M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Madame la sénatrice Conte Jaubert, comme le collègue qui vous a précédée, vous nous avez donné beaucoup d’éléments qui « plantent le décor » de ce débat. Je vous remercie d’avoir mentionné que vous souteniez la feuille de route du ministère sur la protection des captages.
Pour ce qui est de la résorption des fuites d’eau, je tiens à préciser que l’accompagnement des agences de l’eau, notamment sous la forme d’investissements, concerne 57 % des 170 collectivités locales qui sont considérées comme des points noirs. Certes, tous les sujets ne sont pas résolus, mais la trajectoire est lancée.
Le problème concerne particulièrement les outre-mer. Si les taux de fuite sont en moyenne de l’ordre de 20 %, ils peuvent dépasser 60 % dans certains territoires ultramarins. C’est donc une nécessité absolue de nous y attaquer.
L’enjeu sera d’accompagner l’évolution du budget des agences de l’eau. En effet, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit de reporter à 2026 la hausse de leur plafond de recettes. Je tiens à préciser que, théoriquement, cela ne posera pas de problème compte tenu des projets déjà engagés pour 2025. Nous aurons probablement l’occasion d’y revenir lors du débat budgétaire. Bien évidemment, ce qui importe, c’est le niveau de trésorerie des agences de l’eau.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les événements dramatiques survenus récemment en Espagne illustrent de façon tragique les conséquences dévastatrices du dérèglement climatique sur le cycle de l’eau.
Les sécheresses et les inondations extrêmes qui se succèdent à travers l’Europe révèlent l’ampleur de la crise hydrique qui nous menace. Les scientifiques prédisent une intensification des sécheresses, sur la base d’un réchauffement moyen de 4 degrés Celsius à l’horizon de 2100 – cela correspond à la prévision du Gouvernement – et d’une baisse de 30 % à 40 % de la quantité d’eau disponible d’ici à 2050.
En France, les effets sont déjà visibles, qui prennent la forme d’un assèchement des sols, d’une baisse drastique du niveau des nappes phréatiques et de tensions exacerbées entre les différents usages.
L’intensité des périodes de sécheresse que nous avons connues ces dernières années et leur fréquence accrue percutent sérieusement notre gestion de cette ressource vitale. Elles rappellent également l’urgence qu’il y a à mettre en œuvre une politique de régulation et de partage de l’eau à la hauteur des enjeux. L’heure est venue de repenser en profondeur notre modèle de gestion de l’eau.
C’est pourquoi j’attire votre attention, ce soir, sur trois sujets qui méritent réflexion : les mécanismes de concertation pour la gestion de l’eau, les fuites d’eau et le prix de l’eau.
L’eau est un bien commun qu’il faut s’efforcer de rendre accessible à tous. De ce fait, sa gestion doit être collective et équitable, particulièrement en période de rareté.
Or certaines situations préoccupantes soulèvent des interrogations fondamentales. J’ai récemment pris connaissance de ce que vivait un riverain du château de Savoye, dans le Cher, lequel ne peut que constater l’assèchement de la rivière Villabon trois à six mois par an, à la suite de la création d’une retenue d’eau en amont. Cette construction, autorisée par la préfecture, a été réalisée sans étude préalable sérieuse et sans aucune consultation des parties concernées.
Il s’agit d’une question environnementale, mais également d’ordre public : comment préviendrons-nous la montée des tensions liées à l’eau alors que celle-ci se raréfie ? Les décisions unilatérales et les conflits d’usage ne feront que s’intensifier si nous ne mettons pas en place des mécanismes de concertation robustes.
La mesure 33 du plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau – d’ici à 2027, « chaque sous-bassin versant sera doté d’une instance de dialogue » – est un premier pas. Toutefois, des questions cruciales restent sans réponse : quelle sera l’autorité réelle de ces instances locales pour trancher, dans des cas de conflit d’usage ? Quelles solutions sont envisagées à l’échelle locale en matière d’adaptation à des variations saisonnières extrêmes ?
Une première solution pour réduire la fréquence des conflits d’usage serait de ne pas gaspiller la ressource. Pourtant, certaines de nos communes voient jusqu’à 30 % de leur eau potable se perdre au travers de fuites dans les réseaux de distribution. À l’échelle nationale, le rendement moyen des réseaux est de 81 %, ce qui signifie qu’environ 19 % de l’eau destinée à la consommation se perd avant même d’être distribuée à nos concitoyens.
Dans le contexte actuel de sécheresses répétées, où nous demandons des efforts considérables à la population pour réduire sa consommation, ce niveau de rendement est loin d’être suffisant.
Les collectivités locales sont en première ligne face au défi de l’approvisionnement. Toutefois, elles peinent à faire face à la complexité technique et aux coûts élevés des travaux nécessaires pour moderniser leurs infrastructures de distribution et d’assainissement.
Le Gouvernement a bien pris connaissance de cette problématique, qui est identifiée dans le plan Eau. Au total, 170 points noirs ont été répertoriés par les services de l’État, soit 170 communes, intercommunalités ou syndicats où 50 % de la ressource est perdue dans les canalisations : un litre sur deux est gâché.
Les agences de l’eau pourraient jouer un rôle essentiel dans l’accompagnement technique des collectivités pour détecter, pour réparer et pour prévenir les fuites sur les réseaux, mais elles manquent de moyens. Dans ce contexte, quelles solutions proposez-vous, madame la ministre, pour accompagner les collectivités dans la modernisation de leurs infrastructures et dans la réduction de ces pertes ?
Par ailleurs, l’eau est particulièrement bon marché en France par rapport à d’autres pays européens. Ce faible coût, tout en étant un facteur de justice sociale, envoie également un signal ambivalent quant à la valeur de la ressource, dont la rareté se fait de plus en plus sentir. Actuellement, dans notre pays, le prix moyen de l’eau potable est d’environ 3,56 euros par mètre cube, soit 11 % de moins que la moyenne européenne. Ce tarif ne reflète pas l’ensemble des efforts nécessaires pour garantir à chacun un approvisionnement en eau propre et potable.
Ces efforts, déjà coûteux à l’heure actuelle, le seront de plus en plus dans les années à venir. Comme je l’ai mentionné précédemment, des investissements importants, indispensables pour rénover notre réseau vieillissant et pour limiter les pertes liées aux fuites, devront inclure les coûts additionnels associés aux défis posés par le dérèglement climatique.
Alors que vous promouvez, madame la ministre, la sobriété comme une valeur cardinale, la question du prix de la ressource sera-t-elle à l’agenda ? Autrement dit, si tant est que « l’eau paie l’eau », le coût des travaux nécessaires pour moderniser notre système d’approvisionnement sera-t-il répercuté sur les tarifs ?
Madame la ministre, lors de votre dernière audition par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, que j’ai l’honneur de présider, vous avez évoqué le besoin de repenser la gestion de la ressource. Aujourd’hui, en portant à votre attention ces pistes de réflexion, je vous propose d’aller plus loin, en contribuant au débat sur notre gestion de l’eau, et de consacrer réellement sa valeur de bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE, GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le président Longeot, j’ai déjà indiqué qu’au moins 57 % des 170 collectivités et syndicats « points noirs » sont accompagnés par les agences de l’eau. L’un des objectifs du plan Eau est de faire en sorte que toutes les collectivités locales concernées reçoivent une réponse.
Cela suppose – vous avez fait le lien – de nous pencher, sans tabou, sur la question du financement des agences de l’eau, qui sera un sujet de la conférence nationale sur l’eau que le Premier ministre souhaite lancer à l’occasion du soixantième anniversaire de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, dite loi Eau. Nous devons faire face à un mur d’investissement.
Il faut d’ailleurs faire en sorte que ces redevances – c’est une des réformes que nous voulons défendre – tiennent également compte de la performance des réseaux, et ce pour inciter à investir, entre autres, dans la lutte contre les fuites. Vous connaissez aussi les enjeux autour de la redevance pour pollution diffuse.
Au-delà de ces sujets dont nous devons nous emparer, que signifie « payer le juste prix » d’une eau disponible à la fois en quantité suffisante et – ce qui est un élément majeur pour la préservation de notre santé – en qualité ?
Concernant les mécanismes de concertation, la conférence nationale sur l’eau, qui a vocation à être déclinée bassin par bassin, donnera l’occasion de se pencher sur le fonctionnement des instances de dialogue prévues. Nous ne disposons actuellement d’aucune autorité « mordante » ; aussi, c’est également par la concertation que nous arriverons à résoudre les conflits d’usage.
Nous connaissons les deux enjeux : réduire tout ce qui relève du gaspillage, à savoir les fuites et les usages qui ne sont pas essentiels dans les moments de tension, et réutiliser la ressource en son entier. Sur ce dernier sujet, nous avons beaucoup à apprendre d’autres pays, car nous ne sommes pas les meilleurs « réutilisateurs » d’eau : même si nous avons publié des textes en la matière en début d’année, nous disposons, notamment dans ce domaine, d’une marge de progression importante.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans vouloir revenir, en guise de préambule, sur l’histoire de l’humanité, je rappelle que la sédentarisation humaine et l’évolution à travers les siècles de toute société n’ont pu avoir lieu qu’à partir d’une gestion de l’eau efficace.
Le bilan de l’été 2024 pourrait être le suivant : il est plus simple de gérer une ressource quand elle est abondante. Il est vrai que nous n’avons pas manqué d’eau cet été. Le mois de juin a été excédentaire de 20 % en précipitations et juillet a été dans les normales de saison, même si le mois d’août s’est montré très sec, avec 25 % de précipitations en moins par rapport aux normales.
Cet été est donc dans la moyenne. Il a pu sembler plus humide que d’habitude pour certains territoires parce que les étés récents ont été plus secs et que les différences ont été notables d’une région à l’autre.
Ces variations, aléatoires, d’une année sur l’autre confortent l’idée que nous devons renforcer les moyens de l’État et de ses établissements publics pour élaborer des méthodologies fiables de prévision des disponibilités futures de la ressource en eau. C’était déjà une des recommandations figurant dans le rapport d’information pour la délégation sénatoriale à la prospective Éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau, que nous avions rédigé Jean Sol, Catherine Belrhiti, Alain Richard et moi-même.
Nous avons en tête les images de la catastrophe récente en Espagne. Les événements que nous avons connus dans notre pays sont bien évidemment sans commune mesure, mais rappelons que la pluie a pu tomber violemment en France également : certains orages ont, d’un côté, rempli les nappes phréatiques, de l’autre, causé des dégâts localement.
Sans vouloir évoquer toutes les crises, je mentionnerai les crues torrentielles en Isère à la fin du mois de juin dernier, les coulées de boue en Haute-Marne en juillet ou les pluies exceptionnelles dans le Morbihan au mois d’août. Je pense également aux fortes précipitations et aux inondations qui se sont ensuivies, le 17 octobre dernier, dans la vallée du Gier, dans les monts du Pilat et dans le nord-Ardèche.
Toutes nos actions auront des incidences lors des moments de catastrophe. Il faudra bien sûr encourager les aménagements favorisant l’infiltration des eaux de pluie. Cette recommandation de notre rapport d’information n’est toutefois pas le seul moyen de prévention. La question du stockage de l’eau, avec intelligence et en concertation avec les acteurs de la ressource, se posera également.
Madame la ministre, je vous rappelle les engagements pris par certains de vos prédécesseurs sur les retenues collinaires. Dans beaucoup de départements, ces dernières ne trouvent pas actuellement de débouchés, bien qu’il existe des plans départementaux en la matière, qui ont été élaborés, en prenant du temps, avec l’ensemble du monde agricole.
M. Laurent Burgoa. C’est exact.
Mme Cécile Cukierman. Une météo locale de l’eau, déclinée par bassin versant, pourrait avoir du sens. Nous devrons renforcer les moyens de nos services publics pour fonctionner à cette échelle et pour améliorer ainsi la prévention des risques.
Les défis sont devant nous. Il faut donc prévoir la surabondance de la ressource et les fortes pluies, mais nous devons aussi avoir en tête les risques de manque d’eau. Un « en même temps » de la gestion de l’eau, si j’ose dire, madame la ministre, reste à faire !
Nous devons mieux surveiller l’état de nos cours d’eau en renforçant les dispositifs existants et en les contrôlant au fil du temps, tout comme nous devons contrôler l’état de nos nappes phréatiques. Cette connaissance est nécessaire au bon fonctionnement de notre société de sorte que nous continuions à permettre tous les usages, dans le respect de chacun d’entre eux : eau potable domestique, usage agricole, industriel, touristique ou énergétique.
Au travers de la première recommandation de notre rapport, nous faisions le lien avec cet objectif : permettre pour toutes et pour tous un partage équitable de l’eau, dans un contexte de raréfaction hydrique et de sobriété.
Pour tout cela, il faudra des moyens. Nous avions proposé de supprimer d’ici à la fin de 2023 le « plafond mordant » de recettes et de relever les plafonds d’emplois et les plafonds de dépenses des agences de l’eau. Au lieu de cela, le Gouvernement les maintient au niveau de 2024 dans le projet de loi de finances à venir.
Si nous nous réjouissons que les communes qui le souhaitent puissent bientôt conserver, dans le cadre des communautés de communes, leurs compétences « eau » et « assainissement », celles-ci ne s’exerceront correctement qu’avec des moyens en cohérence avec nos objectifs.
Je fais partie de ceux qui affirment que nous avons besoin d’une nouvelle loi sur l’eau. Celle-ci est nécessaire, car nous ne pouvons pas additionner seulement des mesurettes ! Le Premier ministre lui-même l’a rappelé : il nous faut une grande conférence sur l’eau, nationale et territorialisée, pour répondre aux différents enjeux des usages.
Pour conclure, je veux préciser que, si nous améliorons nos connaissances sur l’eau, sa gestion et son partage, celle-ci peut aussi devenir une opportunité économique, notamment énergétique. Nous pouvons profiter de cet élément naturel pour soutenir les énergies renouvelables, avec la production hydroélectrique et les stations de transfert d’énergie par pompage (Step) et aboutir ainsi à une stratégie nationale ambitieuse, territorialisée, nous donnant la capacité de mieux réguler les effets des fluctuations de précipitations.
Je ne reviens pas, madame la ministre, sur l’enjeu à venir de la réutilisation des eaux usées, car vous venez de l’évoquer. Notre pays est très en retard.
Je tiens à remercier le groupe Les Républicains de nous avoir permis de débattre ce soir sur ce sujet. J’espère que nos échanges permettront de mieux nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Premièrement, madame la sénatrice Cukierman, il se trouve que, dans une vie professionnelle antérieure, je me suis penchée un certain nombre de fois sur la question des retenues collinaires : elles fonctionnent très bien, je peux vous l’assurer !
Mme Cécile Cukierman. Je partage !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous défendons le fait de procéder à leur réalisation dans le cadre de projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) pour que le partage de la ressource soit anticipé et clair entre les différents usagers.
Deuxièmement, je suis tout à fait d’accord avec vous sur la nécessité qu’il y a à mieux surveiller l’état de nos cours d’eau. Par ailleurs, cette surveillance est importante pour bien maîtriser le cycle de l’eau, d’autant que nos perspectives changeront peut-être avec le dérèglement climatique. En effet, les évolutions risquent d’être assez significatives dans les années qui viennent – nous en sommes conscients – et, faute de savoir exactement de quelle manière et dans quelle direction, nous ne pouvons pas nous prévaloir de nos connaissances.
Pour lutter contre les inondations, il faut placer tous nos cours d’eau sous la surveillance de Vigicrues. Notre ambition est d’atteindre cet objectif d’ici à 2030, mais les inondations récentes devraient nous amener à accélérer autant que possible.
Troisièmement, j’ai déjà évoqué l’enjeu de la réutilisation et j’ai répondu à la question du relèvement du « plafond mordant » de recettes, en parlant non pas d’une remise en question, mais d’un décalage à 2026.
Enfin, j’abonde dans votre sens sur les opportunités énergétiques. L’hydroélectricité et les Step ont de nombreux avantages : pilotables, décarbonés, compétitifs, etc. Toutefois, il ne faut pas considérer ces sources d’énergie comme un « plus » – c’est leur seul problème. Là aussi, en effet, le dérèglement climatique nous apprend à rester vigilants : protéger notre potentiel hydraulique, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, est déjà une bonne chose.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, je suis ravi que nous ayons ce débat ce soir. Je craignais un peu qu’il ne tourne autour de la question : pour ou contre les mégabassines ? Or Jean Sol, que j’ai écouté avec attention, exprime clairement par ses mots – « récupérer l’eau surabondante », savoir gérer « avec discernement » – un refus de ces installations !
D’ailleurs, le tribunal administratif de Poitiers vient de limiter fortement les capacités de pompage d’été dans les nappes phréatiques. Au vu de cette décision et du nombre de recours qui ont été engagés, je ne suis pas certain que, à la fin, nous compterons encore beaucoup de mégabassines !
Jean-François Longeot et Mireille Conte Jaubert mentionnaient l’enjeu central du réseau d’eau potable, qui connaît des pertes importantes. La remise en état de ce dernier coûte beaucoup d’argent, mais, puisque l’eau n’est pas chère en France – je vais tout à fait dans le sens de Jean-François Longeot –, nous disposons certainement de marges de manœuvre.
En préparant ce débat, j’ai d’ailleurs découvert avec intérêt que le nucléaire français paie l’eau 0,1 euro alors que l’agriculture la paie 1 euro. Le monde agricole ne peut que dénoncer cette inégalité. J’espère, madame la ministre, que vous serez capable de rétablir l’équilibre : il serait alors possible de dégager des moyens susceptibles d’améliorer les réseaux.
De plus, nous connaissons actuellement des problèmes aigus de qualité des eaux. Nous avons tous lu les derniers rapports sur les risques liés aux nouveaux perturbateurs endocriniens, comme le flufénacet. Face à cet enjeu majeur, il faut certainement imaginer à présent, madame la ministre, une taxe sur les entreprises à l’origine de ces polluants diffus. Elle créerait également de nouvelles ressources pour répondre à l’enjeu de la qualité des réseaux. Pour résumer les choses : l’eau ferrugineuse, oui, l’eau pleine de perturbateurs endocriniens permanents, non ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
En outre, je note, madame la ministre, que vous avez tenu un propos très clair sur la protection des points de captage d’eau. Je vous signale à ce sujet que, à l’Assemblée nationale, mon collègue Jean-Claude Raux vient de déposer une proposition de loi pour protéger durablement la qualité de l’eau potable. Je ne doute plus du soutien du Gouvernement à ce texte extrêmement important ! En effet, le défaut de protection des points de captage oblige ensuite les collectivités territoriales à engager beaucoup de dépenses pour garantir la qualité de l’eau distribuée.
Madame la ministre, je viens de vous donner deux exemples de recettes possibles sur la ressource en eau dans un moment où le budget de l’État est pour le moins contraint. Même si j’ai bien compris votre argument du simple décalage dans le temps pour les plafonds de recettes, vous n’êtes donc pas obligée d’essorer de nouveau la trésorerie des agences de l’eau pour rééquilibrer le budget de l’État, même s’il s’agit d’une tradition gouvernementale…
Nous avons besoin de diriger cet argent vers l’eau. Il est important pour le contribuable que ce qu’il paie pour l’eau aille à l’eau ! Nous pourrions élargir le propos : il est important que ce que le contribuable paie pour le fonds Barnier (fonds de prévention des risques naturels majeurs) reste au fonds Barnier et donc à la prévention et à la lutte contre les catastrophes naturelles. En effet, 200 millions d’euros disparaîtront de ce fonds pour retourner au budget de l’État.
J’en viens à mon point principal, madame la ministre, que Jean-François Longeot et vous-même mentionniez : il a été peu question jusqu’à présent des projets de territoire pour la gestion de l’eau alors qu’ils constituent une des grandes conclusions du Varenne de l’eau.
Rien n’est plus anxiogène et susceptible de créer des tensions dans la société que la gestion de l’eau. Il suffit de revenir à Marcel Pagnol et à Manon des sources !
Les PTGE traduisent notre capacité collective à gérer au mieux la ressource et à créer du consensus sur le terrain, en réunissant l’ensemble des acteurs économiques et agricoles ainsi que les collectivités. C’est véritablement la direction que nous devons emprunter, sans quoi nous irons vers une société de plus en plus sous tension. Malheureusement, c’est un peu la tendance générale.
En 2022, un certain nombre de propositions ont été formulées dans un rapport de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable pour augmenter le nombre des PTGE, une cinquantaine de ces projets de territoire ayant été mis en place, cependant que l’objectif de l’État est d’atteindre en 2027 la centaine. Madame la ministre, êtes-vous prête à aller plus loin et à partir de ce rapport pour renforcer ces projets en leur donnant peut-être la même force que celle des programmes d’actions de prévention des inondations (Papi) ? Si nous ne créons pas le consensus sur l’eau, alors nous ne le créerons sur aucune des questions redoutables qui sont devant nous en matière d’adaptation au changement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques. Monsieur le sénateur Dantec, un comique de répétition prend forme autour du nucléaire… Ces installations rendent 90 % de l’eau prélevée au milieu, comme vous le savez.
M. Ronan Dantec. Légèrement réchauffée !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. C’est parfaitement exact : légèrement réchauffée, selon des valeurs limite qui font l’objet d’un suivi rapproché, y compris au regard des effets de ces rejets sur l’écosystème. D’autres prélèvements se font sans que l’eau soit restituée par la suite, ce qui explique la différence de tarification.
La feuille de route fixée à partir de la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite directive Eau potable, comprend la protection des captages. Nous n’avons donc pas besoin d’un véhicule législatif pour défendre celle-ci et les enjeux qui lui sont liés : compréhension et suivi scientifiques, prise en compte du travail réalisé à l’échelle de la maille territoriale et du travail avec les agriculteurs. En revanche, il faut publier des arrêtés importants avant la date de mise en œuvre déterminée de cette feuille de route, notamment sur les points de prélèvements sensibles.
Les PTGE s’articulent avec les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE). Notre objectif est que, dans l’idéal, ces projets de territoire couvrent tout le pays, dans une logique de concertation sur l’ensemble du territoire français. La conférence nationale sur l’eau est une illustration de ce que nous défendons puisqu’elle a vocation à se tenir à l’échelle de chaque bassin dans le cadre d’une gouvernance ouverte s’appuyant sur celle des agences de l’eau.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Hervé Gillé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malheureusement, l’été 2024 ainsi que les dramatiques événements espagnols nous ont, une fois encore, démontré l’urgence d’une gestion raisonnée et équilibrée de notre ressource en eau. En Gironde, comme dans de nombreux territoires, nous avons vécu des épisodes contrastés : des périodes de sécheresse ont été suivies de précipitations parfois excessives. Cette situation nous impose de repenser en profondeur notre rapport à l’eau et d’adopter une approche globale et cohérente.
Premièrement, nous devons faciliter la pénétration naturelle de l’eau dans nos sols. C’est la clé de voûte d’une gestion durable de notre ressource, car les nappes phréatiques sont nos réserves naturelles et leur recharge doit être notre priorité. Concrètement, cela signifie repenser nos pratiques d’aménagement du territoire.
En Gironde, certaines collectivités ont déjà mis en place des projets pilotes prometteurs. À Bordeaux Bacalan dans le quartier des Bassins à flot, plusieurs hectares derrière la base sous-marine ont été désimperméabilisés. Le projet d’ampleur, de plus de 100 millions d’euros, du champ captant des Landes du Médoc, qui vise à alléger les prélèvements sur la nappe profonde, est également un projet de solidarité territoriale, accompagné par l’agence de l’eau Adour-Garonne dans son douzième programme.
Deuxièmement, ma position sur les retenues collinaires est claire : ces ouvrages peuvent être pertinents, mais uniquement lorsqu’ils s’inscrivent dans un véritable projet de territoire. Ils doivent être non pas une solution de facilité, mais un outil parmi d’autres dans une stratégie globale. Quand ils sont bien conçus et bien intégrés, ces ouvrages multi-usages permettent de stocker l’eau en période d’abondance pour la restituer lors des périodes de stress hydrique.
Outre les travaux de la délégation sénatoriale à la prospective qu’a mis en avant Jean Sol, la mission sénatoriale de 2023 sur la gestion durable de l’eau, dont j’ai été avec plaisir rapporteur, a formulé à ce titre des recommandations fortes, qui restent d’actualité.
Il est essentiel de garantir des procédures claires s’inscrivant dans des délais raisonnables d’autorisation et de déclaration des ouvrages de retenue. Il faut conditionner l’autorisation d’édification de ces derniers à des contrats d’engagements réciproques, portant notamment sur des changements de pratique, et mettre en place un suivi fin de leur fonctionnement et de leurs effets une fois bâtis. Cette contractualisation doit être développée quels que soient les usages pour engager l’ensemble des parties prenantes sur des objectifs communs.
Troisièmement, nous devons impérativement développer une stratégie de sobriété hydrique. Cela passe par plusieurs leviers : une meilleure gestion des eaux pluviales, notamment en milieu urbain, grâce à des systèmes de récupération et de réutilisation, la protection et la restauration de nos zones humides, véritables éponges naturelles qui jouent un rôle crucial dans la régulation du cycle de l’eau, et l’accompagnement de nos agriculteurs vers des pratiques plus économes, de manière à leur permettre de changer de modèle, sans doute avec l’appui des collectivités territoriales. Certaines régions jouent actuellement le jeu de cette politique par le biais des fonds européens.
Les zones humides sont essentielles. Leur préservation n’est pas qu’une question environnementale : elle est un enjeu de résilience territoriale.
Par ailleurs, il est particulièrement important, à cette fin, que la gestion des eaux pluviales soit intégrée dans les documents d’urbanisme. La planification urbaine doit impérativement inclure des solutions efficaces en la matière pour prévenir les pertes de cette ressource précieuse et éviter les risques d’inondation.
Une meilleure qualification des réseaux hydrologiques est donc essentielle pour assurer le ressuyage des sols, leur régénération naturelle et l’évacuation contrôlée des eaux pluviales. Cela permettrait de mieux gérer l’eau à l’échelle du territoire, de limiter l’imperméabilisation des sols et de garantir une évacuation contrôlée des eaux pluviales, notamment en période de fortes pluies.
Une telle approche doit être systématiquement intégrée dans les documents d’urbanisme afin de structurer une gestion durable et préventive à l’échelle de chaque commune.
Nous l’avons vu également dans le Pas-de-Calais : la qualité des réseaux hydrologiques est essentielle et doit nous intéresser prioritairement.
Mes chers collègues, la gestion de l’eau est une question non plus technique, mais politique, au sens général : c’est un défi de société qui nécessite une approche systémique. Les événements de l’été 2024 nous ont montré que nous devions agir vite, mais surtout intelligemment, et mobiliser tous les moyens nécessaires, notamment en matière de prévention. Nous en avons débattu avec vous, madame la ministre, au travers du fonds Barnier. Les moyens de ce dernier ont été rehaussés de 75 millions d’euros : il faudra peut-être essayer d’utiliser la totalité de ses 450 millions d’euros.
L’examen budgétaire sera l’occasion, au-delà des postures et des discours, de savoir qui, concrètement, souhaite agir pour protéger la ressource en eau, en renforçant les moyens alloués à sa protection. Il n’y aura pas de politique de l’eau ambitieuse sans moyens financiers ambitieux. Varenne de l’eau, plan Eau, etc. : la grande conférence sur l’eau est attendue, mais il ne faut pas en rester à l’incantation. Donnons-nous la capacité d’agir ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cécile Cukierman et M. Pierre Jean Rochette applaudissent également.)