M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le statut des juristes d’entreprise reste très flou : je remercie d’ailleurs Dominique Vérien de l’avoir noté, en toute sincérité, à la page 5 de son rapport. À l’heure où je vous parle, je vous l’avoue, je n’ai toujours pas compris ce qu’était précisément un juriste d’entreprise… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Quant à l’application du privilège légal, qui constitue pour nous un sujet d’inquiétude, elle occupe une place singulière dans le débat qui traverse une partie de notre paysage juridique.
Au regard des interrogations qu’il suscite, ce sujet exige une évaluation approfondie. Mais, à ce stade, nous pouvons déjà tirer plusieurs enseignements du contexte dans lequel s’inscrit l’examen de cette proposition de loi.
Tout d’abord, l’extension du legal privilege aux juristes d’entreprise fait débat depuis plusieurs décennies en France. L’urgence de l’introduction d’une telle disposition dans notre droit est donc assez relative, même s’il est peut-être temps d’apporter de premiers éléments permettant de clore la discussion, sans négliger la complexité et la sensibilité du sujet.
Ensuite, nous dit-on, les entreprises étrangères réserveraient une attention toute particulière à la protection que les différents pays offrent en matière de confidentialité, pour ce qui est en particulier des communications entre le juriste d’entreprise et son employeur.
Je crois avoir entendu tout à l’heure M. le garde des sceaux indiquer que la plupart des pays européens font bénéficier leurs juristes d’entreprise d’une telle confidentialité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Or voilà qui est inexact : comme l’a subtilement relevé notre rapporteure, ce sont les avocats en entreprise qui en bénéficient – et chacun a bien compris qu’il ne s’agit pas du tout de la même chose.
La volonté de renforcer l’attractivité de la France est tout à fait légitime : elle doit bien sûr être saluée ; mais il faut garder à l’esprit que notre pays est d’ores et déjà doté d’un cadre juridique solide et protecteur, qui permet d’attirer les investissements et les entreprises.
Alors que Paris est devenu la première place financière d’Europe en 2022, quels sont les effets attendus de l’introduction du legal privilege ? A-t-elle réellement vocation à nous permettre de rivaliser avec des systèmes de common law, qui diffèrent de nos conceptions sur bien des aspects ?
Surtout, pour les membres du groupe socialiste comme pour de nombreux professionnels, cette mesure nous expose à des risques, dont le moindre n’est évidemment pas celui d’entraver les enquêtes des autorités de régulation – les précédents orateurs l’ont déjà noté.
Il est impératif de ne compromettre ni notre droit de la preuve ni la capacité de nos autorités à mener des enquêtes efficaces : il s’agit tout simplement de faire respecter la loi et, partant, de protéger l’intérêt commun.
La limitation du pouvoir de contrôle des différentes autorités affaiblirait notre système de régulation et compromettrait durablement le respect de la conformité aux normes légales.
Certes, la confidentialité ne serait pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale, et c’est heureux ; reste qu’elle le serait pour tout litige commercial et civil et pour toute procédure administrative, y compris dans le cadre des enquêtes menées par des autorités publiques comme l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et l’Autorité de la concurrence.
L’absence de dérogation pour ces trois instances soulève d’importantes difficultés. En effet, le risque est grand de limiter fortement, voire d’entraver totalement, leurs pouvoirs d’enquête et de contrôle en permettant aux entreprises de se constituer des « boîtes noires ». De plus, l’opposabilité de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise aux trois autorités que j’ai citées créerait des régimes probatoires différents, notamment avec le parquet national financier. En résulterait une situation qui serait pour le moins singulière en droit français.
Je tiens à remercier Ian Brossat d’avoir rappelé l’opportun refus opposé à une réforme analogue, en 2015, par le ministre de l’économie : il s’appelait Emmanuel Macron…
Par conséquent, nous défendrons tout à l’heure un amendement visant à garantir la non-opposabilité de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise à l’AMF, à l’ACPR et à l’ADLC dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction. Je précise que cette dérogation ne remet pas en cause la volonté d’éviter toute auto-incrimination des entreprises.
Le risque que je viens d’évoquer en recoupe un autre, plus global : celui d’aller à contre-courant des tendances actuelles en matière de transparence et de responsabilité, qui sont le véritable ciment de la confiance dans notre système juridique et dans la vie des entreprises. Masquer certains dangers en matière fiscale, environnementale ou de droit du travail, c’est aller à rebours des attentes de la société moderne.
Face à ces défis, nous plaidons fermement pour l’atténuation des risques associés à l’octroi du legal privilege aux juristes d’entreprise. Nous soutenons évidemment l’exclusion des procédures fiscales et pénales du champ de cette confidentialité et demandons que cette précision soit encore clarifiée.
Nous soutiendrons pleinement tout ce qui permettra de renforcer la souveraineté économique de la France et de préserver sa position concurrentielle sur la scène internationale, mais nous resterons vigilants quant à la protection de certaines garanties essentielles.
Nous continuerons également à défendre une approche équilibrée, conciliant les impératifs de confidentialité des communications avec les nécessaires principes de transparence et de responsabilité et avec le respect des droits fondamentaux des citoyens et des acteurs économiques.
Nous n’accepterons pas que l’instauration de ce nouveau principe de confidentialité se fasse au détriment des différentes autorités de contrôle et de la mission de sauvegarde de l’ordre public économique qu’elles assument.
Mes chers collègues, nous vous invitons par conséquent à conserver l’approche que vous avez adoptée pour les enquêtes fiscales et pénales, donc à faire bénéficier ces autorités d’une dérogation d’ensemble à ce nouveau régime de confidentialité.
Notre vote final dépendra de l’adoption ou non de notre amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Audrey Linkenheld. Très clair !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lorsqu’il est question de justice, les questions de privilège et de confidentialité font souvent peur.
Lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ma collègue Dominique Vérien et moi-même – nous étions corapporteures de ce texte – avions défendu et fait adopter une disposition portant création d’un legal privilege à la française pour les juristes d’entreprise, orientation confirmée par l’Assemblée nationale dans la suite de la navette.
Pourtant, avant la promulgation du texte, l’article fut censuré par le Conseil constitutionnel, celui-ci considérant, au nom d’une application stricte du désormais bien connu article 45 de la Constitution, qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
La présente proposition de loi, déposée par notre collègue Louis Vogel, reprend donc une mesure déjà discutée et adoptée au Sénat, et je m’en félicite !
L’octroi d’un legal privilege aux juristes d’entreprise revient à reconnaître la confidentialité de leurs consultations écrites, sous certaines conditions qui, comme je l’ai dit, ont déjà été validées par notre assemblée.
Plus précisément, il nous est proposé d’instaurer la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise dans les matières civile, commerciale et administrative, tout en excluant – c’est une demande forte – les procédures pénales et fiscales.
Ce débat, vieux d’une trentaine d’années, comme l’a rappelé notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie, mérite d’être clos via l’adoption par l’ensemble de la représentation nationale du présent dispositif législatif.
En effet, les juristes d’entreprise sont aujourd’hui enfermés dans un paradoxe : ils ont pour mission d’alerter les cadres dirigeants de leur entreprise sur les risques juridiques encourus tout en évitant l’auto-incrimination. Ainsi la reconnaissance d’une telle confidentialité contribuerait-elle à améliorer la mise en œuvre du principe de bonne administration de la justice et de l’intérêt général au cœur de l’économie.
De surcroît, en refusant toute confidentialité aux avis des juristes d’entreprise, la France se met à l’écart des pays membres de l’OCDE et de ceux de l’Union européenne, alors même qu’une telle reconnaissance satisfait pleinement au droit communautaire, en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États membres.
Le droit français ne peut décemment pas continuer de faire exception au droit européen, et ce au détriment de nos professions juridiques !
En outre, cette situation nuit à la compétitivité de nos entreprises et à l’attractivité de la France. Ainsi, nombre de directions juridiques s’exilent dans des pays qui bénéficient de cette protection. Pis, les sociétés qui décident de rester en France font le choix de ne pas recruter de juristes français, se tournant vers des avocats anglo-saxons.
Nous nous félicitons néanmoins qu’un certain nombre de tempéraments au principe de confidentialité aient été posés, visant notamment à en restreindre le bénéfice aux juristes justifiant de l’obtention d’un master. Je précise que les juristes d’entreprise titulaires d’une maîtrise en droit ayant accumulé huit ans d’expérience seront considérés comme satisfaisant à cette condition.
Souhaitant éviter la création d’une nouvelle profession réglementée, la commission des lois a également supprimé du texte la notion de déontologie, source de confusion avec la profession d’avocat.
De plus, la confidentialité des avis des juristes d’entreprise ne doit pas être confondue avec le secret professionnel des avocats. La confidentialité est non pas un secret absolu lié à la qualité de juriste d’entreprise, mais une protection accordée sous conditions à un document identifié.
Quant à la modification de la sanction pénale attachée à l’apposition frauduleuse de la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise », elle est bienvenue. Elle a été alignée sur la sanction déjà prévue pour la violation des conditions d’exercice de la profession de juriste d’entreprise.
Enfin, par souci d’un juste équilibre, notre commission, sur l’initiative de notre rapporteure, Dominique Vérien, a explicitement prévu que la confidentialité ne serait pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale, afin qu’il ne soit pas porté atteinte à la recherche des auteurs d’infractions.
Notre but est non pas de couvrir par la confidentialité, mais de protéger les juristes par des mesures justes.
C’est pourquoi, en cas de saisie d’une consultation juridique confidentielle, son placement sous scellé et sa conservation par un commissaire de justice sont prévus.
Je félicite notre collègue Louis Vogel d’avoir pris l’initiative de reprendre ces dispositions déjà adoptées, et je salue l’excellent travail de notre rapporteure, qui a trouvé le juste équilibre permettant de garantir l’attractivité de cette profession et de notre économie.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains, dans sa très grande majorité, votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Louis Vogel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, sous des aspects techniques, la proposition de loi de notre collègue Louis Vogel que nous examinons cet après-midi traite de sujets importants : l’efficacité et la modernisation de notre système juridique.
Mes collègues qui se sont exprimés à la tribune avant moi l’ont rappelé : de plus en plus de dispositions de notre droit font peser sur les entreprises elles-mêmes l’exigence d’un premier contrôle du respect de leurs obligations. Ce faisant, il leur appartient de se surveiller et de se corriger elles-mêmes.
Aussi, je me félicite que cette proposition de loi tende à faciliter et à rendre plus efficace la mise en conformité des entreprises concernées par ces réglementations visant à prévenir les infractions.
Cela dit, si le dispositif de confidentialité des consultations des juristes d’entreprise allège la charge pesant sur les services de l’État, il ne conduit pas pour autant à les en dessaisir. En effet, afin de maintenir l’ordre public économique, l’État doit pouvoir continuer d’assurer les contrôles et de sanctionner les manquements.
En ce sens, comme l’ont rappelé mes collègues, la confidentialité ne fait pas obstacle à l’engagement de poursuites par les autorités administratives indépendantes. La confidentialité de l’écrit du juriste d’entreprise n’étant pas applicable lorsque celui-ci encourage, facilite ou participe à la commission de l’infraction, elle n’empêche ni la constatation de l’infraction ni l’ouverture d’une enquête par les autorités de contrôle. Ainsi le document pourra-t-il être saisi s’il est un élément constitutif de l’infraction.
Par ailleurs, les exceptions posées en matière pénale et fiscale ne sont pas incohérentes, bien au contraire ! En effet, dans les matières couvertes par ces autorités de contrôle, le droit pénal ne s’applique que lorsqu’un seuil de gravité dans l’infraction a été franchi. Il peut donc exister une différence de procédure entre ce qui relève de l’administratif et ce qui relève du pénal, la confidentialité ne s’appliquant que dans le premier cas.
La matière fiscale, quant à elle, dépend rarement des directions juridiques : elle est généralement traitée par des opérateurs extérieurs, avocats fiscalistes ou experts-comptables, ou par d’autres services au sein de l’entreprise, direction financière ou direction comptable.
Il était donc nécessaire, par pragmatisme, de prévoir ces exceptions.
Je salue à cet égard le travail de fond effectué par la commission des lois, et notamment par Dominique Vérien, notre rapporteure.
Par ailleurs, je tiens tout particulièrement à souligner un point qui me semble essentiel : la commission a entendu renforcer la procédure de contestation et de levée de la confidentialité des documents susceptibles d’intéresser les autorités de contrôle, afin de marquer plus clairement l’équilibre du dispositif.
Cette consolidation de la procédure s’est traduite, premièrement, par un renforcement de la condition de qualification ouvrant le bénéfice de la confidentialité ; deuxièmement, par une réduction du champ des destinataires des consultations juridiques susceptibles d’être revêtues de la confidentialité ; troisièmement, par la création d’une procédure ad hoc pour les cas où le document fait l’objet d’une simple demande de consultation, une telle demande étant pour les autorités administratives un moyen courant d’action ; quatrièmement, par l’introduction d’une disposition prévoyant que le document dont la confidentialité est alléguée est saisi, placé sous scellé et conservé par un commissaire de justice, tiers de confiance, et non plus au sein de l’entreprise.
Mes chers collègues, vous le voyez, l’instauration de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise ne remettra pas en cause les pouvoirs d’investigation des autorités de contrôle. Celles-ci pourront demain continuer d’exercer efficacement leurs missions avec la même rigueur et la même intégrité qu’aujourd’hui, au service de l’ordre public économique.
Le texte qui nous est soumis apporte une innovation majeure tout en maintenant l’équilibre entre, d’une part, un cadre juridique efficace et compétitif pour les acteurs économiques français et, d’autre part, la garantie des pouvoirs, notamment d’enquête, des autorités de contrôle.
Le groupe Les Indépendants soutiendra évidemment cette proposition de loi ; nous souhaitons que les parlementaires de toutes travées s’y associent ! (MM. Louis Vogel et François Patriat applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Louis Vogel applaudit également.)
M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme vous le savez, en tant que président de la délégation sénatoriale aux entreprises, mon réflexe – mon devoir – est de m’interroger sur ce qui handicape les entreprises françaises, qui évoluent dans un environnement très concurrentiel, et, le cas échéant, de proposer – et de soutenir – des solutions pour remédier à ces difficultés.
L’absence de confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise fait précisément partie de ces faiblesses qu’il nous est possible de corriger.
Cette carence, qui défavorise les entreprises françaises, notamment par comparaison avec leurs voisines européennes, est dénoncée depuis longtemps.
Plusieurs rapports parlementaires ont souligné la menace que représente l’abus de lois et mesures à portée extraterritoriale, en particulier aux États-Unis.
Il est frappant de constater que, sur vingt-six condamnations prononcées en dix ans en application de la loi fédérale américaine anticorruption, vingt et une visent des entreprises non américaines, dont cinq françaises. Il est difficile de ne pas y voir l’utilisation du droit comme une arme dans une guerre commerciale dont il devient urgent de protéger nos entreprises !
Cette protection doit passer par l’insaisissabilité et l’inopposabilité des documents concernés dans le cadre de procédures administratives ou de litiges civils ou commerciaux.
L’adoption de la présente proposition de loi permettrait également de renforcer l’attractivité de la France pour les entreprises qui seraient tentées de délocaliser, à tout le moins, leur direction juridique. Une telle menace n’est pas à prendre à la légère !
Nous sommes régulièrement alertés par des entreprises qui ont dû se résoudre à délocaliser des services ou des unités de production, que ce soit en raison d’obstacles administratifs ubuesques ou à cause de la pénurie de foncier à vocation économique. Il est temps de mettre fin à ce désavantage compétitif juridique.
En outre, je le rappelle, les normes applicables aux entreprises se sont multipliées ces dernières années. Comme je l’indique dans mon rapport d’information sur la sobriété normative, en vingt ans, le code de l’environnement a crû de 653 %, le code de commerce de 364 % et le code de la consommation de 311 %. La mise en œuvre de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), relative au reporting extrafinancier, va encore compliquer la tâche des entreprises et par conséquent accroître le rôle central du juriste d’entreprise.
Dans pareil contexte de complexité normative, la mission du juriste d’entreprise doit être protégée par le privilège de confidentialité ! Telle est précisément l’ambition de notre collègue Louis Vogel, que je soutiens sans réserve.
Le cadre proposé par la rapporteure Dominique Vérien, dont je salue le travail, est équilibré, pertinent, et répond à l’attente des entreprises françaises.
Je rappelle enfin que cette mesure ne concernera pas seulement les grands groupes. Dans nos territoires, nous rencontrons régulièrement les dirigeants de pépites qui seront les leaders internationaux de demain, à condition bien sûr que nous leur offrions un cadre juridique au moins aussi protecteur que celui de nos voisins européens ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise
Article 1er
La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est ainsi modifiée :
1° Après l’article 58, il est inséré un article 58-1 ainsi rédigé :
« Art. 58-1. – I. – Sont confidentielles les consultations juridiques rédigées au profit de son employeur par un juriste d’entreprise ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, satisfaisant aux conditions suivantes :
« 1° Le juriste d’entreprise ou le membre de son équipe placé sous son autorité est titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger ;
« 2° Le juriste d’entreprise justifie du suivi de formations initiale et continue relatives aux obligations attachées à la rédaction de consultations juridiques.
« Ces formations sont conformes à un référentiel défini par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de l’économie ;
« 3° Ces consultations sont destinées exclusivement au représentant légal, à son délégataire, à tout autre organe de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui l’emploie, à toute entité ayant à émettre des avis auxdits organes, aux organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui, le cas échéant, contrôle au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ainsi qu’aux organes de direction, d’administration ou de surveillance des filiales contrôlées, au sens du même article L. 233-3, par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ;
« 4° Ces consultations portent la mention “confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise” et font l’objet, à ce titre, d’une identification et d’une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise et, le cas échéant, dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe qui est destinataire desdites consultations.
« Sont couvertes par la même confidentialité les versions successives d’une consultation juridique rédigées dans les conditions prévues au présent I.
« II. – Sous réserve des dispositions prévues au III du présent article, les documents couverts par la confidentialité en application du présent article ne peuvent, dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative, faire l’objet d’une saisie ou d’une obligation de remise à un tiers, y compris à une autorité administrative, française ou étrangère. Dans ce même cadre, ils ne peuvent davantage être opposés à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient.
« La confidentialité n’est pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale.
« La confidentialité peut à tout moment être levée par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise.
« III. – Lorsque la confidentialité d’un document est alléguée au cours de l’exécution d’une mesure d’instruction dans le cadre d’un litige civil ou commercial ou dans le cadre d’une procédure administrative, elle peut être contestée ou levée selon les modalités prévues au présent III.
« A. – Un représentant de l’entreprise peut s’opposer à la saisie du document s’il estime cette saisie incompatible avec le respect de la confidentialité qui lui est attachée. Le document ne peut alors être appréhendé que par un commissaire de justice, désigné à cette fin par le juge ayant ordonné la mesure d’instruction ou l’autorité administrative ayant engagé la procédure, aux frais de l’entreprise, en présence de représentants de l’entreprise et de la partie demanderesse au litige ou de l’autorité administrative, qui le place sous scellé fermé. Le commissaire de justice dresse procès-verbal de ces opérations. Le document et le procès-verbal sont placés sans délai en l’étude du commissaire de justice pendant une durée qui ne peut excéder un mois.
« Lorsque la saisie mentionnée au premier alinéa du présent A a été réalisée au cours de l’exécution d’une mesure d’instruction dans le cadre d’un litige civil ou commercial, le président de la juridiction qui a ordonné celle-ci peut être saisi en référé par voie d’assignation, dans un délai de quinze jours à compter de la mise en œuvre de ladite mesure, aux fins de contestation de la confidentialité alléguée de certains documents.
« Lorsque la saisie mentionnée au même premier alinéa a été réalisée dans le cadre d’une procédure administrative, le juge des libertés et de la détention peut être saisi par requête motivée de l’autorité administrative ayant conduit cette opération, dans un délai de quinze jours à compter de celle-ci, aux fins de voir :
« 1° Contester la confidentialité alléguée de certains documents ;
« 2° Ordonner la levée de la confidentialité de certains documents, dans la seule hypothèse où ces documents auraient eu pour finalité d’inciter à ou de faciliter la commission des manquements aux règles applicables qui peuvent faire l’objet d’une sanction au titre de la procédure administrative concernée.
« Sur notification par le juge saisi de l’assignation ou de la requête, le commissaire de justice transmet sans délai au greffe l’ensemble des documents placés sous scellés fermés demandés ainsi qu’une copie du procès-verbal dressé à l’occasion de leur saisie.
« Dans les quinze jours de la réception de ces pièces, le juge statue sur la contestation et, le cas échéant, sur la demande de levée de la confidentialité.
« À cette fin, il entend la partie demanderesse ou l’autorité administrative et un représentant de l’entreprise. Il ouvre le scellé en présence de ces personnes.
« Le juge peut adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection de la confidentialité.
« S’il est fait droit aux demandes, les documents sont produits à la procédure en cours dans les conditions qui lui sont applicables. À défaut, ils sont restitués sans délai à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise.
« Lorsqu’à l’échéance du délai de quinze jours mentionné aux deuxième et troisième alinéas du présent A, le document placé sous scellé fermé n’a pas fait l’objet d’une contestation ou d’une demande de levée de sa confidentialité, l’entreprise peut solliciter auprès du commissaire de justice sa restitution. Lorsqu’à l’échéance du délai d’un mois mentionné au premier alinéa du présent A, l’entreprise n’a pas sollicité la restitution du document placé sous scellé fermé, le commissaire de justice procède à sa destruction. Le commissaire de justice dresse procès-verbal de ces opérations.
« B. – Un représentant de l’entreprise peut s’opposer à la communication du document ou de sa copie demandée dans le cadre d’une procédure administrative. Cette opposition est formulée par écrit et par tout moyen de nature à conférer date certaine, auprès de l’autorité administrative ayant engagé la procédure.
« Dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette opposition, l’autorité administrative ayant engagé la procédure peut saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de voir contester ou ordonner la levée de la confidentialité du document concerné, dans les conditions prévues aux 1° et 2° du A du présent III. Elle informe l’entreprise de cette saisine sans délai, par écrit et par tout moyen de nature à conférer date certaine. À réception de cette notification, l’entreprise communique sans délai au juge saisi le document concerné ou sa copie.
« Dans les quinze jours suivant sa saisine, le juge statue sur la contestation et, le cas échéant, sur la demande de levée de la confidentialité. À cette fin, il entend l’autorité administrative et un représentant de l’entreprise.
« Le juge peut adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection de la confidentialité.
« S’il est fait droit aux demandes, le document concerné est produit à la procédure en cours dans les conditions qui lui sont applicables.
« IV. – (Supprimé)
« V. – L’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique est tenue d’être assistée ou représentée par un avocat dans les procédures mentionnées au III.
« VI. – L’ordonnance du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué. L’appel peut être formé par l’autorité administrative, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique.
« Le premier président de la cour d’appel ou son délégué statue dans un délai qui ne peut être supérieur à trois mois.
« VII. – (Supprimé)
« VIII. – Les modalités d’application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles l’entreprise assure l’intégrité des documents jusqu’à la décision de l’autorité judiciaire, sont fixées par décret en Conseil d’État. » ;
2° (nouveau) L’article 66-2 est ainsi modifié :
a) Le mot : « ou » est remplacé par le signe : « , » ;
b) Sont ajoutés les mots : « , ou apposé sur tout document la mention “confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise” ».