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Communication relative à des commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, ainsi que la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anticriminalité organisée, sont chacune parvenues à l’adoption d’un texte commun.
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Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande le retrait de l’ordre du jour du lundi 5 mai de la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, et, en conséquence, le retrait de la suite de la proposition de loi sur la profession d’infirmier inscrite le mardi 6 mai ; l’inscription en premier point de l’ordre du jour du mardi 6 mai d’une déclaration suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, portant sur la souveraineté énergétique de la France ; l’inscription en deuxième point de l’ordre du jour du mardi 6 mai de la deuxième lecture de la proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, et, en conséquence, le retrait de la suite de cette deuxième lecture inscrite le mercredi 7 mai ; enfin, l’inscription en deuxième point de l’ordre du jour du mercredi 7 mai de la suite éventuelle de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Acte est donné de ces demandes.
Pour le débat qui suivra la déclaration du Gouvernement, nous pourrions prévoir que les orateurs des groupes, à raison d’un orateur par groupe, interviennent selon l’ordre décroissant de leur effectif, avec les temps de parole suivants : 14 minutes pour le groupe Les Républicains ; 12 minutes pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; 10 minutes pour le groupe Union Centriste ; 8 minutes pour les autres groupes ; 3 minutes pour un sénateur non inscrit.
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat pourrait être fixé au lundi 5 mai à quinze heures.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
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Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en œuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ?
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en œuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ? »
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre déléguée, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous sommes à un moment charnière, où nos choix politiques ou, au contraire, notre apathie peut tous nous emporter dans une grande bascule ou provoquer le sursaut qui protégera nos démocraties.
Oui, nos démocraties libérales, telles qu’elles se sont développées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sont aujourd’hui menacées par la montée des régimes autoritaires, illibéraux ou impérialistes qui, piétinant le droit international et le multilatéralisme, voient dans nos systèmes une entrave à leur expansion et un contre-modèle qui leur est insupportable.
Leur travail de sape passe aujourd’hui par la promotion de tout ce qui fracture nos sociétés et par la manipulation du débat public. Il n’y a là rien de nouveau. Tout tenait déjà dans le fameux paradoxe de la tolérance de Karl Popper : « La tolérance illimitée ne peut que conduire à la disparition de la tolérance. […] Si nous ne sommes pas prêts à défendre une société tolérante contre les assauts des intolérants, alors les tolérants seront détruits, et la tolérance avec eux. »
Pour mener leur offensive, les adversaires de la démocratie se sont depuis longtemps emparés des outils qui ont pourtant été pensés pour accroître la liberté d’expression et favoriser le débat public par le bas, c’est-à-dire les grandes plateformes numériques et les réseaux sociaux.
La déstabilisation du débat public a progressé, par ce biais, à une échelle industrielle. En effet, ces plateformes numériques sont devenues les nouvelles infrastructures de notre quotidien. Elles ne sont plus de simples services, mais les espaces incontournables de nos relations sociales, de notre accès à l’information, de nos loisirs, de nos achats et même de nos opinions.
Aujourd’hui, des milliards de personnes dans le monde dépendent de Google pour chercher, de YouTube pour comprendre, de Facebook pour échanger, de TikTok ou de X pour s’informer – ou se désinformer.
Au travers de ces plateformes, ceux que Giuliano da Empoli appelle les « ingénieurs du chaos », ces idéologues au service des dirigeants autoritaires, accumulent des données et abusent des algorithmes pour diviser profondément nos sociétés et imposer leur agenda politique.
La Silicon Valley, comme la nation américaine, repose sur de grands mythes, avec désormais les grands patrons érigés en héros de légende. Je pense notamment au mythe de la neutralité des plateformes, qui permettrait l’émancipation par l’horizontalité et le partage de pair à pair. Tout cela a exercé une forme de fascination, pour ne pas dire d’aveuglement, chez nombre de décideurs, qui ont laissé faire.
Aujourd’hui, ces mythes se retournent contre nous. Nous devons porter un regard critique sur ce capitalisme de la donnée ou ce « capitalisme de surveillance », pour reprendre les termes de Shoshana Zuboff.
Les plateformes orientent le débat public en fonction de leurs propres intérêts économiques ou idéologiques. Ce que nous voyons sur nos écrans n’est pas un reflet neutre de l’opinion, mais un résultat rangé, ordonné et optimisé de la captation de nos données : optimisé pour garder notre attention, pour nous faire « scroller » à l’infini, « liker » et consommer.
Les plateformes sont devenues des éditeurs sans le dire. Elles filtrent, classent, favorisent certains contenus et en invisibilisent d’autres, selon des logiques que personne ne peut vraiment voir, donc contester. Et ce n’est plus gratuit ! Nous payons avec ce que nous avons de plus intime : nos données, nos comportements et notre attention.
Le marché mondial de la publicité numérique pèse plus de 600 milliards de dollars par an. Mais au-delà de cette marchandisation de l’intime, c’est notre démocratie elle-même qui est désormais fragilisée. L’ingérence des plateformes dans le débat public prend deux formes principales.
La première, la plus visible, est celle de la désinformation. Nous avons tous en tête les campagnes de fake news qui ont pollué les élections américaines de 2016 ou le référendum britannique. Cette offensive idéologique s’est développée en optimisant et en détournant les algorithmes des plateformes, qui ont été conçus pour maximiser l’engagement des utilisateurs et qui ont abouti à mettre en avant les contenus extrêmes.
Alerte après alerte, scandale après scandale, l’Union européenne n’est pas restée en reste. Faisant preuve d’une grande capacité à réguler, elle a réagi en adoptant le règlement européen sur les services numériques, dit DSA, qui impose des obligations strictes aux très grandes plateformes, et que nous avons nous-mêmes transposé dans la loi pour sécuriser et réguler l’espace numérique.
Nous disposons donc d’un panel d’outils que je pense pour partie robustes. L’heure est venue de les mettre en œuvre. La loi ne vaut que si elle est appliquée avec rigueur. Il faut mettre fin à l’impunité numérique.
La seconde forme d’ingérence, plus insidieuse, plus difficile à détecter, est celle des algorithmes. Chaque plateforme décide, au travers de ses propres formules mathématiques, couvertes par le secret industriel, de ce que vous allez voir ou non. Ce n’est pas anodin compte tenu de la place qu’elles ont prise dans nos vies : c’est un façonnage du réel.
Les algorithmes créent des bulles, des chambres d’écho, structurent l’opinion, orientent à partir des émotions, polarisent le débat. Et dans certains cas, ils sont délibérément utilisés pour influencer des processus électoraux, affaiblir des sociétés, déstabiliser des régimes, comme cela a été le cas en Moldavie, en Géorgie ou dans les Balkans, où les manipulations informationnelles ont résulté d’outils numériques parfaitement rodés aux abus liés au traitement algorithmique.
Toutefois, ne nous croyons pas à l’abri : les sociétés d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord aussi sont ciblées. La France, les États-Unis et l’ensemble du continent européen sont concernés.
Tout ne se fait pas pour autant dans l’ombre. Le rachat de X par Elon Musk et sa mise à la disposition de la machine électorale de Trump, ainsi que son soutien aux partis d’extrême droite européens, se font au su et au vu de tous. On connaissait la manipulation des algorithmes due à des ingérences extérieures ; désormais, c’est le dirigeant de la société lui-même qui manipule sa plateforme, mettant un terme à toute forme de modération et, par la même occasion, mettant fin à l’illusion de la neutralité.
Avec le retour de cette rhétorique toxique, toute régulation est vue comme une atteinte à la liberté d’expression. Comme si modérer les plateformes revenait à museler le peuple !
C’est un contresens dangereux. Car réguler ne revient pas, comme le disent les trumpistes, à manipuler l’opinion ou à faire taire qui que ce soit. Au contraire, et grâce à des règles communes, c’est préserver l’essence même de la démocratie, à savoir le débat libre et éclairé, dans sa diversité, sa pluralité et la possibilité de délibérer sans être manipulé par les grandes entreprises ou le mensonge. Dans ce contexte, notre large dépendance aux outils, services et infrastructures numériques, notamment américains, doit être remise en cause.
Alors, que faire ? Sur la désinformation, le cap est clair : la France doit pousser l’Europe à appliquer de manière stricte, rapide et implacable le DSA, dès que les faits sont avérés. Il faut défendre bec et ongles notre souveraineté numérique. Chaque violation doit être sanctionnée et chaque manquement exposé publiquement.
Sur les algorithmes, il reste beaucoup à faire. Le DSA prévoit quelques outils. Pour lutter contre l’effet « boîte noire » des algorithmes, nous devons encourager les audits indépendants autorisés par le DSA. Nous aimerions vous entendre à ce sujet, madame la ministre déléguée.
Nous avons besoin d’une expertise publique, scientifique et indépendante, pour comprendre et contrôler ces outils qui structurent notre vie collective et pour nous prémunir en urgence des ingérences, tout en garantissant un espace démocratique d’expression. La tâche est ardue : elle appelle à faire d’abord preuve de lucidité, puis de détermination.
Ce combat pour défendre le débat public n’est pas secondaire. Il est central et urgent : c’est la raison pour laquelle nous ouvrons le débat aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, CRCE-K, RDSE et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je vous remercie sincèrement de cette discussion sur la sincérité du débat public et la régulation des plateformes.
Je laisserai à d’autres l’analyse des ingérences étrangères et me contenterai de vous livrer mon diagnostic personnel.
Tout d’abord, je souhaite évoquer la protection de nos enfants, car, pour permettre un débat d’adultes, il faut que nos enfants apprennent et soient formés à la notion de libre-pensée et de libre arbitre.
Que penser lorsque, malgré l’adoption de nombreux textes, YouPorn est encore accessible, sans aucun contrôle parental ni limite d’âge ? C’est mon premier point : il nous faut une identité numérique fiable, et, franchement, j’attends toujours !
Que penser aussi de ce qui est arrivé à Arthur, 22 ans, qui s’est pendu après un changement de genre intervenu à l’âge de 16 ans, perturbé par une prétendue idéologie de liberté ? Elle s’appelait Célia, et ses parents ont clairement pointé la responsabilité des réseaux sociaux tant dans sa volonté de changer de genre que dans sa volonté de mourir.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », disait Jacques Chirac. Sauf que nous, nous avons oublié les enfants, laissés dans la maison…
Que penser enfin de l’inaction des pouvoirs publics qui n’ont jamais soutenu les scientifiques ou les médecins ayant dénoncé les fausses publications de vendeurs de tisane anticancer et antivax notoires ? Ces experts ont été insuffisamment aidés. Certains sont encore sous protection policière aujourd’hui.
Mes chers collègues, la réalité est que nous sommes aujourd’hui complètement dépassés par ces interférences dans la capacité de nos enfants à élaborer une réflexion indépendante et autonome.
C’est à nous, législateurs, d’être fermes et de ne pas faiblir devant ces concepts de pseudo-liberté et de pseudo-libre expression.
Personnellement je considère que nous et nos enfants sommes attaqués par des groupuscules de fanatiques. C’est aussi valable pour notre économie : mensonges et fake news sont véhiculés par des marchands de peur qui s’en prennent à toutes les strates de nos institutions et à nos valeurs.
À l’échelle de l’Union européenne, l’arsenal normatif concernant les plateformes s’est étoffé au cours des dernières années. Afin de limiter la propagation des fake news, l’adoption du DSA a marqué un véritable tournant dans la législation européenne. Il oblige les très grandes plateformes à faire la lumière sur leurs systèmes de recommandation de contenus auprès de leurs utilisateurs.
Les plateformes ont ainsi pour obligation d’évaluer et de prendre des mesures pour atténuer les risques qui découlent de l’utilisation de leurs services. La Commission européenne a également demandé à huit des principales plateformes de fournir des explications sur la prolifération de vidéos trompeuses par lesquelles on peut attribuer à un individu des comportements qui ne sont pas les siens grâce à l’intelligence artificielle.
En effet, les réseaux sociaux ne peuvent être considérés comme une simple courroie de transmission. Nous devons tous avoir un leitmotiv : responsabiliser et contraindre les plateformes et les empêcher, avec des outils justes et équilibrés, de se soustraire, de quelque manière que ce soit, à leurs obligations.
Certes, nous en avons tous conscience, cet exercice est particulièrement complexe, tant nous devons répondre simultanément à deux exigences de taille : l’identité numérique pour protéger nos enfants ; la garantie d’une véritable traçabilité et la véracité des informations diffusées par les plateformes.
Aussi est-il de notre devoir, me semble-t-il, de continuer à tout mettre en œuvre pour assurer une traçabilité sans équivoque des sources et, parallèlement, d’instituer les moyens concrets de contrôle et de sanction les plus adaptés possible aux nouvelles technologies.
Il y va de la qualité de nos débats et de la protection de notre démocratie ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier, monsieur Dossus, d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour du Sénat. Ce sujet est absolument fondamental, mais, comme je dispose de peu de temps pour vous répondre, j’y reviendrai ultérieurement au cours de la discussion.
Monsieur Louault, vous évoquez la question de la protection de nos enfants en ligne. C’est une priorité de mon action, et vous pouvez compter sur mon entière détermination pour lutter contre les dérives que vous venez de mentionner. J’insisterai sur deux d’entre elles.
Tout d’abord, la problématique de l’accès aux contenus pour adultes, au sujet de laquelle la France a été un précurseur grâce à la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, dite loi Sren, est complexe. Ainsi, la vérification d’âge est très difficile à mettre en œuvre, dans la mesure où les sites trouveront toujours une solution de contournement.
Je tiens à vous dire que, dès demain, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pourra mettre en demeure les premiers sites qui ne respectent pas ce contrôle d’âge. Je sais qu’il s’agit d’un processus très long, mais il est important, parce que l’Union européenne est en train de fixer les lignes directrices dans ce domaine et qu’elle observe ce que notre pays a fait en la matière.
Pour ce qui concerne les sites qui ne sont pas domiciliés en France ou dans l’Union européenne – je sais que vous connaissez bien le dossier –, je tiens à dire à leurs responsables qu’ils sont en sursis. Dans trois mois, l’Arcom aura les mêmes pouvoirs pour tous les sites, et ces sites seront donc sanctionnés. Les sanctions pourront aller jusqu’à la mise hors ligne des sites fautifs. Nous y serons extrêmement attentifs.
Ensuite, je souhaite évoquer la question des grandes plateformes. Le sénateur Dossus a cité YouTube, mais il y en a d’autres. Il existe dans le débat actuel et dans ce contexte de guerre commerciale – j’aurai l’occasion là encore d’y revenir – une petite musique selon laquelle la régulation du numérique pourrait être mise en balance.
Sachez que je n’accepterai pas que le DSA et le DMA (règlement sur les marchés numériques) deviennent un objet de marchandage.
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. En Europe, on respecte nos règles. J’y serai extrêmement attentive, car, à ces règles, je tiens !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier nos collègues écologistes d’avoir inscrit à l’ordre du jour de nos travaux ce débat, sur un sujet qui pose certainement beaucoup plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
Le réseau internet et le développement des plateformes numériques ont eu des bienfaits considérables sur notre société, notamment en renforçant le lien social et l’accès aux connaissances.
Cependant, comme la plupart des grandes innovations technologiques, le numérique est porteur de progrès, mais également facteur de dangers. Nous vivons en effet à une époque où la communication est plus accessible que jamais, mais où la désinformation et la manipulation de l’information menacent la sincérité du débat public.
La régulation des plateformes en ligne, au niveau tant français qu’européen, est essentielle pour garantir la qualité des échanges démocratiques. Je vais tenter d’exposer les politiques mises en œuvre et les défis à relever pour promouvoir un environnement numérique sain.
Les plateformes en ligne, telles que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, jouent un rôle central dans la diffusion de l’information. Elles peuvent favoriser la participation citoyenne, mais elles sont également le vecteur de fausses informations et de discours de haine.
Les données montrent que les contenus manipulés ont souvent plus de visibilité que ceux qui respectent les faits. Ce constat appelle une action rapide et coordonnée. Les réseaux sociaux sont devenus des espaces de désinformation, de manipulation et d’ingérence, en offrant un cadre favorable à la propagation de fausses nouvelles.
Par parenthèse, se pose aussi la question de l’anonymat sur ces plateformes. J’aurai l’occasion, madame la ministre, de formuler quelques propositions en la matière dans quelques semaines. Il me paraît en effet urgent d’apporter des solutions, afin de protéger les utilisateurs et de leur permettre d’utiliser des outils sécurisés et fiables.
On ne peut accepter plus longtemps de vivre dans une zone où la protection diffère du monde réel. De surcroît, internet et les réseaux sociaux constituent la principale source d’information pour un Français sur deux.
La désinformation a pris de l’ampleur pendant le confinement et la crise sanitaire, au cours desquels les réseaux sociaux se sont fait la caisse de résonance de théories complotistes. Les groupuscules extrêmes trouvent dans cet outil de communication un nouveau moyen de diffuser leurs idées, y compris pour déstabiliser la démocratie représentative. On a pu mesurer, en Europe et aux États-Unis, le risque majeur que font peser les réseaux sociaux sur les processus électoraux.
Lors des dernières élections américaines, le nombre de faits inexacts qui ont été propagés a progressé à un niveau jusqu’alors jamais atteint. Une étude de la revue Science en 2018 montre que les fausses informations, ou fake news, se propagent plus rapidement et plus largement que les vraies informations sur le réseau. Il faut six fois plus de temps à une information vraie qu’à une information fausse pour atteindre 1 500 personnes. Par ailleurs, une information fausse a 70 % de chances de plus d’être reprise qu’une information vraie.
Ces dérives sont facilitées par le mode de fonctionnement des plateformes. En effet, leur modèle économique repose sur des recettes publicitaires proportionnelles au trafic suscité par les utilisateurs. Pour accroître le temps de présence des utilisateurs et multiplier les gains publicitaires, les algorithmes des plateformes mettent en avant les contenus les plus virulents et les moins nuancés.
En tant que coauteur d’un récent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j’ajoute que la désinformation va changer d’échelle avec l’intelligence artificielle, et, en particulier, l’intelligence artificielle (IA) générative. Celle-ci permet des trucages hyperréalistes qui, outre les escroqueries, touchent d’ores et déjà le monde politique.
Dans un tel contexte, est-il encore possible de garantir la sincérité du débat public ? En France, la loi de 1881 a fixé un cadre législatif pour l’exercice de la liberté d’expression, mais elle ne pouvait pas anticiper l’arrivée des réseaux sociaux et ses multiples conséquences.
Notre droit a prévu certaines adaptations, comme la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Ce texte peut être considéré comme une réponse directe au problème posé : il impose aux plateformes de lutter contre les fake news, notamment lors des campagnes électorales. Il fixe aussi des obligations de transparence au niveau des algorithmes de recommandation et prévoit le signalement des contenus problématiques.
Cependant, il est crucial de garantir que ces régulations ne portent pas atteinte à la liberté d’expression.
De plus, la réponse ne pouvait rester nationale face à des géants du numérique à la capacité d’influence planétaire. Le législateur européen est intervenu en adoptant le règlement sur les services numériques (DSA), applicable depuis le 17 février 2024. Celui-ci vise une responsabilisation des plateformes. Il prévoit en particulier de nombreuses mesures graduées selon les acteurs en ligne, en fonction de la nature de leurs services et de leur taille.
Les très grandes plateformes et les très grands moteurs de recherche sont soumis à des exigences plus strictes. Lorsqu’un signalement est effectué, ils doivent rapidement retirer ou bloquer l’accès au contenu illégal. Dans ce cadre, ils coopèrent avec des « signaleurs de confiance » présents dans chaque pays. En outre, les plateformes doivent rendre plus transparentes leurs décisions en matière de modération des contenus et proposer un système de recommandation de contenus non fondés sur le profilage.
En France, le coordinateur national est l’Arcom, comme l’a prévu la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique.
En cas de non-respect du DSA, des astreintes et des sanctions peuvent être prononcées. Pour les très grandes plateformes et les très grands moteurs de recherche, la Commission européenne peut infliger des amendes allant jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. En cas de violations graves et répétées, les plateformes peuvent même se voir interdire leurs activités sur leur marché européen.
Néanmoins, quelle efficacité ont ces mesures ? Depuis l’adoption du DSA, seize enquêtes ont été diligentées par la Commission européenne à l’encontre des très grandes plateformes en ligne. Jusqu’à présent, une seule, pour manquement à l’encontre de TikTok, a permis le retrait de l’un des programmes de cette plateforme dans l’Union européenne.
Le 18 décembre 2023, la Commission européenne a également ouvert une procédure formelle d’infraction à l’encontre du réseau social X pour manquement aux règles européennes.
En juillet 2024, elle a estimé dans les conclusions préliminaires de cette enquête que X enfreignait ses obligations en matière de modération des contenus illégaux et de lutte contre la désinformation, en particulier les obligations de transparence concernant les publicités diffusées et l’accès des chercheurs aux données de la plateforme. Enfin, en juillet 2025, la Commission européenne a annoncé des mesures techniques supplémentaires auprès de la plateforme.
Pour le moment, les pouvoirs d’enquête et de contrôle dont dispose la Commission européenne semblent insuffisamment utilisés. La procédure doit suivre un long cheminement avant que toute non-conformité ne soit prononcée. Aussi est-ce avec la plus grande attention que nous écouterons vos conclusions et propositions sur le sujet, madame la ministre.
L’efficacité de la mise en œuvre du règlement européen reposera sur un partage efficace d’informations, d’expériences et de compétences entre la Commission et les autorités nationales, lesquelles devront elles-mêmes être dotées de moyens suffisants.
Plusieurs défis restent à relever.
Tout d’abord, l’application effective de ces régulations sera cruciale. Les plateformes doivent être tenues responsables de leurs actions, mais cela nécessite des ressources et implique une coopération étroite entre États membres.
Ensuite, la question de la transparence et de l’impartialité des algorithmes reste centrale. Comment garantir que ces systèmes ne favorisent pas certaines voix au détriment d’autres ?
Pour conclure, la sincérité du débat public dépend étroitement de nos actions collectives en matière de régulation des plateformes en ligne. Les politiques adoptées, qu’elles soient françaises ou européennes, doivent être rigoureusement appliquées et constamment adaptées aux évolutions technologiques.
Il est de notre responsabilité individuelle et collective de veiller à ce que nos espaces de débat restent ouverts, diversifiés et sincères. En effet, la sincérité du débat public est un enjeu démocratique majeur, qui nécessite l’engagement de chacun d’entre nous.
Aussi la régulation des plateformes doit-elle être perçue non pas comme une censure, mais comme un moyen de garantir un environnement où la vérité et la transparence prévalent. (Applaudissements.)