M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, il est minuit à Nouméa et, à 17 000 kilomètres de Paris, la République vacille.
La Nouvelle-Calédonie s’embrase et renoue avec une histoire douloureuse de tensions et de violences, que je condamne. Trois personnes ont été tuées lors de la dernière nuit d’affrontements. C’est dramatique. Mes pensées vont aux familles endeuillées. Je veux aussi apporter tout mon soutien aux sapeurs-pompiers et aux membres des forces de l’ordre déployés sur le terrain, qui ont à déplorer plus d’une centaine de blessés, parmi lesquels un gendarme se trouve entre la vie et la mort.
L’ordre républicain doit être rétabli en Nouvelle-Calédonie, dans les rues autant que dans les esprits.
Pour cela, il faut naturellement une réponse sécuritaire, mais il faut aussi construire de justes équilibres pour parvenir à une désescalade de la crise. Le temps long est la condition d’un débat serein, sur l’archipel plus que nulle part ailleurs. Nous vous avons alerté en vain à maintes reprises. Le 7 mai encore, mon collègue député Boris Vallaud et moi-même avons soumis nos propositions au Président de la République.
Pour sortir de cette crise, il faut renouer avec la lucidité, l’humilité et l’impartialité qui prévalaient depuis 1988. Il faut créer immédiatement une mission de dialogue entre tous les partenaires calédoniens et l’État. Il faut annoncer que le Congrès ne sera pas convoqué. Il faut aboutir, sans ultimatum dans le temps, à un accord global tripartite dont vous devez être le garant, monsieur le Premier ministre.
Vos appels au calme ont été totalement improductifs, car ce dossier ne devait pas quitter le bureau historique du Premier ministre.
En conséquence, allez-vous interrompre le processus constitutionnel ? Allez-vous enfin vous engager personnellement ? Allez-vous vous rendre en Nouvelle-Calédonie ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le sénateur Patrick Kanner, je salue la tonalité de votre question : il y a d’abord une volonté commune, celle du retour à l’ordre, au calme et à la sérénité. C’est la priorité absolue. Aucune violence n’est jamais justifiable ou tolérable, aucune violence n’est acceptable.
J’ai de nouveau une pensée pour les victimes des violences qui se sont produites ces dernières heures et renouvelle tout mon soutien à nos forces de sécurité. Nos forces de l’ordre seront renforcées dans les prochaines heures ; des renforts ont en effet été envoyés par le ministre de l’intérieur et des outre-mer afin de continuer à protéger les Calédoniens victimes de ces violences.
Pour le reste, monsieur le sénateur, je vous redirai ce que j’ai répondu à François Patriat : un processus démocratique a conduit les Calédoniens à se prononcer par trois fois (Murmures sur les travées du groupe GEST.) ; ensuite, un projet de loi constitutionnelle a été soumis démocratiquement au Parlement et adopté dans les mêmes termes par le Sénat et par l’Assemblée nationale.
M. Yannick Jadot. Et alors ?
M. Gabriel Attal, Premier ministre. L’aboutissement de cette procédure institutionnelle et démocratique, c’est la convocation du Parlement en Congrès. Si nous n’étions pas ouverts au dialogue, si nous ne recherchions pas un accord politique global, nous aurions annoncé la convocation du Parlement en Congrès immédiatement après l’adoption de ce texte dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est bien ce qui se passe !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Pourtant, le Président de la République a proposé que nous puissions nous mettre autour de la table avec l’ensemble des responsables calédoniens avant que le Parlement ne soit réuni en Congrès, précisément pour laisser du temps au dialogue et continuer à se parler.
M. Yannick Jadot. Donnez du temps !
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je proposerai dans les toutes prochaines heures une date aux forces politiques calédoniennes pour que nous puissions nous rencontrer et avancer ensemble, au service des Calédoniens, au service de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, nous le savons, cette crise se produit sur fond de crise économique, de crise sociale, de crise institutionnelle, d’influences étrangères.
Vous avez délibérément décidé de tourner le dos à une méthode éprouvée depuis 1988 par Michel Rocard, puis par Lionel Jospin. C’est la première fois depuis cette date qu’un gouvernement décide unilatéralement d’engager un processus constitutionnel avant d’avoir trouvé un accord à l’échelon local.
M. Rachid Temal. Oui !
M. Patrick Kanner. C’est la première fois !
Monsieur le Premier ministre, votre rôle, c’est de prévenir les crises, non d’éteindre les incendies. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
nouvelle-calédonie (iii)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, j’associe à cette question d’actualité notre collègue Robert Wienie Xowie, retenu en Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le Premier ministre, comment ne pas constater que votre jusqu’au-boutisme ainsi que celui du Président de la République ont plongé la Nouvelle-Calédonie dans une crise profonde, marquée par la violence ?
On dénombre déjà des centaines de blessés, notamment un gendarme, très grièvement blessé. Trois manifestants ont déjà été tués. C’est terrible ! Il faut que cela s’arrête. Au nom de mon groupe, je présente toutes mes condoléances aux familles concernées.
Cet acharnement a conduit à l’adoption à marche forcée du projet de loi constitutionnelle qui remet en cause le processus de décolonisation issu de l’accord de Nouméa en actant le dégel du corps électoral. En faisant cela, vous avez fait vaciller la paix civile.
Cessez donc vos éléments de langage ! Vous saviez qu’en poussant l’Assemblée nationale au vote du texte, véritable victoire à la Pyrrhus, vous fermiez la porte au dialogue.
Ce n’est pas un conseil de défense et de sécurité nationale qu’il faut, c’est le retrait du projet de loi, seul acte à même de permettre l’apaisement et la reprise du dialogue, comme le demande collectivement la quasi-totalité des groupes politiques au congrès de Nouvelle-Calédonie.
Il y a une heure, l’état d’urgence a été annoncé. Cette décision signe la faillite de votre politique. Je l’affirme solennellement : c’est une faute démocratique lourde d’avoir recours à l’état d’urgence pour imposer un projet de loi, de surcroît un projet de loi constitutionnelle.
Monsieur le Premier ministre, vous pouvez, vous devez stopper cet engrenage. Allez-vous retirer le projet de loi constitutionnelle ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Gabriel Attal, Premier ministre. Madame la sénatrice Cukierman, j’étais en accord avec le début de votre question, je suis fortement en désaccord avec sa fin. L’état d’urgence n’est pas instauré pour un projet de loi constitutionnelle, il l’est pour protéger les Calédoniens qui, depuis plusieurs jours, sont victimes de violences.
Le seul objectif des mesures que nous avons décidées en conseil de défense, notamment l’état d’urgence qui sera tout à l’heure soumis au conseil des ministres, c’est le retour à l’ordre. Pourquoi ? Parce que c’est un préalable à tout, parce que la violence ne peut jamais être justifiée ou acceptable.
Pour le reste, j’ai déjà répondu à deux reprises, à MM. François Patriat et Patrick Kanner. Je rappelle le processus qui a été conduit ces dernières années par le Gouvernement, par Sébastien Lecornu, quand il était ministre des outre-mer, par Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Il a permis l’organisation de ces référendums et l’élaboration du texte qui a été adopté largement par le Sénat comme par l’Assemblée nationale.
La tension est très forte. Je salue la responsabilité de l’ensemble des forces politiques calédoniennes, qui ont appelé au calme et à la fin des violences. Nous devons toutes et tous nous hisser à leur hauteur et faire preuve du même grand sens des responsabilités qu’elles aujourd’hui. C’est ce que je retiens de leurs différentes interventions.
Je le redis une nouvelle fois : notre main est toujours tendue, nous sommes toujours ouverts au dialogue. Je souhaite évidemment que la rencontre avec les forces politiques calédoniennes que nous avons proposée puisse avoir lieu très rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le Premier ministre, le dialogue ne se décrète pas, pas plus qu’il ne s’impose. Il se construit dans le respect des forces en présence.
Avec la méthode qui a été la vôtre, vous avez attisé le feu. Il est maintenant temps de l’éteindre et de reprendre sur de nouvelles bases la construction d’un avenir meilleur pour le peuple kanak comme pour la République française. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
situation en géorgie
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. François Bonneau. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
La République de Géorgie poursuivait résolument son chemin vers l’intégration européenne, confirmée par l’obtention du statut de candidat à l’Union européenne à la fin de 2023. Il s’agit là d’une avancée significative qui a renforcé les aspirations européennes de plus de 80 % de sa population.
Cette dynamique se trouve aujourd’hui menacée. Nous observons avec une profonde préoccupation que le parti au pouvoir, Rêve géorgien, dirigé par l’oligarque Bidzina Ivanichvili, adopte des lois qui tournent le dos aux valeurs et aux principes européens, malgré les avertissements répétés du Conseil de l’Europe et de la Commission de Venise. Plus particulièrement, le projet de loi sur la transparence de l’influence étrangère, évoquant étrangement la loi russe sur les agents étrangers, a suscité une vaste opposition au sein de la population et de très nombreuses manifestations à Tbilissi.
Dans un contexte déjà alourdi par les tensions régionales liées à la guerre en Ukraine et la présence militaire russe dans les pays du Caucase du Sud, la Géorgie risque de se retrouver isolée à un moment très critique de son histoire moderne.
La France a une relation historique avec la Géorgie, notamment marquée par l’accueil du gouvernement géorgien en exil de 1918 à 1921. Elle a joué un rôle clé dans la stabilisation post-guerre russo-géorgienne de 2008. Elle se doit aujourd’hui de prendre vigoureusement position.
Nos engagements concernant l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Géorgie sont clairs, tout comme est manifeste notre soutien aux valeurs de démocratie et de liberté. La présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, franco-géorgienne, incarne les liens entre nos deux pays et s’oppose avec beaucoup de courage aux caciques du parti en place.
Monsieur le ministre, compte tenu de ces éléments, comment la France prévoit-elle de défendre nos intérêts stratégiques communs et de soutenir les Géorgiens dans leur aspiration européenne, malgré l’adoption de la loi controversée, adoption par ailleurs applaudie par la Russie et la Biélorussie ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur François Bonneau, hier soir, comme depuis plusieurs semaines, le peuple géorgien s’est levé pour défendre la liberté et la démocratie, en bravant les violences et les milices, en brandissant le drapeau européen, en chantant l’Ode à la joie.
Vous avez raison, nous ne pouvons rester sourds au chant d’un peuple qui rêve de la démocratie telle que nous la connaissons et la vivons en Europe. À l’heure où l’Europe est tant décriée, dénigrée par les populistes et les nationalistes de tous bords, ce chant qui s’élève dans la nuit en Géorgie nous rappelle que l’Europe, c’est la liberté, que l’Europe, c’est la démocratie, que l’Europe, c’est l’espérance pour tant de peuples dans le monde.
Oui, je veux dire au peuple géorgien que la France l’entend, que l’Europe l’entend et qu’il est l’incarnation de la volonté des peuples à vivre libres. Je sais d’ailleurs, monsieur le sénateur, qu’avec le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin, et une délégation de sénateurs vous avez récemment relayé ce message en Géorgie.
Oui, la France déplore l’adoption de ce projet de loi, qui discrédite les ONG et les médias indépendants. La France condamne les violences contre les manifestations et appelle les autorités géorgiennes à faire respecter le droit de manifester pacifiquement et la liberté des médias.
Oui, la France se tient aux côtés de la Géorgie dans son chemin vers l’Union européenne, qui est le seul auquel son peuple aspire. Chacun le sait ici, rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
liberté de la presse, liberté d’expression et défense de l’audiovisuel public
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Ma question s’adressait à Mme la ministre de la culture.
Dimanche dernier, l’ensemble des organisations syndicales représentatives de Radio France appelaient à la grève, pour la liberté d’expression. Leur inquiétude est justifiée par une suite d’événements troublants, dans un contexte de montée de l’extrême droite, de politiques liberticides et de répression des manifestations, notamment étudiantes, au sein même de nos universités, dans notre pays et en Europe. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
D’abord, l’humoriste Guillaume Meurice est suspendu par la direction de Radio France pour des propos tenus à l’antenne. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) S’ils interrogent, ces propos n’ont pas fait l’objet d’une condamnation par la justice – au contraire, la plainte a été classée sans suite.
M. Roger Karoutchi. Pas pour les mêmes raisons !
Mme Anne Souyris. Ensuite, Mme Dati présente un projet de réforme de l’audiovisuel public, une sorte de « fusion-acquisition » des médias publics. Lundi dernier, madame la ministre, un député de votre majorité s’en inspirait et proposait de remplacer France 24 – elle rassemble 140 millions de téléspectateurs sur cinq continents et propose des programmes en quatre langues – par France Info, dont le service, certes, est de grande qualité, mais dont l’audience reste discrète.
« En même temps », les directions des médias publics proposent un virage éditorial et suppriment des programmes majeurs comme Vert de rage, Planète bleue, Le pourquoi du comment : économie et social et La Terre au carré, autant de programmes sur l’environnement qui n’ont probablement pas beaucoup d’intérêt pour certains…
Après tout, « qui aurait pu prédire la crise climatique ? » Je ne vous le demanderai pas ! (Sourires sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) Qui aurait pu prédire la crise démocratique et climatique ?
Madame la ministre, je vous rappelle que la démocratie est vivante quand elle est plurielle. Oui, les médias publics sont puissants quand ils sont libres de s’exprimer.
Madame la ministre, comment allez-vous garantir le pluralisme et la liberté d’expression des médias publics, donc la démocratie elle-même, avec cette réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.
Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice Souyris, je vous prie d’excuser la ministre de la culture qui ne peut pas être présente aujourd’hui.
Vous avez souligné l’importance de l’audiovisuel public. Nous devons en effet le renforcer, car il fait face à deux défis majeurs : d’une part, une concurrence exacerbée, également à l’international, d’autre part, la défiance de plus en plus importante à l’égard de l’information.
Dans ce cadre, un projet de loi a été présenté, débattu et voté hier en commission à l’Assemblée nationale. Ce texte ne vient pas de nulle part, il s’inspire directement de travaux parlementaires, qu’il s’agisse du rapport d’information de MM. Gattolin et Leleux, de celui de MM. Karoutchi et Hugonet ou de celui de MM. Gaultier et Bataillon. Tous veulent la même chose : conserver un audiovisuel puissant, fort et indépendant. Nous devons donc continuer à être respectueux de cet audiovisuel et à travailler ensemble sur tous ces enjeux.
Madame la sénatrice, je tiens à le dire, je suis assez étonnée de vous entendre évoquer un risque pour la liberté d’expression et la pluralité d’expression d’opinions dans notre audiovisuel en général. S’il y a un risque, il vient de certains de vos alliés à l’Assemblée nationale (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.), qui, pas plus tard qu’hier, appelaient à supprimer les éditorialistes et à menacer la liberté d’opinion. (Marques d’approbation et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Charité bien ordonnée commence par soi-même ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
lutte contre le narcotrafic (i)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
L’ensemble des sénateurs du groupe Les Républicains partagent les sentiments d’effroi et de compassion qui ont été exprimés sur toutes les travées à la suite du drame survenu hier dans le département de l’Eure.
Monsieur le Premier ministre, Jérôme Durain, président de la commission d’enquête, et moi-même avons mené des travaux sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Dans notre rapport, il apparaît une sorte de dissonance entre deux chiffres : d’une part, le chiffre d’affaires du narcotrafic s’établit entre 3,5 milliards d’euros et 6 milliards d’euros, d’autre part, le montant des saisies réalisées par la justice s’élève à 117 millions d’euros. Autant vous dire, monsieur le Premier ministre, que cette différence est absolument considérable.
Pourtant, c’est là que réside la réponse. La confiscation, les saisies, c’est bien ce qui permet de détruire la motivation même du système de narcotrafic en France. Qui plus est, dans une République qui connaît des problèmes pour faire face au fonctionnement de sa justice, dont la police et la douane manquent de moyens, nous pouvons trouver là un gisement de ressources absolument considérable permettant de répondre aux besoins des services.
Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : pourquoi ce montant est-il aussi faible ? Qu’est-ce qui l’explique ? Quels moyens votre gouvernement mettra-t-il en place pour saisir ce qui doit être saisi et mis à la disposition de la sécurité des Français ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Monsieur le sénateur Étienne Blanc, vous l’avez dit et nous faisons nôtres vos propos : notre pays est en deuil, parce que, oui, hier, deux agents de l’administration pénitentiaire ont été lâchement abattus par un commando barbare. Trois autres agents sont gravement blessés et le pronostic vital de l’un d’entre eux est encore engagé, tout est mis en œuvre pour qu’il s’en sorte.
Le garde des sceaux s’est rendu immédiatement auprès de leurs collègues, à Caen, et il a également pu rencontrer les familles. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Ce n’est pas le sujet !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Je veux le dire ici et le rappeler, à la suite du Premier ministre : au travers de ces agents de la pénitentiaire, c’est bien la République entière qui est gravement attaquée. (Protestations sur les mêmes travées.)
Monsieur le sénateur Blanc, il se trouve qu’en ce moment même le garde des sceaux discute avec l’intersyndicale des agents pénitentiaires…
M. François Bonhomme. Ce n’est pas la question !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. J’y arrive.
… et la violence de ces crimes inouïs conduit celui-ci à adopter des mesures radicales contre le crime organisé. (Mêmes mouvements.)
Dès le mois dernier, le garde des sceaux a annoncé des mesures fortes : création d’un parquet national anticriminalité, cour d’assises spécialement composée pour les règlements de compte, statut du repenti, nouveau crime d’association de malfaiteurs. Monsieur le sénateur, à l’automne prochain, un projet de loi spécifique sera présenté. Il pourra être nourri de votre rapport, dont le garde des sceaux salue la qualité…
M. François Bonhomme. Merci !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. … et que vous présenterez officiellement, je crois, dès mardi prochain.
Nous tirerons toutes les conséquences de ce drame atroce. Notre main ne tremblera pas ni sur les confiscations ni sur les sanctions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Un numéro vert ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. Vous pouvez compter sur la détermination du garde des sceaux pour répondre aux enjeux, sur lesquels nous sommes d’accord. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour la réplique.
M. Étienne Blanc. Madame la ministre, votre absence de réponse est révélatrice de l’ampleur du désastre. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Georges Naturel, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Georges Naturel. Monsieur le Premier ministre, depuis trois jours, je suis en lien étroit avec nos compatriotes calédoniens, soumis à la violence et à la peur, dans une situation insurrectionnelle et un chaos urbain.
Vous connaissez le triste bilan. Il ne fait que s’alourdir. On dénombre déjà quatre morts. J’apprends à l’instant le décès du gendarme qui se trouvait en urgence absolue : il a payé de sa vie la défense de la République et la protection des Calédoniens. Plus d’une centaine d’entreprises ont été détruites ou pillées. Pour faire face à cette situation insurrectionnelle, des milices civiles ont été mises en place dans différents quartiers.
À mon tour, je tiens à rendre hommage aux forces de l’ordre, épuisées, qui affrontent avec courage et ténacité ces situations de chaos urbain, ainsi qu’à tous les Calédoniens qui ont vu leurs biens ravagés et partir en fumée et qui sont reclus dans l’angoisse et la crainte, sans céder aux provocations.
Nous saluons l’instauration de l’état d’urgence décidée cet après-midi par le Président de la République à la suite de nos appels au sursaut. Comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le Premier ministre, il faut à tout prix rétablir l’ordre en Nouvelle-Calédonie. C’est tout l’objet de ma question.
Comment comptez-vous renouer les fils du dialogue dans le dossier calédonien ? Reprendrez-vous personnellement le dossier ? Quels acteurs calédoniens participeront aux discussions annoncées à Paris ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur Naturel, nous venons en effet d’apprendre la mort du gendarme de 24 ans de l’escadron de Melun. En tant que ministre de l’intérieur, je tiens à exprimer mon émotion. J’ai une pensée pour lui, sa famille et ses camarades.
Voici comment il est mort, monsieur le sénateur : après une nuit de protection dans un endroit particulièrement dangereux, où les tirs ont été effectués à balles réelles, des « vieux », comme l’on dit chez vous en Nouvelle-Calédonie, sont venus parler aux gendarmes, il a alors retiré son casque, s’est fait tirer dessus et a reçu une balle en plein front.
Depuis trois jours, alors que c’est la démocratie que nous rétablissons en Nouvelle-Calédonie, conformément à la volonté du peuple calédonien qui s’est exprimée par trois fois, des centaines de policiers et de gendarmes sont blessés, leurs familles terrorisées. Aucun mort du fait du travail des policiers et des gendarmes n’est à déplorer. Ils ne font qu’assurer la protection des Calédoniens.
J’en veux pour preuve, monsieur le sénateur, parce que ce n’est jamais dit, ces véhicules blindés des gendarmes dans lesquels se trouvaient des parturientes kanakes, des citoyennes françaises qui traversaient la Nouvelle-Calédonie pour aller accoucher : ils se sont fait tirer dessus à balles réelles. Voilà ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie !
La violence qui s’exprime là n’a rien à voir avec la politique. La CCAT (cellule de coordination des actions de terrain), qui, on le sait, est désormais loin du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), est un groupe mafieux, qui veut manifestement instaurer la violence comme elle l’a fait dans l’usine du Sud, l’année dernière. La République ne tremblera pas.
Oui au dialogue politique. Vous savez que, en Nouvelle-Calédonie, en ce moment, le dialogue politique existe entre le FNLKS et les loyalistes. Pendant que nous débattions au Parlement, des réunions se tenaient et je salue, comme l’ont fait le président du Sénat et le Président de la République, le communiqué commun de toutes les forces politiques.
Reste qu’il ne faut pas confondre la pression politique, les manifestations et les contestations avec la violence, les tirs à balles réelles et les personnes qui pillent, qui tuent et qui en veulent à la République.
Oui au dialogue, comme l’a dit le Premier ministre, autant qu’il le faudra, où il le faudra, avec qui il le faudra, mais jamais la République ne doit trembler devant les kalachnikovs. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)