compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

Mme Marie-Pierre Richer.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures trente.)

1

Ouverture de la session

M. le président. Mes chers collègues, aux termes du troisième alinéa de l’article 12 de la Constitution, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, la nouvelle assemblée doit se réunir le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.

Conformément à ces dispositions, j’ai convoqué le Sénat et je déclare ouverte la session tenue de droit en application de l’article 12 de la Constitution. Elle se tiendra jusqu’au jeudi 1er août inclus.

2

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du lundi 10 juin 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

3

Décès d’anciens sénateurs

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Jean-Paul Hammann, sénateur du Bas-Rhin de 1978 à 1981, puis de 1993 à 1995, et Gérard Dériot, sénateur de l’Allier de 1998 à 2020, qui fut questeur et qui, dans le cadre de cette fonction, a beaucoup apporté, permettez-moi de le rappeler, à la gestion de la Haute Assemblée.

4

Conférence des présidents

M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents s’est réunie tout à l’heure, en l’absence du Gouvernement, démissionnaire. Elle n’a donc pas fixé d’ordre du jour pour la session de droit. Elle a reporté au mois d’octobre prochain les deux espaces réservés aux groupes Union Centriste et Socialiste, Écologiste et Républicain, initialement prévus les 12 et 13 juin 2024. Elle a pris acte des demandes d’inscription de propositions de loi à l’ordre du jour des premières semaines sénatoriales de la session ordinaire formulées par les groupes Les Républicains et Union Centriste.

La conférence des présidents a procédé au tirage au sort de l’ordre de passage des groupes pour les espaces réservés de 2024-2025. Nous attendrons la désignation du nouveau gouvernement de plein exercice pour fixer le calendrier des semaines du premier trimestre de la session.

La conférence des présidents a acté la caducité des questions écrites et orales et, à titre exceptionnel et compte tenu de la situation, a prévu son application à l’entrée en fonction d’un gouvernement de plein exercice.

Si les circonstances exigeaient que notre assemblée se réunisse d’ici au 1er août, il va de soi que je convoquerais sans délai la conférence des présidents durant la session de droit et que vous en seriez avertis.

5

Expression des groupes sur la situation politique à l’issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024

M. le président. Mes chers collègues, compte tenu du contexte, la conférence des présidents a décidé d’organiser un temps d’expression des groupes sur la situation politique, en prévoyant l’intervention d’un orateur par groupe et d’un représentant des sénateurs n’appartenant à aucun groupe, dans l’ordre décroissant des effectifs des groupes, à raison du temps proportionnellement attribué à chaque groupe pour un débat de quarante-cinq minutes.

Avant de donner la parole aux présidents de groupe ou à leurs représentants, je voudrais rappeler que le Sénat, donc chacune et chacun d’entre nous, a une responsabilité particulière de préservation des institutions et de protection des libertés dans la période qui s’ouvre.

Je veillerai à ce que notre assemblée exerce ses prérogatives en toute indépendance et avec responsabilité, qu’il s’agisse de ses compétences en matière législative ou de ses pouvoirs de contrôle.

La parole est à M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, mes chers collègues, l’exercice auquel nous allons nous livrer cette après-midi témoigne d’un grand désordre : il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale ; il n’y a pas de Premier ministre ; il n’y a pas de ministre au banc du Gouvernement, qui reste vide ; il y a seulement un gouvernement démissionnaire, qui est chargé d’expédier les affaires courantes. À mon sens, ce grand désordre est à l’image de la voie sans issue dans laquelle le président Macron a conduit le pays.

Cette impasse a deux origines : l’une tient au président, l’autre, profondément, au tripartisme.

Pour ce qui concerne la première cause, quelques mois après la première élection de M. Macron à la présidence de la République en 2017, j’avais écrit dans une tribune que le macronisme était non pas un hypercentrisme, mais un égocentrisme. (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)

Comment comprendre la dissolution en dehors de cette analyse ? Comment expliquer cette inexplicable décision sans tenir compte de cet élément ? Bien entendu, personne ne s’y attendait : le général de Gaulle disait qu’une dissolution était faite pour résoudre une crise, non pour en provoquer une…

Depuis lors, le Président de la République a adressé une lettre, en réalité non pas aux Français, mais aux partis politiques. Dans cette lettre, aucune leçon n’a été tirée des messages que les Français ont fait passer lors du premier tour des élections législatives, celui où l’on choisit son représentant, ou lors du second tour, celui où l’on élimine le candidat dont on ne veut pas.

Comme s’il n’avait pas voulu tenir compte du premier tour des élections, le Président de la République s’est réfugié dans une posture somme toute assez facile à l’occasion de l’entre-deux-tours, celle du grand ordonnateur du front républicain. Ce dernier cependant ne règle rien pour l’avenir, car un rejet n’est pas un projet.

Fort heureusement, les Français ont clairement indiqué qu’ils ne faisaient pas confiance au Rassemblement national pour gouverner la France.

Toutefois, mes chers collègues, on aurait tort de balayer d’un revers de main les angoisses et les attentes exprimées par des millions de Français, notamment au premier tour des élections législatives. Il y a d’ailleurs un paradoxe : ceux qui veulent lutter contre ce mouvement ne souhaitent pas lutter contre les raisons qui l’amènent à battre, élection après élection, de nouveaux records.

La seconde cause de l’impasse où nous nous trouvons, c’est le tripartisme, constitué par un bloc central et deux ailes radicales. Bien sûr, cette configuration est pratique pour se faire réélire. Je me souviens d’une belle phrase que François Furet avait écrite dans un article paru quelques mois avant sa mort : c’est un avantage sans nom que d’avoir « un allié objectif […] sous les traits d’un adversaire radical ». Évidemment, j’ajoute qu’il ne faut pas en abuser.

Le tripartisme est un poison, tant pour la démocratie, parce qu’il sous-entend qu’il n’y a d’autre alternance que radicale, que pour la Ve République, qui est conçue pour le fait majoritaire. En effet, lorsque le paysage politique est divisé en trois, il n’y a pas de majorité.

Aujourd’hui, il n’y a plus de majorité : la démocratie est comme placée en pause et la République est sous la pression de M. Mélenchon (Murmures sur les travées des groupes GEST et SER.), dont les affidés appellent à marcher sur Matignon et dont les supplétifs voudraient que l’on place aujourd’hui l’Assemblée nationale sous surveillance. (M. Thomas Dossus sexclame.) Est-ce acceptable ? Bien sûr que non !

Évidemment, le Président de la République reste la clé de voûte de nos institutions. Il doit désormais formuler des propositions pour sortir du chaos. Il détient les clés institutionnelles, au moins certaines d’entre elles.

Que peut-il faire ? Certainement pas nommer un Premier ministre issu des Insoumis, qui, je le répète à cette tribune, se sont par eux-mêmes retranchés de l’arc républicain,…

M. Thomas Dossus. C’est faux !

M. Bruno Retailleau. … en défendant un antisionisme qui est malheureusement parfois le masque peu convenable de l’antisémitisme ou en méprisant les institutions, notamment en prônant la « haine des flics » et la désobéissance civile, c’est-à-dire rien d’autre que l’appel à désobéir à la loi que nous votons !

M. Thomas Dossus. N’importe quoi !

M. Bruno Retailleau. Ils expriment également une fascination pour la violence, théorisée par Chantal Mouffe.

Mme Raymonde Poncet Monge. Vous l’avez lue ?

M. Bruno Retailleau. Je cite M. Mélenchon : « Il faut faire d’un peuple révolté un peuple révolutionnaire. » Or nous savons ce que donnent les révolutions : la guerre civile ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. Mickaël Vallet. 1789, ce n’est pas 1793 !

M. Bruno Retailleau. Je ne confonds certainement pas 1789 et 1793 ! Pour moi, Robespierre n’est pas un héros : c’est un bourreau ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Par ailleurs, je ne confonds pas cette gauche-là avec la gauche républicaine qui siège au Sénat.

M. Bruno Retailleau. Je sais parfaitement que celle-ci a la République chevillée au corps.

M. Mickaël Vallet. Il fallait commencer par là ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Bruno Retailleau. Simplement, chers collègues, j’observe que le pacte que vous avez signé avec La France insoumise (LFI) est une sorte de Bad Godesberg inversé et qu’il est extrêmement radical pour la gauche française. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Si l’on retranche LFI de l’arc républicain, arithmétiquement, le bloc de gauche s’affaiblit et ne trouverait jamais une majorité à l’Assemblée nationale – telle est du moins ma conviction profonde.

Je ne crois pas à une grande coalition.

M. Akli Mellouli. Appelez Ciotti !

M. Bruno Retailleau. Une grande coalition, c’est le mariage des contraires, c’est la parousie du « en même temps ». Il me semble au contraire que c’est dans la clarté que nous devons travailler pour la France.

En revanche, dans ces moments, il faut en revenir aux grandes leçons de l’histoire. Quand la politique est affaiblie comme aujourd’hui et qu’elle se révèle incapable de tenir les rênes de l’État ou le destin des Français, il faut parfois sortir de la logique des partis.

Quelques évidences s’imposent. La première, c’est que selon la Constitution de la Ve République, la nomination du Premier ministre revient non pas aux partis, mais au Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

Deuxième évidence : j’ai proposé de décaler le point de vue. Plutôt que de choisir un profil parmi les partis politiques, il vaudrait sans doute mieux désigner une personnalité non seulement technique ou issue de la société civile, mais qui, par son aura et sa stature, ait le sens de l’État et connaisse bien ses rouages.

M. Thierry Cozic. Comme Robespierre ? (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Bruno Retailleau. J’ai proposé que cette personne ait fait autre chose qu’un bref passage dans l’administration et qu’elle ait l’intérêt général chevillé au corps. Les candidats ayant ce type de profil existent.

Enfin, il me semble que nous pourrions nous mettre d’accord, mes chers collègues, sur un agenda législatif, car il nous faut éviter le chaos pour la France, y compris en matière financière.

Le premier acte législatif, ce sera le budget. Or, en cas de crise financière, ce ne sont pas les plus riches qui souffrent le plus. Au contraire, en général, ce sont les plus modestes !

Il existe donc un passage. Il appartiendra au Président de la République de l’emprunter.

Troisième évidence, enfin : au milieu de ce champ de ruines se tient le Sénat. La Haute Assemblée est debout – nous pourrions aussi nous accorder sur ce point – et constitue un amer, un repère, un pôle de stabilité. Nous avons collectivement un rôle important à jouer, celui de la transparence.

Soyons, mes chers collègues, la chambre de la démocratie du grand jour et non celle de la démocratie des combinaisons d’arrière-couloir ou des manigances d’arrière-boutique. (Murmures sur les travées du groupe SER.)

Ayons cette exigence législative. Certes, les députés auront toujours le dernier mot, mais, faute de majorité à l’Assemblée nationale, le Sénat aura tout son rôle à jouer. C’est une évidence : l’Assemblée nationale pourra dire non, mais jamais elle ne pourra dire oui. Seul le Sénat dispose d’une majorité permettant de faire peut-être passer des textes.

Au milieu de cette agitation et de cette confusion, le Sénat dans son ensemble – nous tous, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons – devra incarner ce qui manque peut-être actuellement le plus à notre pays : la force de l’équilibre, la puissance de la stabilité, mais aussi la voix de la raison, pour la République, pour la France et pour les Français ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, mes chers collègues, rappelez-vous : « Je ferai tout dans les cinq années qui viennent pour que les électeurs n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. »

M. Christian Cambon. C’est du Hollande, ça ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Telle était la promesse d’Emmanuel Macron, nouvellement élu Président de la République, au pied de la pyramide du Louvre, le 7 mai 2017.

Sept ans plus tard, le RN (Rassemblement national), ex-FN (Front national), est en tête des élections européennes, l’Assemblée nationale a été dissoute et le nombre de députés d’extrême droite a explosé, passant de 8 en 2017 à 89 en 2022, puis à plus de 140 aujourd’hui.

Outre une débâcle électorale pour le camp présidentiel, c’est un véritable chaos démocratique dans lequel nous avons été plongés le 9 juin dernier, par le caprice vengeur d’un homme vexé. Le « maître des horloges » est devenu un enfant roi qui a cassé son jouet, la République.

Rien d’étonnant, me direz-vous. C’est ce même Président de la République qui a voulu enjamber l’élection présidentielle en 2022 et escamoter les élections législatives qui ont suivi. C’est le même qui a brutalisé les institutions du pays et qui a voulu les contourner avec des gadgets improductifs : le fameux grand débat, les conventions citoyennes, le Conseil national de la refondation (CNR) ou encore les rencontres de Saint-Denis…

M. Max Brisson. Ça, c’est vrai !

M. Patrick Kanner. Tout cela au lieu de s’appuyer sur les outils normaux : le Parlement et le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Tout cela au lieu d’écouter le peuple qui souffrait et qui grondait. (M. Xavier Iacovelli proteste.)

Mes chers collègues, le climat anxiogène qui en découle est le terreau le plus fertile pour le Rassemblement national. Les dernières élections législatives nous ont appris que ce sont désormais 12 millions de nos concitoyens qui, de peur du déclassement, de la relégation et de l’isolement, votent pour l’extrême droite, et cela de plus en plus par adhésion, et par une adhésion assumée.

Ces peurs sont largement relayées par des canaux médiatiques qui n’ont plus rien d’indépendant : l’utilisation de médias à des fins de propagande électorale est flagrante, et ce glissement est évidemment très dangereux pour notre démocratie. Le Parlement devra se saisir de cette question, y compris peut-être en prenant en compte les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias en France.

Désormais, des millions d’électeurs sont convaincus que le RN est la seule solution de rechange. À force de ne vouloir débattre qu’avec le RN, le désavoué Emmanuel Macron a installé dans l’esprit des Français l’idée mortifère que le couple Le Pen-Bardella était le seul opposant efficace à sa politique.

À nous de montrer qu’une autre voie existe. Le front républicain a guidé notre action dès le lendemain du premier tour. Il a permis d’éviter le pire avec le soutien des deux tiers de nos concitoyens.

Nous, hommes et femmes de gauche, n’avons pas de leçon de pureté et de fréquentabilité républicaine à recevoir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Laurent Duplomb. Oh que si !

M. Patrick Kanner. Aucune porosité avec l’extrême droite ne saurait, à nous, être reprochée. (Nouvelles protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Roger Karoutchi. Mais avec LFI, en revanche !

M. Rémy Pointereau. Quel donneur de leçons !

M. Patrick Kanner. Je tiens d’ailleurs à exprimer ma perplexité – c’est un euphémisme – à la suite des prises de position de plusieurs hautes autorités du groupe LR (Les Républicains) de cette assemblée, qui se sont exprimées ce matin encore – elles se reconnaîtront.

Si leur opposition au RN est certaine – je n’en doute pas –, elle n’a manifestement pas été assez convaincante pour emporter une expression digne de leur parti politique, afin de faire barrage.

Permettez-moi de vous rappeler, chers collègues, que 24 candidats LR – soit la moitié de votre groupe à l’Assemblée nationale – ont été élus contre le RN, pourtant favori à l’issue du premier tour, grâce au désistement républicain sans faille des candidats du Nouveau Front populaire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

Toutefois, nous savons, je le crains, que ce barrage au RN s’inscrit dans un temps de sursis. Il nous faut donc formuler de nouvelles réponses sur l’insécurité sociale, territoriale et institutionnelle. C’est le choix qu’ont fait les Français en plaçant le Nouveau Front populaire en tête, un choix préférentiel tourné vers un message porteur d’espoirs, d’aspirations et d’idées empreintes de justice sociale et environnementale.

Mes chers collègues, il m’est insupportable de savoir que 7 millions de nos concitoyens ne mangent pas tous les jours à leur faim. Il m’est tout aussi insupportable de savoir que 2 millions de Français sont toujours en demande d’un logement social. Ce secteur est d’ailleurs sinistré et des centaines de milliers d’emplois sont aujourd’hui menacés.

Avec la même détermination, nous voulons l’abrogation de la réforme inique des retraites, la hausse des salaires, donc du pouvoir d’achat, l’accès aux soins pour tous, notamment en secteur rural, la réinstauration d’une police de proximité et le rééquilibrage d’une fiscalité injuste, qui grève le budget des ménages les plus modestes, mais préserve le patrimoine des plus aisés (M. Jean-François Husson sexclame.). Voilà des mesures concrètes que les Français réclament.

L’histoire ne retiendra pas ces élections comme une simple sanction envers la politique menée par Emmanuel Macron. Ces élections sont et resteront également révélatrices des limites de nos équilibres constitutionnels.

Est-il acceptable qu’un homme seul, fût-il Président de la République, puisse fragiliser nos institutions, y compris en jouant à la roulette russe la prise de pouvoir par l’extrême droite ? C’est pourtant un Président de la République élu par défaut, grâce à un front républicain qu’il a balayé d’un revers de main en 2017, qu’il a écarté d’un autre revers de main en 2022 et qu’il néglige en 2024.

Après avoir passé sept années à s’affranchir des contre-pouvoirs et à maltraiter les corps intermédiaires, Emmanuel Macron veut désormais contourner le choix du peuple et ne pas tirer les conséquences de la sanction que lui a infligée le pouvoir ultime, celui des urnes.

Emmanuel Macron a mis en exergue ce qui pouvait arriver de pire : oui, un homme seul a été capable de tordre la Constitution. C’est en cela que j’affirme que notre système est à bout de souffle. C’est à nous d’agir, à nous d’entendre la lassitude de nos concitoyens, d’incarner les améliorations à apporter à notre République et d’insuffler de nouvelles formes de gouvernance.

Mes chers collègues, il faudra réformer nos modes de scrutin, c’est indispensable. Il faudra rééquilibrer nos institutions, c’est inévitable. Il faudra indiquer un nouveau cap politique, c’est inéluctable. Il y va de l’avenir du pays.

Cet autre chemin pour réparer une société fracturée est possible. C’est celui que nous voulons pour les Français : un chemin d’apaisement, d’autorité, de justice et de démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, mes chers collègues, le 7 juillet au soir, j’en ai entendu certains dire que le Nouveau Front populaire était majoritaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est arrivé le premier !

M. Hervé Marseille. Je n’ai pas la même lecture des résultats. Au demeurant, l’élection au perchoir de l’Assemblée nationale, ce soir, nous éclairera sur le sujet…

J’en ai entendu d’autres dire que l’exécutif qui gouverne depuis 2017 serait fautif de tout, puisqu’il a dissous.

Certes, mais il a tout de même eu le bon goût de ne pas proposer de candidats face à 60 candidats de la droite et du centre ! Ceux-ci ont donc bénéficié, cela a déjà été rappelé, des voix de gauche au second tour, et vice-versa, le désistement des candidats de la droite et du centre ayant également permis l’élection de députés de gauche dans le cadre de l’arc républicain. C’est dire que les résultats doivent être étudiés avec une certaine retenue et beaucoup de modestie.

La dissolution a eu lieu. Les Français ont voté. Et, pour la première fois depuis 1962, ils n’ont pas désigné de majorité à l’Assemblée nationale, même relative. Dès lors, nous devons nous poser deux questions bien précises : qui peut gouverner ? Pour quoi faire ?

Qui peut gouverner ?

Tout d’abord, nous devons trouver une majorité de gestion au sein de l’Assemblée nationale qui soit la plus homogène possible. Rien qu’en matière de politique étrangère, le Gouvernement doit pouvoir parler d’une seule voix. Que dirons-nous demain sur l’Ukraine, sur Israël ou encore sur le nucléaire ? Un gouvernement suppose une certaine affectio societatis entre ses membres, ce qui invalide d’emblée La France insoumise (LFI), qui est en porte-à-faux avec ses propres alliés sur nombre de sujets.

Ensuite, parmi toutes les forces composant la nouvelle Assemblée nationale, peu sont enclines à donner des postes de responsabilité gouvernementale aux extrêmes. La plupart partagent l’attachement aux valeurs républicaines et à l’Union européenne. Collectivement, elles peuvent rassembler tous ceux qui refusent un gouvernement comportant des extrêmes.

Les forces de l’arc républicain rassemblent les partis traditionnels de gouvernement. Or un parti de gouvernement, à ma connaissance, c’est fait pour gouverner !

Tout pointe donc vers l’élaboration d’un ensemble assez large pour constituer une solution de rechange à un Nouveau Front populaire dominé par LFI. Il s’agirait d’une coalition allant des Républicains aux sociaux-démocrates.

L’avenir de notre pays se joue plus que jamais autour du bloc central, en opposition aux extrêmes.

Le problème, c’est que la culture politique française est peu habituée à cet exercice. Pourtant, il y a eu au moins un précédent fameux, celui de Waldeck-Rousseau, qui constitua en 1899 un gouvernement de défense républicaine dans le contexte de l’affaire Dreyfus.

Ce gouvernement rassemblait des modérés, des radicaux et des libéraux. C’est à lui que nous devons l’installation définitive de la République dans notre pays. Nous sommes aujourd’hui dans une situation comparable.

Il n’y a pas d’autre issue qu’une coalition de défense républicaine pour traiter urgemment les maux dont souffre notre société. Ce qui conduit naturellement à la seconde question : gouverner pour quoi faire ?

Les extrêmes n’apportent aucune solution. Les propositions les plus structurantes avancées par le RN, soit sont inconstitutionnelles, soit relèvent de l’Europe. Le programme du Nouveau Front populaire, quant à lui, est mortifère pour notre économie.

La crise politique actuelle impose un constat institutionnel : nous devons absolument repenser le mode de scrutin.

Le scrutin majoritaire est robuste, mais c’est lui qui nous a aujourd’hui conduits à l’impasse. Il empêche les évolutions et n’est plus adapté à l’époque. Il faut passer, ne serait-ce que partiellement, à la proportionnelle (M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.), conjuguée à un retour réfléchi du cumul des mandats. C’est indispensable.

M. Rachid Temal. Très bien !

M. Hervé Marseille. Enfin, les sujets qui préoccupent le plus nos concitoyens sont connus. En allant massivement aux urnes, ils ont prouvé qu’ils attendaient encore beaucoup du politique pour les traiter.

Je pense au pouvoir d’achat et au logement, bien sûr. Je pense également à l’accès aux services publics ou à la santé. Enfin, les Français ne supportent plus l’impuissance de l’État. Il y a des sujets pour lesquels on ne peut plus tergiverser.

C’est le cas de l’immigration irrégulière, de la laïcité et de la sécurité, en particulier la violence des mineurs. Il faudra avoir le courage de prendre des mesures pour apporter une réponse pénale plus rapide.

Idem concernant les finances publiques et la dette. La Cour des comptes l’a encore rappelé lundi : les comptes publics sont très dégradés. On ne retrouvera vraisemblablement pas le chemin de l’équilibre sans à la fois réaliser des économies et trouver de nouvelles ressources. Ne pas le dire, ne pas le relever, c’est mentir !

N’oublions pas non plus la Nouvelle-Calédonie et Mayotte, laissées seules face à elles-mêmes en ce moment, dans de terribles souffrances.

Sur l’ensemble de ces sujets, nous avons une obligation de résultat. Nous ne pouvons pas échouer, car, dans ce cas-là, je ne donne malheureusement pas cher de notre avenir. Si nous ne nous montrons pas à la hauteur de l’enjeu, nos lendemains seront très difficiles.

Notre responsabilité est d’éviter que la crise politique ouverte par la dissolution ne nous condamne à l’instabilité et à l’immobilisme. Dans cette perspective, nous ne pouvons que miser sur le Parlement.

En 2022, avec une majorité relative, nous avons redécouvert qu’il était non seulement possible, mais même nécessaire de se parler, de s’écouter, de négocier et de faire des compromis pour adopter des textes. Ici, au Sénat, nous savons faire cela !

Aujourd’hui, il nous faut aller plus loin et déployer plus que nous ne l’avons jamais fait des trésors de pragmatisme et d’esprit de consensus. Il nous faut expérimenter un système dans lequel le Parlement revient au cœur de la vie politique du pays. Nous devrons être véritablement moteurs, force d’initiative et de proposition.

L’intérêt du pays exige cet effort autant que l’opinion publique, qui n’acceptera pas longtemps les palinodies, les postures ou les atermoiements.

Se rassembler pour former ou soutenir un gouvernement, c’est le commencement du dépassement et, je l’espère, le gage de l’efficacité. Face à la complexité des problèmes à affronter, le rassemblement, c’est ne plus avoir de certitudes péremptoires, d’emportements idéologiques ou de vérités uniques.

Plus que jamais, le Sénat va s’affirmer comme la pierre angulaire du dispositif parlementaire : nous pourrons peser – et nous pèserons ! –, notamment dans les commissions mixtes paritaires.

Il va falloir momentanément oublier les intérêts personnels et partisans pour accepter une plateforme minimale dans l’intérêt du pays. C’est un comportement qui est courant en Europe et qui respecte les citoyens. Comme l’a dit à l’instant notre président, nous avons à cet égard une immense responsabilité.

Je terminerai sur une note d’espoir en souhaitant à nos athlètes qui s’apprêtent à entrer en compétition de s’y distinguer, pour ressusciter le souffle de notre nation. Que les valeurs du sport nous inspirent, avec honneur et dignité ! Et vive le sport ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – Mme Frédérique Espagnac et M. Jean-François Husson applaudissent également.)