Mme Nadine Bellurot, rapporteure. C’est vrai !

Mme Agnès Canayer. Enfin, une meilleure association des élus locaux aux dérogations aux règles d’urbanisme, qui contraignent la réalisation de leurs projets, est régulièrement souhaitée.

Alors, évidemment, cette initiative ne résoudra pas toutes les difficultés des élus locaux face à ces complexités normatives, dont le coût est évalué à 5 milliards d’euros. Cependant, elle a le mérite de lancer une démarche de simplification, que beaucoup réclament sans faire de véritables propositions.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera avec conviction ce texte, dont les mesures permettront, nous l’espérons, de rendre l’État local plus agile pour mieux répondre aux attentes des élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l’histoire de la France, s’il y a une fonction qui a survécu aux différents régimes politiques qu’a connus notre pays, du Premier Empire à la Ve République, en passant par la Restauration et la Monarchie de Juillet, c’est bien celle de préfet.

Descendants des intendants du XVIe siècle, créés sous François Ier et réinventés par Napoléon Bonaparte après son coup d’État du 18 brumaire, les préfets deviennent officiellement les représentants de l’État dès le 17 février 1800 avec la circulaire Beugnot, qui précisait : « Vous êtes appelés à seconder le gouvernement dans le noble dessein de restituer la France à son antique splendeur, d’y ranimer ce qu’elle a jamais produit de grand et de généreux, et d’asseoir enfin ce magnifique édifice sur les bases inébranlables de la liberté et de l’égalité ».

Désormais encadrés par la loi du 2 mars 1982, les préfets restent à ce jour des acteurs déterminants dans nos territoires, de véritables poutres sur lesquelles repose la charpente étatique de la France. Mais pour qu’ils puissent agir, encore faut-il leur en donner les moyens.

La fonction préfectorale se complexifie, comme celle de maire, notamment en raison de l’enchevêtrement des normes.

Or le pouvoir préfectoral de dérogation, mis en place dès 2017, généralisé en 2020 et conforté dans la dynamique de différenciation qui s’est exprimée en 2022 dans la loi 3DS, demeure un outil utilisé de manière sporadique. Les travaux menés dans le cadre du rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation publié en février dernier ont révélé que, depuis 2020, 628 arrêtés de dérogation avaient été pris par les préfets de département, soit une moyenne très faible de 1,5 arrêté par an et par département. Même si ce rapport fait apparaître des disparités importantes entre les territoires, il n’en demeure pas moins que le potentiel de ce pouvoir est aujourd’hui insuffisamment libéré, alors qu’il peut parfois permettre de prendre des décisions utiles pour un territoire.

Je salue donc le travail réalisé par nos collègues Rémy Pointereau et Guylène Pantel, qui a permis d’aboutir à la proposition de loi que nous examinons ce soir. Ce texte répond en effet à de fortes attentes des élus locaux et des principaux acteurs concernés.

Il s’agit d’élargir ce pouvoir préfectoral de dérogation dans de nombreux domaines, pour faire en sorte que la loi nationale puisse s’adapter avec parcimonie dans les territoires, au cas par cas, en fonction des situations et de la volonté des élus locaux. Les préfets ne doivent plus hésiter à utiliser ce pouvoir de dérogation si les collectivités sont en position de demande. Nos maires attendent, de la part des représentants de l’État, de l’efficacité et non de la frilosité.

Au-delà des attentes qu’il suscite, ce texte est surtout particulièrement utile pour sécuriser et renforcer le pouvoir de dérogation des préfets.

D’abord, il instaure un cadre beaucoup plus incitatif à l’utilisation de cette dérogation. L’article 5 permettra de renforcer les missions des comités locaux de cohésion territoriale pour qu’ils deviennent le lieu privilégié où identifier collectivement des situations où ce type de dérogation pourrait débloquer des projets enlisés.

De plus, le texte sécurise le droit préfectoral de dérogation en modifiant les cas de mise en cause de la responsabilité pénale du préfet.

Si le texte permet de consacrer ce pouvoir au niveau législatif, il en redessine également les modalités d’exercice.

En effet, le dispositif de dérogation est aujourd’hui restreint et il convient d’en élargir le périmètre. Tel est l’objet de l’article 1er : ne plus restreindre à une liste limitative les domaines pour lesquels une dérogation pourrait être décidée, qu’il soit question d’une décision réglementaire ou individuelle.

Le travail mené en commission a permis de clarifier la rédaction de cet article et de borner la dérogation par le respect de la sécurité publique et des engagements internationaux de la France.

Je n’oublie pas l’article 3 du texte, qui permet des dérogations visant à préserver les ouvrages hydrauliques. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler en mai dernier, lors du débat que nous avons eu avec le Premier ministre sur la souveraineté énergétique de la France, l’hydroélectricité mérite à mes yeux une plus grande place dans le débat national, avec une vision, un cadre rénové et des moyens adaptés.

Dans la Drôme comme dans de nombreux autres territoires, nous avons des moulins et des petits barrages, souvent laissés à l’abandon, qui pourraient produire une électricité propre, locale et pilotable. Hélas ! la législation actuelle reste complexe et parfois dissuasive. De nombreux porteurs de projets se heurtent à des procédures lourdes, parfois déconnectées de la réalité de terrain.

J’estime par conséquent que le fait d’élargir ce pouvoir préfectoral de dérogation à la préservation des ouvrages hydrauliques est une mesure positive.

Par ailleurs, je considère que les dispositions de l’article 4 relatives à l’instauration de délais pour la mise en conformité des installations sportives seront utiles.

Enfin, je tiens à saluer le travail de la commission sur le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée. En créant une faculté dérogatoire de versement anticipé du FCTVA à une collectivité ayant réalisé un investissement substantiel au regard de sa capacité financière, on offrira aux élus locaux plus de souplesse et de flexibilité.

Mes chers collègues, ce texte n’est pas une révolution en matière de décentralisation, mais je crois que tel n’était pas son objectif initial. C’est un texte pragmatique, attendu par les élus locaux, qui répond à l’impératif de simplification et sécurise un pouvoir très utile confié aux préfets.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera pour son adoption. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Guylène Pantel et MM. Rémy Pointereau et Jean-Gérard Paumier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP, ainsi quau banc des commissions. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)

Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacune et chacun d’entre nous le mesure fréquemment : nous traversons une période où l’efficacité de l’action publique est plus que jamais scrutée par nos concitoyens, nos associations, nos entreprises et nos collectivités locales. Notre administration doit pouvoir répondre avec pertinence aux besoins spécifiques de chaque territoire.

Aujourd’hui, je suis heureuse de soutenir avec Rémy Pointereau notre proposition de loi, mûrie, discutée et concertée dans un cadre transpartisan, aux côtés de l’ensemble des membres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, de son président, Bernard Delcros, de Mme la rapporteure, Nadine Bellurot, et de tous nos collègues qui se sont intéressés de près ou de loin à ces travaux.

Ce texte s’inscrit pleinement dans les logiques de simplification et d’adaptation qui marqueront un tournant dans notre approche de la gouvernance locale.

Cette proposition de loi n’est pas une révolution ; c’est une respiration. C’est un geste de confiance envers les territoires. Elle vise à alléger, à adapter, à permettre et non à contraindre davantage. Il s’agit non pas de démanteler les principes fondamentaux de notre droit, mais de faire preuve d’intelligence territoriale, de reconnaître qu’une norme doit être applicable pour être légitime.

Dans un monde en constante évolution, où les défis locaux varient considérablement d’un territoire à l’autre, il est essentiel que nos préfets disposent des outils nécessaires pour répondre avec agilité et efficacité aux besoins singuliers de leurs départements.

Le décret du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet a marqué une étape significative dans l’évolution des compétences préfectorales en France. Il a permis à des préfets, de région ou de département, de déroger de manière expérimentale, sous certaines conditions, aux normes établies par l’administration centrale. L’objectif principal de ce décret était de renforcer la déconcentration des pouvoirs et de permettre une meilleure adaptation des décisions administratives aux réalités locales.

S’alignant sur la position du Sénat, le Gouvernement a publié, le 8 avril 2020, le décret pérennisant et généralisant le droit de dérogation reconnu aux préfets. Or, comme nous l’avons mentionné dans notre rapport d’information, réalisé grâce aux données de la Dmates, depuis la généralisation de ce pouvoir en 2020, seulement 628 arrêtés ont été pris par les préfets de département, soit en moyenne 1,5 arrêté par département et par an.

Par ailleurs, les deux tiers des arrêtés départementaux portent sur des questions de subventions.

Si les subventions allouées aux collectivités territoriales constituent un levier financier indispensable au déploiement de leurs politiques publiques, elles ne sauraient à elles seules compenser les nombreuses contraintes réglementaires qui entravent leur action au quotidien. En effet, la multiplication des normes pèse significativement sur leur capacité opérationnelle et ralentit la mise en œuvre effective des projets locaux.

Dès lors, il est essentiel de sécuriser juridiquement l’acte préfectoral de dérogation. Aujourd’hui, de nombreux préfets hésitent à user de cette possibilité, pourtant précieuse, par crainte d’un contentieux ultérieur. En clarifiant le cadre légal et en renforçant la sécurité juridique de ces actes, nous permettrons une application plus sereine et plus efficace des politiques publiques. Cela renforcera la confiance et garantira une meilleure articulation entre souplesse administrative et respect du droit.

Dans le peu de temps qui m’est accordé, permettez-moi maintenant de mettre en lumière l’article 3 de la proposition de loi, qui semble quelque peu faire débat. À nos yeux, il s’agit d’une avancée majeure pour la préservation de notre patrimoine hydraulique et pour le maintien de l’équilibre économique de nos territoires.

Prenons l’exemple des moulins à eau, ces joyaux de notre patrimoine historique et culturel, qui se voient souvent appliquer des prescriptions si lourdes qu’elles deviennent impossibles à mettre en œuvre ou financièrement insoutenables pour leurs exploitants.

L’article 3 permettrait aux préfets, dans de tels cas, de faire preuve de pragmatisme et de déroger aux règles lorsque l’impact environnemental est dérisoire et que l’application des prescriptions menace l’équilibre économique de ces ouvrages. Il s’agit là d’une mesure de bon sens qui concilie la protection de l’environnement avec la préservation de notre patrimoine et le soutien à nos économies locales.

Nous tenons également à souligner notre attachement à la philosophie de l’article 5, qui vise à transformer la commission départementale de conciliation en une véritable instance de dialogue réunissant élus locaux et représentants de l’État.

En favorisant la concertation et le suivi régulier de ces dérogations, cette conférence renforcera la compréhension et l’efficacité de ce dispositif auprès de tous les acteurs concernés.

En somme, les membres du groupe RDSE, moi la première, affirment que ce texte répond aux exigences de notre époque. C’est donc avec conviction que nous apporterons notre soutien plein et entier à son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Bernard Delcros. Empilement des normes et des réglementations, toujours plus nombreuses, plus contraignantes, plus coûteuses et parfois inadaptées : tous les élus à la tête d’exécutifs locaux, petits ou grands, dressent le même constat et en mesurent chaque jour les conséquences.

Procédures toujours plus complexes, particulièrement pour les petites communes, normes entravant l’action des élus et pénalisant les territoires, projets freinés, parfois abandonnés, dans tous les cas plus coûteux : voilà la réalité que vivent au quotidien les élus locaux !

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons bien que les normes sont nécessaires. Pour autant, dans les différentes fonctions d’exécutifs locaux que nous avons exercées – j’ai moi-même été pendant très longtemps maire d’un petit village –, combien de fois avons-nous été confrontés à des obligations ou à des refus que nous avons jugés injustifiés, inadaptés, dénués de bon sens ?

Qui plus est, dans une période de nécessaire réduction des déficits, le surcoût lié à l’inflation normative nous oblige à réagir.

Le coût des normes pour les collectivités s’élève en moyenne à un milliard d’euros supplémentaires chaque année, selon Gilles Carrez, président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), que je veux remercier ici du travail très confiant et collaboratif que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation mène avec lui. Certes, derrière ce milliard d’euros, on trouve de nouvelles dépenses obligatoires pour les collectivités de natures très différentes – il conviendrait sans doute de les distinguer.

Oui, l’enjeu de la simplification des normes est tout à fait prioritaire !

À la demande du président du Sénat, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation s’est emparée du sujet.

Les Assises de la simplification que nous avons organisées le 3 avril dernier, en présence du président du Sénat, du Premier ministre et de quatre ministres, tout comme le Roquelaure de la simplification de l’action des collectivités, dont le Gouvernement a pris l’initiative et auquel j’ai participé le 28 avril dernier, ont permis d’identifier plusieurs leviers d’action que nous allons collectivement mobiliser pour obtenir les solutions concrètes qu’attendent les élus locaux.

La première étape que nous vous proposons est le texte d’aujourd’hui, que Rémy Pointereau, Guylène Pantel et moi-même avons déposé. Je tiens à saluer l’excellent travail que mes collègues ont mené, qui s’est traduit par un rapport d’information que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a adopté, puis par le texte dont nous entamons l’examen.

Ce texte élargit la possibilité donnée au préfet de déroger, de façon strictement encadrée, à certaines normes ou réglementations pour les adapter à la réalité des territoires et des projets, que ceux-ci émanent des collectivités, des entreprises ou des associations.

Le contenu des six articles qui forment ce texte a été détaillé par la rapporteure et nos collègues ; je n’y reviens donc pas.

Bien sûr, cette proposition de loi ne prétend nullement répondre, à elle seule, à toutes les problématiques liées à l’inflation normative et à son coût. Toutefois, il s’agit d’un premier pas, qui pourra très concrètement et rapidement simplifier la vie des élus locaux.

Nous travaillons déjà, en étroite collaboration avec le Gouvernement, à l’élaboration de nouvelles dispositions de simplification. Monsieur le ministre, permettez-moi à cette occasion de saluer l’engagement du Gouvernement sur ce sujet.

Mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en vous disant que le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. Nous défendrons néanmoins, au travers de quelques amendements, certaines pistes d’amélioration. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi quau banc des commissions. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai cosigné cette proposition de loi et, bien entendu, je la voterai.

Comme ses auteurs, je considère qu’il faut à la fois sécuriser et renforcer le pouvoir de dérogation des préfets. Il faut le sécuriser, pour amener les préfets à en faire un plus grand usage sans risque de contentieux non seulement administratifs, mais aussi pénaux. Il faut le renforcer, pour permettre plus largement la nécessaire adaptation de nos textes normatifs aux réalités locales, comme le demandent massivement nos concitoyens.

Pour autant, comme je l’ai d’emblée écrit à Rémy Pointereau au moment de cosigner ce texte, ce pouvoir de dérogation préfectorale me paraît un pis-aller, tant le besoin de différenciation est fort dans ce pays. À n’en pas douter, une vraie et grande réforme structurelle décentralisatrice s’impose, monsieur le ministre !

La question de fond est la suivante : dans notre pays, la règle doit-elle être la même dans tous les territoires ? Pour le dire autrement, la règle nationale doit-elle s’appliquer de la même façon partout ?

Mes chers collègues, poser la question, c’est déjà y répondre. Pour ma part, et je ne suis pas le seul, je milite pour une vraie différenciation qui permettrait aux collectivités territoriales de mieux répondre aux besoins de leur population que ce n’est le cas actuellement, ou à tout le moins de décliner localement les grands principes édictés par la loi.

On le sait, dans ce pays – le législateur ici même n’y fait pas exception –, on veut tout maîtriser, tout contrôler, tout prévoir ; si j’osais, je dirais même : tout régimenter jusque dans les moindres détails. À l’inverse, pour ce qui me concerne, j’appelle de mes vœux une nouvelle étape de la décentralisation qui laisserait aux collectivités locales un véritable pouvoir de différenciation.

Certains pays, même non fédéraux, sont organisés de la sorte et cela ne me semble contraire ni au principe d’unité de la République ni à celui d’égalité, qu’à tort nous interprétons souvent nous-mêmes, ici, de manière trop restrictive.

En Alsace-Moselle – vous savez que je suis un sénateur alsacien, mes chers collègues –, le droit local est un bel exemple de différenciation. Il s’agit en effet d’un droit national d’application locale. Cet héritage, qui a maintenant plus de cent ans, n’a certainement pas fragilisé l’unité de la République. Pourtant, bien qu’il en ait fait un principe fondamental reconnu par les lois de la République, le Conseil constitutionnel lui interdit, depuis une décision de 2011, d’évoluer autrement que dans le sens du droit général. Comprenne qui pourra…

Les parlementaires des trois départements de l’Est entendent pourtant continuer à compter sur leur droit local – qui évoluerait dans le bon sens – pour répondre aux attentes de leur population.

Mes chers collègues, il est temps que la différenciation soit enfin la règle dans ce pays ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. « Ne soyez jamais les hommes de la Révolution, mais les hommes du gouvernement, et faites que la France date son bonheur de l’établissement des préfectures. »

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en s’adressant aux premiers préfets par ces mots, le général Bonaparte décrivait avec passion une fonction administrative, institutionnelle et symbolique : celle du préfet. Aujourd’hui, le préfet demeure l’unique représentant de l’État et du Gouvernement dans les départements de France.

Si notre République des territoires repose sur un principe d’égalité territoriale, elle est pourtant loin d’être uniforme. L’adaptation des normes aux réalités locales, aux réalités de terrain, est une attente de nos citoyens, mais aussi une illustration de l’adaptation de nos politiques publiques.

Avec cette proposition de loi visant à renforcer et sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d’adapter les normes aux territoires, nous pouvons contribuer à assurer la simplification des démarches mises en œuvre au sein des collectivités pour remplir leurs missions. Le pouvoir dérogatoire du préfet fait partie de ces outils de simplification.

Je tiens à saluer la rapporteure pour la qualité du travail réalisé, ainsi que l’auteur du texte.

Instauré en 2017 à titre expérimental, le pouvoir dérogatoire a été généralisé en 2020, dans l’objectif d’adapter les normes aux réalités locales. Cependant, comme l’a mis en avant la mission flash relative au pouvoir préfectoral de dérogation aux normes, menée par notre collègue Rémy Pointereau, l’utilisation de cet outil est très limitée : seulement 900 arrêtés de dérogation ont été pris depuis 2020.

La proposition de loi que nous examinons, issue des travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont je salue le président Bernard Delcros, a notamment pour objet d’élargir les domaines de mise en œuvre du pouvoir dérogatoire, en y incluant les services et agences locales de l’État, et d’améliorer la lisibilité de la compétence dérogatoire en matière d’investissement local.

Il me paraît nécessaire de préciser que ces mesures ne visent aucunement à permettre aux préfets de rompre avec le principe fondamental d’égalité devant la loi, puisque le pouvoir dérogatoire sera strictement encadré et ne pourra pas porter sur des normes législatives.

Cela s’inscrit dans un objectif d’adaptation aux enjeux et besoins locaux des normes applicables aux collectivités, de plus en plus nombreuses et complexes. C’est ce que proclamait déjà l’exposé des motifs du décret du 25 mars 1852 sur la décentralisation administrative : « On peut gouverner de loin, mais on n’administre bien que de près. »

Maire pendant vingt ans, président d’une intercommunalité, je peux témoigner avec force de l’intelligence de dérogations réfléchies et décidées en accord avec les élus locaux.

Les représentants du corps préfectoral qui ont été auditionnés ont d’ailleurs bien souligné le lien étroit entre dérogation et simplification. La quasi-absence de contentieux liés à de précédentes mises en œuvre du pouvoir de dérogation démontre aussi la manière dont l’utilisation de cet outil a su se faire dans un cadre consensuel, en concertation avec les élus locaux.

Ce texte permettra au préfet de déroger à des normes de fond et non plus seulement de procédure et de délai. Avec la sécurisation juridique de ce pouvoir, il pourra être encouragé à accorder une dérogation chaque fois qu’elle permettra de soutenir le développement local ou d’alléger le poids des normes sur les finances des collectivités. Cela va dans le bon sens !

Au-delà du pouvoir dérogatoire, le préfet doit également avoir le plein contrôle de son administration. L’examen de ce texte est donc l’occasion pour moi de plaider, une nouvelle fois, pour que nos préfets aient une réelle autorité fonctionnelle et hiérarchique sur tous les services déconcentrés de l’État, notamment sur les antennes de directions régionales comme les Dreal (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) ou d’agences de l’État comme les ARS (agences régionales de santé).

Par ce texte, c’est notre attachement à la démocratie locale incarnée par le couple maire-préfet qui est réaffirmé. Cette relation entre les élus et le représentant de l’État dans les départements sera particulièrement favorisée par l’instauration d’une instance de dialogue autour du droit de dérogation. Il faudrait toutefois que les actions préconisées par les comités locaux de cohésion territoriale soient mises en œuvre. Le duo complémentaire et dynamique que constituent le préfet et le maire doit donc rester au cœur de la discussion.

J’ai souvent entendu dire, y compris ce soir, que la dérogation risquerait d’exposer pénalement les préfets qui y auraient recours. En tant qu’ancien maire, une telle observation me fait sourire : les maires qui œuvrent quotidiennement au service de leurs concitoyens prennent déjà ce risque !

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. Oui !

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte qui va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Michel Masset applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hugues Saury. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi dont nous entamons l’examen est une étape sur le chemin de la différenciation de nos territoires. Cette notion n’est pas si facile à appréhender au regard de notre tradition politique jacobine.

Nous, Français, avons la « passion de l’égalité », comme l’écrivait Tocqueville ; nous pouvons d’ailleurs en être fiers. La loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », affirme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cependant, notre passion pour l’égalité a pu être dévoyée au profit de pratiques administratives ubuesques. D’un principe noble qui doit irriguer l’action publique et structurer les lois, on a fait un motif d’uniformité des territoires, délié des contextes locaux. De la petite commune à la métropole, du nord au sud, de l’urgence aux temps calmes, du département opulent au département indigent, de la sécheresse aux inondations, les mêmes règles inflexibles trouvent parfois à s’appliquer.

Nous avons ici une égalité qui n’est en réalité que formelle, textuelle.

Quelle égalité réelle y a-t-il quand des contraintes identiques s’appliquent pour constituer des dossiers-fleuves de subvention, alors qu’une mairie dispose d’un service juridique entier et l’autre seulement d’une secrétaire à mi-temps ?

Quelle égalité y a-t-il lorsque les mêmes délais s’appliquent pour la mise aux normes des infrastructures sportives, sélectionnant les équipes non plus sur leurs performances, mais sur la capacité des communes à rénover des tribunes ?

Tirant la leçon du fait que l’égalité n’est pas l’uniformité, ce texte vise donc à garantir une meilleure adaptation de l’action publique. Expérimenté depuis 2017, étendu par décret en 2020, le pouvoir de dérogation des préfets a connu un bilan mitigé. Ce texte vise donc à le renforcer, l’étendre et le clarifier.

Ne nous méprenons pas : ce dispositif ne créera pas un service public à la carte et ce texte ne revient pas sur les grands principes structurants de notre droit. Ainsi, comme l’indique son article 1er, le préfet pourra, « pour un motif d’intérêt général et pour tenir compte des circonstances locales », déroger à des normes arrêtées par l’administration de l’État. Il s’agit donc des normes réglementaires de nature formelle, ainsi que, dans certains cas seulement, de normes de fond.

Enfin, ce texte est un témoignage de confiance envers les préfets. Ceux-ci, représentants de l’État dans les territoires aux termes de notre Constitution, pourront exercer leur pouvoir de dérogation sur les décisions des agences et des services déconcentrés.

Ce texte est aussi un témoignage de confiance envers les collectivités, qui pourront bénéficier de traitements correspondant à des circonstances locales propres, parfois exceptionnelles. L’article 5 institue ainsi une conférence de dialogue pour renforcer les échanges entre préfectures et élus locaux.

Il est temps, sans rien renier de nos principes, d’avoir une administration qui soit plus souple, flexible et adaptée à son temps, à la diversité de nos territoires et aux besoins de nos concitoyens.

En conséquence, c’est avec conviction que je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)