Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué, auquel je souhaite la bienvenue dans cet hémicycle.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de pouvoir monter à cette tribune pour débattre avec vous d’un sujet aussi éminent que celui abordé dans la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, déposée par Mme la sénatrice Hélène Conway-Mouret.
La question des dysménorrhées, véritable sujet de société, qui est restée longtemps invisible et banalisée – il faut bien le dire –, nous concerne tous.
Les initiatives sur le sujet se multiplient dans les deux chambres, preuve s’il en fallait que les choses évoluent, et c’est tant mieux. En parler, en débattre au Parlement, c’est continuer de briser les tabous et avancer. Pour cela, je vous remercie, madame la sénatrice.
Les dysménorrhées sont les douleurs importantes qui surviennent pendant les menstruations. Elles touchent des millions de nos concitoyennes. On estime ainsi qu’une femme sur dix en France souffre d’endométriose, qui en constitue l’une des formes les plus répandues.
Longtemps méconnues, encore mal diagnostiquées et prises en charge, ces affections constituent un sujet particulièrement sensible, car elles touchent à l’intime ; elles peuvent se révéler extrêmement douloureuses, voire, dans certaines pathologies, invalidantes et être une cause d’infertilité.
Je pense notamment à l’endométriose, dont certaines formes peuvent être caractérisées comme des affections de longue durée ; certaines femmes peuvent même être reconnues comme travailleuses handicapées. À ce titre, elles bénéficient de droits, notamment pour les arrêts maladie.
Cette reconnaissance se développe : le nombre de femmes dont l’endométriose a été caractérisée comme ALD 31 a progressé de 43 % entre 2021 et 2022.
Au-delà de la dimension pathologique, nous abordons aujourd’hui la question de la réalité au quotidien des femmes concernées, celle qui consiste à aller travailler et à vivre quand on souffre.
Nous devons mieux les accompagner dans la prise en charge de la douleur, le plus tôt possible, pour leur permettre de ne pas être empêchées dans leur vie quotidienne. C’est là l’enjeu.
Les auteurs de cette proposition de loi souhaitent la création d’un nouvel arrêt maladie, sans jour de carence, qui autoriserait une absence de deux jours par mois…
Mme Hélène Conway-Mouret. Au maximum !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. … sur prescription médicale et pendant un an, lorsque la femme est en incapacité physique de travailler.
La question est complexe et aucune solution simple et unique ne peut être apportée, car il existe des formes multiples de dysménorrhées.
L’accompagnement médical est la priorité ; l’arrêt médical est le dernier recours et il n’est pas la solution pour toutes.
Car oui, il faut le rappeler, des solutions existent déjà. Je veux d’abord citer celles qui passent par le dialogue social au sein des entreprises. Des congés, négociés conventionnellement avec les partenaires sociaux, pour les salariées atteintes d’endométriose, ont été mis en place dans des entreprises comme Carrefour ou L’Oréal. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Généraliser ces mesures, tel que cela est proposé, tournerait le dos à la confiance dans le dialogue social et aboutirait à complexifier ce qui peut exister sur le terrain. (Mêmes mouvements.)
Ensuite, il est possible de recourir à l’adaptation et à l’aménagement du poste de travail, et notamment au télétravail, en lien avec la médecine du travail, ce qui garantit la préservation du secret médical – ce n’est pas un aspect à négliger.
La création d’un congé spécifique pose de réels sujets en termes de confidentialité, principe auquel je suis très attaché. La salariée pourrait, au choix, télétravailler ou recourir à un arrêt de travail ; en tout cas, elle ferait ainsi état de son affection dans l’entreprise. Je ne pense pas que toutes les femmes souhaiteraient faire connaître à leur employeur la raison de leur absence.
J’ajoute que les associations de patientes sont aussi réservées sur cette possibilité, y voyant notamment la création d’un potentiel risque de discrimination à l’embauche. Il faut l’entendre. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Colombe Brossel le démentent.)
M. Hervé Gillé. Il faut serrer les dents !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il faut néanmoins accompagner ces femmes pour leur faire connaître leurs droits dans l’entreprise et encourager les employeurs à créer le dialogue avec leurs employées.
Nous avons conscience que beaucoup reste à faire pour changer les mentalités, tant dans le monde du travail que chez les professionnels de santé, mais ce n’est pas par cette proposition de loi que nous atteindrons cet objectif.
Pour ces raisons, le Gouvernement sera défavorable à ce texte.
Le travail à mener est plus complexe et plus global. C’est avant tout un enjeu de santé publique et d’accès aux soins.
À titre d’exemple, pour une femme atteinte d’endométriose – cas le plus représentatif –, l’errance diagnostique, c’est-à-dire la période entre le moment où elle commence à avoir des symptômes et le moment où le diagnostic est posé, est de sept ans : c’est sur ce point que nous devons agir. Il est insupportable d’imaginer qu’une femme reste sept ans à souffrir sans prise en charge, sept ans sans qu’un nom soit posé sur son mal. (Mme Corinne Féret s’exclame.)
Il faut agir sur tous les leviers. Tel est l’objectif notamment de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, présentée en février 2022 par le Président de la République. Je pense ainsi à la formation des professionnels, qui doit permettre de diffuser les bonnes pratiques dans la communauté de soignants, pour que le diagnostic soit plus rapide ; à l’amélioration de l’accès aux soins, en développant des filières de prise en charge dans toutes les régions ; à l’accélération de la recherche – nous consacrons 30 millions d’euros à la recherche sur ce sujet par le biais du programme Santé des femmes, santé des couples. Voilà autant d’axes de travail qui nous animent.
La mise en œuvre de cette stratégie a permis d’aboutir à de premières avancées concrètes – je tiens à en citer quelques-unes.
L’endométriose est, par exemple, inscrite aujourd’hui dans les plaquettes de formation initiale du deuxième cycle des études de médecine et un module de formation continue est également en cours d’établissement. (Mme Émilienne Poumirol ironise.)
Par ailleurs, la Haute Autorité de santé (HAS) a été saisie afin qu’elle actualise, cette année, ses recommandations et ses bonnes pratiques de prise en charge, qui datent de 2018.
L’assurance maladie a également, à la suite d’une instruction de septembre 2023, actualisé, précisé et harmonisé les principes d’évaluation des dossiers des patientes dans les demandes de reconnaissance d’ALD 31.
Mme Émilienne Poumirol. Hors sujet ! Il ne s’agit pas du diagnostic de l’endométriose ! (On renchérit sur les travées du groupe SER.)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Enfin, la structuration des filières régionales pour la prise en charge de l’endométriose a progressé : on dénombre, en janvier 2024, cinq régions en stade avancé et dix régions en stade intermédiaire de développement.
Le Gouvernement continue et continuera de s’engager auprès des patientes. J’y veillerai notamment en poursuivant les travaux du comité de pilotage de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose.
Croyez en ma volonté pour avancer sur ce dossier. (Marques de désapprobation sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Patrick Kanner. Ce n’est pas très progressiste !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Alain Marc.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen de la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la discussion de ce texte, qui s’inscrit dans le cadre d’un ordre du jour réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, prendra fin à seize heures dix.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Saïd Omar Oili.
M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, il n’est pas de sujet plus prégnant dans le débat public que celui de la place des femmes dans notre société.
Un grand mouvement de fond, dans toutes les sphères de la vie sociale, a permis une libération de la parole sur un grand nombre de sujets, dont certains pouvaient être tabous, comme celui de la menstruation et, plus particulièrement, des dysménorrhées, ou règles douloureuses. Ces questionnements contemporains peuvent conduire à s’interroger sur la manière d’accompagner au mieux les femmes qui subissent de telles situations.
La présente proposition de loi crée ainsi un arrêt de travail, valable pour une durée d’un an, en cas de dysménorrhée constatée par un avis médical. Cette disposition permettrait ainsi une absence d’une durée de deux jours par mois lorsque la femme est en incapacité physique de travailler, absence qui serait indemnisée sans jour de carence.
Avant de revenir sur le fond des mesures proposées, laissez-moi vous remercier, mes chers collègues, de mettre en lumière un sujet de société trop souvent invisibilisé, à la fois par les femmes, qui ont eu tendance à taire ces douleurs, et par la société, qui pendant longtemps ne leur a pas laissé l’espace nécessaire à la libération de cette parole.
C’est dans ce même esprit de construction d’une meilleure visibilité des problématiques des femmes que l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne avait souhaité, en avril dernier, encourager les employeurs à s’engager pour une meilleure prise en charge de ce temps pour les femmes souffrant de dysménorrhées et, notamment, d’endométriose.
Cette déclaration venait à la suite de la décision de plusieurs employeurs d’instaurer une prise en charge spécifique et flexible de leurs salariées ; ce fut le cas du groupe Carrefour, ou encore de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine.
Dans l’ensemble des cas où ce dispositif a été mis en place, cela s’est fait par le dialogue social et par l’adaptation des mesures à la réalité de chacune ; c’est ainsi que les mesures prises ont pu être les plus efficaces.
C’est pourquoi il nous semble indispensable de laisser cette méthode en place. Plutôt que de contraindre, il nous faut inciter : inciter les employeurs et les responsables du personnel à trouver des solutions adaptées à leur échelle ; les inciter aussi à une flexibilité accrue dans l’adaptation du temps de travail. En cela, le Gouvernement a un rôle moteur à jouer ; nul doute qu’il saura répondre à ces attentes.
Il nous faut en permanence prendre garde à ne pas aboutir, en voulant être mieux-disants, à être « moins-faisants ». En effet, la mise en place d’un arrêt de travail pour une pathologie spécifique soulève plusieurs questionnements, qui ne trouvent pas de réponses dans ce texte.
Nous voulons bien évidemment que de tels dispositifs puissent trouver des concrétisations partout où c’est possible. Mais les généraliser présente un risque, souligné par certaines associations féministes, ainsi que par des syndicats : ainsi de la CGT, par le biais de sa secrétaire générale, Sophie Binet. Ces acteurs craignent un effet pervers de ces mesures pour l’employabilité des femmes. Là où la démarche est coconstruite avec les employeurs, elle devient au contraire pour eux un argument d’attractivité.
De plus, nous émettons certaines réserves quant au risque que soulèverait l’instauration d’un tel arrêt, reconductible pour un an, pour le secret médical. En effet, il obligerait indirectement la personne employée à donner la raison de ses absences, au vu de leur périodicité.
Enfin, l’arrêt médical est une solution de dernier recours pour de nombreuses femmes. L’enjeu principal est de travailler en amont et de permettre à chacune d’être prise en charge médicalement quand c’est possible ; il faut pousser les femmes à consulter, en continuant ce mouvement de libération de la parole.
À l’aune de cet exposé, contraint dans le temps, vous comprendrez, madame la rapporteure, que trop de questions restent en suspens pour nous convaincre que la solution que vous proposez, aussi simple soit-elle dans son exposé, est efficiente et réalisable.
Nous entendons le message politique que vous portez, et nous le comprenons. Mais les réponses apportées ne nous semblent ni concertées ni facilement réalisables sur le terrain, au vu de la multitude des situations et des pathologies.
Dès lors, faute de pouvoir vous soutenir dans votre entreprise, madame la rapporteure, j’appelle le Gouvernement, par votre intermédiaire, monsieur le ministre, à continuer d’avancer sur ce sujet. Il faut inciter les entreprises, petites et grandes, à mieux prendre en compte la réalité vécue par les femmes dans l’organisation de leur temps de travail.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Saïd Omar Oili. Il faut aussi continuer à pousser ces mêmes femmes à se faire suivre médicalement, pour que chacune puisse trouver des solutions à ses problématiques.
Les membres de notre groupe voteront donc, bien sûr, contre cette proposition de loi.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Pourquoi « bien sûr » ?
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marion Canalès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, j’ai mes règles. Mais j’ai la chance de ne pas faire partie des 16 % de femmes qui sont alors dans l’incapacité de travailler, ce qui m’aurait empêché de me présenter devant vous pour exposer la position du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur cette proposition de loi. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
Ce n’est absolument pas une provocation de ma part que de dire cela. Je ne fais que rappeler un état de fait, qui donne lieu à cette proposition de loi : il faut déterminer comment on accompagne les femmes qui en souffrent chaque mois, comment on traite ce sujet de société, car c’en est bien un – je remercie d’ailleurs notre collègue Saïd Omar Oili, seul homme intervenant dans cette discussion générale, d’avoir souligné ce point.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le marché du travail s’est fortement féminisé. La loi Roudy, adoptée il y a quarante ans, a ouvert la possibilité de prendre des mesures au seul bénéfice des femmes, afin d’établir – je dirais même de rétablir – l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, tout particulièrement en remédiant aux inégalités qui, de fait, les affectent.
Nous entendons, par la présente proposition de loi, participer à ce progrès en prenant en compte une spécificité de la condition féminine qui, si elle n’a pas été reconnue jusqu’à présent, crée une véritable iniquité.
À l’image de la création récente d’un arrêt de travail sans délai de carence en cas de fausse couche, on ne doit pas laisser au dialogue social la responsabilité de répondre au problème des menstruations incapacitantes.
Il n’est pas question de simples règles douloureuses, mais bien de douleurs menstruelles incapacitantes, dont nous ne souffrons pas toutes : ce sont, je le redis, 16 % des femmes qui sont concernées. On ne peut, on ne doit plus feindre d’ignorer les conséquences de ces douleurs sur les femmes et leurs conditions de travail !
C’est bien ce qui justifie d’établir un cadre légal, plutôt que de renvoyer le problème à la responsabilité des employeurs et, en particulier, des collectivités.
Certaines d’entre elles s’en sont certes saisies, parfois par des délibérations votées à l’unanimité, mais le préfet leur a interdit de mettre en œuvre les mesures adoptées faute de cadre légal. On ne peut donc renvoyer le sujet aux négociations sociales : il faut prendre le problème à bras-le-corps ! La généralisation de ce droit est l’assurance de ne pas créer de nouvelles inégalités en fonction des employeurs.
Notre proposition de loi, dans l’esprit de son auteure, Mme Conway-Mouret, et de sa rapporteure, Mme Rossignol, ne vise nullement à donner des leçons de morale à nos collègues.
Ce n’est pas une proposition de loi moralisatrice ; c’est une proposition de loi d’ouverture. Et je suis particulièrement heureuse que nous ayons pu discuter avec une partie de nos collègues pour l’améliorer, car elle n’est pas parfaite, comme nous aurons l’occasion de le voir lors de l’examen des amendements.
Je veux rassurer ceux de nos collègues que rendraient un peu fébriles certaines inquiétudes, notamment quant à l’appel d’air que la mesure pourrait susciter et à son coût.
Tout d’abord, on sait qu’en matière de politique sociale la tendance est plutôt au non-recours qu’à l’abus et à la fraude.
Ensuite, de toute façon, c’est un état de fait : les femmes qui souffrent de menstruations incapacitantes ne peuvent pas venir travailler ; elles sont déjà absentes et subissent de ce fait une double peine, par la perte de salaire qu’entraîne leur absence.
En créant un cadre légal en la matière et en supprimant le délai de carence, cette proposition de loi permet également de réduire le recours à des rendez-vous médicaux réguliers, et ce dans un contexte – ce n’est pas à vous, monsieur le ministre, que je vais l’apprendre – de tension dans des zones sous-dotées en personnel médical.
Ce texte permet aussi de réduire la durée des arrêts maladie, puisque la perte de revenus liée au jour de carence encourage les salariées à prolonger leur absence, ce qui rend la gestion des ressources humaines plus compliquée dans les entreprises. Certaines collectivités, comme la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, commencent à cet égard à démontrer l’effet positif de la mesure proposée.
Enfin, notre proposition permet de ne pas faire subir aux femmes les pertes de revenus dues à l’accumulation des jours de carence.
Devons-nous une nouvelle fois rappeler que les femmes du secteur privé gagnent déjà en moyenne 16 % de moins que les hommes, à temps plein ? Oui, je pense que ce rappel est nécessaire ! L’an dernier, les femmes ont travaillé gratuitement à partir du 6 novembre 2023.
Devons-nous rappeler qu’il apparaît souvent que, quand un métier se féminise, il se précarise ? Oui !
Devons-nous enfin rappeler que, dans nos collectivités, dont nous sommes les porte-parole, les femmes représentent près de 98 % des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), 80 % des agents de restauration, ou encore 93 % des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ? Encore une fois, oui !
Nos collectivités font face à des problématiques structurelles d’absentéisme, à laquelle cette proposition de loi pourra en partie répondre – je dis bien « en partie », tant le défi est majeur.
Enfin, notre proposition de loi s’inscrit dans le cadre de politiques de prévention, dont l’importance est sans cesse rappelée, au sein même de notre commission des affaires sociales. En effet, nous encourageons ainsi les femmes à être accompagnées.
On rappelle sans relâche que la prévention est souvent le parent pauvre de nos politiques en matière de santé publique, alors qu’elle devrait être à la base de tout – mieux vaut prévenir que guérir – et surtout qu’elle permet à l’assurance maladie de moins dépenser à terme.
Permettre aux femmes qui souffrent de menstruations incapacitantes – ce n’est pas, je le redis, le cas de toutes les femmes, tout le monde ne se ruera donc pas sur cet arrêt menstruel – de bénéficier d’un arrêt sur avis médical, c’est encourager ces femmes à rencontrer des professionnels de santé, pour que leurs symptômes soient pris en compte et leur maladie éventuellement identifiée.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué le diagnostic de l’endométriose ; ce n’est pas le sujet central de cette proposition de loi, mais cela peut faire partie de cet accompagnement. On ne peut pas pour autant répondre qu’on va avancer sur l’endométriose : le problème est plus large.
À nous de nous assurer qu’un fait propre aux femmes n’emporte pas une inégalité dans le travail, mais qu’il est au contraire reconnu, pris en charge et encadré.
Voter cette proposition de loi, c’est choisir l’équité, mais c’est également, alors que nous approchons de la journée mondiale de la justice sociale, faire un acte de justice sociale. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cette après-midi vise à mettre en place les conditions d’une meilleure prise en considération de la santé des femmes au travail, un objectif auquel nous ne pouvons que souscrire, car l’amélioration de la prise en charge thérapeutique des femmes souffrant de dysménorrhées doit être une priorité.
Nous le savons tous, l’endométriose est aujourd’hui une pathologie bien trop peu connue de nos concitoyens. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette maladie touche près de 10 % des femmes et des filles en âge de procréer, soit 190 millions de personnes à l’échelle mondiale.
Cette maladie chronique est associée à des douleurs aiguës et perturbantes. Or il n’existe pas de réel remède contre l’endométriose. Les traitements actuels visent seulement, en général, à en soulager les symptômes.
Aujourd’hui, le manque de prévention dès le plus jeune âge rend complexe le diagnostic de la pathologie. Il serait pourtant primordial, pour les personnes souffrant de cette maladie, de bénéficier d’un diagnostic précoce et d’un traitement efficace. Il reste donc de véritables défis à relever et des priorités à définir.
Aujourd’hui, parce que le diagnostic est difficile à établir, mais aussi par manque de soins et de moyens, les symptômes sont assez tardivement pris en considération et les femmes luttent difficilement contre cette maladie.
Les diagnostics tardifs font que les malades bénéficient rarement d’un accès rapide aux traitements existants que sont certains analgésiques non stéroïdiens, des contraceptifs oraux et des contraceptifs progestatifs.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé le 11 janvier 2022 le lancement d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose ; il en a fait une cause nationale et un enjeu de santé publique. La France entreprend, enfin, de faire de l’endométriose un véritable sujet. Nous attendons donc que soient prises les mesures nécessaires pour prévenir au plus tôt les symptômes et trouver le diagnostic adéquat.
Néanmoins, il me semble qu’il conviendrait de nous nous interroger sur l’approche la plus efficace pour traiter ce sujet important : est-il question d’une prise en charge médicale ou de l’affirmation d’un droit social ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Les deux !
Mme Béatrice Gosselin. Pour ma part, je pense que l’institutionnalisation d’un congé menstruel ou d’un arrêt maladie spécifique pourrait induire un effet secondaire non désiré : exposer durablement les jeunes femmes à des difficultés dans leur intégration professionnelle.
Les discriminations à l’embauche existent dans les faits : les jeunes femmes dont l’état physique est perturbé par cette maladie peinent à se maintenir dans leur activité professionnelle, la charge mentale liée à leur activité professionnelle s’ajoutant à celle qui découle des problèmes domestiques et familiaux.
La discrimination risquerait donc d’être renforcée : à compétences égales, certains employeurs pourraient être tentés de privilégier les candidatures masculines, afin d’éviter la gestion de ces difficultés récurrentes.
Mme Émilienne Poumirol. C’est déjà le cas !
Mme Béatrice Gosselin. De plus, on porterait atteinte à l’intimité de la personne, qui doit toujours être préservée. En effet, par la prescription d’un arrêt reconductible pendant un an, l’intimité de la patiente se trouverait dévoilée ; je pense que ce n’est pas une bonne chose.
Ces problématiques relèvent davantage, à mon sens, d’une prise en charge médicale.
Toutefois, si l’on intégrait cette pathologie parmi les affections de longue durée, ce qui limiterait l’effet du jour de carence pour la malade, le coût de cette mesure pour la sécurité sociale avoisinerait les 100 millions d’euros par an, une somme qui, au regard de l’état actuel des finances publiques, est loin d’être négligeable. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Ce n’est pas un argument !
Mme Béatrice Gosselin. Enfin, même si offrir aux personnes atteintes par cette pathologie la possibilité de télétravailler pouvait constituer un aménagement de poste adéquat, cela entraînerait toutefois une rupture d’égalité entre les professions.
Autant l’on peut concevoir des journées de télétravail dans certains métiers du secteur tertiaire, autant c’est un aménagement impossible pour d’autres catégories professionnelles.
Un diagnostic précoce, oui, évidemment, il faut y arriver ! Une amélioration des traitements, oui encore ! En revanche, une discrimination possible à l’embauche, une atteinte à l’intimité et une rupture d’égalité entre les professions, non !
Les membres du groupe Les Républicains voteront donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue la décision d’aborder ce sujet dans la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, qui met en exergue un important problème rencontré par la femme dans le monde professionnel.
Ce texte témoigne aussi de l’évolution des mentalités sur des sujets restés très longtemps tabous, parmi lesquels on compte les menstruations ; quelque 15,5 millions de femmes dans notre pays sont pourtant concernées.
La création d’un arrêt de travail pouvant être prescrit aux femmes qui souffrent de douleurs menstruelles handicapantes, indues notamment par l’endométriose, et qui se trouvent dans l’incapacité physique de continuer le travail constitue le cœur de ce texte.
Cet arrêt, valable un an et renouvelable, permettrait à la femme qui en bénéficie de s’absenter un ou deux jours par mois et d’être indemnisée sans délai de carence, contrairement au droit en vigueur. Ces deux jours correspondent, dans la majorité des situations, au temps nécessaire pour ces femmes au besoin si particulier.
Le motif est donc louable : prendre en considération la spécificité de certaines femmes subissant une double peine : elles ressentent des douleurs menstruelles et en sont pénalisées dans leur travail ou dans leur rémunération.
Tout comme la grossesse est prise en compte dans le cadre du travail, il est légitime de s’interroger sur cette autre particularité. Néanmoins, le groupe Les Indépendants n’est pas convaincu que la voie proposée dans ce texte soit la bonne.
Viser les dysménorrhées en général nous semble beaucoup trop large. En effet, celles-ci ne découlent pas toutes d’une pathologie, même si elles peuvent y être associées.
Dès lors, il ne nous semble pas raisonnable qu’un arrêt maladie, valable deux jours par mois, tous les mois, puisse être accordé sans qu’il repose sur le diagnostic d’une pathologie. Notre collègue Daniel Chasseing a donc déposé un amendement visant à restreindre le périmètre d’application de l’arrêt de travail proposé.
Le coût annoncé du dispositif proposé est de l’ordre de 100 millions d’euros, mais ce chiffrage ne vaut que si le dispositif est appliqué à la seule endométriose. Or le texte, dans sa rédaction actuelle, vise toutes les douleurs menstruelles.
Par ailleurs, ce sujet mérite une approche globale : il faudrait certainement un projet de loi pour mesurer les conséquences d’un tel dispositif. Nous ne savons pas combien de femmes seraient concernées par cet arrêt de travail, ni l’impact qu’il aurait sur les différentes catégories professionnelles, ni a fortiori les bouleversements que ce dispositif entraînerait dans l’organisation du travail, dans le privé comme dans le public.
Enfin, il faut rappeler que l’intégration de l’endométriose parmi les affections de longue durée hors liste, ou ALD 31, est loin d’être satisfaisante. Entre les difficultés de procédure et d’obtention du statut, la prise en compte de certaines formes seulement et les délais administratifs, seulement 0,5 % des femmes atteintes de cette pathologie sont aujourd’hui reconnues comme souffrant d’une ALD.
Il nous semble primordial d’améliorer l’accès de toutes les femmes qui souffrent à ce dispositif. Il faut améliorer le diagnostic de l’endométriose, mais aussi celui d’autres pathologies dont on entend moins parler, comme les fibromes ou le syndrome des ovaires polykystiques.
Je souhaite y insister, ces pathologies ne se caractérisent pas toujours par des douleurs, et un suivi gynécologique régulier reste le meilleur moyen de les diagnostiquer et de diminuer ainsi le risque d’apparition de problèmes plus graves, comme un cancer ou l’infertilité. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Le groupe Les Indépendants ne soutiendra pas ce texte, mais il reste sensible à l’importance de ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)