M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice, fondement important de notre pays, libre et indivisible, est aujourd’hui mise à mal par la politique, insuffisante, des gouvernements qui se sont succédé.
L’ensauvagement important auquel nous faisons face met en péril le bien-vivre dans notre pays et, surtout, le bien-être de nos concitoyens. En tant que parlementaires, nous devons être les premiers à nous soucier du bien-être de nos habitants, qu’ils viennent de l’Hexagone ou de l’outre-mer. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : nous avons l’impression que la justice, pilier de notre société, a été placée au second plan. Monsieur le garde des sceaux, votre bilan est des plus catastrophiques : votre laxisme, comme celui de la justice, tue !
Dans notre pays, désormais, on peut être tué à coups de couteau dans une fête de village, à Crépol, ou en se promenant à Paris. Marine Le Pen a plusieurs fois alerté sur le fait qu’un laxisme prolongé risquait de créer un sentiment de je-m’en-foutisme des institutions juridiques : nous y sommes !
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? La justice devient laxiste, parce que nous ne mobilisons pas suffisamment de moyens pour que les problèmes soient résolus. Ces derniers sont très nombreux et concernent principalement la politique carcérale. Nous devons les régler, afin que la justice puisse accueillir les détenus dans le respect de l’être humain, mais aussi de la loi.
La première des problématiques réside, cela a été rappelé, dans la surpopulation carcérale : celle-ci atteint des records. Au 1er décembre 2023, on comptait plus de 73 000 personnes derrière les barreaux. Cette situation touche particulièrement les maisons d’arrêt, qui accueillent les personnes condamnées à de courtes peines : leur taux d’occupation est de 142 %. Voilà une promesse non tenue de plus, monsieur le garde des sceaux !
Ensuite, il convient d’évoquer le problème des agressions de surveillants pénitentiaires. Celles-ci deviennent de plus en plus fréquentes. On enregistre, depuis 2011, plus de 4 000 agressions physiques chaque année – près de 5 000 en 2022 –, soit environ une agression pour six surveillants. Des centaines de surveillants pénitentiaires vont au travail avec une boule au ventre. Ils font souvent un travail très difficile, pour un salaire qui n’est pas à la hauteur. Le taux de suicide est important : on en compte 184 depuis les années 2000.
C’est pourquoi nous avons déposé des amendements visant à augmenter de 5 millions d’euros les crédits alloués aux surveillants pénitentiaires, mais aussi de 10 millions d’euros ceux qui sont consacrés aux greffiers, membres indispensables de notre service carcéral : en raison de l’augmentation du nombre des dossiers, les greffiers ont besoin d’un soutien important ; nous répondons ainsi à leurs demandes.
Enfin, nous devons combattre un autre fléau, celui des colis livrés dans les prisons : stupéfiants, téléphones, cartes SIM… Les détenus se font livrer leurs commandes – notamment la nuit, mais pas seulement – à travers les fenêtres de leurs cellules. Un centre pénitentiaire n’est pourtant pas un club de vacances : les règles doivent être strictes et les produits extérieurs interdits. C’est pourquoi nous proposons de consacrer 600 000 euros à la lutte contre ce fléau carcéral.
Le texte prévoit, c’est vrai, une hausse des crédits en faveur de la justice. C’est pourquoi nous voterons pour cette partie du PLF, si nos amendements sont adoptés.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous sommes le parti des victimes et non des délinquants. Nous sommes aux côtés des surveillants pénitentiaires et non des criminels. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s’exclame.) Monsieur le garde sceaux, il est temps de faire de même ! (M. le garde des sceaux marque son exaspération.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel.
M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice de notre pays fait l’objet de vives critiques de la part de bon nombre de nos concitoyens : 79 % d’entre eux jugent en effet insatisfaisante l’action de l’institution judiciaire, laquelle ne parviendrait pas à remplir sa mission, notamment en raison de sa lenteur.
La justice, par nature, demande du temps. Elle ne peut pas être immédiate, sauf à verser dans l’arbitraire. Mais l’allongement des délais de jugement prive parfois les décisions de tout sens, vis-à-vis du condamné, et de toute utilité, vis-à-vis de nos concitoyens, au nom desquels – il ne faut pas l’oublier – elles sont pourtant rendues. Quel est le sens, en effet, d’une décision relative à un mineur qui intervient plusieurs années après les faits commis ?
Une justice lente, c’est aussi une justice que l’on hésite à saisir et qui, dans ces conditions, ne remplit plus son office.
Depuis 2018, il faut le répéter, un véritable travail est engagé par le Gouvernement. Sous l’effet des augmentations successives, le budget, cela a été dit, a été relevé de 7 milliards d’euros en 2018 à 10 milliards d’euros cette année, soit une hausse de plus de 5 % par an. Un tel effort dans ce domaine est notable. Les engagements du Gouvernement sont donc tenus. Ces moyens supplémentaires alloués à la justice ont pour objectif de permettre à l’institution de remplir sa mission, au service des Français, dans des délais raccourcis.
Quels sont les grands axes de dépenses ?
Ce budget prévoit des recrutements importants : des magistrats bien sûr, mais aussi des greffiers, qui sont essentiels au travail des juridictions. Il prévoit également la modernisation et l’utilisation massive de l’outil numérique, dans les tribunaux et dans les procédures. Depuis 2018, les crédits alloués à l’informatique ont plus que doublé ; il faut le souligner.
Ce budget prévoit en outre des investissements importants en matière d’infrastructures, afin de faciliter le travail des agents, notamment de l’administration pénitentiaire. Comme j’ai pu m’en rendre compte lors des auditions que j’ai menées en tant que rapporteur pour avis, il faut moderniser les bâtiments, car ils ne sont plus fonctionnels, et il faut procéder à la rénovation énergétique, comme dans les autres domaines.
Enfin, la question de la surpopulation carcérale chronique, qui bat chaque mois des records, doit continuer d’être traitée. Il est nécessaire, comme le prévoit le budget, de poursuivre le plan de construction de 15 000 places de prison, afin de redonner du sens à la peine et d’assurer des conditions dignes de détention, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Toutefois, l’objectif de réduction de la surpopulation carcérale, je l’ai dit dans mon propos liminaire, ne pourra pas être atteint dans le cadre d’une logique purement bâtimentaire. La surpopulation carcérale provient du durcissement de la réponse pénale et de l’augmentation de la durée moyenne des peines.
M. Louis Vogel. Cela doit nous conduire à nous interroger sur notre politique pénale.
Par ailleurs, la surpopulation carcérale pèse très lourdement sur les perspectives de réinsertion des détenus, elle empêche l’accès au travail et aux activités, elle détourne de leur vocation des dispositifs modernes de réinsertion. Elle aboutit ainsi à ruiner tout ce que nous avons fait pour faciliter cette dernière. Dans cette perspective, les moyens liés à l’insertion et à la probation demeurent insuffisants.
La justice a été longuement délaissée dans notre pays, pour des raisons historiques. Or elle est le fondement de l’État de droit ; elle constitue aussi un facteur essentiel de paix civile – il suffit d’écouter nos rapporteurs – et de cohésion sociale.
Nos concitoyens demandent une justice forte et souhaitent que celle-ci soit rendue. Il ne sert à rien de recruter plus de policiers et de gendarmes si la justice ne suit pas. C’est même le contraire qui est vrai.
L’augmentation substantielle des crédits de la justice cette année, comme les années précédentes, va dans le sens de la reconstruction de notre institution judiciaire, qui en avait bien besoin. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc pour ces crédits.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le garde des sceaux, avant toute chose, je souhaite vous remercier de l’accueil que vous réservez aux parlementaires et de l’attention que vous accordez à nos demandes. Je me réjouis du travail que nous avons réalisé ensemble sur l’irresponsabilité pénale et pour améliorer, de manière sensible, la protection des victimes. Après certains propos que l’on vient d’entendre, il convient de souligner que les victimes sont aussi au cœur de nos préoccupations…
Je veux d’abord parler des tribunaux de commerce, cela ne vous étonnera pas. Depuis plusieurs années, nous demandons que les juges consulaires aient une adresse électronique professionnelle. Il semble que cela soulève des difficultés. Un autre problème, beaucoup plus important, concerne leur situation financière. Dans une réponse ministérielle, Mme Christine Lagarde indiquait que « par dérogation aux principes posés par l’article 13 du code général des impôts, selon lequel seules les dépenses effectuées en vue de l’acquisition ou la conservation du revenu imposable sont déductibles de l’assiette de l’impôt sur le revenu, les juges des tribunaux de commerce peuvent déduire de leurs revenus professionnels les frais qu’ils engagent dans l’exercice de leur mandat, alors même que celui-ci est gratuit ».
Je me permets de souligner, en passant, le caractère quelque peu péjoratif du terme « gratuit ». Surtout, les juges des tribunaux de commerce sont autorisés à substituer à la déduction de leurs frais réels une déduction forfaitaire de 305 euros pour un juge titulaire, 457 euros pour un président de chambre et 762 euros pour le président du tribunal. Mais ces montants n’ont pas été actualisés depuis 1969… Il serait temps, monsieur le garde des sceaux, de travailler sur cette question, qui est simplement d’ordre budgétaire.
J’associe Dominique Vérien à mon propos suivant. Le budget des tribunaux de commerce constituera un sujet majeur l’année prochaine pour le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et pour la Conférence générale des juges consulaires de France, qui souhaite entreprendre avec détermination des démarches pour obtenir une autre source de financement des juges consulaires. Cela pourrait passer par la création d’une ligne supplémentaire dans le budget de la justice, sur le fondement d’un montant forfaitaire qui soit un peu plus réaliste. Tout cela mérite réflexion, mais n’est-ce pas le moment d’y songer, alors que nous examinons les crédits de cette mission ?
Je veux désormais aborder la question de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, sujet qui m’est cher.
Évoquons tout d’abord le parquet national financier, dont le budget relève du programme 166, mais dont il n’est pas fait mention dans le document de politique transversale sur la fraude et l’évasion fiscales. Pourtant, le PNF joue un rôle majeur en la matière. J’en ai fait l’observation au ministre des comptes publics. Il serait donc utile que le PNF figure dans ce document transversal et fasse l’objet d’un traitement à part dans le projet annuel de performances de la mission. En outre, il convient de lui affecter des moyens complémentaires.
Par ailleurs, je signale que le PNF n’accepte pas de parlementaires en stage, pour une raison de confidentialité, j’imagine. Il serait néanmoins positif que de tels stages soient possibles ou que nous puissions y faire des visites, comme nous le faisons dans d’autres organismes. Je peux citer d’ores et déjà deux candidates : Mme de La Gontrie et moi-même ; nous avions eu l’occasion d’évoquer la question en commission des lois voilà quelques années. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le confirme du geste.) Nous sommes prêtes à jurer nos grands dieux de ne révéler aucun secret ! Ces stages seraient utiles, tant cette structure joue un rôle important en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
En tout cas, je le répète, le minimum serait de faire figurer son budget dans le document transversal sur la fraude et l’évasion fiscales.
J’aborde maintenant la question des moyens relatifs au traitement des conventions judiciaires d’intérêt public. Ces moyens sont probablement importants et il convient qu’ils figurent dans le document transversal, parce que ces conventions constituent finalement, pour ceux qui ont fraudé, une manière d’échapper à la justice. En tous les cas, elles suscitent de nombreuses critiques. Elles doivent donc figurer, aussi, d’une façon ou d’une autre, dans le document transversal, qui est l’alpha et l’oméga du contrôle parlementaire en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
J’appelle également votre attention, monsieur le garde des sceaux, sur un amendement de Dominique Vérien, qui vise à revaloriser le montant de l’aide juridictionnelle, afin de mettre en application certaines préconisations du rapport Plan rouge VIF, relatif au traitement des victimes de violences intrafamiliales. Il s’agit en l’occurrence de l’ordonnance de protection, en particulier de la rémunération des commissaires de justice. En effet, la rémunération des huissiers ne peut pas être prise en charge par l’aide juridictionnelle. Dominique Vérien a déposé un amendement tendant à corriger ce problème et nous le soutiendrons.
Enfin, je profite de cette discussion pour évoquer la question de la dématérialisation et de l’ouverture au public de l’ensemble des décisions judiciaires, y compris quand elles sont encore susceptibles de recours, car cela pose un problème de protection des données. Le chantier est d’ampleur, il s’agit d’un sujet extrêmement important, mais qui soulève un certain nombre de difficultés. Sans doute, ce n’est ni le lieu ni le moment d’en parler, mais, puisque le ministère dispose d’un budget substantiel pour l’informatisation et la modernisation de ses procédures, je signale que, si la dématérialisation des décisions de justice est une bonne idée, il convient de veiller à ce qu’elles ne soient pas susceptibles de faire l’objet d’un recours. Cela peut poser un certain nombre de problèmes en matière de protection des données.
Sous ces réserves, le groupe Union Centriste votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai par évoquer la question de la surpopulation carcérale, dont plusieurs de mes collègues ont déjà parlé.
Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires en France s’élève aujourd’hui à 123,2 %, ce qui constitue un nouveau record : 2 336 détenus en France sont obligés de dormir sur un matelas posé à même le sol. Les quartiers pour les détenus mineurs ne sont pas épargnés. À la prison de Remire-Montjoly, en Guyane, des mineurs doivent se partager une cellule individuelle. C’est inacceptable, parce que la surpopulation carcérale entraîne des conditions indignes de détention.
La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs déjà condamné la France à deux reprises pour les conditions de détention inhumaines et dégradantes de ses prisons : une première fois en 2020, une seconde fois en juillet dernier. De plus, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l’État pour traitement inhumain et dégradant des détenus dans le centre pénitentiaire de Perpignan, où trois personnes – trois ! – se partagent une cellule de neuf mètres carrés.
Ces conditions inhumaines de détention découlent du fait que la population carcérale ne cesse de croître. Le taux d’incarcération en France est le plus élevé de toute l’Europe, juste après ceux de Bulgarie et de Chypre. Alors que nos voisins européens tendent à réduire le taux d’incarcération, la France emprunte le chemin inverse.
Pourquoi ? Parce que ce gouvernement continue de soutenir le tout-carcéral au détriment des peines de substitution à l’emprisonnement. La mise en place de mécanismes de régulation carcérale est refusée, année après année. À la place, les comparutions immédiates se développent, alors qu’elles empêchent le recours aux peines alternatives. Résultat : les prévenus jugés en comparution immédiate ont huit fois plus de chances d’être condamnés à une peine de prison que les prévenus jugés en correctionnelle.
Faute d’une stratégie de long terme pour lutter contre la surpopulation carcérale, le Gouvernement propose de construire de nouvelles prisons. C’est de l’argent très mal investi, parce que cette politique ne permet ni d’améliorer les conditions de détention ni de lutter, de manière systémique, contre la surpopulation carcérale. Permettez-moi de citer la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté : « La construction de nouvelles places de prison ne saurait constituer une réponse efficace aux problèmes aux problèmes de la surpopulation carcérale. » À la place, il faudrait plutôt mettre en place des mécanismes de régulation carcérale et réduire le recours aux comparutions immédiates.
Malheureusement, la course pour créer toujours plus de places ne se limite pas aux centres pénitentiaires. La situation est similaire pour les centres éducatifs fermés. Ces centres visent à accueillir pendant plusieurs mois des jeunes de 13 à 17 ans ayant commis des infractions. L’idée est de sortir ces mineurs de leur environnement habituel, pour leur réapprendre la vie en collectivité. En 2017, Emmanuel Macron avait promis que vingt nouveaux centres seraient construits : ce chantier avance lentement, mais sûrement.
Cette année, à nouveau, le Gouvernement nous demande des crédits pour la construction de nouveaux centres. Or le problème tient non pas à un manque de place, mais à la défaillance de l’encadrement, notamment parce que la rotation des équipes est extrêmement élevée ; un tiers des places dans ces centres sont actuellement vacantes. Alors que les capacités ne sont pas toutes utilisées, la création de nouveaux centres éducatifs fermés paraît insensée… C’est pourquoi je partage l’avis de ma collègue Laurence Harribey, qui rappelle que de nombreuses solutions autres que la construction de nouveaux centres existent, à commencer par la justice restaurative.
J’en viens maintenant à la justice. Notre appareil judiciaire est malade et depuis longtemps. La France compte seulement 11 juges pour 100 000 habitants en France, alors que la médiane européenne se situe à 18. En raison de ce sous-effectif chronique, notre justice est structurellement lente. Certes, et nous nous en félicitons, nous avons enfin acté des recrutements dans les métiers de la justice, mais, si l’on veut attirer des personnes qualifiées, nous devons aussi améliorer les conditions de travail, revaloriser les rémunérations et investir dans les capacités de formation.
Vous vous félicitez, monsieur le garde des sceaux, d’avoir obtenu une hausse importante des crédits budgétaires pour la justice cette année. Nous aussi. Mais gardons en tête qu’il s’agit seulement d’un lent rattrapage, car les dépenses pour le système judiciaire restent, cette année encore, nettement inférieures à celles de nos voisins européens. À titre d’exemple, en Allemagne, les dépenses pour la justice représentent 141 euros par personne et par an ; en France, elles s’élèvent seulement à 73 euros, soit près de deux fois moins.
Au lieu de construire toujours plus de prisons, nous devrions sortir du tout-répressif et mettre un terme à certaines dérives qui favorisent la justice expéditive. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur le vote des crédits de cette mission.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nos concitoyens ont en matière de justice des attentes fortes et légitimes, qui sont parfois déçues.
Il nous revient d’y répondre sérieusement et sans démagogie, sans tomber dans les mêmes travers que ce sénateur du Rassemblement national – il nous a du reste quittés depuis son intervention – qui nous expliquait, il y a quelques instants, que son parti était du côté non pas des délinquants mais des victimes, alors que le Rassemblement national est le parti le plus condamné de France et qu’il y a cinq jours à peine, une adjointe au maire RN de Fréjus a été accusée d’avoir volé le téléphone portable d’une caissière de supermarché. Cela nous invite à relativiser – c’est le moins que l’on puisse dire – les propos tenus devant la Haute Assemblée…
Nombre de nos concitoyens ont donc des attentes importantes en matière de justice et, si celles-ci sont parfois déçues, cela est dû à un sous-investissement budgétaire chronique du service public de la justice.
Notre justice est devenue lente et elle n’a pas toujours les moyens de fonctionner correctement. Les acteurs de la justice en sont conscients. Leur souffrance au travail est du reste manifeste. Elle s’exprime très régulièrement, y compris récemment au travers de mouvements sociaux massifs.
Si le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky salue les efforts budgétaires substantiels portés par ce texte, la réponse reste cependant à ses yeux insuffisante face aux difficultés structurelles de notre justice.
Le budget que la France alloue à sa justice est parmi l’un des moins élevés d’Europe, même s’il augmente. Quand la France dépense 73 euros par an et par habitant pour sa justice, l’Italie en dépense 82, l’Espagne 88 et l’Allemagne 141, soit deux fois plus. Pour ce qui est du nombre de juges, la France n’en compte que 11 pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est deux fois plus élevée. Il en va de même pour les greffiers, qui portent notre justice à bout de bras et qui sont seulement 35 pour 100 000 habitants en France, contre en moyenne 56 pour 100 000 habitants en Europe.
En tant que parlementaires, notre rôle ne consiste pas seulement à saluer les hausses de crédits prévues par ce texte, mes chers collègues. S’il convient certes de le faire, il nous revient aussi d’évaluer les arbitrages budgétaires en les confrontant aux besoins du service public de la justice. Or ces derniers demeurent substantiels.
Nos magistrats exercent leurs fonctions dans des conditions difficiles. Ils sont souvent confrontés à une justice chronométrée, dépourvue d’écoute, et à un ministère qui ne respecte pas le droit européen ni les normes élémentaires de temps de travail. Depuis la publication de l’« Appel des 3 000 », la souffrance des magistrats n’est plus un tabou. La cause de leur surmenage est bien connue : comme cela a été évoqué, la France compte seulement 9 000 magistrats, alors qu’il en faudrait bien davantage pour atteindre les standards européens.
Le justiciable est la victime collatérale de ces multiples abandons, avec des délais qui s’allongent, des requérants non écoutés et des juges confrontés à des choix difficiles.
En ce qui concerne le volet pénitentiaire, les arbitrages budgétaires actuels ne permettent pas de redonner tout son sens à la peine. Les orientations prioritaires devraient être la lutte contre les conditions indignes de rétention – ma collègue Mélanie Vogel l’a indiqué –, la prévention de la récidive et la promotion de la réinsertion.
Je rappelle que la surpopulation carcérale atteint un niveau sans précédent en France. En juillet, notre pays a de nouveau été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le taux d’occupation moyen de nos prisons s’établit à 146 %, et plusieurs établissements ont un taux d’occupation de 200 %, si bien que plus de 3 000 détenus dorment tous les soirs sur un matelas à même le sol. Cette surpopulation carcérale a des conséquences dévastatrices et en cascade. Elle prive les détenus de perspectives de réinsertion.
Nous pensons que les peines alternatives à l’incarcération, les aménagements de peine et les mesures de réinsertion nécessitent des investissements plus significatifs, alors que les crédits alloués à ces dispositifs dans le présent budget stagnent. Les peines alternatives ne sont pas pleinement exploitées. Seule la moitié des places des dispositifs de placement à l’extérieur sont occupées, et les crédits alloués à l’insertion professionnelle des détenus sont pour leur part bien trop faibles, puisque seulement 7 % des détenus bénéficient d’une formation, contre 9 % en 2021.
La justice restaurative, essentielle pour réduire la récidive, ne bénéficie par ailleurs d’aucune majoration budgétaire. Des exemples étrangers comme celui du Québec démontrent pourtant le succès de tels programmes.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous ne voterons pas les crédits de cette mission. Tout en saluant leur augmentation, nous estimons en effet qu’elle ne va pas assez loin.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, même si je n’étais pas encore sénateur à l’époque, je me souviens néanmoins de ce qu’il se disait lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021. Les qualificatifs utilisés pour ce budget ne manquaient pas : « exceptionnel », « historique », comprenant des moyens jusqu’alors « inégalés ».
Je me réjouis de constater que, trois années plus tard, la tendance perdure. Nous saluons le fait que cette hausse concerne tous les programmes de la présente mission. Quand les choses suivent la bonne direction, il faut savoir le dire !
La création de 1 925 emplois, dont 305 postes de magistrats et 340 postes de greffiers, est annoncée. C’est une bonne chose, car ces recrutements sont indispensables. Les agents déjà en fonction souffrent depuis trop d’années du délabrement de la justice, cette situation les empêchant d’effectuer un travail serein et de qualité. Ces nouveaux soutiens seront donc salutaires. Ces recrutements ne concernent fort heureusement pas que la magistrature et la justice judiciaire. L’administration pénitentiaire en bénéficiera aussi, et c’est bien.
Mon groupe salue également la dynamique des dépenses d’investissement et de fonctionnement. Je pense en particulier aux opérations de construction, de rénovation, d’entretien, d’aménagement des bureaux ou de gestion des locaux. Je pense également aux dépenses liées à la modernisation numérique du service public de la justice.
En résumé, à l’image des budgets qui lui ont précédé depuis 2021, ce budget paraît globalement satisfaisant.
Il convient toutefois d’apporter quelques tempéraments à ces éloges.
Il est tout d’abord nécessaire de prendre en compte l’inflation pour apprécier l’évolution des crédits. Je donnerai un exemple concret de ce premier et important écueil. Si les dépenses de fonctionnement inscrites au programme 166 « Justice judiciaire » sont en hausse, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure cette hausse ne se bornera pas à compenser l’inflation.
Il convient ensuite de souligner que, malgré cette dynamique déjà bien engagée, notre pays est toujours, en matière de justice, le mauvais élève parmi les pays européens. Ce constat s’atténue progressivement, notamment depuis quelques dernières années, mais nous partions de si loin que l’on peine à l’oublier.
Par ailleurs, comme cela a été souligné lors des états généraux de la justice, tout ne procède pas d’une hausse des moyens. Le Gouvernement mais aussi le Parlement doivent en effet étudier l’opportunité de conduire une réforme systémique de la justice. Nous observons par exemple que les délais de traitement s’allongent en cour d’assises, alors qu’ils auraient dû se stabiliser, voire diminuer.
La loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice prévoit la refonte du code de procédure pénale, devenu illisible, voire inadapté, au fil de multiples révisions. Nous l’attendons, et les professionnels de la justice l’attendent sans doute encore davantage, mais cette attente mêle l’espoir et la crainte d’une véritable désillusion.
Je dirai enfin pour conclure un mot de la protection judiciaire de la jeunesse, dont la situation est très préoccupante. J’ai le sentiment que la hausse des moyens de la justice, que j’ai saluée, n’arrive pas jusqu’à ces services ; notre excellente collègue Maryse Carrère, qui a été rapporteure pour avis sur ce programme, l’a souligné à plusieurs reprises. Je ne prétends pas que rien n’est fait, mais je ne suis pas certain, par exemple, que les revalorisations salariales qui ont été effectivement consenties soient suffisantes. Comme le montre aussi notre chère collègue Laurence Harribey dans son rapport pour avis sur ce programme, la baisse de l’attractivité des métiers de la PJJ ne semble pas endiguée.
Les raisons en sont assez simples : ce sont des professions exigeantes qui demandent une quasi-dévotion des agents. Les horaires sont souvent difficiles. La charge de travail augmente et se bureaucratise. Les situations à traiter sont humainement éprouvantes. Si le soutien des magistrats et des tribunaux judiciaires est essentiel, il faudra aussi soutenir ces services qui touchent à l’enfance, et partant, aux générations à venir.
Cette remarque étant faite, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe du RDSE votera pour les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)