M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, la restitution du tambour parleur Djidji Ayôkwê à la Côte d’Ivoire, objet de cette proposition de loi, répond à une attente de longue date de sa communauté d’origine, celle des Atchans, pour laquelle il est sacré.

Cette restitution relève également d’enjeux diplomatiques, culturels et juridiques. Au-delà, elle participe de la consolidation de notre relation à la société civile et à la jeunesse ivoiriennes.

En ce sens, je tiens à saluer l’initiative transpartisane qui a mené à cette proposition de loi, en particulier le travail de nos collègues Laurent Lafon, Max Brisson, Catherine Morin-Desailly, Pierre Ouzoulias, Yan Chantrel, Jean Hingray, Mathilde Ollivier et Cédric Vial.

Sur le plan diplomatique, cette restitution est prioritaire. La Côte d’Ivoire, pays ami avec lequel nous entretenons d’excellentes relations, l’attend depuis des années.

Confisqué en 1916 et conservé dans les collections françaises depuis 1930, ce bien est réclamé par sa communauté d’origine depuis des décennies.

En 2019, la Côte d’Ivoire a fait une demande officielle en ce sens, à laquelle la France s’est engagée à donner suite lors du sommet Afrique-France de 2021. Pourtant, la restitution n’a toujours pas eu lieu, quand le Sénégal ou le Bénin, eux, ont bénéficié récemment d’opérations de cette nature.

Sur le plan culturel, la restitution est essentielle. Depuis 2022, le musée du quai Branly-Jacques Chirac a mené plusieurs opérations préparatoires à cet effet. Il a notamment accueilli la communauté atchane pour une cérémonie de désacralisation préalable à la restitution.

Une coopération muséale d’ampleur a également été mise en place avec le musée des civilisations de Côte d’Ivoire, l’Agence française de développement et Expertise France.

Cette restitution fait aussi écho au renforcement de nos relations avec la société civile ivoirienne, en particulier avec sa jeunesse. De nombreux projets réunissant nos deux pays ont déjà vu le jour, comme le Hub franco-ivoirien pour l’éducation. Rendre le tambour parleur au peuple ivoirien s’inscrirait dans la continuité de ces initiatives.

Le 7 juin 1978, l’appel d’Amadou-Mahtar M’Bow pour « le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable » a marqué les esprits. Le directeur général de l’Unesco rappelait à quel point certains biens culturels participent de la mémoire collective de leur peuple d’origine.

Pour cette jeunesse ivoirienne, qui aspire à mieux connaître ses racines, la restitution du tambour parleur à la Côte d’Ivoire revêt une dimension particulière. À nous d’agir pour que la France honore son engagement.

À cet effet, le groupe Les Indépendants – République et Territoires salue cette démarche. Elle est à la fois légitime, nécessaire et urgente au regard du retard que nous avons déjà pris.

Néanmoins, nous regrettons, comme de nombreux collègues, que la restitution n’ait pas pour véhicule une loi-cadre.

Le présent texte prévoit une dérogation à l’article L. 451-5 du code du patrimoine consacrant le principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises. Cette méthode, si elle se justifie pleinement par le contexte, présente des écueils. Continuer de procéder à des restitutions via des dérogations au principe d’inaliénabilité réduirait la portée juridique de ce principe pourtant essentiel.

Ce dernier tire ses racines de l’Ancien Régime. Il a été consacré par la cour d’appel de Paris en 1846, par la Cour de cassation en 1896, par le Conseil d’État en 1932 et, pour les collections des musées publics, par la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France. Ce principe protège notre patrimoine ; il ne doit pas être traité avec légèreté.

Or, à l’automne 2018, les collections publiques françaises comptaient au moins 88 000 objets provenant d’Afrique subsaharienne. Parmi eux, certains devront être restitués à leur pays d’origine, c’est un fait. Ferons-nous des lois de dérogation à chaque fois ? Cette méthode n’est souhaitable ni pour les peuples africains ni pour nous : nous avons besoin d’une loi-cadre.

La question de la restitution des biens culturels aux pays africains est posée depuis plusieurs années, voire depuis des décennies. En 1982, déjà, le ministère français des relations extérieures chargeait Pierre Quoniam de former un groupe de travail à cet effet. En novembre 2018, un nouveau rapport réalisé par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy dressait un constat exhaustif et sans appel sur ces enjeux.

Enfin, la société civile s’est, elle aussi, emparée à juste titre de cette question, qui appelle une réponse à la hauteur.

Bien évidemment, je salue de nouveau les travaux de nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias sur ce sujet.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires apporte tout son soutien à cette proposition de loi et tient à insister sur la nécessité d’adopter à terme une loi-cadre relative à ces enjeux. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et GEST. – Mme Catherine Morin-Desailly et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer la présence en tribune de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France et du ministre Mamadou Touré. (Applaudissements.)

Leur présence témoigne de l’importance que revêt pour la Côte d’Ivoire le retour du tambour.

Nous ne pouvons que nous réjouir que ce texte recueille un très large consensus, voire l’unanimité. Avec cette loi spécifique, nous corrigerons une anomalie : nous mettrons fin à la fois à une très forte attente en Côte d’Ivoire, accompagnée de travaux au musée des civilisations et d’un partenariat tout à fait exemplaire entre historiens et scientifiques ivoiriens et français, et à l’attente, en France, d’un véhicule législatif permettant ce retour.

Je remercie les parlementaires qui ont contribué à ce texte, en particulier les membres de la délégation transpartisane qui a été évoquée. Ce travail démontre aussi que la diplomatie parlementaire permet d’obtenir des résultats.

M. Pierre Ouzoulias. Exactement !

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Je salue également l’engagement au long cours de Catherine Morin-Desailly sur la question des restitutions, auquel se sont associés Max Brisson et Pierre Ouzoulias, pour faire en sorte que le Sénat soit une véritable référence sur ce sujet.

Je tiens aussi à saluer Mme la ministre, qui a tout de suite réagi quand nous sommes venus la solliciter, à notre retour de Côte d’Ivoire, pour accélérer le processus de restitution au travers d’une proposition de loi spécifique. Madame la ministre, je vous remercie pour votre écoute et pour votre intervention tout à fait utile. Nous avons bien noté votre annonce sur la loi-cadre, que nous attendons de longue date et qui nous paraît tout à fait indispensable.

Sachez que vous trouverez dans cet hémicycle un lieu de dialogue serein et constructif pour avancer sur ce sujet. Bien entendu, s’il venait au Gouvernement la bonne idée de commencer le travail parlementaire sur cette loi-cadre au Sénat, nous en serions tout à fait heureux. (Applaudissements.)

M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi relative à la restitution d’un bien culturel à la République de Côte d’Ivoire.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire
 

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Intelligence artificielle

Débat organisé à la demande de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et de la délégation à la prospective

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et de la délégation à la prospective, sur l’intelligence artificielle.

Dans le débat, la parole est à M. le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir, président de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il ne se passe plus un seul jour désormais sans que l’on évoque le sujet de l’intelligence artificielle (IA).

Les médias en parlent abondamment, de nombreux experts interviennent dans des colloques qui y sont consacrés, mais l’intelligence artificielle s’invite également dans les débats quotidiens, sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités et jusque dans le cadre familial.

On y dit beaucoup de choses, parfois exactes, souvent approximatives et superficielles. On anticipe le pire ou le meilleur avec, me semble-t-il, un manque de nuance et, surtout, de compréhension. L’IA est à la fois omniprésente et insaisissable, elle fascine et inquiète en même temps.

C’est la raison pour laquelle l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et la délégation à la prospective, qui ont l’un et l’autre travaillé récemment en profondeur sur l’IA avec des approches très différentes, ont conjointement demandé ce débat.

Christine Lavarde, présidente de la délégation à la prospective, qui conclura ce débat, et moi-même souhaitions que le Sénat discute avec le Gouvernement, en séance publique, des orientations que notre pays doit prendre sur un sujet devenu hautement stratégique.

Le rapport récent de l’Opecst sur la question répondait à une commande du plus haut niveau parlementaire : à l’occasion du quarantième anniversaire de l’Office, les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat ont en effet décidé conjointement de travailler sur les nouveaux développements de l’IA, à l’heure du déploiement incroyablement rapide de l’IA, notamment générative.

Je salue le travail approfondi qu’ont mené dans ce cadre nos collègues rapporteurs Patrick Chaize et Corinne Narassiguin, et vous engage à lire leur rapport quelque peu ardu certes, mais essentiel pour comprendre ce que l’IA peut ou ne peut pas faire.

Ce rapport évoque également les différentes problématiques soulevées par l’IA, qui transforme non seulement nos sociétés et nos économies, mais aussi les rapports de force politiques et géopolitiques.

La puissance des entreprises technologiques américaines – Google, Microsoft, Amazon, Meta, auxquelles j’ajoute Nvidia – est désormais bien connue de tous. L’aspiration de la Chine à devenir leader mondial dans le domaine d’ici à 2030 apparaît au travers d’annonces régulières et fortes.

Dans ce contexte, le défi pour l’Europe, et notamment pour la France, est celui de la souveraineté numérique, afin d’éviter de devenir une pure et simple « colonie numérique ».

L’Union européenne mise sur sa régulation, mais contrer la domination de la Big Tech américaine appelle au développement d’acteurs français et européens réellement puissants.

Lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, qui s’est tenu en février dernier à Paris, une coalition de plus de soixante entreprises européennes a été créée pour traduire dans les faits l’urgence d’une réaction européenne forte.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer où en est cette initiative ? Quelle vision et quelle stratégie l’Europe et la France ont-elles déterminées et mises en place depuis ? Existe-t-il un plan d’action précis et financé ? Vous semble-t-il encore possible de se placer dans cette course effrénée, où chaque mois compte ?

Cette stratégie européenne paraît d’autant plus nécessaire que les manipulations politiques et les atteintes à la sécurité à grande échelle, créées à partir de systèmes d’IA, prennent une ampleur chaque jour plus importante.

Les équivalents européens de l’Opecst ont d’ailleurs consacré leur dernière réunion au sujet « IA et démocratie ». J’ai pu constater, à cette occasion, les vives inquiétudes que partageaient nos collègues.

Plus insidieuse encore est la domination culturelle que les systèmes d’IA permettent. Dominés par des acteurs anglo-saxons, ceux-ci risquent non seulement d’accentuer fortement l’hégémonie culturelle des États-Unis, mais aussi – c’est plus grave – de favoriser une forme d’uniformisation cognitive en appauvrissant la diversité culturelle et linguistique.

Il est urgent d’avoir des systèmes d’IA entraînés avec des données en français et construits autour de nos valeurs.

Madame la ministre, comment le Gouvernement s’est-il emparé de cette priorité ? Notre exception culturelle, régulièrement invoquée dans les discours, est cette fois-ci réellement en danger et les évolutions sont de plus en plus rapides. Comment garantir que l’IA s’aligne sur nos valeurs et qu’elle respecte les droits de l’homme ainsi que les principes humanistes ?

Dans le domaine scientifique, l’IA recèle par ailleurs de véritables promesses. En s’intégrant à toutes sortes de disciplines, elle ouvre des perspectives immenses, comme en témoignent les exemples de la génomique ou de la création de jumeaux numériques.

Ces avancées permettront de résoudre – j’en suis convaincu – des problèmes complexes et d’accélérer les découvertes. À cet égard, il n’est pas anodin que les prix Nobel 2024 de physique et de chimie soient revenus à des chercheurs en IA.

Les bénéfices de ces technologies commandent d’adapter nos politiques de recherche. Là encore, madame la ministre, vous pourrez nous dire quelles mesures sont prises pour aider nos scientifiques à s’emparer de ces outils, afin de développer et d’accélérer certaines de leurs recherches.

Il faut le dire, de nombreuses promesses ont été faites au cours des dernières années : des moyens financiers à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros, la création de neuf pôles d’excellence en IA ou encore la formation de 100 000 personnes par an. Mais l’exécution n’est pas au rendez-vous. Nos mesures sont insuffisamment coordonnées et souffrent surtout de l’absence de pilote, comme l’a récemment souligné la Cour des comptes.

Madame la ministre, vous êtes l’une des premières au monde à avoir dans l’intitulé de votre poste les mots « intelligence artificielle ». Disposez-vous pour autant de l’autorité et des moyens nécessaires pour piloter cette politique stratégique ?

Avez-vous autorité sur les services ministériels, notamment ceux de Bercy, qui négocient dans le cadre européen la politique de l’IA ? Êtes-vous en contact direct avec vos homologues allemands, néerlandais, italiens ou espagnols, qui ont une vision proche de la nôtre ?

Dans un rapport récent, Philippe Aghion et Anne Bouverot appellent de leurs vœux cette nécessaire coordination nationale et européenne. Ils proposent également un investissement massif de 27 milliards d’euros sur cinq ans pour la formation, la recherche, et le développement d’un écosystème robuste en IA.

Si la mobilisation de telles sommes paraît complexe dans le contexte budgétaire actuel, avez-vous néanmoins retenu quelques mesures parmi celles qu’ils préconisent ?

Vous l’aurez compris, notre principale interrogation concerne la stratégie de notre pays en matière d’IA pour aujourd’hui et pour demain. J’y insiste, il y a urgence. C’est d’ailleurs cet aspect qui faisait l’objet des toutes premières recommandations de l’Office.

S’y ajoutaient quelques autres, parmi lesquelles l’indispensable régulation mondiale de l’IA, actuellement éparpillée entre différents organismes.

Il nous semble essentiel que l’Union européenne, qui a déjà commencé à élaborer un cadre juridique pertinent en lien étroit avec l’OCDE, prenne rapidement le leadership sur cette question.

Ensuite, l’Office estime que nous devons, de manière prioritaire, accompagner le déploiement de ces technologies dans le monde du travail et anticiper les conséquences précises qu’elles emporteront. Certains outils d’intelligence artificielle y sont déjà présents et éveillent des inquiétudes.

Enfin, il est crucial de former les élèves des écoles, les collégiens, les lycéens, les étudiants des universités ainsi que, plus largement, le grand public. La connaissance du fonctionnement de cette technologie, de ses conséquences et de ses risques, notamment en termes de manipulation, nous paraît essentielle.

Tels sont, mes chers collègues, les axes principaux que je souhaitais évoquer pour introduire ce débat, dont je ne doute pas qu’il sera particulièrement riche et intéressant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme cela vient d’être dit à juste titre : plus une journée ne se passe sans que nous entendions parler de l’intelligence artificielle.

Deux Français sur cinq déclarent avoir déjà utilisé l’IA. Or celle-ci n’est pas simplement une innovation technologique. Elle modifie nos façons de produire, de décider, de comprendre le monde et donc, inévitablement, de gouverner.

C’est précisément pour cela que la France a créé un ministère de l’intelligence artificielle, comme elle a pu se doter, en d’autres temps, de ministères des postes et des télécommunications ou du numérique. Cette technologie est si puissante que nous devons mettre les moyens pour la gouverner.

Je salue le travail réalisé par les parlementaires, notamment au sein de l’Opecst. L’Office a publié un rapport très complet, mais que je ne qualifierais pas de particulièrement « ardu ». Celui-ci était absolument nécessaire pour que nous puissions appréhender les défis que nous devrons relever.

Nous ne sommes pas simplement confrontés à une nouvelle technologie : nous faisons face à une redistribution profonde des pouvoirs économiques, scientifiques et cognitifs. Ce qui est en jeu, ce n’est pas uniquement notre compétitivité, c’est notre capacité collective à orienter le progrès, à lui donner un sens, à rester maîtres de nos choix.

L’intelligence artificielle cristallise tous les défis du XXIe siècle, qu’il s’agisse de la souveraineté, de la démocratie, de la transition écologique, de l’éducation ou de la justice sociale. Elle nous oblige à répondre à cette question essentielle : qui décide et au nom de quoi ?

Dans LHeure des prédateurs, Giuliano da Empoli compare l’attitude des responsables politiques à celle de Moctezuma face à Cortés : ils sont fascinés, dépassés, impuissants. Face à un pouvoir qu’ils ne comprennent pas, ils en sont réduits à vouloir impressionner par les apparences ces nouveaux maîtres du monde en les recevant dans les salons dorés de leurs ministères.

La comparaison est excessive, mais elle touche un point sensible. Oui, nous, politiques, avons parfois du mal à suivre la vitesse du progrès technologique. Oui, une poignée d’acteurs économiques concentrent de nos jours une puissance inédite. Mais non, la puissance publique n’est pas condamnée à l’impuissance. Notre action est claire : elle vise à développer, encadrer, orienter, corriger et agir.

L’intelligence artificielle est un sujet politique et le Gouvernement en a fait l’une de ses priorités. Il agit pour faire de la France une championne de l’IA. Le travail que nous menons depuis 2018 porte ses fruits. Grâce à la mise en place de la toute première stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, plus de 2,5 milliards d’euros ont été investis dans toute la chaîne de valeur, depuis la recherche jusqu’à l’entreprise.

Dans le domaine de la recherche, les mathématiciens français ont reçu quatorze médailles Fields. Nos talents sont reconnus dans le monde entier. Nous avons accru notre effort en créant neuf clusters IA, répartis sur tout le territoire – Rennes, Sofia, Nancy, etc. Ils bénéficieront d’un budget de 360 millions d’euros, afin de former près de 100 000 personnes par an d’ici à 2030.

Nous avons développé notre capacité de calcul public, grâce à notre supercalculateur Jean Zay. Nous avons attiré les meilleurs centres de recherche mondiaux, tels ceux de DeepMind ou d’OpenAI. Ces centres ont essaimé, ce qui est une bonne chose. Actuellement, la France compte plus de 1 000 start-up dans l’intelligence artificielle, comme Mistral AI, Hugging Face ou encore Aqemia, dans le domaine de la santé. Celles-ci sont reconnues dans le monde entier. Elles permettent à la France d’être dans la course qui se joue au niveau mondial et d’offrir une troisième voie entre les États-Unis et la Chine.

En février dernier, s’est tenu ici, en France, comme vous l’avez rappelé, monsieur Piednoir, le grand sommet pour l’action sur l’IA, un événement d’ampleur mondiale, qui a constitué une nouvelle étape décisive.

Nous avons ainsi annoncé, à cette occasion, le lancement de la troisième étape de la stratégie nationale française pour l’intelligence artificielle, et mis en place un comité interministériel de l’IA, sous l’égide du Premier ministre.

L’instauration de ce comité répond à certaines de vos interrogations, monsieur Piednoir. L’IA, en effet, ne constitue pas seulement un enjeu économique, qui relèverait uniquement des ministères de Bercy, même si ces derniers participent au développement des politiques publiques en la matière : il s’agit bien d’un enjeu éminemment interministériel.

Le Premier ministre a mobilisé tous ses ministres, chacun dans le champ de ses compétences, pour avancer sur le sujet et coordonner la mise en œuvre de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, en réponse au rapport de 2024 que vous avez mentionné. Nous déployons donc les moyens nécessaires pour faire face à l’ampleur du sujet. Tous les ministres sont à l’œuvre, je vous le garantis, pour avancer en la matière.

Ce sommet a aussi été l’occasion d’annoncer que 109 milliards d’euros allaient être investis pour développer l’IA et les infrastructures nécessaires pour accroître la puissance de calcul en France et près de 200 milliards d’euros d’investissement en Europe, afin de réaffirmer notre ambition en matière d’innovation.

Enfin, ce sommet a marqué une étape pour le monde. Nous étions attendus pour donner un cap à la gouvernance mondiale en la matière, que vous appelez de vos vœux dans votre rapport, pour encadrer cette technologie.

Nous avons annoncé des actions très concrètes. Je pense à la création de la fondation Current AI, qui sera dotée de 400 millions d’euros pour financer des intelligences artificielles d’intérêt général, à la formation d’une coalition mondiale pour une intelligence artificielle durable ou encore à la déclaration commune finale pour une intelligence artificielle inclusive et éthique, que vous avez mentionnée et qui a été signée par soixante-deux pays.

Dorénavant, l’enjeu crucial, dans cette course mondiale, est l’adoption de l’intelligence artificielle. Ma priorité est de faire de la France une championne de l’IA, afin de permettre à chacun de s’en emparer : c’est une condition de la compétitivité de notre économie, mais c’est surtout une nécessité pour construire une société inclusive dans laquelle l’innovation bénéficie à toutes et tous.

L’intelligence artificielle transforme déjà nos vies. J’ai pu le constater partout en France : à l’hôpital de Bourg-en-Bresse, où un médecin peut détecter des embolies pulmonaires ; à l’école, à Quimper, où un lycéen dyslexique comprend enfin ses cours grâce à un surlignage automatique ; dans une ferme, dans les Ardennes, où un agriculteur arrose moins, mais récolte plus ; dans les bureaux de Bercy, où les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP) peuvent mieux cibler leurs dossiers ; ou encore dans les maisons France Services, comme à La Motte-Servolex, où les agents peuvent répondre plus facilement aux usagers. Dans le monde du travail, l’intelligence artificielle facilite la prise de notes ou la rédaction, accélère l’écriture des contrats, optimise les plannings et simplifie les démarches administratives.

Pour autant, elle suscite toujours certaines craintes chez nos concitoyens et n’est pas utilisée par toutes et tous.

On peut évoquer la question de l’âge : alors que sept jeunes sur dix, de 18 ans à 24 ans, utilisent l’intelligence artificielle quotidiennement, ce n’est le cas que de deux personnes de plus de 60 ans sur dix. Seulement 5 % des PME l’utilisent au quotidien, contre près de 35 % des grandes entreprises.

Les études sont unanimes : à l’échelle du pays, nous ne sommes pas en avance en matière d’adoption de l’intelligence artificielle. Or celle-ci ne constituera un progrès que si elle n’est pas réservée à une minorité.

Je me suis donné comme priorité d’en faire un outil d’émancipation, un moyen de résorber la fracture numérique. C’est pourquoi nous organisons des milliers de cafés IA partout sur le territoire.

Pour parvenir à faire adopter l’IA, nous devrons guider notre jeunesse : dès la prochaine rentrée, des cours seront intégrés aux programmes des classes de quatrième et de seconde, pour aider les élèves à utiliser cet outil et, surtout, à saisir son fonctionnement et à développer leur esprit critique.

En conclusion, il est nécessaire de comprendre et d’orienter l’intelligence artificielle, sans entraver l’innovation. Son utilisation comporte des risques et soulève des défis que nous devons affronter. Nous avons ainsi créé l’Institut national pour l’évaluation et la sécurité de l’intelligence artificielle, l’Inesia, qui vise à mieux comprendre ces modèles.

Nous pouvons également nous appuyer sur la réglementation européenne. Car oui, l’Europe régule. Quand on le dit, on entend souvent des railleries, mais en ce qui concerne l’intelligence artificielle, nous avons décidé, de façon déterminée, en tant qu’Européens, que la loi du plus fort ne devait pas l’emporter. Nous nous sommes ainsi dotés d’un texte afin de distinguer les usages anodins et les usages strictement interdits. Nous refusons ainsi qu’une intelligence artificielle puisse déterminer l’orientation sexuelle des personnes, comme celle des membres de cet hémicycle, par exemple. En Europe, nous ne voulons pas que cela soit possible.

L’intelligence artificielle française, comme l’intelligence artificielle européenne, ne doit pas être subie. Elle doit être innovante, performante, compétitive, fidèle à nos valeurs. Il s’agit d’une technologie au service de l’humain et de notre prospérité, et c’est bien ce qui fait sa puissance.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.