Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Heureusement !
M. Christophe Béchu, ministre. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’aller au fond des choses.
Pour conclure, je salue votre esprit de responsabilité, qui vous a conduit à rejeter l’hypothèse d’une question préalable, ce qui aurait décalé l’examen de la réforme. Cela témoigne de votre volonté de contribuer à la relance du nucléaire et à une politique de l’énergie ambitieuse pour notre pays.
Discussion générale commune
M. Christophe Béchu, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un an, nous discutions dans cette assemblée le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.
Aujourd’hui, nous sommes appelés à débattre d’un texte tout aussi crucial pour notre politique de transition énergétique : le projet de loi sur la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
La relance de notre filière nucléaire s’inscrit dans une longue histoire, du lancement du premier programme nucléaire par le général de Gaulle jusqu’au discours du Président de la République à Belfort, en 2022, en passant par le plan Messmer. Ce programme doit notamment son succès historique à la garantie d’une exploitation sûre, ainsi qu’à la mise en place progressive d’un cadre efficace de contrôle en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Ce cadre repose tout d’abord sur la responsabilité des exploitants nucléaires. À cet égard, l’arrêt de réacteurs nucléaires, décidé par EDF seule, pour faire face aux problèmes de corrosion sous contrainte, au pire de la crise énergétique que nous traversions l’an dernier, témoigne du sérieux des milliers de femmes et d’hommes qui exploitent ces cathédrales technologiques.
Il repose surtout sur l’existence d’une organisation permettant un contrôle indépendant et reposant sur les meilleures compétences possible.
Suivant les recommandations du rapport du député Jean-Yves Le Déaut, en 1998, le processus d’amélioration et de réorganisation des services de l’État s’est enclenché voilà plus de vingt ans.
Un établissement public sous tutelle gouvernementale résultant de la fusion de plusieurs agences et services de l’État, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a ainsi été créé en 2002, avec déjà, à l’époque, des difficultés inhérentes à toute réforme organisationnelle.
Puis, en 2006, la loi Transparence et sécurité nucléaire a permis le passage d’une direction d’administration centrale à une autorité administrative indépendante – indépendante non seulement des exploitants, mais également du Gouvernement. Ce fut la création de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Plus de dix-sept ans après, la conclusion collective que nous pouvons en tirer est que cette organisation a été au rendez-vous au cours de la dernière décennie.
M. Fabien Gay. Et donc ?
M. Fabien Gay. Ah bon ?
M. Christophe Béchu, ministre. Après vingt ans de reflux, nous sommes en train de relancer activement notre filière nucléaire,…
M. Daniel Salmon. Et c’est dur !
M. Christophe Béchu, ministre. … afin de baisser nos émissions de gaz à effet de serre, de tenir nos engagements de sortie des énergies fossiles, de participer à la réindustrialisation de notre pays et, plus largement, de défendre notre souveraineté énergétique.
Je ne vais pas entrer dans l’énumération de tous les projets associés à cette relance, qui vont accroître significativement et durablement le volume et la complexité des dossiers de sûreté et de radioprotection. Mais permettez-moi d’en citer les quatre principaux axes.
Il y a tout d’abord la poursuite de l’exploitation de nos 56 réacteurs nucléaires existants, aussi longtemps que la sûreté le permettra.
Il y a ensuite la relance de la construction de nouveaux réacteurs EPR2, d’ores et déjà décidée à Penly, Gravelines et au Bugey.
Il y a encore la relance de grands programmes de recherche et développement : développement de nouveaux réacteurs innovants et modulaires et réactivation d’un programme d’investissements dans les infrastructures du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
Il y a enfin la consolidation de l’amont et de l’aval du cycle du combustible.
Pour mener ces chantiers, le Gouvernement s’attache à mettre tous les maillons du nucléaire civil à leur meilleur niveau : réforme des administrations publiques, nationalisation d’EDF, mise en œuvre d’un plan Marshall des compétences, sécurisation et accélération des procédures administratives.
Le Gouvernement a aussi engagé une réflexion visant à faire évoluer l’organisation de la sûreté nucléaire pour qu’elle continue de répondre au mieux à la mission d’assurer un contrôle indépendant et efficace du nucléaire civil en France, en s’inspirant, comme en 2006, des meilleurs modèles internationaux.
J’y insiste, ce projet de loi ne modifie pas d’une virgule le cadre de sûreté et de radioprotection français applicable aux exploitants. Concrètement, il s’agit de réduire les complexités d’interface inhérentes à l’existence de deux entités, et cela pour trois raisons.
Tout d’abord, l’ASN et l’IRSN ont des priorités distinctes, ce qui limite l’efficacité du pilotage de leurs moyens et nécessite des dizaines de documents-cadres négociés pour organiser leurs relations au quotidien.
Ensuite, ces deux structures ont des processus et des outils internes distincts, ce qui limite le partage d’informations et l’efficacité des instructions et de la gestion de crise.
Enfin, dans le contexte de relance du nucléaire, l’ASN et l’IRSN pourraient se disputer des compétences rares similaires, limitant les synergies qu’une mise en commun offrirait dans un contexte de tension sur ces mêmes compétences.
Cette réflexion s’était déjà imposée lors de l’examen du dernier texte sur le nucléaire au Parlement. Je veux le dire d’emblée, cette méthode, qui avait vu à l’époque intervenir la proposition de réforme au milieu de la navette parlementaire, n’était pas adaptée à l’enjeu, et nous en avons tiré les conséquences avec humilité.
M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Christophe Béchu, ministre. Ce projet de loi reprend toutes les recommandations du rapport transpartisan de l’Opecst du 11 juillet 2023, commandé, je le rappelle, par la présidente Sophie Primas. J’en profite pour rappeler le travail méticuleux effectué à cette occasion par le sénateur Stéphane Piednoir et par le député Jean-Luc Fugit.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a fait l’objet d’un mois et demi de consultations auprès de neuf instances différentes, de dizaines de réunions de travail avec le corps social de l’ASN et de l’IRSN, d’un examen minutieux par le Conseil d’État pour en conforter la solidité juridique et élaborer une étude d’impact de deux cents pages.
En complément, je veux saluer le travail rigoureux et approfondi mené par les deux rapporteurs du texte, Pascal Martin, pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et Patrick Chaize, pour la commission des affaires économiques, avant et pendant l’examen du texte en commission. Je tiens à les en remercier, et j’inclus dans ces remerciements les présidents de ces deux commissions, Jean-François Longeot et Dominique Estrosi Sassone.
Notre proposition de réforme repose sur la mise en place d’une autorité administrative indépendante, qui ne sera ni l’ASN ni l’IRSN, mais une nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Elle réunira, à compter du 1er janvier 2025, les compétences et missions des actuels ASN et IRSN. C’est un calendrier ambitieux, réaliste et nécessaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous exposer les principes d’organisation de cette future autorité, prévus dans ce projet de loi.
Premièrement, l’indépendance de l’entité chargée du contrôle de la sûreté nucléaire civile et de la radioprotection à l’égard du Gouvernement et des exploitants sera garantie, grâce à son statut d’autorité administrative indépendante, le plus protecteur en droit français.
Deuxièmement, les quatre piliers qui font la force de notre système de sûreté seront préservés et renforcés : des compétences d’État de très haut niveau ; un collège de cinq commissaires, pour prendre les décisions et avis les plus importants, tout en rendant compte au Parlement, et des services dont la direction relèvera d’un directeur général ; des groupes permanents d’experts, qui éclairent de manière indépendante les décisions de l’ASNR et permettent de confronter les points de vue ; un processus de consultation du public pour les enjeux importants avant la décision. Bref, tout restera comme il est aujourd’hui !
J’y insiste, aucune autre autorité administrative indépendante, y compris l’actuelle ASN, n’est autant encadrée par la loi que ne le sera la future ASNR.
Je comprends le souhait de donner plus de visibilité sur la future organisation, et les rapporteurs ont, sur ce point, apporté certains gages tangibles d’organisation compatibles avec cet objectif. Je les en remercie.
À l’inverse, certaines des évolutions proposées, si elles étaient maintenues en l’état, pourraient déboucher sur des complexités, voire sur une forme de paralysie, ce qui m’amènera à défendre des amendements du Gouvernement visant à apporter plus de sécurité juridique au dispositif.
D’une manière générale, je considère qu’il est important de ne pas brider outre mesure le travail de préfiguration qui est mené par les directions générales de l’ASN et de l’IRSN depuis la fin du mois de septembre dernier, d’autant qu’un accord de concertation a été signé entre les deux entités et leurs organisations syndicales le 14 décembre. Laissons à ces deux structures des marges de discussion.
Troisièmement, nous maintenons un haut niveau de transparence grâce aux informations mises à disposition du public. Cela sera garanti par la future autorité, et même renforcé par rapport à ce qui existe aujourd’hui, sur la base de propositions des rapporteurs cohérentes avec l’existence d’une entité unique.
De même, les commissions ont proposé le renforcement des fonctions de déontologie, en prévoyant une commission dédiée. J’y suis favorable. Je vous proposerai néanmoins un amendement, afin d’inscrire son fonctionnement dans le cadre plus large de la déontologie des autorités administratives indépendantes.
Quatrièmement, et enfin, nous souhaitons renforcer les compétences de la future autorité et son attractivité, en maintenant une capacité de recherche dynamique et reconnue au niveau mondial, avec des partenariats diversifiés en France et à l’international, y compris avec des industriels. C’est essentiel. Aussi, les activités de recherche actuellement conduites par l’IRSN se poursuivront au sein de la future autorité.
Le projet de loi apporte des réponses claires, concrètes et inédites aux enjeux de tension sur les compétences qui ont été constatés dans la filière depuis plusieurs années : augmentation des rémunérations, parcours de carrières plus larges, ou encore meilleure allocation des compétences rares de l’État.
Il contribue également à la relance nucléaire, en permettant aux maîtres d’ouvrage de projets nucléaires, en particulier EDF, de passer leurs marchés selon des modalités plus adaptées à leurs contraintes industrielles et de renforcer la protection des intérêts essentiels de la Nation, afin de tenir compte de l’évolution du contexte international.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte témoigne de la détermination du Gouvernement de se donner pleinement les moyens de réussir la relance de la filière nucléaire en toute sûreté, une relance dont l’opportunité pour le climat n’est plus à démontrer. Elle est même désormais plébiscitée par une large majorité de Français. Ce texte bénéficiera de votre vigilance et de votre volonté d’accompagner notre action, qui doit se faire en respectant les meilleurs standards.
Je souhaite que notre travail puisse faire encore progresser un texte qui nous permettra de maintenir dans la durée l’excellence de la sûreté nucléaire et de la radioprotection française, auxquelles le Gouvernement, comme tous les Français, est pleinement attaché. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Pascal Martin, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, afin de répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et du projet de loi organique associé.
J’ai organisé durant les premières semaines de janvier une vingtaine d’auditions. J’ai souhaité travailler en bonne intelligence avec la commission des affaires économiques, saisie pour avis, mais aussi, pour quatre articles, au fond. Certaines de ces auditions ont été menées conjointement avec Patrick Chaize, dans un très bon climat.
Il y a près d’un an, dans le cadre de l’examen du projet de loi Accélération du nucléaire à l’Assemblée nationale, le Gouvernement avait proposé la fusion entre l’Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante chargée de prendre les décisions individuelles et réglementaires, et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, établissement public exerçant des missions d’expertise et de recherche dans le domaine de la sûreté, de la sécurité des installations et de la radioprotection.
Nous avions été très nombreux, au Sénat, à déplorer la méthode employée : cette proposition n’avait fait l’objet d’aucune concertation ni d’aucune évaluation et n’avait pas été soumise à la première assemblée saisie, c’est-à-dire le Sénat. La proposition du Gouvernement avait finalement été rejetée par les députés.
Malmené, le Parlement a réagi par une saisine de l’Opecst. Celle-ci a débouché en juillet dernier sur la présentation d’un rapport de qualité réalisé par Stéphane Piednoir et Jean-Luc Fugit. Ce travail a alimenté le projet de fusion proposé par le Gouvernement et a largement inspiré les amendements adoptés par la commission.
Pour l’examen de ces textes, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est fixé une priorité essentielle : maintenir notre sûreté nucléaire au niveau d’exigence le plus élevé possible, tout en l’adaptant aux enjeux de la décennie actuelle et de celles qui suivront.
J’ai ainsi effectué une instruction à charge et à décharge, en m’appuyant notamment sur le rapport de l’Opecst et sur une étude de législation comparée demandée aux services du Sénat. Cette instruction m’a conduit à identifier cinq avantages de la refonte proposée de la gouvernance de la sûreté nucléaire.
Le premier est une efficacité accrue.
J’ai pu constater, au fil de mes auditions, que l’excellence du système français de sûreté nucléaire est reconnue par l’ensemble des parties prenantes, à l’échelle nationale comme internationale. Toutefois, notre système de sûreté nucléaire doit aujourd’hui s’adapter à l’évolution du flux de demandes : vous le savez, la relance du nucléaire est un chantier d’une ampleur inédite, un programme hors norme.
La nouvelle organisation permettra de mettre fin aux frictions qui ont pu se produire dans les échanges entre l’ASN et l’IRSN, ainsi qu’aux différences de priorisation, qui donnent lieu aujourd’hui à des délais supplémentaires dans la prise de décision.
Le deuxième avantage est une meilleure adaptation aux enjeux contemporains de la sûreté nucléaire.
Le premier enjeu contemporain est celui des petits réacteurs modulaires, ou SMR, développés notamment par des start-up. J’ai pu entendre, dans le cadre de mes auditions, les start-up françaises, qui sont engagées dans une véritable course technologique contre les autres puissances nucléaires. Elles m’ont exprimé une forte demande de simplification et d’accompagnement renforcé par les pouvoirs publics, à laquelle la fusion contribuera à répondre.
Le dérèglement climatique constitue le second enjeu contemporain de la sûreté nucléaire. Le grand défi du siècle sera l’adaptation du parc existant, comme de nouveaux réacteurs, à cette réalité. Regrouper l’ensemble des savoir-faire nécessaires contribuera à armer notre pays face à cet immense défi.
Le troisième avantage de la refonte proposée est une amélioration de la gestion de crise.
Pour assurer leurs missions en cas de crise, l’IRSN et l’ASN disposent chacun d’un centre de crise, d’une organisation spécifique et de moyens propres. En la matière, la fusion permettra aux services de l’État de disposer d’un interlocuteur unique et fluidifiera les échanges entre les différentes équipes.
Le quatrième avantage est une clarification de la communication.
Combien de nos concitoyens sont aujourd’hui capables de distinguer les missions de l’ASN de celles de l’IRSN ? Émanant de deux institutions différentes, la communication sur ces sujets a pu donner lieu, par le passé, à des cafouillages préjudiciables. La réforme permettra à la nouvelle autorité de parler d’une voix commune et, partant, facilitera l’identification par le public de l’autorité décisionnaire.
Enfin, le cinquième avantage de cette réforme est un renforcement de l’attractivité.
Vous n’ignorez pas, mes chers collègues, qu’il manquera dans les dix ans à venir 100 000 emplois dans la filière nucléaire. Entre la possibilité d’être recruté sous différents statuts, ainsi que d’en changer, et le renforcement des occasions de mobilité professionnelles, les paramètres retenus par le Gouvernement constitueront des outils pour rendre la future Autorité plus attractive.
Une part de la nécessaire réaction face au déficit d’attractivité des instances de sûreté réside néanmoins également dans l’augmentation des rémunérations et des moyens humains, un sujet qu’il faut inscrire dans la durée et que le Gouvernement n’a pas, à ce jour, voulu prendre suffisamment au sérieux, en dépit de nombreuses alertes parlementaires.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire permettra de renforcer le système de sûreté nucléaire français dans un contexte hors norme.
Le texte qui nous a été soumis par le Gouvernement présentait cependant des risques, qui ont conduit la commission à l’ajuster.
Le premier risque auquel nous avons souhaité remédier concerne la nécessaire distinction entre expertise et décision. Ce sujet est crucial, car cette distinction est au cœur de la qualité et de la crédibilité du système de sûreté nucléaire.
Elle l’est, d’une part, parce qu’une différenciation insuffisante risque de placer l’expertise sous l’influence de la décision ; les conclusions de l’expertise seraient orientées dans le sens de la décision ou, inversement, la décision, censée tenir compte de l’expertise, mais également d’enjeux comme l’approvisionnement en électricité du pays, pourrait ne pas être assez autonome vis-à-vis des avis scientifiques présentés à l’instance qui doit la prendre.
Elle l’est, d’autre part, parce que, pour démontrer la sûreté, il faut se confronter au doute : ce qui rassure le public sur l’état de la sûreté nucléaire, ce n’est pas l’affirmation de certitudes : c’est la transparence sur les débats internes au système.
Or, en la matière, la rédaction initiale du projet de loi constituait un recul, sur la méthode, en renvoyant le sujet au règlement intérieur de la future Autorité, et surtout sur le fond, en prévoyant une distinction entre processus d’expertise et de décision uniquement dans le cas d’une prise de décision par le collège, ce qui concernerait 30 dossiers par an, contre 300 aujourd’hui. Un redémarrage de centrale nucléaire n’aurait ainsi plus fait l’objet d’une expertise distincte du reste de l’instruction !
La commission a préféré adopter une position d’équilibre, qui préserve la fluidité permise par la fusion des deux entités, tout en garantissant la confrontation des doutes indispensable à la sûreté.
Le premier avantage du texte adopté en commission est qu’il étend le champ de la distinction à l’ensemble des dossiers à enjeux, au-delà des 30 sujets annuels nécessitant une décision du collège.
Son deuxième avantage est que nous proposons une distinction des responsabilités plutôt que des « processus », notion particulièrement floue retenue dans le texte initial. On s’assurera ainsi que le signataire de l’expertise n’est pas le même que le signataire de la décision. Mais la distinction des responsabilités, donc des signataires, ne suffit pas. Notre objectif est de consacrer une distinction entre expertise et décision qui ne soit pas que de papier ; il nous a semblé que ce principe devait se traduire concrètement dans l’organisation des instructions.
C’est pourquoi nous avons souhaité préciser que le règlement intérieur de l’Autorité fixera les modalités organisationnelles de distinction et d’interaction des personnels chargés de l’expertise et de la décision. Cette précision garantira, sur un dossier donné, que les personnes chargées de l’expertise, d’une part, et de la décision, d’autre part, seront bien identifiées.
Notre idée n’est pas ici de recréer, au sein de l’ASNR, un pôle expertise distinct d’un pôle décision : cela reviendrait à rejouer au sein de l’ASNR le face-à-face entre ASN et IRSN, auquel cas on perdrait tous les bénéfices de la réforme.
Le texte de la commission renforce également l’expertise tierce, en donnant une assise juridique forte aux groupes permanents d’experts, les GPE, comme le proposait le rapport de l’Opecst. Ces groupes, constitués de spécialistes, contribuent au processus d’expertise, en lui apportant un regard critique et des compétences spécialisées.
Le deuxième risque auquel donnait lieu le texte initial était celui d’un recul en matière de transparence. La crédibilité de notre système de sûreté nucléaire repose pourtant sur cette exigence, qui apparaît indispensable pour assurer l’acceptabilité par la population de la relance de l’atome dans notre pays.
En renvoyant au règlement intérieur de la nouvelle ASNR les modalités de publication des résultats de ses activités d’expertise, la rédaction initiale comportait des risques de recul en la matière, puisqu’il n’était pas certain que l’exigence de publication serait conservée, et encore moins qu’elle serait renforcée.
C’est pourquoi la commission a adopté un amendement tendant à intégrer au texte, comme le proposait le rapport de l’Opecst, le principe de publication des résultats d’expertise, pour maintenir un niveau de transparence équivalent à celui qui est atteint dans le système actuel.
Le troisième risque que nous avons identifié concerne le maintien des activités de recherche. Plus précisément, la version initiale du projet de loi comportait des risques pour la conduite des activités de recherche de la future ASNR, activités qui sont le socle de l’expertise en matière de sûreté et de radioprotection.
Les acquis de l’IRSN, sa notoriété et sa visibilité dans le monde de la recherche devront être préservés, comme l’a souligné le rapport de l’Opecst. En particulier, l’ASNR devra poursuivre la collaboration engagée par l’IRSN avec les industriels du secteur nucléaire, collaboration indispensable à la recherche en sûreté nucléaire.
Enfin, le quatrième risque du texte initial était relatif à l’association du Parlement et de la société civile. De nombreux sujets majeurs seront renvoyés au règlement intérieur de la future autorité. Ce choix est justifié par la nécessité d’assurer une plus grande souplesse dans le fonctionnement de l’Autorité. Une reddition des comptes sera cependant nécessaire.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.
M. Pascal Martin, rapporteur. C’est pourquoi la commission a adopté, sur la proposition notamment du rapporteur pour avis Patrick Chaize, des amendements tendant à davantage associer à ce règlement intérieur l’Opecst, le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), l’Association nationale des comités et commissions locales d’informations (Anccli) et les commissions permanentes compétentes des deux assemblées.
En définitive, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est un texte rééquilibré, qui adapte la sûreté nucléaire aux enjeux de notre décennie, tout en maintenant la sûreté nucléaire au niveau d’exigence, mais aussi de transparence, le plus élevé possible. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les projets de loi ordinaire et organique que nous examinons aujourd’hui procèdent à trois réformes techniques, destinées à accompagner la relance de la filière française du nucléaire, actée par la loi du 22 juin 2023, dite loi Nouveau nucléaire.
La commission des affaires économiques a été chargée de l’examen au fond des articles 12 et 16 à 18 du projet de loi ordinaire, c’est-à-dire de ceux qui portent sur la simplification des règles de la commande publique, ainsi que sur le repositionnement du haut-commissaire à l’énergie atomique (HCEA). Elle s’est saisie pour avis des autres articles des deux projets de loi, relatifs à la création de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Lors de l’examen de la loi Nouveau nucléaire, le Gouvernement avait déposé à l’Assemblée nationale deux amendements tendant à fusionner l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. En commission mixte paritaire, notre rapporteur Daniel Gremillet, que je salue, avait expurgé le texte de toute référence à cette fusion. De plus, la présidente de notre commission avait saisi de la question l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
En rejetant ces amendements présentés par le Gouvernement à la hâte – vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le ministre –, après le vote massif du Sénat sur ce texte, notre commission s’était opposée à une réforme mal anticipée et mal évaluée. En saisissant l’Opecst, elle avait remis les parlementaires au cœur des enjeux.
Le nouveau projet de réforme est plus abouti ; nous pouvons néanmoins regretter que nous n’ayons pu auditionner le ministre chargé de ce dossier.
Il est plus abouti, disais-je, car il est le fruit du rapport de l’Opecst, d’une dizaine de consultations et d’un an de concertation. Il arrive à un moment crucial de la relance du nucléaire, le Gouvernement devant proposer de nouvelles régulations et programmations énergétiques, dans le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique, ainsi que dans le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie.
Notre commission soutient aujourd’hui, dans son principe, le nouveau projet de réforme, plus abouti que le précédent. Parce qu’il vise à fluidifier les procédures d’instruction, à sûreté inchangée, il est indispensable à la relance du nucléaire. À l’heure où les dossiers vont se multiplier, renforcer l’efficacité du système n’a rien de superflu.
Certes, les modalités du projet posent des défis en matière de continuité des procédures, de valorisation des compétences et de maintien des standards. Pour autant, à terme, le projet est de nature à renforcer la confiance du public, car l’ASNR sera une autorité administrative indépendante, j’y insiste.
Dans le cadre de mes travaux préparatoires, j’ai entendu une quarantaine de personnalités, au cours d’une vingtaine d’auditions.
Au total, j’ai proposé à notre commission 37 amendements, selon quatre axes : consolider la gouvernance de la filière du nucléaire, simplifier les règles de la commande publique, faire suite aux travaux de la loi Nouveau nucléaire et conforter l’organisation de l’ASNR. Déjà, 25 de ces amendements ont été adoptés en commission ; j’aurai l’occasion de revenir sur les autres, qui vous seront soumis tout à l’heure.
Le premier axe de mes travaux a pour objet de consolider la gouvernance de la filière nucléaire, en renforçant les attributions et le fonctionnement du HCEA et en prévoyant que le Parlement puisse le saisir pour avis et se prononcer sur sa désignation. J’entends ainsi, soixante-dix-neuf ans après sa création par le général de Gaulle, faire du HCEA la vigie de la relance du nucléaire.
Le deuxième axe vise à simplifier les règles de la commande publique pour les projets nucléaires, en confortant les dérogations prévues en matière d’allotissement, de durée des accords-cadres et de règles de publicité et de concurrence, et en ajoutant un critère de crédibilité et une possibilité d’avenant. Ces souplesses sont nécessaires pour prévenir tout risque d’interface, de rupture et, in fine, de surcoût. Je rappelle que, selon EDF, un retard d’un mois sur un réacteur peut entraîner un surcoût de 100 millions d’euros.
Le troisième axe consiste à s’inscrire dans la suite de la loi Nouveau nucléaire, en proposant d’appliquer les recommandations du rapport de l’Opecst et de réintroduire des dispositions instaurant une règle de parité, dans le collège de l’autorité, et une règle de publicité, dans sa commission des sanctions. C’est un gage de cohérence.
Le quatrième axe de mon travail vise enfin à conforter l’organisation de l’ASNR, notamment en matière de garantie d’indépendance et de déontologie, de séparation entre les processus d’expertise et de contrôle, de publication des rapports et des décisions, ou d’association de l’Opecst et des commissions permanentes. Je souhaite aussi consacrer l’indépendance de l’Autorité et sanctuariser ses activités régaliennes.
Je veux, à ce stade de notre débat, remercier le rapporteur Pascal Martin de nos échanges constructifs.
Mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques, je vous invite à adopter ces projets de loi organique et ordinaire, sous réserve bien sûr de l’adoption de mes amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)