Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Véronique Guillotin.
2. Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
3. Démissions d’un vice-président et d’un secrétaire du Sénat
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Alexandra Borchio Fontimp,
Mme Véronique Guillotin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes. (M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont introduits dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)
Monsieur le Premier président, monsieur le rapporteur général de la Cour des comptes, c’est avec plaisir que nous vous accueillons ce matin pour notre traditionnel débat sur le rapport public annuel de la Cour.
Il s’agit d’un rendez-vous important, car il nous apporte un éclairage précieux pour l’exercice de notre mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement.
Vos conclusions et les orientations qui les accompagnent nourrissent également nos débats législatifs.
Je vous remercie donc de votre présence, mais aussi – je tiens à le dire – pour la qualité de la relation entre la Cour, nos commissions et le Sénat tout entier.
Comme chaque année, je donnerai la parole aux présidents de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, puis à un représentant de chaque groupe politique, afin que le Sénat puisse s’exprimer, dans toute sa diversité, sur les observations et recommandations formulées dans ce rapport public annuel.
Monsieur le Premier président, la Cour s’est penchée cette année sur l’importance des politiques publiques en faveur de la jeunesse. L’effort de la Nation en ce domaine est aujourd’hui réel ; nous vous écouterons avec intérêt sur l’évaluation de son ampleur et de son efficacité.
En tout état de cause, il reste, vous le soulignez, des défis à relever.
Au premier rang de ces défis figurent les disparités territoriales – nous venons d’échanger à ce sujet –, qui affectent notamment les zones rurales et l’outre-mer, où la question de l’égalité d’accès aux services publics est prégnante ; notre assemblée s’en fait souvent l’écho.
Le Sénat est d’ores et déjà à la tâche sur ces questions.
Notre assemblée représente les collectivités territoriales, elles-mêmes en première ligne pour ce qui est de ces politiques ; nul doute, donc, qu’elle se saisira de votre rapport.
Monsieur le Premier président, je vous invite maintenant à rejoindre la tribune : vous avez la parole. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes.)
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier le président du Sénat des mots de bienvenue qu’il a adressés et de l’accueil qu’il a réservé, comme d’habitude, à la Cour. Ces mots et cet accueil traduisent la qualité des liens qui unissent nos deux institutions, et vous savez combien j’y suis attaché.
Comme l’un de mes illustres prédécesseurs, Philippe Séguin, aimait à le dire, la Cour se trouve à équidistance entre le législatif et l’exécutif, ce qui signifie qu’elle répond plus que volontiers aux demandes du Parlement, en particulier à celles de la Haute Assemblée. Du reste, le travail que nous réalisons avec les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat se déroule toujours dans les meilleures conditions.
Le rapport public annuel (RPA) 2025, que je m’apprête à vous présenter, est le fruit d’un travail accompli collectivement par l’ensemble des chambres de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes.
Je tiens à remercier chaleureusement le rapporteur général de la Cour ici présent, les présidentes et présidents de chambre, les deux rapporteurs généraux de ce volumineux rapport, ainsi que toute l’équipe qui a contribué à son élaboration. Je remercie également le groupe d’experts, composé d’une dizaine d’universitaires et de chercheurs spécialistes de la jeunesse, qui a accompagné la Cour tout au long de la préparation de ce document. Le recours à des spécialistes est une innovation de cette année, que nous reproduirons : ces dix spécialistes, chercheurs, professeurs ou médecins, nous ont apporté un éclairage précieux.
La parution de notre rapport public constitue un événement annuel historique pour la Cour : nous nous prêtons à cet exercice important depuis 1832, soit quelques années seulement après la création de l’institution par Napoléon, en 1807. J’y suis donc très attaché et nos concitoyens y sont très attentifs.
Cet exercice, vous le savez, a changé de nature depuis 2022 : la Cour publie désormais tous ses rapports et, dans ces conditions, il n’était plus pertinent de publier une sorte de mélange de nos principales observations. Le rapport prend donc la forme d’une publication thématique, centrée sur une problématique choisie collégialement.
Notre choix s’est porté cette année sur le thème des politiques publiques en faveur des jeunes. C’était en quelque sorte une évidence, tant la France, comme les autres pays européens, entre dans un tournant en matière démographique. Dans ce contexte, l’action publique à destination de la jeunesse est tout à la fois une nécessité, une chance et une source d’immenses défis. Les politiques conduites en ce domaine ne sont pas seulement une réponse à des besoins immédiats ; elles sont aussi un investissement stratégique visant à bâtir une société plus résiliente, plus prospère et plus équitable.
La jeunesse n’a pas de définition juridique : beaucoup de chercheurs considèrent qu’il est très difficile de la définir en soi. Elle désigne pour chacun une période de construction de l’identité, marquée par des défis psychologiques et des basculements. Sans accompagnement, nous le savons, ces basculements peuvent être source de vulnérabilité, d’exclusion ou d’échec.
Pour ce rapport public annuel, les juridictions financières ont privilégié une tranche d’âge, celle des 15-25 ans, soit les dix années qui vont de la sortie du collège à l’acquisition de l’ensemble des droits sociaux et fiscaux, le dernier de ces acquis étant l’accès au revenu de solidarité active (RSA), à 25 ans. Aussi notre rapport ne traite-t-il ni du collège ni de l’école primaire ; mais nous aurons l’occasion de revenir prochainement sur ce dernier point en rendant public un rapport important.
Les jeunes âgés de 15 à 25 ans étaient 9 millions en France en 2024, soit 13,2 % de la population. Tournant démographique oblige, cette proportion va toutefois baisser de façon alarmante : selon l’Insee, d’ici à une dizaine d’années, elle sera inférieure à la proportion des plus de 75 ans.
Autre caractéristique, et à cet égard nous nous montrons confiants, sinon optimistes, alors que l’on nous reproche parfois d’être trop critiques : l’accès de la jeunesse à l’autonomie est globalement une réussite dans notre pays. Les jeunes achèvent leurs études en moyenne à 21 ans et demi, et plus de la moitié d’entre eux sont diplômés du supérieur, proportion supérieure à la moyenne européenne, qui s’établit à 42 %. Les jeunes Français quittent le domicile parental à 23 ans et demi, âge moyen certes plus élevé qu’il y a quelques années, mais moins élevé que chez nos partenaires européens. Surtout, l’entrée des jeunes dans la vie active est massivement réalisée à 25 ans : 88,5 % des 15-24 ans sont en études, en formation ou en emploi.
Les politiques publiques en faveur des jeunes sont un enjeu massif en matière de dépenses publiques. La Cour a calculé le montant des dépenses de l’État spécifiquement destinées aux jeunes âgés de 15 à 25 ans : nous les avons estimées à 53,4 milliards d’euros, soit 12 % du budget de l’État et 2 % du PIB ; encore faut-il préciser que ce chiffre comprend uniquement les mesures spécifiques aux jeunes et ne prend pas en compte les dépenses publiques générales ou sectorielles qui les concernent également.
Les dépenses d’éducation – cela ne surprendra personne – représentent les quatre cinquièmes de cette dépense, soit plus de 40 milliards d’euros. L’effort financier déployé pour la jeunesse est donc bien réel, d’autant que s’y ajoute bien entendu l’action des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale, qu’il est très difficile de chiffrer isolément.
Autre défi pour l’action publique : les jeunes sont particulièrement exposés aux inégalités – vous le disiez, monsieur le président –, qu’elles soient économiques, sociales, éducatives ou territoriales, c’est-à-dire géographiques. Le taux de pauvreté des jeunes de 18 à 25 ans demeure en France de 10 %, niveau élevé quoique inférieur à celui qui est observé en Allemagne ou en moyenne dans les pays de l’OCDE.
Les inégalités territoriales ressortent aussi très fortement de notre rapport : inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, aux transports collectifs, à la pratique sportive ou à l’emploi, selon que l’on est jeune rural, urbain, ultramarin ou résident d’un quartier prioritaire de la politique de la ville. Je citerai un chiffre, un seul, pour illustrer ces disparités : 20 % des jeunes ruraux accèdent à l’enseignement supérieur, contre 32 % des jeunes urbains, alors même que les jeunes ruraux ont de meilleurs résultats. Cela veut bien dire que les premiers sont confrontés à toute une série de blocages ou d’obstacles, qu’il convient de lever.
La pluralité de cette jeunesse pose un autre défi majeur : l’élaboration de politiques publiques efficaces et ciblées. Depuis les années 1980, avec des hauts et des bas au gré des alternances, la jeunesse a été érigée en priorité des politiques publiques. Longtemps, ces politiques ont été centrées sur l’insertion professionnelle ; s’y sont ajoutées, depuis 2009, des priorités telles que l’autonomie, l’égalité des chances et la participation à la vie publique.
Cette impulsion a conduit à la multiplication des instruments déployés : Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, Agence du service civique, service public de l’orientation, RSA jeunes, etc. Ces politiques en faveur des jeunes manquent néanmoins d’une approche structurée et coordonnée. Leur gouvernance est fragmentée entre les très nombreux acteurs impliqués : les jeunes eux-mêmes, bien sûr, leurs familles, évidemment, mais aussi les associations, et un nombre considérable d’acteurs publics aux niveaux national et local.
Il n’existe pas d’organisation chapeautant une politique unique en faveur de la jeunesse, conçue comme un tout et qui serait à même d’en répondre devant le Parlement et les citoyens.
L’ensemble des enjeux que je viens d’énumérer se cristallisent en définitive autour de grandes questions, que nous avons traitées tout au long des seize monographies composant le rapport : qu’en est-il de la qualité de la dépense publique en faveur de la jeunesse ? Quel devrait être l’équilibre entre les mesures réservées aux jeunes, d’une part, et les politiques de portée générale auxquelles ils ont accès, d’autre part ? Quid du ciblage des dispositifs vers les jeunes les plus en difficulté ?
Cela n’a pas dû vous échapper : l’édition 2025 de notre rapport public annuel ne comporte plus de chapitre préliminaire consacré à la situation des finances publiques. Nous avons en effet décidé de décorréler ce chapitre du rapport public annuel pour le publier sous forme de rapport ad hoc : ce fut chose faite le 13 février dernier, dans le cadre d’une alerte spécifique liée à une période sensible et compliquée.
Le présent rapport est donc composé de seize chapitres thématiques correspondant à autant de monographies sur les politiques publiques en faveur des jeunes. Je précise d’emblée qu’il s’agit non pas d’une analyse exhaustive de toutes les politiques destinées aux jeunes, mais d’une image concrète des mesures qui ont été jusqu’à présent mises en œuvre, des résultats obtenus et des défis que la France doit encore relever.
Ces seize chapitres s’articulent autour de quatre prismes structurants pour l’action publique. Je n’aurai pas le temps de revenir sur chacun des chapitres – vous en faire la présentation détaillée serait inutile –, mais je vous invite chaleureusement, mesdames, messieurs les sénateurs, à les consulter et à m’interroger autant que de besoin, si vous le souhaitez, à l’issue de mon propos.
La première partie de notre rapport porte sur l’accès des jeunes à l’éducation et à la formation. Elle est elle-même composée de quatre enquêtes traitant successivement de l’orientation, de l’obligation de formation des jeunes âgés de 16 à 18 ans en décrochage, de la prévention de l’échec universitaire et de l’accès des jeunes ruraux à l’enseignement supérieur.
Je dirai quelques mots de l’orientation au collège et au lycée. Malgré l’importance de l’enjeu et malgré son coût, qui est de quelque 400 millions d’euros, cette politique ne permet pas de dépasser les déterminismes, les stéréotypes et les inégalités entre filières. La Cour préconise notamment de rendre obligatoires des modules relatifs à l’orientation dans la formation initiale des enseignants, qui sont désormais chargés de cette mission avec les régions, et d’adapter leurs emplois du temps pour qu’ils assument pleinement cette compétence.
J’aimerais également insister sur l’enquête que nous avons consacrée à l’accès des jeunes ruraux à l’offre d’enseignement supérieur. J’ai déjà dit les chiffres : nous constatons que les jeunes ruraux accèdent beaucoup moins fréquemment que les jeunes urbains à l’enseignement supérieur et que, le cas échéant, ils accèdent à une offre moins développée, davantage orientée vers les cursus courts. Et pourtant – le paradoxe est là –, leurs résultats aux examens sont meilleurs. Cela signifie que leurs difficultés d’accès proviennent non de je ne sais quelles caractéristiques sociales ou culturelles, mais bien de caractéristiques territoriales et de freins individuels, qui peuvent n’être pas sans rapport, d’ailleurs, avec certains stéréotypes.
Dans ce contexte, il est surtout nécessaire de favoriser la mobilité des jeunes ruraux vers les pôles de formation. Nous recommandons notamment de réexaminer les modalités d’attribution des bourses pour mieux tenir compte de l’éloignement géographique dans le calcul des aides.
La deuxième partie de notre rapport traite de l’aide à l’entrée des jeunes dans la vie active et l’autonomie. Il comporte lui aussi quatre chapitres qui traitent successivement de l’emploi, du logement, de la mobilité en transports collectifs et du soutien des jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
J’évoquerai brièvement la question de l’emploi. Depuis 2017, le niveau d’emploi des jeunes s’améliore, surtout grâce à l’alternance. Parallèlement, on le sait, le coût des dispositifs associés a explosé pour atteindre 7,3 milliards d’euros en 2023. Par ailleurs, des difficultés structurelles persistent : si, je l’ai dit, l’entrée dans l’autonomie est globalement plutôt réussie, plus de 10 % des jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.
L’accès à l’emploi reste très dépendant du diplôme et les inégalités territoriales sont fortes, en particulier en défaveur des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. La Cour recommande, comme elle l’a fait à de nombreuses reprises, de formaliser une stratégie contracyclique pour l’emploi des jeunes, mieux articulée avec le droit commun et mieux ciblée sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi.
Nous avons aussi examiné l’accès des jeunes au logement, qui est la première condition de leur accès à la formation et à l’emploi, donc à l’autonomie. Les spécificités des jeunes en matière de logement sont nombreuses : mobilités fréquentes, recherche de petites surfaces en ville, durées limitées, revenus faibles ; elles les rendent très vulnérables.
Or la politique du logement en faveur de la jeunesse est très fragmentée. Il faut agir à l’échelle de chaque territoire, en renforçant la coordination locale et en veillant au partage d’expériences entre territoires, grâce à la désignation d’un chef de file à l’échelon national.
L’emploi comme le logement impliquent parfois une mobilité géographique importante, en particulier pour les jeunes situés dans les zones rurales ou périurbaines.
C’est pourquoi j’aimerais également vous livrer certains de nos constats sur la mobilité des jeunes en transports collectifs. Quelque 38 % des jeunes ruraux ont déjà renoncé à un entretien d’embauche en raison de difficultés de déplacement.
Les autorités organisatrices de la mobilité ont pour stratégie d’octroyer aux jeunes des réductions tarifaires, sans cibler les plus défavorisés et au prix de pertes de recettes. Or c’est non pas le prix, mais plutôt le manque d’offre, notamment dans les zones périurbaines et rurales, qui entrave la mobilité des jeunes. Nous préconisons donc d’améliorer la connaissance de ce dont ils ont besoin pour se rendre au travail, de mieux tenir compte des ressources dans l’octroi d’avantages tarifaires et de mieux coordonner l’offre entre collectivités.
J’en arrive à la troisième partie du rapport, où sont examinées les politiques de prévention à destination de la jeunesse, qu’il s’agisse d’encourager les pratiques sportives, de prévenir les addictions ou de lutter contre les mauvaises habitudes alimentaires. Le maître mot, ici, est celui d’« inégalités ».
Pour ce qui concerne le sport, les chiffres globaux sont excellents : près de 80 % des jeunes Français sont des sportifs réguliers et la France compte 16,5 millions de licenciés. On observe toutefois un très fort décrochage des pratiques sportives entre 15 et 25 ans. En outre, les politiques publiques s’adressent davantage aux jeunes déjà sportifs qu’aux profils les plus éloignés d’une pratique, comme les femmes, les jeunes en situation de handicap ou ceux qui sont en difficulté socio-économique. Ces profils devraient être les cibles d’une stratégie définie et mise en œuvre par l’État en lien avec les collectivités et les acteurs privés du sport.
Nous avons également mené une enquête sur les addictions des jeunes aux drogues et à l’alcool, enjeu crucial pour notre pays. Un jeune sur dix s’estime dépendant aux drogues ou à l’alcool et 2,6 % des jeunes déclarent consommer de l’alcool quotidiennement !
La Cour estime que les efforts de prévention ne sont pas à la hauteur des enjeux et qu’ils sont insuffisamment ciblés sur les jeunes. À cet égard, nous ne sommes tout simplement pas bons ; il suffit pour nous en convaincre de nous comparer à nos voisins européens. Les exemples des pays du Nord plaident pour adopter une approche plus volontariste et plus transversale, en mobilisant le milieu éducatif, en lançant une campagne de communication ciblée sur les jeunes et en instaurant – cette dernière proposition peut sans doute faire débat – un prix minimum de l’unité d’alcool pur dans chaque boisson.
Toujours dans le domaine de la prévention, nous nous sommes penchés sur l’obésité chez les jeunes en nous intéressant aux exemples de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Les conséquences sanitaires de l’obésité limitent l’avenir et réduisent l’espérance de vie des jeunes concernés. En outre, elles ne sont pas sans effet sur les budgets de la protection sociale.
Les chiffres sont spectaculaires : le taux de prévalence de l’obésité s’élève à 15 % dans l’Hexagone, à 38 % en Nouvelle-Calédonie et à 48 % en Polynésie française. Cela signifie que la politique de prévention en santé publique comporte des lacunes et qu’elle n’est pas une priorité ; nous formulons plusieurs recommandations pour qu’elle le devienne.
Dans la quatrième et dernière partie du rapport sont examinées les politiques d’apprentissage à la citoyenneté et à la vie dans la cité.
Le premier chapitre de cette partie est consacré à la journée défense et citoyenneté (JDC), qui concerne 800 000 jeunes par an pour un budget d’environ 100 millions d’euros. La JDC est soumise à de très fortes tensions : elle a d’ailleurs été raccourcie à deux heures quarante-cinq en 2024, sur une base juridique fragile. Nous montrons que ce dispositif a sans cesse été ajusté, remanié et refondu, sans que l’on parvienne à trouver un positionnement. Quant aux objectifs de cette journée, ils ont été brouillés par la pluralité des messages.
Le ministre des armées a récemment annoncé une nouvelle réforme de la JDC visant à la remilitariser. Il faudrait en profiter pour rationaliser les objectifs, le contenu et la base juridique du dispositif, au moment où il est essentiel de renforcer le lien entre les jeunes, la Nation et l’armée.
Un autre chapitre de cette dernière partie traite des jeunes et de la justice pénale.
Si la délinquance des jeunes est difficile à estimer, il est certain que ceux-ci sont surreprésentés dans la population délinquante : ils représentent 12 % de la population française, mais 26 % des mis en cause, 34 % des poursuivis et 35 % des condamnés en 2023. Or l’efficacité de la politique pénale à destination des jeunes est limitée, malgré des moyens publics estimés à au moins 2 milliards d’euros par an. Le taux de récidive chez les jeunes, s’il est stable depuis 2010, est plus élevé que dans le reste de la population.
Les outils dont dispose l’État pour comprendre ce phénomène et adapter sa politique en conséquence sont trop faibles ; ils doivent être impérativement améliorés. Il est également indispensable de déployer une action précoce à l’égard des familles et de renforcer la coopération entre acteurs.
Quelques grands enseignements, et deux idées-forces, se dégagent de ces seize coups de sonde dans les politiques publiques en faveur des jeunes.
La première de ces idées-forces, c’est que le problème tient non pas à la quantité de la dépense – la jeunesse française n’est pas abandonnée par l’État et les acteurs publics –, mais à sa qualité et à son efficience.
La deuxième, c’est qu’il est indispensable de mieux cibler les politiques publiques en faveur des jeunes, pour renforcer leur cohérence, leur efficacité et leur équité. Pour atteindre ces objectifs, la Cour a dégagé six grandes orientations.
Tout d’abord – c’est la première de ces orientations –, il faut mieux différencier les soutiens et les mesures en fonction des publics ciblés. Tous les jeunes ne disposent pas des mêmes chances. Les politiques publiques doivent réduire les inégalités en passant d’un pilotage par l’offre à un pilotage par les moyens et les résultats ; il y va de l’efficacité des finances publiques, mais aussi de leur soutenabilité.
Deuxième orientation : il faut repenser l’organisation et le contenu des parcours de formation initiale, afin de mieux préparer l’autonomie sociale et économique des jeunes.
Troisième orientation : la prévention.
Pour atteindre ces trois premiers objectifs, il nous faut commencer par renforcer la lisibilité des politiques publiques en faveur de la jeunesse. Le taux de non-recours des jeunes à leurs droits atteint en effet des niveaux très élevés. Il est donc impératif de mieux les informer et de mieux communiquer auprès d’eux sur leurs obligations envers la collectivité.
Nous avons par exemple observé chez les jeunes une très forte méconnaissance du système fiscal. Selon les résultats d’un sondage mené par la Cour, plus d’un quart d’entre eux trouvent même légitime de frauder le fisc si cela est possible ; voilà qui témoigne d’un problème fondamental d’éducation à l’entrée dans l’impôt.
Quatrième orientation : il est impératif de mieux coordonner les actions des différents acteurs publics et privés œuvrant dans ce domaine. J’évoquais, en préambule de mon propos, l’enchevêtrement des responsabilités et des compétences des très nombreux acteurs concernés. Il faut clarifier les rôles de chaque intervenant, préciser les responsabilités de chaque échelon, renforcer la collaboration à tous les niveaux.
Nous devons par ailleurs – c’est la cinquième orientation – nous doter d’outils rigoureux de suivi et d’évaluation des politiques en faveur des jeunes. Les dispositifs que nous avons examinés sont dans l’ensemble utiles, appréciés, efficaces, mais ils ne sont pas assortis d’outils de suivi et de contrôle suffisants – je pense par exemple au repérage des jeunes en décrochage scolaire âgés de 16 à 18 ans. Disposer de données quantitatives éprouvées permet en outre de détecter les risques émergents.
J’en viens à la dernière des préconisations transversales de notre rapport : il convient de doter la France d’une sorte de plan stratégique en faveur des jeunes – en un mot, de planifier.
Ce que nous apprennent ces seize enquêtes, c’est que les jeunes ont des besoins et des aspirations spécifiques dans la plupart des domaines qui relèvent de l’action de l’État : santé, emploi, éducation, inclusion sociale et citoyenne. Ces besoins et ces aspirations doivent être clairement identifiés dans une stratégie nationale distinguant, si nécessaire, différentes catégories de jeunes. Ensuite pourront – devront – être conçues des solutions adaptées et hiérarchisées, en veillant toujours à réduire les inégalités d’accès aux services publics.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands messages que nous retirons de ce travail très important, pour ne pas dire colossal. Je vous invite à lire chaque chapitre : je n’ai pu qu’évoquer en quelques mots certaines des problématiques – pas toutes – qui sont traitées dans le rapport.
Au cours de l’instruction de ces seize contrôles, la Cour a pu constater l’implication sans faille de tous les acteurs chargés de l’action publique en ce domaine. Le travail que nous avons conduit donne confiance : confiance dans notre jeunesse et confiance dans l’action publique en faveur de la jeunesse.
N’oublions pas cependant que de nombreuses difficultés trouvent en réalité leur origine avant l’âge de 15 ans. Les jeunes, plus que les autres, en font l’expérience : l’égalité des droits n’est pas l’égalité des chances ; voilà précisément ce que l’action publique doit s’atteler à changer. La réussite à l’école primaire est, pour la jeunesse en devenir, l’un des prérequis les plus cruciaux : c’est là que naissent les inégalités. Nous publierons prochainement, je le disais, un rapport important sur ce sujet.
La jeunesse – nous l’avons vécue – est un moment passionnant, mais intrinsèquement délicat et parfois difficile. La plupart des politiques en faveur de la jeunesse ont intégré cette dimension. Mais se concentrer sur les problèmes rencontrés par les jeunes, ce qui est naturellement notre rôle, ne doit cependant pas faire oublier l’essentiel : l’atout formidable que représente la jeunesse française, la ressource inestimable qu’elle est.
Je conclurai en évoquant son dynamisme : nous n’avons rien à envier, sous ce rapport, à nos partenaires européens. Il arrive qu’en se comparant on se désole, mais, en l’espèce, il y a vraiment de quoi se consoler. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP, SER et GEST.)
M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Nous allons procéder au débat, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, comme chaque année, nous sommes réunis pour la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes au Parlement.
Cet exercice, bien que traditionnel, ne résume en rien l’ensemble de nos relations avec cette institution. Ainsi, la commission des finances a auditionné, au début de ce mois, les magistrats financiers, auteurs de l’enquête très intéressante que nous leur avions demandée sur la gestion de l’eau potable et de l’assainissement en outre-mer.
Plus largement, les rapporteurs spéciaux de la commission suivent avec attention les travaux de la Cour des comptes, chacun dans leur domaine de compétences. Ils seront bien entendu très attentifs au contenu de cette édition du rapport public annuel.
Avant d’aborder son thème central – les politiques publiques en faveur de la jeunesse –, je note que ce rendez-vous annuel n’est plus l’occasion de vous entendre et d’échanger sur la situation des finances publiques. En effet, les développements y afférents, qui figuraient traditionnellement dans le rapport, ont disparu ou, plus exactement, ils ont fait l’objet d’une autre publication en février dernier.
Je suis toujours attentif à l’analyse de la Cour comme à celle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Aussi, je ne vous cache pas que je suis un peu déçu que nous n’abordions pas ce sujet ce matin, d’autant que la commission des finances partage avec vous beaucoup de constats, en particulier en ce qui concerne la dérive des comptes publics depuis 2023. Comme vous, nous considérons que 2025 constitue une année déterminante pour le redressement des finances publiques.
Je ne reviendrai pas sur les conclusions de notre mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, sauf peut-être pour rappeler que celles-ci ont été adoptées à l’unanimité, ce qui ne sera peut-être pas le cas sur tous les sujets…
M. Jean-François Husson. J’en ai bien l’impression !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je me contenterai d’indiquer l’objectif du Gouvernement pour la préparation du budget pour 2026 : réduire le déficit public de 5,4 % à 4,6 % du PIB, tout en augmentant les dépenses d’investissement dans l’industrie de défense et en préservant notre modèle social.
Cette équation ferait sans doute peur à plus d’un mathématicien ; la porte-parole du Gouvernement a d’ailleurs elle-même parlé hier de « cauchemar » ! Difficile d’employer un terme plus fort…
Seul point positif dans ce tableau, les comptes nationaux des administrations publiques présentés ce matin par l’Insee font apparaître, pour 2024, un déficit inférieur à la prévision, de 5,8 % du PIB, ce qui signifie que, malgré une croissance probablement plus faible que ce qui était espéré pour 2025, la marche des 5,4 % de déficit reste atteignable.
J’en reviens au cœur de ce rapport public annuel. Il a été beaucoup question des politiques en faveur de la jeunesse à la suite de la pandémie de covid-19, mais le sujet a été quelque peu oublié depuis lors.
Pierre Bourdieu disait, dans une formule restée célèbre, que « la “jeunesse” n’est qu’un mot », pour souligner que, derrière l’apparente uniformité d’une génération, se cachent en réalité des situations radicalement différentes et, pour le dire sans détour, de profondes inégalités.
Dans son rapport, la Cour n’ignore pas cette difficulté et la prend au contraire à bras-le-corps, en montrant avec précision et clarté que tous les jeunes n’ont pas les mêmes chances selon le lieu où ils vivent, l’origine de leurs parents, leur genre ou encore les revenus de leur famille. Beaucoup de critères entrent en effet en compte.
Les politiques publiques en faveur de la jeunesse jouent donc un rôle majeur pour rééquilibrer les règles du jeu. Or il apparaît dans ce rapport que sur ce plan, le compte n’y est pas encore, même si des améliorations méritent d’être soulignées. Si les financements en faveur de la jeunesse ont souvent augmenté sur le temps long, il reste en particulier possible de mieux cibler les dispositifs sur les jeunes en ayant le plus besoin et sur certains enjeux majeurs, comme les transports ou l’accès au logement, lesquels sont insuffisamment pris en compte.
Le défi est considérable. Un jeune sur dix vit sous le seuil de pauvreté, contre 7,7 % des 26-65 ans, et la santé mentale des jeunes s’est fortement dégradée au cours des dernières années. Nous avons tous une responsabilité à l’égard de la jeunesse de notre pays. Je me réjouis donc que la Cour des comptes ait décidé cette année de faire un bilan des politiques menées dans ce domaine.
L’accès aux moyens de transport collectif joue un rôle que l’on ne saurait minimiser, que ce soit dans la poursuite des études, pour les loisirs ou pour la recherche d’emploi, en particulier pour les jeunes qui vivent dans les territoires ruraux.
Or la Cour remarque que le principal frein à la mobilité des jeunes tient moins au tarif qu’à l’offre de transport disponible. Sur l’initiative de la commission des finances, l’une des principales recommandations de la mission d’information sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) a ainsi été adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2025 : 50 millions d’euros de recettes issues des quotas carbone ont ainsi été affectés par an aux AOM. Ce montant, il faut le dire, reste modeste, mais il s’ajoute à l’enveloppe existante et traduit une orientation qui doit être poursuivie.
Les inégalités sont également frappantes en matière de logement. La Cour indique que « les plus diplômés accèdent plus vite à l’autonomie, y compris grâce à un soutien financier familial, tandis que 48 % des jeunes en situation de non-emploi résident toujours chez leurs parents cinq ans après la fin de leurs études ». L’accès au logement des jeunes à la recherche de leur premier emploi demeure un angle mort des politiques publiques.
Ainsi, la Cour relève que les capacités des deux principaux réseaux de logement destinés aux jeunes actifs sont quatre fois inférieures à celle des résidences universitaires à vocation sociale, alors que les jeunes non-étudiants sont majoritaires au-delà de 21 ans. Il s’agit bien entendu non pas d’opposer les catégories entre elles, mais de faire en sorte que la politique du logement réponde plus efficacement aux besoins.
Bien entendu, l’atteinte de ces objectifs dépend elle-même du taux d’emploi des jeunes. À ce sujet, la Cour confirme la diminution du taux de chômage des 18-25 ans au cours des dernières années. La part de jeunes chômeurs est ainsi passée de 23,5 % en 2017 à 17,2 % aujourd’hui, même si ce taux reste deux fois supérieur à celui de la population générale.
L’effort financier de l’État en faveur de l’emploi des jeunes est indéniable : les dépenses publiques ciblées sont passées de 3,4 milliards d’euros en 2017 à 7,2 milliards d’euros en 2023, principalement sous l’effet de la montée en puissance des aides à l’apprentissage.
Toutefois, la Cour relève que le lien de causalité entre les deux phénomènes n’est pas entièrement établi et que le principal déterminant de l’accès des jeunes à l’emploi demeure la conjoncture économique. Les magistrats financiers préconisent donc une stratégie qui privilégie les politiques contracycliques et notent que le maintien de la dépense à un niveau très élevé depuis 2022 ne répond pas à cette logique.
Lors de l’élaboration de la loi de finances pour 2025, la commission des finances avait également plaidé pour un recentrage de ces aides sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi.
Je centrerai à présent mon propos sur deux politiques plus sectorielles, mais qui ont une réelle importance : la prise en charge des jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance et l’orientation des jeunes.
La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, a créé un droit opposable à l’accompagnement des jeunes majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance. Ce sont désormais 31 900 jeunes majeurs qui sont pris en charge par les départements, alors qu’ils étaient seulement la moitié moins en 2010. La mise en œuvre de cette loi est toutefois encore très partielle et varie fortement d’un territoire à l’autre.
L’effort financier des départements, lui aussi, reste inégal. L’une des raisons qui l’expliquent est la faiblesse de la compensation financière allouée par l’État au regard du coût de la politique. Une enveloppe de seulement 50 millions d’euros par an y est consacrée, alors même que le montant des dépenses est estimé à 1,2 milliard d’euros !
L’orientation des jeunes constitue un autre point d’attention soulevée par la Cour, qui l’estime à la fois trop tardive et d’une qualité insuffisante : alors que 400 millions d’euros y sont consacrés, environ un quart des lycéens se disent insatisfaits des informations et des conseils qu’ils reçoivent dans leur établissement.
L’orientation demeure en outre genrée et inégalitaire : les filles ne représentent que 13,7 % des effectifs de terminale professionnelle avec des spécialités de production. Seuls 62,1 % des élèves des zones rurales éloignées choisissent une seconde générale et technologique, contre 76,4 % des élèves des zones urbaines denses.
Depuis 2018, la charge de l’orientation revient normalement aux professeurs principaux et non aux psychologues. Or les enseignants sont peu formés à l’orientation.
En conclusion, monsieur le Premier président, je remercie la Cour pour ce tour d’horizon très complet et pour les recommandations assorties. Il nous sera précieux pour nos analyses, notamment lors de la préparation des prochains textes financiers, afin de définir la meilleure allocation possible des moyens aux objectifs attribués à nos politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, comme chaque année, nous avons pris connaissance du rapport annuel de la Cour des comptes avec grand intérêt. Cette année, vous avez décidé de vous focaliser sur les politiques publiques en faveur des jeunes.
Je me félicite de ce choix, tant les enjeux relatifs à la jeunesse, porteuse d’avenir, sont essentiels à nos yeux. Or les politiques dans ce domaine sont rarement évaluées.
Quatre chapitres concernent très directement la commission des affaires sociales.
Tout d’abord, dans ce rapport sont abordés l’emploi des jeunes et les difficultés spécifiques que ceux-ci rencontrent en matière d’insertion professionnelle.
Les moyens mis en œuvre en faveur de cette population ont été doublés depuis 2017, pour atteindre 7,3 milliards d’euros en 2023. Pour autant, les statistiques de l’accès à l’emploi sont connues et, en dépit de réelles améliorations depuis 2018, le taux de chômage chez les jeunes demeure de 17,2 % en 2023, soit un niveau 2,4 fois plus élevé que celui de l’ensemble des actifs.
L’enquête menée par la Cour permet d’objectiver un constat : augmenter la dépense publique n’est pas un gage de meilleurs résultats. Plus précisément, rien ne semble assurer que l’amélioration relative de l’emploi des jeunes soit la conséquence de l’effort financier consenti par les pouvoirs publics. La conjoncture économique reste le premier déterminant de l’accès des jeunes à l’emploi.
Aussi paraît-il urgent de revoir la stratégie en faveur de l’emploi des jeunes. À cet égard, le dispositif « 1 jeune, 1 solution », pertinent pour répondre à la crise sanitaire, ne peut être indéfiniment prolongé. À cet égard, l’exemple de l’apprentissage est éclairant. Durant l’examen des textes budgétaires, le Sénat a engagé ce mouvement de normalisation en cherchant à recentrer l’aide unique à l’embauche de l’apprenti sur les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) et sur les jeunes les moins qualifiés, afin de limiter les effets d’aubaine. Vos recommandations rejoignent les nôtres sur ce point.
Enfin, vous vous intéressez aux évolutions du contrat d’engagement jeune (CEJ) résultant de la loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023. Le rapprochement des missions locales et de France Travail a abouti à un équilibre fragile, entre complémentarité et concurrence dans l’accompagnement des jeunes. Plus généralement, la piste évoquée d’une réduction du nombre de contrats pour les recentrer sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi nous semble prometteuse et propre à concilier efficacité de la dépense publique et accompagnement renforcé des publics les plus en difficulté.
L’enquête de la Cour traite également d’un autre sujet de grande importance : l’aide sociale à l’enfance et, plus précisément, la prise en charge des jeunes majeurs qui en sont issus.
La loi du 7 février 2022 a renforcé les missions du département en matière d’accompagnement des jeunes majeurs pour mettre fin aux situations de sortie sèche du système de protection de l’enfance, encore trop fréquentes. Elle rend obligatoire de proposer une solution aux jeunes sortant de l’ASE jusqu’à leurs 21 ans lorsqu’ils ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants.
Depuis plusieurs années, la part des jeunes majeurs parmi les bénéficiaires d’un accueil de l’ASE ne cesse de croître : ils étaient 18,9 % en 2021 contre 11,7 % en 2017. La faible diminution enregistrée en 2023 s’explique avant tout par la hausse du nombre de mineurs accueillis cette année-là. Malgré cette légère baisse, le coût, comme vous l’indiquez, a augmenté pour s’établir à 1,2 milliard d’euros en raison d’une hausse des mesures d’accueil, plus coûteuses.
Pourtant, la prise en charge des jeunes majeurs à leur sortie de l’ASE reste le parent pauvre des politiques de protection de l’enfance. Ainsi, l’État a débloqué en 2022 une enveloppe de seulement 50 millions d’euros à ce titre, répartie simplement au prorata des jeunes pris en charge et sans condition de respect de certaines exigences par les départements. Voyez donc le delta qui sépare l’engagement de l’État et les obligations des départements…
Par ailleurs, comme vous le relevez, malgré quelques améliorations, les dispositifs prévus par la loi de 2022 sont encore loin d’être pleinement appliqués : les commissions départementales d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs sont absentes de nombreux départements et l’entretien bilan six mois après la fin du contrat jeune majeur n’est que trop rarement réalisé, faute, je le répète, de moyens d’accompagnement des départements.
Je relève tout particulièrement votre inquiétude, déjà identifiée par notre commission, concernant les disparités territoriales dans la prise en charge par l’ASE. Ainsi, la Cour relève que le taux de prise en charge des jeunes majeurs varie de 38 % seulement en Seine-et-Marne à 83 % en Gironde ! Nous ne pouvons que regretter l’absence de pilotage de l’ensemble de la dépense.
Je note enfin une faiblesse majeure dans le dispositif de suivi des jeunes majeurs en situation de handicap. Alors que 15 % à 30 % des enfants pris en charge par l’ASE sont en situation de handicap, aucune disposition législative ni aucun programme national n’est spécifiquement prévu pour l’accompagnement à l’autonomie de ces jeunes majeurs à leur sortie du dispositif. Pourtant, le besoin est évident.
La Cour des comptes, par ailleurs, a consacré un chapitre aux addictions des jeunes aux drogues illicites et à l’alcool, addictions dont les conséquences sanitaires, sociales et économiques sont lourdes.
La situation est préoccupante à plus d’un titre. Malgré une baisse sensible des niveaux de consommation d’alcool et de drogues illicites chez les mineurs, les données restent élevées chez les jeunes majeurs. Vous le montrez bien : au sein de l’Union européenne, la France se démarque, aujourd’hui encore, par des indicateurs très défavorables, qu’il s’agisse de la fréquence de la consommation quotidienne d’alcool ou des niveaux d’usage de drogues illicites, notamment de cannabis et de cocaïne.
Face à cette situation, qui reflète notamment un déficit de prévention auprès des jeunes, la réponse sanitaire et médico-sociale actuelle est à la fois insuffisante et inadaptée.
En matière de dépistage, d’abord, des carences majeures sont à déplorer en raison d’un déficit de formation des médecins généralistes. En ville, deux tiers d’entre eux déclarent ne pas connaître les démarches de repérage précoce.
Ensuite, pour la prise en charge, les jeunes se tournent peu vers les centres d’accompagnement, alors que ces structures spécialisées devraient constituer un relais de la prévention et de l’accompagnement.
Quant à l’offre hospitalière, elle est à la fois très en deçà des besoins et peu ciblée sur les adolescents et les jeunes adultes. Les consultations jeunes consommateurs représentent aujourd’hui l’unique dispositif spécifiquement consacré à l’accueil des jeunes. Au nombre de 260, ces structures souffrent néanmoins d’un sous-dimensionnement notoire.
La commission des affaires sociales souscrit à la recommandation de bâtir une politique de prévention plus ambitieuse et souligne la nécessité de la prolonger par un système de prise en charge mieux coordonné. En matière de lutte contre la consommation de drogues, la prévention joue un rôle essentiel. Nous devons notamment nous inspirer des initiatives prises par nos voisins, comme le Danemark et l’Islande. Pour agir au plus près des jeunes, une implication forte des institutions scolaires est également requise.
Je veux enfin aborder la journée défense et citoyenneté, qui a succédé à la journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), instaurée en 1997. La Cour des comptes pointe un modèle actuel « à bout de souffle ».
De fait, la JDC se trouve prise en étau entre la réduction des moyens humains, notamment parmi les militaires encadrants, et l’enrichissement progressif de ses missions par le législateur. La mise sous tension des effectifs et des moyens a même conduit à mettre en place, depuis l’an dernier, une JDC « adaptée », d’une durée de deux heures et quarante-cinq minutes. Elle s’écarte complètement de la lettre de la loi…
Nous partageons les préoccupations de la Cour des comptes et sa recommandation de clarifier les missions qui demeureront affectées à cette journée. Nous avons d’ailleurs soutenu cette logique lors de l’examen du projet de loi de finances.
Comme la Cour le souligne, il conviendra d’aller au bout de cette démarche et de déterminer ce que nous souhaitons faire de cette journée. Quelques heures ne peuvent suffire à insuffler l’esprit de défense, à dispenser un enseignement civique, à détecter l’illettrisme et à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes… Si ce débat était mené à terme, il faudrait en tirer les conséquences dans un texte encadrant la JDC.
Le rapport confirme, par ailleurs, que la mise en place du service national universel (SNU) a perturbé l’organisation de cette journée. Non seulement le SNU requiert de plus en plus de moyens matériels et d’animateurs militaires, mais il bouscule en outre l’organisation mise en place par la direction du service national et de la jeunesse.
Là encore, nous pensons qu’il faut engager une réflexion globale sur les dispositifs en faveur de la jeunesse qui promeuvent le lien entre l’armée et la Nation ou qui prodiguent des enseignements à la citoyenneté. L’enjeu est d’utiliser au mieux les deniers publics tout en évitant les dispositifs redondants et peu adaptés. La question du rapprochement entre le SNU et la JDC se posera donc nécessairement. Et nous devrons trancher.
Pour conclure, je remercie la Cour pour la qualité de ses travaux et pour ses éclairages. La commission des affaires sociales apprécie tout particulièrement sa coopération avec votre institution, monsieur le Premier président, qui ne se limite évidemment pas à nos échanges sur le rapport public annuel. Je pense par exemple à l’enquête que vous nous avez récemment remise sur la réforme de l’accès aux études de santé. Nous avons d’ailleurs auditionné le ministre chargé de la santé et le ministre chargé de l’enseignement supérieur sur ce sujet, à la suite de cette enquête. Vos travaux nous ont permis d’interpeller l’ensemble des acteurs afin de proposer des évolutions.
Mentionnons également votre rapport sur l’encadrement des téléconsultations, qui nous sera présenté le 8 avril prochain. Nous attendons beaucoup de votre avis sur cet enjeu fondamental en matière de santé publique.
Enfin, vos éclairages sur le système de retraites donneront lieu à une audition conjointe avec la commission des finances, au début du mois de mai. Ces travaux, qui ont alimenté nombre de débats, sont pour nous essentiels. La qualité de votre analyse et la justesse de vos chiffres nous aideront à bâtir des propositions d’évolution.
Vos travaux nous apportent toujours des éléments utiles, propres à alimenter notre action. Ils nous permettent de mesurer l’efficacité d’un grand nombre de politiques publiques et surtout d’élaborer des propositions législatives afin d’y apporter des corrections.
Les constats émis en toute neutralité par la Cour nous invitent à apporter une réponse active. Ils nous poussent ainsi à prendre nos responsabilités et à présenter des propositions directes pour engager les évolutions attendues. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’an dernier, la Cour des comptes s’était attachée à analyser dans son rapport annuel l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. Vous aviez ainsi étudié l’un des sujets qui, selon les sondages d’opinion, inquiètent le plus notre jeunesse.
Cette année, monsieur le Premier président, vous avez sondé directement les politiques publiques en faveur des jeunes. Vous avez analysé de nombreux dispositifs destinés à la jeunesse pour étudier leur efficacité, dans les domaines de l’éducation, de la formation, lors de l’entrée dans la vie active, en matière d’autonomie, de prévention ou encore d’apprentissage de la citoyenneté.
Il me semble que ce rapport, au champ particulièrement large, était nécessaire et il se révélera, à l’avenir, très utile au législateur.
Nous ne pourrons pas débattre aujourd’hui de l’intégralité de ce rapport, tant les données qu’il contient sont nombreuses et les sujets abordés différents les uns des autres. J’ai donc décidé, au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, de vous parler d’un sujet en particulier, qui me tient à cœur : l’accès des jeunes des territoires ruraux à l’enseignement supérieur.
En tant que sénateur des Ardennes depuis 2007, je sais malheureusement à quel point la poursuite des études représente une marche plus difficile à franchir pour les jeunes ruraux que pour ceux qui vivent dans les métropoles.
Je vous remercie, monsieur le Premier président, d’avoir pris ma région, le Grand Est, pour exemple dans votre étude, dont les résultats ne m’étonnent pas…
La France pourrait s’enorgueillir de son très bon score national. En effet, le taux de diplômés de l’enseignement supérieur chez les jeunes âgés de 25 ans à 34 ans en France est supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Pour autant, lorsqu’on étudie le détail de ce résultat et la répartition des diplômés sur le territoire, les chiffres sont beaucoup moins bons.
Près d’un tiers de la population française – 32 % – est diplômée de l’enseignement supérieur, quand ce taux s’établit à seulement 27 % parmi les habitants de la région Grand Est. La part tombe même à 20 % dans la Meuse et à 18,6 % en Haute-Marne. J’ignore à combien elle s’élève dans les Ardennes, mais elle est probablement du même ordre.
Les causes sont nombreuses et connues de tous.
Vous avez évoqué, monsieur le Premier président, la JDC. La Cour des comptes avait réalisé un rapport sur ce sujet pour la commission des finances du Sénat en 2016.
Les formations post-bac présentes dans les territoires ruraux sont essentiellement organisées dans des lycées qui préparent des BTS ou dans des centres de formation d’apprentis gérés par les chambres consulaires. Par ailleurs, le développement de l’offre d’enseignement supérieur dans ces territoires est rendu difficile par le déclin démographique qui y a cours.
Comme pour beaucoup d’autres politiques publiques, la solution doit venir d’une redynamisation des territoires ruraux, qui ont longtemps été abandonnés par l’État. Il faut redonner à nos jeunes les mêmes espoirs et les mêmes perspectives que ceux dont jouissent leurs camarades des grandes villes.
Les solutions sont nombreuses : réindustrialiser pour créer des emplois durables, construire des logements adaptés aux besoins de la population, développer une véritable offre de transport en commun permettant d’aller étudier et travailler, et garantir à chacun un accès égal aux services publics et à la santé.
Beaucoup de ces politiques publiques sont étudiées dans votre rapport et font chacune l’objet d’un chapitre et de propositions pour améliorer l’accompagnement de nos jeunes.
J’en retiens trois, qui me paraissent devoir être mises en œuvre rapidement. Tout d’abord, vous préconisez d’adapter l’emploi du temps des professeurs principaux pour leur permettre d’assurer leur mission d’orientation des jeunes. Ensuite, vous appelez à rendre plus accessibles et lisibles les dispositifs d’accompagnement sur Parcoursup. Enfin, vous recommandez de renforcer l’offre de transport collectif pour les jeunes dans les zones périurbaines et rurales plutôt que les avantages tarifaires.
Ces recommandations me semblent aller dans le bon sens. Elles ont, de plus, l’avantage de ne pas nécessiter le recours à une augmentation permanente de nos dépenses publiques. C’est l’un des fils conducteurs de ce rapport, et je tiens à le saluer.
Nos politiques publiques en faveur des jeunes comportent encore trop de lacunes. Nous devons donc y remédier, sans dégrader davantage nos finances publiques ni faire peser sur nos enfants, c’est-à-dire les jeunes d’aujourd’hui, le fardeau de l’impossible remboursement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Georges Patient applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, tout d’abord, je remercie M. le Premier président de la Cour des comptes de nous donner l’occasion de débattre ce matin du thème de la jeunesse, au moment où des groupes de jeunes venus de toute la France se succèdent depuis le début de la séance dans nos tribunes. Ce débat les concerne finalement plus encore que nous, même si nous avons des responsabilités à leur égard.
Pour commencer, permettez-moi de citer quelques chiffres de votre rapport. Aujourd’hui, en France, 9 millions de jeunes âgés de 15 à 25 ans bénéficient de politiques publiques, pour un montant de 53 milliards d’euros, soit 12 % du budget de l’État et 2 % du PIB de notre pays.
Nous pourrions penser que tous les voyants sont au vert, mais vous soulignez dans votre rapport combien la réalité est différente. Ainsi, 17 % des 15-24 ans sont au chômage. C’est 2,5 fois plus que pour l’ensemble des actifs et 3 points de plus que la moyenne européenne.
Pour ce qui concerne la formation, en 2023, près de 60 % des 16-18 ans, soit quelque 100 000 jeunes, sont sortis du système scolaire, ne respectant pas l’obligation de formation et se trouvant donc sans aucune solution. Cela a été rappelé, 10 % des jeunes sortent du système scolaire sans formation et sans qualification.
Dans un autre registre, on pourrait penser que les jeux Olympiques ont libéré la pratique sportive. Pourtant, vous constatez, monsieur le Premier président, que l’offre d’infrastructures sportives en ville est saturée et que celle du milieu rural est peu accessible, ce qui, dans les deux cas, limite la pratique sportive des jeunes et, au-delà, celle de l’ensemble de la population.
Pour ce qui concerne l’accès à la culture, si l’éducation artistique et culturelle a été érigée comme une priorité gouvernementale et concentre à elle seule 3,5 milliards d’euros en 2023, force est de constater que le déploiement est hétérogène sur notre territoire, où 40 % des écoles se trouvent à plus de quinze kilomètres du premier théâtre et un tiers d’entre elles du premier musée.
Bien évidemment, je tiens à vous remercier, monsieur le Premier président, pour votre travail de recensement et de consolidation des dépenses auprès des ministères. Je ferai néanmoins plusieurs observations, de manière fragmentaire, sur divers sujets.
Assurément, un nouveau choc de simplification nous permettrait d’y voir plus clair et faciliterait la vie des millions de jeunes bénéficiaires de ces politiques. Chacun y va de son grain de sel, chaque ministère propose son dispositif pour les jeunes, puis chaque niveau de collectivité ajoute à son tour le sien – je pense notamment au pass Culture.
Pourtant, le rapport annuel que nous examinons aujourd’hui souligne, paradoxalement, le non-recours de trop nombreux jeunes à leurs droits, par méconnaissance, à cause d’une complexité excessive ou du fait de l’éloignement des centres de décision. Quoi qu’il en soit, on constate qu’il existe un maquis d’aides et de dispositifs. Ce phénomène, encore amplifié dans les territoires ruraux, est regrettable.
Un point de ce rapport attire particulièrement mon attention : il est évident que les jeunes ruraux – et, plus généralement, les jeunes éloignés des centres-villes – subissent une double peine : d’une part, ils sont éloignés des pôles universitaires et d’enseignement supérieur, ce qui freine l’accès à cette offre de formation ; de l’autre, leur niveau de revenus est inférieur au niveau national, ce qui est un handicap supplémentaire en termes de mobilité. Nous devons veiller à éviter cette forme d’assignation à résidence portant préjudice à ces jeunes, qui ont le droit, comme les autres, d’accéder au parcours qu’autorise la méritocratie républicaine.
Pourtant, la ruralité est une chance et ce rapport le démontre. L’exemple est éloquent : en 2022, l’université de Lorraine a enregistré des taux de réussite supérieurs à la moyenne nationale pour les étudiants ayant obtenu leur baccalauréat en Haute-Marne et dans la Meuse. Cela prouve qu’il convient de concentrer les dispositifs, de les rendre lisibles et accessibles. Telle est la condition pour que le mérite, qui se paie certes plus cher au départ, bénéficie d’abord à cette jeunesse et à ces territoires, et pour que ces jeunes aient une image positive de leur parcours.
J’ajoute qu’il est indispensable de recentrer les dispositifs, comme nous nous étions attachés à le faire lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, en ciblant nos priorités, qu’il s’agisse de l’aide à l’apprentissage ou du pass Culture. Il faut une dépense publique efficace, qui donne à notre jeunesse confiance en l’avenir ; nous le lui devons.
Je nous invite à poursuivre cet effort, car le chemin est encore escarpé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la Cour des comptes a choisi de consacrer son rapport public annuel 2025 aux politiques publiques destinées aux jeunes. Nous ne pouvons qu’approuver son paragraphe introductif : « Les politiques publiques en leur faveur ne sont pas seulement une réponse à des besoins immédiats. Elles constituent aussi un investissement stratégique pour bâtir une société plus équitable, résiliente et prospère. En accompagnant cette période charnière de la vie, ces politiques permettent à chaque jeune de réaliser son potentiel tout en renforçant la cohésion sociale et le progrès collectif. »
Monsieur le Premier président, le groupe RDPI vous remercie d’avoir choisi ce sujet. Dans un contexte mondial marqué par des transformations économiques et géopolitiques rapides ainsi que par des enjeux environnementaux croissants, il est essentiel de doter notre jeunesse des outils nécessaires pour relever ces défis.
L’État est le principal acteur dans ce domaine, auquel il consacre plus de 53 milliards d’euros, soit 12 % de son budget, via de nombreux programmes budgétaires, qui concernent presque tous les ministères.
D’autres acteurs interviennent également, comme les collectivités locales ou les organismes de sécurité sociale. Il en résulte une prolifération de dispositifs qui finit par rendre illisibles et complexes certaines de ces politiques, ce qui nuit à leur efficacité. Ainsi, de nombreux jeunes ne font pas appel aux programmes auxquels ils ont droit et ce sont malheureusement souvent ceux qui en ont le plus besoin.
En matière d’éducation, nous pourrions, au premier abord, nous féliciter du grand nombre de diplômés de l’enseignement supérieur : plus de la moitié de la génération sortie d’études en 2021, soit davantage que la moyenne européenne. Toutefois, cette situation cache d’importantes disparités régionales : les grandes métropoles font beaucoup mieux que les territoires ruraux ou ultramarins. Dans le même temps, nous sommes également au-dessus de la moyenne européenne pour le nombre de jeunes en difficulté ou à faible compétence.
Notre système éducatif reste très inégalitaire, avec des propositions d’orientation scolaire souvent influencées par le genre et l’origine sociale ou territoriale, ce qui laisse de côté une partie des jeunes, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
La transition vers la vie active peut également être difficile. Trop de jeunes peinent à s’insérer durablement sur le marché du travail et les freins à la mobilité accentuent ces difficultés. Pour autant, globalement, le chômage des jeunes connaît une baisse continue, ce qui traduit une réussite des politiques dans ce domaine. La généralisation de l’alternance est un progrès. Il nous faut toutefois, au regard de son coût, mieux la cibler et aller plus loin en multipliant les passerelles vers l’emploi durable et en adaptant nos dispositifs aux spécificités locales.
Justement, les outre-mer présentent nombre de ces spécificités et concentrent beaucoup des problèmes recensés.
Les jeunes ni en emploi, ni en étude, ni en formation y sont surreprésentés : 25 % de la jeunesse à La Réunion, jusqu’à 38 % en Guyane, contre 10 % au niveau national. Plus inquiétant, si nationalement ce taux baisse, il stagne depuis des années en outre-mer, et il augmente même en Guyane. Par ailleurs, l’illettrisme y est massif : de 30 % à 50 % des jeunes sont concernés, et la moitié d’une classe d’âge quitte le système scolaire sans diplôme autre que le brevet des collèges. Quel avenir pour des territoires où la jeunesse est si mal formée ?
Autre réalité spécifique aux outre-mer : beaucoup de jeunes quittent leur territoire d’origine pour se former, mais, faute de perspective professionnelle, c’est un départ sans retour. Ce mouvement dramatique pèse sur l’équilibre démographique, notamment aux Antilles, où la natalité ne compense pas cette perte. Il appauvrit globalement le territoire, avec une fuite des compétences souvent irréversible.
Je vous invite d’ailleurs, mes chers collègues, à prendre connaissance du rapport sur la jeunesse ultramarine de Rodolphe Alexandre, ancien président de la collectivité territoriale de Guyane, remis voilà tout juste un an à Marie Guévenoux, alors ministre déléguée chargée des outre-mer. Ses conclusions et recommandations sont proches de celles du rapport annuel de la Cour des comptes, notamment sur l’éparpillement et la superposition des aides et le non-recours.
Enfin, je dirai un mot sur les problématiques liées à la santé. Les problèmes d’addictions, de santé mentale, d’obésité et de précarité alimentaire, qui touchent une proportion inquiétante de jeunes, peuvent avoir des répercussions tout au long de leur vie. Une prise en charge précoce, avec des parcours de soins adaptés, est donc primordiale. Mais plus encore, nous devons avoir la volonté de mettre en place une politique de prévention ambitieuse.
C’est particulièrement frappant pour ce qui concerne les addictions. La consommation de drogues illicites et d’alcool est très élevée en France, au-dessus de la moyenne européenne. C’est un constat d’échec de notre politique. Le rapport évoque les pays du nord de l’Europe, comme le Danemark et l’Islande, qui ont montré qu’il était possible de faire baisser les consommations de manière importante par la prévention. Nous devons nous en inspirer et faire évoluer notre approche, aujourd’hui presque exclusivement répressive.
Notre incapacité à faire baisser la consommation de drogues a une incidence directe sur la réussite de nos politiques publiques. La criminalité liée aux trafics pour alimenter les consommateurs attire une frange de notre jeunesse, la détourne de l’éducation et la fait plonger dans la délinquance. Les territoires d’outre-mer qui se trouvent sur les nouvelles routes de ce trafic mondial paient déjà un lourd tribut.
Pour conclure, je remercie la Cour des comptes pour ce travail d’importance qui vient éclairer les failles de nos politiques à destination de la jeunesse. Des progrès restent à accomplir pour surmonter la persistance des inégalités et du déterminisme social. Il y a urgence si nous voulons atteindre les grands objectifs énoncés en introduction : préserver notre cohésion sociale et faire des jeunes d’aujourd’hui les acteurs des réussites de demain pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la Cour des comptes consacre son rapport public annuel 2025 aux politiques publiques en faveur de la jeunesse. C’est un excellent choix, car le débat public se concentre trop souvent sur la question des retraites plutôt que sur celle de la réussite de notre jeunesse, qui incarne pourtant l’avenir de notre pays.
La période actuelle ayant des relents de guerre de plus en plus palpables, la paix est un horizon à reconquérir et l’hypothèse du retour de la conscription revient dans les débats. Dans ce contexte, il est réjouissant de constater que 50 % des jeunes de 18 à 30 ans seraient prêts à s’engager en cas de conflit – beaucoup plus qu’aux Pays-Bas ou en Allemagne – et que les candidats à la réserve citoyenne se bousculent.
Le rapport de la Cour dénombre 9 millions de jeunes âgés de 15 à 25 ans, soit 13,2 % de la population, et estime à 53,4 milliards d’euros le coût des politiques publiques en faveur de la jeunesse, soit 2 % du PIB.
Il ressort aussi de ce rapport que les situations sont très hétérogènes et les inégalités très fortes sur les plans économique, éducatif, territorial et social, selon que l’on est jeune rural, résident d’un quartier sensible ou métropolitain.
Comment ne pas s’inquiéter des 16 % de jeunes durablement éloignés de l’emploi et du taux de pauvreté de 10 % des 18-25 ans ? Les difficultés d’accès à l’enseignement supérieur, et même à l’apprentissage ou à l’alternance, sont aussi préoccupantes, qu’elles soient liées à l’absence de mobilité ou aux difficultés de logement.
Un chapitre du rapport traite de l’apprentissage de la citoyenneté. C’est pour moi le cœur du sujet. Ce n’est pas à 15 ou 18 ans que l’on apprend la République et le respect des règles du vivre ensemble. Tout se joue dès la prime enfance, dès l’école maternelle et primaire.
Une métaphore paysanne s’impose. Quand un vigneron met un tuteur à un pied de vigne, il faut le planter très tôt. Si l’on attend que le cep soit adulte, c’est trop tard. Il en va de même pour l’efficacité des politiques publiques pour la jeunesse.
L’école ne peut pas tout et, malgré ses efforts, son action ne porte que sur quatre jours par semaine et trente-six semaines par an.
Comment renouer avec les 10 % de jeunes exclus de l’emploi, avec ceux qui tombent dans la délinquance, la violence, ou avec ceux qui se sentent exclus des principes républicains de fraternité et d’égalité des droits ? De nombreux signaux d’alerte défraient l’actualité et nous interrogent.
Le service national universel (SNU) arrive beaucoup trop tardivement. Dans un rapport de 2024, vous aviez d’ailleurs porté, monsieur le Premier président, un regard sévère sur ce dispositif.
Victor Hugo invitait la République à favoriser chez les jeunes « un authentique savoir-être citoyen » et à recréer les conditions qui permettent d’élever « l’homme à la dignité de citoyen ».
Je propose d’innover en instaurant une nouvelle forme de tutorat pour tous les enfants dès l’âge de 3 ans, dès l’école maternelle. Reste à inventer la forme de ce dispositif qui devrait, selon moi, réunir l’école et la mairie, ces deux socles de notre République.
Cette mesure permettrait de renforcer l’adhésion précoce à la citoyenneté, de réduire les inégalités sociales, de prévenir l’échec scolaire et la petite délinquance, mais sans tomber dans une vision « bisounouresque ». Je tiens en effet à insister sur la responsabilité des parents – je serais favorable à ce que l’on impose un stage de parentalité en contrepartie du congé de naissance – et sur les nécessaires sanctions qui doivent accompagner tout manquement aux règles du vivre ensemble, sans attendre qu’il soit trop tard et qu’il faille envoyer des jeunes en prison. Ce vaste projet pourrait peut-être faire l’objet d’un prochain rapport annuel de la Cour des comptes consacré aux jeunes âgés de 3 à 15 ans…
En conclusion, je me réjouis que ce débat sans posture, sans dogmatisme, démontre une fois de plus la qualité du travail de notre assemblée. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, le groupe Union Centriste remercie la Cour des comptes d’avoir réalisé ce travail consacré à la jeunesse, d’autant plus important que celle-ci a récemment connu des périodes difficiles.
La période de la pandémie de covid-19 a ainsi révélé différentes fractures au sein de la jeunesse. Il faut aussi mentionner les inquiétudes liées à la situation démographique préoccupante de notre pays – un phénomène qui s’observe également ailleurs –, avec des anciens de plus en plus nombreux et une natalité qui décroît.
Par ailleurs, les jeunes – et ils sont nombreux à nous écouter dans les tribunes du Sénat aujourd’hui – expriment de nombreuses inquiétudes quant à l’avenir.
Le président de la commission des finances rappelait voilà quelques instants que « la jeunesse n’est qu’un mot ». Les membres du groupe Union Centriste considèrent, pour leur part, que la jeunesse est surtout un état d’esprit, que nous partageons.
La Cour des comptes a formulé dans ce rapport six orientations, auxquelles nous souscrivons pour l’essentiel.
Il faut bien entendu accorder un soutien différencié aux jeunes les plus en difficulté.
Il est nécessaire de repenser les parcours de formation, qui ne donnent pas aujourd’hui entière satisfaction.
Comme l’ont rappelé plusieurs des orateurs qui m’ont précédé, il convient de mettre en place une stratégie de lutte contre les addictions.
Il faut rendre lisibles les différents dispositifs existants et les coordonner. La Cour rappelle que les actions à destination de la jeunesse représentent une dépense de 53 milliards d’euros, ce qui est tout à fait considérable. Cela représente, pour la part de l’État, 2 % de la richesse produite, comme l’a rappelé le rapporteur général de la commission des finances. Si l’on additionne l’ensemble des acteurs publics, 5 % de la richesse produite chaque année en France sont consacrés à notre jeunesse. Il est donc nécessaire de procéder, comme le fait régulièrement la Cour des comptes, à une évaluation de ces politiques publiques afin qu’elles soient les plus efficientes possible.
Afin que ces politiques soient aussi les plus cohérentes possible, une véritable stratégie nationale à destination des 9 millions de 15-25 ans est nécessaire.
Le rapport de la Cour aborde plusieurs aspects des actions menées en faveur des jeunes, et notamment la formation.
Nous devrons adapter les moyens consacrés à l’école, dans la mesure où le nombre de jeunes scolarisés diminue du fait de la baisse de la natalité, ce qui est d’ailleurs préoccupant pour l’avenir.
L’université est également en difficulté. Dans ces conditions, faut-il s’en tenir à la gratuité ? Les membres du groupe Union Centriste s’interrogent à cet égard, car il faut donner aux universités les moyens d’investir et de mener à bien des œuvres sociales visant à répondre aux besoins d’une majorité d’étudiants. Il convient aussi de trouver une solution à ce que l’on peut considérer comme un échec de l’université, à savoir le fait que, dans le premier cycle, un étudiant sur deux quitte son parcours de formation sans décrocher de diplôme.
Dans le domaine de l’orientation, la répartition des actions entre l’État et les régions n’est pas claire. Il serait bon de prévoir un chef de filat, afin de garantir une meilleure efficacité des dispositifs.
Le rapport n’aborde pas la question du collège. Les membres du groupe Union Centriste considèrent à cet égard qu’il faudrait recentrer les missions de ces établissements sur un certain nombre de matières fondamentales et de les impliquer davantage dans les domaines de l’action sportive et de la santé des jeunes.
Le sujet des décrocheurs constitue une véritable préoccupation. Même s’il a été identifié depuis très longtemps, force est de constater que 10 % des jeunes de cette classe d’âge sont en situation de décrochage. On ne saurait s’en satisfaire et l’accompagnement de ces jeunes par France Travail doit être plus soutenu, en lien avec les autorités académiques. Là aussi, les responsables doivent être précisément identifiés.
À défaut d’un tel accompagnement, ces jeunes risquent de se retrouver au chômage. Or, dans cette classe d’âge, le taux de chômage est, hélas ! particulièrement élevé, malgré les succès de l’alternance.
On compte en effet 1 million de jeunes en alternance, grâce à l’action résolue qui a pu être conduite en ce sens, mais il reste beaucoup à faire pour diminuer le niveau du chômage des jeunes.
La question du logement, également évoquée dans le rapport, ne concerne pas spécifiquement les jeunes. Soyons clairs, il s’agit d’un problème général dans notre pays. Pour autant, les propositions de logement destinées aux jeunes travailleurs ne sont pas suffisantes. Ainsi, peu de foyers de jeunes travailleurs ont été créés au cours des dernières années. La politique en ce domaine doit donc être repensée, même si le succès de la garantie Visale est à mettre au crédit de l’action gouvernementale.
Pour ce qui concerne les maisons des adolescents (MDA), à raison d’une seule de ces maisons par département, il n’est pas possible de répondre aux besoins. Il conviendrait donc de conférer davantage de moyens sociaux et médicaux aux établissements scolaires.
Le dernier point traité dans le rapport est la citoyenneté. Nous souscrivons à l’idée de repenser la Journée défense et citoyenneté, afin de tenir compte des ambitions que nous devons légitimement mettre en œuvre en la matière. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la jeunesse est le miroir de notre société. Elle est plurielle, fragmentée, traversée de tensions et de luttes. Elle partage une même volonté : l’accès à l’éducation, à l’emploi, au logement, à l’autonomie.
Le rapport de la Cour des comptes nous rappelle la gravité de la situation de cette classe d’âge, notamment en termes de précarité et de souffrance psychologique. Qui peut ignorer ces files d’étudiants devant les Restos du Cœur ou l’augmentation inquiétante des troubles mentaux chez les 18-24 ans ? Le mal-être des jeunes est d’abord le produit d’un système politique qui, selon nous, a échoué.
Vous comprendrez que l’étendue de vos travaux, monsieur le Premier président, suscite de notre part une réflexion politique. Car ce mal-être est autant social que politique : il trouve sa source dans les échecs ou les renoncements des différentes majorités gouvernementales.
Le néolibéralisme a fait de la jeunesse le cheval de Troie de la flexisécurité, le laboratoire d’une société déshumanisée où les contrats précaires, les stages interminables et l’ubérisation du travail sont devenus, pour trop de jeunes, la norme. L’accès à un travail digne, stable et rémunéré semble de plus en plus inatteignable. Ce système, qui recourt au discours de l’« employabilité » pour justifier l’exploitation et la précarisation, n’a que trop duré.
On teste, on dérégule, on met en concurrence… Après Parcoursup, cette brutalité sociale se retrouve aussi sur le marché du travail : 42 % des jeunes ne décrochent qu’un CDD après leurs études et 38 % des non-diplômés sont encore au chômage trois ans plus tard. Quant aux inégalités de genre, elles perdurent : 20 % des jeunes femmes travaillent à temps partiel, contre 12 % des hommes. Dès le premier emploi, l’écart de salaire se creuse. Territorialement, la fracture s’aggrave : 14 % de chômage en plus pour les jeunes des quartiers populaires, 22 % pour les jeunes ruraux.
Aujourd’hui, un nombre croissant de jeunes s’engagent : non seulement dans les associations, mais aussi dans l’action publique et politique. En 2023, 44 % des jeunes s’étaient ainsi engagés dans une association. La progression est nette.
Cette dynamique ne se résume pas à une simple réaction face à la précarité. Elle incarne une véritable volonté de changer la société. En témoigne le rejet croissant du système capitaliste, responsable de la crise climatique et des inégalités croissantes. Selon l’Institut français d’opinion publique (Ifop), en 2023, 60 % des jeunes considéraient que le capitalisme était le principal responsable de cette crise et 64 % d’entre eux aspiraient à un monde plus solidaire et équitable.
Cette aspiration ne se limite pas à un rejet du système en place. Il s’agit aussi de proposer une alternative : une éducation réellement démocratique, non soumise aux impératifs du marché.
Le néolibéralisme a transformé l’éducation en une simple préparation à l’intégration dans le marché du travail, mais il nous revient de repenser l’éducation comme un outil d’émancipation. Ayons l’ambition de transformer l’école en une « institution du commun », contrôlée démocratiquement par les usagers, les professionnels et la population.
Nous devons abolir la concurrence entre établissements, éradiquer la ségrégation ethnique et sociale, repenser l’inclusion. Il s’agit non pas seulement de défendre une école d’État face à une école de marché, mais de repenser cette école afin qu’elle soit véritablement un vecteur d’égalité, de justice sociale et de solidarité.
Repenser l’école, c’est aussi interroger la jeunesse sur son rapport au travail. Quel monde du travail préparons-nous ? Produire quoi ? Pour qui ? Dans quelles conditions ? Il est temps d’affirmer une autre vision, celle d’un travail libéré du chantage à l’emploi, reconnu pour sa valeur sociale et non pour sa rentabilité immédiate.
Grâce à vos travaux, monsieur le Premier président, mais aussi par conviction, les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen Écologiste – Kanaky considèrent qu’il faut changer de cap et offrir aux jeunes les moyens de construire leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, cette année, le rapport annuel de la Cour des comptes nous pose, au travers de ses plus de 600 pages, une question simple : chaque jeune Français, quels que soient son lieu de naissance, son genre ou son origine sociale, a-t-il les mêmes opportunités qu’un autre pour construire son avenir ?
On parle de 2 % du PIB et de 12 % du budget de l’État dédiés à la jeunesse en 2023. Certains y voient une dépense, nous y voyons un investissement pour notre avenir.
Concernant l’accès à l’éducation et à la formation, puisqu’il s’agit en volume du plus gros poste de dépenses, des inégalités profondes persistent, qui sont liées à des déterminismes sociaux, de genre et territoriaux. Ces déterminismes sont parfois cumulatifs. Pourtant, avec un taux de diplômés de l’enseignement supérieur de 49,4 %, la France se situe au-dessus de la moyenne de l’OCDE.
Le bilan est sévère. Oui, l’orientation continue d’être perçue comme une voie par défaut et reste influencée par les stéréotypes socio-économiques et géographiques, avec pour conséquence de limiter les ambitions des jeunes.
Plus grave, et ce point doit interpeller la chambre des territoires, les inégalités territoriales demeurent très importantes dans l’accès à une solution de formation, malgré la loi de 2018. Il existe une véritable rupture d’égalité pour la jeunesse des territoires ruraux. Le taux de diplômés de l’enseignement supérieur varie selon les régions et diminue à mesure que l’on s’éloigne des grandes métropoles.
Les chiffres sont édifiants : il y avait 20 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans les territoires ruraux en 2020, contre près de 32 % en France métropolitaine. Nous ne pouvons tolérer cette ségrégation territoriale qui mine notre pacte républicain.
Cette inégalité territoriale frappe aussi la jeunesse rurale en matière d’accès à la mobilité. La Cour le rappelle, la première contrainte à la mobilité est non pas le prix, mais le manque d’offres de transport, notamment dans les zones périurbaines et rurales. Je citerai un exemple simple, mais parlant : 38 % des jeunes ruraux de 15 à 29 ans ont renoncé à un entretien d’embauche en raison de difficultés de déplacement.
Construire une offre de déplacement pour la jeunesse dans les territoires moins denses exige une meilleure coordination entre les autorités organisatrices de la mobilité, mais aussi des investissements. Les contraintes financières accrues pesant sur le budget des transports publics risquent de perpétuer les inégalités territoriales. Nos débats budgétaires sur le financement des mobilités seront donc cruciaux si nous voulons les résorber.
Le chapitre du rapport dédié à l’aide sociale à l’enfance est édifiant. En 2022, près de 397 000 mineurs et jeunes majeurs faisaient l’objet d’une mesure de protection dans le cadre de l’ASE en France : 221 000 d’entre eux étaient accueillis et hébergés, dont plus de 31 900 jeunes majeurs.
Là encore, les disparités sont frappantes. Certains départements mobilisent quatre fois plus de moyens que d’autres et le taux de prise en charge des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance varie de 38 % à 83 % selon les départements. Ces derniers ont sans doute une certaine latitude pour exercer leurs compétences, mais l’ampleur de cet écart doit nous interroger. À juste titre, le rapport de la Cour pose la question de l’égalité du service public rendu aux usagers en la matière.
En raison du temps limité qui m’est imparti, je ne pourrai évoquer de façon exhaustive l’éventail très large des politiques de jeunesse abordées dans le rapport. Je consacrerai tout de même la fin de mon intervention au chapitre qui concerne les addictions des jeunes et nos politiques de réduction des risques.
Alors que la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est en cours d’examen, il est intéressant de nous pencher sur le volet sanitaire et la prévention en matière d’addiction, car ces phénomènes sont liés.
Les chiffres sont encore une fois éloquents : en 2023, 46,3 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans disaient avoir consommé au moins une fois dans leur vie du cannabis ; 3,5 % affirment en faire un usage quotidien ; 230 000 jeunes seraient concernés par les addictions au cannabis.
Si nous ne prenons pas conscience de ces ordres de grandeur, nous ne serons jamais à la hauteur de l’enjeu, même en adoptant une approche répressive pour lutter contre les trafics. Oui, les pratiques récréatives à risque sont particulièrement répandues dans la jeunesse française.
La Cour le rappelle : le repérage, l’accompagnement et la prise en charge des jeunes souffrant d’addictions font déjà intervenir la médecine de ville, l’hôpital et le secteur médico-social, tandis que l’école devrait davantage être impliquée. Toutefois, nos politiques de soin et de réduction des risques sont – je vous laisse choisir – peu financées, mal coordonnées ou inadaptées.
L’approche ultra-répressive que la France a choisie depuis les années 1970 pour lutter contre les comportements addictifs est une impasse. Seule une stratégie sanitaire et éducative, particulièrement développée en direction des jeunes consommateurs, permettra de lutter contre les addictions. Le rapport de la Cour des comptes doit nous inviter à renverser notre perspective en la matière. Il y va de l’avenir de notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la figure de proue des publications de la Cour des comptes consacre cette année 612 pages au thème « Les politiques publiques en faveur des jeunes ».
Monsieur le Premier président, vous avez déclaré que « la jeunesse représente les forces vives sur lesquelles repose notre avenir [et qu’] à ce titre elle est au cœur des préoccupations de nos concitoyens, ou du moins elle devrait l’être ».
Tout est dans ces derniers mots : « ou du moins elle devrait l’être ». Ce rapport pose une question finalement simple : comment la France prend-elle soin de sa jeunesse ?
Le rapport chiffre à 53,4 milliards d’euros les dépenses de l’État en faveur des 15-25 ans. Ce budget, bien qu’il ne soit pas jugé excessif par la Cour, semble être mal ciblé et mal coordonné.
Bourdieu disait que la jeunesse n’est qu’un mot. En effet, la jeunesse est une construction sociale, dans des univers sociaux qui n’ont parfois rien à voir.
En ce sens, le rapport rappelle que les « jeunes » sont loin d’être une catégorie homogène. Il est salutaire que la Cour alerte sur leur exposition particulière aux inégalités de tous ordres – économique, géographique ou social. En effet, la jeunesse française expérimente peut-être plus que d’autres que l’égalité des droits n’est pas celle des chances.
À y regarder de plus près, on constate que plus d’un jeune de 15 à 25 ans sur dix est en situation de pauvreté, soit bien davantage que les 26-65 ans ou que les seniors. Le phénomène s’aggrave d’ailleurs depuis la fin des années 1960.
Le rapport relève que les jeunes ont été « plus durement touchés que les autres catégories de la population par la crise économique provoquée par la pandémie » de covid-19.
L’insertion d’une majorité de jeunes dans le marché du travail ne doit pas non plus masquer que 16 % d’entre eux sont durablement éloignés de la formation et de l’emploi, ce chiffre recouvrant d’importantes inégalités.
Dans les quartiers prioritaires, 27 % des jeunes sont ainsi sans diplôme, davantage susceptibles de connaître le chômage, contre 11 % dans le reste du territoire. De nombreuses inégalités géographiques portent également préjudice aux jeunes ruraux : 20 % d’entre eux accèdent à l’enseignement supérieur, contre 32 % des jeunes urbains, alors même que leurs résultats sont meilleurs. Pointer ces inégalités est aussi un apport salutaire de ce rapport.
La question de l’éducation y fait l’objet de nombreux développements. De la maternelle à l’université, en passant par l’apprentissage, elle est primordiale. Néanmoins, je souhaite revenir sur certains points importants, en particulier sur l’état de nos universités françaises.
Autrefois au cœur de la production du savoir et de l’enseignement supérieur, l’université publique française s’épuise désormais sous l’effet des injonctions contradictoires de la massification et de l’excellence.
Les déterminismes y structurent encore trop souvent les parcours des étudiants et tant les grandes écoles que l’enseignement privé lui font concurrence.
Pourtant, maintenir un haut niveau d’éducation grâce à une scolarité réussie et à une formation adaptée tout au long de la vie est un principe cardinal pour préserver les capacités d’innovation de l’économie française. Celles-ci doivent à la fois permettre notre réindustrialisation et favoriser la transition environnementale, en nous positionnant autant que possible en pays leader, où des solutions sont inventées, plutôt qu’en suiveur.
Cette exigence est d’autant plus importante au regard de l’ampleur de la fuite des cerveaux outre-Atlantique. Depuis la prise de fonction de l’administration Trump, les attaques se multiplient à l’encontre de la communauté scientifique.
Samedi dernier, nous apprenions ainsi qu’un scientifique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) s’était vu refuser l’entrée aux États-Unis. Mentionnons également le gel des recrutements des universités, qui anticipent de nouvelles coupes budgétaires, ou encore le limogeage de Katherine Calvin, la scientifique en chef de la Nasa.
De nombreux scientifiques et étudiants doivent donc quitter le pays, parce qu’ils ont perdu leur emploi ou la source de financement de leurs travaux. En outre, les contractuels bénéficiant de contrats courts, thésards, postdoctorants, savent que leur avenir ne s’écrit pas outre-Atlantique.
Face à cette situation, la France doit pouvoir accueillir tous ces jeunes étudiants habitués à des conditions de recherche de haut niveau, qui contribueront au maintien de l’innovation française, dans un secteur très compétitif.
Si nous ne devons pas négliger les étudiants, nous ne devons pas non plus négliger le fait que tous les jeunes ne sont pas étudiants.
En matière de politique publique du logement, les étudiants sont plus avantagés que les jeunes actifs. En réalité, la politique d’accès au logement des 18-30 ans n’est pas pensée comme un tout cohérent.
De fait, les étudiants bénéficient prioritairement des dispositifs déployés. Selon le sondage mené par la Cour auprès d’un peu plus de 1 000 jeunes de 15 à 25 ans, 60 % des jeunes déclarent rencontrer des difficultés pour trouver un logement. Pour 68 % d’entre eux, le niveau des loyers est responsable de ces difficultés.
Les disparités de traitement sont peu compréhensibles. Il n’est pas équitable que le soutien public à l’accès au logement des jeunes non-étudiants, majoritaires dans leur classe d’âge à compter de 21 ans, soit moindre. Les efforts menés par les pouvoirs publics depuis une dizaine d’années en faveur du logement jeune ont des effets limités.
Enfin, je souhaite aborder un sujet important et fondamental : la santé mentale des jeunes s’impose comme un enjeu de santé publique alarmant.
Le constat d’une dégradation de la santé mentale des jeunes est apparu sur les radars du débat public pendant la pandémie. Depuis, rapports et missions d’experts convergent vers un diagnostic alarmant. Selon un baromètre publié en février dernier par Santé publique France, un jeune sur cinq présente des troubles dépressifs.
S’y ajoute la hausse vertigineuse du nombre de passages aux urgences pour tentative de suicide, scarification ou empoisonnement volontaire, notamment chez les jeunes filles.
Si nous ne prévoyons pas des moyens substantiels dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous ne pourrons pas prendre les mesures nécessaires contre un phénomène qui oblitère l’avenir de notre nation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, si Montherlant disait de la jeunesse qu’elle est le temps des échecs, il me semble qu’il serait excessif d’appliquer cette affirmation aux conclusions du rapport annuel de la Cour.
En effet, votre bilan des politiques publiques en faveur de la jeunesse n’est pas celui d’un échec complet. Il y a eu quelques réelles avancées, comme la hausse de 6 points du taux d’emploi des jeunes depuis 2017, le succès des politiques de mobilité ou encore la réduction de plus de treize mois des délais de jugement des mineurs.
Toutefois, pour nourrir l’action du législateur, nous devons nous concentrer sur les dysfonctionnements que la Cour met en avant.
Du rapport, je retiens en premier lieu que les politiques en faveur des jeunes illustrent la perte d’efficience qui résulte de la multiplicité des structures administratives. Ce sujet est au cœur des travaux de la commission d’enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État, dont la création a été demandée par le groupe Les Républicains.
L’orientation scolaire illustre parfaitement les doublons et l’enchevêtrement des compétences qui caractérisent trop souvent notre organisation administrative.
Depuis la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, les régions bénéficient d’une compétence d’information sur les formations et parcours à l’encontre des publics scolaires.
Toutefois, l’animation de cette compétence demeure du ressort de l’État. Si certaines régions ont créé une agence régionale de l’orientation, la répartition de ses missions avec celles de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep) demeure largement imparfaite, nuisant à la qualité de l’information. Ainsi, 25 % des lycéens se disent insatisfaits des informations reçues pour s’orienter. Régions de France a d’ailleurs mis en avant ce sujet lors de son audition par notre commission d’enquête.
L’accompagnement des jeunes vers l’emploi nous fournit un second exemple. L’État alloue près de 765 millions d’euros par an aux missions locales pour remplir cette mission ; or, dans le même temps, France Travail consacre 4 700 équivalents temps plein (ETP) à l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi. En fin de compte, comme le rapporteur général l’a souligné, malgré 7,3 milliards d’euros de dépenses publiques allouées à l’emploi des jeunes, le taux de chômage de ces derniers reste de 3 points supérieur à la moyenne européenne.
L’enchevêtrement des compétences, au-delà de la perte d’efficience, fait naître un autre problème : celui de la difficulté d’évaluer et de quantifier les politiques publiques.
Monsieur le Premier président, vous estimez qu’il en va ainsi des aides à l’accès des jeunes au logement. La multiplicité des acteurs dont dépendent les financements et le choix d’une approche par sous-populations cibles au détriment d’une approche globale rend impossible la mesure précise de l’investissement public ainsi que l’efficacité des actions menées.
De ce défaut d’évaluation découle un autre point saillant que je dégage de la lecture du rapport : celui, dans bien des cas, de l’insuffisance du ciblage des dispositifs, qui concourt à la culture du saupoudrage.
Tel est particulièrement le cas en matière d’aides à l’alternance. Monsieur le Premier président, vous appelez de vos vœux un recentrage de ces aides sur les publics vers lesquels elles sont les plus efficaces, à savoir les jeunes les moins qualifiés. Ainsi que le rapporteur général l’a rappelé, le groupe Les Républicains a plaidé en ce sens lors de l’examen du dernier projet de loi de finances.
Il en va de même du pass Culture, qui représentait 210 millions d’euros de dépenses pour l’État en 2023, sans aucun ciblage. Les inégalités sociales en matière d’accès à la culture demeurent. En outre, la qualité des actions financées n’est pas contrôlée, ce qui a favorisé l’apparition d’actions opportunistes, comme la création d’associations expliquant comment bénéficier des financements du pass Culture…
C’est la raison pour laquelle notre groupe avait soutenu la réduction de 125 millions d’euros des crédits de ce dispositif dans le projet de loi de finances pour 2025.
En somme, monsieur le Premier président, votre rapport fournit une fois de plus un éclairage bienvenu. Néanmoins, alors que l’inefficience des structures administratives est abordée à plusieurs reprises, aucune recommandation n’est formulée sur ce sujet.
Monsieur le Premier président, au terme de ces travaux et de tous ceux que les différentes chambres de la Cour des comptes mènent depuis de nombreuses années, avez-vous identifié des perspectives de rationalisation des organismes et de clarification des compétences, notamment en matière d’orientation, d’accompagnement vers l’emploi ou encore d’aide au logement ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et INDEP.)
M. Guillaume Chevrollier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes, pour répondre aux intervenants.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Ma réponse sera extrêmement brève et pourrait presque tenir en un seul mot : merci.
Je remercie la Haute Assemblée d’organiser ce débat autour du rapport public annuel de manière systématique, à la différence de l’Assemblée nationale. La Cour s’honore de partager ainsi ce moment avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je vous remercie de vos réactions et de vos interrogations. Dans l’ensemble, elles me semblent témoigner de la pertinence de notre rapport public annuel, même si, ainsi que Mme Lavarde l’a indiqué, nous pouvons aller plus loin pour formuler diverses propositions. Nous aborderons de nouveau ces sujets, sous d’autres formes, dans les temps qui viennent.
C’est toujours avec un grand intérêt que nous travaillons avec le Sénat, en particulier avec les commissions des finances et des affaires sociales. Nous le ferons avec le même plaisir et avec responsabilité l’année prochaine. La situation financière et la gestion de nos politiques publiques méritent toujours l’attention du législateur. Nous demeurons à votre service pour aider à améliorer la qualité de la gestion des finances publiques.
Je ne ferai donc que peu de remarques.
Le président de la commission des finances a souligné que, cette année, nous présentions le rapport public annuel de la Cour après avoir présenté un autre rapport sur la situation des finances publiques, début 2025. Il faudrait que la Cour délibère, mais j’envisage volontiers de reconnecter la remise de ces deux rapports et d’avancer d’un mois la remise du rapport public annuel. Si nous avons présenté il y a un mois notre rapport sur la situation des finances publiques, c’était pour répondre à une alerte au sujet de laquelle nos données sont assez précieuses.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quelques mots au sujet de la situation des finances publiques, dont vous avez parlé. L’Insee a en effet publié ce matin le chiffre exact du déficit de 2024, qui s’établit à 5,8 % du PIB.
Selon le point de vue, ce chiffre est soit meilleur, soit moins mauvais que celui qui était prévu. Il faut se satisfaire des améliorations tout en se gardant d’une forme de relâchement ou de satisfaction, quelque peu déplacée.
En effet, notre voisin espagnol vient d’annoncer que son déficit s’établit à 2,8 %. En quelques années, l’Espagne, à la faveur d’une croissance bien plus élevée que la nôtre, est revenue en deçà de la limite prévue par les traités européens.
Nous nous engageons à aller vers cet objectif, en adoptant une trajectoire devant nous amener à un déficit de 3 % en 2029. Avec un déficit de 5,8 % en 2024, l’objectif pour 2025 devient peut-être plus aisé à atteindre, mais il faut rester vigilant.
La situation de la France dans la zone euro reste dégradée, en raison tant du déficit que du niveau de notre dette. Un autre chiffre publié ce matin par l’Insee a été peu commenté : la dette publique française a dépassé les 3 300 milliards d’euros à la fin de 2024.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez convaincus que la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques, que je préside ès qualités de Premier président de la Cour des comptes, joueront pleinement leur rôle pour rappeler à vos côtés qu’il faut de bonnes finances publiques pour mener de bonnes politiques publiques, comme Mendès France le suggérait il y a déjà fort longtemps.
J’en reviens au rapport public lui-même. Deux orateurs ont cité la même phrase de Pierre Bourdieu, selon laquelle la jeunesse n’est qu’un mot. Cela m’a donné envie de convoquer Foucault et de dire qu’elle est non seulement un mot, mais aussi des choses. Elle correspond à des situations très différentes, très inégales, que nous devons traiter.
Les deux observations fondamentales de notre rapport me semblent partagées sur toutes les travées de cet hémicycle. Le rapport est en effet plutôt optimiste et confiant, mais il pointe naturellement les échecs et les dysfonctionnements, les points que nous devons améliorer. De manière générale, il convient de changer la qualité de la dépense publique, ce qui concerne en particulier les politiques publiques en faveur de la jeunesse.
Comme nous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été frappés par différents éléments abordés dans le rapport. J’ai en particulier noté les propos de M. Patient sur la situation spécifique des outre-mer, que nous traitons au travers du cas de la prévention de l’obésité en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Nous effectuons également d’autres travaux au sujet de l’outre-mer, par exemple sur l’enseignement supérieur. La nécessité de cibler les politiques publiques pour lutter contre les inégalités reste le fil rouge de notre rapport.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Cour des comptes travaille toujours avec le Sénat non seulement par responsabilité, mais aussi avec un grand plaisir. Je vous donne d’ores et déjà rendez-vous pour nos auditions habituelles auprès de vos commissions, mais aussi pour la présentation du rapport public annuel 2026, dont le thème intéressera la Haute Assemblée, puisque nous consacrons cette année nos travaux à la question de la cohésion sociale et territoriale. (Applaudissements.)
M. le président. Merci à tous pour ce débat, et merci pour la qualité de nos relations.
Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, et nous donnons acte du débat qui s’est ensuivi.
Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes.
(M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont reconduits selon le cérémonial d’usage.)
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Démissions d’un vice-président et d’un secrétaire du Sénat
M. le président. Par lettres en date du 19 mars 2025, j’ai été informé par M. Dominique Théophile, vice-président du Sénat, et par Mme Patricia Schillinger, secrétaire du Sénat, de leur souhait de démissionner de leurs fonctions respectives à compter du 31 mars 2025 à minuit.
En conséquence, nous pourrions procéder à leur remplacement mardi 1er avril à quatorze heures trente.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er avril 2025 :
À quatorze heures trente et le soir :
Désignation d’un vice-président en remplacement de M. Dominique Théophile et d’un Secrétaire du Sénat en remplacement de Mme Patricia Schillinger ;
Proposition de loi visant à clarifier les obligations de rénovation énergétique des logements et à sécuriser leur application en copropriété, présentée par Mme Amel Gacquerre (procédure accélérée ; texte de la commission n° 479, 2024-2025) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire (texte de la commission n° 485, 2024-2025) ;
Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement » (texte de la commission n° 487, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures cinquante.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER