M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’ouverture, en 1999, des discussions sur le projet de traité de libre-échange avec les pays du Mercosur, la Commission européenne a mené chaque étape du processus dans l’opacité la plus totale.
Du mandat initial de négociation au contenu de l’accord, désormais verrouillé, l’information du public et la consultation des parlements nationaux n’ont jamais été entreprises. Cette pratique est désormais courante, puisque, au mépris de son rôle, le Sénat n’a jamais été saisi de la ratification du Ceta.
Après le rejet du texte, en l’état, par le Parlement européen et afin de contourner d’éventuels vetos de certains États membres, la Commission européenne souhaite découper le traité pour forcer sa ratification, comme elle l’avait fait pour l’accord-cadre conclu avec le Chili.
Cela fragilise encore l’assise démocratique, déjà quasi inexistante, de ce traité, le plus important jamais conclu par l’Union européenne.
Les accords de libre-échange riment donc avec opacité et anti-démocratie, ce qui est inacceptable, car leurs enjeux sont d’intérêt public et national.
Le contenu de ce traité nous lie à un modèle de société dépassé, datant des années 1990, et perpétue un système économique nocif pour l’humain et le vivant, qui exacerbe les injustices sociales et climatiques à l’échelle mondiale.
Le gouvernement français a annoncé conditionner son approbation à l’absence d’augmentation de la déforestation importée, notamment au Brésil, à la mise en conformité du traité avec l’accord de Paris, ainsi qu’à l’instauration de mesures miroirs tant sanitaires qu’environnementales.
Le Gouvernement se montre, en revanche, bien moins bavard quand il est question de la lutte contre la déforestation en Guyane française, en proie à l’orpaillage, ce qui entraîne des pollutions au cyanure et au mercure.
Avec les auteurs de cette résolution, nous appelons à ce que le rapprochement avec le président Lula ne rende pas le Gouvernement oublieux de ses engagements, d’autant que la situation géopolitique est une nouvelle fois bouleversée par l’arrivée au pouvoir du nouveau président argentin, Javier Milei, un climatosceptique revendiqué.
Outre la carence d’assise démocratique de ce traité, il nous faut considérer les risques pour la santé qui découlent de l’importation de produits alimentaires dont la production n’est pas soumise aux mêmes normes qu’en Europe.
Alors que l’explosion du nombre de maladies graves notamment liées à l’alimentation est avérée, une ratification de l’accord en l’état ouvrirait la porte à des produits qui ne répondent pas au principe de précaution. Cela ferait peser des risques sur les consommateurs, en particulier dans un contexte d’inflation où l’achat de denrées à moindre coût est privilégié par les classes populaires, qui n’ont pas d’autre choix en raison du blocage des salaires. (Mme Sophie Primas applaudit.)
Plus largement, les risques pour la santé s’accroîtraient du fait de l’impact climatique d’un tel accord, qui promeut des flux commerciaux incompatibles avec les objectifs de réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre et favorise le commerce de biens polluants alimentant les crises environnementales.
Son contenu est donc incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris et du Pacte vert pour l’Europe.
En outre, cet accord ferait peser un autre risque, sur les pays du Mercosur cette fois, lesquels pourraient se voir cantonner dans un rôle d’agroexportateur et de fournisseur de ressources minières et énergétiques. On les enfermerait ainsi dans un modèle néfaste pour les populations locales comme pour l’environnement.
Ces problématiques se télescopent avec l’effet qu’aurait ce traité sur les paysans et éleveurs français, à l’heure où l’évolution vertueuse de notre modèle agricole est déjà engagée.
Alors que nos agriculteurs sont de plus en plus contraints par les réglementations sanitaires et environnementales, ratifier ce traité sans prévoir de mesures miroirs en matière environnementale enverrait un message délétère. Non seulement cela affecterait négativement le développement de la production locale et des circuits courts, mais cela créerait une situation de concurrence déloyale à laquelle il leur serait impossible de faire face.
Nous nous joignons donc à la proposition de généralisation du principe de réciprocité des méthodes de production, pour garantir une concurrence équitable avec les pays tiers.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la ratification de ce traité de libre-échange soulève de multiples difficultés dont nous devrions être saisis.
Je rappelle que ces problématiques dépassent largement ce seul traité et ont déjà été soulevées à l’occasion d’autres accords de libre-échange.
Il serait illusoire de croire que ces difficultés se régleront sans assise démocratique, sans consultation du Parlement ni des citoyens, sans évaluation des effets cumulés de cette politique commerciale et sans sa mise en cohérence avec la politique environnementale et agricole communautaire.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Fabien Gay. Or ce point d’ajustement n’est pas le seul : le renforcement des contrôles des importations aux frontières et le développement de mécanismes équilibrés de résolution des conflits doivent également faire l’objet d’un travail approfondi.
Pour toutes ces raisons, nous voterons pour cette proposition de résolution. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sophie Primas applaudit également.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trente-quatre ans que l’idée d’un régionalisme ouvert est la priorité politique des nations sud-américaines. Voilà vingt-cinq ans que le mandat de négociation de cet accord est actif et que les discussions patinent. Et pour cause !
Les parlementaires que nous sommes n’ont jamais cessé d’alerter les pouvoirs publics sur les zones grises de l’accord entre les pays du Mercosur et l’Union européenne.
Le groupe du RDSE est, depuis toujours, très préoccupé de la multiplication de ce type d’accord de libre-échange. La résolution adoptée par notre assemblée en 2018 sur l’initiative de Jean-Claude Requier appelait le Gouvernement à ne pas contribuer à la signature précipitée d’un accord déstabilisateur de l’équilibre des productions agricoles de nos territoires ruraux et ultramarins.
Dans un contexte géopolitique mettant en péril notre souveraineté alimentaire, la présente proposition de résolution est à son tour bienvenue. Elle met en lumière des préoccupations majeures et souligne des lacunes démocratiques, économiques et sociales, ainsi qu’au regard des exigences environnementales que la France s’est engagée à honorer dans le cadre de l’accord de Paris.
Le RDSE se joint donc aux signataires de cette proposition de résolution pour inciter le Gouvernement à maintenir une position ferme et juste.
Le 4 décembre dernier, Olaf Scholz appelait les dirigeants européens à faire preuve de « pragmatisme » pour trouver les termes d’un accord. De quel accord parlons-nous ? Quelles sont nos lignes rouges et quelles méthodes seront employées pour dialoguer avec les consommateurs et les agriculteurs ?
L’agriculture française représente une immense source de fierté. Notre production se distingue par son excellence, grâce à la qualité exceptionnelle de ses exploitations en matière sanitaire et environnementale. Bien que nous soutenions le multilatéralisme et la régulation du commerce international au travers d’accords de libre-échange, il est évident que l’accord de principe entre l’Union européenne et le Mercosur, tel qu’il a été envisagé en 2019, est loin d’être satisfaisant.
En cas d’accord, les parties doivent s’engager à respecter toutes nos préoccupations sans léser nos agriculteurs. Nos partenaires commerciaux doivent se conformer aux mêmes règles et obligations que nous pour garantir des échanges équitables.
Aussi, monsieur le ministre, quelles clauses miroirs vous engagez-vous à défendre pour continuer à commercer sans tuer la souveraineté agricole européenne ? Comment négocier le virage des transitions de sorte qu’elles garantissent la durabilité environnementale et économique de notre agriculture ? Quand allons-nous enfin entendre la voix du Président de la République affirmer à Bruxelles qu’un accord avec les pays du Mercosur n’est pas possible sans l’application stricte du principe de réciprocité ?
Pour le RDSE, l’accord n’est acceptable ni en l’état ni même après l’ajout de la déclaration additionnelle de la Commission européenne, qui contient des mesures environnementales non contraignantes.
La question des pesticides n’est, elle non plus, toujours pas réglée et soulève des inquiétudes légitimes. La quantité de pesticides épandue au Brésil est significativement plus élevée qu’en France et l’Union européenne n’a toujours pas clarifié sa position sur les procédures d’évaluation des limites maximales de résidus de produits phytosanitaires pour les importations. Nous demandons que des normes sanitaires et environnementales cohérentes avec nos valeurs soient préservées dans les accords de libre-échange.
Si nous profitons de cette tribune pour réaffirmer, très largement, notre désaccord sur le fond, nous n’oublions pas pour autant la méthode par laquelle la machine européenne se soucie du sort de nos agriculteurs. La Commission européenne a fait connaître son intention de séparer le volet commercial du reste de l’accord d’association pour, nous dit-on, accélérer sa mise en œuvre. Toutefois, cette démarche permettrait de solliciter une approbation par un vote à la majorité qualifiée du Conseil et ne nécessiterait pas l’assentiment des parlements nationaux.
La pratique de la Commission européenne de découper les accords pour isoler les dispositions relevant de sa compétence exclusive affaiblit considérablement l’assise démocratique de la politique commerciale commune. Elle entaille un dialogue absolument inaudible pour nos agriculteurs comme pour les consommateurs et bafoue le mandat de négociation que lui avait confié le Conseil en 2018.
Dois-je rappeler que le Ceta n’a toujours pas été ratifié par notre assemblée, de sorte que ses dispositions ne s’appliquent que de manière provisoire ?
Monsieur le ministre, quand allez-vous enfin associer les parlementaires, de façon continue, au processus de négociation des accords commerciaux ? Qu’attend le Gouvernement pour demander l’inscription du Ceta à l’ordre du jour du Sénat ?
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Henri Cabanel. Ainsi, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le RDSE soutiendra toutes les initiatives parlementaires qui nous placent du côté des agriculteurs comme des consommateurs et qui honorent notre exception française en matière agricole.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Henri Cabanel. La présente proposition de résolution est fidèle aux principes que nous défendions en 2018 sur le même sujet.
Vous comprenez donc bien que nous voterons en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un long processus de négociation, qui s’est étendu sur une vingtaine d’années, un accord commercial a été trouvé entre l’Union européenne et le Mercosur, le 28 juin 2019.
Ce texte a un double objectif : d’une part, accroître les relations commerciales entre les deux marchés, par un abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires ; d’autre part, promouvoir un dialogue politique entre les deux alliances sur des questions diverses, que ce soit en matière de migrations, d’économie numérique et de cybercriminalité, de recherche et d’éducation, de droits humanitaires, ou encore de protection de l’environnement. Je reviendrai sur ce dernier point.
Cet accord est d’une ampleur considérable, puisqu’il concerne près de 780 millions de personnes. Le volume d’échanges couverts s’élèverait à 40, voire à 45 milliards d’euros, importations et exportations confondues. Il s’agirait ni plus ni moins que de créer la plus grande zone de libre-échange de la planète.
En outre, plus de 1 000 entreprises françaises sont actives au Brésil. Le Mercosur, à proximité immédiate de plusieurs de nos territoires d’outre-mer, constitue un ensemble économique émergent qui dispose de ressources précieuses, en particulier en métaux rares, utiles pour mener à bien la transition énergétique sur notre continent.
Cet accord n’a cependant pas été ratifié. Si le volet politique de l’accord précédemment évoqué ne soulève pas de difficultés, son volet économique suscite, lui, des inquiétudes.
La France, notamment, estime que le texte négocié par la Commission européenne ne va pas assez loin s’agissant des garanties environnementales, en particulier en matière de lutte contre la déforestation amazonienne. La balance écologique n’est donc pas à l’équilibre.
Le 28 octobre dernier, à Paris, lors de sa déclaration sur la protection des forêts tropicales, le Président de la République a rappelé ceci : « Moins de 14 % de la surface de la planète concentre 75 % des stocks de carbone irrécupérable et 91 % des écosystèmes des espèces vertébrées. Ces stocks de carbone et de biodiversité, largement concentrés dans les trois plus grands bassins forestiers du monde, sont des trésors dont l’Humanité ne peut tout simplement pas se passer. »
Face à la menace que cet accord constituerait pour la forêt amazonienne, poumon de notre planète, il a été décidé, avec constance, de ne pas l’approuver, sauf si trois conditions étaient respectées : que les produits issus de la déforestation ne puissent pas être importés dans l’Union européenne ; que l’accord soit rendu conforme à l’accord de Paris ; que des mesures miroirs soient instaurées en matière sanitaire et environnementale.
Le texte est aussi problématique en matière de distorsions de concurrence commerciale. Les gouvernements argentin et brésilien ont de nouveau déclaré en 2022 qu’ils souhaitaient parvenir à un accord, en particulier depuis le retour à la tête du Brésil du président Lula. Les négociations ont repris sous la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui a fait de cette question une priorité.
En ce début d’année, le chancelier allemand et le nouveau président argentin ont appelé de leurs vœux une conclusion rapide des négociations sur l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.
Pour notre part, nous maintenons notre position.
Le 13 juin 2023 déjà, une proposition de résolution relative à l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur a été adoptée à l’Assemblée nationale. Nos collègues députés ont également considéré que le volet commercial de l’accord n’était compatible ni avec les engagements de l’Union européenne dans la lutte contre le réchauffement climatique ni avec l’objectif de souveraineté alimentaire.
Ils se sont ainsi opposés à l’adoption de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur dans le cas où les produits en provenance du Mercosur ne seraient pas conformes aux normes de production européennes. De même, ils se sont opposés à l’adoption séparée du volet commercial de l’accord. C’est l’intégralité de l’accord qui devra être soumis à la procédure de ratification, c’est-à-dire à un vote à l’unanimité des États membres, puis à un vote au Parlement européen et à une ratification par l’ensemble des États membres, par l’Assemblée nationale et le Sénat selon la procédure prévue par la France.
Les députés ont également demandé la généralisation du principe de réciprocité des normes de production dans les échanges commerciaux.
Il nous revient, cet après-midi, de nous prononcer sur une initiative conjointe des groupes Les Républicains et Union Centriste. Votre proposition de résolution européenne, mes chers collègues, vise à alerter sur plusieurs points.
Vous estimez tout d’abord que les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont pas toutes réunies pour la conclusion d’un tel accord. Vous mettez ensuite en avant ses effets potentiellement négatifs pour les filières agricoles françaises et les risques de dumping social pour les agriculteurs français et européens.
En Amérique du Sud, les exploitations peuvent compter des dizaines de milliers de têtes. Les antibiotiques de croissance y sont autorisés, ainsi que de nombreux produits phytosanitaires dont l’usage est interdit au sein de l’Union européenne. L’asymétrie des conditions de production conduirait à une situation de concurrence déloyale.
Vous demandez par conséquent l’adoption de mesures miroirs sur certaines normes sanitaires, environnementales et relatives au bien-être animal, de telles mesures étant essentielles pour les produits agricoles importés. Vous demandez également une augmentation des contrôles aux frontières afin de pouvoir vérifier que ces mesures sont effectivement respectées par les pays exportateurs.
Vous soulevez enfin un problème de méthode de la part de la Commission européenne, à savoir la découpe des accords commerciaux afin de séparer les dispositions relevant de sa compétence exclusive de celles qui relèvent d’une compétence partagée avec les États.
Notre groupe votera cette proposition de résolution.
Mme Sophie Primas. Très bien !
Mme Nadège Havet. Les problématiques agricole et environnementale sont à nos yeux fondamentales. La France devra évaluer ce projet d’accord en prenant en compte ces impératifs lorsqu’il sera transmis au Conseil de l’Union européenne. Elle se positionnera lorsque le Conseil donnera son accord pour sa signature par la Commission européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques mois après l’Assemblée nationale, nous avons l’occasion, via cette proposition de résolution, de débattre du potentiel accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.
Bien que la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne se soit achevée à la fin de l’année 2023 et que la situation politique ait évolué en Amérique du Sud, notamment en Argentine, les négociations de cet accord commercial se poursuivent et nécessitent un suivi tout particulier de la part de la représentation française.
Nous avons tous en tête, monsieur le ministre, la non-présentation d’un projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global, le Ceta, devant le Sénat. Il s’agit là à notre sens d’un contournement inacceptable du Parlement. Nous avons pourtant demandé le dépôt d’un tel texte à plusieurs reprises sur l’ensemble de nos travées. Les accords commerciaux d’une telle ampleur ne peuvent se passer d’une validation par les parlements nationaux.
À cet égard, rappelons que, en cas de ratification, le traité entre l’Union européenne et le Mercosur deviendrait l’accord le plus important pour l’Union européenne, en termes démographiques – 780 millions de personnes seraient concernées –, mais aussi de volumes d’échanges couverts – les importations et les exportations représenteraient entre 40 et 45 milliards d’euros.
Je partage plusieurs constats dressés par les auteurs de la proposition de résolution.
Ainsi, il est rappelé à l’alinéa 52 du texte que le monde agricole a trop souvent été la variable d’ajustement, voire le laissé-pour-compte des traités de libre-échange et de l’ultralibéralisme débridé.
Les échanges ont bien sûr été au cœur du développement de l’humanité et des différentes sociétés, tout particulièrement dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation, mais la mondialisation sans limites a aussi de nombreuses conséquences : délocalisation, perte de savoir-faire, disparition de notre souveraineté alimentaire, effets sur notre biodiversité.
Face aux enjeux que sont la transition écologique et la lutte contre les inégalités en tous genres, nous ne pouvons plus penser les accords commerciaux comme nous le faisions voilà trente ans.
Nous devons revoir notre logiciel à l’aune de ces nouveaux enjeux et de ces nouveaux objectifs. Cela signifie non pas ne plus échanger ou ne plus négocier d’accords avec de nouveaux partenaires, mais faire autrement.
Je reprendrai donc mot pour mot les termes du dernier alinéa de la résolution adoptée à l’Assemblée nationale sur ce sujet : généralisons le « principe de réciprocité des normes de production dans les échanges commerciaux ».
Les clauses miroirs, comme cela est rappelé dans la proposition de résolution, sont une part importante de la solution pour aboutir à un accord commercial plus juste et plus vertueux.
En l’état, il est totalement inacceptable de voir arriver sur le sol européen des produits qui, par leur origine ou leur mode de production, seraient dangereux pour les consommateurs et constitueraient une concurrence déloyale pour les agriculteurs européens.
Accepter ces produits-là dans notre espace commun, c’est contraindre les agriculteurs à utiliser des produits nocifs pour leur santé pour des considérations purement économiques.
De nombreux exemples ont été cités, notamment ceux des poulets dopés aux antibiotiques et du maïs traité à l’atrazine, mais l’abus le plus emblématique de cet accord concerne, me semble-t-il le bœuf. Ainsi, près de 100 000 tonnes de viande bovine pourraient être exportées vers l’Europe, avec des tarifs douaniers très avantageux. Les élevages français et européen s’en trouveraient totalement perturbés.
Alors que les quatre pays membres du Mercosur fournissent déjà un tiers du marché mondial de la viande bovine, l’avantage tarifaire qui leur est consenti porterait un coup de massue à l’ensemble de la filière, d’autant plus qu’une part importante de l’élevage bovin sud-américain a pour effet la terrible déforestation de l’Amazonie.
La préservation de la biodiversité et des forêts est pourtant l’une des priorités de l’Union européenne, qui a fait adopter en 2023 un règlement afin d’interdire la mise sur le marché européen de produits issus de la déforestation.
Monsieur le ministre, il est indispensable que l’accord commercial avec le Mercosur prenne en compte cette nouvelle législation européenne.
Par ailleurs, un autre point est particulièrement inquiétant : les seuils d’usage par les agriculteurs des pays du Mercosur de nombreux produits phytosanitaires interdits par l’Union européenne.
Si nous voulons faire évoluer notre modèle agricole pour qu’il rémunère mieux les agriculteurs tout en préservant leur santé et celle des consommateurs, il est inconcevable d’accepter de tels produits, qui représenteraient une terrible régression.
Pour favoriser l’émergence d’un modèle agricole alternatif, l’encadrement des traités de libre-échange est indispensable et doit être une priorité pour l’Union européenne et pour le Gouvernement.
Avant de conclure, je tiens à faire part de mon étonnement s’agissant des ambiguïtés de nos collègues LR. Dans cette proposition de résolution, ils utilisent allégrement l’argument de la défense de l’environnement et de la biodiversité…
M. Michel Savin. Nous y sommes très attachés !
M. Jean-Claude Tissot. … pour justifier leur propos, alors que, dans bien d’autres occasions, comme lors de l’examen, au Sénat, de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France ou, au Parlement européen, du règlement sur les pesticides, ils ont défendu des positions bien moins ambitieuses en matière de protection de l’environnement !
Mme Sophie Primas. Il y a une marche !
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est bien la gauche !
M. Michel Savin. La polémique…
M. Jean-Claude Tissot. Pour conclure, nous espérons que les engagements qu’a pris le Président de la République lors du salon de l’agriculture en 2023 sur la réciprocité des normes environnementales et sanitaires ne seront pas de nouvelles promesses non tenues par l’exécutif.
M. Michel Savin. Ça, c’est vrai !
M. Jean-Claude Tissot. Nous vous demandons donc, monsieur le ministre, de la clarté sur les négociations de cet accord et, surtout, une réelle association du Parlement.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partage les objectifs des auteurs de cette proposition de résolution, qu’il soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Henri Cabanel et Yannick Jadot applaudissent également.)
M. Olivier Paccaud. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’approbation par le Parlement européen et l’adoption par le Conseil de l’Union européenne de l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, avant la modernisation des accords avec le Mexique et le Chili, l’accord commercial avec le Mercosur n’est-il qu’un simple accord de libre-échange de plus ? Nous sommes convaincus que non, monsieur le ministre.
Permettez-moi de vous présenter très rapidement trois raisons parmi des centaines qui démontrent qu’il ne s’agit en effet pas d’un simple accord de plus.
D’abord, ce n’est pas un simple accord de plus, parce que l’on n’a toujours pas mesuré à ce jour les effets cumulés des accords de libre-échange sur certains secteurs, en particulier sur celui de l’agriculture. Rien ne dit que cet accord ne sera pas l’accord de trop.
Selon les théories du commerce international, le libre-échange permet des gains économiques globaux – je suis assez d’accord –, mais ces derniers sont toujours obtenus au prix de réallocations entre pays, entre entreprises et entre secteurs plus ou moins productifs. Or, à ce jeu, l’agriculture européenne, en particulier l’agriculture française, est bien souvent perdante. Je fais ici allusion à la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France de notre collègue Laurent Duplomb.
On comprend bien la logique qui consiste à obtenir, par exemple, l’accès à certains marchés pour les automobiles allemandes en échange de quotas supplémentaires de bœuf ou de poulet brésiliens. Quoi de plus rationnel, en apparence ?
À en croire la communication du Gouvernement, une telle logique permettrait au secteur de l’agriculture d’y gagner : la reconnaissance d’indications géographiques protégées sur des marchés tiers ferait plus que compenser en valeur les importations de produits agricoles, qui ne seraient que des virtualités. Or les indications géographiques protégées représentent moins de 3 % de notre production agricole.
Et le Gouvernement de ressasser à l’envi l’exemple de l’accord avec la Nouvelle-Zélande, qui ouvre des quotas supplémentaires de viande ovine exemptés de droits de douane à l’importation, alors que les quotas déjà accordés n’étaient, pour l’heure, pas atteints.
Soyez toutefois certains que, même lorsqu’ils ne sont pas pleinement exploités par nos partenaires commerciaux, les quotas supplémentaires sont loin d’être une simple virtualité : c’est une réalité, un droit opposable sur lequel nous ne pourrons plus revenir ! Nos filières seront attaquées non pas la première, la deuxième, la troisième ou la quatrième année, mais au fil du temps. Elles sont profondément affaiblies. Regardez, par exemple, ce qui se passe aujourd’hui pour la filière du sucre.
Pour nos agriculteurs, c’est d’autant plus réel que cela s’ajoute aux aléas, en particulier normatifs, mais aussi économiques, qui les placent en situation de concurrence déloyale, alors que les clauses miroirs ne sont pas actionnées et que les contrôles aux frontières sont inefficaces.
Qui n’a pas compris cette réalité fondamentale n’a rien compris à l’état moral de la ferme France. J’en veux pour preuve les 1 000 agriculteurs réunis aujourd’hui sur la place du Capitole à Toulouse.
La décroissance de la production européenne et française, désormais organisée, conduira à la délocalisation de notre production alimentaire et à la mise en danger de notre propre souveraineté.
Ensuite, cet accord n’est pas un simple accord de plus, parce que le Mercosur est un géant économique, plus grand que n’importe lequel des partenaires avec lesquels nous avons déjà conclu un accord commercial. Du fait de leur taille, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay sont susceptibles de perturber jusqu’à nos filières les plus solidement structurées, comme celle du sucre.
Avec plusieurs collègues ici présents, j’ai eu l’occasion au printemps dernier, lors d’un voyage d’études de la commission des affaires économiques au Brésil, de voir de mes propres yeux ce qu’est l’agriculture industrielle et intensive, la vraie – je me tourne vers M. Jadot (M. Yannick Jadot acquiesce.) –, que certains se piquent de voir en France. Pour ma part, je n’ai jamais rien vu de tel en France. Nous avons été pris de vertige devant ces exploitations agricoles de plusieurs centaines de milliers d’hectares, aux pratiques très éloignées de nos standards et plus encore de notre principe de précaution ou de nos interdictions.
Pour prendre un seul exemple, chaque année, l’Argentine et le Brésil exportent à eux seuls la même quantité de maïs que celle qui est produite dans toute l’Union européenne. Rien que cela ! Le Mercosur est un rouleau compresseur agricole, dont les capacités de production peuvent encore doubler, voire tripler, pour déferler sur l’Europe.
Enfin, cet accord n’est pas un simple accord de plus, monsieur le ministre : recherché activement depuis plus de vingt ans par la Commission européenne, il est un symbole, en cette année d’élections européennes, d’une forme de fuite en avant au sommet de l’exécutif.
La nouvelle approche, prétendument plus assertive et durable de la politique commerciale, n’est qu’un leurre, car, dans les faits, la Commission européenne semble prête à faire plusieurs concessions, notamment dans le domaine agricole, pour aboutir à un accord.
Voilà, en somme, pourquoi l’accord avec le Mercosur n’est pas un simple accord de plus. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Henri Cabanel applaudit également.)