Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Boyer. Chaque jour compte pour la vie de ces prisonniers !
Je veux aussi insister sur les destructions de monuments. J’espère que la France interviendra pour défendre ces derniers.
À l’heure où nous allons célébrer l’entrée de Manouchian au Panthéon et le centenaire de la naissance de Charles Aznavour, la France doit encore être au rendez-vous et, surtout, emmener la communauté internationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. Gilbert-Luc Devinaz applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec Bakou, « nous partageons les mêmes valeurs » et « l’énergie n’est que l’un des domaines dans lesquels nous pouvons renforcer notre coopération avec l’Azerbaïdjan et j’ai hâte d’exploiter tout le potentiel de notre relation ».
Voilà des propos insupportables, que la France aurait dû dénoncer ! Monsieur le ministre, ils auraient pu être tenus par votre collègue ministre de la culture, Mme Dati, qui siège dans des associations affiliées à l’Azerbaïdjan, mais ce sont ceux de la présidente de votre Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen.
L’an dernier, par sa faute, le contribuable européen a versé près de 16 milliards d’euros à l’Azerbaïdjan, en vertu d’un contrat gazier signé en 2021 avec un autocrate qui, à l’époque, avait déjà le sang de 6 000 Arméniens sur les mains.
Voilà dix jours, les montagnes d’Artsakh sont restées silencieuses. Les cloches des églises n’ont pas tinté dans la nuit de Noël, comme elles le faisaient pourtant depuis 1 700 ans.
Une épuration ethnique, culturelle et religieuse a eu lieu : 120 000 Arméniens d’Artsakh ont été déplacés, laissant derrière eux leurs maisons, leurs cimetières, leurs montagnes, leur terre. Ils ont été « chassés comme des chiens », comme l’avait promis Aliev.
Depuis 2016, de graves heurts se succédaient déjà aux frontières de l’Artsakh et de l’Arménie, sans aucune réaction de notre part.
En 2020, nous avons laissé passer la première agression armée massive de l’Azerbaïdjan. En 2022, impuni et même promu au rang de partenaire, celui-ci a bloqué le corridor de Latchine, sans que qui que ce soit ait eu la volonté de débloquer la situation.
Personne n’a finalement été surpris de voir Aliev envahir l’Artsakh en 2023. Le 1er janvier de cette année 2024, la République d’Artsakh a cessé d’exister, et notre gouvernement, malgré un timide soutien de dernier instant à l’Arménie, semble avoir accepté cet Anschluss.
Déjà, en décembre 2022, Aliev, le complice et bras armé du sultan Erdogan, ne cachait pas son but, en affirmant : « Aujourd’hui, l’Arménie est notre territoire. »
La suite de l’engrenage mortel est l’ouverture du corridor du Zanguezour entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, qui n’est rien d’autre que l’invasion du sud de l’Arménie.
En découleront l’isolement de l’Arménie dans l’étau panturc et son affaiblissement, avant sa disparition finale. Plus nous attendons, plus nous la rendons inéluctable.
C’est pourquoi la France doit boycotter la COP21 prévue à Bakou en décembre prochain et interrompre officiellement le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Les signaux diplomatiques doivent être clairs, en attendant que nous rompions les contrats gaziers et que nous affichions un soutien inconditionnel à l’Arménie, à l’instar de celui que nous témoignons par ailleurs à l’Ukraine.
Cette terre arménienne, monsieur le ministre, je vous en ai rapporté un peu de mon voyage dans ce pays. (M. Stéphane Ravier brandit une fiole contenant de la terre.) Je l’ai ramassée dans un trou d’obus !
Les envahisseurs azerbaïdjanais ont bombardé la périphérie d’un village situé non loin de Goris. Un verger planté par les bénévoles de SOS Chrétiens d’Orient, auxquels je veux rendre hommage, a également été la cible de cette attaque. Ce bombardement a fait de nombreuses victimes parmi les civils arméniens.
Il ne tient qu’à vous, monsieur le ministre, que cette terre arménienne, terre chrétienne martyre, ne soit plus maculée d’éclats d’obus, de larmes et de sang ! (M. Stéphane Ravier quitte la tribune et apporte la fiole à M. le ministre.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en pleine période de vœux, on peut dire que 2024 commence sous de tragiques auspices. La guerre entre Israël et le Hamas se poursuit et pourrait conduire à un embrasement de la région.
La guerre d’agression que la Russie de Poutine livre à l’Ukraine ne faiblit pas non plus. Malgré la résistance héroïque du peuple ukrainien, l’incertitude du soutien international fait redouter une victoire de la Russie. Celle-ci serait un drame pour les Nations démocratiques.
Les élections américaines risquent de fragiliser encore davantage la paix mondiale. Aucun pays ne dispose plus des moyens de préserver la paix. Ce morcellement des puissances semble raviver les conflits.
Cette succession de guerres ne doit pas nous faire oublier celle qui a été menée par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie pour le contrôle du Haut-Karabagh.
En 2020, une première agression de l’Azerbaïdjan, soutenue par la Turquie, s’est achevée par un accord de cessez-le-feu sous l’égide de la Russie.
Alors que la Russie s’est embourbée en Ukraine, l’Azerbaïdjan a repris l’offensive en 2023 pour prendre le contrôle total du Haut-Karabagh, conduisant à l’exode des populations.
Ces actions contreviennent gravement au droit international. Nous ne pouvons que les condamner. Malheureusement, l’Europe n’a pas encore su faire entendre sa voix ni assurer la paix.
Alors que les conflits continuent de proliférer, nous devons lutter pour défendre nos valeurs et nos principes. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le multilatéralisme, la recherche de solutions négociées ne doivent pas devenir des vœux pieux. Ces valeurs sont au fondement d’un ordre international qui favorise la discussion plutôt que la coercition. Sans elles, il ne reste plus que le rapport de force.
Bien sûr, l’Europe doit tenir compte de ses propres intérêts. La guerre en Ukraine et le soutien que nous apportons à Kiev mettent en exergue nos vulnérabilités, notamment énergétiques. Avec moins de gaz russe, nous avons besoin du gaz azerbaïdjanais, mais cela ne doit nous contraindre ni au silence ni à l’inaction.
Aujourd’hui comme hier, nos compatriotes ont montré qu’ils étaient déterminés à contribuer à la souveraineté énergétique de notre pays et à renforcer notre indépendance.
Collectivement, nous sommes parvenus à réduire notre consommation d’énergie primaire : voilà quatre ans que nous consommons moins qu’en 2019. C’est autant d’argent de moins pour les forces de l’obscurantisme !
Nous voulons nous donner les moyens de peser sur le cours de l’Histoire : nous devons bâtir maintenant notre autonomie stratégique.
Nous ne devons pas reconnaître le résultat du coup de force de l’Azerbaïdjan.
L’Arménie vit toujours sous la menace. Les regards se portent vers la Siounie, région qui fait figure de nouvelle cible. L’Azerbaïdjan pourrait tenter de s’y créer de force une continuité territoriale.
Nous devons absolument éviter que de nouvelles atteintes ne soient portées à l’intégrité territoriale de l’Arménie. À cet égard, nous tenons à saluer l’action du Gouvernement, qui s’est notamment traduite par la livraison de matériel de défense.
La proposition de résolution que nous examinons cette après-midi a pour but de permettre à notre assemblée de s’exprimer sur cette condamnation. Elle doit être votée unanimement. Je m’associe d’ailleurs aux propos qu’a tenus le président Retailleau.
Cette proposition vise aussi à appeler à mieux protéger l’Arménie contre les menaces qui pèsent sur elle. Elle tend enfin à permettre le retour des populations et la préservation du patrimoine culturel inestimable du Haut-Karabagh. Plus que jamais, il est indispensable que l’Union européenne s’implique dans la résolution de ce conflit. L’Arménie ne doit pas être abandonnée. Nous le disons avec force et vigueur.
Le groupe Les Indépendants soutiendra bien évidemment l’adoption de cette proposition de résolution. Ensemble, nous souhaitons que l’Arménie retrouve son intégrité et sa liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains. – MM. Pierre Ouzoulias et Lucien Stanzione applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais commencer par saluer l’initiative des présidents Bruno Retailleau et Gilbert-Luc Devinaz, car elle nous permet d’évoquer aujourd’hui un sujet éminemment important, essentiel même.
Il faut noter le caractère transpartisan de cette initiative : l’ensemble des présidents de groupe s’y sont associés, ce qui honore le Sénat et marque la spécificité, à certains égards, de notre assemblée.
« Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples » : ainsi s’exprimait le général de Gaulle en 1941, alors qu’il se rendait en Syrie. Assurément, la situation dans le Caucase est historiquement compliquée, car cette région s’est trouvée à la confluence de trois empires – russe, ottoman et perse. Il n’a cessé d’y avoir au cours des siècles des mouvements de population, avec tout ce que cela entraîne.
La révolution soviétique, la création d’un État de Transcaucasie, puis la division de ce dernier en trois entités – Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie –, avec des sous-entités, n’ont pas manqué de compliquer encore les choses. Nous héritons aujourd’hui de cette histoire.
Nous devons aussi, je le crois, garder en mémoire que tout n’est pas blanc d’un côté et noir de l’autre. Si l’on analyse la situation dans sa profondeur historique, on constate que des transferts de population forcés ont eu lieu dans un sens comme dans un autre.
Toutefois, les événements les plus récents, ceux qui nous concernent aujourd’hui, doivent être examinés à l’aune du droit international : principe de l’intangibilité des frontières, du respect de l’intégrité territoriale, mais aussi droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire recouvrer l’intégralité de son territoire, l’Azerbaïdjan a agi au mépris de l’accord international qui avait été conclu.
Dans cette affaire, à quoi devons-nous faire face ? À un mécanisme qui, malheureusement, se répète régulièrement dans le domaine des relations internationales. Lorsqu’il y a un puissant et un faible, le puissant s’assoit sur le droit et sur les accords internationaux pour imposer son point de vue. C’est ce qui se passe en Ukraine, avec l’action menée par la Russie contre ce pays, mais également dans d’autres endroits du monde, où nous observons des signaux inquiétants.
Ainsi, monsieur le ministre, la semaine dernière, avec mon collègue François Bonneau, je me suis rendu au Guyana, dans la province de l’Essequibo. Un autocrate, M. Maduro, veut lancer une opération spéciale contre ce pays indépendant aux frontières internationalement reconnues. Nous assistons ainsi à la triste répétition d’un certain nombre d’événements lorsque les mêmes enjeux sont en cause.
J’en viens à la situation spécifique de l’ex-république autonome du Haut-Karabagh, en humanitaire.
La France doit tout d’abord s’engager à demander la libération de tous les prisonniers politiques retenus par l’Azerbaïdjan, notamment les anciens dirigeants du Haut-Karabagh.
Ensuite, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, il y a un enjeu culturel. Des précédents ont montré la volonté de l’Azerbaïdjan d’engager des actions visant à effacer la mémoire arménienne.
Or nous savons qu’il sera a priori très difficile pour les Arméniens de revenir s’installer au Haut-Karabagh, puisque, sur les 120 000 personnes qui y vivaient, 100 000 ont fui ; il ne reste donc plus que 20 000 personnes. La meilleure façon d’arrêter cette volonté d’effacer la mémoire, c’est de permettre à l’Unesco de dresser un inventaire de l’ensemble des biens historiques – pour certains multiséculaires –, afin de faire en sorte qu’ils puissent être protégés.
De cette façon, si l’Azerbaïdjan continue à mettre en œuvre ses actions d’effacement – elles ont déjà commencé ! –, le problème concernera non pas seulement l’Arménie, mais l’ensemble de la communauté internationale. Cet enjeu est important.
Enfin, nous devons poser des limites à M. Aliev. Si l’Arménie n’est pas une démocratie parfaite – elle est classée au quatre-vingtième rang mondial dans le classement des démocraties –, l’Azerbaïdjan, qui est au-delà de la cent quarantième place, est sans aucun doute une autocratie.
Il faut fixer des limites à la volonté de l’Azerbaïdjan, dont l’allié est la Turquie, laquelle joue un rôle qui n’est pas conforme à celui qui devrait être le sien dans le cadre des instances internationales – je pense notamment à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), au sein de laquelle nous sommes alliés à la Turquie.
Face à la volonté de l’Azerbaïdjan de relier le territoire du Nakhitchevan par le couloir de Zanguezour, nous devons rester très fermes quant à notre volonté de faire respecter les frontières et la souveraineté de l’Arménie. Cet objectif n’est pas négociable et ne peut être négocié. La France et la communauté internationale sont attendues sur cette ambition.
Le groupe Union Centriste votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les présidents Retailleau et Devinaz – vous avez été, avec les autres présidents de groupe, à l’initiative de ce débat –, mes chers collègues, dans un mois, nous allons célébrer le quatre-vingtième anniversaire de l’exécution de Missak Manouchian, survivant du génocide arménien, mort en soldat régulier de l’Armée française de la Libération.
Manouchian symbolise à lui seul l’apport immense de la diaspora arménienne à notre pays. Peut-être son entrée prochaine au Panthéon amènera-t-elle la majorité sénatoriale et le Gouvernement à jeter à l’avenir un regard moins caricatural et plus réaliste sur l’apport inestimable de l’immigration à notre pays ? Ainsi, nombre de membres de la communauté arménienne, à l’image de Manouchian, ont contribué très largement à faire rayonner la France, sa culture et ses valeurs.
La singularité du lien qui nous unit à l’Arménie fait que l’injustice et l’horreur qui s’abattent sur les Arméniens du Haut-Karabagh nous touchent particulièrement.
Dans ce territoire, deux logiques s’affrontent : d’un côté, nous avons l’Azerbaïdjan, qui estime que tout soutien aux Arméniens du Haut-Karabagh est une violation de son intégrité territoriale ; de l’autre, nous avons l’Arménie, qui appelle légitimement au respect du droit des peuples à l’autodétermination. Deux principes qui s’affrontent, comme nous l’avons vu au Kosovo ou en Crimée.
Toutefois, bien que deux logiques s’affrontent en droit, il y a un agresseur et un agressé. Depuis 2016 et la guerre des Quatre jours, Bakou n’a de cesse d’attaquer de façon périodique le peuple arménien du Haut-Karabagh. L’offensive du 27 septembre 2020 a eu pour conséquence le massacre de 4 000 Arméniens en quarante-quatre jours. Le 19 septembre dernier, une nouvelle offensive azérie a une nouvelle fois fait couler le sang dans le Caucase.
Je citerai Charles Aznavour :
« La mort les a frappés sans demander leur âge
« Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie. »
L’objectif derrière toutes ces attaques est tristement limpide : forcer les populations arméniennes à fuir leur terre pour survivre, ce qui s’apparente ni plus ni moins à un nettoyage ethnique.
Malgré la tragédie qui s’abat sur ce territoire arménien ancestral, la communauté internationale peine à défendre les victimes du Haut-Karabagh et à imposer une paix durable qui ne porterait pas préjudice au peuple arménien.
La recherche d’une solution politique juste à ce conflit est rendue encore plus complexe par le jeu des différentes puissances régionales, lesquelles cherchent à étendre leur influence sur ce qu’elles considèrent comme leur pré carré. Il faut ajouter que la dépendance des pays européens aux énergies fossiles tend, par la force des choses, à aller de pair avec une dépendance politique vis-à-vis des pays qui nous fournissent ces énergies.
En effet, la guerre en Ukraine a considérablement modifié la politique énergétique de l’Union européenne au bénéfice de l’Azerbaïdjan. En juillet 2022, la présidente de la Commission européenne s’est rendue à Bakou, afin de signer un protocole d’accord pour un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie. Les exportations de gaz vers l’Union européenne depuis Bakou ont augmenté de 40 % entre 2021 et 2022.
Au regard de ce contexte et de notre dépendance énergétique, notre gouvernement sera-t-il libre demain de dénoncer les crimes commis contre le peuple arménien par l’Azerbaïdjan ? Je l’espère et le souhaite, monsieur le ministre.
Pour que la France retrouve sa voix singulière sur la scène internationale, il est important qu’elle garde comme boussole la défense des droits de l’homme. L’odeur du gaz ne doit pas nous aveugler au point d’oublier de dénoncer les atteintes à la dignité humaine et à la vie du peuple arménien.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Akli Mellouli. Enfin, mes chers collègues, ne tombons pas dans le piège de ceux qui voient ce conflit sous le prisme religieux et veulent nous entraîner dans une logique de guerre de civilisation !
Alors que les liens religieux, linguistiques, culturels et historiques de l’Iran avec l’Azerbaïdjan sont criants, l’Iran soutient pourtant l’Arménie. De l’autre côté, nous voyons Israël faire alliance avec Bakou, qui fournit à l’État hébreu près de 55 % de son gaz. Vous le voyez bien, il ne s’agit pas d’un conflit religieux : c’est un conflit de territoires et d’intérêts particuliers. La France doit porter une voix singulière, pour remettre l’hôtel de ville au centre du village. (Sourires.)
M. Michel Savin. L’église !
M. Akli Mellouli. Nous sommes dans un espace laïc, je n’utiliserai donc pas d’autre métaphore !
Monsieur le ministre, pour nous, écologistes, il n’y a pas de double standard et d’indignation sélective en fonction de nos émotions, de nos origines ou de nos affinités. Nos valeurs ne sont pas à géométrie variable. Nous pleurons avec les mêmes larmes la mort d’un enfant à Kiev, dans le Haut-Karabagh, à Tel-Aviv ou à Gaza.
Nous dénoncerons toujours avec la même vigueur toutes les injustices, où qu’elles se produisent et d’où qu’elles viennent. Et nous déplorons de ne pas voir la même cohérence chez l’ensemble des responsables politiques.
C’est pour toutes ces raisons que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a cosigné et votera cette proposition de résolution, qui, je l’espère, redonnera dignité et respect au peuple arménien. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE-K et RDSE.)
M. Jean-Noël Guérini. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame l’ambassadrice de l’Arménie en France, qui êtes présente dans nos tribunes, mes chers collègues, « lorsque le Sultan voit que, pendant trois années, il a pu, grâce au sommeil complaisant de l’Europe, conduire impuni des massacres qui n’ont peut-être pas de précédents dans les derniers siècles de l’histoire humaine, lorsqu’il voit l’Europe, se levant dans le premier sursaut de ce réveil tardif, au lieu de se tourner vers les victimes du Sultan pour guérir leurs blessures, au lieu de se tourner vers les populations opprimées, pour les aider à conquérir leur indépendance, se faire d’abord, pour première démarche, pour première politique, la servante de ses intérêts à lui, il se dit qu’il tient l’Europe dans ses mains, qu’il peut, à son gré, jouer d’elle. […] Dès maintenant, vous l’avez investi de l’impunité de l’Europe. »
Ainsi parlait Jean Jaurès le 15 mars 1897, depuis la tribune de la Chambre des députés, pour dénoncer l’indifférence coupable de l’Europe à la suite des massacres hamidiens.
Vingt-cinq lustres plus tard, poursuivant l’œuvre exterminatrice du Sultan rouge, l’Azerbaïdjan a envahi le territoire de la République d’Artsakh et réduit toute sa population à l’exil. En trois jours, un État a disparu. En trois jours, des Arméniens ont tout quitté, pour ne laisser derrière eux que des infirmes et leurs morts. En trois jours, de nouveau dans l’indifférence générale, l’Azerbaïdjan s’est octroyé le droit de redessiner des frontières internationales et de procéder à un nettoyage ethnique qui a fait 120 000 victimes.
De toute antiquité, le Haut-Karabagh a été peuplé quasi exclusivement par des Arméniens. C’est un général britannique qui, le premier, en confia l’administration à un Azéri.
Staline, par calcul, fragmenta davantage cette région, en rattachant à l’Azerbaïdjan les deux régions autonomes du Haut-Karabagh et du Nakhitchevan. Néanmoins, la loi soviétique du 3 avril 1990 donnait la possibilité aux républiques et aux régions autonomes de faire sécession. C’est dans ce cadre juridique que la République d’Artsakh a proclamé son indépendance, qui a été ratifiée par référendum le 10 décembre 1991.
Mes chers collègues, les frontières de la République d’Artsakh sont des frontières internationales. En acceptant leur violation, nous avons consenti à la primauté de la force sur le droit et de facto fragilisé l’intégrité territoriale de la République d’Arménie. Forte de son impunité, l’Azerbaïdjan exige maintenant une forme de souveraineté sur le Bas-Karabagh, donc sur la province arménienne du Syunik, pour progressivement établir une continuité territoriale avec le Nakhitchevan et la Turquie.
Si l’Union européenne et les instances internationales laissent impunie l’agression contre la République d’Artsakh, le Syunik sera annexé par l’Azerbaïdjan comme l’a été le Haut-Karabagh. Pour protéger l’Arménie, il faut sanctionner l’Azerbaïdjan.
Monsieur le ministre, il est du devoir de la France de tout mettre en œuvre auprès de ses alliés, des pays membres de l’Union européenne et de la Commission européenne pour qu’ils condamnent l’absorption de l’Artsakh et obligent l’Azerbaïdjan au respect intangible des frontières de l’Arménie.
Par ailleurs, il est inacceptable qu’Israël, l’Italie, la Bulgarie, l’Espagne, la République tchèque, la Slovaquie et même l’Ukraine continuent de fournir à l’Azerbaïdjan des armes que ce pays retourne contre le peuple arménien.
Ne vendons pas notre honneur contre un plat de lentilles en achetant le gaz et le pétrole azéris en échange de notre silence sur l’asservissement du peuple arménien !
Le Parlement européen, par sa résolution du 5 octobre 2023, a demandé à une très large majorité la suspension du protocole d’accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie. La France doit maintenant tout mettre en œuvre pour que cette suspension soit effective et pour que les avoirs des dirigeants azéris soient saisis, comme le prévoit la présente proposition de résolution.
Mes chers collègues, en entrant dans cet hémicycle, vous pouvez passer devant le buste d’Auguste Scheurer-Kestner, qui a été sénateur de 1875 à 1899. Pendant près de vingt-cinq ans, il a été au sein de notre assemblée le représentant d’une Alsace annexée par l’empire allemand. Jusqu’à sa mort, il a entretenu l’espoir du retour, comme ces nombreux Alsaciens et Lorrains qui préférèrent l’exode pour garder leur nationalité française.
Cette résolution doit être pour tous les Artsakhiotes un message de fraternité et d’espoir. Rien n’est jamais définitif, et les exils peuvent être provisoires. Sachez que nous demeurerons à vos côtés pour préserver votre droit, celui qu’a un peuple de disposer de lui-même et de refuser l’asservissement ! (Applaudissements.)
M. Max Brisson. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a dit le président Retailleau, nous sommes réunis pour condamner l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie – sans doute avec retard, hélas !
L’inquiétude que nous partagions dans cet hémicycle le 25 novembre 2020 lors du débat sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh a été confirmée par une offensive sanglante de l’Azerbaïdjan.
Pour cette séance publique qui nous rassemble, j’aurais pu me contenter de reprendre le discours que j’avais alors prononcé. Je n’y ôterais aucun mot, aucune remarque, rien ! Je parlais d’urgence à agir, de devoir moral et d’exigence. Ces mots d’ordre gardent leur force plus que jamais, alors que le contexte international a changé et que l’Arménie se retrouve isolée, sous surveillance de la Russie et de la Turquie.
Je rappelais la fierté qui était la nôtre quand la France avait su reconnaître le génocide arménien du 24 avril 1915. Que reste-t-il, mes chers collègues, de cette fierté ? Elle est aujourd’hui submergée par la honte. Oui, la honte !
En effet, depuis le 1er janvier 2024, la République du Haut-Karabagh, après une trentaine d’années d’existence, n’est plus, ce qui a entraîné l’exil des dizaines de milliers de réfugiés fatigués par la guerre – une fois encore, une fois de trop.
La République d’Arménie et le Haut-Karabagh ont été victimes du cynisme de leurs voisins et – pardonnez-moi par avance de la dureté de l’expression – de la lâcheté collective. Je l’affirme, le Haut-Karabagh et ses habitants ont été sacrifiés dans un silence assourdissant de la communauté internationale.
Oui, ils ont été sacrifiés sur l’autel d’intérêts économiques et géopolitiques. En premier lieu, évidemment, ceux qui sont liés à la crise de l’énergie et au jeu subtil de l’Azerbaïdjan, qui a su faire miroiter les avantages de ses réserves de gaz, alors que l’Europe tentait d’afficher sa condamnation de l’évasion de l’Ukraine par Moscou. Devrai-je aussi regretter le jeu trouble d’Ankara, d’Erdogan, ravi d’affaiblir toujours plus Erevan ?
Aussi, j’avoue ma honte, notre honte collective, la honte de la communauté internationale et – il faut le dire aussi – celle de l’ONU.
Honte à l’ONU, laquelle, chaque jour qui passe, ressemble toujours plus à sa grande sœur, la fameuse Société des Nations, impuissante, engoncée dans ses principes, ne bénéficiant comme seuls moyens de contrainte sur les États que de la confiance et du droit international. Confiance et droit qui sont foulés aux pieds par des dirigeants sans scrupule !
De fait, vous me concéderez, monsieur le ministre, que désormais la confiance et le droit international ne semblent pas peser d’un grand poids face à la volonté expansionniste de dirigeants qui oscillent entre agressivité, bellicisme et populismes en tous genres. Rassurez-vous, je ne m’engagerai nullement dans la lecture d’une liste exhaustive de ces personnalités. Je laisse aux juristes et aux diplomates aguerris le soin et la responsabilité de l’établir.
Toutefois, devrions-nous aussi laisser aux historiens la sinistre possibilité d’égrener la longue liste– permettez-moi d’employer ce mot – de nos lâchetés ? Évitons-leur ce triste travail, en portant avec fermeté et volonté notre message pour l’intégrité de l’Arménie. Car, mes chers collègues, si nous sommes comptables de ce fiasco aux lourds tributs humanitaires, pour les soldats, d’abord, et pour la jeunesse arménienne, ensuite, qui ont payé de leur sang les assauts de l’Azerbaïdjan, sachons aussi faire entendre notre voix.
Loin d’être purement symbolique, cette résolution permet de réaffirmer le soutien de la France à ce pays qui fait battre le cœur de la démocratie aux marges du Caucase. Dans un monde qui se fracture, où les haines attisent les conflits, notre voix doit se faire entendre pour accompagner, aider et soutenir un peuple qui marche sur le chemin du progrès – le peuple arménien, dont on connaît les souffrances, mais dont on sait aussi la richesse.
Parce que nous respectons ce pays, parce que nous l’aimons et parce que nous savons ce qu’il nous a apporté et continuera à nous offrir, soyons à ses côtés, sans états d’âme. C’est pour cela que le groupe RDSE, à l’unanimité, votera cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. Gilbert-Luc Devinaz applaudit également.)