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Situation des urgences pendant l’été 2024
Débat à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur la situation des urgences pendant l’été 2024.
La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Solanges Nadille applaudissent également.)
Mme Annie Le Houerou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a sollicité ce débat sur la situation des urgences durant l’été 2024 afin de prendre la mesure des difficultés structurelles qui affectent notre système de santé et de demander au Gouvernement comment il compte assurer une bonne prise en charge aux urgences pour tous et partout sur le territoire.
Malgré les réformes amorcées, notamment à la suite de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, confiée à François Braun en 2022, l’été 2024 a confirmé l’aggravation des difficultés. Les urgences se heurtent aux mêmes obstacles année après année.
Il ne s’agit pas d’une question technique. Derrière chaque chiffre se trouve une réalité douloureuse : des patients laissés de longues heures sur des brancards ou dans des véhicules de secours, emmenés d’un hôpital à l’autre, des soignants épuisés ne pouvant pas prendre leurs congés, des services en tension permanente.
Cette situation a tristement été illustrée cet été sur le « mur de la honte » du centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest, où ont été recensés plus de 130 patients de plus de 75 ans ayant passé plus de douze heures sur un brancard. C’est indigne de notre système de santé, de notre service public et de notre République !
L’arrêté du 2 juillet 2024 relatif à la régulation temporaire de l’accès aux urgences n’apporte qu’une solution transitoire et partielle. Le filtrage des patients permet, à court terme, de désengorger les services en priorisant les urgences vitales. Mais quid des autres urgences, pour lesquelles une prise en charge médicale est nécessaire ?
Souvent, l’offre de soins en ville permettant la prise en charge des autres patients n’existe pas. La situation se dégrade, et les professionnels de santé nous alertent au sujet de retards dans la prise en charge, qui mettent en danger la vie de certains patients.
Le rapport du syndicat Samu-Urgences de France publié en septembre dernier est édifiant : la tension sur les lits d’aval a encore augmenté cet été, empêchant le désengorgement des urgences.
Cet été, les fermetures de services d’urgence, ponctuelles ou continues, ont concerné 84 départements. Ces fermetures en cascade ont provoqué des reports d’activité vers d’autres établissements, eux-mêmes déjà sous pression.
Alors, qu’avez-vous fait ? Réguler, filtrer, mutualiser : ces mesures ont certes permis de maintenir le système à flot, mais à quel prix ? Celui d’une massification des heures supplémentaires et d’une dégradation de la prise en charge, inadaptée aux situations des patients, notamment pour les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les personnes vulnérables ou celles qui n’ont d’autres recours que les services d’urgence, faute de médecins traitants ou de relations personnelles avec un docteur.
Plus largement, ce que nous constatons aux urgences n’est que le reflet d’une réalité plus large : l’écroulement de notre système public de santé. La crise est alimentée par la pénurie de soignants, la désertification médicale et un manque de moyens structurels face aux besoins croissants de la population.
La mission Braun avait pourtant esquissé des pistes : la régulation médicale, la création des services d’accès aux soins (SAS), le renforcement des assistants de régulation, la télémédecine, ou encore une meilleure rémunération des gardes pour les médecins libéraux. Force est de constater que ces solutions ne suffisent pas : elles sont des pansements sur une plaie béante.
L’absence de réforme structurelle entraîne un recours croissant à l’intérim médical, avec des conséquences financières dévastatrices.
En juillet dernier, la Cour des comptes a publié un rapport accablant. Depuis 2017, les dépenses d’intérim médical ont augmenté de 25 % et les dépenses liées aux heures supplémentaires ont presque doublé, pour atteindre 402 millions d’euros en 2022. En parallèle, le recours à des praticiens contractuels a augmenté, pour un coût total de plus d’un milliard d’euros.
Madame la ministre, qu’en est-il du bilan d’application de la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, sur l’intérim et ses dérives financières ? Quelles conséquences cette loi a-t-elle eues sur la nature des contrats signés par les hôpitaux pour assurer des gardes complètes ?
Alors que le déficit des hôpitaux publics pourrait atteindre 2 milliards d’euros en 2024, quelles mesures comptez-vous prendre pour freiner cette spirale onéreuse qui ne permet pas l’accès aux soins pour tous, partout ?
En janvier dernier, le Président de la République a exprimé sa volonté de « régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent à bout de bras nos services de soins ». Ces praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) exercent sous un statut d’interne très peu rémunéré. Sans eux, de nombreux services d’urgence ne pourraient plus fonctionner.
Ces médecins, essentiels au fonctionnement de nos hôpitaux, vivent dans une précarité tant financière qu’administrative. Ils doivent renouveler chaque année, voire tous les six mois, leur autorisation de séjour, et bénéficient parfois de récépissés de la préfecture renouvelables tous les trois mois, ainsi que je l’ai constaté dans l’hôpital de ma circonscription.
Quand envisagez-vous de régulariser ces professionnels de santé diplômés à l’étranger, qui ont démontré leur professionnalisme et sont souvent lauréats des épreuves de vérification des connaissances (EVC), pour leur donner la visibilité professionnelle qu’ils réclament ? De même, il faut reconnaître le rôle crucial de nos équipes d’urgentistes dans le maintien de nos services d’urgence partout en France.
La même nécessité s’impose pour les étudiants français ayant fait leurs études à l’étranger. Il est indispensable de faciliter leurs démarches, afin qu’ils puissent revenir en France faire leurs stages et leur internat, puis exercer. Nous ne pouvons nous permettre de nous priver de leurs compétences. Trop de jeunes choisissent d’étudier la médecine à l’étranger ; cette réalité est alarmante.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour rapatrier les étudiants français formés à l’étranger et même éviter qu’ils ne partent ?
Cet été a également révélé l’existence d’un système d’urgences à deux vitesses dans notre pays. Alors que des moyens exceptionnels ont été déployés pour répondre aux besoins sanitaires lors des jeux Olympiques de Paris 2024, les fermetures de services d’urgence se sont multipliées ailleurs en France.
Malgré l’afflux massif de touristes en région parisienne pour ce formidable événement, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) s’est félicitée de la robustesse du dispositif de prise en charge des athlètes et du public. Avec 370 lits supplémentaires ouverts pour la période des Jeux, elle a réussi à fluidifier les passages dans les services d’urgence. Nous nous réjouissons de ce succès. Il démontre manifestement que lorsqu’une organisation et des moyens adéquats sont déployés, le système fonctionne, et même très bien !
Il est temps de poser un diagnostic clair : notre système de santé est en sursis. Nous devons cesser de le rafistoler avec des solutions à court terme.
Il faut une réforme systémique, qui prenne en compte l’ensemble de la chaîne de soins, depuis la prévention et la médecine de ville jusqu’à l’hôpital. Nous devons recréer un maillage territorial cohérent, réhabiliter les services de proximité, redonner aux soignants les moyens de travailler dignement et efficacement.
Cette réforme doit se faire en lien avec chaque bassin de vie, en concertation avec les professionnels de santé, les associations de patients et les collectivités locales, qui sont en première ligne pour répondre aux besoins de nos concitoyens.
Pour beaucoup, les urgences sont la porte d’entrée de l’hôpital. Quand elles s’effondrent, c’est tout notre système qui vacille. Cette situation n’est plus tenable. Il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, de remettre la santé publique au cœur de nos priorités.
Virginie, élue dans le département des Côtes-d’Armor, où elle est infirmière, témoigne : « L’accès régulé au service des urgences dans le département oblige les pompiers et les ambulanciers privés à réaliser des trajets beaucoup trop importants, dans de mauvaises conditions.
« La prise en charge des patients est indigne. Les médecins intérimaires doivent être réaffectés sur des postes vacants. Les praticiens à diplôme hors Union européenne doivent être régularisés. Nous devons accueillir des brigades cubaines comme pendant la covid-19 dans nos territoires ultramarins, en attendant qu’un nombre suffisant de médecins soit formé et affecté là où la population a besoin de soins.
« Nos maternités ferment et la mortalité infantile augmente, les fins de vie de nos anciens sont inacceptables.
« L’argent doit être au service du bon sens ! »
Tout est dit ! Madame la ministre, que répondez-vous à Virginie ? Le Gouvernement a-t-il l’intention de répondre à l’urgence actuelle que connaît l’hôpital public ?
Quelle organisation des soins envisagez-vous pour permettre la fluidité d’accès entre la médecine de ville, les urgences et l’hôpital ? Quelles mesures envisagez-vous pour anticiper l’été 2025 et éviter les tensions dans les services d’urgence, ainsi que les fermetures temporaires ou durables, dues, entre autres, à un manque de personnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Solanges Nadille, ainsi que M. Jacques Fernique, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de débattre ce soir de la situation des urgences durant l’été dernier et des perspectives que nous devons emprunter.
Vous le savez, j’ai pris mes fonctions il y a quelques semaines, le 21 septembre 2024, c’est-à-dire le dernier jour de l’été. Je tâcherai néanmoins de répondre à vos questions le plus précisément possible, dans un dialogue que j’espère fructueux. Et je suis bien sûr à votre écoute.
Permettez-moi dans un premier temps de revenir sur la réalité des tensions qui ont existé cet été au sein des services d’urgence.
Quelques chiffres, tout d’abord. La fréquentation des urgences a été relativement stable entre l’été 2024 et le précédent, l’augmentation du nombre des passages étant de l’ordre de 1 %. La situation s’est améliorée par rapport à 2022, et le système de santé a pu s’organiser grâce à une meilleure anticipation sous la coordination des agences régionales de santé (ARS), grâce aussi à des mesures d’accompagnement et de soutien déployées par le Gouvernement, grâce, surtout, à la mobilisation conjuguée des professionnels, tant en ville qu’à l’hôpital, et des élus dans les territoires.
De même, grâce à cette mobilisation collective, l’impact des jeux Olympiques et Paralympiques sur les hôpitaux situés à proximité des sites de compétition a été maîtrisé ; il est resté relativement restreint.
Ces chiffres masquent évidemment la grande diversité des situations dans les territoires. Il reste encore des services pour lesquels la période estivale a été source de tensions. Les représentants des urgentistes nous l’ont dit, et vous serez certainement plusieurs ce soir à en faire également état.
Aussi, au plus fort de l’été, dans le courant du mois d’août, une cinquantaine d’hôpitaux ont été confrontés à des tensions importantes et une dizaine d’entre eux a déclenché un plan blanc. Je vous le rappelle, notre pays compte 620 services d’urgence.
Comme vous le savez, cet accroissement des tensions est dû à des raisons conjoncturelles propres à la période estivale, lors de laquelle certains services sont excessivement sollicités, notamment en raison de l’afflux de touristes et de la période de congés annuels de nos professionnels de santé.
Pour autant, partout, dans chaque territoire, des solutions ont été trouvées pour garantir l’accès de nos concitoyens aux soins non programmés. Les initiatives locales, confortées par les leviers ouverts par la récente réforme des autorisations, ont permis au cas par cas de stabiliser des organisations en s’appuyant sur tous les acteurs du système de santé – je tiens d’ailleurs à souligner ce soir leur grand professionnalisme.
Permettez-moi également de saluer l’engagement de l’ensemble de la communauté hospitalière, qui s’est organisée pour faire face aux tensions. Je pense évidemment à la mobilisation des médecins des urgences, mais aussi à celle des personnels d’accueil et d’orientation, ainsi qu’à celle de l’ensemble des soignants et personnels administratifs qui se sont engagés, quitte parfois à reporter, voire à annuler leurs congés.
Au-delà de l’aspect saisonnier, ces difficultés s’expliquent par un ensemble de facteurs structurels, notamment par l’augmentation des passages aux urgences ces dernières années.
En effet, l’activité des services d’urgence a augmenté d’environ 3 % par an depuis 1996. Depuis 2019, si l’on excepte la période de la covid-19, le nombre de passages annuels aux urgences est resté stable, autour de 21 millions par an – souvenez-vous que, en 1996, on ne comptait que 10 millions de passages par an.
Cette augmentation s’explique bien sûr par le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques, mais aussi par l’organisation des professionnels de santé et des difficultés d’engagement sur la permanence des soins, notamment non programmés. Ces difficultés nous amènent à inverser notre perception et à penser de façon plus générale. Nombre d’initiatives ont été prises pour améliorer cette situation.
Au-delà de la gestion des situations estivales, il nous faut, à plus long terme, capitaliser sur ces expériences et ajuster nos organisations pour anticiper les périodes de tension. C’est le sens de l’action conduite depuis plusieurs années.
Les réformes entamées, parmi lesquelles se trouve la mission menée par François Braun, sont nombreuses. Elles se traduisent tout d’abord par un soutien financier continu. Depuis 2017, les gouvernements successifs ont augmenté tous les ans le montant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Ces dernières années, le sous-objectif relatif aux établissements de santé a dépassé 100 milliards d’euros, quand il était de 80 milliards d’euros en 2017.
En 2025 encore, l’Ondam augmentera de 2,8 %, soit 9 milliards d’euros de plus qu’en 2024.
M. Mickaël Vallet. C’est le montant de l’inflation !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Il y a ensuite une politique d’attractivité des métiers sans précédent. Le Ségur de la santé a marqué une première étape historique pour rémunérer les personnels hospitaliers à la hauteur de leur engagement et susciter des vocations.
Nous avons depuis lors engagé la pérennisation des mesures de revalorisation du travail de nuit et du week-end, particulièrement importantes quand on exerce aux urgences.
En ce qui concerne plus spécifiquement les urgences, l’entrée en vigueur progressive de la réforme des autorisations de la médecine d’urgence du 29 décembre 2023 permettra de lutter contre l’engorgement des urgences et de donner davantage de souplesse aux services.
Je pense notamment à la création d’antennes de médecine d’urgence à la main des établissements, à l’intégration de la paramédicalisation des services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur), mais aussi à la possible régulation à l’entrée des urgences ou à la réorientation vers la ville des patients ne relevant pas de la médecine d’urgence. Toutes ces mesures, très attendues des acteurs de terrain, sont accompagnées de guides et d’appuis à leur déploiement.
L’autre réforme d’ampleur qui permettra de transformer les soins non programmés consiste dans le déploiement des services d’accès aux soins. Avec ceux-ci, nous organisons le système de santé pour que, à toute heure de la journée, les citoyens puissent accéder à des soins non programmés, après un simple appel téléphonique. Une meilleure organisation de l’accès aux soins permet au bout de la chaîne de soulager les urgences.
Désormais, 94 % de la population est couverte par un SAS. Je remercie d’ailleurs tous les professionnels de santé qui ont élaboré ces solutions dans chaque département. Les six départements métropolitains qui n’en disposent par encore devront être couverts d’ici à la fin de l’année. En moyenne, les SAS actuels traitent 1,2 million d’appels par mois relatifs à ces demandes de soins non programmés.
Il s’agit d’un outil formidable pour améliorer l’accès aux soins, qui témoigne des nouvelles relations de confiance et de soutien qui se nouent entre la ville et l’hôpital, ce qui était absolument indispensable.
Évidemment, il n’est pas question de le nier, des difficultés persistent. Même si les SAS le permettent en partie, il faut réorganiser l’accès aux soins et certainement aussi les urgences. Il faut également, lorsque c’est possible, que ces services aient accès à des filières actives, comme celles qui ont été déployées dans certains hôpitaux pour la santé mentale ou la pédiatrie, par exemple.
En définitive, nous poursuivrons cette réorganisation avec les acteurs, dans les services et dans les territoires. Ce qui me semble le plus important, c’est de ne pas inventer d’en haut un système pour l’imposer en bas, mais de construire, à l’échelle de chaque territoire, les solutions opportunes pour que l’on améliore réellement, partout dans notre pays, l’accès aux soins.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Dans la suite du débat, chaque orateur dispose de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Sol. Madame la ministre, en 2018 déjà, je prenais la parole devant la Haute Assemblée pour alerter le Gouvernement sur la situation de notre hôpital public ; en avril dernier, je décrivais les problématiques des services d’urgence dans les Pyrénées-Orientales.
Les services d’urgence, véritables vitrines des établissements hospitaliers, avaient alors décidé de baisser le rideau en nuit profonde à Perpignan. Quel symbole de leur dégradation !
L’été dernier, des personnes ont attendu vingt-quatre heures avant d’être prises en charge. C’est le résultat de l’équation suivante : un million de touristes pour sept ou huit médecins, soit une moyenne de 188 passages quotidiens aux urgences. Cherchez l’erreur !
Depuis lors, la situation semble s’améliorer grâce à la réouverture prochaine, après un an d’attente, des urgences de nuit de la clinique Saint-Pierre. Cependant, nos services d’urgence seront toujours à bout de souffle si rien ne s’améliore, en particulier durant l’été.
Les personnels sont toujours très éprouvés moralement et physiquement, les usagers sont toujours angoissés à l’idée de se rendre aux urgences et nos élus demeurent impuissants. Madame la ministre, cette vision n’est pas alarmiste : il s’agit malheureusement d’un cri d’alarme.
La réalité des urgences, c’est cet usager qui souhaite passer devant un enfant en situation d’urgence vitale. Ce sont ces familles qui attendent sans information pendant des heures et des heures. Ce sont, encore, ces personnes âgées qui restent parfois vingt-quatre, quarante-huit ou soixante-douze heures sur des brancards dans un couloir et que l’on renvoie à deux heures du matin chez elles, en raison du manque de place.
Le Samu-Centre 15 fait aujourd’hui face à l’incapacité de réguler l’augmentation exponentielle des appels, ce qui entraîne, vous en conviendrez, une perte de chance pour les patients et, dans le pire des cas, des décès, comme plusieurs exemples récents l’attestent.
En cause, la carence criante de lits d’aval, ainsi que le manque d’effectifs et de compétences d’un personnel qui croule sous une charge administrative chronophage tout en devant faire face à de multiples incivilités.
La désertification médicale amplifie naturellement cette situation inacceptable, qui rompt l’accès aux soins pour tous, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que devrait assurer le service public.
Madame la ministre, ces problèmes soulèvent de nombreuses questions. Je ne vous en poserai que deux. Envisagez-vous d’améliorer le partenariat entre l’hôpital public, le privé et la médecine de ville ? Et que pensez-vous faire pour améliorer la régulation des passages aux urgences ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, dans les Pyrénées-Orientales, on compte cinq services d’urgence, dont quatre cliniques et un Smur, ainsi qu’un service d’urgence et une antenne Smur à l’hôpital transfrontalier de Cerdagne, qui rend service à une population relativement isolée, selon un modèle intéressant. Cet été, deux cliniques de Perpignan ont en effet fermé la nuit, même si l’une d’entre elles a désormais rouvert.
Aux urgences de l’hôpital, la difficulté à recruter du personnel suscite de grands problèmes de prise en charge du flux des patients et de maintien des lignes de soin. De plus, comme il s’agit d’une région touristique, les difficultés sont plus importantes durant l’été.
Face à la récurrence des problèmes dans ce département, l’ARS Occitanie vient d’annoncer que l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) conduira une mission d’appui au sujet des urgences pour établir un état des lieux des dysfonctionnements et des manquements, afin de définir un cadre de fonctionnement départemental favorisant la coopération entre les secteurs public et privé. L’objectif de ce travail sera notamment de redéfinir la répartition des filières de prise en charge de l’aide médicale urgente entre les acteurs.
Le partenariat appelé de vos vœux va se construire. Je ne puis vous préciser s’il existe un service d’accès aux soins dans votre département. Mais il faut construire une solution, avec les praticiens libéraux, pour décharger les urgences de patients qui n’ont rien à y faire et relèvent de la médecine générale.
J’espère que la mission d’appui produira rapidement des effets et permettra d’améliorer la situation.
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir demandé l’organisation de ce débat.
L’été 2024 a révélé une nouvelle fois la crise des urgences médicales en France, avec non seulement des fermetures perlées, le soir, la nuit et le week-end, mais aussi les terribles images de patients laissés sur les brancards de longues heures durant… Les plus sombres épisodes de la crise sanitaire nous sont ainsi revenus en mémoire.
J’axerai mon intervention sur la situation des urgences en outre-mer, laquelle est encore plus difficile que dans l’Hexagone.
En Nouvelle-Calédonie, par exemple, nombre d’hôpitaux ont fermé cet été leur service d’urgences la nuit et le week-end.
Dans plusieurs territoires ultramarins, les problèmes de continuité territoriale affectent l’accès aux soins. Ainsi, en Guadeloupe, l’île de Marie-Galante est actuellement un désert médical, situation dont le centre hospitalier de Marie-Galante subit les conséquences. La présence d’un médecin fait parfois défaut aux urgences. En outre, des rumeurs faisant état d’une fermeture des urgences ont circulé pendant les mois de juillet et d’août, alarmant toute la population.
Dans beaucoup de territoires ultramarins, en particulier insulaires, le bon fonctionnement des urgences souffre des insuffisances du transport maritime.
Les rotations, trop peu nombreuses, ne permettent pas aux médecins de regagner leur domicile à la fin de leur garde : en résultent pour les praticiens de graves pertes de temps qui compliquent leur vie personnelle, notamment familiale. Ceux qui seraient prêts à venir à Marie-Galante y assurer des gardes aux urgences s’en trouvent découragés.
Une collaboration avec des entreprises privées de transport autres que les compagnies maritimes connues pourrait améliorer cette situation. J’espère que l’État pourra œuvrer en ce sens de manière efficace.
Madame la ministre, quel regard portez-vous sur la situation des urgences outre-mer ? Êtes-vous prête à travailler à un plan d’action visant à y renforcer la continuité territoriale des soins ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, pour vous comme pour moi, la situation des urgences outre-mer est un sujet de préoccupation majeur.
Je suis pleinement consciente des difficultés particulières auxquelles ces territoires doivent faire face, notamment pour assurer la continuité territoriale des soins – vous insistez sur cet enjeu, qui exige bien entendu des réponses tout à fait spécifiques.
Le bon fonctionnement des urgences est essentiel pour garantir un accès aux soins de qualité, où que l’on se trouve, et je suis attentive à l’ensemble des défis que connaissent les régions ultramarines.
Sous l’impulsion du dernier comité interministériel des outre-mer (Ciom), mes prédécesseurs ont lancé des chantiers spécifiques pour retravailler le parcours de santé dans ces territoires. La mesure 23 dudit Ciom vise notamment à fluidifier les prises en charge, particulièrement pour les pathologies lourdes, comme les cancers.
Ces initiatives s’inscrivent dans une démarche plus large de réorganisation des soins, le but étant de mieux répondre aux besoins de santé des populations ultramarines. J’y insiste, chacun de ces territoires, chacune de ces populations a ses spécificités, dont il faut prendre compte.
Dans sa déclaration de politique générale, M. le Premier ministre a annoncé la tenue d’un nouveau comité interministériel des outre-mer, prévu pour le début de l’année prochaine. Ce sera là une autre occasion de réévaluer les priorités en matière de santé, tout particulièrement pour les urgences.
D’ici là, sachez que je resterai très mobilisée, auprès de vous et aux côtés de tous les élus locaux, pour nourrir cette réflexion. Les enjeux sanitaires, notamment liés aux urgences, doivent être au cœur des discussions et, à ce titre, nous devrons mener un travail extrêmement fin avec l’ensemble des partenaires concernés. Les solutions retenues pour l’Hexagone ne valent pas forcément outre-mer : il faut prendre en compte la situation spécifique de chaque territoire.