Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. Monsieur le ministre, pour commencer, je tiens à reconnaître que l’engagement européen du Président de la République, de son gouvernement et des députés français au Parlement européen ne peut être remis en cause.
La France ne manque pas d’ambition européenne, bien au contraire ! On serait même tenté parfois de dire qu’elle en a trop, comme lorsqu’elle envisage de laisser entre les mains d’entités supranationales des décisions qui relèvent de la souveraineté nationale, de renoncer à la règle de l’unanimité dans des domaines aussi essentiels que la politique étrangère ou la fiscalité, ou encore d’élargir l’Union européenne.
Quand des objectifs réalistes sont définis, il est possible, voire fréquent, d’obtenir des résultats tangibles. Cependant, la défense des intérêts français en Europe me paraît comporter plusieurs faiblesses notables et systémiques.
La première résulte de notre système politique national, qui fait du Président de la République le seul inspirateur, le seul décideur et, de facto, le seul responsable de toutes les initiatives et positions françaises en Europe, alors même qu’il ne pourra pas se représenter en 2027 et qu’il ne dispose plus d’une majorité assurée à l’Assemblée nationale. Sa crédibilité européenne s’en trouve inévitablement affectée.
La deuxième tient à notre piètre situation économique et budgétaire, notamment à nos déficits publics chroniques, à notre taux d’endettement stratosphérique, à notre niveau record de prélèvements obligatoires et à l’effondrement de notre commerce extérieur.
La troisième est le fruit de la configuration politique qui prévaut en France depuis 2017 et qui marginalise les forces politiques de la droite et de la gauche modérées.
En 2019, cette situation a conduit une grande majorité des députés français au Parlement européen à adhérer aux troisième et sixième groupes politiques transnationaux de l’institution, c’est-à-dire à un groupe qui ne compte pour pas grand-chose, le groupe Renew, et à un autre qui ne compte pour rien, le groupe Identité et Démocratie. En 2024, tout indique que la situation pourrait empirer.
Il me semble difficile, dans ces conditions, d’avoir une vision positive de l’influence française dans les institutions européennes, à moins évidemment qu’un redressement ne s’opère sur chacun des trois éléments je viens d’évoquer.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, il est vrai que certains chefs d’État ou de gouvernement qui représentent leur pays au Conseil sollicitent un mandat formel auprès de leur parlement national.
Je salue à cet égard la pratique qui a cours au Sénat et qui consiste à auditionner le ministre chargé de l’Europe avant et après le Conseil européen, car, à mon sens, c’est une manière pour votre assemblée, donc pour le Parlement, de s’approprier pleinement ces questions, qui seraient autrement débattues de manière très lointaine, même si Bruxelles n’est finalement pas si éloignée…
Concernant la piètre situation économique et budgétaire de la France, je ne voudrais pas remuer le couteau dans la plaie, mais, si l’on peut certes toujours faire mieux, on aurait bien aimé que vos collègues députés Les Républicains soutiennent la réforme des retraites que nous avons engagée, en vue de redresser nos finances publiques. (M. Alain Cadec fait mine de jouer du violon.)
M. Didier Marie. Rassurez-vous, ils voteront celle de l’assurance chômage ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Enfin, s’agissant de la configuration politique que vous venez de décrire, permettez-moi d’être en désaccord avec votre constat.
Ce qui a permis à la France d’être aussi influente ces cinq dernières années sur des sujets aussi divers que la réciprocité dans les échanges commerciaux, le nucléaire ou le pacte sur la migration et l’asile, c’est précisément le fait que la France présidait un groupe pivot au Parlement européen, à savoir le groupe Renew. (M. Alain Cadec le conteste.)
Ainsi, même si cela peut sembler étonnant et paradoxal, la proportion des votes de ce groupe qui ont été suivis d’effets et qui ont conduit à des décisions conformes à ses souhaits est plus élevée que celle de votre groupe parlementaire au Parlement européen, le PPE, dont les membres sont pourtant deux fois plus nombreux que ceux du groupe des Socialistes et Démocrates et du groupe Renew. (M. Alain Cadec proteste de nouveau.)
De fait, ce groupe occupe une place tout à fait centrale dans le processus conduisant à un certain nombre de décisions. Dans la mesure où il est présidé par la délégation française, il est en mesure d’engager le vote en tenant compte des orientations françaises.
M. Michaël Weber. Je n’ai rien compris à la démonstration !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, je souhaite aborder un sujet qui est au cœur de toutes les discussions dans le cadre de l’actuelle campagne des élections européennes, celui de l’immigration.
Le 14 mai 2024, le Conseil de l’Union européenne a adopté le pacte sur la migration et l’asile, qui devra s’appliquer à partir de 2026. Celui-ci vise principalement à renforcer les contrôles aux frontières par la mise en place d’un filtrage des personnes tentant d’entrer illégalement sur le territoire européen, mais aussi à organiser la gestion de l’asile.
Or, sur le terrain, nous sommes toujours dans un entre-deux.
Le 21 septembre 2023, saisie d’une question préjudicielle portant sur l’ordonnance du 16 décembre 2020, qui permet à un État de prendre une décision de refus d’entrée sur le territoire national, également appelée procédure de réadmission, conformément au code frontières Schengen, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que les pratiques de la France étaient contraires à la directive Retour de 2008.
Désormais, les migrants bénéficieront donc d’un délai de vingt-quatre heures, ce qui doit leur laisser le temps d’opter, ou non, pour un retour volontaire dans le pays d’origine. Dans les Hautes-Alpes, mon département, qui est frontalier de l’Italie, la situation est inextricable : en 2023, ont été interpellées 6 151 personnes et 4 809 mesures de non-réadmission ont été prises.
D’un côté, nous n’avons pas les moyens de rendre la frontière étanche en raison du contexte naturel. De l’autre, les moyens humains et matériels limités ne permettent pas d’assurer un accueil digne et humain. Par exemple, les rétentions sont régulièrement effectuées dans des algécos à plus de 2 000 mètres d’altitude. Sur ce point, la France n’est pas à la hauteur.
La thématique migratoire reste omniprésente. C’est pourquoi, monsieur le ministre, le pacte sur la migration et l’asile, qui vise plus précisément les frontières extérieures de l’Union européenne, ne donne pas du tout satisfaction.
Aussi, pour informer les populations de mon département et, au-delà, répondre aux légitimes questions des Français, je vous poserai deux questions. Quelle sera la position du gouvernement français en matière migratoire lors de la prochaine mandature ? Et quelles mesures défendra-t-il afin de mieux réguler les migrations secondaires et de pouvoir appliquer les procédures de réadmission dans le cadre la directive Retour ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, le pacte sur la migration et l’asile est l’aboutissement de dix années de travail.
Ce texte visait à la fois à trouver un juste partage des responsabilités en termes d’accueil entre les pays de première entrée et les pays de « base arrière », si je puis dire, et à garantir la protection effective des frontières, en enregistrant les demandes d’asile des ressortissants de pays d’origine sûrs à la frontière, mais aussi en contrôlant, en filtrant et en suivant les demandeurs d’asile, dès lors qu’ils franchissent une frontière extérieure de l’Union européenne.
S’agissant de la situation dans votre département, les Hautes-Alpes, la réforme du code frontières Schengen, adoptée le 24 mai 2024, donnera à nos forces de l’ordre les moyens de protéger efficacement nos frontières intérieures. Le nouveau régime permettra de tirer les conséquences des décisions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne et d’éloigner les personnes en situation irrégulière arrêtées à nos frontières vers l’État membre d’où ils sont arrivés.
Je vous propose, si bien sûr vous en êtes d’accord, de vous apporter ultérieurement toutes les informations utiles pour répondre le plus précisément possible à vos questions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Karine Daniel. Monsieur le ministre, malgré la tournure du débat de ce soir, j’espérais que l’on épargne aux Européennes et Européens sincères que nous sommes non seulement un certain nombre de caricatures et de critiques, mais aussi les élans d’autosatisfaction qui pourraient nous guetter dans un contexte difficile pour tous les Européens réellement attachés au progrès.
Nous pouvons continuer à nous jeter les objectifs et les votes à la figure pendant toute la soirée, mais il se trouve que le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), au sein duquel siègent les députés socialistes, a défendu avec sincérité le Pacte vert pour l’Europe et que nous souhaitons aujourd’hui encourager le développement des politiques publiques qui en découlent.
On a beaucoup parlé d’environnement ce soir. Or, même si notre ambition est de continuer à progresser, nous avons probablement échoué à entraîner les citoyennes et les citoyens dans ce combat pour la transition écologique.
Quand vous nous parlez de ces gigafactories, que l’on attend comme le Grand Soir, monsieur le ministre, je ne puis m’empêcher d’avoir quelques doutes, parce que, parallèlement, nous sommes incapables d’assurer le développement des industries de ce secteur, qui investissent dans nos territoires et dont les salariés sont licenciés.
Je pense naturellement à l’entreprise Systovi dans mon département, mais aussi aux usines de General Electric, qui signe de gros contrats dans le port de Saint-Nazaire aujourd’hui, pour lesquelles on annonce de vastes plans sociaux demain, parce qu’il n’y aura plus aucune activité à vingt kilomètres à la ronde.
C’est notre échec et celui du Gouvernement qui suscitent l’incompréhension des citoyennes et citoyens européens.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, je suis quelque peu étonné.
En écoutant la première partie de votre question, j’étais assez d’accord avec vous : si une menace plane sur l’avenir de l’Europe, c’est bien celle des nationalistes et des populistes, qui veulent s’attaquer à l’Union européenne en tant qu’organisation politique fondée, il y a plusieurs décennies, sur un principe de respect absolu et en toutes circonstances de l’État de droit, c’est-à-dire de la liberté, de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse, de la liberté académique, etc.
Ce principe dégoûte les nationalistes et les populistes. Aussi les démocrates, quelle que soit leur sensibilité, devront-ils le défendre avec ardeur.
Toutefois, votre question prend ensuite un virage déroutant : vous accusez le Gouvernement d’avoir contribué à la désindustrialisation, alors que tous les chiffres démontrent le contraire. Certes, nous n’avons pas encore retrouvé les niveaux que la France a atteints par le passé, mais nous ouvrons désormais bien plus d’usines que nous en fermons et la France est le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers pour la cinquième année consécutive.
Cette statistique n’aurait pas une grande valeur en soi si l’on ne constatait pas que les usines financées par ces investissements étrangers s’installent dans les territoires les plus fragiles de notre pays, notamment les villes moyennes, qui étaient il y a sept ans encore parmi les plus pauvres de la République.
Aussi tendons-nous à penser que la politique d’attractivité économique qui a été menée par le Gouvernement a été plutôt positive, tout du moins à l’échelle nationale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel, pour la réplique.
Mme Karine Daniel. Monsieur le ministre, on ne peut pas parler d’attractivité sous le seul prisme d’une dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers ! Il convient de se pencher sur notre capacité à créer du développement endogène.
Vous avez mentionné les universités européennes, un sujet sur lequel mon collègue Ronan Le Gleut et moi-même sommes en train d’élaborer un rapport : notre échec est de ne pas lier suffisamment recherche, innovation et développement sur notre territoire et en Europe.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le ministre, alors que le Président de la République prononçait le 25 avril dernier un discours sur l’Europe, sept ans après son premier discours de la Sorbonne de septembre 2017, et alors que l’échéance des élections européennes approche, il nous est proposé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que je remercie de cette initiative, de dresser le bilan de l’action française à l’échelle européenne.
Au regard de la multiplicité des thématiques et du temps qui m’est imparti, je ne saurais le faire de manière exhaustive. Aussi ai-je choisi de me concentrer sur le sujet de la politique étrangère.
De longue date, notre pays est réputé pour l’excellence de sa diplomatie, qui est sans conteste l’une de nos forces. Nous avons su prendre conscience de l’importance, pour atteindre nos objectifs, d’une présence active en tout point de la planète. La France s’est donc logiquement positionnée en faveur d’une cohérence diplomatique à l’échelle européenne.
Si les États membres mènent évidemment leur propre politique internationale de manière indépendante, nous pouvons démultiplier les effets de nos politiques étrangères en unissant nos forces et nos voix, ce qui apparaît crucial face à la force de frappe de certains pays.
Or il me semble, comme je l’ai déjà dit par le passé, que nous n’avons pas suffisamment concrétisé cette ambition : l’Union européenne reste trop peu audible sur la scène internationale, ce qui laisse de la place à des États qui peuvent être mal intentionnés.
La France doit donc continuer de pousser à Bruxelles en faveur de la construction de véritables partenariats entre les Vingt-Sept et des pays tiers, qui ne reposent pas uniquement sur des accords commerciaux. En effet, ces partenariats doivent relever d’une véritable stratégie d’influence sur l’ensemble des continents, de manière indépendante des États-Unis.
La France peut et doit être un moteur à ce sujet au sein de l’Union européenne. Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que la France ne relâchera pas ses efforts en ce sens ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me donner l’occasion d’évoquer les pistes de réflexion du Gouvernement pour renforcer le poids diplomatique de l’Union européenne. Parmi celles-ci figure la mise en cohérence des outils de la politique extérieure de l’Union européenne, même si cela suppose encore beaucoup de travail.
À l’heure actuelle, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui incarne la politique étrangère européenne, n’est pas chargé des instruments d’aide au développement ou de la politique commerciale.
Vis-à-vis de l’extérieur de l’Union européenne, les responsabilités de la Commission européenne semblent faire l’objet d’un éclatement, alors même que l’Union dispose d’outils puissants : la stratégie Global Gateway et la politique commerciale de l’Union pourraient être plus utilement mises au service de sa politique extérieure et de sa diplomatie.
Par ailleurs, il convient d’améliorer la capacité des États membres à se mettre d’accord sur leur position dans les délais serrés qu’exige parfois la diplomatie. C’est pourquoi le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne, a déclaré qu’il était ouvert à cheminer vers un processus décisionnel fondé sur la majorité qualifiée pour les sujets de politique fiscale et de politique étrangère.
J’ai compris que cette idée ne faisait pas l’unanimité au sein de cet hémicycle, ce qui est bien normal, mais cela nous permettrait d’aller plus vite dans certaines situations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le ministre, le commissaire Johannes Hahn a récemment déclaré que « le budget européen actuel n’est pas adapté à nos priorités d’avenir ». Il préconise un budget beaucoup plus important, qui serait alimenté par de nouvelles ressources propres. En effet, les besoins d’investissements de l’Union européenne sont immenses en matière de réindustrialisation, de compétitivité, de défense, mais aussi pour réussir la transition écologique sans qu’elle pèse sur les plus modestes.
Dans le même temps, nous constatons que les inégalités de patrimoine se sont accrues. La fortune des milliardaires a explosé : en France, leur patrimoine a augmenté de 493 % en dix ans.
Pourquoi ? Parce que la fiscalité des très riches est très faible, en France comme partout en Europe, à l’exception peut-être de l’Espagne. Comme l’a démontré Gabriel Zucman, les ultra-riches, c’est-à-dire les 0,01 % les plus riches de la population, sont imposés à un taux réel bien inférieur à celui auquel le sont les personnes appartenant à la classe moyenne.
Face à ce constat, il semble indispensable de taxer les milliardaires à l’échelle européenne. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE) eux-mêmes appellent à le faire ! Une taxe de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches pourrait rapporter 42 milliards d’euros. C’est une question de justice sociale et d’efficacité économique.
Monsieur le ministre, pourquoi la France n’a-t-elle pas défendu cette solution ? D’une manière générale, pourquoi n’a-t-elle pas été plus offensive sur la question des ressources propres ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, mais si, la France a défendu cette solution ! Seulement, elle l’a fait dans le cadre du G20 ou de l’OCDE.
Elle a également plaidé pour l’impôt minimum mondial sur les sociétés, qui vient d’entrer en vigueur à l’échelle européenne, ce qui est une victoire historique contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale. Si nous sommes parvenus à un tel accord, c’est grâce au travail résolu de la France dans le cadre de l’OCDE.
Forts de ce succès, nous voulons aboutir à la création d’une taxation minimale des très hautes fortunes, comme nous l’avons fait pour l’impôt sur les sociétés.
Cela dit, le Président de la République a évoqué à plusieurs reprises la nécessité de doubler la capacité d’investissement de l’Union européenne. Il a même dit, à Dresde, en Allemagne, qu’il fallait doubler le budget de l’Union, ce qui n’a pas manqué d’être relevé par nos partenaires allemands.
Pourtant, ceux-ci voient bien que l’on ne peut pas réussir la transition verte de nos industries, à commencer par les industries automobiles et chimiques allemandes, que l’on ne peut pas investir dans les industries stratégiques pour réduire notre dépendance excessive dans plusieurs domaines et que l’on ne peut pas développer une industrie européenne de la défense sans se donner les moyens de le faire !
Il n’est pas question de sacrifier la politique agricole (PAC) et la politique de cohésion à ces nouveaux objectifs, qui viennent se surajouter aux objectifs préexistants. Pour cela, nous devrons trouver des ressources nouvelles. Dans la contribution commune issue du conseil des ministres franco-allemands qui s’est tenu hier, la nécessité de dégager des ressources propres est évoquée.
La question est de savoir lesquelles. Le Président de la République, dans son second discours de la Sorbonne, a évoqué la piste de la taxe sur les transactions financières, qui pourrait rapporter gros.
M. Didier Marie. Qui a déjà été mise sur la table !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Oui, monsieur le sénateur, et le chancelier Scholz s’était prononcé en sa faveur en 2020. Cette piste pourrait être remise sur le métier.
Il a également évoqué les ressources issues de la taxe qui est payée par les ressortissants extracommunautaires grâce au système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, dit Etias (European Travel Information and Authorization System), au terme du pacte sur la migration et l’asile, ainsi que le premier pilier, à savoir la taxation des multinationales dans le cadre de l’OCDE, qui ne s’est pas tout à fait concrétisée,…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … sans oublier, bien sûr, la taxe carbone, dite taxe ETS (Emissions Trading System) et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
De toute évidence, il est nécessaire d’avancer sur ce sujet, qui est sans doute l’un des plus sensibles pour les années qui viennent.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.
Mme Florence Blatrix Contat. En effet, le premier pilier de la taxation sur les multinationales est un bon projet, mais les ressources qu’il dégagerait seraient plutôt affectées – et c’est une bonne chose – à des fonds pertes et dommages pour les pays les plus pauvres subissant les effets du changement climatique.
Il nous faut vraiment dégager des ressources au sein de l’Europe. Si nous n’y parvenons pas, le grand plan de relance de 750 milliards d’euros devra être remboursé par des contributions nationales.
Pour l’instant, le bilan n’est pas très favorable. Pour éviter un échec, il convient d’avancer sur cette question cruciale des ressources propres.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, le 1er janvier 2026 entrera en vigueur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, une taxe qui obligera les entreprises européennes qui importent depuis un autre continent des produits polluants – essentiellement des matières premières – à payer une compensation pour les émissions causées, par exemple, par l’extraction et le transport de ceux-ci.
Le 1er octobre 2023, la phase à blanc a été lancée, ce qui, comme vous l’avez rappelé, a permis de dégager quelques pistes de réflexion et interrogations. En effet, les ambitions européennes de la France ne sont que partiellement satisfaites par le MACF.
Nul ne conteste qu’il s’agit d’une victoire d’un point de vue écologique, mais on ne peut pas en dire autant en matière de compétitivité. Notre espace économique apparaît très vulnérable aux manœuvres de triche ou de contournement, et je ne parle pas de la distorsion de concurrence qui risque de s’installer pour les produits européens si nos partenaires commerciaux ne se dotent pas des mêmes règles environnementales.
Monsieur le ministre, en tant que représentant de la France au Conseil de l’Union européenne, il est important que vous fassiez entendre une voix forte pour que ce règlement en demi-teinte n’en reste pas là. Avez-vous prévu d’agir d’ici à l’entrée en vigueur du MACF ? Le cas échéant, quelles mesures envisagez-vous de mettre en œuvre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la sénatrice, je rappelle que la taxe carbone aux frontières est une idée française, que nous défendions déjà lors de la présidence française de l’Union européenne en 2008. Nicolas Sarkozy avait alors tenté de faire faire prospérer cette idée, héritée de Jacques Chirac. C’est donc avec une grande satisfaction que nous avons accueilli l’adoption de ce principe lors de la mandature qui vient de s’achever.
La taxe carbone aux frontières sera appliquée très progressivement à partir du 1er octobre 2023 sur les importations de certains produits industriels, dont le fer, l’acier, l’hydrogène, le ciment, les engrais, l’aluminium et l’électricité. Une période transitionnelle de deux ans est prévue jusqu’au 1er janvier 2026, durant laquelle les obligations ne seront que déclaratives.
Ainsi, le MACF ne sera pleinement appliqué qu’en 2034, ce qui laissera le temps de l’ajuster, si nécessaire, afin de répondre à vos préoccupations légitimes, que le Gouvernement partage, quant à un éventuel contournement ou à une couverture insuffisante de ce dispositif.
Quoi qu’il en soit, un premier pas important a été franchi pour garantir aux industriels de notre continent que les règles auxquelles nous nous astreignons s’appliquent aussi à leurs concurrents des autres régions du monde au travers de ce mécanisme.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.
Toutefois, en matière d’ajustement carbone, l’Union européenne devra faire preuve d’une très forte vigilance pour éviter tout contournement ou toute tricherie, qui ferait perdre beaucoup de compétitivité à nos entreprises. Nous devons collectivement nous montrer très attentifs sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le ministre, il y a vingt-quatre ans et deux mois, le Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000 fixait l’objectif de faire de l’économie de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 », grâce à une stimulation de l’effort communautaire en matière de recherche et d’innovation.
Or non seulement la cible de 2010 a rapidement été jugée irréaliste, puis abandonnée, mais le dernier quart de siècle a été marqué par une accentuation continue du poids des États-Unis dans l’innovation mondiale, notamment dans les domaines numériques les plus disruptifs, comme l’intelligence artificielle.
La société allemande BioNTech, qui a joué un rôle majeur dans le développement des vaccins et des thérapies à base d’ARN messager, a été créée en 2008, mais elle n’a bénéficié de son premier soutien européen qu’en 2019, de la part de la Banque européenne d’investissement (BEI), alors qu’elle avait été soutenue tôt par la Fondation Bill et Melinda Gates…
Pendant ce même quart de siècle, la Silicon Valley a été le principal foyer de l’innovation numérique mondiale, souvent catalysé par les programmes de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency, Agence pour les projets de recherche avancée de défense). Cette agence du Pentagone stimule l’innovation disruptive par des mécanismes particulièrement agiles.
Alors que l’Europe avait pris le leadership mondial dans le domaine du lancement spatial grâce à Arianespace, elle l’a perdu lorsque des start-up innovantes, à commencer par SpaceX, ont rapidement émergé à la suite du choix de la Nasa de mettre en concurrence les acteurs privés pour assurer les services de lancement – un choix qui vient seulement d’être imité très récemment par l’Agence spatiale européenne.
Cette accentuation du leadership technologique américain est due non pas à une quelconque supériorité naturelle des ingénieurs et des chercheurs exerçant aux États-Unis, dont, au reste, une partie est née en Europe ou en Asie, mais à une supériorité écrasante de l’écosystème innovant américain. Ce dernier est bien plus efficient et agile que l’écosystème européen, qui est souvent paralysé par les processus fastidieux qu’impose une certaine culture bureaucratique.
Monsieur le ministre, comment la France peut-elle amorcer un changement organisationnel et culturel majeur, pour enfin créer un écosystème européen qui inciterait nettement plus à innover ?