet complexe. Elles ont permis de concilier les enjeux de féminisation, d’inclusion et d’intelligibilité des messages pour les administrations de l’État et dans les pratiques d’enseignement.
Votre proposition de loi se distingue des circulaires précédentes en étendant l’interdiction à l’ensemble des personnes publiques, y compris les collectivités territoriales. Nous sommes favorables à cette partie de la proposition de loi, sous réserve de sa compatibilité avec la libre administration des collectivités territoriales.
Dans sa rédaction issue des travaux de commission, le texte prévoit d’étendre l’interdiction de l’écriture inclusive à tout contrat privé sous peine de nullité de plein droit. Le Gouvernement est très réservé sur cette disposition, qui concerne aussi bien les cas où il existe une obligation d’emploi du français imposée par la loi ou le règlement – les contrats de travail, par exemple – que ceux où il n’est aucune obligation juridique de ce point de vue. Cela reviendrait, par exemple, à interdire l’usage d’une graphie particulière dans des documents régissant des relations entre deux particuliers, comme un contrat de bail. Cette mesure nous semble excessive.
Rappelons aussi que le Conseil constitutionnel, lorsqu’il a été saisi sur plusieurs articles de la loi de 1994, a opéré une distinction entre les personnes publiques ou chargées d’une mission de service public, auxquelles il est possible d’imposer l’usage d’une terminologie officielle, et les personnes privées, auxquelles une telle obligation ne peut être imposée en vertu de la liberté d’expression et de communication.
Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé, dans sa décision du 29 juillet 1994, que l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique « le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ; que la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu’il s’agisse d’expressions issues de langues régionales, de vocables dits populaires, ou de mots étrangers ».
L’interdiction du recours à des graphies inclusives ou à des néologismes grammaticaux par les personnes privées se heurterait ainsi au principe de liberté de pensée et d’expression protégé par notre Constitution.
Venons-en au sujet des néologismes, que vous souhaitez aussi exclure. Il me semble que nous dépassons ici la question de l’intelligibilité du langage pour aborder celle de ses évolutions.
Comme l’a rappelé le Président de la République ce matin, la langue française est mouvante, car elle est infiniment vivante. C’est une langue d’innovation, de création, en dialogue avec les évolutions du monde et de son époque. Sa force, sa vitalité, ce sont précisément ses mutations.
Une langue vivante évolue, c’est dans son essence même, et ces innovations peuvent donner place à une féminisation du langage à laquelle je suis favorable.
Je lisais cet après-midi, sur l’un des murs des salles de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, une citation de Victor Hugo : « La langue française n’est pas fixée, et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. L’esprit humain est toujours en marche, ou, si l’on veut, en mouvement, et les langues avec lui. »
Je pense que l’on peut avoir confiance en l’inventivité de notre langue, étant précisé que des garde-fous nous protègent de la tentation des extravagances. La commission d’enrichissement de la langue française et l’Académie française travaillent ensemble pour approuver les termes nouveaux, veiller à leur cohérence et à leur harmonisation dans le temps long.
Notre langue, grâce à son inventivité, nous offre la possibilité d’inclure le genre féminin de mille manières.
En conclusion, oui à la préservation de la lisibilité et de la facilité de compréhension de notre langue, de son intelligibilité ; non au point médian, à toutes les complexités graphiques qui rendent la langue illisible.
Oui à la féminisation des noms de métiers, aux doubles flexions – sénateur, sénatrice ; auteur, autrice –, aux mots épicènes, qui permettent d’inclure tout le monde – hommes, femmes et ceux qui ne se sentent ni homme ni femme –, mais non à l’enfermement de la langue.
Mon rôle, en tant que ministre, votre rôle, en tant que parlementaires, n’est pas de contraindre l’évolution de la langue ni de nous ériger en police de la langue. Nous sommes garants de l’égalité devant la langue, et c’est là notre plus belle mission.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée sur cette proposition de loi. (M. Pierre Ouzoulias applaudit. – Marques d’ironie sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les “officier·e·s” et les “soldat·e·s” “français·e·s” (M. Martin Lévrier oralise les points médians et les marques d’accord. – Rires sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.) qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les “ingénieur·e·s” et les “ouvrier·e·s” “spécialisé·e·s” des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »
Nul ne peut imaginer que le Général de Gaulle eût pu rassembler et gagner la guerre avec un discours si peu intelligible.
Outre le fait que l’écriture inclusive soit avant tout un acte de militantisme qui, sur le fond comme sur la forme, peut se révéler préjudiciable à la cause – le féminisme, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – qu’il veut défendre, son utilisation, en particulier l’emploi du point médian, entraîne une complexification inutile de la langue. Elle constitue un frein important à son apprentissage et à sa maîtrise. Elle rend impossible l’oralisation des textes, empêche la lecture à voix haute – vous venez de le constater – et la prononciation et a des conséquences néfastes sur les processus d’apprentissage, alors même que tous les enseignants s’accordent à dire que la baisse du niveau en français s’accentue.
Par ailleurs, est-il nécessaire de rappeler, comme l’indique l’Académie française, que les règles de l’écriture dite inclusive excluent certains groupes, notamment les personnes souffrant de handicaps cognitifs, et qu’elles restreignent le débat sur des questions linguistiques ? En outre, n’étant universellement ni reconnues ni comprises, elles favorisent l’anglais comme langue dominante dans la francophonie.
Pour ces seules raisons, nous pourrions souhaiter que s’applique la proposition de loi déposée par Mme le sénateur Pascale Gruny visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive.
Toutefois, deux circulaires encadrent déjà le sujet.
L’une, du 21 novembre 2017 du Premier ministre Édouard Philippe, relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, indique que : « Les textes qui désignent la personne titulaire de la fonction en cause doivent être accordés au genre de cette personne. Lorsqu’un arrêté est signé par une femme, l’auteure doit être désignée, dans l’intitulé du texte et dans l’article d’exécution, comme “la ministre”, “la secrétaire générale” ou “la directrice”. »
Il y est par ailleurs rappelé que l’intitulé des fonctions occupées par une femme doit être systématiquement féminisé et qu’il convient, dans les actes de recrutement, de « recourir à des formules telles que “le candidat ou la candidate” ».
Enfin, cette circulaire invite à proscrire l’écriture inclusive et l’emploi d’une graphie faisant apparaître une forme féminine en sus de la forme masculine.
L’autre, du 5 mai 2021 du ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, réaffirme que la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques est de rigueur et qu’elle s’impose dans le cadre de l’enseignement, tout en confortant la féminisation des noms de métiers et de fonctions.
Si nous nous associons à la volonté de notre collègue, la sénatrice Gruny, …