Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Madame la ministre, à ce jour, l’Opecst a déjà abordé la question de l’intelligence artificielle dans trois de ses rapports. Le dernier d’entre eux analyse les technologies actuelles et les grandes tendances à venir.

Parmi les enjeux sociétaux, culturels et parfois juridiques, notamment en matière de droit coutumier ou local, que l’IA soulève, figurent la reconnaissance, la traduction et la restitution de nos langues régionales, telles que les patois, les créoles ou les langues autochtones.

Les langues créoles comptent environ 15 millions de locuteurs dans le monde. Voilà un domaine dans lequel la France peut se positionner en tête, notamment en Europe.

Dans notre pays, près de 2 millions de personnes parlent quotidiennement des créoles à base lexicale française : c’est le cas de plus de 80 % de la population à La Réunion, de plus de 70 % aux Antilles. En Guyane, les créoles guyanais et haïtien forment un lien linguistique entre les différentes communautés.

Depuis l’adoption de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005, un enseignement des langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité. Je salue ici le travail réalisé par les associations ultramarines, grâce auxquelles une épreuve de créole est proposée au baccalauréat, partout en France, depuis 2011.

Interrogée sur le créole, l’intelligence artificielle reconnaît ses limites, faute de données suffisantes, contrairement au français ou à l’anglais.

Les créoles font encore aujourd’hui l’objet d’une étude linguistique, afin de préciser leur construction. L’apprentissage de l’écrit progresse. Ces langues nécessitent une attention particulière pour éviter les approximations ou, pis encore, des clichés nuisibles à notre imaginaire collectif.

En s’appuyant sur ses talents académiques et littéraires, notamment ultramarins, pour constituer un socle de données structuré, la France peut faire rayonner le créole à travers l’IA, et créer des ramifications à tous les niveaux. Nous renforcerions ainsi les liens entre les générations, entre l’Hexagone et les outre-mer, mais aussi entre l’Europe et ses régions ultrapériphériques. En somme, nous renforcerions les liens entre la France des cinq océans et le reste du monde.

Madame la ministre, pouvez-vous me dire comment l’État entend relever ce défi, afin d’améliorer la compréhension et la diffusion de notre culture plurielle ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question, qui est fondamentale.

Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, il est essentiel de développer des intelligences artificielles européennes, afin de protéger nos valeurs et – c’est bien évidemment crucial – la richesse de notre patrimoine linguistique.

Le 20 mars dernier, nous avons ainsi lancé, avec ma collègue Rachida Dati, l’Alliance pour les technologies des langues (ALT-Edic), un programme qui vise à mettre en commun, à l’échelle européenne, des moyens et des bases de données sur lesquelles nos modèles pourront s’appuyer pour mieux prendre en compte la richesse linguistique européenne et française. Près 88 millions d’euros seront alloués à ce projet. Nous aurons ainsi les moyens d’avancer sur ce sujet et de répondre à vos attentes.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Madame la ministre, avec mon collègue Christian Bruyen, nous avons rédigé, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, un rapport sur l’intelligence artificielle et l’éducation.

Nos recommandations s’ordonnaient autour de trois axes : mieux accompagner les enseignants ; former à l’IA et favoriser l’émergence d’une culture citoyenne dans ce domaine ; et enfin évaluer les outils existants et poursuivre la recherche.

Nous proposions notamment de garantir une évaluation indépendante des technologies d’IA mises à la disposition des enseignants et des élèves dans le cadre scolaire et de créer un observatoire de l’IA à l’école, afin de réaliser des études de cohorte et de mieux comprendre ses usages.

Il conviendrait aussi, dans le cadre du pilotage des politiques éducatives, de réfléchir à utiliser l’IA pour analyser les données recueillies à l’occasion des évaluations nationales, afin, si cela s’avère pertinent, de mieux les exploiter. Ces données sont séquestrées par l’éducation nationale : nous privons ainsi d’un véritable atout nos entreprises de la tech, qui sont pourtant performantes dans ce domaine.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, la question de l’éducation est en effet fondamentale en ce qui concerne l’intelligence artificielle. Nous savons que les jeunes l’utilisent de plus en plus tôt. Il est donc nécessaire de développer des outils pour accompagner ces derniers ainsi que leurs professeurs.

Vous m’interrogez sur différents points.

La question de la transparence est essentielle. Comme je l’ai indiqué rapidement dans mon propos liminaire, nous avons annoncé la création, à l’occasion du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, de l’Institut national pour l’évaluation et la sécurité de l’intelligence artificielle, un centre de recherche destiné à évaluer et à comprendre les modèles et à garantir leur transparence. Nous pourrons lui confier un certain nombre de missions. Nous sommes en train de définir sa feuille de route, et une attention particulière sera prêtée à l’éducation.

Vous avez évoqué la création d’un observatoire de l’IA à l’école. L’OCDE mène des réflexions sur ce sujet. Il s’agit aussi de diffuser les bonnes pratiques au niveau international.

En ce qui concerne les outils qu’il convient de mettre à la disposition des élèves et des professeurs, le ministère de l’éducation nationale a lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) l’année dernière, afin de recenser les différents outils susceptibles d’être déployés sur tout le territoire. Nous sommes en train de faire le bilan de cette première étape avec la ministre de l’éducation nationale.

Nous élaborons également le contenu et l’approche des cours sur l’IA, que j’ai évoqués, dans les classes de quatrième et de seconde. Il s’agit d’apporter des réponses aux questions que se posent les élèves, mais aussi, vous avez raison, les professeurs.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

M. Bernard Fialaire. Je compte sur votre vigilance, madame la ministre : nous ne pouvons laisser l’éducation nationale séquestrer les données d’évaluation. Celles-ci doivent pouvoir être utilisées. Leur réalisation pose d’ailleurs souvent des problèmes aux enseignants. Elles font l’objet de nombreuses discussions.

Une fois qu’elles ont été collectées, elles ne servent à rien et rien n’en sort. Elles constituent pourtant, j’y insiste, un réservoir extrêmement important de données pour nos entreprises, qui sont assez performantes dans ce domaine, même au niveau mondial. Celles-ci pourraient créer des outils qui aideraient nos élèves de culture française à faire des études en intelligence artificielle.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Je suis d’accord avec vous.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, étant donné les possibilités qu’offre l’intelligence artificielle, le risque est de voir se constituer dans ce domaine une nouvelle hégémonie des grandes entreprises technologiques, les big tech, comme cela s’est produit pour le cloud, ce qui accroîtrait un peu plus encore, de manière dangereuse, nos dépendances.

J’ai deux questions.

Lors du sommet sur l’intelligence artificielle, le Président de la République a annoncé un investissement de 109 milliards d’euros. Comment ce plan se déclinera-t-il concrètement ?

Allons-nous tirer les leçons du passé et admettre que les précédents plans n’ont pas permis de faire émerger un seul acteur de dimension internationale en France ? Je rappelle ainsi que 80 % des technologies que nous utilisons sont américaines et que les deux seules licornes françaises sont majoritairement financées par les Américains.

Ensuite, je vous ai déjà interpellée, madame la ministre, ici même, il y a quelques semaines, au sujet du règlement européen sur l’IA, mais vous n’avez pas répondu à mes questions qui portaient sur les dernières négociations du code de bonnes pratiques.

Plusieurs acteurs expriment leur colère face au poids disproportionné des big tech dans le processus de rédaction. L’organisation Reporters sans frontières s’est d’ailleurs retirée des négociations puisque les enjeux informationnels ont été évacués des discussions. Les acteurs de la culture, soutenus par Rachida Dati, demandent eux aussi plus de garanties pour le respect des droits d’auteur et droits voisins. Quelle est votre position en la matière, madame la ministre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, votre première question concerne la souveraineté numérique. C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Ses enjeux dépassent la problématique de l’intelligence artificielle.

Je commencerai toutefois par répondre à votre seconde question sur le plan d’investissements. Les 109 milliards d’euros d’investissement annoncés lors du sommet pour l’action sur l’IA correspondent à des investissements en infrastructures. Ils seront réalisés par des consortiums de financeurs internationaux et nationaux.

Nous sommes actuellement dans une phase de suivi de ces projets ; nous veillons à mettre en relation les entreprises de data centers françaises et européennes, afin qu’elles puissent créer des consortiums pour financer ces projets et construire une offre à même de répondre aux enjeux de souveraineté.

Comme vous le savez, la question des data centers et de l’hébergement des données est cruciale. Notre objectif est de disposer d’une offre de cloud qui réponde à un très fort niveau de sécurité, grâce à la certification SecNumCloud.

Nous cherchons à attirer les moyens pour créer les infrastructures nécessaires et à soutenir, dans le même temps, grâce à l’action de la puissance publique, la montée en puissance des acteurs européens, et notamment français, du cloud, afin de les accompagner dans le développement de toutes les fonctionnalités dont nous avons besoin. C’est pourquoi j’ai lancé, la semaine dernière, un appel à projets de plusieurs dizaines de millions d’euros sur cette question.

Quant au règlement européen sur l’intelligence européenne, les négociations sont en cours. Les positions, vous l’avez indiqué, sont divergentes. La Commission européenne n’a pas rendu les derniers arbitrages.

J’estime que le règlement sur l’intelligence artificielle, le code of practice et le modèle de transparence doivent rester fidèles à ce qui a été négocié : ils doivent encadrer les usages de l’IA et garantir la transparence, notamment en cas d’usages à hauts risques.

Vous avez mentionné les big tech. Nous devons aussi nous assurer que les intérêts des petits acteurs soient bien pris en compte. L’équilibre est parfois difficile à trouver. Je rencontre très régulièrement ces petits acteurs dans mon ministère pour échanger avec eux sur leurs besoins et sur l’évolution des négociations relatives au règlement pour l’intelligence artificielle. Il faut que leur voix soit entendue, j’y serai particulièrement vigilante, et non pas seulement celle des gros acteurs, qui ont une capacité de lobbying importante à Bruxelles.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, il est indispensable d’investir massivement. Pour cela, la France doit mener une action concertée et volontariste avec d’autres États membres de l’Union européenne.

Il faut absolument revoir le plan France 2030 et construire une stratégie offensive et partagée de soutien à la formation, à la recherche et à nos entreprises, grâce à des programmes transversaux dont le financement est assuré – de tels programmes font défaut actuellement –, et grâce à des mécanismes innovants.

Les entreprises françaises et européennes doivent enfin pouvoir compter sur le levier de la commande publique. L’action de l’État en tant que prescripteur de technologies a été, je suis désolée de le dire, nulle et choquante. Encore récemment, le ministère de l’enseignement supérieur a conclu un partenariat avec Microsoft, au mépris des dispositions contenues dans la loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, dite loi Sren. Nous exigeons que désormais cela change.

En ce qui concerne les négociations sur la dernière mouture du règlement sur l’intelligence artificielle, nous vous demandons instamment, madame la ministre, de plaider pour que les enjeux informationnels et les risques systémiques spécifiques soient pris en compte. Il convient aussi d’affirmer le droit à une information fiable et non trafiquée.

Nous exigeons également l’arrêt du pillage des données des journalistes et des créateurs, ainsi que la stricte application des règles relatives aux droits d’auteur et aux droits voisins. Madame la ministre, nous comptons vraiment sur vous !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Je tiens à vous rassurer, madame la sénatrice : je veillerai à ce que l’on respecte le droit d’auteur. Nous avons lancé, avec ma collègue Rachida Dati, une concertation sur le sujet, afin de trouver les moyens de valoriser la richesse de notre patrimoine culturel à l’heure de l’intelligence artificielle. Je serai bien sûr très attentive sur ces sujets.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Merci, madame la ministre, de votre réponse.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Je reprendrai une partie des questions de ma collègue Catherine Morin-Desailly.

Nous avons déjà évoqué, madame la ministre, la question de la protection des droits d’auteur lors du débat que nous avons eu, dans cet hémicycle, le 10 avril dernier, sur la régulation des plateformes en ligne.

Vous nous aviez dit alors, et nous sommes tout à fait d’accord sur ce point, qu’il fallait défendre à la fois les droits d’auteur, notre patrimoine et notre capacité à innover. Tout le monde en convient, la réglementation ne doit pas être prohibitive. De toute façon, une telle réglementation ne pourrait pas être appliquée.

Vous m’aviez aussi répondu à l’époque que « nous ne sommes pas face à une question de transparence » et que « l’enjeu est bel et bien le modèle d’affaires ».

Je ne partage pas ce point de vue. Je pense au contraire que la transparence constitue un enjeu fondamental. Il faut que les auteurs qui produisent des données sachent que celles-ci ont été largement réutilisées par les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –, car nous parlons bien de ces entreprises, sans aucune rémunération.

Comme ma collègue Catherine Morin-Desailly l’a souligné, on assiste à un pillage systématique, structurel et général des données, qui est encouragé actuellement par l’administration américaine. Il faut cesser de faire preuve d’irénisme à ce sujet. Nous devons absolument intervenir.

Ce matin, comme vous le savez, madame la ministre – je vous avais d’ailleurs alerté sur ce point le 10 avril – une agence américaine a envoyé un courrier à la Commission européenne pour lui faire savoir qu’elle estimait que le code de bonne conduite, qui est en cours de rédaction, n’était pas satisfaisant et pour lui signifier que les États-Unis, c’est-à-dire l’administration de Trump, ne l’accepteraient pas.

Je crains donc que nous ne reculions sur la protection du droit d’auteur, alors même que la directive est très peu contraignante, les plateformes n’étant tenues qu’à réaliser des efforts suffisants pour respecter le droit d’auteur.

Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour protéger le droit d’auteur ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me reposer cette question.

Vous le savez, je suis très attachée au droit d’auteur. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler lors de nos précédents débats. C’est pourquoi nous avons lancé, avec ma collègue Rachida Dati, la concertation que j’ai évoquée.

Le droit à l’opt-out doit être respecté. Lors de la concertation, nous devrons aussi nous interroger sur la transparence en ce qui concerne les données d’entraînement. Il est important, comme je l’ai indiqué le 10 avril, de trouver le bon équilibre dans le modèle d’affaires et de parvenir à une solution gagnant-gagnant pour les auteurs comme pour les innovateurs.

Au-delà de la question de la transparence, qui fait l’objet de discussions actuellement au sein de l’Union européenne, nous devons aller plus loin et réfléchir ensemble au modèle de rémunération.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Je me réjouis de l’organisation de ce débat sur l’intelligence artificielle. Il s’agit d’un sujet éminemment d’actualité.

Le développement rapide, pour ne pas dire exponentiel, de l’IA constitue en effet une révolution. Si la France ne veut pas manquer ce tournant technologique, l’heure est, comme vous l’avez dit, à la décision.

À cette fin, j’en appelle, au nom du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, au pragmatisme et à l’humilité.

Au pragmatisme, tout d’abord : face à des puissances mondiales tentées par une dérégulation sans limites, nous devons au contraire défendre, avec nos partenaires européens, un modèle régulé, souverain, transparent et respectueux des droits fondamentaux.

À l’humilité, ensuite, parce que le développement illimité de l’IA dans toutes les dimensions de nos vies n’est pas compatible avec notre capacité de production électrique actuelle ni, plus généralement, avec les limites planétaires. Qu’il s’agisse de la consommation d’électricité, d’eau ou de terres rares, l’IA a un coût écologique colossal.

Notre collègue Stéphane Piednoir a évoqué, dans son introduction, différents enjeux. En complément, j’indique que le secteur des data centers, peu pourvoyeur d’emplois, devrait voir sa consommation d’électricité doubler d’ici à 2030. Il conviendra donc de faire des choix.

Aussi, madame la ministre, quelles priorités comptez-vous définir pour faire face aux risques, réels, de saturation du réseau électrique, alors que les besoins pour assurer la transition énergétique vers les énergies décarbonées sont en augmentation croissante ?

Quelle stratégie l’État compte-t-il adopter pour éviter les effets d’éviction, en raison du manque de disponibilité d’électricité, sur le développement d’autres activités économiques et sociales plus pourvoyeuses d’emplois, telles que l’industrie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Je vous remercie de cette question, madame la sénatrice. Vous avez raison : à l’heure de l’intelligence artificielle, la consommation énergétique des centres de données pourrait doubler d’ici à 2026. Nous devons donc nous interroger sur la stratégie à adopter à cet égard.

Notre priorité est d’attirer les acteurs de l’intelligence artificielle en France et de leur donner la capacité d’entraîner leurs modèles sur notre territoire, car nous avons accès à une énergie décarbonée, ce qui est très important lorsque l’on connaît la consommation de ces modèles.

Nous devons aussi accélérer et intensifier la recherche sur la frugalité des modèles. La recherche sur ce point ne fait que commencer.

C’est pourquoi nous avons souhaité créer, lors du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, une coalition mondiale pour une IA durable. Il s’agit d’embarquer tous les acteurs et de mettre les moyens pour faire avancer la recherche sur ce point, pour développer des modèles plus petits, pour que les data centers consomment moins d’énergie et moins d’eau.

J’ai visité, par exemple, les installations d’OVH la semaine dernière. Cette société a mis au point un système unique au monde de circulation de l’eau en circuit fermé pour refroidir les data centers. Bien des recherches restent à mener pour parvenir à réduire et à maîtriser la consommation d’eau et d’énergie des data centers et de l’intelligence artificielle.

Le ministère de la transition écologique a d’ailleurs lancé, en lien avec l’Agence française de normalisation (Afnor), une réflexion pour définir ce que peut être une IA frugale sur toute la chaîne de valeur. Un appel à projets de 40 millions d’euros a ainsi été lancé pour favoriser l’adoption de technologies adaptées par les collectivités.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour la réplique.

Mme Ghislaine Senée. En effet, un travail de recherche considérable sur la frugalité peut être réalisé. Cependant, il faudra faire des choix.

Vous avez évoqué, dans votre propos liminaire, les usages d’intérêt général de l’IA. Mais les usages que l’on voit fleurir sur internet sont-ils vraiment indispensables ? Je pense, par exemple, à la création d’œuvres à la façon de Miyazaki, à l’animation de photos d’êtres disparus ou encore au choix de sa meilleure coiffure par le biais de l’IA. Ces applications consomment énormément de place dans les data centers. Il faudra réguler les cas d’usage.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. L’intelligence artificielle est à l’origine, aujourd’hui, de 0,1 % de la consommation énergétique.

Même s’il faut en comprendre les usages, les maîtriser et investir dans la recherche, cette technologie est foisonnante et son utilisation partagée entre de nombreux acteurs. Ainsi, son développement prendra des formes multiples, avec des retours sur investissement variables en matière de consommation d’énergie. Cela étant, laisser chacun, avec ses propres usages, s’approprier cette innovation fait partie du cycle technologique. C’est même fondamental pour en accélérer l’adoption.

J’en viens à la question de la sensibilisation, de la compréhension. En France, les médias, les parlementaires, accomplissent un très bon travail, consistant à mettre le doigt sur les enjeux écologiques. Or, en matière d’éducation, apprendre à maîtriser cette technologie, à mieux « prompter », c’est-à-dire à formuler de meilleures requêtes, c’est aussi s’assurer d’avoir des réponses plus efficaces, donc de dépenser moins d’énergie. Tout concorde pour accélérer en ce sens.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. C’est la création de besoins qui m’inquiète. Je ne doute pas que nous trouverons des solutions permettant d’utiliser moins d’énergie et de concentrer au maximum les données. Cependant, des jeunes, formés à divers usages, sont poussés, au travers d’internet, sur TikTok, à jouer et à créer de nouveaux besoins. Or je crains que le courage politique ne suffise pas à mettre fin à ces nouveaux divertissements.

Il convient donc de prendre des décisions dans le sens de la régulation. Sans cela, l’outil deviendra complètement ingérable. Nous n’aurons alors plus que nos yeux pour pleurer une fois que nous aurons détruit toutes les ressources de ce monde.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, en se dotant d’un règlement sur l’intelligence artificielle, l’Union européenne, par son approche équilibrée, a été pionnière. L’objectif est bien évidemment que l’IA respecte les principes et droits fondamentaux qui fondent l’Union.

Parmi les dispositions dudit règlement, les obligations en matière de transparence – j’y reviens – s’avèrent absolument essentielles. Or, concrètement, comme l’ont dit nos collègues Morin-Desailly et Ouzoulias, cette transparence est loin d’être toujours effective, en particulier, dans le domaine culturel. Elle y est même particulièrement lacunaire, au point de porter préjudice à un principe auquel la France est séculairement attachée : celui du droit d’auteur.

Le code de bonnes pratiques a été évoqué. Sa dernière version, publiée au mois d’avril, a braqué les ayants droit, qui estiment à juste titre qu’elle constitue un véritable recul par rapport aux précédentes moutures. Leur dépit est tel qu’ils songent à claquer la porte des discussions, préférant l’absence d’accord à un mauvais accord.

Comme nous le savons, sur le droit d’auteur, la position de la France est décisive. Il est donc crucial que le Gouvernement adopte une posture très forte et non générale en arrêtant d’arguer, tantôt d’un soutien à l’innovation, tantôt de l’impérieuse nécessité de respecter le droit d’auteur.

Madame la ministre, quelle est la position de la France dans les discussions actuelles sur le code de bonnes pratiques ? Quel niveau de transparence préconisez-vous ? Quelles garanties apportez-vous aux ayants droit ? Quels mécanismes de juste répartition de la valeur prônez-vous ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Votre intervention, madame la sénatrice, me permet d’évoquer la transparence sur les usages finaux, avant de revenir sur la question du droit d’auteur.

L’article 50 du règlement européen sur l’intelligence artificielle prévoit des obligations de transparence des modèles en fonction des usages, y compris à hauts risques. Des audits préalables à la mise sur le marché des modèles d’intelligence artificielle sont demandés. Le cadre est donc ambitieux sur cette question de la transparence, qui nous paraît fondamentale.

La question du droit d’auteur n’est pas simple. Il s’agit de trouver un résumé suffisamment détaillé, de nature à permettre aux ayants droit d’exercer leur droit tout en maintenant le secret des affaires. C’est à cette tension, que vous avez exprimée, madame la sénatrice, que nous tâchons de répondre. Je crois sincèrement au dialogue. Tel est le sens de la consultation que nous avons lancée officiellement, avec ma collègue Rachida Dati, la semaine dernière. Nous aurons alors l’occasion de réunir les deux écosystèmes, afin d’aboutir à une solution.

C’est un sujet difficile, mais, comme pour tout sujet difficile, à force de temps, d’écoute et de dialogue, nous trouverons un dénouement.