Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud, Mme Cécile Brulin.
2. Hommage aux victimes de drames récents
3. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Mathieu Darnaud ; M. François Bayrou, Premier ministre ; M. Mathieu Darnaud.
M. Stéphane Fouassin ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Marie-Claude Lermytte ; M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie ; Mme Marie-Claude Lermytte.
situation des praticiens à diplôme hors union européenne
M. Ahmed Laouedj ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; M. Ahmed Laouedj.
M. Alexandre Ouizille ; M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
situation d’arcelormittal (ii)
Mme Silvana Silvani ; M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie ; Mme Silvana Silvani.
situation d’arcelormittal (iii)
Mme Christine Herzog ; M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
assassinat d’aboubakar cissé et réaction des pouvoirs publics
M. Guillaume Gontard ; M. François Bayrou, Premier ministre.
protection des familles et des biens des agents pénitentiaires
M. Laurent Somon ; M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur ; M. Laurent Somon.
situation d’arcelormittal (iv)
Mme Audrey Linkenheld ; M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
situation du professeur balanche
Mme Agnès Evren ; M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Agnès Evren.
possibilité de travailler le 1er mai (i)
Mme Annick Billon ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Annick Billon.
M. Pascal Allizard ; M. Benjamin Haddad, ministre délégué a chargé de l’Europe ; M. Pascal Allizard.
Mme Isabelle Briquet ; M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation ; Mme Isabelle Briquet.
possibilité de travailler le 1er mai (ii)
Mme Pauline Martin ; M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Pauline Martin.
M. Éric Dumoulin ; Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
4. Communication d’avis sur des projets de nomination
5. Candidatures à une commission mixte paritaire
6. Rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029. – Débat organisé à la demande de la commission des finances
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Claude Raynal, président de la commission des finances
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
Mme Cécile Brulin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Hommage aux victimes de drames récents
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant d’ouvrir notre séance de questions d’actualité au Gouvernement, je souhaiterais évoquer les événements graves qui ont frappé les consciences au cours des derniers jours.
Le meurtre d’une jeune fille de 15 ans, poignardée, jeudi dernier, et les blessures occasionnées à trois de ses camarades dans un lycée à Nantes par un élève de cet établissement.
Le meurtre non moins odieux, dans le Gard, d’un jeune fidèle de la mosquée de La Grand-Combe, poignardé dans un lieu consacré à la prière. Le Sénat exprime toute sa solidarité à la communauté musulmane.
L’agression d’un rabbin, à Orléans, devant son jeune fils à la sortie d’une synagogue. Le combat contre l’antisémitisme est une grande cause nationale.
Ces faits illustrent l’état de fracturation de notre société. Au nom du Sénat tout entier, j’assure les familles des victimes de notre compassion et de notre solidarité.
Ces crimes qui s’ajoutent à ceux qui sont commis tous les jours dans un monde toujours plus violent, notamment en raison des conflits de tous ordres qui le parcourent, nous interpellent.
Chacun doit pouvoir pratiquer, s’il le souhaite, son culte en toute liberté et en toute sécurité. Ce principe est d’ailleurs au fondement de notre République.
Notre pays a besoin de retrouver le vivre ensemble qui fait une communauté nationale. Chacun doit y prendre sa part et assumer ses responsabilités. Il n’y a pas de combat plus noble que celui qui est mené contre le racisme et pour la laïcité.
En ces temps difficiles, nous avons aussi accueilli le message de paix légué par le pape François. Sa vie durant, il fut un homme de dialogue qui n’a cessé d’appeler à la fraternité.
Je vous appelle, mes chers collègues, mesdames, messieurs les ministres, à observer pendant quelques secondes un moment de réflexion collective et de recueillement ; compte tenu de l’ensemble de ces événements, cela me semble extrêmement important. (Mmes et M. les sénateurs, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et se recueillent en silence.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
La présente séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun d’entre vous au respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres au cours de nos échanges ou de celui du temps de parole.
scrutin proportionnel
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, vous avez ouvert, lundi dernier, une série de concertations sur l’introduction du scrutin proportionnel. Si nous saluons toujours la concertation, pourquoi cet empressement ? Pourquoi vouloir de ce poison électoral, dans une période où les tensions géopolitiques exacerbent les difficultés et où les Français s’inquiètent pour leur avenir ?
On peut reconnaître votre constance sur le sujet, mais force est de constater que, sous la Ve République, et bien avant, la proportionnelle n’a engendré que de l’instabilité gouvernementale et un régime des partis politiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Et puis, de quelle proportionnelle parlez-vous ? S’agit-il d’une proportionnelle intégrale ou d’une proportionnelle départementale ? Selon le mode de scrutin retenu, on peut s’inquiéter pour la représentation des Français qui vivent dans la ruralité ou en outre-mer.
Le vrai sujet n’est-il pas de se concentrer sur l’essentiel, à savoir préparer un budget sans hausses d’impôts, s’attacher à défendre le pouvoir d’achat des Français, donner plus de liberté à nos entreprises et assurer la sécurité pour tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Darnaud, vous savez que la réponse que je m’apprête à vous livrer est amicale. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Un sénateur du groupe Les Républicains. Ça commence bien !
M. Yannick Jadot. C’est sûrement parce que vous faites partie de la même majorité !
M. François Bayrou, Premier ministre. Je viens d’entendre votre charge contre le scrutin proportionnel : vous affirmez qu’il est un poison pour la démocratie et la cause de toute instabilité. Ai-je besoin de rappeler que le scrutin proportionnel est celui par lequel sont élus 75 % des sénateurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes SER et UC.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Pas par le même corps électoral !
M. François Bayrou, Premier ministre. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment que ce mode d’élection ait été un poison destructeur de la société démocratique ou qu’il ait suscité de l’instabilité. Il suffit de regarder les travées de cet hémicycle pour mesurer, au contraire, qu’il est un facteur de stabilité.
Mme Cécile Cukierman. Rien à voir !
M. François Bayrou, Premier ministre. Bien sûr que si, madame ! C’est une règle absolument démocratique. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Je veux rappeler que tous les pays de l’Union européenne, sans exception, ont adopté ce mode de scrutin. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Je vais vous dire pourquoi j’ai décidé d’ouvrir des concertations très larges sur ce sujet. Premièrement, au-delà de la constance que vous avez bien voulu me reconnaître – en effet, au cours de ma vie politique, j’ai passé beaucoup de temps à militer pour changer les règles concernant le mode d’élection –, je pense que la proportionnelle est le scrutin du pluralisme.
Vu la société dans laquelle nous vivons – le président du Sénat a rappelé à quel point elle était fragmentée, éclatée, opposée, archipélisée –, Dieu sait que nous avons besoin d’apaiser la réalité du pluralisme.
Deuxièmement, le scrutin majoritaire obéit à une règle simple : on est soit pour, soit contre. Or les problèmes que nous avons à régler exigent des prises de conscience plus élaborées et concertées, plutôt que l’affrontement systématique.
Enfin, la proportionnelle est la garantie pour tous les grands courants politiques du pays, c’est-à-dire pour tous les citoyens, d’être représentés à mesure de leur engagement et de leur vote.
Je rappellerai à votre groupe que, au moment de la Libération, le général de Gaulle, alors à la tête des institutions du pays, a choisi la proportionnelle comme mode de scrutin. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Peut-être pourrions-nous réfléchir à tous ces facteurs ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour la réplique.
M. Mathieu Darnaud. Force est de constater que le scrutin proportionnel n’a pas été concluant puisque, en 1958, le même général de Gaulle est revenu sur ce choix ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Jean-François Longeot applaudissent également.)
Je vous rappelle de façon tout aussi amicale que, pour l’élection des sénateurs, la proportionnelle est un mode de scrutin départemental et que les plus petits départements ont un mode de scrutin majoritaire.
Puisque vous aimez les grands auteurs, permettez-moi de conclure en citant Alain : « La proportionnelle est un système éminemment raisonnable et évidemment juste ; seulement, partout où on l’a essayée, elle a produit des effets imprévus et tout à fait funestes, par la formation d’une poussière de partis, dont chacun est sans force pour gouverner, mais très puissant pour empêcher. C’est ainsi que la politique devient un jeu des politiques. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
épidémie de chikungunya
M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, Viviane Malet et moi-même souhaitons appeler l’attention du Gouvernement sur l’aggravation de la situation sanitaire à La Réunion.
Depuis plusieurs mois, l’île traverse une crise sanitaire préoccupante, marquée par une recrudescence rapide de l’épidémie de chikungunya. Chaque jour, le nombre de cas graves augmente, ce qui alimente l’inquiétude de la population et met en péril un système de santé déjà fragilisé.
Samedi dernier, le décès d’une personne récemment vaccinée a conduit à suspendre la vaccination pour les plus de 65 ans. Cette décision a ravivé une méfiance déjà forte contre ce vaccin, compliquant davantage la mise en œuvre d’une réponse de santé publique efficace.
Pourtant, des stratégies alternatives, éprouvées ailleurs, offrent des perspectives concrètes. Fondées sur des approches biologiques innovantes, ces méthodes mériteraient d’être sérieusement étudiées et surtout soutenues par le Gouvernement.
C’est notamment le cas du programme Wolbachia, qui pourrait être utilisé aux Antilles et en Guyane. Déployé avec succès en Nouvelle-Calédonie en 2019, il a démontré son efficacité dans la lutte contre la dengue en agissant sur les moustiques Aedes aegypti.
Parallèlement, la technique de l’insecte stérile (TIS), qui cible les moustiques tigres Aedes albopictus, représente une autre solution prometteuse pour des territoires comme La Réunion et Mayotte.
Dans l’immédiat, des mesures simples mais fortes peuvent être engagées sans délai. La distribution gratuite de répulsifs antimoustiques dans les zones à risque, la fabrication de moustiquaires, en associant les communes et les centres communaux d’action sociale (CCAS), et la suspension des jours de carence pour les personnes contaminées relèveraient du bon sens et traduiraient un engagement en faveur de l’équité sanitaire.
Au-delà de la réponse d’urgence, il est impératif de renforcer durablement nos infrastructures de santé, qui sont aujourd’hui au bord de la rupture.
Quelles mesures concrètes, à court, à moyen et à long terme, le Gouvernement entend-il prendre pour prévenir la progression de cette épidémie et soutenir nos concitoyens dans cette épreuve ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur Fouassin, la lutte contre l’épidémie de chikungunya est un combat partagé par tous : les élus de La Réunion, naturellement, mais aussi les élus nationaux et le Gouvernement. Vous l’avez rappelé, cette épidémie nous oblige à mener une lutte antivectorielle de chaque instant. Nous mobilisons ainsi près de 200 agents de l’agence régionale de santé (ARS), 250 militaires et 800 parcours emploi compétences (PEC).
Par ailleurs, nous avons intégré dans le bouclier qualité prix (BQP) des répulsifs afin d’assurer la protection de la population, en particulier des personnes les plus vulnérables. Je pense aux jeunes mères et aux nouveau-nés ; en effet, c’est au cours des trois premiers mois de vie que les bébés sont particulièrement fragiles. C’est avant tout pour eux que nous distribuons des moustiquaires.
Enfin, nous menons des campagnes de vaccination, sans ignorer les risques que ces dernières impliquent. J’ai une pensée pour l’ensemble des victimes du chikungunya et le patient qui est récemment décédé.
Son décès étant éventuellement imputable au vaccin, nous avons pris des mesures de précaution, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), qui nous permettront de protéger au mieux la population.
Lorsque j’ai visité le Cyclotron Réunion Océan Indien (Cyroi), j’ai constaté que les moustiques stériles pouvaient contribuer de façon importante à la lutte contre l’épidémie de chikungunya. Nous pourrons envisager de les commercialiser dès le mois de juillet prochain.
Bpifrance et l’Agence de l’innovation en santé (AIS) sont également mobilisées, dans l’espoir de ne pas avoir à enregistrer un plus grand nombre de décès dans la deuxième année de l’épidémie, comme ce fut malheureusement le cas en 2005 et en 2006.
Vous le voyez, le Gouvernement est engagé dans une mobilisation de tous les instants pour soulager notre système de santé et prendre soin de nos compatriotes de La Réunion, fortement affectés par l’épidémie de chikungunya et le cyclone Garance. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
situation d’arcelormittal (i)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissement sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le ministre de l’industrie et de l’énergie, ce qui se passe au sein de l’entreprise ArcelorMittal dans le Nord, à Dunkerque et sur les autres sites, est une véritable gifle : des centaines d’emplois supprimés, des fonctions délocalisées, des salariés et leurs familles plongés dans l’angoisse de l’incertitude. Ces pratiques sont brutales et inacceptables.
Je veux témoigner aux salariés tout mon soutien. Je suis également convaincue d’un large soutien de la part de tous les élus du territoire, qui n’oublient pas que l’implantation de ce fleuron de l’industrie, de ses salariés et de leurs familles a permis le développement de nombreuses communes.
L’entreprise ArcelorMittal a été et est encore soutenue, accompagnée et défendue par l’État, la région et les élus locaux, qui sont très investis. Or elle procède aujourd’hui à des licenciements massifs avec peu de scrupules.
Ce n’est pas seulement une trahison locale. Ce qui se joue ici est l’avenir de l’acier en Europe, un secteur stratégique que l’on veut soutenir, rendre compétitif, décarboner, moderniser et renforcer. Pendant que les États-Unis, la Chine ou l’Inde protègent leurs industries, en Europe, nous payons et nous subissons !
Monsieur le ministre, hier, en réponse à une question d’actualité posée par le député Julien Gokel, vous avez affirmé que « plusieurs conditions étaient nécessaires au maintien des investissements dans la décarbonation ». Mais qui fixe réellement ces conditions et, surtout, quelles sont-elles ? Les salariés ont le droit de savoir, et nous aussi !
Les salariés d’ArcelorMittal sont toujours aussi volontaires et prêts à se battre non seulement pour leur outil de travail, qui fait leur fierté, mais aussi pour leur industrie verte, forte et compétitive. Toutefois, ils veulent des engagements clairs et réciproques.
Compte tenu de ces éléments, quelles nouvelles garanties de l’usage efficace de l’argent public pouvons-nous exiger ? Quel cap clair définir pour l’acier, nos usines et nos emplois ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Franck Dhersin et Rachid Temal applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice Marie-Claude Lermytte, l’annonce par ArcelorMittal d’une restructuration qui conduira à la suppression de plus de 600 emplois sur sept sites en France, dont celui de Dunkerque, est évidemment une mauvaise nouvelle. Mes pensées vont aux salariés et à leurs familles ; je sais l’angoisse que fait naître ce type d’annonce.
L’État et l’ensemble des services concernés seront mobilisés pour accompagner socialement le reclassement de ses salariés. (Mme Cathy Apourceau-Poly s’exclame.)
Vous avez raison de le mentionner, c’est l’avenir de la filière sidérurgique en France et en Europe qui se joue, alors qu’elle est actuellement soumise à des tensions très fortes.
La production d’acier en Europe a baissé de 20 % entre 2018 et 2023. On le sait, cette production fait l’objet d’une concurrence féroce et souvent déloyale, notamment de la part de la Chine, qui subventionne massivement ses producteurs d’acier, comme elle le fait d’ailleurs pour beaucoup d’autres filières industrielles. (M. Pascal Savoldelli s’exclame.)
Dans ces conditions, nous devons apporter des réponses à l’échelon tant français qu’européen.
M. Rachid Temal. Quelles réponses ?
M. Marc Ferracci, ministre. Ainsi, le Gouvernement a formulé des propositions qui ont été reprises par la Commission européenne, il y a quelques semaines déjà. Il s’agit d’assurer une meilleure protection commerciale de notre industrie sidérurgique via des clauses de sauvegarde, c’est-à-dire des quotas à l’importation renforcés, qui entreront en vigueur dans quelque temps.
Vous me demandez ce qui détermine les investissements en faveur de la décarbonation, en particulier ceux qui ont été réalisés à Dunkerque. Il se trouve que j’ai rencontré hier la direction d’ArcelorMittal, à Bercy ; je me suis également entretenu avec les cadres de la direction Europe de l’entreprise par visioconférence.
Nous en sommes tous d’accord, des investissements sont nécessaires pour maintenir l’emploi. Or les représentants d’ArcelorMittal m’ont clairement dit que, pour investir, il fallait plus de protection commerciale et des coûts de l’énergie compétitifs. Ce sont des éléments auxquels nous veillons dans le cadre des négociations qui ont lieu avec EDF.
L’État est prêt à soutenir tous les investissements, mais seulement une fois que les dépenses auront été effectivement engagées.
M. Rachid Temal. Ce n’est pas une réponse !
M. Marc Ferracci, ministre. Encore une fois, nous sommes convaincus de l’absolue nécessité de soutenir l’acier sur notre territoire, car c’est une industrie de souveraineté. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Lermytte. Permettez-moi de vous rappeler l’idée qui a été émise de réunir tous les protagonistes concernés autour de la table. Vous savez pouvoir compter sur l’engagement et le soutien de tous les élus du territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Franck Dhersin applaudit également.)
situation des praticiens à diplôme hors union européenne
M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre de la santé, notre pays affronte une crise sanitaire silencieuse mais profonde : celle de la pénurie médicale. Dans un contexte de multiplication des déserts médicaux, nous disposons aujourd’hui d’une solution concrète et immédiate : les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).
Ces médecins, présents depuis des années dans nos hôpitaux et nos cabinets médicaux, sont pleinement engagés. Ils exercent avec compétence, dans des conditions souvent difficiles.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé que beaucoup de nos services tiennent aujourd’hui grâce aux Padhue, qui sont reconnus par leurs chefs de service et leurs chefs de pôle.
En 2024, à l’occasion des épreuves de vérification des connaissances (EVC), seuls 3 044 postes ont été finalement ouverts sur les 4 000 initialement annoncés. Ainsi, de nombreux candidats, pourtant brillamment admis aux épreuves, se retrouvent aujourd’hui écartés et 20 % des postes ouverts restent vacants.
Nous faisons un constat alarmant, qui souligne l’absurdité de la situation : des médecins compétents et indispensables restent sur la touche, alors que les déserts médicaux s’étendent chaque jour davantage.
Monsieur le ministre, vous avez promis une simplification du parcours des Padhue, mais pourquoi attendre 2026 ? Pourquoi reporter une réforme, alors que ces praticiens compétents sont disponibles immédiatement ?
Compte tenu de l’urgence sanitaire à laquelle nous faisons face, pourquoi ne pas valider sans délai, par voie réglementaire, l’intégration de ces médecins indispensables à nos territoires ?
J’associe à ma question mon collègue Jean-Yves Roux, qui est très engagé sur les sujets de santé dans les territoires. Je veux remercier chaleureusement les médecins présents aujourd’hui dans les tribunes. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.) Leur engagement mérite notre reconnaissance, mais surtout notre action ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur Laouedj, je partage largement vos propos. En effet, les déserts médicaux sont l’une des principales préoccupations de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre, dans le Cantal, a fait un certain nombre de déclarations. Il propose de mener une réflexion dans un délai assez court, afin que nous puissions présenter des solutions d’ici au mois de septembre prochain.
Il n’y a pas une solution, monsieur le sénateur, mais des solutions ; c’est sur ce point que nous ne sommes pas d’accord. (M. Rachid Temal s’exclame.)
La situation pourra être améliorée grâce à une formation initiale augmentée et au rapatriement des étudiants français partis étudier à l’étranger, comme en Roumanie, en Espagne ou en Belgique. Nous veillerons à ce que nos docteurs juniors s’installent dans de bonnes conditions.
M. Rachid Temal. Il faut surtout intégrer les Padhue !
M. Yannick Neuder, ministre. Concernant les Padhue, ne soyons pas hypocrites et reconnaissons leur travail. Ils représentent 30 % à 40 % des effectifs dans certains de nos hôpitaux et assurent une grande partie de l’offre de soins sur notre territoire.
Nous agirons dès cette année en leur faveur puisque nous allons simplifier, par voie réglementaire, la voie interne. Ainsi, il reviendra aux médecins, aux chefs de service, aux chefs de pôle et aux présidents des commissions médicales d’établissement (CME) de mesurer les connaissances et les compétences localement, dans un souci de simplification.
Ensuite, pour passer d’un mode de concours à un mode d’examen, dans le but d’éviter les écueils qui existent toujours à l’heure actuelle, nous avons besoin d’un support législatif.
Naturellement, je compte sur la commission des affaires sociales du Sénat pour présenter de futures propositions de loi. Nous travaillons avec Philippe Mouiller pour trouver le véhicule législatif qui nous permettra d’accomplir cette simplification attendue par tous les Français pour se faire soigner.
M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour la réplique.
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre, vous parlez de simplification des concours, mais le problème est immédiat et concret. Permettez-moi de vous citer l’exemple d’un chirurgien urologue en poste à l’hôpital Cochin, qui a obtenu 18 de moyenne aux EVC et a reçu le soutien du président de l’association française d’urologie.
Allons-nous sérieusement demander à un médecin de ce niveau, déjà en fonction, de repasser son concours ? Ce n’est pas de simplification future que nous avons besoin, mais d’un décret immédiat permettant à ceux qui ont réussi leur concours d’occuper dès maintenant les postes vacants dans les déserts médicaux. La santé des Français ne peut plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes SER et GEST. – M. Pierre Barros applaudit également.)
assassinat d’aboubakar cissé
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Alexandre Ouizille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je prends la parole aujourd’hui, au nom du groupe socialiste, pour vous dire notre douleur face à l’assassinat d’Aboubakar Cissé. Nous saluons le changement de position du président du Sénat, qui, ce matin encore, affirmait qu’une minute de recueillement constituait une hystérisation du débat.
Monsieur le président, vous avez eu raison : une minute de recueillement est toujours un baume appliqué sur les cœurs et sur les âmes.
Nous sommes pris d’un vertige face à la barbarie. Ce dernier s’est propagé dans tout le pays, comme en témoignent les rassemblements républicains et citoyens qui sont venus dire « non » à la fois au crime commis et à ce qui était pressenti sous ce crime.
S’il y a toujours un mystère du mal de celui qui assassine, on ne peut ignorer le contexte dans lequel ce mal se produit. Ce contexte, aujourd’hui, est celui du conditionnement progressif de la société française à la détestation des musulmans. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Il est des éditorialistes qui, tous les jours, affirment que l’islam est incompatible avec la République…
M. Olivier Paccaud. L’islamisme !
M. Alexandre Ouizille. Il est des influenceurs qui, tous les jours, encore la semaine dernière, dans l’Oise, affirment sur les réseaux sociaux que le nom et le prénom des médecins qui nous soignent sont trop arabo-musulmans.
Il est des essayistes qui dissertent sur une idée empoisonnée, celle selon laquelle il existerait désormais deux peuples sur le territoire de la République.
Et, hélas ! il est des ministres de l’intérieur qui se sont laissés aller à des propos d’estrade (Huées et protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. M. Roger Karoutchi frappe son pupitre. – Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.), en disant qu’il faut mettre à bas la pratique cultuelle de centaines de milliers de femmes musulmanes dans notre pays, sans distinguer celles qui exercent leur liberté de conscience et celles qui sont forcées de le faire. (Protestations continues sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. C’est fini, vos deux minutes sont écoulées !
M. Alexandre Ouizille. Ma question est simple : monsieur le ministre, peut-on enfin compter sur vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
MM. Michel Savin et Roger Karoutchi. Quelle honte !
M. le président. La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je connais trop cette maison pour savoir que le propos doit être mesuré. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Il est absolument nécessaire, singulièrement au Sénat, que chacun mesure les enjeux qui sont devant nous et l’importance des mots qui sont utilisés.
Le meurtre d’Aboubakar Cissé, qui a été commis dans le Gard la semaine dernière, est un crime barbare inacceptable. Je ne reviendrai pas sur les faits, chacun les connaît et nous avons tous bien conscience de cette abominable situation.
Voici la seule information que je peux vous livrer cet après-midi : l’auteur s’est rendu à la police italienne, accompagné d’un parent et d’un conseil, et a accepté de revenir en France ; son retour est prévu pour la mi-mai. Il sera naturellement jugé.
M. Michel Savin. Très bien !
M. François-Noël Buffet, ministre. Le procureur de la République compétent a indiqué qu’il percevait dans ce dossier des signes d’acte raciste. L’enquête judiciaire qui est ouverte nous permettra d’en savoir plus.
Du reste, la position du Gouvernement – j’espère qu’elle n’est pas différente de celle de l’ensemble des sénateurs – est d’opter pour la modération dans le propos, car nous sommes sur un chemin glissant.
Nombreux sont les élus nationaux et locaux et les personnalités, de quelque nature que ce soit, qui jettent dans notre pays le poison de la division et d’un communautarisme insupportable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.) J’espérais ne pas entrer dans la polémique, mais tout de même ! (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.) Ces manœuvres sont souvent faites à des fins électoralistes, dans le mauvais sens du terme.
M. le président. Il faut conclure !
M. François-Noël Buffet, ministre. L’unité nationale, absolue, qui nous rassemble autour de nos valeurs, peu importe le courant politique dont nous sommes issus, est ce qu’il y a de plus important aujourd’hui. Le Gouvernement veillera à ce qu’elle soit parfaitement défendue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
situation d’arcelormittal (ii)
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’automne dernier, ArcelorMittal annonçait la fermeture de ses sites de Reims et de Denain. En février, la direction française du groupe confirmait la délocalisation de 150 emplois support vers l’Inde. Les syndicats, lucides, y ont vu le signal d’une restructuration plus lourde, et ils avaient raison.
Aujourd’hui, c’est une véritable saignée industrielle qui s’engage : 636 emplois supprimés dans les cokeries et aciéries du groupe, à Dunkerque, à Mardyck, à Desvres, à Basse-Indre, à Mouzon, à Montataire et à Florange.
Pendant ce temps-là, ArcelorMittal engrange les profits : 36 milliards d’euros cumulés depuis 2019, près de 12 milliards d’euros consacrés à des rachats d’actions pour satisfaire ses actionnaires, et 298 millions d’euros d’aides publiques pour la seule année 2023.
Cette situation apparaît d’autant plus indécente que l’acier est au cœur de toutes les transitions : dans le secteur ferroviaire, les énergies renouvelables, la construction et les équipements industriels, partout où l’on veut produire, transformer ou bâtir, le métal est là.
Monsieur le ministre, à ces suppressions directes d’emplois s’ajoutent encore des victimes collatérales, comme les travailleurs de la centrale DK6 à Dunkerque. Au total, 15 000 salariés en France s’inquiètent pour leur avenir, comme de l’horizon de la taxation de l’acier carboné prévue en 2030.
Afin de garantir la pérennité des emplois et des savoir-faire, quelles mesures comptez-vous prendre pour contraindre ArcelorMittal à engager la décarbonation de ses sites, quitte à envisager une évolution législative permettant d’imposer au groupe le remboursement des aides publiques perçues ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice Silvani, vous avez raison de rappeler que l’acier, que la sidérurgie est une industrie absolument essentielle à notre souveraineté, parce qu’elle intervient en amont de nombreuses autres filières industrielles.
À ce titre, maintenir une production d’acier sur notre sol, sur le sol français, représente une absolue nécessité. Je tiens à le dire et à le rappeler.
Je souhaite également exprimer mon soutien aux salariés concernés par cette restructuration, au nombre de plus de 600, qui vivent aujourd’hui dans l’angoisse. Je leur assure que les services de l’État se tiendront évidemment à leurs côtés pour accompagner cette évolution.
Nous devons agir afin d’assurer la pérennité de la production et de la fabrication d’acier sur notre territoire.
Comment atteindre cet objectif ? Il nous faut tout d’abord travailler collectivement avec l’ensemble des acteurs concernés. J’ai ainsi eu l’occasion d’échanger avec les élus directement touchés par les restructurations annoncées par ArcelorMittal sur les sept sites concernés ainsi qu’avec les directions française et européenne du groupe ArcelorMittal.
Pour répondre précisément à votre question, madame la sénatrice, il ressort clairement de ces échanges que, pour engager les investissements absolument nécessaires à la pérennité de nos emplois, nous devons mobiliser plusieurs leviers d’action.
Le premier est celui de la protection commerciale.
Le deuxième concerne les coûts de l’énergie, auxquels nous sommes extrêmement sensibles, notamment dans le cadre des négociations actuellement menées avec EDF.
Le troisième, enfin, porte sur les aides destinées à accompagner la décarbonation. Je souhaite le souligner, madame la sénatrice : aucune aide n’est versée, à ArcelorMittal ou à toute autre entreprise, sans contrepartie. (Vives protestations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cécile Cukierman. Vous mentez devant les parlementaires !
M. Marc Ferracci, ministre. Les aides publiques ne sont versées qu’en échange de la réalisation effective d’investissements ou de dépenses précises. En l’absence de ces éléments, ces aides sont reprises par l’État.
C’est précisément pour cette raison que les 850 millions d’euros d’aides publiques mis sur la table par l’État dans le cadre des investissements d’ArcelorMittal à Dunkerque n’ont pas été versés à ce jour, ces investissements n’ayant pas été réalisés.
Je vous confirme donc notre intention d’agir simultanément sur l’ensemble de ces leviers. Notre ambition demeure la pérennisation de tous ces sites industriels, afin d’éviter toute fermeture en France.
Mme Cécile Cukierman. Vous n’avez pas répondu à la question !
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour la réplique.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le ministre, l’Italie et le Royaume-Uni ont repris le contrôle de leurs aciéries, tandis que vous persistez à croire au mythe du marché autorégulateur.
Il ne s’agit nullement de nationaliser dans la débâcle pour revendre ensuite en période de prospérité, mais bien de faire de la propriété publique un véritable outil de planification, de transition et de souveraineté.
Prises de participation, fonds souverain, livret dédié à la réindustrialisation, baisse drastique des quotas européens d’importation d’acier asiatique : les outils existent ; ce qui manque, c’est la volonté de rompre avec cette impuissance organisée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
situation d’arcelormittal (iii)
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Christine Herzog. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
Monsieur le ministre, croyez-vous en la fatalité ?
ArcelorMittal vient d’annoncer un plan national de suppression de 600 emplois en France, dont 200 à Florange, en Moselle. La délocalisation déjà entamée des fonctions support vers l’Inde et la Pologne, ainsi que l’arrêt par le groupe sidérurgique de ses investissements dans l’outil productif, laissent craindre un désintérêt de sa part pour la production d’acier en France.
Et pour cause : ArcelorMittal a retardé son projet d’acier décarboné à l’usine de Dunkerque, pourtant inscrit dans un contrat passé avec l’État. De même, le groupe a cessé tout investissement dans le train à chaud de Florange, son outil de production d’acier.
Au contraire, il investit massivement en Inde et au Brésil dans des usines modernes, soumises à un cahier des charges environnemental moins contraignant que celui qu’imposent les normes européennes, afin de préserver sa compétitivité dans l’économie mondiale.
Nous nous sommes félicités de la transition énergétique opérée à la centrale de Saint-Avold du charbon vers le biogaz, mais, au même moment, l’Inde se réjouit d’avoir atteint un record de production d’électricité issue du charbon.
Alors que l’acier français traverse une crise profonde, que le coût de la main-d’œuvre demeure élevé, que le prix de l’énergie atteint des niveaux très importants et que les objectifs environnementaux sont très contraignants pour nos entreprises, l’État doit agir et engager des négociations afin de convaincre ArcelorMittal de rester en France et d’avoir connaissance de ses projets.
Monsieur le ministre, allons-nous sacrifier notre souveraineté sidérurgique, dire adieu à nos savoir-faire et laisser fatalement la France perdre son industrie ? Si tel devait être le cas, la nationalisation de l’entreprise serait-elle sur la table ?
Quelle est la vision stratégique précise de l’État pour sauver notre souveraineté sidérurgique ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice Herzog, non, il n’y a pas de fatalité, pas même pour des filières en difficulté, comme notre filière sidérurgique ; il n’y en a pas eu lorsque nous avons sauvé les Aciéries Hachette et Driout, à Saint-Dizier en Haute-Marne ; pas davantage lorsque nous défendions les Fonderies de Bretagne, il y a encore quelques jours, à Caudan dans le Morbihan.
Je reste profondément convaincu qu’en mobilisant les leviers appropriés, en menant un combat collectif avec l’ensemble des élus concernés, nous pouvons obtenir des résultats concrets, et ainsi garantir ce que vous appelez de vos vœux, et que nous souhaitons également : le maintien de notre souveraineté industrielle dans cette filière absolument essentielle.
La sidérurgie, l’acier, est en effet indispensable à beaucoup d’activités en aval, telles que l’automobile ou la défense.
Les négociations avec ArcelorMittal ont déjà commencé. Comme je viens de l’indiquer, j’ai échangé hier avec la direction du groupe afin de mieux comprendre les raisons de cette décision, et surtout afin de saisir précisément les perspectives et la stratégie qu’ArcelorMittal entend poursuivre en France et en Europe.
Vous le savez, les difficultés de la filière sidérurgique ne concernent pas uniquement la France. En Allemagne, ThyssenKrupp a annoncé, il y a quelques semaines à peine, la suppression de 11 000 emplois ainsi que la fermeture de plusieurs sites industriels.
En France, aujourd’hui, aucun site ne ferme. Notre responsabilité consiste précisément à faire en sorte que cet objectif demeure inchangé à l’avenir. Pour ce faire, nous devons agir simultanément dans plusieurs directions, comme vous l’avez souligné.
En premier lieu, cela implique de mieux protéger nos industries. Nous avons fixé des objectifs ambitieux en matière de décarbonation, lesquels doivent également devenir des contraintes imposées aux exportateurs chinois qui écoulent leur acier sur le marché européen. Tel est précisément le sens de la révision du mécanisme de taxation du carbone aux frontières que nous défendons, et que la Commission européenne, par la voix du commissaire Séjourné, a intégrée dans son plan d’urgence pour l’acier, présenté le 19 mars dernier.
Nous devons également agir sur les coûts de l’énergie. Nous espérons que, à compter du 1er janvier 2026, avec la fin du dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), un certain nombre de contrats actuellement en négociation entre EDF et les industriels électro-intensifs, parmi lesquels figure ArcelorMittal, pourront aboutir favorablement. Je suis, pour ma part, confiant dans notre capacité à lever cette contrainte.
M. le président. Il faut conclure !
M. Marc Ferracci, ministre. Notre stratégie s’appuie donc sur plusieurs leviers : la compétitivité et la protection. Il nous faut sortir d’une certaine forme de naïveté à cet égard. (M. François Patriat applaudit.)
assassinat d’aboubakar cissé et réaction des pouvoirs publics
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le Premier ministre, vendredi 25 avril, Aboubakar Cissé, fidèle musulman, était mortellement poignardé à quarante reprises dans une mosquée, alors qu’il croyait transmettre le rite de la prière à son infâme assassin.
Monsieur le président, je vous remercie d’avoir changé d’avis et d’avoir concédé un moment de recueillement : cela était important.
Car, de la profanation d’un sanctuaire maculé du sang d’un innocent jusqu’à la duperie haineuse de l’assassin, tout dans cet acte est profondément révoltant. À la famille et aux proches d’Aboubakar Cissé, nous adressons nos condoléances les plus émues.
Monsieur le Premier ministre, vous avez choisi des mots justes pour qualifier l’assassinat islamophobe d’Aboubakar Cissé ; vous avez également entendu la souffrance, la peur et le sentiment de relégation exprimés par nos compatriotes musulmans depuis vendredi ; ce sentiment, partagé sur nos travées, que les plus hautes autorités de l’État, à commencer par le ministre de l’intérieur et des cultes, n’ont pas exprimé une émotion à la hauteur du supplément de violence symbolique que représente l’assassinat d’un fidèle dans une mosquée (Huées et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Akli Mellouli applaudit.) ; que les plus hautes autorités de l’État n’ont pas pris toute la mesure de la gravité inouïe de cet attentat.
L’histoire de France, tout comme l’histoire du monde, enseigne pourtant qu’aucune guerre de religion n’a jamais produit autre chose que de la haine et de la désolation. La France en a tiré la conclusion la plus exemplaire qui soit en inventant la laïcité, définie par la loi de tolérance et de liberté de 1905.
Monsieur le Premier ministre, vous avez justement rappelé hier à l’Assemblée nationale un principe fondamental : « la loi protège la foi ».
Dès lors, qu’allez-vous faire afin que cesse, notamment au sein du Gouvernement et des hémicycles parlementaires, cette instrumentalisation incessante de la laïcité visant à stigmatiser l’islam et les musulmans ?
Qu’allez-vous faire pour lutter concrètement contre la montée de l’islamophobie, avant que d’autres drames ne surviennent ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Roger Karoutchi. Ils osent tout, c’est insupportable !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Gontard, je puis vous assurer que l’ensemble des responsables publics, au sein de l’exécutif comme, je le crois, au sein de nos assemblées, partage la même certitude, celle que vous venez d’exprimer et que j’ai moi-même défendue dans plusieurs ouvrages sur les guerres de religion : là se trouve un démon jamais endormi, un danger perpétuel qui ne cesse de se réveiller, en temps de crise, singulièrement. Son expression se résume très simplement et très clairement : « L’autre est un ennemi. »
Or nous partageons tous cette maxime que vous avez rappelée et que je cite souvent : « La loi protège la foi, mais la foi ne fait pas la loi. »
Nous partageons l’idée, non seulement de la tolérance – et j’ai écrit sur l’édit de Nantes, comme vous le savez –, mais, au-delà même, de la compréhension mutuelle ; nous avons la certitude que nous ne sommes pas des étrangers les uns aux autres, que nous avons à construire ensemble.
Tous nos compatriotes musulmans, tous nos compatriotes juifs, tous nos compatriotes chrétiens, tous nos compatriotes agnostiques, tous nos compatriotes athées, et ceux d’autres sensibilités encore, ont droit de cité. J’ai même ajouté hier que nous devrions approfondir l’idée d’un devoir de cité. Nous avons, collectivement, le devoir de bâtir une citoyenneté et un destin partagés.
Le drame survenu dans le Gard est épouvantable précisément parce qu’il est entaché, comme vous l’avez relevé, de tous les symptômes de ce que nous cherchons à combattre et que nous devons dénoncer.
Je suis heureux de sentir l’unanimité qui prévaut en réalité sur ces travées quant à notre détermination commune à mener ce combat et à édifier ensemble une cité différente. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et RDPI.)
protection des familles et des biens des agents pénitentiaires
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. « La seule réelle prison est la peur et la seule vraie liberté est de se libérer de la peur », affirmait Aung San Suu Kyi. Les agents de l’administration pénitentiaire deviendront-ils les prisonniers de la peur que souhaitent instaurer les terroristes, sous l’étendard fallacieux de la défense des droits des prisonniers ?
Parmi les faits concernant les agents de l’administration pénitentiaire, on recense 66 agressions graves perpétrées en 2023 à l’intérieur même des établissements, contre lesquelles le ministère de la justice agit déjà.
Cependant, depuis le 13 avril dernier, comme à Saint-Quentin-Fallavier ou à Villefontaine, en Isère, ainsi que dans trente et un départements, plus de 60 faits criminels ont été relevés à l’encontre d’établissements pénitentiaires. Plus grave encore, ces actes ciblent également les véhicules et les domiciles d’agents pénitentiaires, à l’image de deux attaques menées à Amiens contre la même surveillante.
Il s’agit de faits d’intimidation, de nuisances, de destructions, de tirs sur des domiciles, d’incendies, de tags portant la signature « défense des droits des prisonniers », ou encore de messages cryptés adressés aux personnels ou à leurs familles.
Ce terrorisme constitue un défi lancé à notre République et à l’État de droit sous couvert de grotesques revendications de défense des droits de l’homme, qui ne saurait être toléré.
Nous avons tous le devoir de le condamner. Comment prétendre défendre les droits de l’homme en s’attaquant aux biens et en menaçant directement les personnels de l’administration pénitentiaire ?
Les résultats de la lutte engagée au sein des établissements contre la circulation de produits illicites et d’armes ou contre les moyens permettant de commanditer des exactions hors les murs apportent la démonstration que les mesures concernant les fouilles, ainsi que les dispositions adoptées par le Parlement au sein de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, dérangent une organisation mafieuse, lucrative et meurtrière.
Monsieur le ministre, quelles consignes avez-vous transmises aux préfets afin de garantir la sécurité des biens et des familles des agents pénitentiaires ? Quelles mesures engagez-vous afin de débusquer ces terroristes, et ainsi redonner confiance et sérénité à nos fonctionnaires dans l’exercice de leurs missions ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Somon, le problème que vous soulevez constitue évidemment une préoccupation majeure et le Gouvernement demeure pleinement déterminé à empêcher qu’il ne perdure.
Vous avez raison de rappeler que, depuis le 14 avril dernier, plus de 150 actions ont été commises à l’encontre des établissements pénitentiaires ou de leurs personnels sur l’ensemble du territoire national : jets de cocktail Molotov sur le parking de l’École nationale d’administration pénitentiaire d’Agen ; incendies volontaires devant la maison d’arrêt de Villepinte ; rafales de kalachnikov tirées sur la prison de Toulon ; véhicules d’agents pénitentiaires brûlés ; surveillants directement menacés, notamment à Amiens.
Ces faits – menaces, intimidations, tirs de mortiers – constituent manifestement une riposte au texte récemment voté, désormais adopté définitivement par le Parlement. Je tiens d’ailleurs à vous en remercier, car celui-ci permet au Gouvernement de poursuivre sa lutte contre le narcotrafic et ses effets néfastes.
Le Gouvernement a immédiatement pris des dispositions afin de soutenir et de protéger les agents pénitentiaires, dans le cadre d’un plan de mobilisation conjoint du garde des sceaux et du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Dans la nuit du 15 avril dernier, nous avons enjoint à l’ensemble des préfets, ainsi qu’aux services de police et de gendarmerie placés sous leur autorité, de renforcer sans délai les mesures de protection des personnes et des biens relevant de l’administration pénitentiaire.
Le même jour, les préfets de zone, les représentants des services de police et de gendarmerie, les services de renseignement ainsi que l’administration pénitentiaire ont été réunis afin de conforter et de préciser ces instructions.
Le 17 avril, enfin, une instruction commune a été diffusée : elle définit précisément les modalités de renforcement de la sécurisation des sites et des personnels concernés, exigeant une mobilisation forte et coordonnée.
Les services du ministère de l’intérieur ont considérablement renforcé la protection des agents pénitentiaires et de leurs lieux de travail. Il s’agit là d’une priorité absolue, et il convient de saluer à cet égard l’engagement remarquable de ces agents ainsi que celui des policiers qui assurent leur protection.
Je souhaite enfin préciser que le parquet national antiterroriste (Pnat) coordonne désormais l’ensemble des investigations relatives à ces faits criminels. Des moyens importants ont été déployés afin d’identifier, de rechercher et d’interpeller leurs auteurs. À ce jour, plus de 30 interpellations ont déjà été effectuées sur l’ensemble du territoire national et des gardes à vue sont en cours.
Je conclurai en réaffirmant que le Gouvernement mobilise pleinement ses moyens afin d’assurer la protection de nos établissements pénitentiaires, des personnels et, bien évidemment, de leurs familles. Il ne saurait en être autrement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour la réplique.
M. Laurent Somon. Messieurs les ministres, la peur doit changer de camp. « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent », affirmait Montesquieu. Il convient désormais d’accorder aux personnels pénitentiaires la libération de cette peur, afin qu’ils puissent exercer sereinement et en toute sécurité leur métier. À cet égard, l’application effective de l’anonymisation de leur identité dans les procédures constitue une mesure cardinale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation d’arcelormittal (iv)
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, demain, 1er mai, la mobilisation sociale sera particulièrement forte sur les sites concernés par les 600 suppressions de postes annoncées par ArcelorMittal il y a quelques jours, dont 300 ont été confirmées ce matin même dans le Nord.
À Dunkerque, à Mardyck, comme à Desvres, à Montataire, à Florange, à Basse-Indre ou à Mouzon, nous serons nombreux à défiler afin de témoigner notre solidarité aux salariés et aux élus, qui s’inquiètent.
Quelle est la raison de ces suppressions d’emplois touchant directement l’outil de production, qui s’ajoutent aux plans sociaux déjà engagés sur les fonctions support ? Comment expliquer la suspension des investissements censés pérenniser l’activité industrielle, sur lesquels l’État s’est déjà financièrement engagé ? Pourquoi un tel manque de transparence de la part d’un industriel aux résultats loin d’être mauvais et qui est toujours prompt à solliciter l’aide publique ?
Certes, le marché européen de l’acier souffre depuis longtemps. Toutefois, la filière acier demeure essentielle et, à ce titre, bénéficie d’un large soutien au niveau tant national qu’européen. Nos hauts fourneaux français et européens doivent donc être non pas sacrifiés, mais, au contraire, plus que jamais électrifiés afin de répondre aux défis énergétiques, économiques et écologiques, et ainsi préserver notre souveraineté autant que nos emplois.
Si la décarbonation et la modernisation ne sont pas rapidement et directement mises en œuvre par ArcelorMittal, la France et l’Union européenne devront impérativement adopter de nouvelles mesures fortes afin de garantir la production locale d’acier bas-carbone par d’autres moyens, y compris, le cas échéant, par une entrée au capital ou par la nationalisation temporaire des aciéries.
Monsieur le ministre, en ce joli mois de mai célébrant le travail, mais également une Europe née précisément d’une communauté fondée autour de l’acier, pouvez-vous prendre ici, devant les salariés et devant nos territoires, l’engagement que la France aura l’audace d’agir pleinement, en concertation avec ses partenaires, afin que l’acier constitue non seulement notre histoire, mais également notre avenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Madame la sénatrice Linkenheld, la France est mobilisée, elle a pris l’initiative au niveau européen afin de soutenir un plan d’urgence destiné à la sidérurgie.
Ainsi, j’ai convoqué à Paris, le 17 février dernier, un sommet réunissant l’ensemble des ministres concernés par la production sidérurgique, les représentants des filières industrielles, les organisations syndicales ainsi que la Commission européenne, afin de mettre sur la table un ensemble de propositions visant à nous défendre.
Je dis bien « nous défendre », car il s’agit précisément d’une question de défense, face à une concurrence déloyale, en particulier celle de l’acier chinois, massivement subventionné et dont le processus de production est très fortement carboné. Or, vous l’avez souligné, la décarbonation demeure un enjeu majeur.
Nous agissons donc, et notre action ne se limite pas au cadre européen.
Vous serez mobilisés demain, et je connais votre détermination ainsi que l’engagement de l’ensemble des élus concernés, notamment du maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, du président de la région, Xavier Bertrand, et de l’ensemble des parlementaires. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de répondre à plusieurs questions sur ce sujet hier et aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Ce travail ne peut être que collectif.
Nous devons résoudre la question de la protection commerciale et nous montrer particulièrement ambitieux à cet égard. Nous ferons pression sur la Commission européenne ; ainsi, après avoir rencontré hier la direction d’ArcelorMittal, je m’entretiendrai dans les prochains jours avec le commissaire européen Stéphane Séjourné afin de porter à sa connaissance l’ensemble des leviers que nous proposons d’activer, de manière que les investissements dans la décarbonation, que nous appelons ensemble de nos vœux, soient effectivement réalisés.
Pour cela, nous devons agir simultanément sur la protection commerciale et sur la taxation carbone aux frontières, laquelle entrera progressivement en vigueur à compter de 2026. Nous avons le souci constant qu’elle soit réellement efficace, et nous formulons en ce sens des propositions précises.
Nous devons également agir sur le coût de l’électricité et sur l’ensemble des questions relatives à la compétitivité. À ce titre, l’État soutient activement l’investissement de la filière sidérurgique comme de l’ensemble des industriels dans leur processus de décarbonation.
Pour cela, toutefois, les industriels doivent prendre des décisions ; nous entendons créer les conditions pour qu’ils le fassent, en concertation avec l’ensemble des élus.
Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre propre engagement sur ce sujet. (M. François Patriat applaudit.)
situation du professeur balanche
M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Evren. Monsieur le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, le 1er avril dernier, un maître de conférences a dû interrompre son cours à l’université Lyon II, sous les huées et les injures de militants cagoulés et masqués.
Cette intrusion, revendiquée par un groupuscule autoproclamé anti-France, constitue une triple agression : contre la liberté académique, contre la démocratie et, naturellement, contre la laïcité.
Vous-même, monsieur le ministre, conjointement avec la ministre d’État, avez alors exprimé publiquement votre soutien total au professeur Balanche.
Or, depuis cet événement, qu’avons-nous observé concrètement ? Une présidente d’université prenant ouvertement ses distances avec l’enseignant, dénonçant ses propos prétendument « complotistes » et « délétères » ; des collègues universitaires qui préfèrent chipoter, malgré l’évidence des faits, en évoquant un prétendu fantasme d’islamo-gauchisme ; et, comme toujours, les sempiternels appels au calme, dignes du tristement célèbre « pas de vagues ».
Certes, l’indépendance des universités demeure précieuse. Pour autant, les autorités universitaires ne sont pas au-dessus des lois, et les universités ne constituent pas des zones de non-droit, monsieur le ministre. Dès lors, nous attendons une prise de position sans ambiguïté du Gouvernement sur ce sujet.
Ma question est donc très simple : quelles sanctions ont été engagées contre ces militants qui ont ouvertement défié les lois de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice Evren, je vous remercie de votre question.
Je confirme les faits : le 1er avril dernier, un maître de conférences de l’université Lyon II a été contraint d’interrompre son cours, perturbé par des individus masqués. Cette intrusion est parfaitement scandaleuse, il s’agit d’une situation honteuse qui n’aurait jamais dû se produire. Nous avons immédiatement apporté à l’enseignant concerné un soutien total et complet.
Je tiens à préciser également que la présidente de l’université a pris dès ce moment-là toutes les mesures nécessaires, de la protection fonctionnelle jusqu’au dépôt de plainte. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Certes, elle a tenu des propos malheureux (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), qu’elle a par la suite publiquement clarifiés.
À son tour, elle a subi un acharnement également injustifiable. En liaison avec le ministre de l’intérieur, M. Bruno Retailleau, je me suis assuré qu’elle bénéficie, au même titre que M. Fabrice Balanche, le maître de conférences initialement visé, de toutes les protections nécessaires.
Il est absolument intolérable que le maître de conférences comme la présidente de l’université aient reçu des menaces de mort. Ce qui s’est passé au sein de cette université est proprement scandaleux.
Je le souligne avec force : il ne s’agit nullement ici d’un « pas de vagues », mais d’un appel à la retenue. L’université est un lieu de dialogue, de confrontation intellectuelle, un lieu où la liberté académique doit s’exercer pleinement, dans le respect de la loi, de toute la loi. Cela implique notamment une vigilance absolue face à tout débordement, par exemple de nature antisémite.
Nous travaillons avec efficacité sur les sanctions susceptibles d’être prises contre les étudiants ou contre les personnels qui auraient commis de tels débordements ; nous agissons également en étroite coordination avec le garde des sceaux afin que tous les signalements effectués au titre de l’article 40 du code de procédure pénale sur ces faits soient systématiquement traités.
M. le président. Il faut conclure !
M. Philippe Baptiste, ministre. Enfin, je souhaite rappeler que le cadre disciplinaire applicable est en cours de simplification et d’amélioration grâce à une proposition de loi votée unanimement par le Sénat.
M. Max Brisson. Quelles sanctions ? Répondez à la question posée !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren, pour la réplique.
Mme Agnès Evren. Je n’ai pas entendu la réponse à ma question, pourtant très précise, sur les sanctions engagées. (Mme Béatrice Gosselin applaudit.)
Ce qui s’est produit à Lyon ne constitue pas un incident mineur provoqué par quelques jeunes exaltés, mais une affaire extrêmement grave. Il s’agit là d’une offensive concertée menée par une extrême gauche intolérante alliée à un islamisme qui teste quotidiennement nos limites. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
Mme Agnès Evren. Monsieur le ministre, je vous le dis en vous regardant droit dans les yeux, il convient désormais d’en finir avec cet équilibrisme et de réagir avec célérité, avec clarté et avec force. Nous avons trop longtemps commenté ces événements la tête baissée, cela suffit !
M. le président. Il faut conclure !
Mme Agnès Evren. Il est désormais urgent d’agir contre ce nouvel obscurantisme qui menace les fondements mêmes de notre université et, au-delà, notre cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
possibilité de travailler le 1er mai (i)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Demain, 1er mai, de nombreux artisans boulangers et fleuristes garderont leur rideau baissé, non par choix, mais par crainte d’être verbalisés.
L’an dernier, cinq artisans vendéens ont ainsi été poursuivis pour avoir pétri leur pâte un jour férié. Le 25 avril 2025, le tribunal de police de La Roche-sur-Yon les a finalement relaxés. Cette décision constitue certes un soulagement, mais ne dissipe pas le flou juridique persistant pour l’ensemble de la profession.
Face à cette incertitude, le groupe Union Centriste s’est mobilisé sans attendre. Dès le mois de mars, nous avons alerté la ministre du travail, puis de nouveau le 18 avril, afin d’y associer les fleuristes, également concernés par cette difficulté.
Pendant vingt ans, ces professionnels ont exercé leur métier le 1er mai sans rencontrer la moindre difficulté. Aujourd’hui, la situation est devenue ubuesque : un particulier pourrait vendre du muguet sur le trottoir quand le fleuriste serait quant à lui contraint de garder boutique close.
C’est pourquoi, avec le président Hervé Marseille, j’ai déposé une proposition de loi visant à préciser les établissements pouvant bénéficier d’une dérogation leur permettant d’ouvrir le 1er mai. Ce texte ne remet nullement en cause le caractère férié et chômé de cette journée ; il ne tend pas à ouvrir une brèche, mais simplement à combler un vide juridique ; il ne banalise pas, il clarifie.
La procédure accélérée a été engagée par votre gouvernement, et je remercie Mme la ministre Catherine Vautrin de son soutien. Toutefois, les professionnels demeurent dans l’attente.
J’ai donc deux questions précises : la jurisprudence du tribunal de La Roche-sur-Yon sécurise-t-elle les ouvertures pour demain ? Quel calendrier imaginez-vous afin de permettre à notre texte d’aboutir ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Billon, vous m’interrogez sur la possibilité de travailler le 1er mai. Permettez-moi de vous rappeler, même si vous le savez parfaitement, car c’est la tradition française, que le 1er mai est un jour férié, chômé et rémunéré.
On peut difficilement déroger à cette règle, prévue par le code du travail, sauf à respecter un certain nombre de conditions que nous connaissons tous, notamment le nécessaire maintien des services publics ou au public, comme c’est le cas de l’hôpital, des Ehpad et de tout un ensemble d’établissements dont l’activité est considérée comme essentielle.
Cependant, à travers votre question, vous m’interrogez aussi sur la possible évolution du travail dans notre société. À cet égard, votre étonnement est relativement compréhensible. En effet, nous avons tous été sollicités dans nos circonscriptions par des fleuristes et des boulangers qui souhaitent travailler le 1er mai.
La législation en vigueur permet déjà à chaque artisan boulanger de travailler ce jour férié, mais elle ne permet pas à ses salariés de le faire. Il faut peut-être envisager – après tout, nous vivons dans une société qui favorise le travail – de faciliter cette évolution législative, sur la base du volontariat, afin de permettre aux boulangers, aux fleuristes et à ceux de leurs salariés qui le souhaitent de travailler ce jour-là.
Tel est d’ailleurs le sens de la proposition de loi que vous avez déposée avec le sénateur Hervé Marseille, et qui sera naturellement à l’étude prochainement.
Nous ne réglerons certainement pas le problème qui se posera demain, 1er mai, d’ici quelques heures. En revanche, je vous informe que les ministres Panosyan-Bouvet et Vautrin ont invité les artisans boulangers à se rapprocher de leurs organisations professionnelles, qui pourront à leur tour s’adresser aux services de l’État pour éviter la situation que vous venez de décrire.
Mme Évelyne Perrot. Et les fleuristes ?
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. Je remercie le Gouvernement de son soutien. Je remercie également les artisans qui animent nos centres-villes et nos centres-bourgs. J’espère que de nombreux Français et de nombreuses Françaises pourront acheter leur pain et leur muguet demain, 1er mai ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
relations franco-algériennes
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les relations avec l’Algérie restent passionnelles, mais, depuis plusieurs mois, elles se sont aussi considérablement dégradées.
Il ne faut pas se le cacher, si le régime algérien se raidit à l’égard de la France, c’est bien parce qu’il nous sent impuissants et divisés.
Comme nombre de Français, j’avais cru comprendre de l’engagement du Président de la République et du Gouvernement que les choses s’étaient apaisées, que la coopération reprenait et qu’allait s’« enclencher une nouvelle phase de la relation bilatérale ».
La réalité est en fait bien différente : placement en détention d’un agent consulaire algérien pour enlèvement et séquestration, expulsions réciproques, rappel de notre ambassadeur…
Monsieur le ministre, face aux blocages et à la désinformation orchestrée ou encouragée, le Gouvernement fera-t-il enfin preuve de davantage de fermeté ? Les accords franco-algériens dans le domaine de l’immigration sont un des leviers, il en existe d’autres. Cette fébrilité prendra-t-elle fin ? Dénoncerez-vous l’accord de 1968 ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Monsieur le sénateur Allizard, je vous remercie de votre question. Vous le savez, sur ce sujet comme sur tant d’autres, notre seule boussole est la défense des intérêts de la France et des Français.
Nous avons souhaité avoir un dialogue exigeant avec l’Algérie, un partenariat d’égal à égal, pour défendre nos intérêts, c’est-à-dire pour faire en sorte que l’Algérie respecte ses engagements au regard du droit international et reprenne ses ressortissants expulsés, pour rétablir une coopération dans les domaines de la défense, de la sécurité ou encore du renseignement et, bien sûr, pour obtenir la libération de notre compatriote, l’écrivain Boualem Sansal, injustement condamné et emprisonné aujourd’hui en Algérie.
Tel était le sens de l’échange téléphonique entre le Président de la République et le président Tebboune. Tel était aussi, bien entendu, le sens de la visite du ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, à Alger.
Mais, pour nouer un dialogue, il faut être deux. Notre justice, qui est indépendante, a pris la décision – vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur – d’arrêter des ressortissants algériens en raison de leurs activités en France. En réponse, l’Algérie a réagi de façon totalement disproportionnée, injustifiée et brutale en choisissant d’expulser douze de nos ressortissants, douze agents auxquels je tiens d’ailleurs à rendre hommage ici. En réplique, la réponse de la France a été extrêmement ferme : nous avons expulsé douze diplomates algériens et rappelé notre ambassadeur.
Sur ce sujet, notre position est très claire. Si l’Algérie décide de reprendre le dialogue et si nous pouvons défendre ensemble nos intérêts, nous y sommes ouverts. Mais si l’Algérie fait le choix d’une relation dégradée, de l’escalade et de la crise, nous saurons y répondre ; nous disposons d’une palette d’outils pour assumer un éventuel rapport de force et nous défendre. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Monsieur le ministre, merci de votre réponse, un peu incomplète cependant, puisque vous ne m’avez pas répondu sur l’accord de 1968. J’en prends acte.
Je souhaite rappeler – car c’est un de nos points de désaccord avec l’Algérie – que le rapprochement entre Paris et Rabat sur la question du Sahara occidental n’est qu’un prétexte, dans la mesure où celui-ci est davantage la conséquence qu’une cause de la dégradation de nos relations et qu’il s’inscrit dans un plus vaste mouvement international.
Je note aussi que l’Algérie est un partenaire important de la Russie en Méditerranée. Elle pourrait le devenir davantage encore en raison de la perte d’influence russe au Levant. En Afrique francophone, la Russie a déjà montré son savoir-faire, et, à chaque fois, l’Algérie n’était pas très loin…
Monsieur le ministre, compte tenu de l’attitude de plus en plus exigeante et intransigeante d’Alger, des actions menées sur notre territoire, d’un contexte international qui repose trop souvent sur les rapports de force,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Pascal Allizard. … le temps est vraiment venu de faire passer des messages politiques sans ambiguïté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
fiscalité locale (i)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
Monsieur le ministre, il y a huit ans, la majorité promettait monts et merveilles avec la suppression de la taxe d’habitation : plus de pouvoir d’achat pour les Français, pas de pertes pour les collectivités, et des finances publiques sous contrôle.
Mais, aujourd’hui, les faits sont têtus : le déficit public atteint 5,8 % du PIB ; la dette publique dépasse 113 % du PIB ; les collectivités locales sont privées de leviers fiscaux et dépendent des dotations de l’État ; le financement des services publics locaux est déséquilibré. Le constat est sans appel.
Les collectivités locales, injustement accusées de dégrader les comptes publics, ne sauraient être des variables d’ajustement budgétaire ni être cantonnées à un simple rôle de guichet de l’État.
Et pourtant, le Président de la République continue d’exclure toute remise en cause d’une décision déjà injustifiée en 2017, devenue totalement irresponsable en 2025.
Monsieur le ministre, vous avez récemment évoqué l’idée d’une contribution des citoyens au financement des services publics locaux. Cette proposition a le mérite d’ouvrir le débat sur la fiscalité locale et, plus largement, sur les ressources des collectivités. Vous êtes donc assez lucide pour mesurer l’impasse dans laquelle nous sommes.
Allez-vous continuer de défendre la suppression de la taxe d’habitation, réforme qu’au fond vous savez mauvaise, ou choisirez-vous de redonner aux élus locaux l’autonomie financière dont ils ont besoin ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Isabelle Briquet, votre question me permet de faire le point sur trois questions essentielles.
Premièrement, la taxe d’habitation a été supprimée, conformément à l’annonce faite par le Président de la République pendant sa campagne électorale. Celui-ci a tenu ses engagements : dont acte. (Murmures désapprobateurs sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Très bien !
M. François Rebsamen, ministre. Aujourd’hui, beaucoup de parlementaires envisagent de la rétablir, mais je n’ai vu aucune proposition de loi déposée sur le sujet…
Deuxièmement, je veux aborder la question de nos finances publiques. Actuellement, nous sommes en train, sous l’autorité du Premier ministre, de faire la pédagogie de l’état de ces finances publiques, c’est-à-dire du grave déficit que connaît notre pays. Je voudrais dire à cet égard que rien n’est arbitré, mais que le travail de pédagogie continue.
Ainsi, je recevrai mardi prochain l’ensemble des associations d’élus connues et reconnues, lesquelles sont au nombre de sept. Nous débattrons ensemble d’un certain nombre de réflexions et des propositions qui pourraient en résulter. Mais j’y insiste, rien n’est arbitré en matière budgétaire.
Troisièmement, je le dis depuis longtemps – et je vais continuer à le dire, comme je l’ai encore fait récemment devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat que préside le sénateur Bernard Delcros –, cette situation, qui veut que seul un certain nombre de personnes, en l’occurrence les propriétaires, financent les communes, ne pourra pas durer longtemps. Sachez que, dans certaines communes, il n’y a que 30 % de propriétaires ; il y a donc 70 % de personnes qui ne paient pas l’impôt local…
Mon idée – mais ce n’est pas la seule ! –, qui est bien souvent reprise par la collectivité, consiste à créer à terme une contribution, afin que chacun mesure les efforts réalisés par les communes en matière de services publics ; cette contribution permettrait de recréer un lien citoyen entre le consommateur-habitant et la municipalité, laquelle est responsable des services publics communaux. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. Patrick Kanner. Ce n’est pas ce que dit Mme de Montchalin !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Vous le voyez bien, monsieur le ministre, la suppression de la taxe d’habitation n’a pas été seulement une erreur budgétaire, elle est aussi une faute politique ! C’est une faute pour les collectivités privées d’une grande part de leur autonomie fiscale et financière, une faute pour l’État qui perd chaque année plus de 20 milliards d’euros de compensation – je pense que l’État n’a pas besoin de cela ! – et, enfin, comme vous venez de le préciser, une faute pour les contribuables locaux.
J’entends votre proposition, mais encore faudrait-il que cette contribution soit calculée en fonction des revenus, ce qui n’est absolument pas le cas. Aujourd’hui, cette situation nourrit, vous le savez, le ressentiment.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Isabelle Briquet. Refuser de reconnaître cet échec, c’est condamner un peu plus nos collectivités. Il faut donc agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
possibilité de travailler le 1er mai (ii)
M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pauline Martin. Monsieur le ministre, c’est la quatrième fois que la question vous est posée depuis hier, preuve de la ferveur des parlementaires à défendre nos artisans !
En cette veille de 1er mai, à l’instar de ma collègue Annick Billon, il est difficile de faire l’impasse sur la polémique qui gronde dans nos territoires. Demain, nos boulangers, nos fleuristes ne pourront pas laisser travailler leurs salariés lors d’une journée, par définition, fleurissante pour ces secteurs ! Mieux encore, le ministère va, lui, ordonner à ses agents de travailler, afin de surveiller l’absence de travail ! On marche sur la tête !
Encore plus détonnant, chacun pourra installer un étal pour vendre quelques brins de muguet, alors que nos commerçants feront grise mine…
À l’heure où l’État invite les Français à travailler plus pour soutenir notre économie en berne et garantir notre système de retraite, voilà que l’État lui-même empêche nos travailleurs d’exercer leur activité, privant ainsi les salariés, bien souvent volontaires, d’une rémunération bonifiée en ce jour férié, chômé et payé. Si le code du travail doit être respecté, je m’interroge sur la façon dont nous avons vécu cette fête du travail depuis 1948…
Monsieur le ministre, sans attendre l’adoption d’un texte consensuel proposé par nos collègues, pourrions-nous envisager que vos inspecteurs profitent de cette journée ensoleillée pour acheter fleurs et baguettes sans contrôle ni verbalisation ? (Sourires. – Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Martin, vous avez mis beaucoup d’enthousiasme dans votre question. Je vais tâcher d’en mettre tout autant dans ma réponse. (Sourires.)
En réalité, nous sommes totalement d’accord avec vos propos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Le 1er mai est un jour férié, chômé et rémunéré. Mais cette disposition du code du travail ne date pas d’aujourd’hui : si nous souhaitons tous collectivement faire évoluer la situation pour faciliter les initiatives locales que vous saluez – j’ai les mêmes boulangers et les mêmes fleuristes que vous dans ma circonscription –, il faudra donc modifier ce code.
J’ai vu que votre collègue Annick Billon avait déposé une proposition de loi en ce sens. J’imagine que vous-même, madame la sénatrice, le ferez également. Ce sera au Sénat d’examiner ces textes, afin d’encourager le travail.
Je pense que nous partageons tous cette valeur du travail et que nous sommes nombreux, finalement, à saluer l’engagement de ceux qui se lèvent tôt le matin et qui veulent pouvoir contribuer à la croissance du pays.
M. Olivier Paccaud. C’est une question de liberté !
M. Yannick Neuder, ministre. Cependant, vous savez qu’il existe déjà des situations dérogatoires. J’ai parlé tout à l’heure des hôpitaux et des Ehpad ; j’aurais pu évidemment citer l’exemple des sapeurs-pompiers. Vous aurez en tout cas noté que je n’ai pas parlé des agents du ministère du travail, de la santé, de la solidarité et des familles…
C’est dans la perspective que je viens de rappeler qu’Astrid Panosyan-Bouvet a demandé à la fédération des entreprises de boulangerie de prendre l’attache des services des préfectures pour éviter les situations ubuesques que vous venez de très bien décrire.
Personnellement, je crois en la sagesse du Sénat et en sa capacité à trouver une voie de passage, pour permettre à nos artisans de travailler plus, sur la base du volontariat, et à la société française de s’adapter et de se simplifier la vie, comme le souhaite le Premier ministre. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin, pour la réplique.
Mme Pauline Martin. Monsieur le ministre, vous l’avez compris, avant de compter sur nous, nous comptons sur vous ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
fiscalité locale (ii)
M. le président. La parole est à M. Éric Dumoulin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Dumoulin. Madame la ministre de Montchalin, on vient de l’évoquer, le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation vient de lancer ce que l’on pourrait appeler un ballon d’essai sur la création d’une sorte de nouvel impôt local, une contribution modeste demandée à tous les ménages pour le financement des services publics des communes.
Au-delà du buzz médiatique, cette annonce s’apparente en réalité au rattrapage d’un péché originel, celui de la suppression de la taxe d’habitation. (C’est vrai ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Mal réfléchie, mal financée, cette réforme a profondément déstabilisé tout l’édifice déjà fragile des finances locales.
Par ce jeu de bonneteau fiscal, les communes et, par ricochet, les départements ont perdu tout ou partie de leur autonomie. Profondément déstabilisées et pourtant incomparablement plus vertueuses que l’État, elles souffrent !
Accessoirement, on l’a vu, cette réforme aura coûté environ 20 milliards d’euros au budget de l’État, ce qui n’aide pas celui-ci à combler son déficit abyssal.
La fiscalité locale repose donc désormais sur les seuls propriétaires. Les locataires ne financent plus les services publics de proximité, dont ils sont pourtant bénéficiaires au quotidien. Cette distorsion contribue à créer un fossé entre les citoyens d’une même ville.
Faut-il également rappeler que les collectivités locales représentent 70 % de l’investissement public et que, dans un contexte de crise et de très faible croissance, elles constituent pour le tissu économique et les entreprises une ressource absolument vitale ?
Il convient donc de les protéger, de les accompagner, plutôt que de les ponctionner à l’aveugle. S’il est compréhensible qu’elles participent à l’effort national de redressement des comptes publics, elles ne peuvent devenir la variable d’ajustement trop facile des comptes ou, plutôt, des mécomptes de l’État.
Les collectivités sont à ce jour profondément inquiètes de ce que l’État leur concocte pour le budget 2026. Les chiffres d’un doublement, voire d’un triplement de l’effort demandé en 2025, hantent les couloirs.
Madame la ministre, dans l’attente d’une grande réforme et d’une indispensable remise à plat de tout le système de financement des collectivités locales, je n’aurai qu’une seule question : que pouvez-vous leur dire pour les rassurer et nous rassurer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)
M. Jean-François Husson. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, pour vous rassurer, d’abord, je serai très claire : ce gouvernement ne souhaite pas instituer de nouveaux impôts dans le prochain budget.
M. Patrick Kanner. Ce n’est pas ce que dit M. Rebsamen !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous sommes déjà le pays recordman du monde des impôts, et ce gouvernement est, je crois, très fier d’avoir pu rendre 700 euros en moyenne aux Français grâce à la suppression de la taxe d’habitation.
M. Olivier Paccaud. Et la dette ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je tiens également à vous dire que, à moyen terme, comme le ministre Rebsamen vient de l’indiquer, nous voulons donner davantage de visibilité et clarifier le lien entre les contribuables et leurs services publics, ainsi que celui entre le citoyen et son maire, dans l’ensemble du pays. C’est d’ailleurs dans ce sens que je travaille au niveau national : je veux que les Français comprennent mieux, voient mieux où vont leurs impôts.
Que prévoyons-nous pour les collectivités dans la perspective du projet de loi de finances pour 2026 ? Mardi prochain, le Premier ministre, Éric Lombard, François Rebsamen et moi-même allons lancer la conférence de financement des territoires qui a pour objectif de redonner de la prévisibilité aux collectivités.
Certes, les collectivités ne sont pas les filiales de l’État, mais il existe aujourd’hui un grand malentendu qui s’est installé à la faveur de la dichotomie ou de la désynchronisation entre les agendas des maires, qui sont élus pour six ans, et des ministres des comptes publics successifs, dont l’objectif est de bâtir un budget sur l’année.
En réalité, les maires veulent savoir où ils vont quand l’État est, lui, le garant d’un retour à 3 % de déficit d’ici 2029. Nous y parviendrons par le dialogue, par la remise en cause des normes trop nombreuses qui créent des dépenses inutiles, par une réflexion sur nos ressources humaines, la fonction publique territoriale, et le pilotage par les maires eux-mêmes et les collectivités de leurs dépenses.
Il nous faut coconstruire une trajectoire pluriannuelle de nos comptes et un cadre de prévisibilité. Cette réponse, qui passe par le dialogue, me semble mature : il s’agit de réfléchir collectivement à la meilleure manière de revenir, tout en étant solidaires des finances de la Nation, à une situation qui ne laissera pas de dettes supplémentaires à nos enfants.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 7 mai, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants. Je vous souhaite un très bon 1er mai. N’oubliez ni les baguettes ni le muguet !
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
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Communication d’avis sur des projets de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010 837 et de la loi n° 2010 838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable, par vingt voix pour et quatre voix contre, à la nomination de M. François Jacq aux fonctions de président du conseil d’administration du Centre national d’études spatiales (Cnes).
En revanche, elle a émis un avis défavorable, par quatorze voix pour et vingt-huit voix contre, à la nomination de M. Bernard Fontana aux fonctions de président-directeur général d’Électricité de France (EDF).
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Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029
Débat organisé à la demande de la commission des finances
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur le rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029.
Dans le débat, la parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a maintenant trois mois, le Parlement a adopté le projet de loi de finances pour 2025, issu, nous le savons, d’un compromis trouvé en commission mixte paritaire (CMP).
Ce compromis nous oblige à un suivi renforcé de l’exécution du budget, afin de respecter les équilibres financiers retenus par vos collègues députés et vous-mêmes, au premier rang desquels notre objectif de déficit de 5,4 % du PIB.
Un tel suivi d’exécution est d’autant plus nécessaire que les aléas et les risques sont décuplés cette année, sous l’effet de la double crise, géopolitique et commerciale, que nous traversons.
Dans le cadre du rapport annuel d’avancement, nous venons ainsi vous rendre compte du respect de notre trajectoire de redressement des comptes publics, à commencer par celui de notre cible de déficit pour 2025. C’est aussi l’occasion, pour nous, de vous présenter les principes de construction du budget pour 2026.
Ce rapport annuel d’avancement comprend deux volets : celui des constats et celui des corrections. Tout d’abord, nous y détaillons à la fois les aléas et les risques. Ensuite, nous présentons les mesures de correction que nous devons prendre pour tenir notre trajectoire.
C’est le sens de la méthode du « quoi qu’il arrive », que nous avons pu présenter devant votre commission des finances il y a quelques semaines, puis, il y a quinze jours, lors du premier comité d’alerte.
En vertu de la loi de finances initiale pour 2025, qui constitue un budget de compromis, nous avons déjà engagé un effort courageux dans le sens du redressement de nos finances publiques. La Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) le soulignent : l’objectif d’un déficit à 5,4 % est à la fois impératif, ambitieux et atteignable. Pour nous y tenir, nous avons sans tarder mis en œuvre une gestion renforcée, qui a donné lieu à trois circulaires du Premier ministre.
À ce titre, les reports de crédits ont d’ores et déjà été strictement réduits. Je rappelle que les reports généraux, hors relance du budget général, ont été diminués de moitié, pour atteindre 4,4 milliards d’euros au titre des années 2024 et 2025.
La réserve de précaution est désormais sanctuarisée à l’échelle interministérielle, à hauteur de 8,7 milliards d’euros.
Nous avons aussi engagé – c’est une véritable nouveauté – une gestion prudentielle de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). À cette fin, Catherine Vautrin a constitué, avec toutes les équipes chargées des dépenses de santé, une réserve effective de 1,1 milliard d’euros.
De surcroît, M. le Premier ministre a pris deux circulaires, portant l’une sur l’efficience hospitalière, l’autre sur le suivi resserré de la masse salariale de l’État.
Toutefois, face aux nouveaux aléas géopolitiques, économiques et financiers, dont Éric Lombard vous parlera, nous avons été conduits, à l’instar de divers économistes, à réviser à la baisse notre prévision de croissance pour 2025. Nous avons porté notre estimation de 0,9 % à 0,7 %.
Je l’avais annoncé lors de mon audition devant votre commission des finances : face à des risques avérés, nous avons pris les décisions qui s’imposaient. Nous nous sommes notamment redonné des marges de prudence à hauteur de 5 milliards d’euros au titre du budget de l’État. Cette somme représente 0,6 % des crédits ouverts en loi de finances pour 2025 : l’effort est à la fois substantiel et tout à fait atteignable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces 5 milliards d’euros portent pour moitié sur une annulation de crédits mis en réserve. Le décret dont il s’agit a été publié en fin de semaine dernière ; nous n’avons pas manqué de le transmettre à M. le président et à M. le rapporteur général de votre commission des finances. Plus précisément, 3,1 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2,7 milliards d’euros en crédits de paiement ont ainsi été annulés et ne seront donc pas consommés.
Vous le savez, ces crédits proviennent pour l’essentiel de la réserve de précaution initiale. Le taux de cette dernière avait été fixé à 5,5 %, comme en 2024, mais, dès le début de gestion, on avait demandé instamment aux ministères de ne pas compter sur ces crédits. Il s’agissait dès lors – si je puis m’exprimer ainsi – d’une annulation anticipée.
L’autre moitié de l’effort est assurée par un surgel ciblé de crédits, afin de reconstituer nos marges. Ce travail a été, lui aussi, mené à bien en début de semaine. Au total, 2,8 milliards d’euros de crédits ont ainsi été mis de côté, afin de reconstituer la mise en réserve initiale. Si la conjoncture venait à se dégrader ou si de nouveaux risques devaient émerger, nous pourrions bien sûr revenir sur cette mesure.
Comme nous nous y sommes engagés, le suivi de l’exécution fera l’objet d’un second point d’étape à la fin du mois de juin prochain, lors d’un nouveau comité d’alerte.
Comme lors du premier comité, nous vous communiquerons, en toute transparence, l’intégralité des informations dont nous disposons, qu’il s’agisse des recettes collectées, des dépenses et de leurs trajectoires, ou des diverses mesures à prendre pour tenir les équilibres financiers du prochain budget.
À présent, je tiens à détailler devant vous quelques-unes des orientations du budget pour 2026, déjà présentées par M. le Premier ministre le 15 avril dernier.
Afin de construire, pour 2026, un compromis comparable à celui que nous avons bâti l’hiver dernier, nous devons maîtriser nos dépenses publiques dès cette année – j’y insiste, car il s’agit là d’un prérequis fondamental –, puis édicter un certain nombre de principes que tous nos concitoyens, et leurs représentants au premier chef, pourront faire leurs.
Premièrement, nous devons absolument faire en sorte que les dépenses, en particulier celles de fonctionnement, ne progressent pas plus vite que la croissance économique. On peut estimer qu’un tel principe relève de l’évidence. Mais, dans de nombreux domaines, on constate que, depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, les hausses de dépenses se sont révélées supérieures à la croissance. Le déficit s’en est trouvé automatiquement accru. Cet effort de vigilance concerne aussi bien l’État que la sécurité sociale et les collectivités territoriales.
Deuxièmement, un certain nombre de subventions publiques sont aujourd’hui perçues comme des droits acquis par de nombreux acteurs – ménages, entreprises, associations ou encore collectivités territoriales. En ce sens, les subventions de l’État ont perdu leur effet déclencheur ; dans certains cas, elles s’apparentent à une forme de rente. En conséquence, l’efficacité de la dépense publique se trouve réduite.
À nos yeux, l’État doit planifier et agir efficacement, et non se contenter d’être un simple guichet. Il faut bel et bien mener une vaste refondation de l’action publique. Ce chantier, annoncé par M. le Premier ministre, suppose de réinterroger l’action de l’État et de ses opérateurs. Cette dernière doit obéir à des nécessités, et certainement pas à des habitudes.
Troisièmement, nous ne pourrons pas assurer le redressement économique du pays si les intérêts particuliers entravent l’intérêt général, l’intérêt de la Nation. À cet égard, nous sommes également confrontés à une exigence éminemment démocratique.
Nos choix budgétaires doivent refléter plus clairement nos objectifs politiques ; nous devons accepter de mener aujourd’hui les réformes qui nous aideront demain. Pour certains, cet effort peut aboutir à des pertes à court terme. Nous devons les assumer collectivement, à condition qu’elles soient décidées au bénéfice de la croissance et qu’elles aillent donc in fine de pair avec des gains pour des millions d’autres citoyens.
Quatrièmement, il est essentiel que nous puissions mettre fin à certaines dépenses qui ne sont plus justifiées. Je pense en particulier aux coûts dus à la redondance et à l’enchevêtrement des compétences et des responsabilités. Je songe aussi à diverses dépenses qui ont trop fortement augmenté depuis la crise sanitaire,…
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Ça, c’est sûr…
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … comme celles qui sont liées aux arrêts maladie.
Cinquièmement, et enfin, le coût et la valeur des services publics, trop souvent méconnus de nos concitoyens, doivent faire l’objet, de notre part, d’un grand effort de transparence. Les Français pourront dès lors retrouver le sens de l’impôt qu’ils acquittent et de la dépense publique dans son ensemble.
Ces principes doivent nous permettre de construire un budget digne de ce nom. À cet égard, nous entendons tenir notre trajectoire pour revenir sous les 3 % de déficit en 2029, en commençant par une première marche de 4,6 % en 2026.
En parallèle, nous avons une méthode : la transparence totale, en particulier à l’égard des parlementaires. Vos collègues députés et vous-mêmes recevrez toutes les informations nécessaires pour suivre l’exécution de ce budget de compromis qu’est la loi de finances initiale pour 2025 et, plus largement, jouer votre rôle d’évaluation, qu’il s’agisse du Gouvernement ou, plus largement, des finances publiques.
À ce titre, le printemps de l’évaluation sera certainement un moment important pour nous tous, afin que notre trajectoire de reprise en main soit réellement commune. (M. le rapporteur général de la commission des finances, Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement et aux côtés de Mme la ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, l’état d’avancement de notre plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT).
Ce plan permet d’établir une perspective sur plusieurs années, afin de proposer une trajectoire non seulement progressive et équilibrée, mais aussi soutenue et suivie.
Sur le plan économique, vous le savez, nos prévisions de croissance ont été revues du fait d’un contexte géopolitique que je qualifierai de tourmenté – c’est une litote…
Sur le plan domestique, notre scénario de croissance est relativement proche de celui du projet de loi de finances de janvier 2025. En effet, comme le montrent les dernières enquêtes de conjoncture et la relativement bonne tenue de la consommation des ménages, l’adoption du budget pour 2025 a permis de réduire l’incertitude.
Néanmoins, la dégradation de l’environnement international conduit à revoir à la baisse notre prévision de croissance pour 2025, à 0,7 %, en recul de 0,2 point par rapport à notre scénario révisé du mois de janvier dernier. C’est là une conséquence de la politique tarifaire américaine et, plus généralement, de l’aléa qu’elle provoque.
D’après les tout derniers chiffres, la croissance américaine a été légèrement négative au premier trimestre de 2025. Il s’agit là d’une mauvaise surprise pour les États-Unis.
En France, la croissance s’établit à 0,1 % au premier trimestre, conformément à ce qui était attendu. La bonne nouvelle, c’est que l’acquis de croissance pour 2025 est de 0,4 %, ce qui renforce notre objectif de 0,7 % – nous allons continuer de nous battre pour l’atteindre.
L’incertitude économique affecte évidemment nos entreprises. Elle dégrade non seulement leurs exportations, mais aussi leur niveau d’investissement. Au total, l’environnement international pèserait sur la croissance à hauteur de 0,3 point, contre 0,1 point anticipé en janvier dernier.
Cette incertitude ne peut qu’accroître l’aversion au risque. On observe ainsi, depuis quelque temps, des mouvements significatifs sur les bons du Trésor. L’écart de taux avec notre voisin allemand évolue lui aussi de manière sensible, même si, à cet égard, la situation s’est un peu améliorée ces derniers jours.
Pour ce qui est de nos finances publiques, notre trajectoire de dépenses primaires nettes (DPN) a été amendée par rapport à celle qui a été proposée par la France via le PSMT d’octobre 2024.
Il s’agissait de prendre en compte le changement de la cible de déficit du Gouvernement pour 2025, qui, comme vous le savez, a été portée de 5 % à 5,4 %, et la recommandation émise par le Conseil de l’Union européenne en janvier dernier, laquelle est compatible avec la nouvelle cible de déficit.
Vous le savez sans doute, le nouveau cadre budgétaire européen a introduit un nouvel indicateur, que je viens d’ailleurs d’évoquer : le niveau de croissance de la dépense primaire nette, c’est-à-dire hors coût de portage de la dette. Ce nouvel outil est plus précis que l’indicateur traditionnel du déficit public, lequel est particulièrement sensible aux aléas de la conjoncture.
Ainsi, pour la période 2024-2029, le taux de croissance cumulée de nos dépenses primaires nettes reste identique à celui qui figurait dans le PSMT initial. D’ailleurs, de manière cumulée pour les années 2024 et 2025, la dépense primaire nette croîtrait de 4,2 %, sous le plafond fixé par le Conseil, à savoir 4,6 %. La trajectoire retenue par le nouveau cadre de gouvernance européen est donc bien suivie.
Forts de ce constat, nous réitérons notre engagement : faire passer notre déficit sous la barre des 3 % en 2029, que M. le Premier ministre a très justement appelée, lors de la conférence de finances publiques, « le seuil d’indépendance » de la Nation. Pour satisfaire cet engagement, nous maintenons l’objectif de 4,6 % de déficit en 2026 pris dès l’automne dernier.
Nous agissons en conséquence pour éviter le risque de dépassement des dépenses. Mme la ministre chargée des comptes publics vient de le rappeler, en vous détaillant les 5 milliards d’euros d’économies décidés. Je vous confirme que nous nous sommes d’ores et déjà donné rendez-vous au mois de juin prochain pour un second comité d’alerte. Nous pourrons ainsi vous proposer un autre point d’étape de l’exécution du budget de 2025.
Le 15 avril dernier, lors de sa conférence de presse sur les finances publiques, M. le Premier ministre a confirmé la nouvelle méthode que nous entendons suivre : un dialogue poussé entre le Gouvernement et la représentation nationale – en particulier les commissions des finances des deux assemblées –, les représentants des élus et les partenaires sociaux.
Grâce à cette méthode, nous souhaitons rallier le plus grand nombre d’acteurs à l’exigence de redressement des comptes publics, en identifiant ensemble les moyens d’en poursuivre la bonne réalisation.
Pour notre gouvernement, le retour à un niveau de déficit public soutenable est une priorité non seulement budgétaire, mais aussi politique. Elle est indispensable à notre crédibilité à l’international et constitue la garantie de notre souveraineté : grâce à elle, nous pourrons continuer à libérer l’investissement, donc à encourager les entreprises et l’emploi.
Il va sans dire que Mme la ministre des comptes publics et moi-même allons écouter attentivement les différents orateurs de ce débat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce premier rapport d’avancement annuel a été présenté il y a deux semaines en conseil des ministres et doit être transmis aujourd’hui même à la Commission européenne. Il porte sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme pour les années 2025 à 2029.
Comme ce plan, le rapport dont nous débattons cette après-midi constitue une nouveauté. Il a en effet été créé par le dernier cadre de gouvernance économique de l’Union européenne, entré en vigueur il y a presque un an jour pour jour, le 29 avril 2024.
Lui-même adopté en conseil des ministres le 23 octobre 2024, ce PSMT a fait l’objet, au Sénat, d’un débat en séance publique le 30 octobre suivant. Il a ensuite été validé par le Conseil de l’Union européenne le 21 janvier 2025. Sa trajectoire de dépenses avait toutefois été rectifiée un peu plus tôt dans le mois, pour prendre en compte l’évolution de la cible du déficit pour 2025 opérée entre les gouvernements Barnier et Bayrou. Je précise d’ailleurs que le Sénat n’a pas eu connaissance, à l’époque, du détail de cette révision…
J’en viens à mon analyse du rapport d’avancement à proprement parler, en commençant par la situation économique de notre pays.
Entre la fin de 2019 et la fin de 2024, le PIB de la France a progressé de 1,5 point de moins que celui de la zone euro. On pourrait tenter de se rassurer en constatant qu’il a augmenté de près de 4 points de plus que celui de l’Allemagne. Mais, personnellement, je qualifierai de médiocres les performances économiques de la France depuis six ans.
D’ailleurs, au titre des prévisions de croissance, le Gouvernement revient assez fortement, dans ce rapport d’avancement, sur le scénario du PSMT 2025-2029 présenté à la fin du mois d’octobre dernier.
On espérait à l’origine une croissance de 1,1 %. Or, s’alignant sur les autres prévisions officielles, le Gouvernement réduit sa prévision à 0,7 %. Cette révision à la baisse résulte de la hausse des incertitudes, que le Gouvernement impute essentiellement à l’environnement international.
Je le répète, la prévision de croissance a déjà reculé de 0,4 point par rapport à octobre 2024. Et il n’est pas exclu qu’elle continue à diminuer, en raison notamment d’un certain nombre d’aléas négatifs.
Cette orientation à la baisse se manifeste par le fait que les prévisions les plus récentes sont, dans certains cas, plus pessimistes que celle du Gouvernement. Pour la France, la prévision de croissance du FMI en date du 22 avril dernier est ainsi de 0,6 %, de même que la prévision du consensus des économistes. Quant à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), il a publié, lui aussi au cours de ce mois d’avril, une prévision de 0,5 %.
En résumé, les facteurs de croissance identifiés par le Gouvernement pourraient être légèrement moins porteurs qu’il ne l’envisage. En parallèle, les facteurs de recul seraient peut-être un peu plus marqués – je m’exprime naturellement au conditionnel.
D’après le rapport d’avancement, la croissance serait principalement portée par la consommation des ménages, laquelle augmenterait de 1,2 %.
Hors administrations, alors qu’une progression même très limitée était envisagée en janvier dernier par le Gouvernement, l’investissement poursuivrait sa baisse, malgré l’assouplissement de la politique monétaire engagée par la Banque centrale européenne (BCE) au printemps de 2024.
À en croire le Gouvernement, l’investissement des ménages reculerait de 0,3 point et celui des entreprises de 0,8 point. La demande intérieure privée hors stocks contribuerait ainsi, selon lui, à hauteur de 0,5 point à la croissance du PIB en 2025. Elle afficherait donc un retrait, minime, de 0,1 point par rapport à la prévision gouvernementale de janvier dernier.
En revanche, si l’on suit les prévisions du consensus des économistes ou de l’OFCE, cette demande pourrait contribuer légèrement moins à la croissance. Une telle analyse semble assez cohérente, compte tenu des prévisions du FMI.
Un tel écart peut s’expliquer par la prise en compte, limitée, par le Gouvernement des effets de l’incertitude qui continue de régner à l’échelle nationale. Ainsi, selon l’OFCE, l’incertitude nationale grèverait la croissance de 0,3 point en 2025, contre 0,1 point en 2024.
Conjugués à une incertitude internationale grandissante, la situation politique instable que connaît toujours notre pays et le manque de visibilité quant aux mesures de politique économique et fiscale risquent de renforcer les comportements attentistes des entreprises.
S’y ajoute la dégradation du marché de l’emploi due au ralentissement de l’activité, qui se manifeste par une augmentation du taux de chômage. Celui-ci approche aujourd’hui les 8 %, selon la Banque de France et l’OFCE. Ce facteur peut lui aussi freiner la consommation.
Quant à la consommation publique, elle soutiendrait davantage la croissance qu’il était initialement prévu, du fait d’une consolidation budgétaire moins marquée entre le début de la discussion du budget de 2025 par le gouvernement de Michel Barnier et la cible finalement retenue.
Enfin, selon le Gouvernement, la contribution du commerce extérieur à la croissance serait nulle, alors que, en janvier dernier, il l’estimait à 0,1 point. D’après l’OFCE, le commerce extérieur pourrait même constituer un facteur négatif, à hauteur de 0,1 point de croissance. À cet égard, les perspectives semblent également se resserrer.
Ce recul est une composante de l’assombrissement global du tableau de l’économie mondiale, résultant principalement de la politique commerciale américaine. Et, qu’on le veuille ou non, les effets de cette politique seront globalement négatifs pour l’économie française.
Selon le Gouvernement, l’augmentation des droits de douane engagée par les États-Unis en février 2025, renforcée le 2 avril, mais finalement contenue le 9 avril suivant pour de nombreux pays, dont le nôtre, grèverait la croissance française de 0,3 point en 2025.
Je précise que cette estimation ne se fonde que sur les mesures annoncées jusqu’au 2 avril inclus. Elle est donc, selon toute vraisemblance, légèrement surévaluée.
Au total, les prévisions de croissance contenues dans le rapport d’avancement pour les années à venir sont révisées légèrement à la baisse. À mon sens, ce nouveau scénario est un peu plus réaliste qu’un maintien pur et simple des prévisions initiales du PSMT. Cette moindre croissance rendra assurément plus difficile l’atteinte de la cible de déficit pour 2025.
À présent, je me dois de revenir sur le dérapage majeur constaté en 2023. Je le rappelle, le déficit a alors atteint 5,4 % de PIB. Puis, la dégradation s’est poursuivie, le déficit atteignant 5,8 % en 2024, au lieu des 4,4 % prévus dans la loi de finances pour 2024 et dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) votée à la fin de l’année 2023.
La cible de déficit public était alors de 3,7 % en 2025. Disons-le, un tel objectif est désormais complètement hors d’atteinte ; pourtant, la LPFP n’a été adoptée qu’il y a dix-huit mois…
Je ne le répéterai jamais assez : ces deux années de dégradation qu’ont été 2023 et 2024 ont été absolument terribles pour l’économie française. Ce bilan est inacceptable, car la seule situation économique du pays ou une quelconque crise ne sauraient en aucun cas la justifier. Les comparaisons européennes nous le prouvent.
Il est temps que les responsables politiques de l’époque cessent de clamer l’excellence de leur pilotage des finances ! Monsieur le ministre, les Français ne comprennent pas cette dérobade, qui – je le dis sans ménagement – confine à l’irresponsabilité.
Je rappelle que, pour l’année en cours, le Gouvernement prévoit un déficit public de 5,4 % du PIB, qui représente tout de même 50 milliards d’euros de plus que la cible fixée par la loi de programmation des finances publiques.
Malgré tout, l’ambition d’un retour du déficit à son niveau de 2023 reste atteignable. L’annulation de 2,7 milliards d’euros en crédits de paiement par le décret du 25 avril dernier, ainsi que la mise en réserve complémentaire d’un « montant comparable », qui est évoquée, nous conduisent à le penser.
Enfin, la trajectoire de dépense primaire nette, qui seule nous engage réellement à l’échelle européenne et qui constitue notre trajectoire de correction dans le cadre de la procédure pour déficit excessif, est pour l’instant tenue.
En 2025, l’évolution de cette DPN, dont on prévoit la progression à hauteur de 0,9 %, serait de 0,1 point supérieure à ce que recommande le Conseil, ce qui constitue un écart inférieur au maximum de 0,3 point retenu par les nouvelles règles en vigueur.
Toutefois – cette bonne orientation ne saurait nous le faire oublier –, vigilance et volontarisme doivent demeurer les maîtres mots de l’action publique et, en particulier, de la gestion des finances publiques pour les années à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le rapport d’avancement annuel de cette année est, si l’on peut dire, de meilleur augure que le précédent, même s’il hérite d’une situation financière très dégradée.
Souvenez-vous : l’an dernier, quatre mois seulement après l’adoption de la loi de programmation des finances publiques, le programme de stabilité actait la caducité de ce texte. Et le dérapage de la cible de déficit par rapport à la loi de programmation reste considérable en 2025, à hauteur d’environ 50 milliards d’euros.
Cette année, le document dont nous débattons donne à voir un spectacle différent. La trajectoire de dépense nette, qui nous engage à l’échelle européenne, est tenue. La prévision de déficit pour 2025 est certes moins ambitieuse que dans le programme de stabilité, mais elle ne s’en éloigne pas trop et reste la même que celle qui figure à l’article liminaire de la loi de finances pour 2025.
Cela s’explique probablement davantage par la contrainte, à savoir les nouvelles règles budgétaires européennes, que par la vertu propre de ce gouvernement, même si celle-ci existe sans doute ! (Sourires.) En effet, s’écarter trop franchement de la trajectoire de dépense nette, qui coïncide pour notre pays avec la trajectoire de correction induite par la procédure de déficit excessif, se traduirait par des sanctions.
Pour autant, je ne me réjouis pas trop vite : si le rapport d’avancement annuel pour 2025 est un exercice de suivi du PSMT, il est aussi, d’une certaine manière, un exercice d’actualisation des prévisions pour l’année en cours, puisque nous ne sommes qu’à la fin du premier tiers de celle-ci.
Or la prévision de croissance pour 2025, actuellement de 0,7 %, ne cesse de reculer depuis six mois. Le Sénat est donc en droit de se demander, même si vous êtes resté optimiste, monsieur le ministre, si elle ne reculera pas encore davantage, notamment au gré des décisions et volte-face du président américain.
De fait, le FMI prévoit une croissance de 0,6 % pour la France, et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) envisage 0,5 %. Même si nous ne le souhaitons pas, bien sûr, il est donc à craindre que notre pays ne fasse un peu moins bien que prévu, les recettes étant en retrait par rapport à la prévision et le déficit légèrement plus élevé.
Dans ces conditions, la revalorisation de la prévision de rendement de certains impôts me paraît imprudente. En particulier, la prévision d’impôt sur les sociétés pour 2025 a été revue à la hausse de 2 milliards d’euros en raison de résultats meilleurs qu’attendu en 2024. Selon moi, il n’est pas opportun de prendre un tel risque, alors même que la prévision de rendement de cet impôt est toujours particulièrement incertaine du fait du cinquième acompte.
C’est devenu pour moi un leitmotiv que d’alerter sur les incertitudes qui entourent toujours les prévisions relatives à l’impôt sur les sociétés et qui incitent, de manière générale, à la prudence.
En résumé, je constate que les chiffres du rapport sont dans les clous de ce qui était prévu dans le PSMT, mais qu’il est encore bien trop tôt pour affirmer avec certitude qu’il en sera de même toute l’année.
Je précise que si la trajectoire de dépense nette effective se révélait conforme à celle qui était initialement prévue, cela s’expliquerait pour l’essentiel par les mesures nouvelles en matière de recettes adoptées dans le budget 2025.
Au passage, ce constat validerait la position que je défends depuis longtemps : un redressement des comptes publics ne peut en aucun cas passer uniquement par une diminution de la dépense publique, du moins pour un tel ordre de grandeur ; il doit impérativement s’accompagner d’un volet recettes. Je rappelle que le cumul des mesures relatives aux recettes prises depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président de la République représente une perte annuelle de plus de 60 milliards d’euros…
Les mesures nouvelles dédiées aux recettes du budget 2025 étaient pensées pour être temporaires. C’est là que ce rapport d’avancement, où est indiquée une volonté de réaliser des économies à hauteur de 110 milliards d’euros d’ici à 2029 et où est repris le projet du Gouvernement d’en faire 40 milliards d’euros dès 2026, m’interpelle et me rend sceptique, voire méfiant. Il faut dire que nous avons des raisons de l’être depuis quelques années…
Bien que ce nouveau document n’ait pas la même vocation prospective à moyen terme que les anciens programmes de stabilité, je m’interroge sincèrement sur la capacité de ce gouvernement à tenir, pour l’année prochaine et les années à venir, ses engagements sans toucher aux recettes.
Comment est-il possible de mettre fin à des mesures temporaires induisant des recettes tout en faisant en moins de cinq ans des économies de l’ordre de 110 milliards d’euros ? Peut-être pourrez-vous, madame, monsieur les ministres, éclairer le Sénat sur ce point. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis la réforme du pacte de stabilité de l’année dernière, le rapport d’avancement annuel du plan budgétaire et structurel de moyen terme se substitue aux programmes de stabilité.
Dans le cas des finances sociales, ce rapport constitue un recul important de l’information disponible pour le Parlement. J’ai déjà souligné ce problème pour le PSMT lui-même lors de notre débat du 30 octobre dernier. J’espérais que le présent rapport d’avancement permettrait de corriger cette lacune. Tel n’est malheureusement pas le cas.
En effet, les programmes de stabilité comprenaient dans les annexes un tableau indiquant, pour chaque année jusqu’à la fin de la programmation, la capacité de financement prévisionnelle par sous-secteur, en particulier pour les administrations de sécurité sociale. Ces données n’étaient pas disponibles pour des périmètres plus restreints de la sécurité sociale, mais c’était déjà une base !
Or cette programmation à moyen terme du solde des administrations de sécurité sociale n’existe plus, ni dans le PSMT ni dans le rapport d’avancement annuel.
Certes, comme le souligne le Haut Conseil des finances publiques, le rapport d’avancement annuel « se différencie des anciens programmes de stabilité, en se voulant dans l’esprit du législateur européen, un rapport de suivi du PSMT. En conséquence, il peut ne porter que sur les années passées et en cours ».
Il s’agit toutefois, dans le domaine des finances sociales, d’un recul majeur de l’information du Parlement d’autant plus dommageable qu’il n’existe aucune programmation de ces dernières : la loi de programmation des finances publiques de décembre 2023 est devenue caduque à peine votée et les tableaux pluriannuels annexés aux lois de financement de la sécurité sociale ne sont que des prévisions à droit constant, qui indiquent une aggravation à venir du déficit de la sécurité sociale.
Je souhaite donc, madame, monsieur les ministres, vous poser la question suivante : prévoyez-vous de réintroduire dans les prochains rapports d’avancement la répartition des besoins de financement prévisionnels entre sous-secteurs d’administrations publiques, laquelle figurait dans les programmes de stabilité ?
À défaut, serait-il possible de réintroduire une telle répartition dans un autre document, comme le rapport économique, social et financier annexé aux projets de loi de finances ?
Le rapport d’avancement comprend toutefois quelques informations relatives aux finances sociales pour les prochains exercices, en particulier dans son tableau – soyons précis ! – de la page 56.
Pour la réforme des allégements généraux, il y est mentionné la mise en place prochaine d’un « comité de suivi, placé auprès du Premier ministre ». Cette instance a, en effet, été instaurée par l’article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, sur l’initiative de la commission des affaires sociales du Sénat. Elle doit publier un rapport avant le dépôt de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), du PLFSS pour 2026 au PLFSS pour 2030.
Pouvez-vous, madame, monsieur les ministres, nous indiquer où en est la mise en place de ce comité de suivi ?
Toujours en matière de réforme des allégements généraux, le tableau de la page 56 indique que le Gouvernement ne souhaite pas en rester à la réforme contenue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 et juge nécessaire d’aller plus loin.
Il est précisé : « Le Gouvernement reste déterminé à réaliser une réforme globale des allégements généraux. Tout en garantissant la soutenabilité des comptes des administrations de la sécurité sociale, cette réforme renforcera l’efficacité du dispositif des allégements généraux de cotisations sociales et encouragera également la mobilité salariale et la productivité pour les travailleurs rémunérés autour du Smic ».
Madame, monsieur les ministres, pouvez-vous nous indiquer ce que le Gouvernement a concrètement l’intention de faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc.
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les différents gouvernements suivent un fil directeur depuis la sortie des crises du covid-19 : ils témoignent de constance, pour ne pas dire d’entêtement, dès qu’il s’agit d’afficher un discours musclé, tout en agissant de manière inverse dans les faits !
Ainsi, du gouvernement d’Élisabeth Borne à celui de François Bayrou, il est tout à fait paradoxal d’entendre des propos qui relèvent tous de la doxa fiscale de non-augmentation des impôts et de voir, en pratique, le taux de prélèvement obligatoire augmenter encore !
Ce décalage complique l’efficience de la gestion. En effet, en bloquant idéologiquement tout débat global, même pragmatique, donc les réformes structurelles sur les recettes, vous empêchez dans les faits l’État d’être plus efficace dans son action économique et plus juste en matière d’égalité devant l’impôt. Votre approche, qui consiste à faire à bas bruit le contraire de vos discours, confine en quelque sorte à la schizophrénie.
Finalement, ceux qui ont largement bénéficié de l’aide de l’État pendant le covid-19 n’auront pas à renvoyer l’ascenseur. Ce constat est créateur de tensions dans le pays et le sera de plus en plus au moment où la France s’apprête à rembourser ses emprunts.
Car, oui, il faut les rembourser. Il faut le faire alors même que l’augmentation non maîtrisée des dépenses à la sortie du covid-19 et à la suite de la guerre en Ukraine a haussé considérablement pour la France les taux d’intérêt. Entre 2022 et 2030, la charge de la dette doublera presque, atteignant plus d’un cinquième des recettes de l’État.
Puisque nous avons besoin d’argent, il faut ouvrir un débat transparent et pragmatique sur les recettes. Or rien n’est documenté sérieusement dans le PSMT.
Le Trésor ayant commis, il y a quelques années, une étude sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), nous savons que le rendement de cette dernière baissera d’un tiers entre 2022 et 2030 : par quoi cet argent en moins sera-t-il compensé ? Rien n’est défini. Sera-t-il compensé par la suppression des niches fiscales sur le gasoil professionnel et le gasoil agricole, ou par l’augmentation de la TVA, comme certains le suggèrent ? Nous ne le savons pas.
Pis encore, cette absence de débat et ce refus de réformes structurelles de la fiscalité coïncident avec les problèmes de calculette à Bercy, comme l’ont souligné les précédents orateurs. Cela fait maintenant trois ans que nous vivons la même séquence : d’abord, un budget erroné, puis de nécessaires arbitrages en catimini, quelques semaines seulement après la tenue du débat démocratique sur les finances de notre pays.
En définitive, votre politique est claire : renvoyer les arbitrages budgétaires au seul volet des dépenses. Malgré nos désaccords en la matière – c’est normal en démocratie ! –, nous pourrions nous attendre à des débats portant sur des réformes structurelles en la matière, au moins sur celles qui sont inscrites dans le PSMT. Pourtant, il n’en est rien.
Alors que le budget pour 2026 s’annonce comme la quadrature du cercle, telle sœur Anne, depuis janvier dernier, nous ne voyons rien venir à l’ordre du jour du Parlement. Au contraire, le Gouvernement appuie des deux pieds sur la pédale du statu quo : les séances de travail parlementaire sont réduites au strict minimum et nous sommes saisis de textes sur les processus électoraux ou la sécurité, mais rien n’est proposé en matière de réorganisation du pays.
Si, d’un côté, nous ne voyons rien venir, de l’autre, nous en voyons beaucoup dans les médias : tous les jours, quand nous allumons notre poste de télévision, nous découvrons une idée lancée ici pour sonder le terrain, là pour proposer une modification structurelle. Dans les faits pourtant, nous n’entendons aucune annonce, nous ne voyons aucun texte ni projet.
Autrement dit, nous sommes comme un alpiniste face à l’Himalaya : d’un côté, tout nouvel apport nutritionnel nous est refusé, de l’autre, notre charge est intégralement maintenue. Un tel mode de gestion est curieux, car nous savons d’ores et déjà que cela ne fonctionnera pas… Se pose donc la question de la sincérité budgétaire.
De facto, nous voyons mise en œuvre la technique du rabot : rabot des niches fiscales, des dépenses… C’est la solution la plus terrible ! En effet, en rabotant, les choix vont au plus facile : les budgets d’investissement deviennent la cible. France 2030, transition écologique, recherche et enseignement supérieur, aide au développement… Voilà votre façon de préparer l’avenir : supprimer les dépenses d’investissement. Vous rabotez budget après budget tout ce qui pourrait nous aider à relever les défis à venir.
Pis encore, vous empêchez la France d’être au rendez-vous de son défi budgétaire : la procrastination aboutit à renvoyer à d’autres les arbitrages, qui seront forcément plus douloureux demain. Est-ce responsable ? Nous ne le pensons pas.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Grégory Blanc. Non seulement vous ne parviendrez pas, avec ce mode de gestion fonctionnant par non-choix, à boucler le budget, mais encore vous créez les conditions de l’instabilité politique. C’est le principal problème à nos yeux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain aborde l’examen du rapport d’avancement annuel du PSMT 2025-2029 avec une double exigence : il faut, d’une part, être lucide face aux déséquilibres budgétaires, et, d’autre part, faire preuve de conviction, car les choix budgétaires doivent impérativement servir la justice sociale et la transition écologique.
En effet, derrière les chiffres du déficit, ce sont des défis concrets qui se jouent : la qualité de nos services publics, le pouvoir d’achat des Françaises et des Français et notre capacité collective à relever les grands défis du siècle.
Commençons par dresser un constat. Les chiffres sont sévères : le déficit est de 5,8 % du PIB en 2024, bien au-delà des prévisions ; la dette publique dépasse allègrement les 110 % ; les prévisions de croissance sont systématiquement revues à la baisse. La Cour des comptes parle d’une « dérive inédite » et d’une « année noire » pour 2024. Force est de constater que cette perte de contrôle budgétaire illustre une forme d’improvisation permanente, incompatible avec la nécessité d’une stratégie claire et de long terme.
Face à ce constat alarmant, le Gouvernement nous présente aujourd’hui une trajectoire corrigée pour les années à venir. Désormais, l’objectif est de ramener le déficit public à 4,6 % du PIB en 2026, puis, progressivement, à 4,1 % en 2027 et à 3,4 % en 2028, et de maintenir le cap des 2,8 % en 2029. Inutile de rappeler que cette trajectoire s’écarte largement de la loi de programmation des finances publiques, aujourd’hui en grande partie obsolète.
La charge de la dette, quant à elle, est estimée à 53 milliards d’euros en 2025, mais sa trajectoire reste indécise. La volatilité des taux d’intérêt, nourrie par les incertitudes internationales, ouvre un champ des possibles instable et potentiellement dangereux. Dans ces conditions, l’inversion du ratio dette/PIB annoncée pour 2028 nous paraît, là encore, très aléatoire.
S’agissant des hypothèses de croissance, reconnaissons qu’elles sont plus réalistes que celles des précédents gouvernements, qui frôlaient l’aveuglement avant de se heurter au mur de la réalité.
Le Gouvernement table désormais sur 0,7 % pour 2025, entre 1,2 % et 1,4 % les années suivantes. Selon le Haut Conseil des finances publiques, la prévision de croissance est « légèrement supérieure à celle du consensus des économistes », mais les premières leçons ont été tirées des erreurs passées.
Personnellement, je regrette toutefois que le Gouvernement table de nouveau sur une fourchette haute, malgré l’accumulation des risques. En effet, il faut rester lucide : ni la conjoncture internationale, ni le poids croissant du dérèglement climatique sur notre économie, ni les tendances démographiques actuelles ne justifient un optimisme excessif. « Quoi qu’il arrive », la prudence devrait rester de mise, car, si nous savons toujours quoi faire des bonnes surprises, nous avons bien plus de mal à gérer les mauvaises.
Sur les économies annoncées, à savoir 40 milliards d’euros d’ici à 2026, le flou reste trop important. Les mesures concrètes font cruellement défaut et les tableaux de suivi restent désespérément vides. En réalité, nous sommes invités à débattre d’une trajectoire dont les fondements restent à établir.
Pis encore, les rares mesures identifiées frappent toujours les mêmes : réforme de l’assurance chômage, de l’assurance maladie et des retraites… Autant de reculs sociaux que le Gouvernement, avec cynisme, préfère présenter sous le label « soutien à l’emploi » !
Aucun chiffrage précis des économies attendues n’est d’ailleurs avancé, ce qui nuit gravement à la transparence de ce rapport d’avancement et empêche toute évaluation sérieuse de la trajectoire présentée.
Plus fondamentalement, le Gouvernement ne prend pas la mesure de la gravité de la crise budgétaire qu’il a lui-même provoquée. Il persiste à écarter toute réponse sérieuse, qu’il s’agisse de remettre en cause les dépenses fiscales inefficaces ou de faire davantage contribuer les grandes entreprises et les ultrariches, sur le modèle de la taxe Zucman. Une fois encore, il préfère reporter l’effort sur celles et ceux qui sont déjà durement touchés par les reculs sociaux.
Ce document est une démonstration supplémentaire de la poursuite de la politique conduite depuis sept ans : un « ni-ni » qui se veut équilibré, mais qui, en réalité, défend les intérêts des plus puissants, tout en exigeant toujours plus de ceux qui supportent déjà l’essentiel du fardeau.
La question du partage de l’effort budgétaire entre les ménages et les entreprises reste également en suspens. L’évolution du taux de prélèvements obligatoires, à savoir une hausse sur les revenus des ménages et une stagnation pour les entreprises, soulève de sérieuses interrogations quant à l’équité de notre système fiscal et à son efficacité pour soutenir la demande intérieure, moteur pourtant essentiel de notre croissance.
Plus généralement, il est permis de douter de l’efficacité d’une politique de l’offre qui, malgré un endettement record, ne semble pas avoir restauré la confiance des investisseurs dans notre économie. Nous pouvons également regretter l’absence de détails concernant les niches fiscales visées par le Gouvernement.
Par ailleurs, plusieurs pages sont consacrées dans le rapport d’avancement à une analyse par sous-secteurs des administrations publiques. On y lit que les collectivités territoriales seraient responsables d’une large part du dérapage. C’est une lecture partielle, voire erronée. En réalité, comme nous le savons dans cet hémicycle, cette situation résulte principalement de l’accélération des investissements locaux en amont des municipales, accélération récurrente et nécessaire à ce moment du cycle électoral.
Ces dépenses sont non pas des dérives, mais bien des investissements d’avenir : équipements publics, transition énergétique, services de proximité. Les collectivités jouent leur rôle essentiel d’aménageurs du territoire et de rempart social.
Aussi, je l’affirme clairement : il est temps d’arrêter d’opposer l’État et les collectivités. Madame la ministre, le redressement durable des comptes passera par une mobilisation conjointe et un respect de l’autonomie locale.
Je consacrerai la dernière partie de mon intervention à une question essentielle : les marges de manœuvre dont l’État doit impérativement disposer pour réussir la transition écologique et la réindustrialisation du pays.
Il est pour le moins préoccupant de constater que la priorité affichée en faveur de la réindustrialisation peine à se traduire en actes. L’annonce récente par ArcelorMittal de la suppression de centaines de postes en France en est une illustration éclatante, juste après l’abandon de Vencorex : nous assistons à la poursuite de la désindustrialisation. La fragilité de notre appareil productif traduit un manque d’ambition en matière d’investissements.
De même, concernant la transition écologique, aucune indication n’est donnée sur la trajectoire des investissements à réaliser dans les années à venir. Pourtant, s’il existe une dette irréversible, c’est bien la dette écologique. Madame la ministre, chaque investissement retardé, chaque engagement repoussé nous rapproche inexorablement du point de non-retour.
En conclusion, j’ajouterai que ce rapport d’avancement révèle l’échec d’une politique budgétaire qui accumule les paradoxes : elle creuse la dette sans relancer l’investissement et elle aggrave les inégalités sans redresser les comptes. L’analyse du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est sans appel : cette spirale négative ne sera brisée que par un changement de cap.
De fait, le nécessaire redressement de nos finances publiques ne peut se faire au détriment des investissements. Nous devons donc oser investir massivement dans notre appareil productif, notre formation professionnelle, notre défense et les transitions écologique et numérique. En effet, c’est précisément l’absence d’investissements qui condamne notre économie à la stagnation et nos finances publiques au déficit chronique.
Cette relance exige une réforme fiscale courageuse, mettant fin aux rentes qui privent l’État de ressources nécessaires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme pour les années 2025 à 2029 est un document technique, qui pourrait s’intituler Un Déficit public trop élevé, mais une trajectoire de dépense nette tenue. La commission des finances l’a examiné ce matin. À ce titre, je salue le travail de M. le rapporteur général et de l’ensemble des services de la commission.
Le Gouvernement soumettra un tel dossier à Bruxelles pour montrer aux institutions européennes que, même si la France ne respecte pas les règles budgétaires que les États membres ont fixées en commun, elle fait preuve de bonne volonté et se met en action. Tous les sénateurs connaissent les règles européennes : le déficit public annuel ne doit pas dépasser les 3 % du PIB, tandis que la dette publique doit rester inférieure à 60 % du PIB.
En 2024, le déficit français fut de 5,8 % et notre dette représentait 113 % du PIB. C’est dire si le chemin à parcourir est long !
Mes chers collègues, le respect des engagements auxquels notre pays est soumis nous paraît un rêve inatteignable ; il fait penser à la tâche de Sisyphe, qui roule un rocher au sommet d’une montagne, d’où celui-ci finit toujours par retomber.
Pourtant, si l’on compare le déficit français et notre dette à ceux de nos amis européens, qui sont soumis aux mêmes règles, on constate immédiatement qu’une grande partie des pays parvient à respecter leurs engagements budgétaires. Pour ne prendre que cet exemple, seize des vingt-sept États membres de l’Union européenne ont eu en 2023 des déficits inférieurs à 3 % du PIB. Mieux encore, quatre ont affiché un excédent public.
Rappelons-nous, mes chers collègues, de la crise financière de 2008, puis de la crise des dettes souveraines. À l’époque, des détracteurs anglo-saxons avaient accusé quelques pays européens d’être en grande partie responsables de la crise continentale par leur manque de sérieux budgétaire. Il s’agissait du Portugal, de l’Italie, de l’Irlande, de la Grèce et de l’Espagne. À l’époque, les commentateurs mal intentionnés les appelaient les « Piigs »…
Laissez-moi donc vous parler, près de vingt ans plus tard, de la situation budgétaire de ces pays.
Le Portugal a été en 2024 en excédent budgétaire pour la deuxième année consécutive, et les analystes projettent que l’année 2025 finira de la même manière.
L’Irlande a eu un excédent de 23 milliards d’euros, soit 4,7 % de son PIB en 2024, après une année 2023 au cours de laquelle elle a déjà dégagé 10 milliards d’euros.
Comme la France, l’Italie ne respecte pas les traités, mais elle peut s’appuyer sur une balance commerciale que notre pays lui envie.
Après des années particulièrement compliquées, la Grèce et l’Espagne respectent désormais les traités en ayant des déficits inférieurs à 3 %.
Qu’ont fait ces pays pour changer la donne ? Rien que nous ne puissions faire : des réformes économiques, un allégement du poids de l’État et une baisse des prélèvements pesant sur le tissu entrepreneurial. Mes chers collègues, il n’y a aucune fatalité en matière de gestion budgétaire : celui qui est le mauvais élève aujourd’hui pourra montrer le bon exemple demain !
Le Sénat a donc étudié avec attention ce rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme. Le lecteur y apprend, parmi de nombreuses informations, que le Gouvernement a engagé cet automne, avec l’aide des sénateurs, des mesures de redressement budgétaire à hauteur de 50 milliards d’euros, afin de ramener le déficit à 5,4 % en 2025, après une année 2024 au cours de laquelle le pays a connu un déficit à 5,8 %.
La nécessaire baisse de nos dépenses publiques est désormais une évidence pour tout le monde, et les Français soutiennent les élus en ce sens. Les économies engagées en 2025 sont un bon début, mais il ne faudra pas s’arrêter là. Le chemin à parcourir sera dur et long, mes chers collègues, mais il nous faut avancer pas à pas, sans jamais faire demi-tour. Comme vous l’avez rappelé, madame, monsieur les ministres, c’est à ce prix que la France pourra, à son tour, rentrer dans les clous, faire preuve de bonne gestion budgétaire et respecter ses engagements envers ses partenaires européens.
Enfin, baisser les dépenses, particulièrement celles de fonctionnement – vous l’avez rappelé, madame la ministre – et certains budgets fondamentaux comme ceux de la sécurité sociale et de l’État, revient, bien au-delà du simple respect des engagements budgétaires, à rendre à notre pays des marges de manœuvre, qui permettront d’agir là où l’action est nécessaire, quand elle nécessaire.
Je pense au remboursement d’une dette qui atteint 113 % de notre PIB et au financement de mesures essentielles en faveur de l’éducation nationale, du réarmement, de la sécurité, de la santé et de la transition écologique, sans oublier le soutien en direction des collectivités territoriales. Ces missions sont fondamentales. Tel est le point de vue du groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la réforme du pacte de stabilité et de croissance prévoit la réalisation par les États membres d’un plan budgétaire et structurel à moyen terme pour la période 2025-2029. Le respect de la trajectoire prévue par ce dernier suppose la production d’un rapport d’avancement annuel, objet de notre débat du jour, publié en 2025 pour la première fois et qui détaille les prévisions financières et les réformes envisagées pour garantir le respect de la trajectoire globale du PSMT.
Étant concernée par une procédure de déficit excessif, la France doit veiller au respect de la trajectoire définie dans son PSMT.
La réduction du déficit public de 5,8 % du PIB en 2024 à 5,4 % en 2025 lui permet de garantir un tel respect, mais sur une nouvelle échelle. Surtout, la trajectoire présentée jusqu’en 2029 – nous devons en prendre acte – permet à notre pays de se conformer au critère d’évolution de la dépense publique qui l’engage sur les dépenses à venir, en année seule comme en cumul d’exercices.
Pourtant, la situation de la France reste très préoccupante, bien loin de ce qu’exige la loi de programmation pluriannuelle. La trajectoire du PSMT suppose désormais un effort d’ajustement des finances publiques de 110 milliards d’euros à l’horizon de 2029, contre 50 milliards d’euros seulement en 2022. Le dérapage du déficit public en 2023 et en 2024, années noires s’il en est, a en effet conduit à plus que doubler l’effort d’ajustement nécessaire pour ramener le déficit sous les 3 %.
Principale inquiétude : la dette. Le ratio d’endettement dépasserait, si la tendance actuelle se prolongeait, 125 % du PIB en 2029 et s’approcherait du seuil de 130 % du PIB dès 2031. En particulier, la charge de la dette augmenterait continuellement, pour atteindre 3,4 % du PIB en 2029, soit 112 milliards d’euros, c’est-à-dire l’équivalent des budgets cumulés de l’éducation nationale et de la défense.
Il est donc nécessaire de respecter la trajectoire actuelle et d’engager l’effort de redressement à hauteur de 110 milliards d’euros d’ici à 2029 : tout retard supplémentaire rendrait les ajustements indispensables plus importants et plus difficiles encore. L’année 2025 est donc déterminante pour, enfin, amorcer une trajectoire sérieuse de redressement des finances publiques après deux faux départs en 2023 et en 2024, car nous subirons une austérité imposée si nous ne parvenons pas à trouver des solutions par nous-mêmes.
Il est en effet urgent de restaurer la crédibilité des engagements de la France en matière de finances publiques, afin d’éviter une hausse incontrôlée de la charge de la dette – celle-ci atteint déjà près de 59 milliards d’euros et augmente sous l’effet de son propre poids – et de résorber la divergence avec nos partenaires européens. Cela a été dit, la France reste, hélas ! le cancre de l’Europe.
Alors que l’année 2025 doit être celle de la préparation de réformes de structure et d’un budget ambitieux pour 2026, afin de garantir le respect de la trajectoire du PSMT, les réformes présentées par le Gouvernement apparaissent insuffisantes et bien limitées, étant entendu que les efforts budgétaires prévus pour 2025 ne sauraient être reconduits.
La hausse des prélèvements obligatoires, telle qu’elle est mise en œuvre, repose principalement, en effet, sur des mesures temporaires, parfois circonscrites au seul exercice 2025, et pèse fortement sur les contribuables. Quant aux réductions de dépenses réalisées, elles s’appuient majoritairement sur des coups de rabot, dont la reconduction pour les prochains exercices n’est ni garantie ni, surtout, souhaitable. Ces coups de rabot affectent les dépenses sans en renforcer l’efficience et surtout sans cibler les crédits improductifs.
Voilà qui nécessite de poser la question de la répartition des efforts : l’assainissement des finances publiques ne saurait peser sur le potentiel de croissance à moyen terme via des hausses de prélèvements obligatoires disproportionnées ou des réductions de dépenses défavorables à l’activité économique.
Or les réformes que propose le Gouvernement, dans le rapport d’avancement annuel, en gage de crédibilisation du respect de la trajectoire du PSMT apparaissent insuffisamment documentées et peu à même de garantir une consolidation à hauteur de 110 milliards d’euros. La volonté politique semble encore, hélas ! bien absente, dans un océan d’incertitudes qui nous submerge, certes, mais auquel ne répond qu’une impuissance coupable, que nos concitoyens ne comprennent plus.
Vous vous contentez en effet de proposer pour 2026 une nouvelle méthode de revue des dépenses et un examen plus approfondi des niches fiscales. Soit. Toutefois, ces exercices ont déjà été menés au cours des années récentes, avec des résultats en demi-teinte. À défaut de choix politiques clairs et ambitieux, ces propositions ne sauraient produire d’effets significatifs à l’échelle budgétaire.
De même, les propositions de réforme que vous présentez dans le rapport apparaissent très vagues, sans chiffrage ni étude d’impact financier, et peu à même de crédibiliser la démarche budgétaire générale.
L’urgence est donc aux réformes structurelles, particulièrement en matière de régulation des dépenses sociales, lesquelles pèsent plus qu’ailleurs en Europe sur nos finances publiques, et de refonte des relations financières entre l’État et les collectivités – mais il faut agir, cette fois, sans spolier ces dernières, tant la dépense locale reste la seule garante du service public et d’investissements pour l’avenir.
L’absence d’évocation au sein du rapport d’une réelle réforme de l’État et de notre système social nous conduit à nous interroger sur votre volonté politique comme sur votre capacité à respecter la trajectoire nécessaire du PSMT. Faire des choix ou subir, voilà l’alternative à laquelle nous sommes collectivement confrontés ; nous souhaitons y faire face avec justice et courage.
Ces débats nous épuisent, comme ils épuisent nos concitoyens. Aujourd’hui, l’heure des choix est venue : le temps n’est plus à la pédagogie, les enjeux étant désormais bien perçus par chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.
M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le rapport d’avancement relatif à notre trajectoire budgétaire confirme l’engagement déterminé du Gouvernement pour restaurer nos finances publiques, malgré un contexte économique international incertain. Après avoir atteint 5,8 % du PIB en 2024, le déficit est en voie d’être réduit à 5,4 % cette année, grâce à un effort majeur de maîtrise des dépenses de l’État et des collectivités.
À moyen terme, l’objectif est clair : ramener le déficit public à 4,6 % du PIB en 2026, puis sous la barre des 3 % d’ici à 2029, conformément aux ambitions du plan budgétaire et structurel. La trajectoire présentée dans ce rapport permet de respecter l’évolution de la dépense primaire nette recommandée par le Conseil européen, un engagement crucial pris par la France jusqu’en 2029.
Je tiens d’ailleurs à saluer la rigueur du Gouvernement, qui parvient à maintenir la croissance de cette dépense à 0,9 %, et cela malgré les incertitudes économiques mondiales – hausse des droits de douane, tensions internationales et financières. Si le déficit n’est pas encore une espèce protégée, il est désormais traité avec prudence et méthode.
Cependant, nous devons veiller à ce que cet effort collectif bénéficie à tous nos territoires. Le souci d’équité territoriale doit continuer de guider notre action. Les ajustements nécessaires ne doivent pas aggraver les fragilités existantes, notamment dans les territoires ultramarins et ruraux, qui connaissent des réalités économiques et sociales particulières. Le Gouvernement a déjà montré sa vigilance sur ce point, mais nous devons poursuivre et amplifier cette dynamique.
À cet égard, je salue les efforts déjà réalisés pour associer les territoires à la mise en œuvre des politiques publiques et je forme le vœu que cette démarche de coconstruction soit amplifiée. La réussite du redressement passe par l’adaptation permanente aux réalités locales, par l’écoute de nos élus de terrain et par l’accompagnement différencié de nos concitoyens.
En tant que médecin, je suis particulièrement attentif aux réformes entreprises pour ce qui est de notre système de santé. Les mesures contre les déserts médicaux, la lutte contre la pénurie de soignants et les investissements dans les établissements médico-sociaux sont absolument essentiels. L’usage renforcé de l’intelligence artificielle pour améliorer la pertinence des prescriptions ou encore le suivi des patients atteints d’une affection de longue durée sans médecin traitant va dans le bon sens.
Toutefois, veillons à ce que ces réformes soient concrètes et adaptées aux réalités locales, car un système de santé performant, c’est d’abord un système proche des patients, humain et réactif partout sur le territoire.
De la même manière, la prise en compte des spécificités locales dans les politiques de transition écologique, notamment pour les territoires ultramarins, illustre une approche pragmatique et juste de la transformation de notre modèle économique. Il s’agit de construire une écologie de solutions, respectueuse des contraintes et des atouts de chaque territoire.
Il conviendra néanmoins de renforcer cette logique dans les politiques de soutien à l’emploi. Dans les territoires où le chômage structurel reste élevé, des dispositifs adaptés doivent continuer d’être développés, pour éviter tout effet d’éviction et garantir que l’effort national en faveur de l’emploi profite pleinement aux plus fragiles. Le travail doit demeurer un puissant levier d’émancipation et de cohésion sociale.
J’invite donc le Gouvernement à prolonger avec la même exigence et le même esprit d’ouverture l’association des territoires à l’évaluation et à l’ajustement de ces politiques publiques, car les succès de demain s’écriront dans la coconstruction et dans l’adaptation permanente aux réalités de terrain.
Le groupe RDPI apporte donc son plein soutien à cette trajectoire responsable et ambitieuse et continuera d’être un partenaire exigeant et engagé pour en assurer le succès au service de tous les Français.
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce rapport sur la trajectoire de nos finances publiques dresse un état des lieux sans complaisance. Tant mieux, car la lucidité est évidemment le premier pas sur le chemin de la solution !
Oui, les défis auxquels notre pays doit faire face sont immenses, vous le savez. Mais la lucidité ne suffit pas : nous attendons désormais une volonté politique.
Sortir la France de la stagnation économique et du surendettement, oui, c’est impératif. Mais sortir les Français de l’espèce de désespérance financière et de l’anxiété qui les plombent au quotidien, voilà ce que l’on attend aussi de la volonté politique.
La voie de l’austérité, celle du serrage de vis budgétaire, celle des mauvaises nouvelles et des horizons tristes, ne saurait suffire. Le groupe du RDSE partage donc l’objectif d’assainissement de nos finances publiques, mais nous refusons tout fatalisme budgétaire qui s’appuierait sur des projections technocratiques pour figer l’action, et cela pour plusieurs raisons.
Première raison, les projections sont bourrées d’incertitudes. On l’a vu avec les estimations de recettes pour l’exercice 2024. Aujourd’hui, l’environnement international aggrave considérablement le risque d’erreur. Mais, voilà six mois déjà, à cette tribune, je m’inquiétais des hypothèses de croissance au regard des remontées du terrain. Et voilà que, de +1,1 %, on est aujourd’hui à +0,7 %…
L’exécutif est tenu par ses prévisions de croissance et fait le choix du repli par crainte légitime de sortir des clous budgétaires, comme on vient de le voir avec l’annulation par décret de plus de 3 milliards d’euros de crédits. Cette annulation concerne des missions aussi essentielles que la recherche, l’économie, l’agriculture ou, comme toujours, l’aide au développement.
Cette navigation à vue, toujours moins-disante, produit des économies non pérennes, sans stratégie d’ensemble, et nous prive des réformes structurelles nécessaires. Il est vrai que l’on annonce 3 milliards d’euros d’économies par la suppression ou la fusion d’un tiers des agences de l’État. Le groupe du RDSE se réjouit d’avoir eu raison trop tôt, il y a dix ans, lorsque Jacques Mézard publiait son rapport sur les autorités administratives indépendantes… Mais, là encore, il nous semble que la prudence est de rigueur pour ce qui est des économies attendues.
La deuxième raison pour laquelle nous refusons le fatalisme budgétaire, c’est qu’il en appelle aux efforts de tous, mais qu’il ne se traduit pas toujours par des mesures de justice fiscale. On vient de le voir avec l’exemple édifiant de la taxation des dividendes : Bercy contourne allègrement la volonté du législateur pour laisser perdurer une pratique frauduleuse.
S’agissant du redressement de nos comptes publics, on ne saurait renoncer ni à actionner le levier des recettes ni à répondre à la demande de justice fiscale que la classe moyenne française nous implore de satisfaire. La situation budgétaire est directement liée à des baisses de fiscalité ; il n’y a pas d’autre solution que de revenir en partie sur ces décisions.
Enfin, si nous refusons le fatalisme budgétaire, c’est aussi parce que la méthode du rabot qui l’accompagne présente un risque récessif pour l’économie et ne prépare absolument pas l’avenir – financer la mutation énergétique et industrielle, investir dans l’innovation et la recherche pour retrouver de la compétitivité et assurer notre sécurité.
Au fond, ce que dit ce rapport est aussi instructif que ce qu’il ne dit pas.
Il ne dit pas comment mobiliser le levier des recettes ; celui-ci est pourtant indispensable à la préservation de notre modèle social républicain, qui a évidemment besoin de plus d’efficience, mais dont la force est indiscutable, de même que l’attachement que lui vouent les Français. Ce modèle a un coût, qu’il nous faut assumer collectivement.
Ce rapport ne dit pas comment la France va garder demain une capacité de réaction et d’ambition. Or c’est là toute la question : se contenter de gérer la pénurie prépare le déclin. Prenons exemple, à cet égard, sur certains de nos voisins européens.
Ce rapport ne dit pas non plus ce que sont les réformes structurelles qui, seules, peuvent rendre la dette soutenable à partir de 2030. La charge de la dette va augmenter jusqu’en 2028. Sa soutenabilité repose sur l’hypothèse que le plateau historiquement haut où elle se trouve sera suivi d’une décrue prolongée au-delà de 2030, pendant au moins dix ans. Je le dis très tranquillement : cette décrue n’aura pas lieu sans une réforme profonde menée dans les trois années qui viennent.
Voilà en quelques mots ce que nous inspire la lecture de ce rapport : réformons, travaillons et investissons. L’avenir nous appartient. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous connaissons le paradoxe consistant à examiner un rapport annuel d’avancement du plan budgétaire et structurel à moyen terme alors même que ce document relatif à nos comptes publics a été préparé il y a six mois seulement et que la Commission européenne ne l’a validé qu’il y a trois mois.
Reste que les membres du groupe Union Centriste sont particulièrement préoccupés par l’état des finances publiques. Nous sommes en effet échaudés par la situation que nous avons connue l’année dernière, en 2024, en matière de comptes publics. En 2023 avait été votée une loi de finances initiale où était inscrite une prévision de déficit public pour 2024 à 4,4 % du PIB. Or, vous le savez tous, le déficit fut en définitive de 5,8 % du PIB.
Voilà qui appelle de notre part une extrême vigilance ; c’est ce qui justifie que nous soyons en ce moment même en train de débattre de la situation financière de notre pays.
C’est vrai, la situation est préoccupante. Le déficit annoncé ne correspond pas aux épures qui avaient été posées lorsque nous discutions de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
Il était prévu, je vous le rappelle, que le solde structurel des administrations publiques s’établisse à –3,3 % du PIB en 2025. Et, y compris dans la version initiale du plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029, la prévision de solde public s’établissait à un autre niveau que celui à partir duquel nous commençons l’année. C’est dire l’enjeu qui est devant nous : il est crucial que nous puissions apporter à ce problème des réponses appropriées.
J’y insiste, madame, monsieur les ministres, les défis qui se présentent à nous sont extrêmement importants : la transition écologique, que nous appelons de nos vœux, est absolument impérative ; il est nécessaire également d’assurer notre sécurité, ce qui demandera des moyens ; quant à la situation particulièrement préoccupante de l’endettement public, les orateurs qui m’ont précédé l’ont déjà décrite.
Le Premier président de la Cour des comptes nous le rappelait ce matin, l’encours total de la dette de l’État atteint 2 602 milliards d’euros, dont une partie sera à renégocier dans les années qui viennent, ce renouvellement promettant d’avoir un impact extrêmement significatif sur notre capacité à agir demain pour mener des politiques publiques qui sont nécessaires, comme je viens de le dire.
L’effort à consentir demandera donc du courage, madame, monsieur les ministres, car il s’agit de réduire une dépense publique dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est particulièrement élevée, ce que démontrent les comparaisons avec nos voisins européens. Le journal Les Échos, il y a trois jours, nous donnait le bonnet d’âne des pays de la zone euro : c’est dire l’effort qu’il faudra accomplir et le courage qu’il faudra avoir pour proposer des réformes structurelles, qui sont nécessaires, mais auxquelles le contexte politique n’est sans doute pas des plus favorables.
Reste qu’il va falloir agir dans le sens que j’ai indiqué. Et vous pouvez compter sur les membres du groupe Union Centriste pour appuyer un certain nombre de propositions à cet égard – Vincent Delahaye y reviendra tout à l’heure.
De manière générale, nous croyons beaucoup – c’est vrai, monsieur le rapporteur général – à la nécessité de favoriser l’entrepreneuriat et l’activité économique dans notre pays. Ceux-ci sont clairement entravés par des contraintes administratives de toute nature. Et la clé de la réponse aux besoins de financement qui sont les nôtres est en partie à trouver dans le retour d’une croissance génératrice de ressources – car nous ne partageons pas l’idée selon laquelle il faudrait augmenter les impôts.
Or cette croissance est possible : il y a de la volonté dans notre pays et des acteurs prêts à agir, mais aussi des entraves administratives, qu’il convient de lever. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Barros.
M. Pierre Barros. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du plan budgétaire et structurel de moyen terme et de son actualisation, en examinant le rapport d’avancement annuel adressé à notre commission des finances.
Nous ne sommes pas là pour remettre en cause dans leur technicité les documents qui nous ont été transmis. C’est l’esprit ayant présidé à la conception de ce rapport qui nous préoccupe fortement. À chaque ligne, en effet, nous découvrons un renoncement de plus : c’est l’abandon de toute ambition économique, sociale et démocratique qui est consacré. Vous avez fait vos choix ; les faits sont là.
Depuis 2017, nous assistons à une baisse tendancielle des recettes publiques : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, flat tax, baisse de l’impôt sur les sociétés, plafonnement de la fiscalité sur les dividendes.
S’y ajoute un stock d’aides directes, de niches fiscales et d’exonérations sociales au bénéfice des entreprises qui oscille entre 180 milliards et 250 milliards d’euros par an, selon la Cour des comptes. Cette instance, du reste, confirme également que la moitié du déficit public provient bien de la baisse des prélèvements obligatoires.
Nous sommes face à un continent budgétaire où se mêlent l’injuste, l’inefficace et l’injustifiable ! Pourtant, vous ne revenez pas sur ces décisions : vous prétendez rétablir les comptes sans jamais toucher à ce gisement. Votre choix, ce n’est pas celui d’une politique d’équilibre : c’est celui d’une politique de classe.
L’ajustement budgétaire que vous projetez atteint 110 milliards d’euros d’ici à 2029. En 2026, il faudra trouver 40 milliards d’euros. Et vous les chercherez, une fois encore, dans les services publics, dans les dépenses sociales et au détriment des collectivités.
C’est ainsi que vous avez annoncé le week-end dernier, sans prendre le soin d’en débattre réellement avec le Parlement, l’annulation de 3,1 milliards d’euros de crédits qui étaient alloués aux collectivités. Les aides à l’investissement, telles que le fonds vert et la dotation politique de la ville, sont les plus affectées. Et que dire de la suppression de politiques publiques et de la fusion d’agences de l’État que vous annoncez dans la presse pour fin décembre 2025 ?
Tout cela se fait sans toucher ni aux rentes ni aux superprofits, et sans regarder du côté de l’organisation de notre administration, centrale comme déconcentrée. Ce n’est pas l’État qui ajuste ou qui s’ajuste : c’est la société qui trinque. Le capital, lui, reste intouché et intouchable.
La vérité, c’est que la dette est vendue comme une menace permanente pour imposer l’austérité comme seul horizon, alors qu’elle devrait susciter une réflexion collective et structurelle sur les dépenses d’investissement, mais aussi de fonctionnement.
C’est incompréhensible pour les Françaises et les Français. On leur explique que les caisses de l’État sont vides, qu’ils doivent travailler plus, qu’ils doivent réaliser des efforts. Et voilà qu’ils découvrent, stupéfaits, que l’on compte activer la clause de sauvegarde pour financer l’effort militaire.
Mes chers collègues, une question me taraude : pourquoi cette clause ne pourrait-elle être activée pour la bifurcation écologique, pour la réindustrialisation et pour la justice sociale ? Ces sujets ne sont-ils pas tous essentiels pour notre avenir et pour celui de nos enfants ? L’Histoire nous a en effet enseigné qu’un pays ne tient pas durablement dans le déséquilibre des efforts demandés.
Dans un contexte économique des plus difficiles et des plus inédits pour la plupart des Français, vous annoncez de nouvelles coupes pour l’éducation, le logement social ou les mobilités du quotidien, tout en envisageant une hausse de la TVA, un gel du point d’indice ou encore un affaiblissement de la solidarité locale. Couper dans la santé, couper dans les retraites, c’est transférer des dépenses socialisées vers des dépenses privées et cette orientation remet profondément en cause notre modèle social de couverture universelle pour toutes et tous.
Tout cela est-il bien sérieux ? Tout cela est-il bien raisonnable ? Tout cela est-il bien responsable ?
Vous jetez de l’huile sur un brasier social déjà incandescent en créant la pénurie : pénurie d’enseignants, pénurie de logements, pénurie de soins, pénurie de temps et de sens pour les agents publics. Dans le même temps, vous confortez les dividendes. Le patrimoine des plus grandes fortunes a été multiplié par cinq depuis 2009 et 100 milliards d’euros ont été distribués aux actionnaires du CAC 40 en 2024.
C’est la fracture de la France que vous organisez. Vous ne faites d’ailleurs pas que l’organiser : vous confortez cette fracture sociale, en faisant fi chaque année de l’avis des Français via le refus d’un vote démocratique de votre budget par le Parlement.
Mes chers collègues, une autre voie existe évidemment : celle de la réorientation budgétaire fondée sur la justice fiscale ; celle d’un État stratège se préoccupant davantage des conditions de la mise en œuvre des politiques publiques ; celle de l’investissement massif dans la transition écologique, dans la santé, dans les savoirs ; celle de la coopération industrielle, du partage technologique et de la bifurcation productive.
Bref, nous avons besoin d’une politique du futur là où vous persistez à administrer le passé. Nous ne souscrivons donc pas à ce plan. Nous ne l’amenderons pas : nous le refusons dans son principe, dans ses méthodes et dans ses conséquences. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, force est de constater que ce débat s’inscrit dans une dynamique positive quant au contrôle de la dépense publique. En effet, il concrétise la vision d’un Parlement davantage mobilisé dans l’analyse de l’exécution budgétaire – une telle vision avait d’ailleurs guidé la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) en 2021 –, par la fusion du débat d’orientation budgétaire et du débat sur le programme de stabilité en une séquence unique, qui a lieu aujourd’hui, désormais consacrée à l’évaluation.
Ce débat est le premier à s’attacher au contrôle du respect de la trajectoire de finances publiques présentée en octobre 2024 dans le plan budgétaire et structurel à moyen terme, né de la réforme du semestre européen.
La pratique budgétaire elle-même évolue dans une bonne direction depuis quelques mois. Après deux exercices marqués par d’exceptionnels dérapages des comptes publics, que notre commission des finances a largement documentés, et par une incapacité absolue à freiner l’évolution des dépenses du champ social ou à accompagner efficacement les collectivités face à leurs dépenses contraintes, le PLF et le PLFSS pour 2025 marquent un effort historique de près de 50 milliards d’euros.
Cet effort, principalement porté par l’État, dont les dépenses devraient connaître en 2025 une quasi-stabilité en volume, mérite d’être souligné.
À cet effort de consolidation est conjuguée la construction d’un nouveau cadre de pilotage des comptes publics, qui associe enfin les parlementaires des commissions compétentes. Un comité d’alerte a été installé le 15 avril ; il faut poursuivre cet élan. En effet, la lecture de ce rapport d’avancement laisse poindre la crainte que, derrière ces évolutions, rien n’ait véritablement changé.
L’heure n’est pas à l’autocongratulation. Je l’ai dit au mois de février dernier, le budget adopté pour 2025 était le pire à l’exception de tous les autres. Nous avons le devoir d’agir pour garantir la soutenabilité de la dette publique, pour renouer avec la crédibilité internationale, qui trop souvent nous fait défaut, et pour répondre aux immenses défis des transitions écologique, numérique et démographique.
Cette exigence suppose d’atteindre la cible inscrite dans le PSMT, à savoir une consolidation de près de 110 milliards d’euros en quatre ans.
En vue d’en assurer l’effectivité, une série de réformes est égrenée pour les années à venir : accélération de la transition écologique, modernisation de notre système de santé, renforcement de la lutte contre la fraude, soutien à l’emploi, renforcement de la compétitivité.
Or, je suis bien obligée de le constater, de PNR (programme national de réforme) en PNR, de PNR en R2A (rapport d’avancement annuel), la documentation des réformes demeure lacunaire ; seule la sémantique utilisée évolue, et encore, à la marge. Ces éléments de langage satisferont peut-être les superviseurs européens, mais, jusqu’à présent, ils n’ont pas permis de rétablir nos comptes.
On peut prédire que des stratégies ou plans pluriannuels, des conventions ou des assises nationales de dialogue, des instances de suivi et de recommandation seront proposés en guise de soutien à ces orientations particulièrement peu précises…
S’y ajouteront de nouvelles méthodes de réalisation des revues de dépenses. Mais il n’y a là aucune innovation majeure ! Entre 1946 et 2017 – j’insiste sur cette dernière borne –, le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics s’est bel et bien préoccupé d’organiser des revues de dépenses. Et l’inspection générale des finances (IGF) a déjà réalisé des revues particulièrement pertinentes, dont on peut se demander si le seul emploi n’est pas de caler les très nombreuses portes du vaisseau amiral de Paul Chemetov. (Sourires.) Tout cela n’est pas sérieux !
Si nous pouvons nous satisfaire de l’effort consenti dans le budget 2025, la méthode utilisée pour en déterminer les modalités est à déplorer : des coups de rabot non concertés, des choix de dernière minute, le tout s’inscrivant dans le plus pur confort électoral… Vu la consolidation d’ampleur qui nous attend, la défiance citoyenne ne peut nous laisser indifférents. Le temps n’est plus à la réformette paramétrique heureuse.
J’y insiste, les dépenses sociales ne peuvent plus faire l’objet de simples mesurettes. Pourquoi ne pas refondre entièrement le système français de double couverture dans le sens indiqué par la Cour des comptes dans un rapport de juillet 2021 – on a dû avoir le temps de se l’approprier ! –, via la restructuration du secteur des complémentaires santé et la création d’un bouclier sanitaire unique ?
La sécurité sociale fait mieux que le secteur privé, pour moins cher. Dès lors, pourquoi persister dans un système de double cotisation et de double remboursement ayant prouvé son inefficacité ?
Les dépenses locales, quant à elles, ne peuvent plus être la variable d’ajustement des budgets successifs ni continuer de reposer sur un système devenu illisible, incompréhensible et inapte à favoriser des trajectoires d’investissement ambitieuses comme des efforts en fonctionnement. Fiscalité locale, dotations de l’État ou mécanismes de péréquation n’ont pas besoin d’une énième conférence des parties prenantes ou vague de contractualisation ; ils appellent à une refonte complète.
Enfin, l’architecture de nos finances publiques ne peut plus être conservée en l’état. Une consolidation aussi large que celle qui nous attend doit reposer sur un cadre financier clair, lisible, intégré et pilotable.
Les complexités effarantes du système actuel sont préjudiciables à l’atteinte de nos objectifs. Par exemple, il est strictement impossible, à la lecture des documents budgétaires, d’établir un schéma des transferts de l’État aux collectivités ou à la sécurité sociale ou d’avoir une vue d’ensemble des comptes des administrations publiques, du point de vue tant des recettes que des dépenses.
Si je prends l’exemple des collectivités, pour recenser et retracer les 315 milliards d’euros de recettes des administrations publiques locales, il est nécessaire de réunir un total de sept documents : les prélèvements sur recettes (PSR), figurant dans la première partie du PLF ; les comptes de la mission Relations avec les collectivités territoriales (RCT) au sein de la deuxième partie ; le compte de concours financiers (CCF) « Avances aux collectivités territoriales » ; la fiscalité transférée et les taxes affectées, recensées dans le tome Ier des voies et moyens ; les dégrèvements et subventions, disséminés au sein des missions ministérielles dédiées ; les transferts entre administrations de sécurité sociale (Asso) et administrations publiques locales (Apul), inscrits au seul PLFSS, à l’instar du versement mobilité ; enfin, toutes les recettes locales et subventions européennes, dont le montant est uniquement précisé dans le rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL).
Dans le rapport d’avancement annuel, il est écrit que la trajectoire du PSMT sera respectée grâce « aux réformes ultérieurement présentées par le Gouvernement et adoptées par la représentation nationale »…
Madame, monsieur les ministres, le Parlement n’est pas une simple chambre d’enregistrement. Il n’est pas admissible que le dispositif « anti-CumCum » proposé par M. le rapporteur général, adopté à l’unanimité au Sénat et par la commission mixte paritaire, soit actuellement détricoté par Bercy sous la pression de certains acteurs financiers !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lavarde. En 1985, Jacques Delors avait osé innover, avec les entretiens de Val Duchesse, qui ont donné naissance au dialogue social européen. Force est de constater que, si les organisations patronales y étaient plutôt hostiles à l’origine, elles ont finalement accepté ce dialogue face à la menace de la Commission européenne – « Négociez, ou nous légiférons ».
Aussi, osons paraphraser Jacques Delors. Notre message est clair : « Réformez avec audace » ; « Réformez, ou nous légiférerons ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien ! Le message est clair !
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je vais compléter le propos de mon collègue Michel Canévet, auquel je souscris bien sûr.
Je veux tout d’abord vous dire, madame, monsieur les ministres, que nous avons déjà entendu de nombreux discours exprimant une volonté de redresser les finances publiques. L’âge me donne malheureusement le privilège d’avoir déjà vu beaucoup de ministres, à ce banc, nous promettre un tel redressement. Or nous n’avons rien vu venir… Au contraire, la situation s’est plutôt dégradée.
L’autre défaut des discours que l’on entend sur les finances publiques, c’est qu’ils reportent toujours les efforts dans l’avenir.
À l’automne dernier, le gouvernement Barnier nous a annoncé l’objectif d’un déficit à 5 % en 2025. Quand le gouvernement Bayrou est entré en fonction, ce déficit est passé à 5,4 % – on a donc perdu 0,4 %. Comme les résultats ont été un peu meilleurs que prévu, même s’ils ne sont pas brillants du tout – le déficit a atteint 5,8 % en 2024 –, l’effort est, en réalité, de 0,4 %.
Toutefois, on est en train de nous dire qu’il faudra faire le double en 2026, puisqu’il faudrait, si je suis la trajectoire, que le déficit passe de 5,4 % à 4,6 %. Autrement dit, nous ne ferons pas beaucoup d’efforts cette année, mais il faudra en accomplir deux fois plus l’année prochaine !
Il faut absolument corriger ces deux défauts.
Pour ce qui concerne les dépenses publiques, auxquelles il faut prioritairement s’attaquer, je me suis penché sur le cas des années sans crise – au cours des années de crise, les dépenses exceptionnelles qui sont venues se mêler aux dépenses ordinaires ont créé un flou artistique.
En 2019 – avant une crise, donc –, le montant des dépenses publiques était de 1 348 milliards d’euros. En 2024, il était de 1 670 milliards d’euros, soit 322 milliards d’euros de plus. Cela représente, je le dis pour mes collègues qui parlent d’austérité, une augmentation de 25 % en cinq ans, si je calcule bien.
M. Vincent Delahaye. Certes, mais que se serait-il passé si, depuis 2019, nos dépenses publiques avaient évolué au même rythme que l’inflation ? Car cela n’aurait déjà été pas mal…
M. Vincent Delahaye. Je vous fais grâce du calcul : en 2024, nous aurions économisé 120 milliards d’euros. Il est très important, si l’on veut corriger l’évolution de nos dépenses publiques, d’avoir tous ces éléments en tête.
Madame, monsieur les ministres, si nous voulons bien travailler avec vous sur les finances publiques, deux choses me paraissent importantes.
La première est la transparence. Il faut que nous soyons informés. Le rapporteur général a dit, ce matin, qu’il y avait plus de transparence. Je le note, mais ce constat ne bénéficie pas encore aux membres de la commission des finances.
Cela veut dire que, si l’on nous annonce un gel de 8 milliards d’euros, il faut nous expliquer pourquoi cette somme a été préférée à 15 milliards ou à 5 milliards d’euros. Si l’on annule 5 milliards d’euros de réserves de précaution, ce qui n’est pas vraiment réaliser des économies, il faut nous expliquer pourquoi on additionne 8 et 5 et pourquoi l’on arrive à 13 plutôt qu’à 20. En outre, si l’on nous annonce 40 milliards d’euros pour l’année prochaine, il faut nous préciser comment cette somme est calculée.
La seconde est la prudence dans les prévisions. Ne disposant que de quatre minutes de temps de parole, je n’ai pas le temps de développer ce point, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans d’autres débats.
Quoi qu’il en soit, je suis heureux d’avoir pu exprimer ici mon point de vue et celui du groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.
M. Éric Lombard, ministre. Je commencerai par ce par quoi vous avez terminé, monsieur Delahaye, c’est-à-dire par la nécessaire prudence.
Monsieur le rapporteur général, cher Jean-François Husson, vous avez entamé votre propos en nous appelant à la prudence et en nous faisant observer que nous avions révisé les perspectives de croissance deux fois ces derniers mois.
La raison en est très simple : c’est parce que nous sommes arrivés aux responsabilités après une motion de censure qui a privé la France de budget et coûté 0,2 point de PIB que nous avons fait passer notre perspective de 1,1 % à 0,9 %.
En outre, nous avons pris en compte un événement dont nous ne pouvions prévoir l’ampleur des conséquences, à savoir le changement d’administration aux États-Unis, qui s’est traduit par les mesures douanières du président Trump. Comme je l’ai dit rapidement tout à l’heure, les perspectives de croissance aux États-Unis apparaissent désormais assombries, ce qui, d’ailleurs, je l’espère, poussera l’administration Trump à accélérer ses discussions avec nous.
Cette année se déroulera alors que la situation économique mondiale est extrêmement difficile.
À cet égard, j’espère que le dialogue que nous avons entrepris avec les États-Unis et l’Amérique s’accélérera. Par ailleurs, l’action de la Chine, qui rencontre elle aussi un problème d’excédents de production à écouler, le commerce avec les États-Unis étant largement coupé, est encore plus déterminée.
La ministre des comptes publics et moi-même étions d’ailleurs hier à Roissy pour commencer à travailler sur des contre-mesures visant à assurer que l’exécution de ce budget sera respectée, en évitant les dérapages que vous avez signalés, monsieur le rapporteur général.
Monsieur le président de la commission, vous êtes revenu sur les incertitudes et les risques concernant les recettes. Nous suivons la situation mois après mois. Pour le moment, leur niveau est conforme à celui qui était prévu, mais nous resterons attentifs.
Madame la rapporteure générale, vous avez évoqué un certain nombre de précisions que vous souhaitiez obtenir. La ministre y répondra pour partie. Pour ce qui concerne le comité de suivi de la réforme des allégements généraux, celui-ci doit être mis en place, aux termes de l’amendement qui l’a créé, en 2026. Je puis vous confirmer que cette réforme structurelle sera menée comme le Parlement l’a décidé.
Je veux revenir sur les propos de M. Grégory Blanc, de Mme Florence Blatrix Contat et de M. Stéphane Sautarel sur le flou, l’incertitude, le refus d’un débat global et le statu quo. Non, il n’y a rien de tout cela ! Au contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons prévu, dans un temps bien plus long que celui qui nous a permis d’adopter avec vous et grâce à vous le budget pour 2025, une méthode de concertation très large.
Cette concertation a été engagée sur les sujets liés à la retraite, avec la tenue de ce que l’on appelle le conclave, dont les travaux se poursuivent.
Le dialogue va notamment s’engager, le 6 mai prochain, sous l’autorité de François Rebsamen et, bien évidemment, avec la ministre chargée des comptes publics et moi-même, dans le dialogue avec les associations d’élus locaux, afin de garantir que les collectivités locales, dans leur autonomie, contribuent à l’effort de stabilisation de la dépense publique.
Quant à l’action de l’État, nous avons engagé un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. Nous avons interrogé les directeurs d’administration centrale sur leurs priorités, de façon à recueillir des idées de simplification.
À ce dialogue, nous allons associer, dans les mois qui viennent, les élus du Sénat et de l’Assemblée nationale qui le souhaitent, ainsi que l’ensemble des partis qui voudront y participer, de façon à aboutir, au mois de juillet prochain, à des mesures effectives qui seront issues de ce débat. Bien évidemment, vos propositions sont toutes les bienvenues ! Le Premier ministre arbitrera le moment venu.
Vous conviendrez que, pour la préparation du projet de loi de finances pour 2026, nous nous y prenons très en amont par rapport à la tradition de notre pays et de nos gouvernements.
Par ailleurs, il n’est évidemment pas question que le Parlement soit dépossédé de son autorité. Le projet de budget que l’exécutif a construit par le dialogue sera naturellement présenté aux deux assemblées. Nous espérons et pensons que cette méthode nous permettra d’arriver à une situation qui nous permettra de l’adopter dans les délais impartis. Mais je ne veux pas anticiper : nous agissons très en amont.
Je veux revenir sur les propos qui ont été tenus. En particulier, Marc Laménie a évoqué Sisyphe et appelé à des comparaisons internationales. M. Fouassin a parlé de coconstruction – je crois que j’en ai dit un mot.
Quel est le cadre général dans lequel nous nous situons au regard des comparaisons internationales et des difficultés que rencontre notre pays ?
C’est extrêmement simple : notre sujet principal est la dette. Comme la plupart d’entre vous l’ont rappelé, celle-ci s’élève à 113 % du PIB. Sa charge budgétaire est de 67 milliards d’euros par an environ – l’estimation dépend des méthodes de comptabilisation utilisées. L’impératif est de stabiliser les dettes, et je réaffirme notre engagement de faire passer le déficit sous la barre des 3 % en 2029.
Pourquoi cet objectif serait-il mieux tenu que précédemment ? Parce que, si nous ne le tenons pas nous-mêmes – je rappelle que nous sommes sous revue avec perspective négative des trois grandes agences de notation et que nos besoins de refinancement sont importants –, ce sont malheureusement des intervenants extérieurs qui devront nous accompagner, ce que, bien sûr, nous ne pouvons envisager en termes de souveraineté.
Pour cela, nous devons protéger la compétitivité. Notre projet continue d’être un projet de développement de notre économie. Compte tenu de la concurrence accrue, il nécessite de ne pas augmenter les charges et de ne pas alourdir les impôts qui pèsent sur les Français.
La solution est donc bien la maîtrise de la dépense. C’est ce travail que Mme la ministre et moi-même effectuons attentivement pour l’exécution du budget 2025 et que nous allons engager dans la préparation du budget 2026.
On nous parle, à juste titre, d’équité et de transformation écologique : celles-ci font évidemment partie de ce que nous voulons continuer de faire. C’est notamment vrai de la transformation écologique. Cependant, cette dernière demande que nous soyons capables d’investir et que nos entreprises puissent se transformer. Or c’est seulement en maîtrisant la dépense publique que nous pourrons financer ce double effort d’équité et de transformation écologique que nous voulons évidemment maintenir.
Michel Canévet a évoqué le courage que tout cela exige. Ce courage devra être collectif. Vous serez naturellement associés à l’effort, mesdames, messieurs les sénateurs, mais le Gouvernement prendra sa part.
Monsieur Barros, j’entends ce que vous dites. Je me permettrai néanmoins de revenir sur ce que vous appelez l’activation de la clause de sauvegarde. Il est vrai que l’Union européenne permet d’activer la clause de sauvegarde pour financer l’effort de défense, mais nous n’allons pas le faire, parce que ce serait de la dette supplémentaire. Or, de dette supplémentaire, nous ne voulons pas !
C’est donc à l’intérieur de l’épure que nous vous proposons que nous mettrons en place l’éventuel effort supplémentaire de défense qui serait nécessaire.
Vous avez raison, madame Lavarde. Tout d’abord, je vous remercie de souligner l’effort réalisé sur les dépenses, auquel vous avez fortement contribué par les travaux que nous avons conduits ensemble. Je veux répéter que le Parlement continuera d’être associé par la suite.
Après les propos de Pierre Barros, je me demandais si je devais revenir sur le sujet de la retenue à la source, sur lequel j’ai eu des échanges fréquents et approfondis avec le rapporteur général de la commission des finances ; votre intervention me conduit à le faire. Je ne veux pas être trop long et trop technique, mais je veux répondre à votre sollicitation.
J’ai évidemment un respect total pour le texte qui a été voté par la commission mixte paritaire et auquel Jean-François Husson a contribué. Sur la base d’un avis du Conseil d’État, le Gouvernement, qui devait prendre une position, a rédigé un mode d’emploi à destination des opérateurs financiers.
Sans entrer dans les détails, je veux dire que, dans la décision que nous avons prise, nous avons voulu respecter deux points.
Le premier est la possibilité, et même la nécessité absolue pour les services des impôts de sanctionner un opérateur qui ferait une opération non conforme au droit et à l’intérêt général pour éviter de façon frauduleuse la retenue à la source.
Cette possibilité existe, quel que soit le marché sur lequel les acteurs opèrent et dans toutes les circonstances. D’ailleurs, le texte que nous avons rédigé ne change en rien les procédures en cours, qui, vous le savez, se déroulent indépendamment des ministres – il est heureux que ceux-ci n’interviennent pas. Nous avons bien vérifié que le dispositif voté n’avait pas d’influence sur les procédures en cours.
Je reviens sur l’arbitrage, tel que je le perçois. Si les opérations financières se font de gré à gré, on connaît forcément la contrepartie et on peut procéder aux vérifications. Mais le plus souvent, sur les marchés réglementés, ces opérations se font au travers d’une place de marché qui, en réalité, en est la contrepartie. Par conséquent, si l’on vend un titre sur une place de marché, comme un titre du CAC 40 sur la place de Paris, on ne sait pas qui l’on a en face de soi, puisque l’acheteur est la chambre de compensation.
J’ai pensé que, dans ce cas, il n’était pas raisonnable, si nous souhaitons que les opérations restent domiciliées à Paris, de faire obligation au vendeur ou à l’acheteur de connaître sa contrepartie, parce que la véritable contrepartie, c’est la chambre de compensation.
En revanche, si, dissimulée derrière cette chambre de compensation, une opération frauduleuse apparaissait, bien évidemment, la possibilité de la sanctionner demeurerait – nous aurions alors besoin de preuves, mais nous avons vu que nous pouvions les trouver dans les e-mails ou les SMS échangés entre les opérateurs. Il va sans dire que nous y tenons, car je veux veiller à la fois à l’équité et aux finances publiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m’excuser de ce développement un peu long, mais je ne pouvais pas me défiler face à ces deux demandes, notamment celle de Mme Lavarde. Mme la ministre chargée des comptes publics va compléter mon propos.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat de très grande qualité. Je pense que nous partageons beaucoup de choses, même si nous avons aussi des différences d’appréciation, et que c’est un très bon signe sur notre capacité à faire des compromis, car tel est, de facto, l’obligation qui se trouve devant nous.
Monsieur le rapporteur général, vous avez conclu votre propos en nous appelant à la vigilance et au volontarisme face aux aléas. Or je crois que c’est précisément ce qui nous a guidés ces dernières semaines, sous l’autorité du Premier ministre.
Monsieur le président de la commission des finances, vous avez notamment cité le caractère aléatoire des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS). Je veux vous dire que les 2 milliards d’euros supplémentaires sont le fruit des observations comptables de fin d’année et qu’ils n’ont pas remis en cause notre appréciation de prudence de 1 milliard d’euros, laquelle vise à tenir compte d’une élasticité mécanique du volume total de l’IS.
L’inflation constitue un autre aléa – vous êtes d’ailleurs assez peu revenus sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui montre que les temps changent. Le scénario d’inflation est très difficile à prévoir. Ce matin, l’inflation en rythme annuel était de 0,8 %, ce qui est faible par rapport à ce que nous connaissions encore il y a dix-huit mois ou deux ans.
Néanmoins, il est difficile aujourd’hui de complètement apprécier la dynamique d’inflation qui est devant nous.
D’une part, comme vous le savez, les prix du pétrole sont en assez net recul, ce qui joue positivement sur le volume de consommation des ménages, mais pèse négativement sur l’inflation ; d’autre part, les droits de douane doivent, théoriquement, amener à une hausse des prix. On voit bien que, aujourd’hui, les banques centrales et les meilleurs économistes estiment que l’inflation est plus difficile à prévoir. Je tiens à ce que cela soit indiqué dans le compte rendu de ce débat.
Par ailleurs, vous avez tous rappelé que nous avions pris un décret d’annulation. Il s’agit, là aussi, de vigilance et de prudence.
Je veux vraiment vous rassurer : ce ne sont pas des coupes claires. Éric Lombard et moi-même avons annoncé, dès le départ, que, dans la construction du budget, nous demanderions à l’ensemble des ministères, sous l’autorité du Premier ministre, de mettre de côté 0,5 % de leur masse salariale et 5,5 % de leurs dépenses hors masse salariale. Cependant, ces dépenses pourront être de facto activées si la conjoncture le permet.
Nous avons ainsi créé, dans le cadre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), une réserve interministérielle de 8,7 milliards d’euros. C’est dans ce cadre que nous annulons, en effet, 2,7 milliards d’euros. Mais c’est parce que nous avons reversé 2,8 milliards d’euros de surgel, de dépenses non engagées, que la réserve peut atteindre 8,7 milliards d’euros !
Cette pratique me paraît respectueuse du Parlement, parce que nous sommes extrêmement transparents et sincères, et c’est, je crois, une bonne méthode dans un monde avec des aléas. La solution de rechange serait de lancer les dépenses et de tout arrêter en cours d’année, mais je crois que ce ne serait ni sincère ni respectueux des Français.
Ce décret d’annulation, je veux le dire, n’est pas le reflet d’une politique d’austérité générale. Quand les dépenses publiques représentent 57 % du PIB, je ne crois pas que nous puissions parler d’austérité !
Vous avez dit, monsieur le sénateur Barros, que vous étiez inquiet des coupes claires dans la santé ou l’éducation. Mais reprenons les chiffres du compromis qu’est le budget du pays : avec un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) à 3,4 % et 1 milliard d’euros de plus pour l’hôpital, on ne peut pas parler d’austérité générale ! Pour l’éducation, vous savez, grâce aux annonces de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, que nous avons des ambitions en matière de recrutement, qui doit être beaucoup plus précoce, ou encore de renouvellement de la formation.
On ne peut donc pas dire aujourd’hui que l’austérité soit générale. On peut débattre des mesures ; on peut considérer qu’elles ne sont pas bonnes. Mais, budgétairement, je ne saurais laisser parler d’austérité générale pour un pays où les dépenses publiques représentent 57 % du PIB.
Nombre d’entre vous ont parlé des collectivités et des relations entre ces dernières et l’État. Je veux répéter ce que nous avons dit en réponse à une question au Gouvernement tout à l’heure : nous voulons donner de la prévisibilité aux collectivités.
Nous voulons mettre fin à cette pièce de théâtre qui commence en général le premier mardi d’octobre, où l’on sort du chapeau, tel un lapin, un chiffre magique, auquel tout le monde doit se conformer. Cette situation est totalement ingérable pour les élus, quelle que soit la collectivité où ils siègent et la durée de leur mandat.
Il est légitime que les collectivités nous demandent d’y voir clair sur l’endroit où nous allons. Cet objectif, nous le connaissons : c’est un déficit à 3 % du PIB en 2029. De nouveaux maires seront élus l’année prochaine. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de donner à ces nouveaux élus de 2026 de la visibilité sur au moins un demi-mandat. C’est ce que nous allons construire dès la semaine prochaine, autour de François Rebsamen.
De même, nous devons aux collectivités moins de normes, car celles-ci entraînent des dépenses contraintes. C’est sens des rapports de Boris Ravignon et d’Éric Woerth ou encore du lancement du Roquelaure de la simplification. Je crois que cela va dans le bon sens.
En tout état de cause, monsieur le sénateur Sautarel, le mot « spoliation » ne me semble pas correspondre à la relation entre l’État et les collectivités.
Premièrement, je rappelle que les Français n’ont qu’un porte-monnaie ! Nous ne spolions personne : nous gérons tous, avec responsabilité, l’argent des Français.
Deuxièmement, la spoliation serait attestée par l’incapacité pour les collectivités à mener leurs politiques publiques. Or les données que nous présenterons mardi prochain montrent que l’immense majorité des communes ont des ressources tout à fait stables, que l’immense majorité des régions ont des ressources tout à fait stables et que les EPCI ont des ressources tout à fait stables, même si, oui, on le sait, il y a un enjeu pour les départements.
L’an dernier, la dépense publique a augmenté, en volume, de 2 % au total, avec une croissance à 0,7 % pour l’État, à 3,1 % pour les collectivités et à 3,6 % pour la sécurité sociale. Il n’y a donc pas de spoliation. Je le dis ici très fortement : ne nous éloignons pas de la réalité.
Nombre d’entre vous, surtout du côté gauche de cet hémicycle, ont parlé des recettes, nous appelant à en trouver. Or les prélèvements obligatoires et les recettes représentent déjà 51,3 % de PIB ! C’est un record parmi tous les pays comparables au nôtre. (M. Grégory Blanc proteste.)
M. Pascal Savoldelli. Pas au niveau européen !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce taux n’est supérieur dans aucun pays européen, sauf peut-être en Suède ou en Finlande. Il serait à mon avis fallacieux de faire croire aux Français que c’est en augmentant ce ratio que nous allons trouver une solution.
Je pense qu’il est utile que nous examinions les dispositifs qui mitent et minent l’impôt et que nous nous penchions sur les niches fiscales, qui ont été très dynamiques dans certains cas. Vous le savez, je suis prête à mener ce travail. Nous devons également examiner si, dans certains cas, il y a un enjeu d’élasticité à la croissance. Mais, honnêtement, nous pensons que la conjoncture ne permet pas de créer de nouveaux impôts ni d’augmenter le taux des impôts existants.
Quelles sont, en bref, les perspectives pour 2026 ?
Monsieur Delahaye, vous avez raison : si nous avions maintenu la croissance de nos dépenses de fonctionnement à un niveau qui ne dépasse pas la croissance effective de l’économie – un principe auquel nous voulons vraiment nous tenir –, nous aurions aujourd’hui un déficit bien plus réduit. Ainsi, dans la perspective pluriannuelle dont nous voulons nous doter, les dépenses de fonctionnement n’augmentent pas plus vite que la croissance.
Si nous avions respecté cette règle, nous n’aurions pas à économiser 120 milliards d’euros aujourd’hui. Je crois donc que c’est une bonne boussole. C’est du pragmatisme, pas de l’austérité. Que les dépenses n’augmentent pas plus vite que la croissance paraît un principe sain.
Un deuxième principe doit être de bien répartir l’effort, madame la rapporteure générale. Vous avez demandé la répartition de l’effort entre sous-secteurs. Il nous semble – d’autres partagent ce point de vue – que nous ne pouvons pas demander de nouveau l’an prochain à l’État d’assumer près des trois quarts de l’effort de réduction du déficit, comme il le fait cette année. Ce serait un effort trop important et mal réparti. Il nous faut mieux le partager entre la sécurité sociale, les collectivités et l’État.
Un troisième principe – je viens d’en parler – doit être de s’interroger sur les niches fiscales. Les situations de rente minent l’impôt. Supprimons de nombreuses niches et baissons les impôts pour tout le monde, et pas seulement pour quelques-uns.
M. Vincent Delahaye. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Un quatrième principe doit être de réfléchir à l’organisation de l’État, que nombre d’entre vous ont évoquée.
Comme l’a dit Éric Lombard, le Premier ministre a lancé une revue méthodique, ministère par ministère, mission par mission. Quelles sont nos priorités ? Comment sommes-nous organisés ?
Au-delà des agences et des opérateurs qui gèrent de l’argent public au nom des ministères et de l’État, sur lesquels travaille une commission d’enquête de votre assemblée, il faut aussi réfléchir à la relation entre l’État et ses services déconcentrés – je sais que vous y êtes très attachés –, pour qu’elle soit plus efficace et pour que les préfets et l’organisation territoriale de l’État soient davantage au service des politiques publiques.
Il faut aussi se pencher sur les autorités administratives qui, elles, sont des régulateurs. Nous ne parlons pas de la même chose quand nous parlons des comités en amont de la fabrique de la loi et de la norme, des agences et des opérateurs qui gèrent de l’argent public, des autorités administratives et de l’État déconcentré.
Au reste, les leviers sont différents en termes de dépenses publiques. Je tiens à dire que, pour les agences et les opérateurs, il existe deux leviers d’économies : les dépenses de fonctionnement, d’où les enjeux de fusion et de rapprochement, qui ne permettraient cependant de gagner que quelques milliards d’euros ; et, surtout, le rapprochement des dépenses d’intervention, pour y gagner en clarté et éviter les doublons, les redondances et les enchevêtrements.
Le dernier point que je souhaite aborder est la méthode. La semaine prochaine, il sera question des collectivités. Au mois de juin auront lieu à la fois la remise du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui sera un moment important, et un point d’étape sur la refondation de l’action publique que le Premier ministre veut conduire. En juillet auront lieu des annonces sur notre calendrier.
Nous croyons à la démocratie sociale. À cet égard, je tiens à vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne lançons pas de ballons d’essai. Le débat sur les retraites qui nous a beaucoup animés ces derniers jours, c’est simplement le constat que le Premier ministre a confié aux partenaires sociaux une réflexion sur les pensions.
Dans le cadre du conclave, qui est, je crois, connu…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il y en a deux en ce moment ! (Sourires.) Il ne faut pas se tromper…
Mme Amélie de Montchalin, ministre. De fait, le 7 mai s’en ouvre un autre à Rome… Pour ma part, je parle bien de celui qui se tient sous la houlette de M. Marette, qui est laïque et qui est dédié à l’avenir des retraites.
Dans le cadre de ce conclave, le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le Conseil d’orientation des retraites et les syndicats discutent de la répartition de l’effort entre actifs et retraités et d’un certain nombre de mesures, dont ce fameux abattement qui a fait la une des journaux et dont je veux dire ici devant vous que mon projet de ministre n’est pas de le supprimer – en revanche, mon rôle de ministre est de ne pas interdire les débats.
Nous leur avons donné carte blanche, avec un seul objectif : rétablir l’équilibre d’ici à 2030.
Vigilance et volontarisme : pour réussir, dans notre pays fragmenté, nous devons associer l’ensemble des partenaires sociaux, des parlementaires et des forces vives. Nous n’avons pas le monopole des idées ni celui des solutions. Par ailleurs, nous devons, à mon avis, écouter largement les propositions.
Viendra ensuite le temps de la décision, mais je pense que nous déciderons collectivement beaucoup mieux si nous écoutons tous ceux qui, comme vous, veulent contribuer aujourd’hui au rétablissement des comptes publics.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Au travail !
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le rapport d’avancement annuel sur le plan budgétaire et structurel de moyen terme 2025-2029.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 5 mai 2025 :
À quinze heures et le soir :
Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession (texte de la commission n° 561, 2024-2025) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, sur la profession d’infirmier (texte de la commission n° 558, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Muriel Jourda, Lauriane Josende, Dominique Vérien, Laurence Harribey, M. Christophe Chaillou et Mme Patricia Schillinger ;
Suppléants : M. Stéphane Le Rudulier, Mmes Catherine Di Folco, Olivia Richard, Marie-Pierre de La Gontrie, Marie-Claude Lermytte, M. Ian Brossat et Mme Sophie Briante Guillemont.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER