Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Marie Nédélec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne aujourd’hui ne remet en cause le principe de sobriété foncière, compte tenu des enjeux qui s’imposent à nous.
Mais, si le constat est partagé, la méthode a suscité et suscite toujours beaucoup d’incompréhension chez les élus locaux, notamment en ruralité. Peut-on régler la question par une simple équation mathématique ? Évidemment, non. Peut-on déconnecter sobriété foncière et aménagement du territoire ? Évidemment, non.
La division par deux de l’artificialisation des sols, telle qu’elle est prévue, laisse de belles marges de manœuvre aux structures dévoreuses d’espace.
En revanche, elle pénalise les élus qui, sans attendre les injonctions et les interdits, s’étaient montrés vertueux en encourageant financièrement la reprise de maisons vides, par exemple, au lieu d’étendre les lotissements. À ceux-là, on explique que, puisqu’ils n’ont pas ou ont peu consommé, ce sera zéro consommation pour les années à venir ! C’est ce qui m’est arrivé, en tant que maire, il y a quelque mois seulement.
Cette décision purement arithmétique va par ailleurs à l’encontre d’un souhaitable et nécessaire rééquilibrage consistant à freiner l’expansion des métropoles et à donner un nouveau souffle à des territoires qui sont en déprise, mais dont les efforts soutenus en termes d’attractivité commençaient à porter leurs fruits, et dont l’espace est l’un des principaux atouts.
La modification introduite par la garantie rurale – le fameux « droit à l’hectare » – est porteuse d’espoir, mais l’approche retenue demeure uniforme et ne correspond pas à l’attente, celle d’une réflexion plus globale fondée sur les principes de différenciation et de territorialisation.
La réhabilitation des friches est-elle la solution ? Elle est souvent présentée comme telle.
En matière d’habitat et d’industrie, elle serait, nous dit-on, suffisante pour couvrir nos besoins. C’est peut-être vrai d’un point de vue arithmétique. Mais, dans ce cas, pourquoi n’avoir pas traité d’abord ce sujet avant d’imposer des normes draconiennes ?
En effet, les collectivités ont en définitive peu d’outils pour agir sur les maisons qui se trouvent en état manifeste d’abandon, quand les propriétaires ne veulent ni vendre ni rénover.
Là encore, la loi du 20 juillet dernier permet quelques avancées, dans le domaine de la préemption par exemple. Se pose néanmoins la question des moyens, souvent très limités, dont disposent les collectivités.
Quant aux friches industrielles, leur reprise est d’une complexité qui est de nature à faire renoncer les candidats devant des règlements, contraintes et délais souvent excessifs – sur ce point aussi, j’ai des exemples précis en tête.
Économiser l’espace en construisant en hauteur n’est pas toujours possible : toutes les activités ne s’y prêtent pas. Pour ma part, je viens d’un pays de forges ; on n’empile pas les unes sur les autres des presses de 8 000 tonnes.
Et je ne parle pas du zèle de certains services instructeurs, qui appliquent par anticipation les normes et décrets à venir, bloquant d’ores et déjà des projets, même modestes, l’installation d’une famille dans un village par exemple.
Se pose enfin la question de l’ingénierie et des financements.
Il serait nécessaire de mieux accompagner, face au maquis complexe des dispositifs, des acronymes et des acteurs, pour gagner en lisibilité et en efficacité, mais aussi de redimensionner le fonds Friches, qui n’est pas à la hauteur des objectifs affichés.
Réindustrialiser, simplifier – comme le souhaite le Président de la République –, rééquilibrer le territoire, ces ambitions nécessitent donc de revoir la copie.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, je souhaite simplement témoigner de ce que j’ai observé pendant la campagne sénatoriale, puisque, nouvelle élue d’un département très rural, la Haute-Marne, je suis allée à la rencontre des grands électeurs dans chaque commune. Partout, on m’a parlé du ZAN et du transfert imposé des compétences eau et assainissement. Humiliation, désarroi, désespérance, colère : voilà les sentiments qui, à ce propos, se sont inlassablement exprimés.
Cette réforme, malgré ses aménagements, reste « ruralicide » et est toujours ressentie comme telle. (M. le ministre manifeste sa désapprobation.) Les maires ruraux n’acceptent pas ces décisions brutales qui les privent de toute perspective de développement pour leur commune. Le monde rural doit pouvoir continuer d’accueillir des habitants, des artisans, des entreprises, et de répondre à leurs attentes.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Anne-Marie Nédélec. Je reste à votre disposition, monsieur le ministre, pour davantage de détails. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adoption définitive par le Sénat, le 13 juillet dernier, de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette des sols était le résultat d’un long processus où la seule constance aura été celle de notre assemblée, qui a toujours eu pour ambition d’agir en faveur d’une mise en œuvre pragmatique et réaliste du ZAN.
Après des négociations difficiles avec vous, monsieur le ministre – avec le Gouvernement –, la commission mixte paritaire (CMP) est parvenue à un accord, et la proposition de loi sénatoriale a donc été adoptée.
Cependant, cette issue n’a été obtenue qu’à la suite du retrait, dans le texte de la CMP, de certaines dispositions votées dans la version sénatoriale, dont la prise en compte des bâtiments agricoles ; et c’est sur ce sujet que va porter mon exposé.
Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, le 6 juillet 2023, il a été décidé que la question des bâtiments agricoles devait être traitée par décret, dans le sens de leur exonération du décompte de l’artificialisation.
L’exclusion des bâtiments agricoles de la nomenclature des surfaces artificialisées, que nous avons demandée et défendue avec conviction, avait en effet été adoptée à une très large majorité au Sénat lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi, le 16 mars 2023.
Les amendements qui avaient été déposés à cette fin répondaient à plusieurs nécessités.
Tout en garantissant l’atteinte des objectifs de sobriété foncière, cette exclusion permettait d’éviter la stigmatisation des agriculteurs et le blocage du développement des zones rurales, les élus ruraux n’étant plus contraints de choisir entre la construction d’habitations et celle de bâtiments d’élevage – étables, bergeries – pour les exploitations agricoles. En effet, de tels bâtiments doivent dorénavant répondre aux enjeux de l’adaptation au changement climatique, ainsi qu’aux obligations de mise aux normes liées au respect du bien-être animal, ce qui rend nécessaires des aménagements et la réalisation de nouvelles infrastructures.
C’est la raison pour laquelle, dès le 13 juillet dernier, au moment des explications de vote sur l’ensemble du texte, nous avions annoncé que nous ferions preuve de la plus grande vigilance concernant tous les futurs décrets d’application, et particulièrement sur la question des bâtiments agricoles.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Jean-Claude Anglars. Plusieurs projets de décret ont été mis en consultation publique à l’été 2023 ; à cette occasion, nous avons émis de très fortes réserves quant à la rédaction envisagée par le Gouvernement, qui s’écarte sensiblement du texte qui avait été voté et convenu au Sénat.
Malgré plusieurs échanges sur ce sujet avec vous, monsieur le ministre, et avec d’autres membres du Gouvernement – mais pas le ministre de l’agriculture ! –, vous avez toujours refusé nos sollicitations. Nous n’avons pas eu de réponse de votre cabinet à la demande d’entretien que mes collègues Cécile Cukierman, Michel Canévet, Frédérique Espagnac et moi-même vous avions fait parvenir en novembre dernier.
Le Sénat n’a pas été consulté ni associé à la rédaction du décret réglant la question des bâtiments agricoles et, plus généralement, à la mise en œuvre de la loi. Pourtant, une telle démarche aurait certainement permis d’éviter des rédactions juridiquement peu précises, voire alambiquées – mes collègues l’ont rappelé –, qui, en définitive, inscrivent bel et bien les bâtiments agricoles dans la nomenclature des surfaces artificialisées.
Si nous avions été consultés, nous vous aurions indiqué que vos décrets d’application ne mentionnent souvent que la « préservation », et non la création ou l’agrandissement, « des espaces dédiés aux activités agricoles », et non des bâtiments.
De plus, le décret qui a trait à la territorialisation des objectifs du ZAN ne prévoit que la « possibilité », et non l’obligation, au niveau régional, « de mettre en place une part réservée de l’artificialisation des sols pour des projets à venir nécessaires aux exploitations agricoles ».
À toutes ces limites juridiques, nous avions apporté des solutions dans la proposition de loi du Sénat ; ces solutions, vous les avez systématiquement refusées. Je suis donc profondément convaincu que le problème est bien davantage politique que technique.
Monsieur le ministre, ma question est claire et fait écho à la colère des agriculteurs : voulez-vous encore des agriculteurs et de l’élevage en France ? Allez-vous, comme cela était convenu, exclure explicitement, dans la nomenclature du ZAN, les bâtiments agricoles des surfaces artificialisées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – M. Guislain Cambier applaudit également.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais aller vite sur ce que tout le monde sait : la question n’est pas de savoir pourquoi une loi Climat et résilience a été votée ; elle est bien de savoir comment doit s’appliquer la loi du 20 juillet 2023.
Le cadre, que je résumerai en rappelant quelques données fondamentales, est assez simple : on a davantage artificialisé en cinquante ans qu’en cinq cents ans ; le rythme de consommation des sols a certes baissé depuis les années 2000 mais, sur la période 2011-2020, c’est malgré tout l’équivalent du département des Yvelines qui a été artificialisé ou bétonné – et c’est évidemment à dessein que je prends l’exemple de ce territoire, en hommage au président Larcher.
En l’espèce, fait relativement rare, les experts et les scientifiques sont unanimes : ils disent, en substance, que lutter contre l’étalement urbain entraîne cinq bienfaits.
Premièrement, cela permet de préserver la biodiversité, l’artificialisation étant la première cause de son érosion. Or la disparition de la biodiversité n’est pas du tout anecdotique : par exemple, s’il fallait demain remplacer par des actions humaines ce que font les insectes pollinisateurs, les conséquences seraient absolument incalculables.
Deuxième bienfait : l’atténuation du réchauffement climatique. Un espace naturel ou forestier stocke du carbone, alors qu’à l’inverse un espace artificialisé en émet, participant au réchauffement.
Troisièmement, sur le sujet de l’adaptation, je ne m’étendrai pas, mais je peux vous assurer que, ces dernières semaines, nos concitoyens du Pas-de-Calais se sont demandé pourquoi, en certains endroits, des permis de construire avaient été délivrés et pourquoi l’étalement urbain n’y avait pas été freiné. Il est des territoires dans lesquels la prise de conscience de la nécessité d’être sobre sur le plan de la consommation des espaces a été malheureusement payée au prix fort.
Quatrième sujet : le grand cycle de l’eau. Boucher la nappe phréatique provoque des écoulements, ce qui crée des difficultés pour lutter contre les sécheresses, car il n’y a pas de meilleure retenue que ladite nappe.
J’en viens, cinquièmement, à la souveraineté alimentaire. Si nous sommes attachés à l’agriculture – je sais que vous l’êtes tous ici, mesdames, messieurs les sénateurs, et je le dis avec une mention particulière pour le sénateur Bilhac, qui a évoqué ce sujet –, nous devons conserver des espaces pour produire. Dans un contexte où nous aurons moins de ressources qu’auparavant pour produire et où nous serons de plus en plus nombreux sur cette planète, préserver une capacité à produire près de chez nous est une nécessité et suppose d’y consacrer des espaces.
Ce n’est pas d’un arrêt de la construction qu’il s’agit, mais d’une division du rythme de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers ; et, à cet égard, le texte dont il est question cet après-midi a été considérablement amélioré au fil de la discussion.
Je veux d’emblée balayer une critique : la crise du logement n’est pas liée au ZAN ; si tel était le cas, il n’y aurait pas de crise du logement en Allemagne, en Espagne, en Belgique, dans la quasi-totalité des pays européens. Cette crise généralisée a des raisons conjoncturelles et des raisons structurelles ; en tout état de cause, aujourd’hui et depuis que la loi a été promulguée, le ZAN en lui-même ne pose pas de difficulté à cet égard : il est faux d’affirmer le contraire.
La loi du 20 juillet 2023 a permis nombre d’avancées. Soyez-en fiers : n’ayez pas le ZAN honteux ! (Sourires.) L’allongement des délais, la garantie rurale, la garantie du trait de côte, les grands projets d’envergure nationale et européenne, la consécration de la commission régionale de conciliation, l’édiction de règles spécifiques pour l’outre-mer et pour la Corse, la mise à la disposition des maires de nouveaux outils, comme le droit de préemption : tout cela, c’est grâce à vous !
Il reste beaucoup à faire. C’est pourquoi, loin de m’étonner que nous nous retrouvions moins de six mois après le vote, je plaide pour que nous prenions le temps d’ajuster ce qui doit encore être ajusté : voyons-nous !
Qu’avons-nous fait d’ores et déjà ?
Nous avons publié un guide (M. le ministre en brandit un exemplaire.), dont je me permets de faire la promotion ; il n’enrichit pas l’État, puisqu’il est téléchargeable gratuitement. Il ne fait que seize pages, en comptant la page de garde (M. le ministre tourne les pages en guise de démonstration.). Si je donne cette précision, ce n’est pas par coquetterie : on y trouve des dessins. Le sujet est si complexe, en effet, qu’il était nécessaire et même crucial d’élaborer un document expliquant clairement le dispositif.
Y sont détaillés certains engagements primordiaux, comme la non-remise en cause des zones d’aménagement concerté (ZAC) créées avant 2021 : la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers qu’engagent ces projets peut être intégralement rattachée à la période 2011-2021 et, donc, ne pas être imputée aux nouvelles trajectoires.
J’ai par ailleurs organisé des ateliers.
Je me suis rendu à Dieppe pour y vérifier que les exigences de sobriété foncière ne remettent pas en cause les projets d’envergure nationale – en l’occurrence le chantier des nouveaux réacteurs nucléaires – et, partant, la réindustrialisation du pays.
Je me suis également rendu en Auvergne-Rhône-Alpes pour discuter avec le président Wauquiez, devant 400 personnes, dans le cadre d’une COP. Si certains élus partagent sa position, j’ai pu mesurer à cette occasion combien beaucoup d’autres, sur le même territoire, sont conscients qu’il est nécessaire d’avancer et de trouver des compromis entre l’indispensable préservation des espaces naturels et la tout aussi indispensable poursuite de notre développement.
Nous sommes en train de traiter la question des projets d’envergure nationale ou européenne.
Le travail n’est pas fini : des centaines de projets me sont remontés. À la fin du mois de décembre, après analyse de ces centaines de projets, nous avons envoyé des listes aux présidents de région, lesquels ont jusqu’à la fin du mois de février pour se prononcer – « on prend », « on ne prend pas » ou « il en manque ». Nous allons donc avoir un temps de discussion.
Ces listes reposent sur une nomenclature, ou plutôt – je préfère le dire ainsi, car c’est de cela qu’il s’agit – sur du bon sens.
Je m’explique : la loi dispose que la consommation d’espaces attachée aux projets d’envergure nationale ou européenne est prise en compte dans le cadre d’un forfait, qui vaut jusqu’en 2031.
Or, pour certains projets, l’échéance est plus lointaine : aucun des EPR dont la mise en chantier est aujourd’hui prévue ne sera terminé en 2031. Lesdits EPR comptent donc littéralement pour zéro, à la minute où nous parlons, dans le calcul de l’artificialisation : ils seront imputés à la période suivante. De la même manière, certains projets d’infrastructures aboutiront après 2031 : cela n’aurait pas de sens de les rattacher au forfait.
Mais, comme les documents d’urbanisme valent pour vingt ans, il faut d’emblée préciser qu’ils ont la qualification de projets d’envergure nationale ou européenne, afin qu’ils ne soient pas comptabilisés dans les trajectoires des PLUi.
Cette liste des projets d’envergure nationale ou européenne comporte donc deux catégories : dans la première liste figurent les projets dont le financement est bouclé, dont les dates de réalisation sont certaines et pour lesquels l’artificialisation sera achevée en 2031 ; dans la seconde, tous les autres.
Je le précise, nous ne considérons que l’ouvrage : nous ne prenons pas en compte le chantier s’il est rendu à la nature – je réponds ainsi au sujet du grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). La surface nécessaire pour réaliser ce projet s’étend sur 2 000 hectares ; une fois achevée, l’infrastructure n’en consommera que 700 – et je ne fais que citer les chiffres qui nous remontent du territoire. Dans le calcul de l’empreinte des projets, nous ne prenons pas en compte les utilisations temporaires d’espace, car cela n’aurait tout simplement pas de sens.
À l’inverse – je le dis en réponse à l’interpellation qui m’a été adressée sur Béziers –, au gré des échanges que nous avons sur ces questions, nous pouvons choisir de retenir, au nombre des espaces rattachés aux projets d’envergure nationale ou européenne, des zones dont la vocation est d’accueillir des sous-traitants dans le cadre d’activités industrielles ou de transition écologique, mais à la seule condition que les porteurs de projets, même les plus petits, soient connus. Alors, il devient possible de basculer lesdites zones de la seconde à la première liste.
Quand ce travail aura été effectué, nous soumettrons le décret qui aura été ainsi rédigé à consultation publique. Enfin, si notre dialogue n’est pas conclusif, la commission de conciliation – qui fait partie des grandes avancées – pourra faire bouger les lignes, étant entendu que ces listes sont révisables chaque année. Il sera possible d’en retirer certains projets ou d’y ajouter ceux qui deviendront matures ou qui, tout simplement, émergeront.
C’est dans cet esprit de souplesse, qui est celui du Sénat, que nous entendons mener à bien la réindustrialisation du pays.
J’ai parlé des ZAC ; je ne serai pas plus long sur le sujet.
Je vais plutôt me concentrer sur ce qu’il nous reste à faire.
Premier gros sujet : la fiscalité, autrement dit les moyens, l’accompagnement budgétaire des communes.
À ce propos, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez totalement raison. J’ai un regret : nous avions proposé un dispositif qui plaisait à la moitié des groupes du Sénat et à un peu plus de la moitié des groupes de l’Assemblée nationale ; las ! il a été déclaré irrecevable, en commission, lors de l’examen du projet de loi de finances. Il faut dire que nous l’avons finalisé trop peu de temps avant le début des débats pour que son examen se fasse dans de bonnes conditions, celles qui auraient permis une mise en œuvre sereine – je prends donc, en la matière, ma part de responsabilité.
De quoi s’agissait-il ? Il était prévu qu’un terrain devenu constructible fasse l’objet d’une redevance partagée entre la commune et l’agence de l’eau, laquelle paie aussi les conséquences d’une partie de cette artificialisation. Ce dispositif avait le mérite de donner des ressources non seulement aux communes, mais aussi aux agences de l’eau. Ainsi, tout en préservant une part destinée aux communes, évitait-on l’effet d’aubaine qui aurait vu certaines d’entre elles pousser à l’artificialisation de terres, afin de boucler leur budget.
Dans notre pays, un peu moins de 7 000 communes ont institué une surtaxe sur les opérations qui rendent constructible un espace auparavant nu ; un peu moins de 27 000 communes, à l’inverse, ne se sont pas dotées d’un tel dispositif.
Je dis à Jean-Baptiste Blanc, qui a été le premier à le soulever, avant même que la loi Climat et résilience ne l’aborde, ainsi qu’à Bernard Pillefer, ce sujet sera évidemment au cœur de nos travaux cette année.
En ce qui concerne le fonds vert, en 2023, 1 225 hectares de friches ont bénéficié de crédits, et 685 hectares ont bénéficié d’opérations de renaturation, pour un total de 479 millions d’euros – nous ne sommes donc pas loin d’avoir consommé la totalité de l’enveloppe, les fameux 500 millions d’euros. Je me permets d’attirer votre attention sur ce bilan : 2 000 hectares, sur dix ans, c’est un résultat supérieur de 20 % à celui que nous avions imaginé, ce qui prouve combien il s’agit d’un outil puissant.
Du reste, j’évoque un fonds vert doté de 2 milliards d’euros ; or nous allons porter ce montant à 2,5 milliards d’euros et le fonds Friches, qui en est l’un des volets, sera renforcé pour que nous restions à la hauteur de l’enjeu.
S’agissant de l’ingénierie, nous réfléchissons actuellement à la meilleure manière de nous y prendre pour que les 250 millions d’euros du PCAET puissent éventuellement être mobilisés.
La signature d’un pacte entre toutes les agences – Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), ANCT, Cerema – remédiera à cette question.
À cet égard, je précise que je proposerai au nouveau Premier ministre d’engager une vraie réflexion autour de l’agencification de l’État : dans le prolongement des conclusions des rapports élaborés ici même, je plaide pour que les aides soient rendues plus lisibles et, plus largement, pour simplifier les voies d’accès à celles-ci.
Mme Cécile Cukierman. Vous aurez notre soutien !
M. Christophe Béchu, ministre. J’en finis avec ce qu’il nous reste à faire.
J’entends l’interpellation de Jean-Claude Anglars ; elle ne me surprend du reste pas, car l’ordre d’apparition des sujets qu’ont abordés les différents orateurs cet après-midi correspond exactement à celui qui a prévalu lors de la réunion de la CMP. En l’occurrence, la question que vous avez soulevée, monsieur le sénateur, celle de la prise en compte des bâtiments agricoles, est la dernière sur laquelle il nous a fallu avancer.
Pour autant, si je peux comprendre que vous considériez que vous n’avez pas été suffisamment entendu, à titre personnel, ou sur ce point précis, je ne peux pas vous laisser dire que le Sénat n’a pas été associé à la rédaction des décrets d’application de cette loi.
Tout d’abord, le dispositif que nous avons rédigé nous a permis de passer le filtre du Conseil d’État. Ensuite, il va de soi que nous allons examiner cette question en détail. Quoi qu’il en soit, monsieur le sénateur, ce n’est pas un texte contre le monde agricole, mais en sa faveur, car les agriculteurs sont les premières victimes de l’étalement urbain.
Parlons de la garantie rurale, puisque c’est sur cette disposition que nous avons le moins de recul. Par définition, nous ne pouvons pas savoir comment une mesure aussi récente sera mise en œuvre.
À mon sens, il faut tout de suite exclure de notre réflexion les territoires comprenant peu de communes et pour lesquels on ne recense d’ores et déjà aucune difficulté ; en revanche, il faudra examiner de près la situation des territoires où les communes sont tellement nombreuses que le cumul des droits créés au titre de la garantie rurale pourrait soulever des difficultés.
Je pense à la Normandie, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’animerai vraisemblablement mon prochain atelier dans le Calvados, ou peut-être dans la Manche – pour y retrouver Philippe Bas (Sourires.). Il s’agit d’étudier concrètement comment les choses se passent à l’échelle d’une intercommunalité.
Je reviens sur le sujet des outre-mer : les CDPENAF, mises en place pour lutter contre l’étalement urbain, posent en effet une difficulté particulière. Malgré la souplesse que nous avons introduite dans les procédures, j’ai le sentiment, à vous entendre, que des rigidités, qu’il nous faudra donc examiner, persistent. Mais, après tout, c’est aussi à la prise de conscience de ce type de difficulté que sert un tel débat !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne serai pas beaucoup plus long, ayant déjà très largement excédé le temps qui m’était imparti.
Je veux terminer en citant des propos qui, de mon point de vue, résument en grande partie nos débats : « Ces articles de loi ne manifestent pas seulement une défiance à l’égard des communes : ils sont incompatibles avec l’esprit des lois de décentralisation. Ils ont deux conséquences fâcheuses : ils retirent aux maires la maîtrise générale de la conception et de la définition de leur politique d’urbanisation ; de façon tout aussi inopportune, ils soustraient toute marge de manœuvre à l’application des dispositions de la loi. »
Cette citation de Josselin de Rohan – et il ne s’agit là que de l’une des citations tirée d’un recueil que je suis en train de constituer – porte non pas sur le ZAN, mais sur la loi Littoral. À l’époque de l’examen de ce texte, les mêmes inquiétudes – la crainte que l’on mette certains territoires sous cloche, qu’on les prive ou qu’on leur retire les moyens de se développer – s’étaient exprimées ici.
Or, aujourd’hui, personne ne penserait à remettre en cause la loi Littoral, dont nous allons d’ailleurs bientôt, à l’occasion de son anniversaire, faire le bilan.
Pour les mêmes raisons, il me semble logique et tout à fait légitime que l’on prenne un peu de temps pour parfaire la mise en œuvre du ZAN, laquelle constitue indiscutablement un basculement.
Je suis pour ma part convaincu que, dans quelques années, personne ne remettra en cause le fait que nous ayons cherché à concilier préservation de l’écologie et développement économique. Que nous le fassions ensemble est pour moi une immense fierté. Ce n’est en revanche pas une surprise, car je sais à quel point cette assemblée, loin de se contenter de voter des articles de loi, est celle du pragmatisme, de l’écoute des élus et de la volonté de réussir. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Pierre Médevielle applaudissent.)