Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.

1. Procès-verbal

2. Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. Michel Barnier, Premier ministre

M. Mathieu Darnaud

M. Patrick Kanner

M. Hervé Marseille

M. François Patriat

M. Claude Malhuret

Mme Cécile Cukierman

M. Guillaume Gontard

Mme Maryse Carrère

M. Christopher Szczurek

M. Michel Barnier, Premier ministre

3. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Bonhomme,

Mme Nicole Bonnefoy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

La parole est à M. le Premier ministre, à qui je souhaite la bienvenue.

J’en profite également pour saluer ceux de nos anciens collègues qui sont devenus ministres et qui sont ici présents. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je vous remercie sincèrement, monsieur le président, de m’avoir si vite invité à m’exprimer devant le Sénat, tout comme je vous remercie de votre accueil, auquel je suis sensible. Je n’en suis pas surpris de la part d’une assemblée que je connais assez bien pour avoir eu l’honneur d’y siéger un court moment – pendant deux ans. Je n’ai rien oublié de la cordialité qui règne au Sénat, du respect réciproque, mutuel, entre ses membres et de la qualité de ses travaux. C’est donc aussi pour cette raison plus personnelle que je suis heureux de vous retrouver.

Au lendemain de ma déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale – et je remercie le garde des sceaux, Didier Migaud, ici présent, de l’avoir lue au même moment, en mon nom, devant vous –, je me plais à me retrouver parmi vous pour faire le point et, avant que les différents orateurs n’interviennent à ma suite, apporter un certain nombre de précisions sur des sujets ou des enjeux sur lesquels le Sénat est traditionnellement plus engagé.

Je salue votre assemblée, qui représente d’abord les élus locaux de métropole, d’outre-mer, mais également nos concitoyens établis à l’étranger.

Avant d’aborder la feuille de route du Gouvernement, permettez-moi, monsieur le président, d’évoquer la situation grave du Proche et du Moyen-Orient.

Face à cette escalade continue et dangereuse des tensions, je vous confirme que la France, sous l’autorité du Président de la République, restera engagée pour la paix et la sécurité de tous dans cette région. Nous avons condamné avec la plus grande fermeté les nouvelles attaques de l’Iran contre Israël. Je redis devant le Sénat ce que j’ai dit à l’Assemblée nationale : pour nous, pour la France, la sécurité d’Israël n’est pas négociable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP. – MM. Bernard Fialaire, Patrick Kanner et Hervé Gillé applaudissent également.)

À quelques jours du très triste anniversaire du 7 octobre, nous pensons à toutes les victimes des attaques terroristes du Hamas et du Hezbollah, qui doivent cesser.

Nous pensons aussi à tous les otages, dont nous continuons d’exiger la libération, y compris de nos deux compatriotes. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Nous pensons aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, à toutes les victimes civiles palestiniennes.

La violence n’a que trop duré et la France, avec d’autres, appelle à un cessez-le-feu à Gaza.

Au-delà de cette stratégie – et je tenais déjà ce même discours lorsque j’avais l’honneur d’être le ministre français des affaires étrangères, sous la présidence de Jacques Chirac –, nous continuerons de travailler, de militer, non pas seuls, mais avec les États de la région, les États-Unis et d’autres puissances, pour la solution à deux États, clé de la stabilité et d’une sécurité durable.

Même si cette solution paraît à certains de plus en plus improbable et difficile à atteindre, je continue de penser qu’il faut, à côté d’un État d’Israël définitivement garanti dans son intégrité territoriale et dans sa sécurité par tous les pays de la région, offrir une perspective, celle d’un État, au peuple palestinien.

M. Éric Bocquet. Très bien !

M. Michel Barnier, Premier ministre. L’aggravation de la situation au Liban, un pays qui nous est très cher, que je connais assez bien, exige aussi notre pleine mobilisation avec nos partenaires pour faire cesser les hostilités qui s’enclenchent et qui menacent la stabilité de la région.

Nous nous sommes engagés, avec le ministre des armées, sous l’autorité du Président de la République, à apporter une aide humanitaire aux victimes civiles des combats. Et nous sommes prêts à toutes les éventualités.

Je rappelle que 20 000 de nos compatriotes vivent dans ce pays et que près de 700 de nos soldats y sont déployés, au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul).

Nous mettrons donc tout en œuvre pour protéger nos compatriotes, en particulier au Liban, mais aussi au Moyen-Orient, et les assister dans toutes les circonstances douloureuses qu’ils connaissent.

Puisque j’évoque la situation internationale, vous me permettrez de confirmer que, là aussi, la France reste et restera aux côtés du peuple ukrainien, qui, deux ans et demi après l’agression russe, continue avec courage de se battre pour défendre son intégrité territoriale, sa souveraineté, sa liberté.

Ce sont des mots, ce sont des valeurs, ce sont des réalités qui sont les nôtres en tant qu’Européens. Voilà pourquoi nous devons soutenir ce peuple si courageux de l’Ukraine qui défend là, au prix de bien des risques et de beaucoup de morts, les valeurs européennes que nous avons en partage. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

Face à ces conflits, mesdames, messieurs les sénateurs, face à l’instabilité persistante d’un monde de plus en plus dangereux et fragile, face à toutes les menaces hybrides, celles que l’on connaît, celles que l’on soupçonne, l’effort de défense engagé par le Gouvernement depuis plusieurs années, sous le pilotage du Président de la République, est évidemment nécessaire et sera poursuivi.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous connaissez désormais les grandes orientations du Gouvernement, formé voilà quelques jours. J’ai été nommé au poste de Premier ministre il y a à peine vingt-sept jours, après une longue attente – non pas de ma part (Sourires.) – à la suite des élections législatives.

La situation est d’ailleurs assez inédite puisque, pour la première fois depuis le début de la Ve République, aucune majorité ne se dégage de l’Assemblée nationale. Je suis conscient de cette difficulté et je sais que les députés ont le sort du Gouvernement entre leurs mains. Pour autant, je pense que les deux années et demie qui sont devant nous doivent être utiles. Vous avez votre part à prendre dans ce travail d’intérêt national : c’est ce à quoi j’ai appelé les parlementaires de tous les bords et de tous les groupes à l’Assemblée nationale.

Nous allons essayer de faire beaucoup avec peu, comme je l’ai rappelé hier en citant cet ordre de mission que le général de Gaulle avait adressé en mai 1942 à Pierre de Chevigné, l’un de ses aides de camp, qu’il envoyait à Washington pour tenter d’y créer une antenne de la France libre, dans des conditions assez difficiles. Il lui écrivait de sa propre main : « Je vous demande de faire beaucoup avec peu, en partant de presque rien. »

Nous ne partons pas de presque rien. À tous les niveaux, notre pays est riche de ressources, d’énergie, de volontarisme : voilà la base. Mais, ce qui est vrai, c’est que nous avons peu dans nos mains – j’y reviendrai au moment d’évoquer le budget – et qu’il faut faire beaucoup dans tous les domaines, à tout le moins s’efforcer de faire bien. C’est précisément l’intention du Gouvernement.

La feuille de route que nous avons déroulée hier devant la représentation nationale, à l’Assemblée nationale et ici même, est centrée autour de quelques priorités pour tenter de donner à notre pays des marges d’action dans une situation particulièrement difficile.

Évidemment, la première exigence, parce que c’est une condition première pour agir et pour rester crédibles au plan international, est d’améliorer la situation de nos comptes publics. En prenant mes fonctions voilà vingt-sept jours, j’ai trouvé un déficit supérieur cette année à 6 % – 6 % ! – de notre richesse nationale. Nos dépenses ont augmenté de plus de 300 milliards d’euros – 300 milliards ! – depuis 2019. Je le disais hier, cela représente chaque année, en moyenne, pour chaque Français, quel que soit son âge, 5 000 euros de plus non pas de revenus, mais de dépenses publiques.

Et ces dépenses, mesdames, messieurs les sénateurs, sont largement financées par la dette que nous faisons peser sur nos enfants et petits-enfants. C’est la vérité, et je continuerai de dire cette vérité.

Tout comme j’ai parlé de dette écologique, selon l’idée que l’on devrait faire en sorte de laisser la Terre ou le territoire dont on a la gestion dans un meilleur état que celui dans lequel on l’a trouvé, sur les plans naturel ou écologique, la priorité doit être de limiter, de maîtriser, de réduire si possible cette dette pour ne pas la faire peser sur d’autres après nous. C’est notre responsabilité.

Voilà pourquoi nous avons décidé de marquer clairement cette première étape de notre gouvernement par un effort difficile – je le sais, mesdames, messieurs les sénateurs – de réduction de nos dépenses.

Si vous l’acceptez, les deux tiers de l’amélioration de nos comptes viendront de la maîtrise de la dépense publique, une première depuis longtemps. Pour cela, nous devons faire des choix responsables. En proposant lesdits choix au Parlement, je porterai une attention particulière aux Français les plus fragiles pour qui certains services – la santé, l’éducation et d’autres – sont essentiels. Et ces choix difficiles, exigeants tant pour les ministres, avec qui je m’en suis entretenu, que pour les parlementaires, qui auront à amender, à corriger, à améliorer et à voter le projet de loi de finances, nous les ferons évidemment avec vous.

Je sais d’ailleurs que le Sénat avait proposé l’an passé des mesures d’économies tout à fait substantielles. Toutes n’ont pas été retenues dans notre projet de loi de finances, mais nous avons sans doute là un gisement d’économies accessibles. Nous allons les examiner ensemble.

Nous le ferons aussi, bien entendu, avec les collectivités territoriales. Pas sans elles, pas contre elles, je dis bien : avec elles.

Nous maîtriserons d’autant mieux nos finances publiques – c’est là mon deuxième point de méthode – que, au-delà de la réduction des dépenses la plus intelligente possible, nous aurons à renforcer l’efficacité de la dépense publique.

Cette préoccupation vaut pour toutes nos administrations : celles de l’État, celles des collectivités, que beaucoup d’entre vous connaissent ou gèrent. C’est ainsi que nous pourrons agir. Je sais d’ailleurs que nombre de collectivités territoriales n’ont attendu ni mon discours ni l’État pour s’engager dans cette maîtrise de la dépense publique pour une plus grande efficacité de l’impôt.

Enfin, pour relever le défi de la dette, je ne peux – car je n’en ai objectivement pas les moyens – priver le Gouvernement d’un troisième levier : les recettes.

Les baisses d’impôt, depuis sept ans, ont apporté de l’oxygène à beaucoup de Français, beaucoup d’entreprises, notamment lors de la crise du covid-19. Dans ces temps de grands efforts pour maîtriser la dépense publique et retrouver ou préserver notre crédibilité internationale, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons demander, de manière ciblée, exceptionnelle et temporaire, une contribution à de très grandes entreprises ainsi qu’aux plus gros contribuables de notre pays.

C’est cela qui me paraît correspondre à la justice fiscale.

Je n’accepte pas que l’on parle de choc fiscal, de prélèvement général : ce n’est pas vrai. Nous allons concentrer, je le répète, de manière ciblée, exceptionnelle et temporaire, cet effort sur un certain nombre de contribuables, entreprises ou particuliers, qui peuvent un peu plus, un peu mieux contribuer à cet effort national.

J’évoquais une seconde dette qui, à mes yeux, est importante : l’empreinte environnementale. Les transitions écologique et énergétique seront des priorités du Gouvernement. J’ajoute que ce défi nous concerne tous, entreprises, collectivités et citoyens.

En la matière, je me suis engagé très tôt. Mon histoire personnelle en témoigne : alors tout jeune chargé de mission, j’ai eu la chance d’être membre du cabinet de Robert Poujade, premier ministre français de l’environnement. Ce ministère avait été créé sur l’initiative de Georges Pompidou. La France était alors le second pays d’Europe, après l’Angleterre, à se doter d’un ministère de l’environnement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, je suis attaché au rôle du Sénat ; d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si – c’est peut-être même un record – l’on trouve tant de membres de votre assemblée dans mon gouvernement. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.) Vous faites bien de les encourager ! (Sourires.)

De même, je suis attaché au rôle et à la place de nos territoires dans la République. Au fil d’un parcours assez long – je n’ai pas besoin que l’on me rappelle mon âge ! (Nouveaux sourires.) –, j’ai eu l’honneur et la chance de présider un conseil général pendant dix-sept ans. Je n’ai pas oublié tout ce que j’ai appris sur le terrain, dans ce département.

M. Loïc Hervé. Et quel département ! (Sourires.)

M. Michel Barnier, Premier ministre. En sont issus deux membres de cette assemblée, que je salue affectueusement.

Par leur identité, leur culture et leur énergie, mais aussi par leurs différences, dans l’Hexagone ou les outre-mer, nos territoires contribuent à développer notre pays et à le rendre plus fort. Je vous le disais en préambule : nous ne partons pas de rien. Nous partons de ces territoires, et c’est souvent leur succès, qu’il s’agisse des petites communes ou des grandes, qui fait le succès de la France.

J’ai toujours eu la conviction que l’on règle mieux les problèmes du quotidien dans la proximité. C’est d’ailleurs l’intuition initiale de la décentralisation, depuis la grande loi Defferre de 1982…

M. Mickaël Vallet. Mais vous aviez voté contre !

M. Michel Barnier, Premier ministre. C’est précisément en mars 1982 que je suis devenu président du département de la Savoie, et je n’ai pas oublié les moyens et la liberté que cette loi a donnés aux conseils généraux, comme on les appelait alors.

L’effort de décentralisation répond à une vérité somme toute banale : sur tous les sujets qui concernent la vie des gens, la décision doit être prise au plus près du terrain. C’est d’ailleurs ce que font chaque jour les élus locaux et ce que feront de plus en plus les préfets.

Depuis quarante ans, la force de l’État et des collectivités locales a été de se compléter et de se renforcer mutuellement, même si je sais bien que leurs relations ont connu des hauts et des bas.

L’État reste évidemment le garant de l’unité et fixe, au nom de la République, le cadre de l’activité nationale. Quant aux collectivités territoriales, elles jouent leur rôle pour dynamiser cette activité en créant, dans chaque territoire, le cadre le plus propice à son développement. En ce sens, je fais mienne cette conviction du président Larcher : la commune est « la petite République dans la grande ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.) Je suis sûr que vous avez déjà entendu cette formule ! (Sourires.)

Cet équilibre, non seulement efficace, mais vital, repose sur le respect et sur la confiance.

Pour que la confiance soit la règle, je demanderai à mon gouvernement d’entretenir des relations régulières et approfondies avec les élus locaux. Nous devons pouvoir partager avec eux les objectifs de l’action gouvernementale : ce sont là les objectifs de la Nation, et les élus locaux ont vocation à y concourir. Ce sera bien sûr le rôle de la ministre du partenariat avec les territoires, des ministres délégués placés près d’elle et du ministre de l’intérieur, que vous connaissez bien.

Les élus doivent aussi savoir que nous respectons leur rôle, leur responsabilité et leurs compétences. Nous allons avoir besoin de cette confiance, de cet état d’esprit peut-être un peu nouveau, pour travailler ensemble, notamment à la maîtrise de nos finances publiques.

Nous voulons discuter rapidement avec les collectivités territoriales de la situation budgétaire globale. Il s’agit en particulier d’assurer au mieux la maîtrise des dépenses, en demandant à chacun, à tous les niveaux, de prendre une juste part de l’effort collectif.

Je pèse mes mots : la situation est suffisamment grave – c’est ma responsabilité de le dire – pour que l’on sache répartir cet effort intelligemment et en confiance.

Je veux aussi rendre les choses plus simples pour aider les collectivités à agir. Ce travail suppose une simplification méthodique des règles que celles-ci doivent appliquer dans tous les domaines.

Cette simplification ne pourra être décrétée d’en haut : elle doit d’abord être démontrée par l’exemple. C’est pourquoi l’État et les collectivités territoriales doivent s’engager – et ils vont le faire – dans des contrats de simplification. Cette démarche permettra d’identifier, à l’échelle locale, les projets et les actions aujourd’hui entravés par la complexité des normes.

Nous allons débloquer les chantiers en question, projet par projet, action par action, grâce à un dialogue étroit entre les préfets et les élus locaux.

Ce choc de simplification aura lieu sur le terrain et à partir du terrain ; et s’il faut des mesures législatives, ce sera pour lever des obstacles observés sur le terrain. Ce que je viens de dire vaut non seulement pour les collectivités territoriales, mais aussi pour les entreprises, pour les exploitations agricoles, évidemment, et pour les citoyens eux-mêmes.

La simplification passe aussi par un nouvel effort de déconcentration. Dans les toutes prochaines semaines, en lien avec la ministre du partenariat avec les territoires et le ministre de l’intérieur, nous allons donner aux préfets, représentants de l’ensemble du Gouvernement dans leur département, des leviers renforcés pour assurer la cohérence et l’efficacité de l’action de l’État et de tous ses opérateurs. Nous leur permettrons notamment de déroger à un certain nombre de normes, d’expérimenter et de différencier. Je signerai très prochainement une instruction à tous les préfets en ce sens.

Il faut que nous apprenions à adapter nos politiques aux réalités très diverses des territoires, que ce soit en métropole ou a fortiori outre-mer. Dans de nombreux cas – les exemples ne manquent pas –, ce travail d’adaptation, qui suppose de donner aux préfets le pouvoir d’aménager une politique en bonne intelligence avec les élus locaux, réglerait en amont bien des problèmes.

Je sais que le Sénat le souhaite en matière d’eau et d’assainissement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

M. Jean-Michel Arnaud. Tout à fait !

M. Michel Barnier, Premier ministre. La gestion de la ressource en eau et les défis qu’elle implique nous imposent d’agir en responsabilité, ce qui n’exclut pas d’adapter les règles à la réalité des territoires. Voilà pourquoi, soixante ans après la première loi sur l’eau – c’était en effet en 1964 –, nous allons travailler tous ensemble à cette question, sur la base des nombreux travaux conduits au cours des dernières années et à la faveur d’une grande conférence nationale sur l’eau.

Je l’ai dit hier et je le répète devant vous : nous devons aussi adapter la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et INDEP.) En la matière, il faut mieux tenir compte des besoins de certains territoires.

Nous ne remettrons pas en cause cette politique dans son essence ou dans son objectif,… (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Yannick Jadot. Un peu quand même…

M. Michel Barnier, Premier ministre. … mais nous pouvons sans doute nous donner de la souplesse, sur la base de contractualisations locales correctement encadrées pour mieux concilier le développement des territoires, auquel je vous sais attachés, et l’objectif de sobriété, qui, à mes yeux, a toute son importance.

J’en ai conscience depuis longtemps : les espaces et ressources naturels de notre pays ne sont ni gratuits ni inépuisables. Dans l’intérêt des générations futures, nous devons les protéger, les préserver et parfois les reconquérir. Mais, à mon sens, il existe une marge de négociation pour concilier ces deux grands objectifs. Nous devons travailler en ce sens.

Je sais que les élus d’outre-mer attendent, de même, une plus grande adaptation des politiques publiques, des lois et des règlements aux spécificités de leurs territoires. Le ministre chargé des outre-mer, que vous connaissez bien lui aussi, est chargé de coordonner ce travail d’adaptation avec les ministères et collectivités concernés. Je présiderai, au début de l’année prochaine, un comité interministériel de l’outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en suis convaincu : cette simplification, dont j’entends faire une méthode de gouvernement, redonnera de l’oxygène à notre pays. Nous devons rendre aux élus le pouvoir d’agir. Nous devons à tout prix lutter contre le découragement moral qui, trop souvent, les gagne.

Au cours des années passées, alors que je n’exerçais plus de fonctions publiques, j’ai eu l’occasion, en Savoie et ailleurs, de rencontrer, dans nos petites communes, beaucoup de maires découragés.

M. Michel Barnier, Premier ministre. Ces élus ont envie d’arrêter, parfois pour des raisons très simples, par exemple parce qu’ils ne trouvent pas de secrétaire de mairie ou bien parce que les secrétaires de mairie sont, elles aussi, eux aussi découragés par l’amoncellement de normes, l’inflation normative et l’accumulation des contraintes.

Je veux que l’on donne de l’oxygène à notre pays. D’ailleurs, j’en suis profondément convaincu : la France ira mieux si tout ne tombe pas d’en haut. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. Stéphane Ravier. Et la loi SRU ?

M. Michel Barnier, Premier ministre. Il ne suffit pas d’être membre du Gouvernement ni même Premier ministre pour avoir la science infuse. Vous le savez bien : dans vos départements, c’est bien souvent lors d’une réunion de maires ou d’associations que l’on vous donne de bonnes idées.

À ce titre, peut-être me permettrez-vous de vous raconter un souvenir personnel…

M. Michel Barnier, Premier ministre. À mon âge, il est bon de mettre à profit son expérience : c’est d’ailleurs ce que je vais faire. (Sourires.)

En 2008, j’étais ministre de l’agriculture et de la pêche. Cette année-là, l’automne fut marqué par de nombreux naufrages de bateaux de pêche, pour certains meurtriers. Je m’étais rendu à Étaples, rencontrer l’équipage d’un bateau qui avait coulé l’avant-veille au milieu de la nuit ; cinq marins pêcheurs étaient rescapés, mais le sixième membre de l’équipage était porté disparu.

Quand un bateau coule, on sait où il se trouve, car une balise est fixée sur le mât ; en revanche, on ignore où sont les membres de l’équipage, ou du moins on l’ignorait alors.

Un des rescapés, un jeune marin, m’a pris par le bras et m’a dit : « Monsieur le ministre, vous êtes bien de la Savoie ? Pouvez-vous m’expliquer pourquoi, chez vous, les pisteurs secouristes ont une balise individuelle dans leur anorak, ce qui permet de les retrouver sous une avalanche, et pourquoi nous, nous n’en avons pas une sur notre vêtement de flottaison ? »

Ce jeune, qui a eu le courage de m’interpeller, m’a donné une idée que personne ne m’avait suggérée avant. Depuis, on s’est efforcé d’équiper tous les marins pêcheurs d’une telle balise ; j’espère qu’ils en disposent tous aujourd’hui.

M. Guy Benarroche. Vos ministres aussi en ont une ? (Sourires sur des travées du groupe GEST.)

M. Michel Barnier, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je l’ai rappelé aux membres du Gouvernement : il faut savoir écouter. Ils ont une autorité morale, administrative et politique. Ils ont des moyens à leur disposition : ils doivent les mettre au service des bonnes idées, d’où qu’elles viennent, quel que soit le parti politique dont elles émanent et notamment quand elles viennent du terrain. (M. Stéphane Ravier sexclame.)

Pour agir, il faut aussi de la sécurité juridique. Je souhaite que nous clarifiions encore la réglementation relative aux conflits d’intérêts. M. le garde des sceaux veillera à m’adresser des propositions en ce sens.

Surtout, assurer l’avenir de nos territoires, c’est répondre aux attentes des Français, qui ont besoin d’une plus grande présence des services publics. Villes moyennes, sous-préfectures et villages : tous font la République. Il faut que les services publics y demeurent ou y reviennent…

Mme Cécile Cukierman. À commencer par La Poste !

M. Michel Barnier, Premier ministre. C’est aussi ce rôle d’animation que devra exercer la ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l’artisanat.

Je n’ignore pas tout ce qui a été fait dans les années passées pour répondre à cette attente. Dans un esprit d’objectivité, nous prolongerons les mesures qui ont fait leurs preuves. J’ai visité l’une des 3 000 maisons France Services qui, dans notre pays, en regroupant un certain nombre de guichets, mutualisent et facilitent de nombreuses démarches. Nous allons continuer dans ce sens, parce que ça marche, pour aller aussi près des gens que possible. Je serai notamment sensible à la présence des services postaux au plus près des citoyens. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

M. Michel Masset. Très bien !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je n’oublie pas non plus l’accès aux soins. Dans ce domaine, il faut agir en commençant par les territoires les moins bien dotés, les plus fragiles sur le plan de la santé. Dans ces territoires prioritaires, nous assurerons un déploiement effectif et rapide des assistants médicaux, des 2 000 nouvelles maisons de santé pluridisciplinaires ainsi que des bus de santé, qui permettent d’aller à la rencontre des patients, notamment les plus âgés.

En outre – je le disais hier –, nous allons essayer de trouver des idées innovantes pour favoriser l’installation de nouveaux praticiens. Il faut encourager les internes, français ou étrangers, voire, s’ils le souhaitent, des médecins à la retraite, à s’installer dans les déserts médicaux, qu’il s’agisse de territoires urbains ou ruraux.

Dans le même esprit volontariste, nous nous pencherons sur la question des transports. Dans notre pays, des millions de salariés sont contraints de parcourir chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres pour se rendre sur leur lieu de travail. Ils n’ont d’autre moyen que de prendre la voiture ; or ce moyen de transport coûte cher et pollue. En partant des projets locaux, nous devons pouvoir trouver des solutions à court terme, notamment en développant les services de cars.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens à un autre sujet de la vie quotidienne qui doit être examiné et traité avec dignité et efficacité : celui de la sécurité.

Dans ce domaine, les attentes de nos concitoyens sont fortes – on l’a bien compris lors des dernières élections. D’ailleurs, vous-mêmes relayez leur demande de sécurité dans chaque territoire.

Nous nous efforcerons de généraliser la méthode de travail en commun qui a fait ses preuves lors des jeux Olympiques et Paralympiques. Nous mènerons une lutte implacable contre le trafic de drogue, la criminalité organisée et l’économie souterraine, qui gangrènent nombre de territoires urbains et ruraux.

Nos compatriotes ont besoin d’être rassurés par une présence plus visible de nos forces sur la voie publique, dans les villes et les villages. C’est précisément pourquoi nous allons confirmer la création de nouvelles brigades de gendarmerie. De même, nous assurerons la réduction des procédures administratives, qui accaparent les commissariats et la gendarmerie, au détriment de la présence sur le terrain.

Les Français attendent des délais de jugement plus courts, particulièrement pour les mineurs : nous allons reprendre les discussions en vue de la création d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs délinquants de plus de 16 ans déjà connus de la justice, qui sont poursuivis pour des actes graves d’atteinte à l’intégrité physique. Nous poursuivrons aussi la réflexion sur les atténuations de l’excuse de minorité.

J’en viens à un autre sujet que nous allons traiter avec gravité et dignité : les Français veulent que les peines soient réellement exécutées…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est déjà le cas !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Nous proposerons des peines de prison courtes et immédiatement exécutées pour certains délits ; nous allons réviser les conditions d’octroi du sursis et limiter les possibilités de réduction ou d’aménagement de peines ; en outre, nous allons prévoir un recours accru aux travaux d’intérêt général (TIG), aux amendes administratives et aux amendes forfaitaires délictuelles.

Pour réaffirmer le rôle dissuasif de la sanction, nous allons construire des places de prison et reprendre un certain nombre de chantiers de manière plus volontariste, là aussi en simplifiant certaines règles, qui bloquent tel ou tel projet. Mais cela suppose de trouver des emprises foncières et des collectivités acceptant d’accueillir une prison sur leur territoire.

Il s’agit d’un chantier de très grande ampleur. À ce titre, nous devons aussi diversifier les solutions d’enfermement ou de surveillance effective en fonction du profil de la personne détenue et de la peine prononcée, notamment pour les mineurs délinquants. Voilà pourquoi je suis favorable à la création d’établissements spécifiques pour courtes peines.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis et je le répète calmement et clairement : pour le Gouvernement, assurer la fermeté de la politique pénale, c’est aussi faire respecter l’État de droit, les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice, auxquels je suis profondément attaché.

En matière de sécurité – nous en parlerons plus avant avec les ministres de la justice et de l’intérieur –, je suis soucieux que tous les dépositaires de l’autorité publique, que toutes celles et tous ceux qui concourent au service public soient partout et toujours protégés et respectés.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Ce ne fut pas toujours le cas ces dernières années.

Voilà quelques jours, j’ai appelé le maire de Saint-Brieuc, sauvagement agressé la semaine dernière et près d’être tué. Il me disait son souci de la protection et du respect, mais me parlait aussi de l’importance de parvenir, dans nos territoires, à se reparler les uns aux autres, sans aller jusqu’à l’agression ou à la violence. Je suis très sensible à ces sujets, que vous portez, pour beaucoup d’entre vous, depuis longtemps.

Je souhaite maintenant évoquer, à l’approche du terme de mon intervention, la question de la maîtrise de l’immigration. Je veux que nous abordions ce grand sujet avec, là encore, dignité et fermeté, en regardant les faits avec lucidité : nous ne maîtrisons plus de manière satisfaisante notre politique migratoire. De ce fait, nous ne sommes plus en mesure de remplir nos objectifs d’intégration. Nous échouons donc des deux côtés, ce qui ne peut durer. Sans idéologie, sans accepter aucune polémique, j’ai déclaré hier, dans un élan d’utopie, que la question de l’immigration devrait être un sujet d’intelligence nationale.

Nous nous efforcerons d’aller sur ce chemin, en travaillant plus efficacement et en proximité, pour que les demandeurs d’asile obtiennent rapidement une décision. Nous proposerons aussi de faciliter la prolongation exceptionnelle de rétention des étrangers en situation irrégulière, afin de mieux exécuter les obligations de quitter le territoire – l’actualité, tragique, montre combien ce point est important.

Nous allons renforcer le contrôle de nos frontières. Le très important pacte européen sur la migration et l’asile, auquel M. Darmanin a consacré beaucoup d’énergie, a été adopté récemment. Il faut l’appliquer sans délai, mais aussi le compléter en renforçant les moyens de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), qui doit retrouver sa mission première de garde-frontière de l’Union européenne. Aussi longtemps que nécessaire et là où ce sera nécessaire, nous rétablirons les contrôles à nos propres frontières, dans le respect des règles européennes, à l’exemple de ce que l’Allemagne vient de décider.

Nous allons intensifier le dialogue avec les pays d’origine et de transit. Mon gouvernement ne s’interdira pas de conditionner davantage l’octroi de visas à l’obtention de laissez-passer consulaires, dont nous avons besoin pour les reconduites à la frontière. Nous allons également poursuivre, avec les pays concernés, les discussions sur des accords bilatéraux, parfois très anciens, qui ne correspondent plus aux réalités.

C’est en mettant en œuvre toutes ces mesures avec fermeté et dignité que nous serons en mesure de mieux intégrer celles et ceux que nous choisissons d’accueillir chez nous et que nous ne parvenons plus à recevoir dignement. Il s’agit d’ouvrir plus rapidement l’accès à un titre de séjour, à l’apprentissage de notre langue, à un logement ou à un emploi.

J’ai évoqué hier un dernier chantier, sur lequel il y aurait beaucoup à dire : celui de la fraternité, dont notre pays a tant besoin. Cette question commande de résoudre nombre d’inégalités – je pense, par exemple, aux personnes en situation de handicap –, de soutenir les familles, toutes les familles, de tisser davantage de liens entre les générations, de lutter contre la pauvreté, d’encourager le bénévolat, la vie associative, qui est au cœur du lien social dans notre République, de même que la création et la diffusion culturelle comme la valorisation, du plus petit village aux plus grandes villes, du patrimoine qui nous est cher.

Je souhaite ensuite dire un mot d’un sujet très grave, sur lequel beaucoup d’entre vous travaillent ou sont prêts à travailler : celui de la fin de vie.

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je sais l’engagement de nombreux parlementaires, sur toutes les travées, les débats graves et parfois personnels qui ont lieu, au-delà des étiquettes politiques. C’est dans le respect de cette diversité d’opinions et en prenant en compte la gravité de ce sujet que nous reprendrons la discussion, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, en concertation avec les soignants et les associations, au début de l’année prochaine. Nous poursuivrons ainsi le cours de ce débat important, dans la sérénité.

Sans attendre, nous continuerons de développer l’accès aux soins palliatifs, qui seront renforcés dès 2025.

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je ne peux conclure ce propos sans évoquer nos outre-mer. J’ai souhaité suivre personnellement ces sujets, en liaison avec le nouveau ministre des outre-mer, placé auprès du Premier ministre. Nous avons besoin d’une volonté politique forte, durable, de considération, de suivi à Paris pour relever des défis très nombreux. Nous le ferons en privilégiant le dialogue avec les élus et les acteurs économiques et sociaux dans ces territoires, en respectant les diversités, les spécificités et la culture de ces derniers.

On trouve, dans les outre-mer, des handicaps structurels, mais aussi des projets, des chances, des opportunités qui n’intéressent pas que ces territoires – recherche, espace, biodiversité –, mais qui profitent à toute la collectivité nationale. Nous travaillerons avec eux, dans cet esprit, avec un accompagnement renforcé de l’État : soutien financier, ingénierie, soutien aux relations internationales dans leur bassin régional. Cela doit se traduire par des contrats pluriannuels, là où ils n’existent pas encore, qui seront garantis et mis en œuvre au quotidien par les services locaux et centraux de l’État.

Le comité interministériel des outre-mer (Ciom), qui se réunira au premier trimestre de l’année prochaine, sera préparé en lien étroit avec l’ensemble des élus de ces territoires. Nous y déciderons des mesures concrètes.

Je souhaite aussi évoquer la Nouvelle-Calédonie, dont les sénateurs Xowie et Naturel sont élus. Les députés Metzdorf et Tjibaou nous ont interpellés tout à l’heure, à l’Assemblée nationale. Je confirme, clairement et solennellement, notre engagement à faire face à l’urgence économique et sociale en Nouvelle-Calédonie, où près de 25 % de la capacité de production de l’économie a été détruite – 25 % ! Il faut reconstruire, redémarrer, préserver ou retrouver l’emploi tout en retissant du lien social et politique. Nous nous engagerons rapidement, aux côtés des acteurs politiques et économiques.

J’examine aussi les conditions de prolongation sur les prochaines semaines des aides d’urgence mises en place en mai dernier. De nouvelles mesures de soutien aux populations en difficulté doivent aussi être mises en œuvre : il s’agit de reconstruire une grande partie de l’économie après cette période difficile.

Je tiens enfin à vous remercier, monsieur le président, ainsi que la présidente de l’Assemblée nationale, d’avoir accepté tous deux de conduire sur place et dans un bref délai une mission de concertation. Cette mission de dialogue, d’écoute et de considération devrait nous permettre d’engager des discussions sur l’avenir institutionnel de ce territoire en tenant compte des opinions de tous les acteurs locaux.

Outre ces enjeux économiques et sociaux, devront être abordés l’organisation et les compétences des pouvoirs locaux, la composition du corps électoral et son élargissement pour les prochaines élections provinciales, ainsi que différents autres sujets de nature institutionnelle.

Je mesure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le chemin qui est devant nous pour atteindre l’ensemble des objectifs que je viens d’évoquer. L’objet d’une telle déclaration n’est pas de traiter de tout. Je vais maintenant vous écouter et j’essaierai de vous répondre – les ministres ici présents tiendront également compte de vos propos.

Il s’agit de faire bien, pas forcément de faire tout ou beaucoup. Je ne ferai pas de promesses, il n’y aura pas de miracles. Ne comptez pas sur moi, compte tenu de la situation budgétaire que nous connaissons, pour raconter n’importe quoi.

Je ne ferai pas autre chose que dire la vérité. Devant une telle situation, deux attitudes sont possibles : celle du fatalisme, qui revient à baisser les bras, et celle du volontarisme, qui consiste à reconnaître les réalités et à les expliquer aux citoyens, au peuple, qui sont capables de les comprendre, je le sais, quand ils croient et respectent ceux qui leur parlent, puis à modifier, à transformer et à avancer. Tel est mon état d’esprit.

Nous avons besoin d’un partenariat serré et solide entre les forces politiques. Nous avons besoin d’un nouveau dialogue social, avec les forces syndicales – je les ai toutes rencontrées depuis mon arrivée à Matignon – et professionnelles.

Le moment doit inviter chacune et chacun à s’inscrire dans une volonté de coopération. Cette culture du compromis, un peu nouvelle dans notre pays, vous la connaissez bien dans les collectivités territoriales – vous n’avez pas attendu le Gouvernement pour la pratiquer. On la connaît aussi très bien à l’échelon européen, où faire un compromis n’est pas se compromettre ! (M. Pascal Savoldelli sexclame.) Nous ne venons pas tous du même endroit, nous n’allons pas tous dans la même direction, mais, pour un temps et sur certains sujets, nous nous mettons d’accord.

Commissaire européen pendant dix ans, j’ai notamment travaillé sur la question de la régulation financière, après une crise qui avait détruit des millions d’emplois, afin de reconstruire quelques règles, de remettre un peu de morale et de responsabilité chez des banquiers et d’autres acteurs financiers qui n’en avaient pas beaucoup et qui se croyaient tout permis, parce qu’on leur avait tout permis après trente ans d’un grand vent d’ultralibéralisme.

J’ai construit ce cadre à travers quarante et une lois de régulation : aucune d’entre elles n’aurait pu passer sans compromis entre le parti socialiste européen, le parti populaire européen, les verts, les libéraux et, parfois, les communistes. Personne n’y a perdu son âme ni sa différence, et nous avons réussi.

Je sais que cette culture n’est pas nouvelle au Sénat, mais elle est encore improbable à l’Assemblée nationale. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Je vais m’efforcer de la construire.

Je suis très heureux, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de m’être exprimé devant vous. Je vais maintenant vous écouter, car ici l’on sait s’écouter et se respecter, l’on sait trouver des compromis tout en gardant ses différences et l’on sait enfin que l’effet du suivi et de l’évaluation est aussi important que l’effet d’annonce. Tel est l’esprit du Gouvernement et de son Premier ministre. (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains – nous le félicitons pour son élection, hier, à la présidence de son groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, en écho à vos propos, mes premiers mots concerneront la situation internationale.

La France devra agir pour la paix et la sécurité face à la montée des tensions au Moyen-Orient. Nous ne pouvons oublier ni nos deux compatriotes encore otages du Hamas, ni tous les autres otages, ni ceux qui ont succombé à la barbarie des terroristes. Nous ne pouvons pas non plus rester aveugles à la souffrance des populations civiles israélienne, libanaise et palestinienne. Sous votre impulsion, je suis certain que notre pays restera fidèle à son histoire, à ses valeurs, à sa tradition diplomatique et à ses alliés.

Monsieur le Premier ministre, en acceptant de conduire le Gouvernement de la France, vous avez accepté l’une des missions les plus éminentes de la République. Dans la période la plus incertaine et certainement la plus difficile de notre histoire récente, vous avez jaugé non pas l’abîme, mais la façon d’entamer un difficile chemin de crête.

Monsieur le Premier ministre, vous avez fait le choix d’assumer cette responsabilité, comme ces maires qui s’engagent dans leur commune quand la situation semble insoluble et les bonnes volontés introuvables. Sur toutes les travées de cette assemblée, de ceux qui partagent vos vues à ceux qui s’y opposent, je sais que chacun connaît et salue votre sens de l’État et de l’intérêt général.

Vous avez évoqué la gravité de l’instant ; j’y adjoindrai la solennité du moment. Nul dans cet hémicycle n’ignore les circonstances qui nous ont collectivement conduits à ce moment. Notre vie institutionnelle, notre économie, notre modèle social : tous sont au carrefour de notre destin. Si nous ne voulons pas, demain, subir les bouleversements engendrés par le monde, c’est à nous, aujourd’hui, de tout changer.

Par leurs suffrages, les Français ont exprimé une idée claire : ils souhaitent tout autant un changement de cap qu’un changement de méthode. Cette méthode, c’est celle qui a guidé tout votre parcours politique. Ce besoin d’écouter en associant, de toujours chercher le meilleur compromis possible en considérant chaque partie prenante – le citoyen comme le parlementaire, le représentant des corps intermédiaires comme l’élu local. Cette méthode consiste à dire le réel, sans détourner le regard, mais avec le courage d’agir en conséquence, sans faiblesse, sans artifice ou faux-semblant, avec pour seule boussole le souci de l’efficacité et la volonté de servir l’intérêt supérieur de la Nation.

À propos de boussole, vous me permettrez de rappeler l’hommage que vous avez rendu ici même, le 28 avril 2009, à l’ancien président du Sénat, René Monory. Vous aviez alors salué chez lui « l’ouverture d’esprit comme méthode et le bon sens comme boussole ». Monsieur le Premier ministre, gardez ce cap !

Dans la période qui s’annonce, vous aurez la lourde tâche de tenir la barre avec fermeté. Face au tumulte, les enjeux qui engagent le destin de notre pays seront vos seuls guides. Il n’est plus temps d’égrener un chapelet de mesures : nous vous remercions d’avoir dégagé de grandes priorités. Il vous faudra agir vite, car, après tant d’atermoiements, c’est désormais l’urgence qui commande.

Vous n’êtes comptable de rien devant cette situation ; vous allez pourtant devoir apporter des réponses à tout. De même, la majorité sénatoriale – je pense notamment aux observations de notre rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson – a toujours mis en garde et tenté d’infléchir les choix budgétaires qu’elle considérait comme néfastes. Toujours, elle a proposé des alternatives. Elle n’en sera pas moins responsable. Nous aurons bien le temps, mes chers collègues, de nous occuper du bilan ; notre devoir immédiat est de nous attaquer aux solutions.

Collectivement, nous savons pouvoir nous appuyer sur l’un des enseignements de la Ve République : rien n’est perdu tant que la volonté, la clairvoyance et la ténacité s’en mêlent. En 1958, la France voyait son rang international contesté. Ses finances publiques étaient exsangues, son économie en panne et sa compétitivité disqualifiée. Il a fallu l’impulsion singulière du général de Gaulle pour provoquer ce sursaut collectif et remettre sur les rails un pays redevenu conquérant et gourmand de son avenir.

Vous l’avez démontré au cours de vos nombreux chantiers, notamment lors de la difficile négociation du Brexit : vous incarnez ce rejet de la fatalité, ce refus du renoncement. Puissiez-vous cultiver cette qualité, tant les chantiers qui attendent votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, sont nombreux.

Le redressement du pays passe avant tout par l’indispensable maîtrise de notre endettement. Avec la charge des intérêts, nous enregistrons cette année un détournement de fonds budgétaires supplémentaire de 50 milliards d’euros. Ce mur vers lequel nous avançons irrémédiablement nous prive des marges de manœuvre nécessaires à l’instauration des réformes indispensables pour l’avenir de notre pays, tout en l’affaiblissant aux yeux de ses partenaires internationaux. Pis : cette dette étant majoritairement détenue par des acteurs étrangers, elle constitue une menace intolérable pour notre souveraineté.

Nous en sommes conscients : vous héritez d’une situation en passe de devenir incontrôlable, qui imposera de prendre des mesures d’urgence. Néanmoins, nous devons prendre garde à certaines mesures de court terme. Nous ne rétablirons pas durablement nos finances publiques en entamant le consentement à l’impôt de nos concitoyens ou en chamboulant une énième fois le régime fiscal des entreprises, au risque de décourager les investisseurs dans l’Hexagone.

Les choix budgétaires devront être clairs dès cette année : dans un pays champion du monde de l’impôt et tenu à bout de bras par ses forces vives, l’assainissement durable de nos comptes ne peut advenir qu’avec une dépense publique plus rationnelle et, surtout, plus efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

Une augmentation de la pression fiscale n’est jamais une solution. Le risque d’affecter une croissance déjà fragile est grand. Nous veillerons à ce que les mesures prises en la matière aient un caractère exceptionnel et temporaire, sans conséquences sur nos classes moyennes.

Monsieur le Premier ministre, il ne peut y avoir de progrès social sans équité fiscale. Comme le souligne la formule consacrée, « à force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel ».

L’essentiel, pour les Français, est d’avoir un travail et de pouvoir en vivre dignement. À cet égard, je tiens à avoir une pensée particulière pour nos paysans et nos agriculteurs, (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) qui incarnent mieux que quiconque l’âme de cette France qui travaille, qui a le goût de l’effort pour subvenir aux besoins collectifs sans compter ni les heures ni les sacrifices.

L’hiver dernier, tous nous ont fait passer un message : ils veulent pouvoir vivre de leur travail sans stigmatisation ni entrave. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

L’essentiel, c’est encore notre sécurité, celle de nos enfants. Lentement, mais sûrement, l’autorité de l’État s’est peu à peu étiolée. Aujourd’hui, la violence sous toutes ses formes se propage. Si nous n’y prenons garde, c’est la cohésion de notre nation et la sérénité de notre démocratie qui se trouveront un jour irrémédiablement fracturées dans les urnes et dans la rue.

Bruno Retailleau, notre nouveau ministre de l’intérieur, auquel je veux rendre hommage (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Huées sur des travées des groupes SER et GEST.), souhaite assumer cette politique de fermeté au travers du rétablissement de l’ordre et de la reprise de nos frontières : enfin !

Monsieur le Premier ministre, nous croyons profondément que la sécurité est la première des libertés, le premier des droits que l’État doit garantir à ses citoyens et la première des conditions pour une société apaisée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Dans ce domaine, votre tâche sera ardue. Vous aurez à prendre des mesures concrètes et immédiates, mais également à agir sur le temps long en vous attaquant aux causes qui ont permis à cette situation de prospérer. Ce n’est qu’à ce prix que nous rétablirons la confiance dans l’ordre républicain et rendrons à tant de nos concitoyens ce dont ils sont privés : la tranquillité.

À ce stade de mon propos, je me dois d’aborder l’avenir de nos collectivités territoriales. Si la France a connu bien des régimes depuis deux cents ans, une seule entité n’a jamais été remise en cause : la commune (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.), parce qu’elle constitue la cellule de base de la démocratie et la patrie du quotidien.

Nos élus locaux se sont souvent sentis déboussolés, parfois découragés devant l’empilement de normes et un partage de responsabilités trop flou.

Face à cela, nous plaidons pour plus de liberté communale. Réaffirmée et facilitée, cette liberté doit permettre aux élus communaux et intercommunaux d’être les acteurs du destin de nos territoires, condition essentielle pour redonner du souffle à notre démocratie locale. Aussi, les orientations que vous venez de présenter, monsieur le Premier ministre, sont ici agréablement reçues.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de satisfaire les sénateurs impliqués de longue date sur la question des compétences en matière d’eau et d’assainissement, sur celle du statut de l’élu ou encore sur celle du ZAN. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Comme vous l’avez souligné, il s’agit plutôt de simplifier la vie des collectivités territoriales et de ceux qui les font vivre.

À ce propos, comment ne pas évoquer l’iniquité flagrante que constituent les déserts médicaux ? Le droit de se faire soigner ne peut plus être une option qui dépend de son lieu de résidence.

Là aussi, le sujet est complexe et les slogans ne changeront rien pour ceux de nos concitoyens qui voient s’éloigner les soins et s’allonger les mois d’attente avant une consultation. Nous observons que ce phénomène touche aussi bien nos villes que nos campagnes.

Parallèlement à celle de la santé, permettez-moi d’évoquer la question cruciale du logement, qui déterminera aussi la cohésion de notre société. Comment pourrait-il en être autrement entre des normes rigides, les diagnostics de performance énergétique (DPE) qui conduisent à exclure des centaines de milliers de logements du parc privé et des injonctions contradictoires réclamant aux élus de construire des logements tout en leur interdisant de bâtir pour respecter l’objectif ZAN ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette crise, monsieur le Premier ministre, n’est ni surprenante ni inéluctable, pas plus que ne le sont les autres difficultés que rencontre notre pays.

Nous devrons veiller collectivement à la préservation de notre école. C’est sans doute la clé de voûte de notre pacte républicain. Il n’y a pas de savoir sans transmission ni de promesse d’ascenseur social sans une école qui permette à chacun d’atteindre l’excellence.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Mathieu Darnaud. Je voudrais également saluer l’attention toute particulière que vous avez souhaité porter à la santé mentale, en l’érigeant en cause nationale pour 2025.

Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons parler de l’avenir de la France sans évoquer la situation de nos outre-mer, trop souvent perçus comme les catalyseurs des maux de notre société. Vous avez choisi de désamorcer la crise en Nouvelle-Calédonie : c’est sans doute une sage décision, mais il nous faut désormais aller plus loin.

Faute de nous attaquer aux causes économiques et sociales qui nourrissent les frustrations, des Antilles au Pacifique, en passant par la Guyane, nous laissons couver les crises de demain.

Toutefois, ces crises, elles non plus, ne sont pas inéluctables. Il faudra alors oser, et nous savons pouvoir compter sur notre ministre des outre-mer, François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, le Sénat s’est penché sur chacun de ces sujets. Je vous invite donc à piocher à volonté dans ses travaux : comme le dit souvent le président Larcher, ils sont libres de droits.

Ayant rappelé cette ambition, vous trouverez toujours dans le groupe Les Républicains du Sénat un aiguillon et un allié.

Nous ne nous arrêtons pas à ceux qui misent sur l’échec : s’ils veulent censurer le retour à l’ordre public, qu’ils l’assument ; s’ils s’opposent à la simplification pour les agriculteurs, pour les élus de proximité, pour la construction de logements, qu’ils l’indiquent clairement aux Français !

M. Pascal Savoldelli. Et les élections ?

M. Mathieu Darnaud. Dans cette période, nous devons réaffirmer la pertinence du bicamérisme, et je veux saluer le rôle déterminant de Gérard Larcher comme président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pour conclure, sachez, monsieur le Premier ministre, que nous ne doutons pas de votre volonté. Votre parcours politique, de la Savoie à Matignon, parle pour vous. Votre attachement à la France et votre expérience sont les meilleurs gages de notre réussite.

Vous avez aujourd’hui le courage de tenir un discours de vérité, esquissant les voies qui permettront de rendre à notre pays, à nos concitoyens, les moyens de maîtriser leur destin.

Tant que vous arpenterez cette ligne de crête, aussi périlleuse soit-elle, vous nous trouverez à vos côtés, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, qui aurait pu croire, au soir du 7 juillet dernier, que vous seriez aujourd’hui dans cet hémicycle, monsieur le Premier ministre ?

M. Mickaël Vallet. Alexis Kohler !

M. Patrick Kanner. Et qui aurait pu croire que vous seriez copieusement applaudi par la droite sénatoriale, jusqu’alors si prompte à critiquer la politique d’Emmanuel Macron ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

Depuis votre nomination, j’ai l’impression étrange que nous sommes entrés dans un monde parallèle, totalement déconnecté des réalités et des aspirations des Français. Quand je vous regarde, mesdames, messieurs les ministres, je vois la combinaison des perdants.

Non, pas une seconde je n’aurais cru m’adresser à vous dans ces conditions. Nulle naïveté de ma part, seulement droiture et respect de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Oui, j’ai sincèrement espéré que le Président de la République entendrait les trois principaux messages que nos concitoyens ont clairement exprimés lors des élections législatives : aspiration à une politique de gauche, avec le Nouveau Front populaire (NFP) arrivé en tête des suffrages (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) ; refus massif de la politique d’Emmanuel Macron ; rejet de l’extrême droite, au travers d’un front républicain solide.

Pourtant, nous voilà gouvernés par un exécutif de droite, sommé de poursuivre la politique menée depuis sept ans par Emmanuel Macron et adoubé par l’extrême droite.

Oui, je suis en colère ! Pas à votre encontre, monsieur le Premier ministre : vous ferez ce que vous pourrez. Pas contre vos ministres : s’ils ne sont plus démissionnaires, ils sont déjà probablement intérimaires. Ma colère est celle de ces millions de Françaises et de Français, qui voient leur vote balayé d’un revers de main…

M. Xavier Iacovelli. Ils n’ont pas voté socialiste !

M. Patrick Kanner. … par un Président de la République qui, même lourdement sanctionné par les urnes, ne doute jamais de rien et surtout pas de lui-même ! (M. Xavier Iacovelli sexclame.)

Je suis en colère, parce que l’on ne mesure pas le ressentiment que cette impunité peut provoquer chez nos concitoyens : un ressentiment profond et durable envers ceux qui les gouvernent, le sentiment que leur voix ne compte pas.

Ma colère porte enfin sur l’état de la France, qui subit les conséquences d’un septennat d’incurie, de déni et de mépris.

Je me permets de m’adresser plus particulièrement à mes collègues de droite : mes chers collègues du groupe Les Républicains, lorsque vous quittez les murs du Sénat pour vous rendre dans vos départements, comment parvenez-vous à assumer sincèrement votre participation à cette mascarade devant les Français qui vous interpellent ? (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Tout va bien ! Ne nous inquiétez pas pour nous !

M. Patrick Kanner. Vous qui avez si bruyamment combattu la politique menée depuis sept ans par le Président de la République, comment pouvez-vous aujourd’hui justifier ce choix en regardant les Français droit dans les yeux ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

Quand on estime, comme M. Retailleau, que « la droite n’est pas soluble dans le macronisme », comment peut-on se fondre ainsi dans l’union des droites, de Macron au Rassemblement national ? (M. Olivier Paccaud sexclame.)

Quand on se dit gaulliste, comment peut-on accepter de prêter main-forte à un Président de la République qui restera celui qui a le plus affaibli nos institutions ? (Il a raison ! sur les travées du groupe SER.)

Quand on doit l’élection de vingt-quatre de ses quarante-sept députés au front républicain, comment peut-on consentir à diriger un gouvernement sous surveillance du Rassemblement national, pis encore, sous son influence ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Aujourd’hui, vous vous inscrivez dans le bilan d’Emmanuel Macron : vous devrez l’assumer à l’avenir. Oui, ce bilan sera votre fardeau, monsieur le Premier ministre.

M. Jacques Grosperrin. Et celui de François Hollande le vôtre !

M. Patrick Kanner. Je pense d’abord et bien sûr aux finances publiques, qui connaissent une trajectoire cataclysmique.

Je pense aussi aux choix budgétaires, qui affaiblissent nos services publics et frappent les revenus des ménages les plus modestes, qui mettent à mal notre protection sociale et notre modèle républicain.

Le Mozart de la finance et le Beethoven du ruissellement (Sourires sur les travées du groupe SER.) se sont révélés n’être que des joueurs de piano mécanique mal accordé, des maestros en chambre qui ont dégradé lourdement la signature de la France et le niveau de vie des Français.

Vous avez annoncé hier que vous souhaitiez ramener le déficit à 5 % du PIB d’ici à l’année prochaine. Pour mémoire, sur les trente dernières années, il n’y a que la gauche au pouvoir qui ait réduit le déficit, notamment sous le quinquennat de François Hollande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Loïc Hervé. Quelle mauvaise foi !

M. Patrick Kanner. A contrario, vous êtes comptables de la destruction de 58 milliards d’euros de recettes fiscales par an. Vous avez fait le choix de réduire les dépenses, ce qui est la doxa habituelle de l’idéologie libérale que vous partagez avec Emmanuel Macron.

Fait nouveau, vous avez aussi évoqué la possibilité d’augmenter certaines recettes en faisant contribuer davantage les plus riches, entreprises et particuliers. Je me réjouis de votre adhésion à ce que nous défendons depuis des années.

Allez, faites encore un effort, monsieur le Premier ministre : parlez-nous de contributions pérennes et non pas exceptionnelles ; parlez-nous d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de flat tax, d’exit tax, de niches fiscales inutiles et vous verrez que la richesse sera encore mieux répartie dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.) Voilà où vous retrouverez des marges financières, mais certainement pas en amputant de 50 millions d’euros les crédits alloués à La Poste ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Les mauvais choix opérés ont également conduit à l’affaiblissement de la France sur la scène internationale, et ce dans un contexte de grandes tensions. La compétition internationale est exacerbée et nos valeurs sont malmenées, avec des institutions multilatérales moins respectées et des États autoritaires qui montent en puissance.

Comment allez-vous gérer les influences du Rassemblement national à l’heure des choix européens ? Êtes-vous en mesure de nous confirmer votre soutien à l’Ukraine avec de tels alliés ? Êtes-vous toujours convaincu qu’il faille remettre en cause la supériorité du droit européen sur le droit national en matière d’immigration ?

Nous n’avons pas la même vision. La nôtre, qui est majoritairement partagée par nos concitoyens, est celle d’un espoir (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), celui de l’amélioration des conditions de vie. C’est la raison d’être du socialisme réformiste. (M. Stéphane Ravier sexclame.)

M. Stéphane Piednoir. Un peu d’humilité !

M. Patrick Kanner. Notre ADN se caractérise aussi par la volonté de nous appuyer sur les collectivités territoriales. Non, ces dernières ne sont pas responsables de la situation catastrophique de nos finances publiques !

Sur les 880 milliards d’euros supplémentaires de dette publique accumulés entre 2017 et 2023, le poids des collectivités ne représente que 10 milliards d’euros de cette aggravation, soit 1,3 % seulement, alors qu’elles supportent 70 % de l’investissement public. Elles n’ont aucune leçon de gestion à recevoir de la part de gouvernements qui n’ont cessé de creuser les déficits de l’État.

Au nom de l’ensemble de mes collègues socialistes, je tenais ici à saluer les collectivités et leurs élus, sans qui la vie démocratique de notre pays ne pourrait exister. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Stéphane Ravier et Olivier Paccaud sexclament.)

Je pense notamment à ceux de ces élus qui sont chargés du logement et qui s’inquiètent du manque d’ambition de votre discours, après des années d’inaction. Une inaction coupable, tant les chiffres de la construction sont historiquement bas et tant la tension est extrême sur le marché locatif, avec des niveaux de loyers intenables pour les ménages.

Aujourd’hui, 2,7 millions de ménages sont en attente d’un logement social : un triste record, dont les conséquences économiques et sociales touchent tous les territoires.

Autre angle mort de votre discours : la lutte contre les déserts médicaux. Il y a urgence à agir, monsieur le Premier ministre. La difficulté d’accès aux soins est l’un des ressorts les plus puissants du sentiment d’abandon dans nos territoires.

Notre collègue Darnaud l’a rappelé : lorsque vous patientez des mois avant d’obtenir un rendez-vous chez un spécialiste et que vous devez parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour vous y rendre, vous ressentez forcément cette relégation au plus profond de votre chair. Le programme Hippocrate que vous avez annoncé hier n’y changera rien.

En ce qui concerne l’hôpital public, votre discours ne nous rassure pas davantage. Quand l’hôpital s’effondre, vous vous contentez de vouloir limiter la paperasse, sans évoquer l’urgence de lui donner les moyens financiers de se redresser. Cette réponse n’est pas la hauteur des attentes des patients et des soignants. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Quant à l’école de la République, qui reste encore le premier budget de l’État, elle n’a occupé hier que deux minutes trente de votre déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, avec comme seule proposition concrète le recours à des enseignants retraités.

Ce n’est pas à la hauteur des enjeux. Il est temps d’accorder enfin à notre école publique les moyens nécessaires pour fonctionner dans de bonnes conditions : baisse du nombre d’élèves par classe, amélioration de l’accueil des élèves en situation de handicap, revalorisation du salaire des enseignants et de l’ensemble des personnels, qui œuvrent au quotidien dans les établissements, amélioration de la mixité sociale et scolaire.

L’école de la République est aujourd’hui à bout de souffle, malmenée par les réformes successives depuis 2017,…

M. Max Brisson. Depuis plus longtemps !

M. Patrick Kanner. … qui s’inscrivent toutes dans un sillon libéral et inégalitaire ; le choc des savoirs et les groupes de niveau en sont les derniers exemples criants. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

L’école à un coût, mais n’a pas de prix. Elle représente un investissement d’avenir pour notre pays.

C’est la même logique qui guide nos propositions concrètes et efficaces pour la transition écologique, sans rogner sur le pouvoir de vivre des Français. Votre feuille de route en la matière tient plus du discours de la méthode que d’un programme d’action. Vous ne réduirez la dette écologique qu’en mettant en place des outils sérieux.

Planifiez la suppression de l’ensemble des niches fiscales polluantes en les remplaçant par des aides à la transition et agissez en priorité sur les causes du réchauffement, sans vous contenter de vous adapter à ses effets : c’est à cette condition que vous nous trouverez à vos côtés.

Pour ce qui concerne les jeunes, il nous faut combattre la précarité qui les frappe, favoriser leur émancipation et garantir les meilleures conditions d’études et de recherche.

Pour les actifs, augmentons les salaires.

Pour les agriculteurs, assurons des revenus justes et décents.

Pour les retraités, sanctuarisons la revalorisation des pensions, qui semble déjà menacée. Est-il vrai que vous comptez décaler au 1er juillet prochain la revalorisation annoncée ? J’attends votre réponse, monsieur le Premier ministre.

Enfin, abrogeons la réforme des retraites, injuste et inutile.

Sur tous ces sujets, monsieur le Premier ministre, nous avons des propositions à vous faire. (Mêmes mouvements.)

J’évoquerai un dernier dossier sensible, symbole d’une gouvernance de l’échec : la Nouvelle-Calédonie. Par tous les moyens, nous avons alerté les gouvernements de l’époque et la droite sénatoriale, qui est aujourd’hui une composante de votre exécutif, sur les dangers d’un passage en force. Un dégel du corps électoral ne pouvait pas s’imposer, contrairement à ce que souhaitait pourtant Gérald Darmanin, soutenu à l’époque par MM. Retailleau et Buffet.

Face à la crise et à l’impossibilité d’organiser un scrutin en plein chaos, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé un texte prévoyant le report des élections. Il faut vous en emparer, monsieur le Premier ministre ! Ce report servira à la reconstruction et permettra de renouer avec la méthode du dialogue, celle des accords de Matignon et de Nouméa.

Hier, à ce sujet, vous avez opéré un virage à 90 degrés : je me félicite de cette lucidité, mais j’ai une pensée pour les treize morts et leurs familles. Je regrette aussi les 3 milliards d’euros de dégâts, les destructions d’emplois. Emmanuel Macron porte la responsabilité de la crise institutionnelle et existentielle dans laquelle est plongé le Caillou. Elle restera l’acmé de son obstination et de son entêtement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

À travers tous ces choix, Emmanuel Macron nous aura montré les limites de notre système. Il nous aura convaincus de la nécessité de démocratiser nos institutions, les mêmes qu’il aura tant malmenées.

Monsieur le Premier ministre, je vous le certifie : plus que jamais, la gauche fera entendre sa voix au Parlement. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, nous porterons des propositions afin, notamment, de garantir l’égalité territoriale, particulièrement dans les outre-mer. Nous défendrons des mesures permettant aux Français de vivre dignement de leur travail et d’accéder à un logement abordable, ainsi qu’une politique de la ville ambitieuse, des dispositions en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’octroi de moyens à nos collectivités. Nous en proposerons également afin de renforcer nos services publics, d’assurer la sécurité de nos concitoyens, de mettre en œuvre une réelle politique du grand âge, d’engager une transition écologique ambitieuse et, bien sûr, mes chers collègues, de défendre l’État de droit ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. Il faut conclure.

M. Patrick Kanner. Vous le voyez, monsieur le Premier ministre, une autre voie est possible (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.), celle de l’égalité réelle sur tout le territoire, celle de la justice sociale, fiscale comme environnementale, celle de l’apaisement de la société et du renforcement de la République ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues : « Pays gravement endetté, très déficitaire chaque année, sous le coup d’une procédure pour déficit excessif à Bruxelles, réfractaire à toute baisse des dépenses publiques, sans majorité à l’Assemblée nationale, recherche Premier ministre. Amateurs s’abstenir… » C’est en substance la petite annonce qui est parue après ces merveilleux jeux Olympiques. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, vous avez accepté cette mission, ce dont je vous félicite. C’est militaire. C’est gaullien. C’est de la haute montagne. (Sourires.)

Vous êtes parvenu à rassembler un gouvernement aussi large que possible. À nos yeux, il aurait pu être plus étoffé encore si vous ne vous étiez pas heurté, à gauche et à l’extrême gauche, au dogmatisme, au verrouillage et à la stratégie du chaos. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Mickaël Vallet. La paille et la poutre !

M. Hervé Marseille. Le président Kanner vient à l’instant d’évoquer un monde imaginaire. Pour ma part, je trouve que le Nouveau Front populaire relève de la collection Harlequin : un monde de rêve avec une Première ministre imaginaire… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)

Mme Cécile Cukierman. N’importe quoi !

M. Hervé Marseille. Je le regrette, car il existe une gauche de gouvernement dont les femmes et les hommes auraient pu être utiles au pays dans cette période difficile. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

En revanche, je ne peux que saluer à mon tour le retour en grâce du Sénat. Le talent de notre assemblée semble enfin avoir été redécouvert. Depuis 2017, monsieur le Premier ministre, nous étions assignés à résidence ; aujourd’hui, dix des nôtres, issus de quatre groupes différents, sont à vos côtés.

Aujourd’hui, le Sénat is back, comme on dit en bon savoyard ! (Rires sur les travées du groupe UC.) Votre responsabilité, notre responsabilité sont à la hauteur de la situation, c’est-à-dire lourdes. Il y a une quasi-obligation de résultat.

De mauvais esprits spéculent sur la capacité de ce gouvernement à durer. Mais existe-t-il une alternative ?

À droite, 142 députés ne peuvent trouver aucun allié. À gauche, la volonté de Jean-Luc Mélenchon, que fait sienne Olivier Faure, consiste à appliquer le programme, tout le programme, rien que le programme du Nouveau Front populaire, ce qui bloque toute possibilité d’avancer.

Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement est à l’image du socle parlementaire qui a permis l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale. Au moins, cette élection a prouvé qu’une majorité, même relative, pouvait se dégager. C’est ce socle que votre gouvernement représente aujourd’hui dans sa diversité. Désormais, pour chaque texte, il faudra rééditer l’exploit.

Car la base parlementaire sur laquelle votre action peut s’appuyer n’est pas intangible – c’est un euphémisme. Elle peut s’effriter ou, éventuellement, s’étoffer selon l’approche que l’on adopte sur tel ou tel sujet. La conséquence immédiate de la nouvelle donne est que le barycentre de la vie politique s’est déplacé vers le Parlement et, singulièrement, vers le Sénat.

Tout cela doit nous inciter à légiférer mieux, à légiférer juste, mais aussi à légiférer moins. Légiférer mieux et juste implique, comme vous le pointiez du doigt, monsieur le Premier ministre, de définir une nouvelle méthode d’action.

Selon nous, cette méthode gagnerait à reposer sur trois volets.

D’abord, pour éviter la paralysie, le Parlement devrait, à travers ses commissions, être associé le plus en amont possible à l’élaboration de la loi.

Ensuite, comme vous l’avez indiqué, nous ne pourrons pas non plus réussir sans faire confiance aux partenaires sociaux, sans les replacer, eux aussi, au centre des échanges.

Enfin, et vous l’avez vous-même souligné, il faut davantage associer le Parlement aux travaux européens. Il faut plus de collaboration et d’articulation en amont pour ne pas découvrir ce que l’Union européenne a fait au moment des transpositions et, surtout, pour éviter les surtranspositions. Je formulerai une suggestion à cet égard : l’analyse du droit communautaire existant ou en gestation pourrait figurer de manière substantielle dans l’exposé des motifs des projets et des propositions de loi.

La méthode doit évoluer, les institutions aussi. À ce sujet, nous ne pouvons que nous réjouir de votre ouverture sur la question de la proportionnelle. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et GEST.)

M. Hervé Marseille. Nous y sommes historiquement attachés dans le cadre d’un scrutin plutôt départemental et à condition de revenir à un cumul raisonné des mandats pour que les élus d’exécutifs locaux puissent s’engager.

Il faudrait aussi légiférer moins. À cet égard, on n’a rien inventé de mieux qu’une majorité difficile pour lutter contre la surproduction législative.

En fait, beaucoup peut être fait sans passer par la loi. En appliquant les textes déjà votés et les règlements existants, notre pays ne serait déjà plus tout à fait le même.

Pour mémoire, c’est ce que l’on a fait avec France Services, dont vous avez cité l’exemple hier à l’Assemblée nationale. En réponse à la crise des « gilets jaunes », il n’y a pas eu besoin de loi nouvelle pour créer ce réseau, qui a permis de rapprocher les services publics des usagers.

De même, nous n’avons pas besoin de loi nouvelle pour lutter contre la fraude sociale et fiscale, pour obtenir des États tiers plus de laissez-passer consulaires afin de faire exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF), ou pour favoriser le dialogue social et prévenir autant que faire se peut les grèves et les conflits sociaux.

Sur le fond, les attentes de nos concitoyens sont pressantes et immenses. Pour autant, elles sont souvent très contradictoires. Mais s’il est une constante dans ce qui s’est exprimé, c’est ce cri d’alarme concernant le pouvoir d’achat, poussé en particulier par ceux qui perçoivent un bas salaire, par les ménages modestes et les familles monoparentales. C’est votre premier chantier, monsieur le Premier ministre, sur lequel je concentrerai mon intervention.

Les questions de logement et d’énergie sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens, ces deux postes représentant souvent près de 50 % de leur budget. Ils ne pourront donc pas retrouver foi en l’avenir si nous ne commençons pas par traiter ces sujets.

Nous savons à quel point votre ministre du logement, qui était jusqu’à il y a peu membre de notre groupe, est déterminée à remplir sa mission – tous ceux qui, dans l’administration, ont eu affaire à elle concernant le ZAN sont aujourd’hui en cure de repos ! (Rires sur les travées du groupe UC.) Il faut être très prudent…

Par ailleurs, la maîtrise de notre énergie suppose une stratégie de long terme en adéquation avec nos objectifs climatiques. Une loi de programmation énergétique aurait dû être adoptée il y a un an. Il nous faut rattraper ce retard au plus vite.

Nous partageons votre engagement environnemental, monsieur le Premier ministre, mais une écologie efficace doit être réaliste et permettre à chacun de s’adapter à la transition. Nous nous réjouissons donc de l’aménagement de certains dispositifs, tels que le DPE et le ZAN.

Parmi les préoccupations sociales de nos concitoyens figure également la prise en charge de la dépendance, toujours reportée, alors qu’elle est rendue plus urgente que jamais par une démographie en berne.

Ces objectifs sociaux ne peuvent pas entrer en contradiction avec l’impératif vital de redresser nos comptes publics. Toute la difficulté réside dans notre capacité à les concilier.

À ce sujet, seul un discours de vérité nous permettra de sortir de l’ornière. Le déficit doit être résorbé, et il est impératif de réduire la dépense publique. À cet effet, le Sénat avait proposé l’année dernière une série de mesures permettant de dégager 7 milliards d’euros d’économies. Ces propositions demeurent valables.

Toutefois, nous n’avons jamais été hostiles à conjuguer économies et recettes nouvelles, car nous savons que les économies ne suffiront pas. Nous pourrions par exemple revoir le niveau de la flat tax, taxer les rachats d’actions ou encore les superprofits, comme nous l’avons déjà proposé par le passé.

Permettez-moi maintenant d’élargir mon propos : le besoin de justice et le mécontentement s’expriment aussi dans nos campagnes. Les agriculteurs ne se satisferont pas longtemps du statu quo en vigueur depuis le mouvement de février dernier. Plus largement, le sentiment d’abandon prédomine dans ces territoires.

Nous savons que votre gouvernement, tout comme les précédents orateurs, en a profondément conscience. Faire aboutir le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, comme vous vous y êtes engagé, est donc une priorité que nous soutiendrons.

Nous vous remercions en outre, monsieur le Premier ministre, d’avoir fait allusion au maintien des services publics territoriaux, notamment à la présence postale, qui nous semble importante.

Une autre colère s’exprime, celle de nos concitoyens quotidiennement confrontés aux incivilités et à la délinquance des mineurs. Il faut enfin apporter une réponse aux émeutes de l’été 2023. Les propositions sur la comparution immédiate des mineurs en font partie. Il faut agir vite pour juguler le sentiment d’impunité qui gangrène la société. Nous voulons des réponses pénales rapides, certaines et dissuasives.

La colère gronde également dans les outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et aux Antilles. Il y a urgence à apporter des solutions. Il y a urgence aussi à rouvrir le dialogue avec la collectivité de Corse. Il faut retourner au plus vite à la table des négociations et, là encore, s’entendre sur une méthode pour avancer et, si possible, conclure – soyons optimistes.

Enfin, comment ne pas dire un mot de la situation internationale ?

À l’approche du triste anniversaire du 7 octobre 2023, j’ai moi aussi une pensée pour les otages, notamment pour nos deux concitoyens encore détenus.

Entre le risque d’embrasement au Proche-Orient, l’enlisement en Ukraine, la menace chinoise sur Taïwan et le drame du Soudan, jamais, depuis plus de soixante ans, les tensions n’avaient été aussi vives. Sans nous bercer d’illusions sur notre capacité d’influence, nous estimons que la France doit mobiliser ses ressources pour tenter de les apaiser.

En conclusion, monsieur le Premier ministre, j’ai la conviction que nous ne reprendrons notre destin en main que dans le cadre européen. Nombre de sujets brûlants, à commencer par l’immigration ou la politique méditerranéenne, doivent être réévalués dans une perspective européenne.

Il en va de même de tous les grands enjeux d’avenir, car l’urgence de la situation ne doit pas nous les faire perdre de vue.

Ces objectifs ont récemment été rappelés dans le rapport Draghi : il s’agit de combler notre retard technologique, de concilier décarbonation et compétitivité et de renforcer notre souveraineté en réduisant nos dépendances. D’un point de vue institutionnel, ledit rapport nous invite en outre à produire moins de normes et à dégager plus de majorités qualifiées à l’échelon européen.

Vous l’aurez compris, monsieur le Premier ministre, vous pourrez compter sur le soutien du groupe Union Centriste pour accompagner votre action. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, permettez-moi, pour commencer, de m’associer aux propos qui ont été tenus sur la situation actuelle au Moyen-Orient.

C’est en effet dans un contexte international grave et dans une situation politique intérieure inédite qu’intervient votre déclaration de politique générale. Vous y dévoilez les contours et les priorités de votre action gouvernementale.

Entre une extrême gauche à l’offensive et une extrême droite aux aguets, la situation appelle de notre part de la lucidité, du courage politique et de la responsabilité collective. La tâche est difficile, mais les Français ne nous pardonneraient pas d’échouer face aux défis qui nous attendent.

Je vous le dis clairement : nous souhaitons que le Gouvernement réussisse parce que c’est dans l’intérêt de la Nation !

Depuis 2022, les Français nous enjoignent, par leurs votes, de faire émerger une culture du compromis. Après les occasions manquées, l’heure est au dialogue et au dépassement. La réponse doit être à la hauteur.

Aucune formation politique n’a remporté les dernières élections législatives. Comme dans toute démocratie, le pouvoir revient donc à ceux qui savent former une coalition. (M. Yannick Jadot sesclaffe.)

Monsieur le Premier ministre, vous avez raison de faire du dialogue et de l’écoute votre mode d’action. Aujourd’hui, nous le voyons, il y a ceux qui se réfugient dans l’opposition systématique, stérile et inopérante, par l’invective ou l’anathème, et ceux qui acceptent de prendre leur part de responsabilité, de relever leurs manches et d’œuvrer pour l’intérêt général.

Les dirigeants de l’arc républicain disposent des moyens politiques et institutionnels pour gouverner ensemble et prouver aux Français que la victoire des extrêmes en 2027 n’est pas inéluctable. Nous pouvons réussir, à condition de le vouloir.

À cet instant, il me revient en mémoire une phrase du discours qu’a prononcé à Évreux celui qui fut mon modèle en politique, Pierre Mendès France. Selon lui, le problème est moins celui des institutions que celui des hommes. Défendant une conception exigeante de la démocratie, Mendès France affirmait alors que la vertu politique exige des élus et des responsables politiques qu’ils placent leur devoir, leur fidélité au-dessus de leurs intérêts de carrière, au-dessus de leur ambition, au-dessus de leur réélection. Il s’agissait d’un appel au courage et à l’action, au risque de l’impopularité.

Ce qu’il disait alors s’applique pleinement à la situation que nous connaissons : « C’est la vertu reconnue des institutions parlementaires, quand elles fonctionnent bien et correctement, d’assurer la salutaire confrontation des thèses. »

Oui, le résultat inédit des dernières élections législatives nous offre l’occasion unique de nous hisser au niveau de la maturité politique de la plupart de nos voisins et de renouer avec la culture du compromis.

Parce que nous avons toujours été des partisans de la main tendue, nous resterons ouverts, mais résolument fermes et déterminés sur nos valeurs.

Monsieur le Premier ministre, vous avez dit vouloir garantir le respect et la protection de notre État de droit – je le salue. Vous avez dit ne vouloir remettre en cause aucune des libertés acquises et ne tolérer aucune discrimination – cela reflète également notre exigence. On évite d’ailleurs ainsi les vaines querelles et les procès d’intention, les coups d’éclat médiatiques qui ne servent pas toujours…

Vous avez fait de l’exigence budgétaire une priorité – nous la partageons.

Nous faisons le choix des économies, conscients de la difficulté de la tâche, tout en sachant que nous ne pourrons pas nous exonérer de trouver des recettes supplémentaires. Mais, comme vous l’avez signalé, il n’est pas question de voter des hausses d’impôts pour les Français qui travaillent, qui produisent, qui innovent et qui créent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Souvenez-vous de Laurent Fabius déclarant que « trop d’impôt tue l’impôt » : comme cela a été rappelé ces derniers jours, notre pays est l’un des plus imposés au monde, l’un de ceux où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. Alors, inutile de briguer une médaille d’or olympique en la matière, sachant quelles conséquences cela aurait pour notre économie, pour l’attractivité de notre pays, pour la croissance et le pouvoir d’achat des Français !

Il est possible de revenir sur l’action publique sans la dégrader ; nous pouvons en effet la rendre plus efficiente tout en réalisant des économies substantielles.

Toutes les pistes d’économies doivent être explorées, en matière de santé, par exemple. J’anticipe vos reproches en vous disant que, dans ce domaine, je suis prêt à débattre de notre bilan avec tous ceux qui le souhaiteraient. Voilà un secteur dans lequel nous avons investi comme jamais auparavant : 30 milliards d’euros ont été consacrés à l’hôpital en trois ans ! C’est un effort sans précédent, qu’aucun gouvernement n’avait jamais consenti jusqu’alors. Et pourtant, on affirme aujourd’hui que celui-ci va mal…

En matière de santé, il y a donc des économies à faire, sans pour autant détériorer l’accès aux soins ou leur qualité : je pense à la multiplication d’actes parfois inutiles, aux actes redondants, au prix de certaines prothèses – sachez qu’une même prothèse cardiaque coûte 12 000 euros en France, quand elle ne coûte que 4 000 à 5 000 euros en Allemagne –, ou encore au poids de l’administratif à l’hôpital.

Nous devrons partager les efforts, monsieur le Premier ministre, ce qui nécessite un travail de pédagogie sans précédent. Pour être acceptés, les choix doivent en effet être compris, et ce d’autant plus que l’on ne pourra pas consentir à cet effort budgétaire au détriment de la cohésion de notre société, de la sécurité des Français et de la justice sociale.

J’ai ici une pensée toute particulière pour nos concitoyens qui vivent en outre-mer, qui sont confrontés à la violence, aux tensions, à la vie chère.

Si la Nouvelle-Calédonie a retenu légitimement toute notre attention, elle ne doit pas masquer les difficultés profondes et réelles dont souffrent les autres territoires. Je pense bien sûr à la Polynésie française, à la Martinique, à la Guadeloupe, à La Réunion, à la Guyane et à Mayotte, mais pas seulement. Tous les Français, d’où qu’ils viennent, doivent bénéficier des mêmes chances, d’une égalité de destin.

En matière de sécurité, vous voulez des résultats concrets, rapides et visibles. Sans doute faut-il faire preuve d’une plus grande fermeté pour lutter contre l’insécurité et protéger nos concitoyens, mais les mesures et les actes en la matière devront respecter les principes qui fondent notre République, c’est-à-dire les droits et les libertés de chacun. Nous soutiendrons ces décisions si elles respectent l’État de droit et le devoir d’humanité.

J’aborderai à présent deux sujets importants pour l’avenir de notre économie.

Vous avez indiqué, monsieur le Premier ministre, vouloir reprendre – si nécessaire – l’examen du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole. Il appartiendra au Sénat – et je ne doute pas qu’il le fera – de parfaire ce texte et d’y intégrer des volets qui en ont été écartés, car la problématique est plus vaste que celle qui y est soulevée.

Il est fondamental que le Parlement agisse rapidement afin d’ouvrir de nouvelles perspectives pour nos agriculteurs. Les menaces climatiques et les risques géopolitiques qui pèsent sur nos exploitations agricoles inquiètent, à l’heure où nous devons refonder notre modèle agricole. En la matière, nous ne pouvons indéfiniment repousser une réforme du foncier.

Le second sujet que je souhaite aborder est le logement. Nous soutiendrons la politique du logement qu’il est nécessaire de mener pour les Français et pour notre économie. À cet égard, il devient impératif de rouvrir le débat sur le zéro artificialisation nette, qui complique la tâche des élus souhaitant construire plus de logements pour faire face à la demande.

Par ailleurs, le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables que Guillaume Kasbarian – que je salue – devait présenter en juin au Sénat répondait à des aspirations de nos concitoyens et des élus locaux. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier.

En outre, les simplifications sont une impérieuse nécessité. La suradministration, l’excès de normes et la multiplication des intervenants nuisent à l’efficacité publique. Il est temps – et je pense que le Président de la République partage mon avis – de donner aux préfets plus d’autorité sur leurs administrations.

Nous devons introduire de la souplesse et de la flexibilité pour rendre à nos concitoyens et à nos élus locaux, qui sont souvent découragés, leur capacité d’initiative et d’innovation. Voilà une voie pour écrire le nouveau contrat de responsabilités entre les collectivités locales et l’État.

Enfin, l’accroissement du pouvoir d’achat n’est pas possible sans une revalorisation de la valeur travail. J’insiste sur cette valeur, car nous avons lutté pendant sept ans contre sa désacralisation. C’est par un travail mieux rémunéré et source d’émancipation que nous améliorerons le pouvoir d’achat.

Monsieur le Premier ministre, seule l’union des volontés républicaines contribuera à faire avancer notre pays. Cela relève de l’éthique politique, quand se cacher derrière les postures relève de l’imposture.

Le Sénat, qui est rompu à la construction de compromis, est plus que jamais appelé à jouer un rôle éminent, au moment où l’Assemblée nationale, comme nous l’avons vu hier, ressemble à une arène où le combat remplace le débat.

Le groupe RDPI sera toujours dans le camp de l’action déterminée. Il agira avec vigilance et, comme il l’a toujours fait, dans le dépassement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en écoutant il y a quelques instants l’analyse de la situation politique par le président du groupe socialiste, j’ai brusquement fait une sorte de cauchemar éveillé… (Exclamations amusées.)

M. Mickaël Vallet. Un Valium !

M. Claude Malhuret. Je me tenais ici, à cette tribune, et en face de moi, à la place où vous vous trouvez, monsieur le Premier ministre, ce n’était pas vous : c’était Lucie Castets. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. Claude Malhuret. À ses côtés se tenaient Sandrine Rousseau, ministre des finances et de la décroissance ; Sophia Chikirou, garde des sceaux ;…

Mme Laurence Rossignol. Que des femmes !

M. Claude Malhuret. … Aymeric Caron, ministre de l’écologie et des insectes (Nouveaux rires sur les mêmes travées.) ; Sébastien Delogu, ministre de la mémoire et des anciens combattants (Mêmes mouvements.) ; Louis Boyard, ministre du développement durable du cannabis (Mêmes mouvements.) et Jean-Luc Mélenchon, ministre des affaires étrangères et de l’amitié avec la Russie, le Hezbollah et l’Alliance bolivarienne ! (Rires et applaudissements sur les mêmes travées.)

Mme Cécile Cukierman. La gauche a voté pour vos députés !

Mme Silvana Silvani. Il y a du niveau…

M. Claude Malhuret. Lorsque j’ai rouvert les yeux, je me suis aperçu que j’étais en train de tomber de mon siège.

Mme Cécile Cukierman. Vous comptez ne parler que de la gauche ?

M. Claude Malhuret. Les propos du président du groupe socialiste montrent que l’on ne peut aborder ce débat sans faire d’abord table rase de l’invraisemblable campagne qui est menée depuis des semaines par le Nouveau Front populaire pour convaincre les Français que l’élection leur a été volée,…

M. Jérôme Durain. Et la France ?

M. Claude Malhuret. … que votre gouvernement est illégitime et que vous êtes l’otage du Rassemblement national.

Cette campagne va se poursuivre, plus virulente que jamais, comme le prouve le discours de fureur et de haine que Mme Panot a prononcé hier à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

Le soir des élections, le 7 juillet dernier, à vingt heures zéro une, à la télévision, tous les chefs de partis ont été priés de passer leur tour pour permettre à celui de LFI de prononcer cette phrase : « Nous sommes arrivés les premiers, nous devons former le Gouvernement. » L’échec huit jours plus tard du candidat du NFP à l’élection pour la présidence de l’Assemblée nationale a démontré de manière évidente que cette intox constitutionnelle était une imposture. Mais la vague médiatique et les ragots sociaux se sont transformés en tsunami et le mensonge s’est changé en vérité.

Il faut donc le répéter : l’élection n’a été volée à personne ! (Mme Cécile Cukierman proteste.) Et si elle a été volée, c’est aux électeurs de gauche par les dirigeants de l’extrême gauche, qui ont joué une invraisemblable partie de poker menteur avec leurs partenaires, comme l’ont rappelé samedi dernier à Bram Bernard Cazeneuve, Carole Delga et Raphaël Glucksmann (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.),…

Mme Cécile Cukierman. Occupez-vous de la droite et laissez-nous gérer la gauche !

M. Claude Malhuret. … qui ne semblent – c’est étrange ! – pas du tout d’accord avec l’analyse de notre ami Patrick Kanner. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Patrick Kanner. J’y étais à Bram !

M. Claude Malhuret. Vous pouvez donc confirmer ce que je dis ! (Rires.)

M. Patrick Kanner. Vous en avez oublié deux !

M. Claude Malhuret. Pendant les quinze jours qui ont suivi le 7 juillet, le mot d’ordre fut : « Macron doit nommer immédiatement un Premier ministre du NFP. » Question des journalistes : « Qui est votre candidat ? » Réponse : « On ne sait pas, on n’arrive pas à se mettre d’accord. »

Après deux semaines de bras de fer et de crises de nerfs, une inconnue tombe enfin du ciel : pendant vingt-quatre heures, Huguette Bello devient le nouveau dalaï-lama (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.), jusqu’à ce qu’on découvre qu’elle n’est pas woke, mais alors pas woke du tout : elle est anti-mariage pour tous et tout le tralala. (Mêmes mouvements.)

Mme Céline Brulin. Diffamation !

M. Claude Malhuret. Panique au NFP ; exit Huguette ! (Mêmes mouvements.)

Quelqu’un propose alors Laurence Tubiana, organisatrice de la COP21.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous n’avez rien à dire sur le Gouvernement ?

Mme Audrey Linkenheld. Ce n’est pas sympa pour Barnier…

M. Claude Malhuret. Horreur, on s’aperçoit que Macron l’a nommée à l’Unesco. Une macroniste Première ministre du NFP ? La « fisha » absolue… Exit Laurence !

Au bord du gouffre, alors qu’il n’allait plus rester que Ségolène Royal (Rires sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.), on finit par débusquer dans les combles de la mairie de Paris une sémillante fonctionnaire jamais élue nulle part et coanimatrice de l’incroyable dette de 10 milliards d’euros de la capitale. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Patrick Kanner. Parlez du Gouvernement, c’est mieux !

M. Claude Malhuret. Par miracle, cet Annapurna de la pensée politique, auprès de qui les Bertrand, Cazeneuve ou Barnier ne sont que des billes, accepte de faire bénéficier les Français de son inexpérience. (Rires sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.) Le NFP tient sa Première ministre. Du moins, c’est ce que croient les socialistes, les écolos et les communistes. Ce qu’ils n’ont pas compris – et l’on s’étonne d’une telle naïveté –, c’est que jamais Mélenchon n’a envisagé un Premier ministre de gauche.

M. Mickaël Vallet. Macron non plus !

M. Claude Malhuret. Jamais ! Au moment même où le nom de Lucie Castets est prononcé, une fatwa vient la faucher en quelques mots : « Le programme, rien que le programme, mais tout le programme ! »

Mme Céline Brulin. Et quel est le vôtre ?

Plusieurs voix à gauche. Et Michel Barnier ?

M. Claude Malhuret. En bon français, cela veut dire que Mme Castets disposerait de 193 voix à l’Assemblée, et pas une de plus ! Exit donc Lucie… (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

En un mot, si vous avez compris le NFP, c’est qu’on vous a mal expliqué ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On n’est pas au cirque !

Mme Audrey Linkenheld. Parlez-nous de la droite !

M. Claude Malhuret. La gauche responsable, celle qui est largement représentée dans cet hémicycle – du moins c’est ce que je pensais jusqu’à il y a quelques minutes –, fait une tentative désespérée en proposant le nom de Bernard Cazeneuve. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme Laurence Rossignol. Commentateur de la vie politique !

Mme Céline Brulin. Quelle est la feuille de route d’Horizons ?

M. Claude Malhuret. Cette fois, Mélenchon n’a même pas besoin de lever le petit doigt, Faure le socialiste se charge lui-même du sale boulot en déclarant que nommer un Premier ministre socialiste serait une « anomalie ».

M. Patrick Kanner. Et Barnier, il est quoi ?

M. Claude Malhuret. Cazeneuve est des nôtres, il sera censuré comme les autres ! Exit Bernard !

Un jour, dans les manuels de sciences politiques, on expliquera dans un long chapitre comment, en 2024, la gauche s’est vendue pour un plat de lentilles à une secte gauchiste en pleine dérive islamiste et antisémite, dirigée par un ancien du lambertisme (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.), que les communistes eux-mêmes qualifiaient il y a quelques années encore d’hitléro-trotskisme ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Quant à l’extrême droite, qui prétend elle aussi qu’on a volé l’élection à ses 11 millions d’électeurs, elle oublie de dire que 20 millions d’autres ont décidé d’associer leurs voix au second tour pour lui faire barrage devant la radicalité de ses positions, un programme économique qui nous mènerait droit vers l’abîme et une flopée de candidats imprésentables, entre les casquettes nazies et les propos antisémites sur les réseaux asociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Elle n’est pas plus légitime à gouverner et elle le sait très bien. Elle attend son heure, et si cette heure vient un jour, elle aura été soigneusement préparée par la folie de l’extrême gauche et la capitulation du premier secrétaire du parti socialiste, l’homme-caoutchouc. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Vient enfin le dernier mensonge, monsieur le Premier ministre : vous seriez l’otage du Rassemblement national. L’extrême droite compte 142 députés. Ils ne peuvent faire tomber votre gouvernement qu’en bande organisée avec le NFP.

M. Claude Malhuret. J’attends avec impatience qu’ils expliquent cela à leurs électeurs, et surtout qu’ils expliquent comment ils comptent composer, pour vous succéder, un gouvernement lepéno-mélenchoniste. Mélenchon ne veut pas de Premier ministre de gauche et Le Pen sait que son parti est incapable pour l’heure de gouverner.

Ce n’est pas une assurance-vie, mais votre gouvernement est loin d’être condamné d’avance. (Mmes Céline Brulin et Silvana Silvani sexclament.) Vous êtes légitime. Vous n’avez pas de majorité absolue, mais vous rassemblez tous ceux, de la droite républicaine au centre et à la gauche modérée, qui ont fait le choix de la responsabilité. Ils sont le camp de la raison que notre groupe Les Indépendants appelle de ses vœux depuis des mois. Et vous êtes, après deux ans d’Assemblée nationale transformée en zone à délirer, le Premier ministre de l’apaisement.

Quelles sont les priorités ? Mais il n’y a que des priorités : le budget, le déficit, la dette, la Nouvelle-Calédonie, le logement, l’agriculture, l’immigration, la transition écologique, sans oublier l’Ukraine, le Moyen-Orient et toutes les crises dans le monde que la France ne peut ignorer. Ces priorités étaient au cœur de votre discours et de ceux de tous mes collègues ; je n’y reviendrai pas à mon tour.

M. le président. Il faut conclure !

M. Claude Malhuret. Qu’il me soit seulement permis de dire que nous soutenons votre engagement dans cette démarche difficile et courageuse. Vous disposerez d’une large majorité au Sénat, qui tentera de compenser l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale et de combattre les tentatives des populistes pour saper notre démocratie.

Les Français sont fatigués de la révolution permanente ; ils sont fatigués de la ZAD qui s’est reconstituée hier à l’Assemblée nationale dès l’ouverture de la session ; ils sont fatigués des démagogues qui promettent la lune et sèment la ruine partout où ils sont au pouvoir. Votre programme, avec humilité et responsabilité, en est l’exact contraire. C’est une raison supplémentaire pour que nous le soutenions. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de changer de ton après ce numéro clownesque et de vous rappeler que nous sommes ici au Sénat. (Marques dapprobation sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Les mois qui se sont écoulés depuis la brutale décision prise par Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale ont été marqués par une violence institutionnelle, par une violence démocratique dont votre nomination à Matignon est, que vous l’acceptiez ou non, monsieur le Premier ministre, le symbole.

Mme Cécile Cukierman. Faisons simple : les perdants des élections législatives ont fait fi du suffrage universel et se sont alliés pour préserver coûte que coûte la politique libérale dévastatrice que subit notre pays depuis sept ans. Seul le front républicain a permis à la Macronie d’éviter la déroute totale et à votre parti, monsieur le Premier ministre, de préserver, souvent grâce aux voix de gauche, quarante-sept députés, malgré son score de 5,4 % au premier tour.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

Mme Cécile Cukierman. Le 18 juillet dernier, celui qui est devenu votre ministre de l’intérieur affirmait dans cet hémicycle ne pas croire à « une grande coalition », qui serait selon lui « le mariage des contraires, la parousie du “en même temps” », avant de conclure que « c’est dans la clarté que nous devons travailler pour la France ».

Et pourtant, vous avez rejoint Emmanuel Macron en acceptant de vous asseoir sur le vote des électeurs et, pire encore, en vous plaçant de fait sous la surveillance du Rassemblement national. Par un tour de passe-passe institutionnel, le Président de la République a dissous l’Assemblée nationale et renversé le Sénat. Vous m’accorderez qu’il y a de quoi être quelque peu désenchanté par la vie politique.

Monsieur le Premier ministre, on ne joue pas avec la démocratie. Vous avez reçu le mandat de gouverner de la part d’Emmanuel Macron, c’est incontestable, mais vous ne l’avez pas reçu du peuple. De quelle majorité êtes-vous donc le chef ?

Hier, vous n’avez pas engagé votre responsabilité devant les députés. Mme Le Pen n’a donc pas eu à se prononcer sur votre programme. Elle s’est contentée de reporter la censure à plus tard, affichant un soudain esprit républicain.

Monsieur le Premier ministre, mon groupe conteste avec la plus grande force le choix d’Emmanuel Macron d’écarter le Nouveau Front populaire, c’est-à-dire la coalition qui est arrivée en tête au second tour des élections législatives du 7 juillet dernier. C’est non pas la gauche qui a refusé toute coalition, mais bel et bien le Président de la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme Céline Brulin. Exactement !

Mme Cécile Cukierman. Nous connaissons tous le ciment de votre nouvelle alliance : le libéralisme, la défense acharnée du monde de l’argent et des intérêts privés contre l’intérêt général. Pourtant, le rejet qui s’est exprimé par trois fois dans les urnes puise sa source dans les dégâts occasionnés par les politiques libérales, lesquelles s’attaquent aux fondements sociaux de notre République.

Le bilan d’Emmanuel Macron est terrible. Ce bilan terrible, ce sont les 1 000 milliards d’euros supplémentaires de dette accumulés depuis 2017.

Ce bilan terrible, c’est la casse du service public, du secteur de la santé, de l’éducation, pour satisfaire au dogme de la réduction de la dépense publique. L’échec est également total en matière de logement.

Ce bilan terrible, c’est un déficit public qui risque de dépasser les 6 % du PIB, la progression de la pauvreté, la précarisation de l’emploi et le recul flagrant du pouvoir d’achat.

Ce bilan terrible, ce sont ces zones de non-droits sociaux, ces campagnes et ces quartiers délaissés, dévastés par la désindustrialisation. Ce sont ces zones rurales, où les habitants assistent, impuissants, à une perte de sens et s’effraient des lendemains incertains.

Ce bilan terrible, ce sont ces agriculteurs éreintés par leur travail pour faire face à la mondialisation. Monsieur le Premier ministre, inscrirez-vous à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale le texte qui mettra un terme à l’accord économique et commercial global (Ceta) ?

Alors que le peuple aspire à plus de justice sociale et de justice fiscale, à une sécurisation globale de l’existence, la ficelle est bien connue pour le détourner du combat pour le progrès : le diviser ; jeter en pâture des boucs émissaires ; agiter les peurs. Ainsi, depuis votre nomination, pas une journée, pas une heure ne passe sans une saillie contre l’immigration.

Oui, je le dis ici : il faut assurer la sécurité de la population. À cet effet, qu’attendez-vous pour relancer la police de proximité ? De même, il convient de créer les conditions d’accueil propices à une bonne et nécessaire intégration des étrangers. Mais nous savons tous que celle-ci ne pourra pas advenir sans une harmonisation globale de notre société, fondée sur plus de justice et sur une meilleure redistribution des richesses.

C’est parce qu’ils aspirent à une autre politique que 80 % des Français souhaitent taxer les riches. Mon groupe défend donc une autre voie, crédible et sincère, pour une France progressiste. Elle consiste à toujours faire prévaloir l’intérêt général. Cela suppose, pour commencer, de reconstruire les services publics.

L’État doit assumer ses responsabilités et cesser de se défausser sur les collectivités territoriales. L’hémorragie financière doit être stoppée. Alors que les collectivités assument leurs dettes et soutiennent l’investissement, les propos honteux de MM. Le Maire et Cazenave, qui leur font porter la responsabilité de l’accroissement de la dette nationale, doivent être condamnés !

Nous soutiendrons les réformes, qu’elles concernent le ZAN, le maintien de la compétence eau et assainissement aux communes ou encore la mise en place d’un statut de l’élu, mais elles ne suffiront pas à redonner un sens à l’engagement des élus locaux, notamment à l’échelle de la commune, qui est la cellule de base de notre République.

Mme Cécile Cukierman. Les ressources financières nécessaires pour faire redémarrer la France doivent être trouvées grâce à une nouvelle fiscalité et à une relance du pouvoir d’achat. Nous ne sommes pas dupes, monsieur le Premier ministre : derrière une taxation a minima des entreprises et des plus riches, vous préparez une punition collective par des coupes budgétaires massives, faute de recettes suffisantes !

L’urgence économique et sociale exige que l’on en finisse avec la confiscation des richesses par l’optimisation fiscale, l’évasion fiscale et un droit des successions source de privilèges insensés.

Nous sommes de ceux qui veulent répondre à l’urgence sociale, abroger la réforme des retraites, bloquer les prix des produits de première nécessité et augmenter les salaires. Votre fausse annonce sur le Smic n’est pas à la hauteur des attentes.

L’urgence sociale impose aussi bien évidemment de répondre à la situation explosive dans nos outre-mer. Le dialogue et le respect doivent être de retour en Nouvelle-Calédonie-Kanaky.

Vous avez enfin décidé de renoncer à convoquer le congrès pour lui soumettre le projet de dégel électoral. Tant de morts, tant de destructions auraient pu être évités si Emmanuel Macron avait écouté au printemps la voix de la raison ! Je vous alerte, monsieur le Premier ministre, sur le danger que constituerait tout report hâtif des élections sans consultation de l’ensemble des acteurs politiques locaux.

Avant de conclure, comment ne pas évoquer notre angoisse et celle de tous face à la guerre et à la violence dans le monde ?

Si l’agresseur russe doit être repoussé, il faut trouver le chemin de la paix en Ukraine, où les morts s’accumulent dans une folle spirale.

À quelques jours du terrible anniversaire des attentats terroristes du 7 octobre, comment ne pas espérer le retour de la paix sur ces terres du Proche-Orient, qui ont, cette nuit encore, été maculées de sang ?

La violence de l’action de Benyamin Netanyahou et de son gouvernement est insupportable. Des dizaines de milliers de morts à Gaza, un Liban agressé sans relâche et des attaques iraniennes en réaction : voilà qui laisse augurer un avenir bien sombre dans cette région du monde.

La France doit agir pour que la paix et la sécurité au Proche-Orient soient assurées pour tous les peuples. Elle doit retrouver sa place essentielle et se faire entendre dans le concert des nations.

Monsieur le Premier ministre, je vous ai écouté, hier et aujourd’hui. Votre programme est celui d’un ancien monde, celui, sans surprise, de M. Macron et de ses amis les riches.

Une chose est certaine : nous mettrons, avec mon groupe, toute notre énergie à faire triompher les aspirations profondes de notre peuple au bonheur et à la paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, vous avez insisté pour placer le respect au cœur de votre méthode. Nous souscrivons à votre point de vue et considérons qu’il aurait en premier lieu fallu respecter le choix des urnes, lequel aurait dû vous conduire à refuser le poste de Premier ministre. (Oh ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Votre présence devant nous cet après-midi est une anomalie, pour ne pas dire un affront démocratique. (Protestations sur les mêmes travées.)

Dans une démocratie parlementaire digne de ce nom, Emmanuel Macron aurait dû confier la charge de réussir ou d’échouer à former un gouvernement au Nouveau Front populaire, formation arrivée en tête du scrutin législatif – n’en déplaise à l’affligeant M. Malhuret ! (Mêmes mouvements.) Au lieu de cela, le prince-président, s’appropriant un principe christique cher au ministre de l’intérieur, a fait des derniers les premiers en confiant cette tâche aux Républicains, qui n’ont obtenu que 5,4 % des voix…

M. Guillaume Chevrollier. Il a de l’humour !

M. Guillaume Gontard. Confier cette responsabilité à un homme et à une formation politique ayant refusé d’appeler au front républicain est une insulte pour le peuple souverain, qui a fait le choix indiscutable de faire barrage à l’extrême droite – un choix sans appel exprimé lors d’un scrutin marqué par un taux de participation historique.

Ce front républicain a permis au parti présidentiel d’éviter la débâcle : l’ignorer et se maintenir au pouvoir constitue un déni de démocratie sans précédent. Plus que jamais, la proportionnelle s’impose. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.) Vous avez défini une méthode. Nous sommes volontaires, et nous mettons sur la table la proposition de loi de Mélanie Vogel visant à instaurer la proportionnelle aux élections législatives.

Pis, former un gouvernement qui n’existe que grâce à la bienveillance du Rassemblement national est un nouveau coup de canif porté à notre pacte républicain. Monsieur le Premier ministre, vous témoignez votre respect à l’héritière d’un parti d’anciens Waffen-SS, dont le fondateur chantait des chants nazis le week-end dernier à Montretout au lieu de se présenter devant la justice…

Vos actes confirment vos mots, comme en témoigne la nomination de Bruno Retailleau au ministère de l’intérieur, dont le compagnonnage d’extrême droite aux côtés de Philippe de Villiers n’est un secret pour personne. Or, si l’on peut reconnaître une qualité à M. Retailleau, c’est celle de ne jamais « se renier », comme il le dit lui-même. Ainsi, singeant le chancelier Palpatine proclamant l’empire sur les ruines de la république galactique, il plastronne en répétant que sa seule mission est « de rétablir l’ordre » !

M. Olivier Paccaud. Ce n’est pas si mal que ça !

M. Guillaume Gontard. Avant votre déclaration de politique générale, vous le laissez exprimer sans tabou le fond de sa pensée – qui n’est pas franchement républicaine. Quelques morceaux choisis : « On ne doit protéger les libertés individuelles que si elles ne menacent pas la protection des citoyens », « La source de l’État de droit […] c’est le peuple souverain », ou encore : « L’immigration n’est pas une chance ».

Auparavant, il s’était déjà distingué en glorifiant notre passé colonial ou par différentes sorties racistes, comme celle sur les « Français de papier ». L’objectif est atteint : votre ministre de l’intérieur est adoubé par l’extrême droite (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui ne lui reproche que son entrisme au sein de la droite dite républicaine ces quinze dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.) Vous échapperez ainsi à la censure immédiate.

Mais demeureront ses propos scandaleux sur l’État de droit, par lesquels il ruine les efforts des bâtisseurs de la République d’après-guerre (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), qui ont mis en place tous les garde-fous nécessaires pour éviter l’effondrement de la démocratie sur elle-même, tel que celui qu’a connu l’Allemagne en 1933. (Vives protestations sur les mêmes travées.)

Face aux velléités réactionnaires de votre encombrant ministre, vous vous sentez obligé, monsieur le Premier ministre, de nous rassurer sur le fait que vous ne reviendrez pas sur la loi Veil, sur le mariage pour tous ou sur la PMA pour toutes, ce qui ne fait que nous inquiéter davantage.

M. Alain Milon. C’est caricatural !

M. Guillaume Gontard. Alors, monsieur le Premier ministre, pourquoi ce pacte faustien avec les admirateurs de la Hongrie d’Orban, qui rêvent de défaire l’Europe humaniste si chère pourtant à vos yeux comme aux nôtres ?

M. Jean-François Husson. C’est sûr que Mélenchon, c’est mieux !

M. Guillaume Gontard. Comme dans un passé pas si lointain, la réponse est tragiquement évidente : pour préserver les intérêts des classes dominantes et faire perdurer les cadeaux fiscaux des sept dernières années, qui ont permis aux cinq cents plus grandes fortunes du pays de doubler leur patrimoine, au détriment, bien entendu, d’une vie meilleure pour tous.

Nous vous reconnaissons cependant un peu moins de dogmatisme que vos prédécesseurs puisque l’état calamiteux de nos finances publiques vous oblige à mettre temporairement à contribution les plus aisés. Mais vous prévoyez surtout 20 milliards d’euros de baisse de la dépense publique en 2025 et 60 milliards d’euros en quatre ans. Naturellement, vous n’évoquez aucune piste concrète pour dégager de telles sommes.

Seule proposition : la réforme de l’État. Mais c’est un marronnier ! Ubu n’a jamais gouverné la France. Aucune de nos dépenses publiques n’est une aberrante gabegie. J’en veux pour preuve la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la modernisation de l’action publique, qui n’ont permis en une décennie de réaliser qu’une quinzaine de milliards d’euros d’économies. La sobriété administrative ne peut pas suffire et le rabot généralisé, contrairement à ce que vous dites dans vos beaux discours, viendra taillader nos services publics, nos politiques sociales et écologiques, et, finalement, la vie des gens.

Votre discours écologique, je l’avoue, est mieux écrit que celui de vos quatre prédécesseurs, mais il sonne faux. Vous voulez démagogiquement revenir sur le ZAN et limiter l’installation d’éoliennes. Les lettres plafonds budgétaires sont affolantes : elles prévoient 1,7 milliard d’euros en moins pour la rénovation thermique, 1,5 milliard d’euros en moins pour le fonds vert, un demi-milliard en moins pour l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et 25 % en moins pour la biodiversité, qui n’a même plus de secrétariat d’État – de même, d’ailleurs, que la politique de la ville, mais on a bien compris que, dans les quartiers populaires, le seul enjeu est de « rétablir l’ordre ». (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

Monsieur le Premier ministre, la trajectoire que vous ambitionnez pour nos finances publiques est incompatible avec l’économie de guerre dans laquelle notre nation est engagée pour soutenir l’Ukraine et celle qui s’impose pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique et investir dans l’avenir de notre pays.

Votre déclaration d’amour aux collectivités locales, à qui vous promettez des trésors de concertation pour négocier la pénurie, sonne tout aussi faux. Vous êtes tellement à court de solutions pour nos services publics que vous nous proposez, de manière totalement incongrue, de rappeler médecins et enseignants à la retraite. Ce n’est pas sérieux ! Nos collectivités ont besoin de moyens bien plus que de votre respect. Les maisons France Services, qui font votre admiration depuis que vous les avez découvertes en Savoie, sont financées à 80 % par nos collectivités.

Mme Émilienne Poumirol. C’est exact !

M. Guillaume Gontard. Soutenez-les !

Face à la colère et à l’angoisse des agriculteurs, vos propositions sur les marges de la grande distribution et les clauses miroirs des traités de libre-échange nous semblent largement insuffisantes. Nous vous demandons d’instaurer des prix planchers pour les agriculteurs, comme l’a promis le Président de la République, et de mettre fin à l’accord économique et commercial global et à l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne, qui sont en cours de discussion – encore une aberration et une anomalie démocratiques.

Enfin, soutenez sans tarder l’agriculture biologique, seul modèle agricole qui n’emprunte pas la terre à nos enfants et qui souffre gravement de notre régime de subventions inéquitable.

Pour donner corps à votre attachement à la consultation citoyenne, commencez donc par publier les milliers de cahiers de doléances du grand débat national qui dorment depuis cinq ans dans les préfectures, comme le demande notamment notre collègue Marie Pochon.

Le temps me manque pour répondre à l’intégralité de votre discours. Nous saluons néanmoins votre reprise en main du dossier calédonien, comme nous l’appelions de nos vœux. Nous espérons qu’elle permettra de retrouver l’esprit de l’accord de Nouméa et de réparer les dégâts du coup de force présidentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Pour conclure, alors que Gaza est rasée, alors que le Liban est au bord de l’effondrement, alors qu’Israël est sous les bombes, alors que les victimes se comptent par dizaines de milliers, alors que la situation au Proche-Orient nous rapproche chaque jour d’une guerre régionale, ou pire, alors que vos appels au cessez-le-feu sont aussi louables que vains, nous vous implorons d’agir avec force pour stopper l’engrenage de la violence. Décrétez l’embargo sur toutes nos licences d’exportation d’armes et de biens à double usage vers Israël et tout autre belligérant, et reconnaissez, enfin, l’État de Palestine. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement n’a pas d’avenir, nous le savons, mais sur ce sujet, vous pouvez immédiatement jouer un rôle décisif. (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis une quinzaine de jours, nous sommes enfin sortis du brouillard politique et institutionnel né de la dissolution de juin dernier.

Je ne reviendrai pas sur l’interminable feuilleton de l’été – recherche Premier ministre désespérément –, qui est désormais derrière nous. Toutefois, je dirai quelques mots pour regretter qu’une situation inédite – une assemblée tripartite sans véritable majorité – n’ait pas conduit à un gouvernement davantage pluriel.

Nous en connaissons les raisons : une culture de la coalition étrangère à certains responsables politiques, un sectarisme bien ancré, l’horizon sacré du scrutin présidentiel, ou encore des arrière-pensées électoralistes incompatibles avec le sens du compromis… Bref, alors que Georges Clemenceau disait que la République est une idée toujours neuve, certains ont préféré ne rien changer.

J’en profite pour vous féliciter, monsieur le Premier ministre, ainsi que votre gouvernement, et vous encourager, en ayant une pensée particulière pour nos collègues sénateurs. La fameuse sagesse sénatoriale, dans un contexte difficile, est opportune, pourvu cependant qu’elle ne s’égare pas…

M. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur. Bravo !

Mme Maryse Carrère. Je salue en particulier la ministre Nathalie Delattre, dont l’expérience sera utile au service des relations entre l’exécutif et les assemblées parlementaires.

Le dogmatisme n’est pas la boussole du groupe du RDSE. Notre charte politique prône, dès ses premières lignes, l’esprit de tolérance, par philosophie, mais aussi par volonté de coconstruire. C’est donc sans préjugés que nous examinerons les politiques publiques qui seront bientôt mises en œuvre. Mais cela ne signifie en aucun cas que nous vous signons un chèque en blanc, monsieur le Premier ministre. Nous tenons à notre indépendance.

Fort de cela, c’est au cas par cas, texte par texte, que nous jugerons vos actions et vos propositions, à l’aune des valeurs qui nous sont chères, dans le respect de la diversité qui caractérise notre groupe.

Vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, la gravité de la situation de la France, compte tenu notamment de sa dette publique colossale, ne doit pas occulter tous les atouts et toutes les richesses dont dispose notre pays.

Si la France a autant brillé cet été dans le monde avec les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris, c’est parce que, derrière l’événement, il y a eu de la richesse humaine, des gens créatifs, des organisateurs totalement investis, des infrastructures publiques à la hauteur, des entreprises ingénieuses, un patrimoine solide et préservé, une sécurité sans faille.

J’ai une pensée émue pour toutes ces personnes, notamment celles qui sont d’origine étrangère, qui contribuent toute l’année à la santé économique de notre pays, à son rayonnement culturel et à ses succès sportifs. À ce titre, elles doivent trouver toute leur place dans la société, sans aucune discrimination.

Alors, si le devoir de vérité sur la situation de la France est une obligation, nous, élus, avons aussi la responsabilité de cultiver l’espoir. Sans tout promettre à nos concitoyens, nous devons mobiliser, repenser parfois toutes les ressources dont dispose notre pays afin de répondre à leurs attentes. Celles-ci sont nombreuses dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, de la santé physique et mentale, du logement, de la sécurité ou en matière de lutte contre les discriminations.

Le RDSE est prêt à débattre de nouvelles propositions et à soutenir toutes celles qui porteront le sceau de la justice sociale, de la solidarité et du progrès.

Nous serons à vos côtés sur le chemin d’une école qui remplirait mieux sa mission d’assurer l’égalité des chances et la mixité sociale. Nous serons là pour rappeler aussi que former des citoyens libres est depuis toujours la tâche de l’école républicaine. Je ne surprends personne en disant cela : mon groupe est profondément attaché au respect de la laïcité. Vous déclarez vous en soucier, monsieur le Premier ministre, et c’est une bonne chose. Reconnaissons que votre prédécesseur avait fait preuve de fermeté sur ce terrain.

Il s’agit de mettre en œuvre une politique ambitieuse visant à redonner du sens à la citoyenneté. Nous avons, ici au Sénat, soutenu des propositions : nous demandons au Gouvernement de les regarder.

Vous souhaitez également être au rendez-vous de l’écologie, un combat que vous menez depuis longtemps, comme a pu le faire une grande figure radicale, Michel Crépeau, pionnier de la mobilité douce. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle : l’écologie doit être non pas punitive, mais intelligente, cohérente, socialement acceptable et soutenable par les forces vives de notre économie, notamment par notre agriculture.

Parmi vos priorités figure le niveau de vie des Français. On ne peut que l’approuver. L’objectif d’atteindre le plein emploi doit être maintenu, mais il doit aussi être accompagné d’une réflexion sur les conditions de travail.

Le niveau de vie des Français est aussi largement déterminé par leurs conditions de logement. Accession à la propriété, investissement locatif, logement social : tous ces chantiers méritent d’être ouverts.

Je n’oublie pas le système de santé, son fonctionnement à deux vitesses par le jeu des mutuelles, ses déserts médicaux et pharmaceutiques. Le Sénat a multiplié les rapports sur ce sujet, à l’instar de celui sur l’avenir de la santé périnatale réalisé dans le cadre de la mission d’information dont mon groupe a demandé la création. Nous vous encourageons à puiser dans le travail de contrôle du Parlement.

Je ne serai pas exhaustive, car toutes les politiques publiques se méritent. Attaquons le vif du sujet, le nerf de la guerre – je veux parler des comptes publics. Une dette de 3 228 milliards d’euros engage « à faire beaucoup avec peu ».

Pour mon groupe, le relèvement de l’impôt n’est pas tabou, tant que l’effort est juste et suffisamment dosé pour ne pas gripper la croissance. Or la contribution est-elle également répartie aujourd’hui ? Non ! Toutes les études démontrent que le taux d’imposition réel des plus riches est inférieur à celui des classes moyennes.

Aussi, je trouve curieux ce refus dogmatique d’augmenter le prélèvement des plus aisés, qui ont tant profité de la crise du covid-19 et de la solidarité nationale. Je trouve également étrange la posture idéologique qui consiste à abaisser massivement les impôts des détenteurs de capital en laissant se creuser les déficits publics pour refuser aujourd’hui tout rééquilibrage fiscal, sans dire, dans le même temps, quelles dépenses publiques il faudrait réduire, quels services publics il faudrait sacrifier. (MM. Yannick Jadot et Thomas Dossus applaudissent.) C’est une posture risquée que de tout miser sur la croissance pour rééquilibrer les comptes. On le voit, cela ne marche pas.

Je ne laisserai pas dire non plus que la solution serait la réduction des dépenses des collectivités locales, comme on a pu l’entendre il y a quelques semaines. Dois-je rappeler que celles-ci subissent de plein fouet à la fois les conséquences de la situation économique et les choix réglementaires et budgétaires de l’État et qu’elles sont enfermées dans des dispositifs rigides, comme peut l’être le ZAN pour certains territoires ? Jouant un véritable rôle d’amortisseur social, les collectivités participent fortement à la création de richesses par l’investissement local, l’intelligence et l’innovation.

J’en profite pour évoquer aussi les territoires d’outre-mer, dont plusieurs rencontrent de grosses difficultés économiques et sociales. Je pense en particulier à la Nouvelle-Calédonie, qui a besoin de soutien pour sa reconstruction. Il faut bien entendu au préalable assurer sa stabilité politique, laquelle doit être consolidée par le dialogue. L’annonce sur le sort réservé au projet de loi constitutionnelle devrait permettre de l’amorcer dans de bonnes conditions.

La France doit relever un autre défi, qui ne dépend pas uniquement de vous, monsieur le Premier ministre : occuper sa place dans le monde, peser en vue de contribuer au rétablissement de la paix au Proche-Orient et en Ukraine, pour ne citer que les conflits les plus brûlants.

Mes chers collègues, cela a été dit, les Français nous regardent. Dans l’intérêt de notre pays, je vous souhaite, monsieur le Premier ministre, de réussir et d’être ce premier de cordée indispensable pour affronter des pentes aussi escarpées que celles de Savoie ou des Hautes-Pyrénées.

Le Gouvernement est certes en première ligne, mais n’oublions pas notre propre responsabilité : rester ouverts tout en demeurant exigeants quant à nos valeurs de fraternité et d’humanisme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.)

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la fin de la tragicomédie qui a précédé votre nomination aura – nous devons l’admettre – été un modeste soulagement.

Soulagement que s’achève cette pantalonnade présidentielle, qui fatiguait jusque sur les plateaux de télévision et désolait les Français de savoir qu’ils n’étaient pas gouvernés.

Soulagement de ne pas voir une extrême gauche sectaire et radicale atteindre le pouvoir après une prise d’otage électorale, à laquelle la droite sénatoriale a parfois donné des gages.

Soulagement, encore, que cette même extrême gauche ne puisse temporairement exercer ses méfaits et étendre son idéologie à la tête de l’État.

Soulagement, enfin, que la solution n’ait pas été cette fois-ci un gadget politique issu d’un nouveau monde factice ou d’une société civile de plateaux de télévision. Nous vous reconnaissons la qualité d’incarner une politique, peut-être ancienne, que nous combattions parce que ses tenants nous paraissaient incapables de se remettre en cause, mais qui a encore pour elle la dignité.

Néanmoins, vous avez servi avec ardeur toutes les institutions et toutes les politiques qui ont conduit à la situation actuelle du pays, ce qui suscite inévitablement notre perplexité. Une simple question se pose dès lors : comment régler les errements du présent lorsque l’on a pris part aux turpitudes du passé ? Vous seul connaissez la réponse, monsieur le Premier ministre, et nous aimerions vous accorder le bénéfice du doute.

Mais il nous faut le dire, avec tout le respect que nous vous devons, chers collègues de la majorité : voilà qu’un parti, désavoué depuis douze ans – depuis l’échec du sarkozysme – lors de chaque élection présidentielle et ayant recueilli à peine plus de 5 % des voix aux élections législatives se retrouve à diriger un gouvernement. Vous savez comme moi que cette situation n’est pas normale, qu’il s’agit d’une facétie de l’histoire politique et qu’elle n’est pas destinée à perdurer.

Devant un budget impossible, face à la véritable faillite économique et sociale dont vous avez été plus que les témoins, ce doux moment du retour sous les ors des ministères prendra fin devant le mur des réalités financières.

Monsieur le Premier ministre, comme nous vous l’avons dit, la bienveillance n’exclut pas la surveillance, mais pas uniquement celle des parlementaires du Rassemblement national et de ses alliés.

Vous êtes sous la surveillance d’un président de la République dont l’hubris et l’ego briseront bientôt vos bonnes volontés.

Vous êtes sous la surveillance d’un Parlement qui passera de la méfiance du moment à la défiance lors du budget.

Vous êtes sous la surveillance du système européen, dont vous avez été l’un des serviteurs, mais qui n’hésitera pas à contraindre vos décisions et, avec elles, à porter atteinte à notre souveraineté.

Enfin, vous êtes, selon vos propres mots, sous la surveillance du peuple français, dont la juste impatience vous submergera bientôt alors qu’il traverse une situation dramatique à tout point de vue. En la matière, nous craignons votre timidité.

Et puisque nous sommes au Sénat, vous vous savez sous la surveillance des élus locaux, qui redoutent d’être accusés encore une fois de tous les maux et de devenir la cible d’un défouloir austéritaire. Or eux savent mieux que quiconque ce que signifie devoir faire plus avec moins.

J’aurai tout de même un mot pour le nouveau ministre de l’intérieur, en sa qualité de président sortant du groupe majoritaire de notre assemblée. Monsieur le ministre, nous aimerions que vos premiers pas médiatiques préfigurent ce que vous ferez réellement en matière d’immigration et d’insécurité.

M. Yannick Jadot. Quel rapport ?

M. Christopher Szczurek. Mais nous n’oublions pas que, alors que vous conceviez sans difficulté le dialogue avec la gauche, ce qui est parfaitement normal en ces murs, consigne avait semble-t-il été donnée de ne jamais voter le moindre amendement du Rassemblement national… Ce simple fait nous fait craindre beaucoup de postures, mais peu de résultats.

Monsieur le Premier ministre, nous préférerions votre réussite, car l’intérêt de la France et des Français importe bien plus que les querelles partisanes. Mais nous n’y croyons guère, car le problème du sérail politique français est moins la compétence que le conformisme.

Si les Français ne veulent de la radicalité, ils souhaitent au moins une rupture. Pour l’heure, nous espérons le respect dû à nos 11 millions d’électeurs, puis, surtout, l’alternance et l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et de Jordan Bardella en 2027.

Bonne chance et bon courage malgré tout ! (MM. Aymeric Durox et Joshua Hochart applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Michel Barnier, Premier ministre. Il fut très instructif, et même stimulant, d’écouter vos interventions, mesdames, messieurs les présidents de groupe.

Je ne reviendrai pas sur tous les sujets qui ont été évoqués, car nous aurons bien d’autres occasions, lors de la discussion budgétaire ou d’autres débats, notamment lors des questions d’actualité au Gouvernement, de nous retrouver.

Il est vrai, madame la présidente Carrère, que dans les Hautes-Pyrénées, comme en Savoie, les pentes sont escarpées. Il y a des crevasses, des fossés, des chemins qui sont parfois difficiles. Comme vous, j’aime bien marcher en montagne et je fais toujours attention à l’endroit où je mets les pieds, à poser un pas devant l’autre, à garder mon souffle.

M. Michel Barnier, Premier ministre. Oui ! (Sourires.)

Je m’efforce également de toujours garder un œil sur l’horizon, parce que c’est ce qui vous entraîne, vous motive et vous encourage dans les moments de doute. Je retiens l’image que vous avez utilisée et je veux faire montre de ce tempérament de montagnard que nous partageons.

Le président Darnaud, que je tiens à féliciter pour sa désignation à la tête de ce grand groupe politique, mais aussi à encourager et à remercier pour sa confiance, a évoqué d’emblée la volonté que s’établisse une plus large coopération avec le Parlement.

J’aurais pu dire précédemment – et donc je le fais maintenant – que nous allons utiliser l’incroyable quantité de travail, d’intelligence et d’expertise que recèlent les propositions de loi, les travaux des commissions d’enquête et des missions d’information, d’autant que tout cela est, comme cela a été dit, « libre de droits ». Et je saurai rappeler d’où viennent ces propositions !

En tout cas, nous éviterons de tout réinventer, parce que vous avez beaucoup travaillé ; mais nombre des travaux que vous avez entamés ont été interrompus par la dissolution et la suspension des travaux parlementaires. Comme vous pourrez l’observer lors de l’examen de plusieurs textes, nous utiliserons cette expertise. Soyons objectifs : l’Assemblée nationale a connu la même situation, le travail parlementaire sur plusieurs textes ayant également été suspendu.

Je veux aussi exprimer mon accord avec ce qu’a dit le président Hervé Marseille, qui a rappelé, avec beaucoup de sagesse, l’importance des textes européens ; j’y reviendrai.

J’ai exprimé hier, en parlant quelque peu d’expérience, une idée à laquelle je crois. J’ai demandé à tous les ministres, et pas seulement au ministre chargé des affaires européennes, d’être beaucoup plus attentifs aux textes issus de la Commission européenne. Ceux-ci commencent en effet leur parcours législatif à Bruxelles et à Strasbourg, que ce soit au Conseil des ministres ou au Parlement européen, dans une sorte d’indifférence nationale de la part de chaque État européen, en tout cas de notre pays. Il n’y a pas à ce stade de communication sur ces textes. Or ils sont parfois importants : je me souviens, par exemple, de la fameuse directive Bolkestein.

Puis le temps passe – parfois un an, deux ans, trois ans –, le texte est soumis au Parlement, au Sénat ou à l’Assemblée nationale, pour être transposé au beau milieu d’une nuit ou d’une soirée. Et parfois cela explose, ou bien il est trop tard…

Il est donc très important que, dans le cadre d’un processus démocratique, vous soyez alertés par le Gouvernement, notamment par le ministre chargé des affaires européennes, et par les parlementaires européens sur les textes ayant une certaine importance et que l’on vous fournisse un matériau vous permettant d’ouvrir des débats dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs, et pour les députés dans leurs circonscriptions. Seraient ainsi signalés les textes intéressants, portant sur des questions importantes et venant de Bruxelles, de la Commission européenne, laquelle fait des propositions au Parlement européen et au Conseil des ministres, qui décident.

Je pense que, à cet égard, il y a un manque, un vide. Lorsque j’étais président de la délégation sénatoriale pour l’Union européenne, je m’étais déjà inquiété de ce problème, avec plusieurs d’entre vous. Il y a là un vide démocratique à combler. Il pourrait être intéressant pour les sénateurs comme pour les députés d’ouvrir ainsi des débats, d’écouter les partenaires et les acteurs concernés par un projet de directive ou de règlement.

Je vais essayer de combler ce vide. Cela évitera aussi, monsieur le président Marseille, les problèmes, que l’on découvre en général trop tard, de surtransposition. En effet, lorsqu’on est alerté assez tôt de l’arrivée d’un projet de cette nature, on peut mettre en garde, prévenir contre le risque de surtransposition par tel ou tel service administratif.

J’ai ainsi relié deux points évoqués l’un par le président Darnaud, l’autre par le président Marseille.

J’aborderai à présent quelques questions de fond.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué le contexte politique.

Madame la présidente Cukierman, vous avez utilisé, à l’instar de M. Szczurek, le mot « surveillance ».

Personnellement, je ne suis sous la surveillance de personne, si ce n’est du peuple et des parlementaires. C’est vous qui me surveillez et qui surveillez le Gouvernement ! Les sénateurs et les députés nous surveillent : telle est la vérité démocratique. Évitons les polémiques et les petites phrases, qui ne servent à rien…

M. le président Gontard a, quant à lui, parlé de « déni de démocratie » ; là encore, je ne polémiquerai pas, car nous n’avons, les uns et les autres, pas de temps à perdre…

Pour autant, je tiens à dire à M. Gontard et à Mme Cukierman que je n’ai pas besoin que l’on me rappelle quelle est la situation à l’Assemblée nationale ! Celle-ci est inédite depuis le début de la Ve République : il n’y a pas de majorité, il n’y a que des socles parlementaires plus ou moins importants.

Il y a un socle dirigé et animé par LFI, auquel le parti communiste, les Verts et le parti socialiste participent. (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K. – M. Claude Malhuret applaudit.)

M. Yannick Jadot. Pas de polémique !

Mme Cécile Cukierman. Évitons les petites phrases…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il n’est pas « dirigé » par LFI !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je parlais du nombre de députés. Je retire le mot « dirigé »…

M. Olivier Paccaud. Il est « dominé » ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Il n’y a pas de LFI ici !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je suis très sensible à votre souci d’autonomie ! (Sourires.)

Ce socle donc, qui a obtenu un résultat important, représente des millions de citoyens.

Il y a aussi le socle du Rassemblement national, rejoint par le parti de M. Ciotti.

Entre ces deux socles, il y a six groupes, dont plusieurs membres, des hommes et des femmes, ont été nommés au sein du Gouvernement. Lesdits groupes forment le socle le plus important.

M. Yannick Jadot. Comment ça marche à l’échelon européen ?

M. Michel Barnier, Premier ministre. Ce socle comprend les partis qui sont proches du Président de la République, ainsi que le groupe Les Républicains, cette famille politique qui est la mienne, même si j’ai toujours été libre et loyal.

Il faut enfin citer les députés non-inscrits et le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot).

Il n’est pas compliqué, si l’on pose des questions précises, en regardant les faits et les chiffres, de constater que dans cette Assemblée nationale, divisée comme jamais entre tous ces socles, ces partis et ces alliances – je n’aime pas beaucoup le mot de coalition –, il y a un socle plus important que les autres, dont je tire ma légitimité. Vous ne pouvez pas le contester !

Elle est minoritaire, cette légitimité, si je puis dire : je représente une majorité relative. Il existe des majorités plus ou moins relatives, mais celle-ci est la moins relative… C’est aussi simple que cela ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Par ailleurs, je n’ai pas besoin non plus que l’on me rappelle que le sort de mon gouvernement dépend d’une conjonction, probable ou improbable, entre l’extrême gauche et l’extrême droite…

Mme Cathy Apourceau-Poly. On ne fait pas partie de l’extrême gauche !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je sais tout ça ! Va-t-on pour autant baisser les bras, renoncer, jouer au jeu consistant à nommer à la tête du Gouvernement quelqu’un issu de la gauche ou de l’extrême gauche ? J’ai entendu ces derniers jours des personnalités importantes dire qu’il aurait fallu faire cela, même si – on le savait – la censure aurait été immédiate…

Franchement, pensez-vous que notre pays, dans l’état où il est, peut continuer à attendre que l’on agisse, que l’on trouve des solutions ? (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Pour ma part, je ne le pense pas ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Je le dis avec respect, et j’écoute beaucoup…

M. Yan Chantrel. La censure n’aurait pas été immédiate, vous le savez très bien !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Mme Maryse Carrère a parlé de gouvernement pluriel… Mais le gouvernement que j’ai l’honneur d’animer est très pluriel ! Et il aurait pu l’être encore davantage si je n’avais pas reçu une réponse négative de telle ou telle personnalité que j’ai consultée. (Applaudissements sur les mêmes travées. – M. Bernard Buis applaudit également.) J’ai même entendu des remarques ou des critiques pointant le fait qu’il était peut-être trop pluriel…

Il n’y a pas que la gauche qui est plurielle !

Le gouvernement que je dirige, très pluriel, représente de nombreuses sensibilités. J’ai remercié hier les hommes et les femmes qui le composent d’avoir bien voulu y participer – je le fais de nouveau devant le Sénat –, dans un moment très difficile, et d’essayer de trouver des solutions par le compromis, le dialogue et la discussion, dans le respect de chacun.

Je le répète, nous ne venons pas tous du même endroit et nous n’allons pas tous au même endroit. Mais en ce moment très grave que nous connaissons, nous décidons d’agir ensemble et de tenter, aussi longtemps que le Parlement le voudra, d’obtenir des progrès, grands ou petits, pour faire face à une situation extrêmement sérieuse.

Il n’y a pas de déni démocratique, mais il y a ce socle. Je dis cela en m’adressant également à François Patriat, que je tiens à remercier sincèrement de son soutien.

J’en ai appelé tout à l’heure à l’esprit de compromis. Cet appel, monsieur Kanner, n’est pas arrivé jusqu’à vous, si j’en crois le ton que vous avez employé et le fond de votre propos ! J’ai encore du travail à faire à cet égard… Mais comme je suis très déterminé, plein d’énergie, et que je conserve en moi depuis le début de mon engagement politique une part d’utopie, je vais essayer de vous convaincre d’aller vers plus de compromis.

Le président Darnaud, François Patriat, ainsi que d’autres orateurs ont évoqué des points particuliers.

Je vous confirme que je continuerai à porter une attention particulière aux agriculteurs et aux pêcheurs, qui sont des producteurs et qui – je l’ai dit hier et le répète devant vous – ont fait beaucoup d’efforts. Peu de professions ont vécu, assumé, voire voulu, autant de transformations depuis vingt ans pour assurer une activité vitale : fournir à nos concitoyens, et notamment aux familles, une alimentation saine, diversifiée et traçable.

Ces producteurs se sont également engagés dans la voie du développement durable. Lorsque j’étais ministre de l’agriculture, j’ai lancé le plan Écophyto avec les agriculteurs, et non pas contre eux, sans eux !

J’ai parlé de l’écologie des solutions : je veux bien recevoir des leçons dans ce domaine – on a toujours des leçons à recevoir – mais je sais, car mon engagement dans ce domaine est ancien, que l’on peut faire beaucoup « avec » : avec les citoyens, avec les entreprises, avec les agriculteurs, et non pas contre eux et sans eux. Il n’y aura donc pas, de mon côté, d’écologie dogmatique. Elle sera pragmatique.

À cet égard, je réitère mon engagement de remettre à plat et en perspective la politique de l’eau, qui vous préoccupe.

Je réaffirme l’objectif de sobriété du ZAN, sur les modalités duquel nous allons retravailler.

Vous avez évoqué le statut de l’élu local. Je sais quel travail a été effectué au Sénat sur ce sujet ; nous ne le referons donc pas complètement, mais nous allons nous en inspirer, voire le reprendre.

Le président Marseille a évoqué deux thèmes importants : l’Europe, dont j’ai déjà parlé, et le dialogue social. Comme je l’ai dit concernant le Parlement et les élus locaux, il faut rouvrir le dialogue social, même si toutes les parties ne sont pas toujours d’accord. Pour ma part, je pense qu’un pays comme le nôtre se porterait mieux s’il avait des syndicats forts, partout respectés et engagés ; j’en suis profondément convaincu.

Nous relancerons le dialogue social sur des sujets graves et importants, sur lesquels nous ne serons pas toujours d’accord. Je pense à l’assurance chômage et à la réforme des retraites qui a été adoptée. Nous en améliorerons et en aménagerons de nombreux points, tout en conservant son cadre budgétaire : je pense aux dispositions relatives à la retraite progressive, à la pénibilité ou à l’usure au travail, par exemple.

François Patriat a cité un homme pour lequel j’ai exprimé hier mon respect, Pierre Mendès France, qui n’a eu pour gouverner qu’un temps court.

M. Michel Barnier, Premier ministre. Cela n’empêche pas d’avoir pour lui du respect ou de l’admiration. Pour ma part, j’en ai beaucoup. Deux personnages ont compté pour moi : de Gaulle et Mendès France. Ce dernier disait qu’il ne faut jamais « sacrifier l’avenir au présent ».

M. Michel Barnier, Premier ministre. C’est compliqué, quand on est Premier ministre…

M. Thomas Dossus. On le verra pendant le budget !

M. Michel Barnier, Premier ministre. Oui, nous le verrons lors de l’examen du projet de loi de finances, car le budget, c’est le présent. Je sais que si nous ne faisons pas un effort collectif, nous sacrifierons l’avenir. Nous prendrions alors le risque de provoquer une crise financière, et vous verriez, si une telle crise survenait, qui seraient les premiers touchés. Je ferai tout pour l’éviter : c’est une question de responsabilité.

Je regarderai de nouveau les propositions d’économies faites par Mathieu Darnaud et d’autres présidents de groupes politiques du Sénat. Peut-être ne les avons-nous pas toutes vues, peut-être nous vous en proposerons qui ne vous conviendront pas, je le sais, mais je suis ouvert, dans un cadre budgétaire contraint, à des amendements, à des améliorations et à des adaptations. Je serai constructif, sans jamais « sacrifier l’avenir au présent ».

Madame Carrère, vous avez évoqué la fraternité et l’humanisme. Je me reconnais tout à fait dans ces valeurs. Comme d’autres, vous avez souhaité que l’on réaffirme les principes fondamentaux. Je le dis : il n’y aura pas d’accommodements avec la défense de la laïcité. J’ai moi-même indiqué les lignes rouges de tout le Gouvernement en ce qui concerne l’État de droit, l’indépendance de la justice, la lutte contre les discriminations, notamment celles qui visent les femmes, mais aussi les personnes en situation de handicap.

Les grandes lois de liberté conquises à la suite des combats d’hommes et de femmes – la loi du 17 janvier 1975 défendue par Simone Veil, celles qui instaurent le mariage pour tous ou la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes – ne seront pas touchées et seront protégées.

M. Michel Barnier, Premier ministre. Je pense également, alors que le Proche-Orient – région que je connais assez bien – connaît une crise très grave ayant des répercussions dans toutes nos sociétés, à la montée du racisme et de l’antisémitisme. Nous ne ferons preuve d’aucune complaisance face aux actes et aux propos racistes ou antisémites, d’où qu’ils viennent.

Je remercie les présidents de groupe qui ont bien voulu apporter leur soutien au Gouvernement. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il ne s’agit pas d’un chèque en blanc, que vous serez vigilants et que vous jugerez le Gouvernement sur ses actes plus que sur ses discours. Je ne demande pas autre chose. Je vous remercie de votre confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)

3

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 octobre 2024 :

À quatorze heures trente :

Débat sur la croissance de la dette publique de la France ;

Débat sur la crise agricole ;

Débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants.

Le soir :

Débat sur la situation des urgences pendant l’été 2024.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures quarante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER