M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que, dans le cadre des vingtièmes Rencontres sénatoriales de l’apprentissage, se tient actuellement en salle Clemenceau une séance d’échanges entre des apprentis et des sénateurs, qui, selon les nouvelles qui me parviennent, donne lieu à un dialogue riche et fructueux.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Madame la sénatrice, pour la fixation des coûts-contrats, le Gouvernement veut désormais développer une démarche beaucoup plus axée sur la réponse aux besoins des entreprises et sur les compétences nécessaires à notre pays.

Ainsi, les branches professionnelles deviendront de véritables têtes de pont pour définir les priorités avec les entreprises adhérentes et les partenaires sociaux. Elles sont en effet les plus à même de le faire.

Par ailleurs, compte tenu des coûts liés à l’apprentissage, les niveaux 3 et 4 de qualification seront privilégiés.

De plus, le Gouvernement entend moduler et plafonner les dépenses de communication, car, comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, dans le secteur lucratif, leur montant pose problème.

En outre, et c’est très important, l’État pourra favoriser certaines formations par le biais de bonifications. Vous avez cité les métiers du lien, mais tous les secteurs qui relèvent de la réindustrialisation ou de la transition environnementale sont également concernés.

Enfin, il s’agit de réguler par la qualité, mais aussi par certaines bonifications territoriales – je pense aux départements et régions d’outre-mer (Drom) – et par le développement de l’apprentissage en distanciel.

Je reviens sur la question de la rémunération des apprentis.

La baisse du niveau d’exonération des rémunérations vise aussi à permettre une meilleure égalité salariale entre les apprentis les mieux rémunérés – ceux qui gagnent plus de 900 euros par mois – et d’autres salariés qui pourraient recevoir une rémunération nette inférieure alors qu’ils occupent le même type de poste.

Il ne faut pas qu’en voulant accroître l’apprentissage on prenne le risque de créer de la dette sociale. En effet, l’exonération de cotisations pour les apprentis pourrait avoir une incidence sur le montant de la retraite qu’ils percevront. Il me semble qu’il s’agit là d’un point important.

En outre, il s’agit de permettre aux jeunes qui seraient recrutés après leur contrat d’apprentissage de ne pas subir une baisse de leur rémunération nette, en raison de l’augmentation du niveau des cotisations sociales.

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, pour la réplique.

Mme Karine Daniel. L’apprentissage, c’est peut-être de la dette sociale, mais c’est aussi et avant tout un investissement pour l’avenir. Or une moindre baisse est tout de même une baisse.

La comparaison entre petites et grandes entreprises n’est pas très opérante, les PME étant centrées sur leur fonctionnement.

J’entends bien votre argument sur la rémunération des catégories socio-professionnelles les moins qualifiées, mais il ne faut pas décourager l’embauche d’apprentis au plus haut niveau de qualification, ces derniers méritant aussi une reconnaissance de leur diplôme et de leur engagement dans ce type de formation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qui, dans cet hémicycle, a conseillé ou conseillerait à ses enfants de choisir un lycée professionnel ou un CFA plutôt qu’un lycée général ou une grande école ?

Posons d’emblée le décor. Comme pour beaucoup de choses, l’apprentissage, c’est bien, c’est beau, mais chez les autres, pas chez soi. L’apprentissage reste un tabou.

Encore récemment, en début de semaine, un parent d’élève m’a raconté que le professeur de son enfant était content de ne pas envoyer d’élèves en lycée professionnel cette année. Les yeux m’en sont sortis de la tête !

Comment donner l’envie aux jeunes de choisir l’apprentissage ? Tel est bien là, en effet, le nerf de la guerre. De belles histoires, il en existe dans tous les secteurs et dans tous les territoires. Je pourrais passer la journée à vous en raconter, madame la ministre, mes chers collègues. Le problème, c’est qu’on en parle aujourd’hui avec nostalgie, alors qu’on devrait en faire des modèles et les brandir en exemple, tels des étendards !

On a tous dans notre entourage quelqu’un qui a débuté avec un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) ou un BTS (brevet de technicien supérieur) en poche et qui occupe à présent un poste qui aurait dû nécessiter plusieurs années d’études.

On connaît tous un ancien salarié d’une TPE-PME qui a pris son envol en montant sa boîte, a fait fortune et passe désormais le relais à ses compagnons.

« Maintenant, gamin, ce n’est plus possible : plus tu feras d’études, moins tu bosseras et plus tu gagneras. » Qui n’a jamais entendu ces paroles ?

En 2018, on a choisi de réformer l’apprentissage pour en faire une voie d’excellence, un moyen de lutte contre le chômage des jeunes et une politique d’émancipation sociale. Aujourd’hui, on se bat dans les entreprises pour recruter les jeunes apprentis, car le patron a la certitude d’avoir des salariés opérationnels et, surtout, déjà intégrés !

À défaut, on recrute de la main-d’œuvre étrangère. Personnellement, je l’ai souvent fait. Après quelques années dans notre pays, ces travailleurs étrangers, mus par la volonté d’apprendre et de gagner leur vie, connaissent des parcours et des réussites qui étaient impensables lorsqu’ils ont débuté. C’est le chef d’entreprise qui vous le dit : les apprentis sont des pépites rares qu’il faut désormais dénicher.

Le pendant, pour ne pas dire le paradoxe, c’est que l’apprentissage est aussi une folie financière : la dépense publique pour le soutenir a explosé.

Plusieurs pistes existent pour contenir la dépense. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires en retient deux. D’une part, il convient de réviser les NPEC. D’autre part, il faut évaluer le taux d’insertion dans l’emploi pour concentrer la dépense publique sur les formations en alternance qui débouchent véritablement sur un emploi.

N’oublions pas qu’investir dans l’apprentissage, c’est investir dans l’avenir et garantir notre souveraineté économique et industrielle. C’est aussi de l’emploi et des cotisations sociales pendant des années ! Le retour sur investissement est imbattable, madame la ministre. Bercy peut bien sortir les calculettes, c’est tout vu, mes chers collègues.

Au-delà de la technique, on ne pourra pas faire l’impasse sur cette question et ne pas y apporter une réponse : comment donner aux jeunes l’envie de devenir apprentis ?

On pourrait aussi s’inspirer de l’Allemagne pour accompagner davantage encore les maîtres d’apprentissage. Il n’est qu’à voir le numéro un de Mercedes : il est passé par cette voie.

Je ne suis pas là pour refaire l’éducation des parents. Quant aux professeurs, tous ne pensent pas comme l’enseignant que j’ai cité en exemple. Heureusement ! J’en profite pour saluer les équipes enseignantes et les remercier du travail qu’elles accomplissent. Beaucoup se démènent corps et âme.

Après le président, j’ai à mon tour le plaisir de saluer la chambre de métiers et de l’artisanat de ma région, le Centre-Val de Loire, dont je dépends. Elle est présente aujourd’hui au Sénat avec des apprentis du territoire, dont certains sont mobilisés pour la réussite de cette journée.

Je suis moi-même un ancien élève du collège technique Benjamin-Franklin à Orléans. J’ai créé ma propre entreprise dans la région. Elle pèse aujourd’hui 70 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il est donc important de passer par l’apprentissage.

Mes chers collègues, vous l’avez compris, je lance un cri du cœur, car j’en ai assez que l’on dévalorise la voie professionnelle et l’apprentissage. Si ce dénigrement est malheureusement parfois sincère, il est souvent l’expression d’une forme de résignation plus profonde, directement liée à la réalité de notre culture de l’entreprise et de l’entrepreneuriat.

L’apprentissage, c’est un trampoline : il peut vous faire décoller très rapidement et, dans tous les cas, vous retomberez sur vos pieds.

Je le dis et le répète, l’apprentissage n’est pas une voie de garage. C’est une voie d’excellence et, parfois même, la voie royale, celle qui donne les outils pour démarrer dans la vie et la liberté ensuite d’en faire ce que l’on veut. N’oublions pas que la main est le prolongement de l’esprit. L’apprentissage devrait être une fusée vers l’entrepreneuriat et les postes à responsabilités.

Aujourd’hui, vous voulez monter votre boîte après avoir roulé votre bosse dans une TPE-PME – je pense au bâtiment bien sûr, mais pas seulement – ? Eh bien, vous vous cognez les délais de l’administration, la complexité des normes, la pression fiscale, l’instabilité de notre politique nationale et la folie des géants de ce monde, qui flinguent votre business du jour au lendemain.

Vous l’avez dit ce matin en ouvrant les vingtièmes Rencontres sénatoriales de l’apprentissage, monsieur le président : simplification !

Vous voulez intégrer une grande boîte par la technique et monter en compétence ensuite ? Ce n’est plus possible – en tout cas, c’est devenu trop rare. On vous répondra que l’on préfère embaucher un ingénieur ou un bac+5 pour faire votre boulot plutôt que de vous faire monter en interne.

Faites donc une école de management ! N’apprenez surtout pas à travailler et à faire quelque chose de vos mains ! Voilà la réalité à laquelle nous sommes trop souvent confrontés, mes chers collègues.

Donner envie aux jeunes, c’est d’abord changer notre culture de l’entreprise et de l’entrepreneuriat.

J’entends souvent que les jeunes n’ont plus le goût de l’effort. Comment leur donner tort quand, dans notre pays, le système est tel que l’on préfère passer plus de temps à éviter de perdre de l’argent plutôt qu’à en gagner, à chercher les niches fiscales plutôt qu’à produire de la richesse ?

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. C’est vrai !

M. Jean-Luc Brault. À la fin, c’est notre pays qui tombe en ruines.

Ce n’est pas aux jeunes de changer ; c’est à nous de revoir notre logiciel, notre façon de penser et de faire, pour valoriser le goût de l’effort, du risque et de la réussite. (Mme Évelyne Perrot applaudit.)

Je souhaite à tous les jeunes qui sont présents dans nos tribunes d’être ambitieux et forts et je les invite à écouter leurs professeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Monsieur le sénateur Jean-Luc Brault, je vous remercie de ce plaidoyer qui rappelle qu’en France nous faisons une coupure artificielle entre l’intelligence de la tête, celle du cœur et celle de la main, alors que toutes trois sont complémentaires et utiles les unes aux autres.

Dans le cadre de la concertation que nous avons lancée avec les partenaires sociaux, les chambres consulaires et les différents acteurs, nous avons pour ambition résolue et assumée de définir des priorités, au regard des grandes masses financières que l’apprentissage représente.

Ainsi, pour l’octroi des aides, nous privilégierons les plus petites entreprises aux plus grandes. De même, nous privilégierons les niveaux 3 et 4 de qualification. Enfin, nous privilégierons une plus grande adéquation de la formation aux besoins des entreprises et aux compétences d’avenir. Voilà quelques-unes des annonces que je ferai le 23 avril prochain.

Nous le voyons, l’apprentissage est la garantie d’une insertion professionnelle plus rapide des jeunes sur le marché du travail, tous niveaux de qualification confondus.

Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque nous comparons la France à l’Allemagne, nous observons que, même hors apprentissage, les élèves et les étudiants allemands qui sortent du système, tous niveaux de qualification confondus, connaissent une meilleure insertion professionnelle que nos jeunes. Ce constat est valable également pour la voie générale, qui doit proposer des enseignements plus pratiques et plus en phase avec ce dont le monde de l’entreprise a besoin.

Nous sommes en train de réfléchir aux moyens de développer l’apprentissage et d’y envoyer plus de jeunes. Reste que, même hors apprentissage, nous faisons moins bien que les Allemands.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue le président de Chambres de métiers et de l’artisanat France, ainsi que tous les apprentis, qu’ils se trouvent dans les tribunes ou en salle Clemenceau où se déroulent les Rencontres sénatoriales de l’apprentissage. Je salue tout particulièrement les apprentis de l’Isère – un beau département de France ! (Sourires.)

Au mois de juin 2022, Martin Lévrier, Corinne Féret et moi-même avons présenté à la commission des affaires sociales du Sénat un rapport d’information intitulé France Compétences face à une crise de croissance.

La commission des affaires sociales a fait siennes nos conclusions. Nous y avons notamment pointé la réforme de 2018, qui, certes, a amorcé une dynamique considérable en faveur de l’apprentissage, mais n’a pas anticipé ses besoins de financement.

Nous indiquions dans les conclusions de nos travaux que, sans remettre en cause les avancées permises par cette réforme, il était nécessaire de réguler le système afin d’assurer sa soutenabilité et sa performance.

France Compétences a été créé par la loi du 5 septembre 2018 et est le fruit de la réunion de quatre structures dans un même établissement public.

France Compétences prend en particulier en charge deux postes de dépenses : d’une part, les dotations versées aux opérateurs de compétences (Opco), pour répondre à leurs besoins de financement des contrats d’apprentissage et des contrats de professionnalisation ; d’autre part, la dotation versée à la Caisse des dépôts et consignations pour assurer le financement du compte personnel de formation (CPF).

La large ouverture de ces deux dispositifs, qui ne s’est pas accompagnée de nouveaux moyens de financement, a créé des besoins non couverts par les ressources de France Compétences. Par conséquent, son déficit cumulé depuis sa création en 2019 avoisine aujourd’hui 11 milliards d’euros. Qui plus est, son équilibre financier – donc celui de l’apprentissage – n’a toujours pas été trouvé à l’échelon national.

Il faut conclure de ce constat que la réforme de l’apprentissage de 2018 n’a pas été financée et qu’au cours de ces dernières années elle a contribué à creuser notre déficit. Il faut le dire, notamment dans cet hémicycle.

Pourtant, nous en sommes tous persuadés : il faut encore et toujours encourager l’apprentissage. La supériorité d’un enseignement par la pratique est d’autant plus manifeste qu’elle s’adresse à tous les publics, notamment ceux qui peuvent se trouver en difficulté.

Croire en l’apprentissage, c’est avant tout fiabiliser ses mécanismes. J’en suis persuadée, et je ne suis pas la seule, la réforme de l’apprentissage ne sera finalisée et n’atteindra son apogée que lorsque ses outils financiers seront à l’équilibre.

Pour ce faire, madame la ministre, je propose depuis longtemps et de manière constante plusieurs solutions qui se déclinent dans le temps.

Premièrement, il convient de ne donner à France Compétences que deux missions claires : l’apprentissage et le CPF. À cette fin, il me paraît souhaitable que l’opérateur ne contribue plus au financement du plan d’investissement dans les compétences (PIC), qu’il a financé à hauteur de 8 milliards d’euros depuis 2019. Je rappelle que le déficit de France Compétences atteint aujourd’hui 11 milliards d’euros…

Deuxièmement, il importe de faire une pause et de stopper cette logique de guichet en arrêtant les compteurs au financement de 900 000 apprentis, tout en considérant que le CPF a trouvé son rythme de croissance. Cette logique permettra de désendetter France Compétences et de cesser les changements permanents de financements, notamment sur les coûts-contrats, rendant aujourd’hui fragile, complexe et parfois illisible le financement de l’apprentissage.

Troisièmement, il faut considérer que la seule logique future d’augmentation du nombre d’apprentis, au-delà des 900 000, doit reposer sur trois leviers : d’abord, la hausse de la subvention à France Compétences, arrêtée depuis quelques années à environ 2 milliards d’euros ; ensuite, la relance d’une concertation entre les régions, les CFA, les organisations professionnelles et les organisations syndicales, aux fins de trouver des marges de manœuvre supplémentaires ; enfin, un possible basculement du budget de la mission « Enseignement scolaire » à celui de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux », à due proportion des jeunes formés en apprentissage.

J’en suis persuadée, l’apprentissage est un investissement à long terme pour notre jeunesse. Pour qu’un tel investissement soit un succès, il faut éviter les pertes sérieuses et permanentes.

C’est cette logique que je vous propose, madame la ministre. Elle nous permet de dire que nous croyons à l’apprentissage, alors qu’aujourd’hui, il faut le dire, l’apprentissage n’est pas financé. Comment parvenir à l’équilibre pour former 900 000 apprentis – et plus encore demain –, sinon en mettant autour de la table tous les partenaires qui contribuent à la réussite de l’apprentissage ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Madame la sénatrice Puissat, vous posez les bonnes questions.

La concertation que le Gouvernement a lancée avec tous les acteurs vise à retrouver une soutenabilité financière. Introduire des mécanismes de régulation financière ne signifie pas que l’on ne croit plus à l’apprentissage. Vous avez tout à fait raison de souligner qu’il est absolument indispensable de lier les deux.

J’ai déjà évoqué la réforme du financement des CFA en répondant à d’autres intervenants.

Il faut également renforcer les mécanismes de régulation par la qualité et de lutte contre la fraude – je sais que vous êtes aussi à la pointe sur ces sujets. Cela passe par la révision de la certification Qualiopi, par une meilleure transparence des résultats, grâce notamment au dispositif InserJeunes, via Parcoursup.

À cet égard, je salue les travaux qui ont été réalisés au Sénat et l’introduction d’un certain nombre de dispositions dans le projet de loi de simplification de la vie économique.

Nous avons discuté d’autres mesures, notamment de la participation obligatoire des employeurs d’apprentis de niveaux de qualification 6 et 7, à l’occasion de l’examen d’un amendement sénatorial.

Vous avez également mentionné le CPF, madame la sénatrice. J’aime bien l’idée de recentrer France Compétences sur les deux dispositifs de droit commun majeurs que sont l’apprentissage et le CPF.

Pour limiter la mécanique inflationniste du CPF, nous avons introduit le ticket modérateur, hors demandeurs d’emploi. Nous avons également supprimé un certain nombre de formations qui ne sont pas qualifiantes, comme l’aide à la création d’entreprises. Nous continuerons de le faire.

Dans ce domaine aussi, nous renforçons la lutte contre la fraude.

Je vous rejoins sur ce point : afin de recentrer France Compétences sur les très grands dispositifs de droit commun mis en place ces dernières années, il est nécessaire d’avoir une vision plus structurelle, et pas simplement, même si c’est ce que nous sommes en train de faire, d’agir par à-coups, de façon conjoncturelle ou ponctuelle.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Madame la ministre, il nous faut une vision structurelle, certes, mais également concertée. Nous avons besoin de retrouver autour de la table les acteurs qui ont fait l’apprentissage et qui continuent de le faire. Ils ne peuvent avoir l’impression de recevoir d’en haut des décisions sur lesquelles ils n’ont pas de prise.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Bienvenue aux jeunes apprentis qui se trouvent dans nos tribunes ou en salle Clemenceau, accompagnés de leurs professeurs, à l’occasion des vingtièmes Rencontres sénatoriales de l’apprentissage.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’intelligence de la main vaut celle de l’esprit. J’ai depuis longtemps fait de cette expression une conviction.

L’apprentissage, qui s’est fortement développé, est une priorité stratégique pour notre pays. C’est une voie privilégiée pour l’avenir professionnel de nos jeunes, en particulier dans un contexte où leur insertion sur le marché du travail constitue un défi majeur. Elle est aujourd’hui un levier essentiel d’insertion sociale et professionnelle. Poursuivons les efforts engagés pour développer cette voie, qui attire de plus en plus de jeunes gens dans notre pays.

En effet, l’apprentissage en France a connu une progression significative ces dernières années, permise par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et par le dispositif « 1 jeune, 1 solution ». En 2024, près de 880 000 contrats ont ainsi été signés, soit une augmentation de 3,2 % par rapport à 2023. Ce chiffre témoigne du succès du modèle.

L’apprentissage est ainsi un outil de lutte contre le chômage des jeunes. L’année dernière, leur taux de chômage a atteint 20,5 % en France, soit un taux bien au-dessus de la moyenne européenne, qui est de l’ordre de 15,3 % pour la même période, selon Eurostat.

De nouvelles mesures, adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2025 et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, ont récemment modifié le système de l’apprentissage en France.

Un décret publié le 23 février dernier fait évoluer les aides à l’embauche. Celles-ci passent de 6 000 euros à 5 000 euros pour les petites entreprises et à 2 000 euros pour celles de plus de 250 salariés.

Un autre décret, publié voilà seulement quelques jours, modifie quant à lui le système d’exonérations de cotisations sociales salariales, en application de l’article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Désormais, les apprentis qui sont rémunérés au-delà d’un demi-Smic sont assujettis au paiement de la CSG et de la CRDS.

Lors des débats budgétaires, notre groupe avait exprimé un certain nombre d’inquiétudes sur ce sujet. Nous craignions alors que le signal envoyé au monde économique ne vienne briser la bonne dynamique de l’apprentissage.

L’enjeu est clair : il faut trouver un équilibre entre la nécessaire maîtrise des finances publiques et le maintien d’un niveau d’apprentissage élevé au service de l’emploi des jeunes et de la compétitivité de nos entreprises.

Une évolution des politiques de soutien à l’apprentissage est-elle pour autant malvenue ? Non, de toute évidence. Au-delà des aides, il est essentiel de continuer d’investir dans la qualité des parcours, dans l’orientation et l’accompagnement des jeunes, afin de garantir une insertion durable.

Pour préparer cette intervention, j’ai rencontré la semaine dernière la présidente et le directeur du centre de formation des apprentis interconsulaire de l’Eure de Val-de-Reuil. Véritable modèle de réussite, cet établissement est l’un des plus grands CFA de France.

Nos échanges ont été riches. L’abaissement du niveau des aides à l’embauche ne devrait pas dissuader les artisans et les petites entreprises de recruter des apprentis, en particulier dans les secteurs en tension.

Je pense particulièrement au secteur de la restauration, qui peine à trouver des salariés en raison des contraintes des différents métiers, mais d’autres secteurs sont concernés : il est également difficile de trouver des boulangers, des coiffeurs, des couvreurs ou d’autres artisans.

Malheureusement, cette pénurie de main-d’œuvre fait que les apprentis seront toujours vus comme une solution dans les secteurs et métiers en tension. Et si la hausse prévue des cotisations sociales a pour mérite de rationaliser les niveaux de rémunération, la question du financement de l’apprentissage demeure centrale.

Madame la ministre, nous saluons à cet égard le bon déroulement des concertations que vous menez depuis l’automne dernier et qui devraient aboutir à la fin du mois d’avril. Leurs conclusions sont attendues par toutes les parties prenantes.

Les fonds publics alloués à l’apprentissage sont importants, et c’est une bonne chose. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait ainsi le coût de l’apprentissage pour l’année 2023 à 24,9 milliards d’euros.

Dans le contexte budgétaire actuel, nous devons absolument orienter nos discussions vers un meilleur fléchage de ces dépenses, tout en préservant l’excellence du modèle français de l’apprentissage. J’emploie à dessein le terme d’excellence, car c’est le seul qui peut qualifier la voie de l’apprentissage dans notre pays.

En conclusion, l’apprentissage reste un pilier central de notre politique de formation et d’emploi. Les ajustements à venir devront être pensés de manière concertée avec l’ensemble des acteurs concernés pour continuer de faire de l’apprentissage un modèle satisfaisant pour tous.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de lemploi. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir évoqué la concertation. Nous avons souhaité écouter l’ensemble des acteurs : acteurs de la compétence, branches professionnelles et partenaires sociaux.

Que Mme Puissat se rassure : cette réforme ne sera en rien centralisée ni verticale. Nous avons voulu la coconstruire avec les acteurs concernés, en mettant l’accent sur le financement et en faisant des choix résolus.

Compte tenu du contexte budgétaire qui s’impose à nous, nous privilégierons les formations qui répondent aux besoins des entreprises, les métiers d’avenir et les niveaux de qualification 4 et 5. Nous soutiendrons également les entreprises de plus petite taille. Enfin, nous serons beaucoup plus fermes en matière de lutte contre la fraude et exigeants en termes de qualité.

Il est souvent fait référence aux travaux du chercheur Bruno Coquet, qui évalue le montant de la dépense publique liée à l’apprentissage à 25 milliards d’euros. Or cette vision est très extensive. Pour notre part, nous estimons plutôt le montant de cette dépense pour 2025 à 14 milliards d’euros environ, si l’on n’y inclut pas les niches fiscales comme les exonérations d’impôt sur le revenu des apprentis et d’autres exonérations dont bénéficient les entreprises.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)