M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la proposition de loi visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l’apprentissage ». Son spectre est extrêmement large. En effet, elle a trait à toutes les formes d’alternance, qu’elles relèvent des contrats d’apprentissage ou de professionnalisation. Elle s’applique aussi bien aux élèves qui ont obtenu le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou le bac qu’aux étudiants de niveau bac +5 ou au-delà.

D’abord, cette proposition de loi a pour objet de favoriser l’augmentation du nombre d’alternants engagés dans un projet de mobilité Erasmus+.

Ensuite, elle vise à augmenter la durée des séjours des alternants qui partent se former théoriquement ou pratiquement dans un pays de l’Union européenne.

Enfin, elle tend à faire converger les prises en charge financières par les opérateurs de compétences. À cet effet, elle rend obligatoire la compensation des coûts liés aux cotisations sociales pour les alternants dont une partie du contrat avec leur entreprise a été mise en veille. De fait, les intéressés ne bénéficient plus des avantages du salariat français.

Pour ce faire, les dispositifs proposés dans le texte adopté à l’Assemblée nationale tendent à lever des contraintes administratives dissuasives pour les parties prenantes, en France ou à l’étranger. Pragmatique, la proposition de loi s’inscrit dans le cadre d’une démarche plus globale de la part du Gouvernement : promouvoir le développement de l’alternance en France en faisant le choix de la libéralisation.

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a illustré cette démarche. Elle a par exemple supprimé la régulation par la région de la carte des formations et libéralisé l’ouverture des centres de formation des alternants.

Nous insistions à l’époque des débats sur le fait que le développement de l’apprentissage ne devait pas se faire au détriment de la qualité du contrôle ou de l’accompagnement des alternants, ce que laissait craindre une telle libéralisation. Comme nous le soulignions alors, confier aux branches la responsabilité de l’apprentissage à la place des régions, supprimer la régulation par la carte des formations et libéraliser l’ouverture des CFA représentaient autant de facteurs de fragilisation du système et de mise en concurrence des acteurs de l’alternance.

Le bilan que tire la Cour des comptes de ces efforts du Gouvernement, dans son rapport de juillet 2023 Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à lapprentissage, est mitigé : « La libéralisation du cadre de la formation professionnelle des salariés et de l’alternance par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les incitations au recours à l’apprentissage et au compte personnel de formation et l’absence de limite posée au financement de ces deux dispositifs sont à l’origine d’une très forte dynamique de la dépense. »

La Cour des comptes précise également : « Cette dynamique n’est pas prioritairement orientée vers la réponse aux besoins des populations les moins qualifiées, qui sont pourtant celles qui en tireraient le plus grand bénéfice. »

Le rapport sénatorial du 29 juin 2022, France compétences face à une crise de croissance, pointe quant à lui la soutenabilité de la réforme. Dans une logique de guichet, cette dernière endette un établissement public à caractère administratif, France Compétences, pour que l’alternance soit développée indépendamment du niveau réel de financement par les entreprises.

Pour revenir au présent texte, nos craintes relatives à libéralisation de l’apprentissage valent aussi quand l’alternance s’inscrit dans un projet européen, ce qui est le cas ici.

Nous sommes par exemple inquiets à l’idée que les alternants soient laissés dans une relative solitude lorsque leur contrat est mis en veille par l’entreprise dès lors qu’ils sont impliqués dans un projet de mobilité de plus de quatre semaines. Le présent texte tend à corriger ce problème en offrant un autre choix aux alternants et à ceux qui les accompagnent.

Le développement des contrats de mise à disposition nous semble une solution bénéfique, même si elle se comprend tout particulièrement, voire surtout, pour les grands groupes. En effet, les filiales à l’étranger leur permettent déjà d’accueillir des alternants de manière simplifiée.

Indépendamment de ces considérations, nous reconnaissons la portée essentiellement technique de la présente proposition de loi, dont l’objet est de faciliter le déploiement de projets pour les parties prenantes de l’Erasmus de l’alternance. Les solutions mises en avant nous semblent cohérentes.

Nous espérons que la demande de « rapport sur les bourses et les aides financières destinées aux apprentis souhaitant effectuer une mobilité à l’étranger », figurant à l’article 3 bis, sera bien suivie d’effet. (Mme la ministre déléguée acquiesce.)

Comme Mme la ministre m’a bien écoutée, je pense que ce sera le cas…

Nous voterons donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi déjà de vous remercier, madame le rapporteur, pour cet excellent travail sur un sujet d’importance. Pour votre premier texte, vous vous inscrivez dans l’histoire de la mobilité internationale des alternants, ouverte - il faut le mettre en avant, même si vous l’avez cité - par notre collègue député européen Jean Arthuis. Le cadre juridique de cette politique a été créé dans la loi du 29 mars 2018 par Alain Milon, que nous saluons.

M. Philippe Bas. Très juste !

Mme Frédérique Puissat. En effet, l’intéressé avait permis à l’époque l’introduction d’un article additionnel, inspiré des recommandations formulées par Jean Arthuis dans son rapport Erasmus Pro : lever les freins à la mobilité des apprentis en Europe. Cet article visait à définir un cadre incitatif pour que toutes les parties – apprentis, entreprises, centres de formation – profitent des opportunités offertes à l’échelle européenne par le programme Erasmus Pro. Il représentait la première pierre de tout un édifice !

Je remercie également Michel Forissier,…

Mme Frédérique Puissat. … ancien sénateur du Rhône, pour lequel j’ai une pensée. Il avait aménagé le dispositif au travers de la loi du 5 septembre 2018 afin d’en étendre la portée et d’en faciliter le déploiement. Ce texte représentait la deuxième pierre de l’édifice !

Nous avons trouvé encourageantes de telles fondations : l’agence Erasmus+ a estimé que, en 2018-2019, 6 870 alternants ont été soutenus par le programme pour effectuer un séjour à l’étranger contre 5 300 en 2016-2017, soit une hausse de plus de 30 % en deux ans.

Cela étant, des progrès restaient à accomplir. L’Igas avait constaté que la mobilité des apprentis restait essentiellement une mobilité de court terme et qu’elle demeurait très au-dessous de la mobilité des apprenants de l’enseignement supérieur, estimée à 16 % ou 17 %.

Il ressort également de vos travaux, madame le rapporteur, que le développement des mobilités des alternants n’a pas suivi l’augmentation significative du nombre de contrats d’apprentissage, lesquels sont passés de 321 000 en 2018 à 842 000 à la fin de septembre 2023. Vos travaux permettront donc de lever d’autres freins : juridiques, administratifs et académiques. Vous apportez une troisième pierre à l’édifice, ce dont nous vous en remercions. Bien entendu, notre groupe ira dans le sens du développement de l’apprentissage, que vous proposez.

Mme Frédérique Puissat. Je profite néanmoins du temps qui m’est imparti pour vous interpeller, madame le ministre. Une fois les pierres posées et les freins levés, encore faut-il trouver comment financer l’apprentissage ! Nous rencontrons en la matière – vous le savez – plusieurs difficultés majeures.

Premièrement, l’équilibre financier de France Compétences nous préoccupe. Nous avons fait des propositions à ce sujet dans l’hémicycle lors de l’examen du projet de loi de finances. Elles n’ont pas été retenues par le Gouvernement dans le texte issu du 49.3. Nous souhaitons que le problème soit définitivement résolu.

Deuxièmement, Catherine Di Folco, avec qui je m’en suis entretenu tout à l’heure, a posé la question de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale.

Troisièmement, l’équilibre de l’Unédic – nous en avons parlé – est un véritable sujet : une partie de sa dette est liée aux travailleurs frontaliers. L’article 3 bis, qui vise à ratifier l’ordonnance du 22 décembre 2022 relative à l’apprentissage transfrontalier, creusera nécessairement, même si c’est de peu, cette dette. En tout état de cause, l’audition menée dans le cadre de la commission des affaires sociales ne nous a pas apporté d’informations pour disposer d’une appréciation financière. Nous attendons donc un certain nombre d’éclaircissements en la matière.

Il restera donc important, madame le ministre, d’éclairer le Parlement sur ces points. Nous serons ainsi véritablement satisfaits tout comme, dès lors que cette loi sera votée, nous serons tous fiers de soutenir l’apprentissage en France et hors de nos frontières, auquel nous croyons. Je remercie enfin notre rapporteur pour son travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Élisabeth Doineau et Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les expériences sont ce qui nous forge. À tout âge, peut-être encore davantage lorsque l’on est jeune, la découverte, l’inconnu et l’apprentissage au sens large façonnent notre esprit. Les expériences à l’étranger en sont le meilleur exemple. Nous connaissons tous un jeune qu’une mobilité Erasmus a changé et a contribué à faire grandir.

Ce programme est un succès. Il a permis aux 10 millions d’Européens qui en ont bénéficié depuis sa création de développer leurs compétences linguistiques, de découvrir une autre culture, de gagner en autonomie et d’apprendre d’autres savoir-faire professionnels. Tout cela favorise évidemment l’emploi des jeunes.

La réforme de l’apprentissage, issue de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a été une première pierre en faveur de la mobilité internationale des alternants. Or les freins demeurent encore trop nombreux, si bien que seuls 2 % des apprentis auraient effectué une mobilité en 2019, contre plus de 17 % des étudiants de l’enseignement supérieur.

Pourtant, l’apprentissage a connu une évolution formidable durant le dernier quinquennat : le nombre de contrats est passé de 320 000 en 2018 à plus de 800 000 en 2022. Cette dynamique a largement contribué à la diminution du taux de chômage.

En effet, l’apprentissage est un atout fabuleux qui permet de concilier la découverte du monde professionnel avec la poursuite des enseignements. Terminer ses études en ayant déjà acquis une véritable expérience professionnelle est une force qui facilite indiscutablement l’insertion sur le marché du travail.

Il nous faut évidemment continuer à soutenir ce dispositif. Le soutien à l’apprentissage passe notamment par le développement de la mobilité, qui contribue à renforcer l’attractivité des formations. Dès lors, par cette proposition de loi, nous prenons acte d’un certain nombre de freins.

Le premier frein est la mise à disposition. Actuellement, lors d’une mobilité, qui ne peut excéder un an, le contrat d’alternance est mis en veille. Dans ce cas, l’employeur est alors libéré de toutes ses obligations, notamment en matière de rémunération, ce qui peut faire peser des incertitudes sur l’apprenti et sur son CFA. Une mise à disposition, qui permet le maintien de l’exécution du contrat de travail avec l’employeur français, est seulement possible pour une durée maximum de quatre semaines.

Le deuxième frein est d’ordre financier, car les opérateurs de compétences ne prennent pas tous en charge de la même façon les frais liés à une mobilité. Ce soutien demeure très souvent insuffisant.

Le troisième frein est la méconnaissance par les alternants eux-mêmes de la possibilité d’effectuer un séjour à l’étranger.

Cette proposition de loi lèvera ces difficultés. Premièrement, elle a pour objet d’offrir un droit d’option entre la mise en veille du contrat et la mise à disposition, en supprimant la limite de quatre semaines. Cette suppression accordera plus de flexibilité aux alternants. Le texte supprime également la condition de durée minimum de six mois pour effectuer une mobilité grâce à un contrat d’apprentissage.

Deuxièmement, la proposition de loi permet aux CFA de conclure des conventions de partenariat avec les organismes de formation étrangers et supprime ainsi l’obligation de conventions individuelles pour les apprentis. Cette mesure de simplification et d’allégement administratifs va évidemment dans le bon sens.

Enfin, le présent texte concourt à l’harmonisation de la prise en charge des frais par les opérateurs de compétences en rendant obligatoire la prise en charge des frais correspondant aux cotisations sociales liées à la mobilité.

Sans doute serait-il nécessaire de procéder à une véritable harmonisation entre les Opco. Avec cette proposition de loi, nous n’en franchissons pas moins un premier pas, qui a toute son importance.

L’apprentissage est une force ; Erasmus est une chance. Il est absolument indispensable de concilier les deux pour l’avenir professionnel de nos jeunes.

Cette proposition de loi contient des avancées pratiques et pertinentes, qui contribueront au développement de la mobilité internationale des alternants. Les élus du groupe Les Indépendants en soutiennent pleinement l’esprit. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Bernard Buis et Michel Masset applaudissent également.)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de débattre de cette proposition de loi visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un Erasmus de l’apprentissage.

Comme vous le savez, Jean Arthuis n’y est pas étranger : je suis donc d’autant plus heureuse de m’exprimer à cette tribune ! (Sourires.) Notre ancien collègue a mené un combat acharné, non seulement pour la reconnaissance et le développement de l’alternance, mais aussi en faveur des idéaux européens, qui me sont chers également.

Je tiens à remercier le président de notre commission, Philippe Mouiller, et notre rapporteure, Patricia Demas, qui a travaillé avec rigueur et sensibilité.

En 2017, dans son discours à la Sorbonne, le Président de la République a affiché cette ambition : que, d’ici à 2024, la moitié d’une classe d’âge ait passé « au moins six mois dans un autre pays européen ».

À ce titre, les alternants ne doivent pas être oubliés. C’est indispensable de les prendre en compte pour atteindre l’objectif fixé : ces jeunes doivent eux aussi bénéficier des programmes de mobilité.

Le programme d’échanges européen Erasmus+ a évalué à 10 000 le nombre d’alternants en mobilité en 2022, quand la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) dénombrait 837 000 nouveaux contrats d’apprentissage. Pis, selon le rapport de notre collègue député Sylvain Maillard, seuls 933 alternants sont partis plus d’un mois hors de France en six ans ; la marge de progression est donc immense.

Le présent texte a pour objectif de lever certains freins d’ordre juridique et financier au développement de la mobilité internationale des alternants. Il répond aux attentes de ces jeunes apprentis en suivant trois grands axes : le dynamisme, la flexibilité et la simplification des procédures.

Tout d’abord, cette proposition de loi mise sur le dynamisme.

Une formation à l’étranger permettra à ces jeunes de développer de nouvelles aptitudes, qu’ils pourront mettre en avant pour entrer plus facilement sur le marché du travail. Rappelons que 60 % des jeunes issus d’un lycée professionnel sont sans emploi six mois après la fin de leurs études. Ce chiffre m’a particulièrement émue.

Le dynamisme étudiant que propose ce texte répond pleinement aux prérogatives chères à l’Union européenne, autour de la mobilité. Permettons à ces jeunes d’en profiter ; ceux-là mêmes pour qui les institutions européennes semblent parfois si lointaines, voire dénuées d’intérêt. Notre responsabilité est de leur prouver que l’Europe appartient à tous. J’ajoute que les référents mobilité accompagneront opportunément les jeunes apprentis.

Ensuite, le présent texte est gage de flexibilité.

Facilitons pour les apprentis, leurs entreprises et les établissements de formation les modalités de séjour à l’étranger. Offrons-leur les outils administratifs et juridiques pour y parvenir.

Cette proposition de loi crée un droit d’option entre la mise en veille du contrat et la mise à disposition de l’alternant : si l’entreprise souhaite garder l’étudiant sous son égide, elle pourra signer une mise à disposition à cette fin.

Qu’elle soit financière, sociale ou même professionnelle, la sécurité qui en résultera poussera un peu plus ces jeunes à suivre un cursus à l’étranger. Nous favoriserons ainsi le sentiment d’un destin commun européen.

Enfin, la simplification est omniprésente dans ce texte et elle ne signifie pas « déconvention », loin de là.

Cette proposition de loi supprime l’obligation pour les alternants en mobilité internationale de conclure une convention individuelle de mobilité avec l’organisme de formation qui les accueille, dès lors qu’une convention de partenariat existe entre le CFA et ledit organisme.

Cette mesure aidera à réduire la charge administrative des CFA. En outre, elle les encouragera à nouer des partenariats avec des organismes de formation à l’étranger. En ce sens, le présent texte simplifie les modalités de conventionnement tout en assurant une véritable protection pour nos jeunes.

Mes chers collègues, cette proposition de loi rend prioritaires les enjeux de la démocratisation de la mobilité. Elle complète le texte de 2018 tout en levant certains freins.

Il s’agit là d’une véritable avancée politique en faveur de nos apprentis. Saisissons la chance qui nous est offerte ! Les membres du groupe Union Centriste voteront sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, Les Républicains et RDPI. – M. Michel Masset applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue cette proposition de loi, qui tend vers une meilleure application du principe fondateur de l’égalité républicaine.

Le programme Erasmus est l’un des plus grands succès de l’Union européenne. Il a déjà bénéficié à plus de 13 millions de jeunes ; mais, malheureusement, il reste inégalitaire.

Alors que les apprentis regroupent environ 28,5 % des étudiants et des étudiantes de France, ils et elles ne représentent que 10 % des jeunes bénéficiant d’Erasmus.

Le présent texte lève certains des freins administratifs qui nuisent au développement de la mobilité internationale des apprentis : c’est sans aucun doute une bonne chose.

Parce qu’ils croient en l’Europe et parce que le programme Erasmus permet aux jeunes de vivre ensemble au-delà de leurs cultures, les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires soutiennent le présent texte. Mais, si ce dernier va dans le bon sens, il doit s’accompagner d’un soutien financier renforcé aux étudiantes et aux étudiants.

Je l’ai dit hier et je le répète : nous avons défendu la semaine dernière une proposition de loi visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l’instauration d’une allocation autonomie universelle d’études.

Ce texte n’a pas eu le succès que nous attendions, avec son auteure Monique de Marco et les organisations étudiantes. Mais il nous a permis d’exprimer une préoccupation commune quant à l’augmentation de la précarité des jeunes, que ce soit au sein de la commission des affaires sociales ou encore – je le crois – de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et, maintenant, du sport.

Il est apparu clairement que le Sénat devait continuer à travailler sur ce sujet, je l’espère dans le cadre d’une mission d’information. Le Gouvernement doit lui aussi remettre l’ouvrage sur le métier ; j’en veux pour preuve le peu de réponses apportées sur ce sujet par Mme Retailleau.

La précarité touche les étudiantes et les étudiants, y compris au titre des mobilités internationales. De fait, les séjours longs à l’étranger s’adressent principalement aux plus favorisés.

Je salue la demande de rapport formulée à l’article 3 bis afin de dresser un état des lieux des bourses. Cette disposition a été introduite sur l’initiative du groupe écologiste de l’Assemblée ; et, faisant une exception à la règle, Mme la rapporteure, que je salue, l’a conservée dans le texte de la commission.

S’il nous parvient, comme je l’espère, ce rapport nous permettra d’y voir plus clair quant aux aides financières destinées aux apprentis souhaitant effectuer une mobilité à l’étranger.

Force est de le constater : pour que tous les étudiants et toutes les étudiantes puissent se former à l’étranger, il faut aussi augmenter les bourses de mobilité. Sinon, nous exclurons de facto les trois quarts d’entre eux.

Madame la ministre, j’espère que vous entendrez cet appel. Qui sait ? Peut-être le Gouvernement aura-t-il la bonne idée de transférer les 160 millions d’euros du service national universel (SNU) aux bourses de mobilité Erasmus+ ? Ces crédits seraient bien plus raisonnablement employés ainsi.

En résumé, si nous déplorons l’absence de mesures à même de déployer un fort soutien financier, le présent texte facilitera la mobilité internationale des alternants en levant un certain nombre de freins administratifs.

Le programme Erasmus est une chance ; nous devons faire en sorte que tous les jeunes puissent en bénéficier, quelles que soient leurs conditions socio-économiques.

Comme l’a dit Mme Doineau, la marge de progression est immense. Il serait bon que tous les étudiants et tous les apprentis français puissent passer au moins un an à l’étranger avant de commencer à travailler. C’est ce que pratiquent nombre de nos voisins européens. Par ces temps de repli où nous vivons, ce serait tout simplement salutaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureuse de débattre avec vous d’un projet européen qui, selon moi, est des plus positifs, car il permet d’échapper à la logique de marché de l’Union européenne : il s’agit bien sûr du dispositif Erasmus.

Outil d’émancipation, de coopération et de brassage culturel, ce programme est aux antipodes des négociations menées aujourd’hui même par la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’immigration.

Aussi cette proposition de loi pour un Erasmus de l’apprentissage, déposée par un membre de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, me met-elle profondément mal à l’aise.

Nous en débattons alors que, de l’aveu d’une députée du même groupe parlementaire que l’auteur de ce texte, l’exécutif s’emploierait à « offrir un plateau d’argent » à l’extrême droite.

Parmi ces mesures, citons l’exigence du dépôt préalable d’une « caution retour » pour les étudiants désireux de poursuivre leurs études en France.

Dénoncé fermement par France universités dans un communiqué paru il y a deux jours, le dépôt d’une telle caution condamnerait les étudiants hors de l’Union européenne à se détourner de la France pour poursuivre leurs projets de formation. L’accueil d’étudiants internationaux dans les cursus scientifiques ou d’ingénierie est pourtant indispensable au développement industriel de la France.

Le Gouvernement accroît pour nos apprentis les moyens de se former à l’étranger tout en restreignant pour les jeunes étrangers les possibilités d’étudier en France : ce « en même temps » est une contradiction profonde, qui nous éloigne de la tradition d’ouverture de la France en matière d’accueil d’étudiants internationaux. Il va à l’encontre de l’esprit de coopération culturelle et scientifique qui distingue le programme Erasmus lui-même.

En outre, le rôle que le Gouvernement attribue à l’apprentissage doit être examiné à l’aune des réformes à l’œuvre pour démanteler l’enseignement professionnel public.

Fruit d’un raisonnement utilitariste, ces réformes ont subordonné les enseignements généraux aux stricts besoins professionnels et, plus globalement, le lycée professionnel aux besoins des décideurs locaux et du patronat.

La réforme Attal de la voie professionnelle ne fait que calquer la filière professionnelle tout entière sur le modèle des CFA, qui sont au service des entreprises. Elle orchestre l’orientation de jeunes de 15 ans vers les métiers les plus pénibles et les moins valorisés de ce pays en les rémunérant 2,80 euros de l’heure…

Cette proposition de loi a bel et bien un mérite : favoriser l’égalité d’accès à Erasmus entre les alternants, d’une part, et, de l’autre, les étudiants de l’enseignement supérieur. Toutefois, nous ne sommes pas dupes.

Le présent texte ne saurait cacher la réforme de la voie professionnelle, qui cautionne la ségrégation sociale et accentue la polarisation de notre pays : on trouve, d’un côté, des exécutants souvent mal payés, aux conditions de travail difficiles ; et, de l’autre, des métiers exigeant des études supérieures toujours moins accessibles, lesquelles seraient même d’emblée réservées aux classes les plus aisées.

Enfin, je souhaite vous faire part des grandes réserves que m’inspire la logique du « tout-apprentissage », du CFA au bac+5.

Le coût de cette politique pour les finances publiques est proprement abyssal. On a ainsi mobilisé 5,9 milliards d’euros pour France Compétences en 2022.

Elle n’est que peu favorable aux jeunes, puisque près d’un tiers des contrats d’apprentissage se terminent avant leur terme et que près d’un quart desdits contrats se soldent par un abandon définitif sans diplôme.

J’ajoute qu’elle reproduit les inégalités du marché du travail. Comme le pointe le sociologue Gilles Moreau, l’apprentissage accueille toujours aussi peu de filles – ces dernières ne représentent que 30 % des effectifs d’apprentis – et ne concerne que très peu d’enfants issus de l’immigration.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

Bien entendu, nous sommes totalement favorables à la mobilité de nos jeunes, en Europe ou ailleurs. Mais, à nos yeux, la véritable urgence est de renforcer les enseignements de la voie professionnelle, notamment les langues : un tel effort serait on ne peut plus pertinent avant d’envoyer nos jeunes en formation à l’étranger.

De plus, nous sommes favorables à une allocation d’autonomie pour les étudiants et apprentis. Proposé par nos collègues du groupe écologiste, ce dispositif sera plus efficace pour favoriser les séjours internationaux qu’un mécanisme complexe censé lever les freins à la mobilité des apprenants. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K.)