Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy,

Mme Catherine Di Folco.

Questions d'actualité au Gouvernement

dispositif de lutte contre la fraude aux arbitrages de dividendes

situation des otages français en iran

souveraineté numérique et situation de l'entreprise visibrain

réchauffement climatique

conclave sur les retraites (i)

abrogation de la réforme des retraites

Salutations à un sénateur

conclave sur les retraites (ii)

remise en cause des énergies renouvelables et programmation énergétique de la france

réforme du scrutin de paris, lyon et marseille

justice fiscale

statut de l'élu local

relations avec l'iran

modélisations budgétaires et évolution de la corse

financement des associations

crise du logement et diagnostic de performance énergétique

chasse au gibier d'eau

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

Mise au point au sujet d'un vote

débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 juin 2025

Conclusion du débat

Modification de l'ordre du jour

clôture de la session ordinaire de 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy,

Mme Catherine Di Folco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, mais aussi du temps de parole.

dispositif de lutte contre la fraude aux arbitrages de dividendes

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Colombe Brossel et MM. Ian Brossat et Franck Dhersin applaudissent également.)

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, cela ne vous surprendra pas, ma question porte sur la fraude aux arbitrages de dividendes, dite fraude « CumCum »,…

M. Jean-François Husson. … et sur le texte d'application du dispositif de lutte antifraude que le Sénat a adopté à l'unanimité – je vous le rappelle – lors de l'examen du dernier projet de loi de finances.

Monsieur le ministre, à deux reprises, le président de la commission des finances, Claude Raynal, et moi-même vous avons écrit pour vous indiquer notre opposition au texte d'application – une instruction – que vous comptiez publier ; mais vous avez décidé de passer outre.

J'ai découvert, à l'occasion du contrôle sur place et sur pièces que j'ai effectué à Bercy jeudi dernier, que vos administrations elles-mêmes vous recommandaient de ne pas publier ce texte. Je les cite : « Les directions de la législation fiscale et des finances publiques sont d'avis de ne pas répondre à la Fédération bancaire française sur ce point qui était le plus controversé au Sénat […] et compte tenu de l'intention du législateur. »

Ma question est donc simple : de quelle légitimité démocratique vous prévalez-vous pour maintenir ce texte d'application alors qu'il est refusé par le Parlement, ce que même vos administrations semblent comprendre ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, RDSE, SER, GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, je vous remercie de me donner l'occasion d'apporter des précisions sur le sujet dont vous parlez.

La fraude dite « CumCum » consiste, pour un non-résident, à éviter l'imposition sur les dividendes en transférant les titres à un intermédiaire qui, lui, n'est pas tenu de payer la retenue à la source. Voilà ce dont il s'agit.

Quel est l'objet du texte incriminé ? Il est de lutter contre la fraude – et, en la matière, je partage évidemment tout à fait votre objectif – tout en permettant à nos entreprises de continuer d'accéder au financement de marché.

Je veux dire avant tout que nous n'avons pas attendu les révélations faites par la presse en 2018 pour conduire des contrôles : dans le respect du secret fiscal, auquel je suis tenu,…

M. Éric Lombard, ministre. … je puis vous dire que les premiers contrôles ont été réalisés en 2017 et ont conduit à plusieurs dépôts de plainte ainsi qu'à une dénonciation fiscale auprès du parquet national financier. Le 28 mars 2023, cinq établissements bancaires ont fait l'objet de perquisitions dans le cadre d'enquêtes visant des délits de fraude fiscale aggravée et de blanchiment. La main de l'État ne faiblira pas !

Pour ce qui est du texte d'interprétation que vous évoquez, paru au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) le 17 avril dernier, je veux commencer par rappeler qu'il est normal que l'administration commente les dispositions fiscales nouvelles d'une loi de finances.

Pour ce qui est des précisions qui font aujourd'hui polémique, le Gouvernement a eu l'occasion, lors des débats parlementaires, de souligner la nécessité de préciser le dispositif envisagé, et le texte a fait l'objet d'une concertation avec les banques de la place, mais également avec vous-même. Et, comme vous le signalez, nous avons eu plusieurs échanges oraux et écrits pour préciser les choses.

Pour ce qui est de l'avis de l'administration dont vous faites état, celle-ci n'a pas suggéré de ne pas publier ce texte : elle s'est prononcée sur une précision que, en effet, j'ai préféré maintenir contre son avis, ce qui est mon droit, me semble-t-il, en tant que ministre.

Enfin, et pour conclure, j'indique qu'un recours a été porté contre ce texte devant le Conseil d'État, lequel, en définitive, dira le droit. Mais je suis convaincu qu'en agissant ainsi nous avons respecté le Parlement tout en faisant droit à la nécessité d'expliciter les choses devant le contribuable. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, ce n'est pas une surprise, vous ne m'avez pas convaincu. Du reste, vos administrations, lorsque je les ai auditionnées, m'ont malheureusement confirmé n'avoir reçu, depuis 2018 – vous n'êtes donc pas le seul ministre incriminé –, ni instructions ni commande politique en vue d'insérer dans un projet de loi de finances un article visant à lutter contre la fraude CumCum.

Je rappelle qu'il y en a désormais pour 4,5 milliards d'euros de redressements : cette délinquance en col blanc, nous n'en voulons pas ; elle est inacceptable ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, SER, CRCE-K et GEST.)

Monsieur le Premier ministre, j'ai entendu hier le doute sérieux que vous avez exposé devant l'Assemblée nationale au sujet de cette fraude massive que nous condamnons. Vous avez rappelé votre attachement au respect du Parlement, qui est souverain par le vote qu'il exprime au nom du peuple français.

M. Jean-François Husson. Reprenant votre principe d'action en matière de finances publiques, et vous rappelant ces vérités, nous vous permettons – mieux : nous vous demandons – d'agir en retirant ce texte. Notre République en serait grandement honorée ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE, SER, CRCE-K et GEST.)

situation des otages français en iran

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, Cela fait désormais plus de trois ans que Cécile Kohler et Jacques Paris, deux de nos compatriotes alsaciens, qui sont originaires du Haut-Rhin, sont détenus arbitrairement en Iran et utilisés comme otages dans un jeu diplomatique cynique. Leur sort nous préoccupe plus que jamais.

Ce lundi, une frappe israélienne d'une intensité inédite a ciblé la tristement célèbre prison d'Evin, où sont enfermés de nombreux opposants politiques et où sont également détenus Cécile et Jacques. Selon les propres mots du ministre des affaires étrangères, cette frappe, dont on peine à comprendre les motivations, a mis en danger leur vie. C'est un seuil inédit qui est ainsi franchi dans ce triste feuilleton.

Dans le même temps, des signaux de désescalade apparaissent dans la région. Israël affirme avoir atteint ses objectifs militaires ; les États-Unis évoquent une accalmie possible permettant une potentielle reprise des pourparlers diplomatiques. Ce contexte nouveau ne saurait nous inciter à laisser de côté la question des otages.

M. le ministre des affaires étrangères a justement rappelé que cette frappe était inacceptable. Ma question est donc simple : quelles garanties a-t-il obtenues quant à l'intégrité physique de nos deux compatriotes haut-rhinois ? Et, surtout, va-t-il exiger que leur libération devienne une priorité absolue et non négociable de toute relance des négociations sur le nucléaire avec Téhéran ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Cédric Chevalier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Schillinger, voilà trois ans que nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris sont retenus en otage par la République islamique d'Iran dans des conditions indignes et inacceptables, qui relèvent de la torture au regard du droit international.

Vous le savez, leur libération est une priorité pour la diplomatie française. Au vu des tensions en cours dans la région, le Président de la République a eu l'occasion, ces derniers jours, de le rappeler en des termes très clairs, au téléphone, au président iranien.

À la suite de la frappe israélienne sur la prison d'Evin que vous avez mentionnée, le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, s'est entretenu avec son homologue iranien pour s'enquérir du sort de nos compatriotes, pour exiger un accès consulaire et pour rappeler, en des termes très clairs, encore une fois, l'exigence de leur libération immédiate et inconditionnelle. Nous avons obtenu l'assurance que nos compatriotes, Cécile et Jacques, n'ont pas été blessés dans ces frappes.

Je voudrais, dans ce moment, avoir une pensée particulière pour leurs familles, qui vivent un véritable calvaire du fait de la République islamique d'Iran. Et je salue, à cet égard, le travail de nos diplomates et de nos personnels consulaires, ainsi que du centre de crise et de soutien, qui accompagne quotidiennement les familles dans cette épreuve.

Madame la sénatrice, la politique de prise d'otages d'État conduite par la République islamique d'Iran est une violation du droit international. Nous la condamnons dans les termes les plus fermes. C'est la raison pour laquelle la France, au mois de mai, a déposé une requête auprès de la Cour internationale de justice pour faire constater et condamner la violation par l'Iran de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963.

Nous continuerons à nous mobiliser quotidiennement pour assurer la sécurité et surtout la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris, afin qu'ils puissent retrouver notre pays et leurs proches. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – M. Rachid Temal applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.

Mme Patricia Schillinger. Je vous remercie, monsieur le ministre.

Je connais votre engagement et votre ténacité, qui sont ceux du Gouvernement. (M. Rachid Temal s'exclame.) Reste qu'ils sont insuffisants pour les familles et pour toutes les personnes qui œuvrent pour la liberté de Cécile et de Jacques.

Il y a urgence : Cécile ne va pas bien – pas bien du tout – et l'on ne peut pas communiquer avec elle. Pour les familles, la situation est très difficile.

Mes pensées vont aux parents, aux proches et aux amis de Cécile et de Jacques, mais aussi aux élus qui les soutiennent.

Nous les soutenons par la pensée et je souhaite que le Sénat les applaudisse très fort : nous sommes à leur côté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées des groupes INDEP, UC, Les Républicains, SER et GEST.)

souveraineté numérique et situation de l'entreprise visibrain

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, on ne peut à la fois appeler à une plus grande souveraineté numérique et opter pour l'achat public non européen dès que l'occasion se présente.

Visibrain est le seul acteur français indépendant spécialisé dans la veille stratégique des réseaux sociaux, le fameux social listening américain. Depuis 2017, cette société d'ingénieurs française équipe plusieurs ministères et administrations de l'État. Son expertise permet d'assurer une veille en temps réel sur les réseaux tels que X, TikTok, Telegram et LinkedIn, mais aussi de suivre les tendances pour anticiper les crises et lutter contre la désinformation.

Voilà un outil clé dans l'analyse de l'opinion publique à partir de données par nature extrêmement sensibles. Il serait irresponsable, dans le contexte géopolitique actuel, d'abandonner aux puissances étrangères cette mine informationnelle si vitale pour nombre de nos services assurant renseignement, sûreté et sécurité.

Le service d'information du Gouvernement (SIG) a pourtant décidé d'écarter son prestataire national historique, qui a obtenu la meilleure note technique, au profit de Talkwalker. Rachetée par la société canadienne Hootsuite en 2024, sous capitaux américains, cette solution est hébergée sur des infrastructures soumises au Cloud Act.

Les prochaines élections qui auront lieu en France feront l'objet de tentatives d'ingérence via les réseaux sociaux, arme de déstabilisation massive de nos démocraties – on l'a bien vu aux États-Unis comme en Roumanie.

Madame la ministre, comment le SIG a-t-il pu faire preuve d'une telle naïveté ? L'offre concurrente retenue ne couvre même pas TikTok, alors que 70 % des utilisateurs français de ce réseau social ont moins de 24 ans ! Le seul critère qui était à l'avantage de cette offre est son prix, anormalement bas. Ce vil prix est-il, madame la ministre, celui de notre souveraineté ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – Mme Antoinette Guhl et MM. Akli Mellouli et Rachid Temal applaudissent également.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame le sénateur, je vous remercie de cette question, qui est fondamentale dans l'époque actuelle, s'agissant de souveraineté numérique.

Oui, le service d'information du Gouvernement, lorsqu'il a remis en jeu un certain nombre de lots dont les attributaires l'aident notamment dans la tâche que vous avez mentionnée, a pris une décision qui conduit à la situation actuelle. Cette décision est la suivante : sur quatre lots, trois ont été attribués à des sociétés françaises, à savoir Bloom, Trajaan et DeepOpinion et le quatrième a donné lieu au remplacement d'une société française par une société canadienne, Talkwalker.

Je pourrais vous dire – et je vous le dis, bien sûr – que ce marché est conforme. Oui, le lauréat, Talkwalker, a fait une offre tarifaire bien plus intéressante que celles des sociétés françaises en lice pour ce même lot.

Je pourrais vous dire qu'il s'agit non pas de données sensibles, mais de données publiques, et que les serveurs sont hébergés ici en Europe.

Cela étant, vous connaissez ma conviction : ce type de décision est inadmissible. On ne peut pas continuellement parler de souveraineté numérique et se cacher derrière les règles des marchés publics pour prendre de telles décisions. On ne peut pas continuellement s'enorgueillir d'un écosystème d'innovation à la pointe de la technologie et se tourner, à la moindre occasion, vers les solutions non européennes. (M. François Patriat et Mme Vanina Paoli-Gagin applaudissent.)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Oui, ce sujet est difficile ; il est encadré par le code de la commande publique, par tout un tas de règles que nous connaissons, et que vous-même, madame la sénatrice, connaissez mieux que personne – vous les dénoncez régulièrement.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Ce que je peux vous garantir, c'est qu'en l'espèce, comme sur nombre d'autres sujets difficiles, je ne lâcherai rien. Il faut que nous regardions ce que nous sommes capables de faire en Europe : c'est précisément ce à quoi nous nous attelons avec la révision des directives sur la passation des marchés publics ; et nous irons jusqu'au bout. (Exclamations sur les travées du groupe SER. – M. Franck Montaugé lève les bras au ciel.)

M. Rachid Temal. C'est-à-dire ?

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. On ne construit pas de souveraineté numérique quand on n'est pas capable de se doter d'une vraie politique industrielle, ce qui veut dire, en l'occurrence, nous tourner vers nos entreprises et vers nos acteurs de l'innovation et du numérique. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et RDSE. – Protestations sur des travées du groupe UC.)

réchauffement climatique

M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Éric Gold. Madame la ministre de la transition écologique, il s'agit non plus d'une hypothèse, mais d'un constat : limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius n'est désormais plus possible. À peine dix ans après l'accord de Paris sur le climat, soixante et un scientifiques de renom l'affirment dans un rapport destiné aux décideurs publics.

En raison de notre incapacité collective à diminuer les émissions de gaz à effet de serre, notre bilan carbone résiduel sera épuisé dans moins de trois ans, provoquant une hausse durable des températures dont les activités humaines sont les seules responsables. Ces conséquences sont bien connues : elles figuraient déjà dans un premier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), en 1990.

Malgré ces alertes appuyées, répétées et inquiétantes, les politiques ne semblent pas avoir pris la mesure de la gravité de la situation. Pis, on assiste à un recul sur toutes les thématiques qui ont trait à l'environnement.

Hier, l'Assemblée nationale a retrouvé la raison en rejetant le texte prévoyant un moratoire sur toute nouvelle installation éolienne ou photovoltaïque.

Mais, avec la réduction du fonds vert, la suppression des zones à faibles émissions, les conflits sur les conditions d'accès à l'eau, l'avenir incertain de MaPrimeRénov', nous assistons impuissants à une vague de retours en arrière, alors même que nous n'en avons déjà pas fait assez.

Madame la ministre, une très large majorité de la population souhaite que le Gouvernement agisse face au changement climatique ; mais ce sont les climatosceptiques qui parlent le plus fort. Vous avez appelé les parlementaires à la responsabilité. Vous avez eu des mots forts, comme votre collègue ministre de l'industrie, qui connaît particulièrement les enjeux de la souveraineté énergétique.

La question climatique nécessite des mesures de long terme, qui dépassent le temps d'un mandat électoral, et plus encore celui d'un gouvernement en période d'instabilité politique. Aussi, madame la ministre, que comptez-vous faire pour que votre gouvernement ne soit pas celui du renoncement ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Gold, vous avez raison : on ne pourra pas dire que l'on ne savait pas. L'inaction climatique est une arme de destruction massive. Certes, nous tenons, nous, Français, notre trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre (Non ! sur les travées du groupe GEST.) : le Conseil d'État l'a confirmé, nous sommes, à fin 2024, sur la bonne trajectoire de baisse (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.) – je suis très précise, je n'ai pas parlé de 2025…

Nous avons réussi ensemble, grâce aux accords de Paris, à contenir la trajectoire planétaire de réchauffement en deçà de 1,5 degré Celsius. Il est vrai néanmoins que le compte n'y est pas et que d'ici trois ans nous aurons épuisé notre budget carbone à l'échelle planétaire.

Non, le Gouvernement ne désarme pas.

Il ne désarme pas en matière de planification écologique : comme vous le savez – je vous remercie de l'avoir mentionné –, mon collègue Marc Ferracci et moi-même continuons à tenir la barre s'agissant de nous doter d'une programmation pluriannuelle de l'énergie qui soit équilibrée du triple point de vue du pouvoir d'achat des Français, de la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre et de l'exigence d'une réindustrialisation de notre pays fondée sur les énergies renouvelables et le nucléaire.

Nous continuons également à agir en déployant les autres volets de la planification écologique : le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). (M. Rachid Temal ironise.)

Tous ces textes sont très importants : ils sont bien davantage qu'un ensemble d'idées abstraites, car ils trouvent à se territorialiser. Les maires, les présidents d'agglomération et les présidents de région n'ont jamais été aussi nombreux qu'aujourd'hui à investir dans la transition écologique.

Oui, vous avez raison, il faut continuer de tenir le cap. Je compte sur vous ! Le budget sera à cet égard un rendez-vous important : nous devrons faire des efforts, mais n'oublions jamais que la dette financière doit être gérée en pensant, pour les générations futures, à la dette écologique. (M. François Patriat applaudit.)

conclave sur les retraites (i)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, la France a besoin de stabilité dans un contexte international terrifiant ; les Français réclament plus de justice sociale, plus de justice fiscale et une amélioration de leur pouvoir d'achat ; le 19 décembre dernier, à Matignon, lors d'une réunion avec les formations politiques que vous aviez convoquée, vous affirmiez que « le déblocage du pays nécessite de reprendre la réforme du régime des retraites », une réforme injuste imposée brutalement par Mme Borne et rejetée par 85 % de nos concitoyens.

Or, depuis quarante-huit heures, vous vous retrouvez l'otage de l'intransigeance assumée, provocatrice, irresponsable, d'un patronat arc-bouté sur ses intérêts financiers à court terme et refusant de privilégier le paritarisme, gage d'une démocratie sociale efficace.

Des avancées concrètes étaient à portée de main : reconnaissance des carrières hachées, notamment pour les femmes, élargissement du compte pénibilité, accès anticipé à la retraite sans décote, financement sécurisé. La CFDT, la CFTC et la CFE-CGC étaient prêtes à s'engager, le patronat non ; et vous, monsieur le Premier ministre ?

Soyons clairs : nous restons fermement opposés à l'injustice structurelle qu'est l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite. Cet impôt sur la vie, nous continuerons toujours de le combattre avec détermination. Mais l'esprit de responsabilité et l'intérêt de millions de Français nous commandent de donner une chance à la politique des petits pas.

J'en viens à ma question, qui rejoint celle que mon collègue Boris Vallaud vous a posée hier après-midi.

Monsieur le Premier ministre, dans votre lettre du 16 janvier, vous vous disiez prêt à présenter au Parlement les avancées issues des travaux des partenaires sociaux, même sans accord global. Allez-vous donc sortir de l'ambiguïté, de l'impasse actuelle et redonner le dernier mot au Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST. – MM. Ian Brossat et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président Patrick Kanner, vous avez rappelé quel était le cadre de la situation et je veux dire à cet égard des choses extrêmement précises.

M. François Bayrou, Premier ministre. Premièrement, il est faux de dire que le « conclave », comme on l'a appelé,…

M. Rachid Temal. Comme vous l'avez appelé !

M. François Bayrou, Premier ministre. … a été un échec : au contraire ! (Exclamations et applaudissements ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Bernard Jomier. « Il n'a pas marché ! »

M. François Bayrou, Premier ministre. Et nous verrons, je l'espère dans quelques heures, que tel n'est pas le cas.

Vous avez rappelé, à très juste titre, que des avancées très importantes ont été acceptées et voulues – consenties, en tout cas – par tous les acteurs présents autour de la table, les syndicats de salariés que vous avez cités et les représentants des entreprises. Ces avancées très importantes – j'y insiste – allaient dans le sens de ce que souhaitent le Gouvernement et aussi, me semble-t-il, la Nation, c'est-à-dire un équilibre du régime des retraites et le traitement plus juste de certaines situations – je pense par exemple à celle des femmes ayant eu des enfants, sujet très important. (Mme Monique Lubin s'exclame.)

Comme vous le savez, hier matin, après avoir constaté que les participants à cette réunion s'étaient séparés sans accord, je les ai tous invités à venir me rencontrer. Ils sont tous venus, jusqu'à hier soir assez tard.

Je considère, pour ma part, que le chemin existe pour ne rien perdre des avancées qui ont été consenties. Je vais donc continuer à travailler avec eux jusqu'à demain après-midi. Et, demain après-midi, je dirai aux Français quel accord nous pouvons trouver. S'il demeure des points de désaccord, le Gouvernement les tranchera.

Mme Audrey Linkenheld et M. Rachid Temal. Et le Parlement ?

M. François Bayrou, Premier ministre. Ainsi serai-je absolument fidèle au texte que vous avez imparfaitement cité.

M. François Bayrou, Premier ministre. Je me suis engagé, dans l'hypothèse où cet accord emporterait des dispositions législatives, à ce qu'elles soient soumises au Parlement :…

M. Rachid Temal. Dans tous les cas !

M. François Bayrou, Premier ministre. … elles le seront et le Parlement aura toutes les occasions de s'exprimer sur ce sujet, pour le plus grand bien du pays ; il y va du sentiment moral que nous devons éprouver à l'égard des générations futures. (Vifs applaudissements sur des travées des groupes UC et RDPI.)

M. Rachid Temal. Ce n'est pas sérieux !

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je ne suis pas vraiment convaincu : j'aurais aimé que vous me répondiez plus clairement en m'assurant que le Parlement réexaminerait l'ensemble de ce dossier des retraites.

Vous vous engagez aujourd'hui à présenter quelques dispositions au Parlement. Je ne sais si c'est la menace de censure qui, en l'espèce, a du bon et vous fait avancer. (Oh ! sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé s'exclame.)

Quoi qu'il en soit, monsieur le Premier ministre, sachez que vous avez intérêt à parler aux républicains, au sens large du terme, de ce pays, plutôt que de vous lier au bon vouloir du Rassemblement national, stratégie qui a coûté cher à votre prédécesseur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

abrogation de la réforme des retraites

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le Premier ministre, le conclave sur les retraites, celui-là même dont la promesse vous a permis d'échapper à la censure cet hiver, s'est achevé sur un échec des négociations – il faut le dire.

Cet échec était prévisible, puisque vous avez refusé de mettre sur la table l'abrogation de la retraite à 64 ans.

Cet échec est aussi la conséquence de l'obstination du patronat à ne céder ni sur la pénibilité ni sur les carrières anticipées.

Ma question est donc simple : allez-vous présenter, comme vous vous y êtes engagé, un projet de loi au Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Colombe Brossel et M. Hervé Gillé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Madame la présidente Cukierman, je l'ai dit et je le répète : à mes yeux, pour avoir suivi minute par minute, depuis quatre mois, les négociations qui se sont déroulées avec tous les participants au conclave, représentants des salariés ou représentants des entreprises, des progrès considérables ont été accomplis. Comme beaucoup l'ont dit, l'accord était à portée de la main : on était à quelques centimètres de la réussite du conclave. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)

Allons-nous laisser ces progrès sans suite ? Ma réponse est non.

Nous allons, autant que possible, prendre en compte la totalité des concessions consenties et des compromis dessinés par les salariés et les entreprises.

M. Pascal Savoldelli. C'est vaporeux, ça !

M. François Bayrou, Premier ministre. Le Gouvernement prendra ses responsabilités,…

M. Rachid Temal. Que faites-vous du Parlement ?

M. François Bayrou, Premier ministre. … et cela n'a rien à voir, monsieur le président Kanner, avec la menace d'une censure. Puis-je vous rappeler que nous sommes tous les jours sous la menace de la censure ? Il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale et chacun s'en est aperçu !

M. Pascal Savoldelli. Il y a une majorité populaire contre les retraites !

M. François Bayrou, Premier ministre. Il est donc inutile de penser, comme Chantecler, que c'est le chant du coq qui fait se lever le soleil.

Mme Laurence Rossignol. Répondez plutôt à Mme Cukierman !

M. François Bayrou, Premier ministre. Nous avançons de manière déterminée…

M. Rachid Temal. … vers la fin…

M. François Bayrou, Premier ministre. … sur la voie, tracée par les Français eux-mêmes via leurs représentants, des progrès de la société française. Je suis un défenseur de la démocratie sociale ; tout le monde ici le sait. La présidente Cukierman peut donc être assurée que ce travail ne sera ni oublié ni annulé. (Mme Cécile Cukierman fait la moue.) Nous allons l'assumer devant les Français dans le cadre des responsabilités gouvernementales qui sont les nôtres. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – MM. Emmanuel Capus, Daniel Chasseing et Loïc Hervé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le Premier ministre, votre totem d'immunité reposait sur deux choses : l'organisation d'une négociation sur la réforme des retraites et le retour devant le Parlement avec un projet de loi. Quatre mois se sont écoulés, vous l'avez rappelé, et vous n'avez respecté aucune des conditions de l'accord que vous aviez passé avec les parlementaires socialistes. Vous affirmiez pourtant le 16 janvier – ce sont vos propres termes – « que cette discussion aurait lieu sans totem ni tabou ». « Comme je l'ai indiqué hier au Sénat, ajoutiez-vous, le Parlement aura, en tout état de cause, le dernier mot. »

Or vous avez déclaré dès le début du conclave que le retour de l'âge légal à 62 ans était exclu des issues possibles et vous avez ajouté que les propositions qui seraient émises devaient permettre de dégager 6 milliards d'euros pour équilibrer le système. Vous avez donc sciemment dénaturé la négociation et empêché le dialogue social, auquel vous semblez si attaché, de se tenir avec sérénité.

Il y a dix jours, vous annonciez qu'il existait un chemin pour un accord. Hier et encore aujourd'hui, vous nous répondez qu'un chemin existe pour sortir de l'impasse. Pardonnez-moi, monsieur le Premier ministre : si je crois en votre goût de la randonnée, je ne vous accompagnerai toutefois pas dans le Jurançon, de crainte de m'égarer sur un de vos fameux « chemins » qui ne sont, de fait, que des impasses.

L'abrogation – oui ! – demeure à ce jour fortement attendue et exigée par une grande majorité de nos concitoyens. Elle reste la seule issue pour ce qui est de répondre à leurs attentes, y compris celles qui ont trait à la pénibilité et au temps de travail. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Salutations à un sénateur

M. le président. Avant de lui donner la parole, je souhaite saluer notre doyen, Jean-Marie Vanlerenberghe.

Sénateur du Pas-de-Calais depuis 2001, il a décidé de mettre un terme le 31 août prochain à son mandat, après vingt-quatre années passées au sein de notre Haute Assemblée.

Au nom du Sénat, je veux le remercier de son engagement, au sein d'abord de la commission des affaires culturelles, puis de la commission des affaires sociales, dont il a été vice-président, puis rapporteur général pendant sept ans ; Alain Milon s'en souvient particulièrement bien.

Au cours de ses mandats successifs, il a contribué à de nombreux travaux du Sénat en matière sociale. Je fais référence aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, mais également aux textes relatifs à l'amélioration de notre système de soins, à l'évolution de notre système de retraite ou encore aux transformations du marché de l'emploi. En 2005, il a présidé la mission d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, dont les travaux ont fait date ; je m'en souviens personnellement.

Je tiens à lui exprimer la gratitude du Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent longuement.)

conclave sur les retraites (ii)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe Union Centriste.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie ; je ne suis pas sûr de mériter toutes ces louanges, mais je les accepte bien volontiers. (Exclamations amusées.)

Monsieur le Premier ministre, le conclave s'est achevé, mais pas par une fumée blanche, comme nous l'espérions. Je le regrette. Mais, comme vous, je pense qu'il ne faut pas en rester là.

Voilà cinq mois, vous aviez décidé de confier aux partenaires sociaux le soin de réviser la réforme des retraites, en précisant alors qu'il s'agissait d'une discussion ouverte, sans tabou, sans totem, pas même sur l'âge d'ouverture des droits, tout en ajoutant qu'il fallait respecter l'équilibre du système en 2030.

C'était une chance inespérée pour le paritarisme et le dialogue social, auquel vous êtes attaché, comme nous tous.

C'était, en quelque sorte, un retour aux sources pour les partenaires sociaux, syndicats et patronat, qui, pendant longtemps, avait la gestion exclusive du système de retraite, notamment celui du secteur privé. C'est d'ailleurs toujours le cas du régime complémentaire, l'Agirc-Arrco, qui, avec 86 milliards d'euros de réserves pour environ 100 milliards d'euros de dépenses, est un exemple de bonne gestion à saluer.

Vous avez donné aux partenaires sociaux l'occasion de reprendre la gouvernance du système de retraite pour les 80 % de salariés du secteur privé. J'ai d'ailleurs noté que l'ensemble des participants au conclave étaient favorables au rapprochement des régimes de base et complémentaire, toujours pour le privé.

Les premières conclusions faisaient même état d'avancées sur des questions essentielles, comme la pénibilité, le droit des femmes et des mères de famille, entre autres. Je pense donc, comme vous, qu'une voie de passage existe.

Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire désormais pour le système de retraite ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes INDEP, RDSE, RDPI et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, certains sénateurs l'ignorent peut-être, mais j'aurais pu ajouter mes compliments à ceux, relayés par de nombreux applaudissements, de M. le président, et ce depuis le premier jour de mon engagement politique.

Naturellement, beaucoup n'ont pas suivi cette longue histoire de militantisme et d'amitié entre nous. En vous voyant, je revis un épisode bien particulier : tout jeune garçon, venant de passer l'agrégation, j'étais allé sonner à la porte du parti politique qui est toujours le nôtre, le vôtre et le mien ; j'avais à peine 20 ans, et celui qui m'a accueilli derrière la porte était un certain Jean-Marie Vanlerenberghe. (Exclamations amusées.) C'est dire si cette histoire n'est pas récente !

Dans cette histoire, il y a des convictions. Et parmi ces convictions, il y a l'attachement, qui n'est pas partagé sur toutes les travées, à l'idéal de démocratie sociale : pour nous, il est des domaines qui relèvent non pas du politique, mais de la société civile organisée et des corps intermédiaires ; c'est ainsi que l'on peut apaiser une société au lieu de perpétuellement la rendre plus conflictuelle.

M. Rachid Temal. Comme avec le conclave…

M. François Bayrou, Premier ministre. Vous et moi considérons – Dieu sait que nous en avons parlé des milliers de fois ! – que les retraites sont l'un de ces domaines. Vous et moi n'avons eu de cesse de croire que la responsabilité des partenaires sociaux pouvait être engagée et bienfaisante. Et nous le croyons encore. Nous pensons que cette négociation sur les retraites peut aboutir positivement et qu'elle a en tout cas fait considérablement progresser les choses.

Je vous confirme notre détermination, celle du Gouvernement – je suis sûr que vous l'approuvez –, pour que rien ne soit perdu du chemin parcouru et que le travail de concertation des organisations syndicales et patronales puisse être mené à son terme.

Permettez-moi de vous adresser devant le Sénat des remerciements affectueux ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains.)

remise en cause des énergies renouvelables et programmation énergétique de la france

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Qui aurait pu prédire que la droite et l'extrême droite allaient s'allier pour attaquer l'écologie ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Les scientifiques nous indiquent que l'objectif de limiter le réchauffement climatique global à 1,5 degré Celsius n'est plus atteignable.

Après les zones à faibles émissions (ZFE), le zéro artificialisation nette (ZAN) et MaPrimeRénov', les Républicains et le Rassemblement national se trouvent un nouveau point commun : se faire les chantres de la décroissance des énergies renouvelables. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

L'énergie solaire et éolienne, ses entreprises et ses employés, la réduction des gaz à effet de serre : tout cela a failli être abandonné hier à l'Assemblée nationale grâce à vos amis, monsieur le ministre ! Fessenheim, déjà arrêtée, aurait été rouverte grâce à une extrême droite toute puissante.

Voilà ce que nous proposent Laurent Wauquiez et l'extrême droite : le retour à la lampe à huile, le backlash écologique, le climato-négationnisme ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Hier, l'Assemblée nationale a rejeté la proposition de loi Gremillet et son moratoire. Tant mieux !

Mais aujourd'hui, soyons concrets. Le Gouvernement maintient-il l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat le 8 juillet ? Publiera-t-il le décret de programmation de l'énergie avant la deuxième lecture ? Oubliant les promesses d'Emmanuel Macron, la coalition gouvernementale va-t-elle définitivement fermer le ban d'une programmation énergétique ambitieuse pour les énergies renouvelables, qui, seule, peut protéger notre souveraineté et le climat ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie.

M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie. Madame la sénatrice, votre question, dont je vous remercie, me donne l'occasion de réaffirmer ici que le cap de notre politique énergétique reste inchangé. Ce cap, c'est la sortie de la dépendance aux énergies fossiles.

C'est un enjeu non seulement climatique – vous l'avez rappelé –, mais également de souveraineté, quand ces énergies représentent 60 % de notre consommation énergétique, pèsent à hauteur de 70 milliards d'euros sur notre balance commerciale et nous mettent à la merci de pays qui exportent et qui, pour certains, sont désormais hostiles à la France et à l'Europe.

Nous maintenons donc ce cap, et nous allons l'atteindre, grâce à une stratégie reposant sur deux jambes : notre mix énergétique combine en effet le nucléaire et les énergies renouvelables.

La proposition de loi préparée par le sénateur Daniel Gremillet, dont je tiens à saluer ici le travail, fournissait un cadre : une loi de programmation. Elle a – vous l'avez indiqué – été totalement dénaturée lors des débats à l'Assemblée nationale, avec des amendements absurdes du point de vue industriel, comme sur la réouverture de Fessenheim,…

M. Jacques Fernique. En effet, c'est absurde !

M. Marc Ferracci, ministre. … extrêmement fragiles du point de vue juridique, notamment au regard du droit européen, voire dévastateurs – je fais référence à ce fameux moratoire sur les énergies renouvelables – pour nos filières industrielles et l'économie dans nos territoires.

C'est la raison pour laquelle ce texte a été rejeté ; c'était, me semble-t-il, nécessaire. Il va poursuivre son cheminement. Il est inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat le 8 juillet. La sérénité doit reprendre ses droits dans les débats.

Le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) est réclamé par les filières industrielles. Il est également nécessaire pour mettre notre politique nucléaire en cohérence avec ce que nous souhaitons faire. Mais il ne sera pris qu'une fois que la représentation nationale aura pu débattre, voter et converger sur un texte. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.

Mme Anne Souyris. Monsieur le ministre, le « et et » à la place du « ni ni », cela donne parfois du « en même temps ». Mais à quoi cela aboutit-il ? Quel est le chemin ? Pour l'instant, nous ne le voyons pas.

Le texte qui avait été examiné au Sénat était déjà très insatisfaisant. Vous prétendez vouloir combiner le nucléaire et les énergies renouvelables ? En l'occurrence, il manquait les énergies renouvelables…

N'oubliez pas que la droite et l'extrême droite sont en train de saccager l'écologie et l'accord de Paris. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous avez pris des engagements.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Anne Souyris. J'espère que vous les tiendrez. Vous devrez faire des choix. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

réforme du scrutin de paris, lyon et marseille

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Monsieur le Premier ministre, vous avez jugé utile d'inscrire à l'ordre du jour un texte modifiant les modes de scrutin applicables aux villes de Paris, Lyon et Marseille.

M. Bruno Sido. Une absurdité !

Mme Muriel Jourda. Ce texte est apparu de façon assez tardive, au regard non seulement de la date des élections municipales, mais également de celle de l'ouverture de la période électorale, au mois de septembre prochain.

Ce caractère tardif et une certaine impréparation du texte ont été soulignés par le président Larcher, puis par le président du groupe Les Républicains, M. Mathieu Darnaud, lors de la séance des questions d'actualité au Gouvernement du 19 février dernier. Vous aviez alors répondu : « […] seul le Parlement sera souverain – pas le Gouvernement ! Je n'imagine pas qu'un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu'un accord soit trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat. »

Dès lors, je n'ai pas imaginé que vous passeriez outre l'avis de la chambre des territoires, en particulier sur un texte concernant les collectivités territoriales. Or, lorsque nous avons été saisis du texte, nous avons constaté qu'en plus d'être tardif, celui-ci avait été rédigé avec une légèreté quasiment irréparable. Nous l'avons donc rejeté à une assez forte majorité au Sénat.

Vous avez pourtant immédiatement convoqué une commission mixte paritaire. Au regard de la faiblesse des propositions qui nous ont été adressées, celle-ci n'a pu être conclusive ; c'était hier matin. Et je lis dans les journaux que vous souhaiteriez continuer ce processus législatif. Mais je ne crois pas nécessairement ce que je lis dans les journaux.

Monsieur le Premier ministre, pouvons-nous savoir ce que vous imaginez désormais pour ce texte ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Le Premier ministre !

M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente Jourda, à vous plus qu'à quiconque, je répondrai : « Les institutions, rien que les institutions, mais toutes les institutions. » (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le Gouvernement exerce ses responsabilités, dans un contexte où il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale et où les deux chambres sont parfois en désaccord. Le cycle institutionnel nous permet d'aller vers le compromis. Et c'est dans cet esprit-là que le Premier ministre nous demande de travailler.

M. Roger Karoutchi. Ce n'est pas ce qu'il avait dit !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. À défaut, qu'arriverait-il aux textes d'origine sénatoriale que le Gouvernement soutient ? Je pense aux propositions de loi Duplomb, Gremillet ou visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace). (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Sur ces textes, il est possible qu'il y ait des divergences profondes, fondamentales, entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

M. Jacques Grosperrin. Où est le Premier ministre ?

M. Patrick Mignola, ministre délégué. J'entends évidemment vos préventions légitimes – elles ont d'ailleurs été relayées aujourd'hui encore par le président du Sénat – quant à un éventuel dernier mot donné à l'Assemblée nationale. Mais nous n'en sommes pas là.

M. Rachid Temal. Alors, où en sommes-nous ?

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Comme nos institutions le prévoient, lorsqu'une commission mixte paritaire n'est pas conclusive, les deux chambres sont saisies chacune pour une nouvelle lecture. Compte tenu de ce que je viens d'indiquer, le souhait du Gouvernement est de tout faire pour qu'un compromis soit envisagé.

Je tiens à rendre hommage à la rapporteure Lauriane Josende et au rapporteur Mattei, qui ont travaillé ensemble et qui, s'appuyant sur le cabinet du ministre de l'intérieur, ont pu émettre des propositions conformes aux attentes du Sénat, en particulier s'agissant du rôle des maires d'arrondissement et de la répartition des compétences avec les mairies centrales. (Mmes Marie-Claire Carrère-Gée et Catherine Dumas protestent.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Certes, j'ai bien compris que ces propositions n'ont pas été examinées très longtemps et que certains échanges, pas tous, n'ont pas été caractérisés par toute la bonne foi que nous aurions pu espérer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Désormais, l'engagement du Gouvernement est de travailler à ce compromis dans le cadre d'une nouvelle lecture dans chaque chambre.

Mme Catherine Dumas. On n'en veut pas !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. C'est à ce prix que nous saurons faire fonctionner nos institutions. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.

Mme Muriel Jourda. Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, le 3 juin dernier, vous avez vous-même déclaré : « Le Gouvernement va prendre une décision en concertation avec les deux assemblées et les groupes parlementaires qui les composent. C'est forcément une décision collective. » Lorsque j'entends ce que vous me répondez aujourd'hui, je me demande lequel de nous deux est de bonne foi. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et INDEP.)

justice fiscale

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le Premier ministre, au mois de février dernier, alors que tout nous conduisait à la censure, le Parti socialiste a pris ses responsabilités, afin de doter notre pays d'un budget.

Contre la non-censure, nous actions avec vous, par écrit, diverses mesures. Parmi celles-ci figurait la création d'un dispositif fiscal visant à taxer les hauts patrimoines, générant ainsi 4 milliards d'euros de recettes, afin de rétablir un semblant de justice fiscale, que huit années de macronisme ont totalement détruite.

Force est de le constater aujourd'hui, vous avez décidé de nous payer en billets de Monopoly.

Dois-je rappeler que l'attelage gouvernemental qui est le vôtre n'est pas plus légitime qu'au lendemain des dernières législatives, dont les résultats ont clairement appelé à votre départ de la gestion des affaires du pays ? L'alliance des perdants ne saurait imposer ses vues à ceux qui sont arrivés en tête, surtout en matière budgétaire : le trou béant du Trésor est encore perceptible à l'œil nu.

Alors que le mur du budget sur lequel vous allez vous écraser se rapproche, vous, vous discutez tranquillement de sa couleur.

Prochainement, vous allez encore nous demander de venir dans une de ces réunions où tout est déjà décidé à l'avance pour mieux vous prévaloir d'une concertation factice qui ne trompe plus personne. Car nous l'avons bien compris, à part des économies sonnantes et trébuchantes, qui pèseront majoritairement sur les plus fragiles, rien ne trouve grâce à vos yeux.

Sur les retraites, la tenue de vos engagements n'est guère plus satisfaisante, et c'est très logiquement que notre famille politique a déposé une motion de censure.

Monsieur le Premier ministre, comptez-vous respecter vos engagements en matière de justice fiscale ou envisagez-vous de nouveau une fuite en avant, vous contraignant à un tango mortifère avec l'extrême droite ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ian Brossat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur Thierry Cozic, rien n'est décidé d'avance. Ces sujets vont sans doute nous occuper dans les mois à venir. Ainsi que M. le Premier ministre l'a indiqué, comme il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale – vous le savez parfaitement –, c'est bien dans la concertation que nous allons travailler.

En accord avec le Premier ministre, la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, et moi-même allons recevoir dans les semaines qui viennent les présidents et présidentes des groupes politiques, les présidents de commission et les rapporteurs généraux, afin d'écouter les propositions et d'élaborer un projet de loi de finances. Le Premier ministre en donnera les premières lignes vers le milieu du mois de juillet, et nous poursuivrons la concertation à la rentrée, afin de rechercher les voies et moyens de trouver l'accord le plus large possible.

Vous avez abordé deux sujets ayant effectivement fait l'objet de discussions plus particulières avec votre groupe et avec vos collègues de l'Assemblée nationale.

Sur les retraites, M. le Premier ministre a, me semble-t-il, été parfaitement clair : comme les partenaires sociaux étaient à quelques centimètres d'un accord, nous allons rechercher comment franchir ces derniers centimètres.

Sur la fiscalité, les engagements qui ont été pris seront évidemment tenus. Imaginer le contraire serait mal connaître M. le Premier ministre. Nous préciserons le détail des dispositions au fur et à mesure. Vous l'avez bien compris, c'est dans le dialogue que ce texte va se construire.

Je vous confirme notre entière disponibilité pour le préparer avec vous et vos collègues, afin – je l'espère – d'avoir un projet de budget équilibré, efficace et utile à la rentrée prochaine. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour la réplique.

M. Thierry Cozic. Monsieur le ministre, vous parlez de « concertation ». Mais la concertation implique aussi le respect des engagements pris. En ne respectant pas les vôtres, vous vous exposez à la censure, vous plaçant ainsi dans la main de l'extrême droite, ce qui – M. Barnier pourrait en témoigner – n'est pas la position la plus confortable… Ne jouez pas le budget de la France à la roulette russe ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

statut de l'élu local

M. le président. La parole est à Mme Marie-Jeanne Bellamy, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Jeanne Bellamy. Monsieur le Premier ministre, cela fait des années que les maires de France attendent un véritable statut de l'élu local. Cela fait plus d'un an que le Sénat a répondu à cet appel, avec une proposition de loi conforme à leurs attentes et adoptée à l'unanimité au sein de notre Haute Assemblée.

Aujourd'hui, les injures et diffamations publiques contre les maires sont quotidiennes. Les menaces contre leur personne ou leurs biens sont de plus en plus fréquentes, les agressions physiques se banalisent et leur charge mentale ne cesse d'augmenter.

Alors que lassitude et découragement se multiplient, nombre de maires renoncent à se représenter ou rencontrent des difficultés à constituer leur liste, faute de candidats, à moins de neuf mois des prochaines municipales.

Nos élus ne demandent pas la promesse des grands soirs. Ils souhaitent simplement une reconnaissance concrète de leur engagement, une meilleure protection et des conditions d'exercice compatibles avec une vie personnelle et professionnelle.

Après de nombreux reports, l'Assemblée nationale se saisit enfin du texte, à partir du 7 juillet prochain. Mais que la route est longue, dès lors que la procédure accélérée n'a pas été actée !

Monsieur le Premier ministre, vous qui êtes maire et attaché à ce mandat, pouvez-vous prendre l'engagement solennel devant le Sénat que ce texte sera bien inscrit à l'ordre du jour du Sénat dès le mois de septembre et que tout sera mis en œuvre pour qu'il soit promulgué avant la fin de l'année ? Il y a urgence ; les élus ne peuvent plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Rachid Temal. Bon anniversaire !

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Bellamy, nous partageons évidemment votre analyse. Pour preuve, le texte que vous évoquez est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 7 juillet.

Vous l'avez souligné, ce texte est attendu par tous les élus de France ; ancien maire de Dijon, j'en sais moi-même toute l'importance. La volonté unanime qui s'était exprimée ici l'an dernier prévaudra également – je l'espère – à l'Assemblée nationale.

Avec Françoise Gatel, qui a été à l'origine de cette proposition de loi lorsqu'elle siégeait parmi vous, je tiens à faire en sorte que le texte soit examiné par les députés, puis qu'il revienne devant vous au mois de septembre.

Vous l'avez rappelé, les élus de France attendent de meilleures conditions d'exercice de leur mandat, une véritable protection fonctionnelle face aux agressions et aux insultes auxquelles ils sont soumis et la fin de ce fameux conflit d'intérêts public-public qui les oblige à se déporter sans cesse, à tel point que le simple fait de réunir un conseil municipal relève désormais d'une gymnastique mathématique ! Ils souhaitent également que le renouvellement puisse être facilité ; c'est pourquoi nous souhaitons favoriser la présence, notamment, d'étudiants sur les listes, par la mise en place d'un statut d'élu.

Je le dis ici avec force : nous attendons tous ce texte. Je le défendrai au nom du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, et je serai ravi de revenir ensuite le défendre devant le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Jeanne Bellamy, pour la réplique.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. Monsieur le ministre, j'insiste encore une fois sur l'urgence : les élus attendent vraiment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

relations avec l'iran

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Olivia Richard. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Depuis 1 145 jours, nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris sont retenus en otage par le régime iranien, sans jugement, sans contact régulier avec leur famille ou le poste diplomatique, dans des conditions de détention contraires au droit international comme au droit iranien.

Les tirs qui ont visé la prison d'Evin augmentent encore notre inquiétude. Malgré les demandes répétées de notre diplomatie, que mon homologue de l'Assemblée nationale, Ayda Hadizad, et moi-même avons pu relayer auprès de l'ambassadeur d'Iran à Paris, il n'y a toujours aucun contact avec eux depuis les frappes israéliennes, malgré les promesses répétées.

Alors qu'un fragile cessez-le-feu entre l'Iran et Israël a été annoncé par le président Trump, la nouvelle phase qui s'ouvre balaie les espoirs des opposants au régime des mollahs, voire pourrait les mettre en danger. Une chasse aux sorcières pourrait avoir lieu en Iran. Ceux qui sont perçus comme des opposants au régime seraient potentiellement menacés.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre ambassade est restée ouverte. Nos agents sont en poste. Je veux exprimer notre soutien à notre chargé d'affaires, Rémy Bouallegue, et à toute son équipe, qui, dans des conditions que l'on imagine difficiles, restent aux côtés de notre communauté française, malgré l'hostilité ambiante. Je veux saluer ce qu'ils ont pu mettre en place au niveau régional, avec le soutien du centre de crise du Quai d'Orsay, pour assurer un accompagnement à chacun de nos ressortissants l'ayant souhaité. Pierre Cochard, nommé ambassadeur de France en Iran, devrait prendre son poste dans les prochaines semaines.

Monsieur le ministre, nous savons l'engagement de la diplomatie française pour favoriser une désescalade. Nous pouvons être fiers des efforts entrepris par notre ministre des affaires étrangères. La France a joué un rôle de facilitateur dans la négociation du fragile cessez-le-feu, et nous pouvons le saluer. Nous restons une voix utile.

Monsieur le ministre, ma question n'est pas simple : quelle est aujourd'hui la position de la France face au régime iranien ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Richard, sur ce sujet si grave, la voix et la position de la France ont toujours été claires et constantes, pour dénoncer les activités déstabilisatrices du régime iranien.

Celui-ci ne peut pas et ne doit pas se doter de l'arme nucléaire. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a révélé les dernières violations du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) par l'Iran.

Le régime iranien développe son arsenal de missiles balistiques et pourrait frapper Israël, qui est directement menacé. L'Iran dit vouloir détruire Israël, mais menace aussi les pays européens, dont la France.

L'Iran soutient le terrorisme régional, que ce soit le Hamas, responsable des attentats barbares du 7 octobre, le Hezbollah, qui a entraîné le Liban dans une guerre dévastatrice, ou encore les Houthis, au Yémen, qui déstabilisent la région.

Ses missiles et ses drones sont utilisés quotidiennement par la Russie dans sa guerre d'agression contre les civils ukrainiens, et il continue d'emprisonner de façon indigne et inacceptable nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, depuis aujourd'hui trois ans.

C'est toujours d'une voix claire et constante que la France a appelé à la protection de ses ressortissants à travers la région, comme en témoignent la mobilisation de ses personnels diplomatiques et consulaires ainsi que l'action quotidienne, jour et nuit, du centre de crise – je vous remercie des propos que vous avez tenus à ce sujet.

Plus de mille ressortissants français ont été évacués d'Israël par la mobilisation des A400M dans les derniers jours. Et nous continuerons bien sûr à nous mobiliser pour le rapatriement de tous nos ressortissants !

C'est également d'une voix claire et constante que nous appelons, partout, à la diplomatie, au respect du droit international et au multilatéralisme.

De fait, madame la sénatrice, il n'y a pas de solution durable au problème nucléaire iranien uniquement par la voie militaire. C'est la voix qu'a toujours portée la France : elle le faisait déjà à l'époque de la négociation du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA), l'accord sur le nucléaire iranien de 2015, qui, on le sait, a été dénoncé par l'administration Trump lors de son second mandat.

Alors que le fragile cessez-le-feu commence à prendre effet, nous appelons toutes les parties à se remettre autour de la table des négociations pour trouver une solution diplomatique durable… (Murmures sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Il faut conclure.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. … et un cadre de sécurité qui protégera nos partenaires dans la région. C'est la voix que continuera à porter la France, avec ses partenaires européens. (Mêmes mouvements.)

modélisations budgétaires et évolution de la corse

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le ministre, votre engagement et celui du Gouvernement en faveur de la dévolution à la collectivité de Corse d'un pouvoir législatif devraient se traduire prochainement par l'inscription à l'ordre du jour du conseil des ministres d'un projet de loi constitutionnel, une fois que le Conseil d'État aura rendu son avis.

Viendra ensuite l'élaboration de la loi organique, où il s'agira d'entrer dans le détail des compétences transférées.

Comme vous le savez, une majorité d'élus, dans le sillage du président nationaliste du conseil exécutif, ont exprimé la volonté, formalisée dans une déclaration de février 2024, que la collectivité dispose de l'ensemble des pouvoirs et des compétences non régaliennes, notamment le levier fiscal, la santé, la formation, l'éducation.

Depuis le début des discussions de Beauvau, nous vous demandons de nous transmettre les grandes masses budgétaires en flux entrant et sortant. Nous souhaitons savoir combien la Corse génère de recettes fiscales pour l'État, et à quelle hauteur la solidarité nationale est mobilisée en Corse.

Si le rapport de la mission d'information du Sénat sur l'évolution institutionnelle de la Corse avait été adopté par la commission des lois, nous aurions pu rendre publiques des données précieuses sur la situation économique et budgétaire de la Corse.

D'ailleurs, le rapport de la chambre régionale des comptes qui a été publié la semaine dernière, en révélant une situation particulièrement dégradée des finances de la collectivité, va dans le sens des données rapportées dans le cadre de la mission sénatoriale.

Monsieur le ministre, il est capital que le Gouvernement éclaire la représentation nationale sur ces chiffres, sans lesquels il est impensable qu'elle puisse délibérer en conscience sur la question de l'autonomie de la Corse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Panunzi, je vous remercie d'évoquer, par votre question, ce sujet très important.

La Corse est l'un de ces territoires de la République qui mérite une attention toute particulière.

M. Jacques Grosperrin. Tous méritent notre attention !

M. François Rebsamen, ministre. Du fait de sa géographie, mais aussi de son histoire, la Corse fait face à d'importants défis en termes d'aménagement, de pouvoir d'achat, d'accompagnement des jeunes actifs et des aînés, ainsi qu'à des tensions – vous les connaissez – sur le foncier, le logement et la continuité territoriale.

À la demande du Président de la République et sous l'autorité du Premier ministre, je réunirai prochainement un comité de suivi technique interministériel pour garantir le meilleur soutien de l'État.

Vous savez que celui-ci accompagne depuis longtemps la Corse dans son développement. J'en veux pour preuve le déploiement du plan de transformation et d'investissement pour la Corse, doté de près de 500 millions d'euros, qui a succédé à un autre plan exceptionnel d'investissements. Je veux dire ici que cet effort a un effet multiplicateur et consolide le potentiel de croissance de l'économie de l'île.

J'ai bien senti que, derrière votre question, vous évoquiez d'autres sujets. Il ne m'appartient pas ici de commenter de quelque manière que ce soit le rapport de la chambre régionale des comptes. Ce n'est pas mon rôle.

Le processus institutionnel qui devrait conduire à l'autonomie de la Corse au sein de la République, demandée par un texte adopté, à l'unanimité moins une voix, par l'ensemble des élus de la collectivité, est-il de nature à modifier la « dynamique », au bénéfice de son économie et de ses habitants ?

Il est réellement très difficile de répondre à la question que vous me posez. Quelle est la nature exacte de la relation entre l'État et la Corse ? Un inventaire comptable est-il pertinent ? Si oui, doit-il inclure le seul soutien budgétaire aux collectivités, ou faut-il comptabiliser les politiques sectorielles nationales ? Faut-il interroger chacune des caisses de retraite pour connaître les flux entrant et sortant ?

Ce travail est complexe, mais mon intuition est que la Corse est bénéficiaire nette de cet échange. J'espère que je serai très prochainement en état de vous le prouver par des chiffres.

M. François Patriat. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, pour la réplique.

M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le ministre, voici ce qu'a déclaré le ministre de l'intérieur qui a piloté le processus de Beauvau, M. Gérald Darmanin, en février 2023 : « Ceux qui la réclament auront l'autonomie pour leur territoire, mais ils l'obtiendront avec les recettes et les richesses produites localement, pas avec des subventions. »

Monsieur le ministre, vous voulez apporter une réponse institutionnelle à un problème à la fois économique et social.

M. Alain Milon. Très bien !

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean-Jacques Panunzi. C'est une grave erreur ! Vous rencontrerez les mêmes problèmes qu'en Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

financement des associations

M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Arlette Carlotti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux vous parler aujourd'hui de 3 millions de salariés, de 20 millions de bénévoles, de ces femmes et de ces hommes qui font vivre le tissu associatif qui est en train de s'effondrer sous nos yeux.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 62 % des associations n'ont pas les moyens de mener à bien leurs missions sociales, un tiers d'entre elles n'ont que trois mois de trésorerie et 32 % envisagent de réduire leurs effectifs.

Pourtant, ces associations emploient 11 % des salariés de notre pays et contribuent à hauteur de 3 % au PIB.

Or nous assistons à une saignée générale du secteur.

Le désengagement budgétaire global de l'État conduit au désengagement des collectivités, qui sont à bout.

Les exemples se multiplient, les annonces tombent brutalement : le Secours catholique perd 40 % de subventions dans le Val-de-Marne ; le Secours populaire en perd 70 %. Globalement, il y aura 37 millions d'euros en moins pour APF France handicap, l'ancienne Association des paralysés de France.

Le Planning familial, qui est en première ligne, a lancé l'alerte : il dénonce la baisse brutale de ses financements publics, qui vont jusqu'à entraîner la suppression de tous ses centres dans certains départements.

Sans compter que vous mettez fin à l'éducation populaire !

Vous acceptez que ceux qui protègent, qui accompagnent, qui agissent pour nos concitoyens soient abandonnés. Mais, derrière ces coupes budgétaires, ce sont, une fois de plus, nos concitoyens les plus vulnérables qui paient le prix de votre désengagement.

Madame la ministre, quels moyens allez-vous mettre en œuvre pour stopper l'hémorragie et pour sauver le tissu associatif de notre pays ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.

Mme Marie Barsacq, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative. Madame la sénatrice Carlotti, l'action de nos associations est, il est vrai, essentielle à la solidarité et à la cohésion nationale, et j'ai pleinement conscience des enjeux que vous venez de souligner.

Vous avez raison, la situation financière des associations est fragile. Cette fragilité est d'autant plus aiguë que la situation des budgets des collectivités territoriales est aujourd'hui, elle aussi, compliquée – je partage ce constat avec vous.

M. Jean-François Husson. La faute à qui ?

Mme Marie Barsacq, ministre. Face à ce constat, qui nous alarme tous, je suis mobilisée pour préserver des moyens.

Pour l'année 2025, nous avons maintenu les moyens à leur niveau de 2024 sur un certain nombre de sujets qui étaient importants.

Je pense tout d'abord aux fonds dédiés au titre du fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), qui sont évidemment chers à la représentation nationale.

Les subventions aux associations de la jeunesse et de l'éducation populaire ont également été préservées et, vous le savez, nous soutenons largement les colonies apprenantes, qui s'appuient sur le tissu associatif de l'éducation populaire.

Ensuite, nous avons maintenu les conventions de financement pluriannuelles des plus grandes associations, pour leur donner de la visibilité sur le soutien de l'État à long terme.

Au reste, dans le choix, difficile, de diminuer le nombre de services civiques en 2025 – vous ne l'avez pas souligné, mais j'imagine que vous l'avez présent à l'esprit –, j'ai accordé une attention particulière aux associations, puisque l'effort est porté majoritairement – à 75 % – par les acteurs publics. D'ailleurs, ce sont uniquement les très grosses associations qui, au sein du tissu associatif, contribuent à cet effort sur les services civiques.

Enfin, comme vous le savez, le Guid'Asso, qui est un outil utile pour soutenir les associations les plus fragiles, est toujours en voie de déploiement dans tous les territoires : l'objectif est qu'il y ait un Guid'Asso par établissement public de coopération intercommunale d'ici à 2027.

En tant que ministre de la vie associative, je suis évidemment déjà pleinement mobilisée sur le sujet dans le cadre de la préparation du budget 2026. Je travaille sur cette copie avec ma collègue Amélie de Montchalin.

J'ai rencontré un certain nombre d'acteurs du tissu associatif, notamment du mouvement associatif.

Croyez-moi, la situation est compliquée, mais je suis pleinement mobilisée, et je partage votre préoccupation. L'enjeu est crucial pour notre pays !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour la réplique.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Madame la ministre, vous savez que les crédits qui ont été votés sont gelés ! (M. Jean-François Husson le confirme.)

Pendant ce temps, les associations s'épuisent.

La suppression des contrats aidés, la réforme des retraites, qui freine l'engagement des seniors, le financement par projet, qui noie les associations dans la paperasse, font que le tissu associatif s'effiloche.

Ce tissu, c'est la vie de la Nation ! Or vous organisez son démantèlement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

crise du logement et diagnostic de performance énergétique

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Ma question s'adressait à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Madame la ministre, connaissez-vous le diagnostic de performance énergétique, le fameux DPE ?

Tout le monde en parle. Pourquoi ? Parce qu'il est devenu un facteur majeur de la crise du logement.

Le rapport de la Cour des comptes le confirme : en 2022, le DPE est devenu obligatoire et opposable sans qu'« aucune étude d'impact » préalable ait été réalisée, alors qu'il a des conséquences graves, bien connues des Français aujourd'hui.

D'abord, sur le marché de la location, l'effondrement est total. C'est bien simple : il n'y a plus rien à louer dans les grandes villes. Une offre suscite 300 appels.

Sur le marché de la vente, les transactions sont bloquées, les montants des travaux exigés par le DPE augmentant le prix des biens.

Les résultats du dispositif ne sont pas fiables, car entachés de fraudes.

À cause du DPE, les bailleurs ne louent plus, et les locataires non plus.

Enfin, les communes, les départements et l'État enregistrent une chute des recettes dans leur budget.

Nous sommes tous perdants, madame la ministre. Avez-vous des solutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice… (M. le ministre marque un temps d'arrêt avant de commencer son propos.) Ne vous en faites pas, ça vient ! C'est l'embrayage…

La production de logements se trouve en effet dans une situation extrêmement difficile et extrêmement complexe. Il ne faut pas le nier.

Il faut, d'abord, des logements abordables. Pour ce faire, une feuille de route a été signée par la ministre chargée du logement avec l'ensemble des bailleurs sociaux, qui s'appuie tout à la fois sur la baisse du livret A et sur une diminution de la réduction de loyer de solidarité.

Pour vous donner une vision claire, l'objectif est de produire plus de 110 000 logements sociaux. Cet effort est absolument nécessaire.

Il faut, par ailleurs, relancer la production de logements locatifs privés de qualité – vous venez de l'évoquer.

La mesure temporaire d'exonération des droits de succession en cas de donation pour l'achat d'un logement neuf destiné à l'habitation ou à la location peut y contribuer.

Enfin, un soutien à l'accession à la propriété est également prévu, avec l'extension du prêt à taux zéro à tout le territoire. Au 1er avril 2025, plus de 10 000 prêts avaient déjà été souscrits.

J'ai le plaisir de vous annoncer que, dans ces conditions, le nombre de permis de construire était, à la fin du mois d'avril, en hausse de près de 11 % par rapport aux trois mois précédents. Et c'est tant mieux !

Cependant, pour répondre à votre question, il est nécessaire d'adapter le calendrier de décence énergétique pour continuer à rénover les logements tout en permettant leur location.

C'est tout l'objet de la proposition de loi de Mme la sénatrice Amel Gacquerre, que je salue.

J'en conviens, il nous faut un consensus rapide sur ce sujet afin de donner de la visibilité à des centaines de milliers de propriétaires qui attendent ces assouplissements. Nous y sommes prêts.

Pour terminer, je précise que, pour les plus fragiles de nos concitoyens, nous soutenons activement le plan Logement d'abord, qui doit permettre à plus de 80 000 personnes aujourd'hui d'accéder à un logement décent.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.

Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le ministre, je vous ai bien entendu, mais je me permets de vous rappeler qu'un embrayage peut se changer… (Sourires.)

Nous sommes bien loin de l'écologie, et les Français sont en colère, car le DPE les empêche de se loger.

J'ai reçu le témoignage d'entreprises qui ne peuvent pas recruter de salariés et de salariés qui ne peuvent pas candidater faute de logement.

Quant aux banques, elles refusent les crédits si la note infligée au projet immobilier est trop mauvaise.

Par toutes ces contraintes, on appauvrit la classe moyenne et on pénalise les plus modestes.

Le bâti ancien, mal classé, ne trouve plus d'acquéreurs. Pourtant, les Français sont volontaires et convaincus de l'intérêt de la rénovation énergétique ! Le succès de MaPrimeRénov' en témoigne.

Vous avez une solution à portée de main : supprimer le DPE obligatoire et opposable et revenir à sa version initiale, celle du DPE informatif et incitatif qui existait avant 2022.

Si vous ne le faites pas, les algorithmes nous mèneront au chaos !

M. le président. Il faut conclure.

Mme Laurence Muller-Bronn. Les propriétaires se retrouvent prisonniers de leurs biens, et les locataires sont à la rue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

chasse au gibier d'eau

M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Louault et Jean-Marie Vanlerenberghe applaudissent également.)

M. Pierre Cuypers. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Madame la ministre, les chasseurs de gibier d'eau ont, la semaine dernière, appris, sans la comprendre du tout, l'inscription à l'ordre du jour de la réunion du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage qui est prévue demain, sans concertation, de mesures visant à limiter le prélèvement de certaines espèces, telles qu'un moratoire pour le fuligule milouin ou la réduction des périodes de chasse pour le canard pilet, le canard siffleur, le canard souchet et la sarcelle d'hiver. (Sourires.)

Je n'évoque même pas ici les autres espèces concernées hors gibier d'eau, comme la caille des blés et la grive.

L'incompréhension est d'autant plus forte que, le 22 mai dernier, en réponse à une question écrite de notre collègue Fabien Genet, vous releviez que les bilans de comptage étaient « encourageants pour la France » et que certaines espèces étaient en progression.

La France a d'ailleurs contesté, sur le plan scientifique, les recommandations émises en novembre dernier par la Commission européenne, qui doit poursuivre ses travaux jusqu'à l'automne.

Madame la ministre, pourquoi donc avez-vous subitement changé de position et décidé de prendre ces nouvelles réglementations ?

Êtes-vous prête à retirer de l'ordre du jour de la réunion de demain ces mesures, pour poursuivre la discussion avec les chasseurs de gibier d'eau, qui craignent de ne plus pouvoir pratiquer leur activité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Cuypers, je connais votre engagement sur ce sujet, mais je crois utile de rétablir certaines vérités. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Depuis mon arrivée au ministère, je n'ai pas ménagé mes efforts pour défendre nos chasseurs.

Je pense en particulier à la chasse à la palombe. Comme j'ai eu l'occasion de le dire devant vous, je défends avec force cette chasse traditionnelle, pour des raisons simples : l'espèce est abondante ; la technique est sélective ; elle fait partie de notre culture et de notre identité. Je suis intervenue à plusieurs reprises auprès de la Commission européenne en ce sens.

Notre boussole, vous l'avez compris, est l'état de conservation des espèces. Nous nous appuyons, en la matière, sur les expertises française et européenne.

Les scientifiques mandatés par l'Union européenne ont relevé le déclin de neuf espèces de gibier d'eau.

Les recommandations de la Commission européenne sont connues depuis 2024. Elles sont claires : moratoire ou baisse des prélèvements de 50 %.

Vous vous interrogez sur la position de la Commission européenne et sur son effectivité. Ce matin, j'ai obtenu confirmation de sa part que ces demandes s'appliquent bien dès 2025.

Ce n'est donc pas une lubie de la France : c'est bien la mise en œuvre d'un processus.

Nous proposons, dans notre pays, de tenir une ligne simple : réduire les prélèvements sur les espèces en déclin, les augmenter là où les populations progressent et réserver les moratoires aux espèces les plus menacées.

C'est dans cet esprit que nous avons soumis à la discussion, après un certain nombre d'échanges, plusieurs projets d'arrêtés – j'y insiste, ce ne sont que des projets.

Mes équipes échangent au quotidien avec les fédérations de chasseurs, et j'ai moi-même encore discuté tout à l'heure avec Willy Schraen pour que nous puissions trouver une solution ensemble – la Fédération nationale des chasseurs nous avait fait des contre-propositions ce matin.

Je vais être très claire : j'ai une obligation de résultat, pas une obligation de moyens. Si d'autres propositions que les nôtres permettent d'atteindre nos objectifs, nous les regarderons sans tabou.

Ma porte est ouverte, dans le respect de chacun. Je sais pouvoir compter sur vous pour nous aider à trouver cette voie de passage, mais les faits sont têtus, et nous avons l'obligation de prendre des arrêtés qui tiennent la route sur le plan contentieux.

M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour la réplique.

M. Pierre Cuypers. Madame la ministre, les chasseurs aussi sont têtus !

Ne sous-estimez surtout pas la colère des chasseurs de gibier d'eau, qui ne comprennent ni vos revirements ni votre précipitation.

Il est encore temps de reprendre le dialogue pour trouver une solution scientifiquement fondée et acceptable par tous.

Retirez le projet de décret de l'ordre du jour de la réunion de demain en l'état ! Engagez-vous clairement contre toute surtransposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt,

est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

2

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. Lors du scrutin public n° 181 de la séance du 27 janvier 2025 portant sur l'ensemble de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, mon collègue Éric Gold souhaitait s'abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.

3

débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 juin 2025

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2025, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'être devant vous aujourd'hui pour cet habituel exercice de débat préalable au Conseil européen qui aura lieu demain à Bruxelles.

Vous connaissez mon attachement à la diplomatie parlementaire et au rôle que doivent jouer les chambres et leurs commissions dans le débat sur notre politique étrangère et européenne. Cet exercice est, me semble-t-il, particulièrement utile dans le moment de bascule géopolitique que nous vivons, où l'Union européenne doit réaffirmer son indépendance et son autonomie stratégique, se donner les moyens d'écrire son histoire et d'agir sur la scène internationale.

Les enjeux internationaux et géopolitiques seront au cœur des débats du Conseil européen.

Nous commencerons par réaffirmer notre soutien à l'Ukraine, qui a continué de subir les bombardements meurtriers de la Russie la nuit dernière, alors que le monde a les yeux tournés ailleurs, vers le Moyen-Orient. N'oublions pas que les Ukrainiens continuent de lutter courageusement non seulement pour leur sécurité, leur liberté et leur souveraineté, mais aussi pour la sécurité de nous tous, Européens.

Nous débattrons notamment, lors du Conseil européen, des prochaines échéances, à commencer par l'adoption du dix-huitième paquet de sanctions à l'encontre de la Russie : l'Union européenne doit continuer à augmenter la pression sur le régime de Vladimir Poutine, qui refuse toujours toute négociation sincère et sérieuse et le cessez-le-feu préalable, nécessaire avant toute diplomatie.

Je rappelle que, sur la demande des Européens et des Américains, les Ukrainiens ont accepté, il y a déjà des mois, le principe d'un cessez-le-feu inconditionnel de trente jours, afin de laisser la voie à la diplomatie. C'est la Russie qui continue l'escalade sur le terrain ; c'est elle qui maintient des objectifs maximalistes de neutralisation de l'Ukraine et de renversement du gouvernement de ce pays ; c'est encore elle qui poursuit ses bombardements et refuse de s'engager dans la voie diplomatique.

Ce dix-huitième paquet de sanctions portera notamment sur l'énergie, en abaissant ce qu'on appelle le price cap sur le pétrole, c'est-à-dire le prix maximal de vente. Est visée l'importation du pétrole russe raffiné dans des pays tiers. Les énergies fossiles sont la principale ressource utilisée par la Russie pour financer son effort de guerre face à l'Ukraine.

Nous évoquerons aussi le prêt ERA (Extraordinary Revenue Acceleration) de 50 milliards d'euros, porté par le G7 et auquel les Européens participent à hauteur de 20 milliards d'euros. Ce prêt est financé par les profits d'aubaine, c'est-à-dire les intérêts produits par les avoirs russes gelés en Europe.

L'objectif du Président de la République est d'accélérer le décaissement de ce prêt ; environ 7 milliards d'euros ont déjà été décaissés par la Commission européenne pour couvrir les besoins, militaires comme macroéconomiques, de l'Ukraine. Si nous souhaitons accélérer le processus, c'est pour répondre aux besoins militaires des Ukrainiens qui sont, on le sait, en difficulté sur le terrain.

Enfin, nous appellerons nos partenaires à poursuivre leur mobilisation dans le cadre des travaux sur les garanties de sécurité et la coalition des volontaires, dans laquelle la France a joué un rôle moteur, avec ses partenaires européens et britannique. Il s'agit de préparer le jour d'après et de s'assurer qu'une trêve, avec un cessez-le-feu, ne sera pas une parenthèse que la Russie pourra utiliser pour se réarmer et réattaquer l'Ukraine, comme elle l'a fait dans le passé, mais qu'elle permettra d'instaurer une paix solide, durable et juste sur le continent européen et de la dissuader d'une future agression.

Naturellement, nous parlerons largement du Moyen-Orient, où la France a tenu ces dernières années et ces dernières semaines, face au conflit entre l'Iran et Israël, une position extrêmement claire et cohérente.

Cette position, c'est de dénoncer les activités déstabilisatrices du régime des ayatollahs en Iran. Ce régime ne peut pas, et ne doit pas, acquérir la bombe nucléaire. Il continue de contourner et de violer les engagements qu'il a pris dans le cadre du traité de non-prolifération, comme l'a d'ailleurs rappelé un récent rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Le régime développe aussi un programme de missiles balistiques qui pourraient frapper non seulement Israël – et alors même que Téhéran dit vouloir rayer ce pays de la carte –, mais aussi les pays européens, dont la France : c'est donc une menace existentielle pour l'ensemble de la région, pour tous nos alliés, ainsi que pour notre pays.

Le régime soutient également le terrorisme, par le biais du Hamas, responsable des attaques barbares du 7 octobre contre Israël, du Hezbollah, qui a entraîné le Liban dans une guerre profondément dévastatrice, ou encore des Houthis au Yémen, qui perturbent la navigation en mer Rouge.

De plus, il fournit tous les jours des drones et des missiles à la Russie pour lui permettre de continuer son agression contre les civils ukrainiens.

Enfin, le régime emprisonne de façon indigne et inacceptable nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris depuis trois ans.

Voilà la ligne qui a toujours été tenue par la diplomatie de notre pays. Nous ne cesserons de le rappeler, la seule voie durable pour mettre fin au programme nucléaire iranien, c'est la diplomatie, le multilatéralisme, la négociation.

Le cessez-le-feu négocié, qui reste fragile, doit fournir l'opportunité de remettre les parties autour de la table des négociations afin de créer un cadre de sécurité durable qui, seul, pourra durablement mettre fin au programme nucléaire militaire de l'Iran. C'était déjà la voie qu'avait soutenue la France lors de la négociation du JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action), l'accord nucléaire iranien, en 2015.

Les États-Unis, sous l'administration Trump, ont choisi de se retirer de cet accord qui, pourtant, avait prouvé son efficacité les années précédentes, lors du premier mandat de Donald Trump. Il s'agit maintenant de recréer les conditions de la diplomatie et d'un dialogue régional.

Dans ce contexte de tensions géopolitiques, d'insécurité et de retour de la conflictualité dans notre environnement, nous devons investir massivement dans notre défense collective et notre autonomie stratégique. C'était le sens des conclusions du Conseil européen extraordinaire du 6 mars dernier, pendant lequel la Commission européenne, sous l'impulsion de la France, avait annoncé le lancement de programmes communs d'investissement pour renforcer notre industrie de défense.

Nous avons, il y a quelques jours, achevé les négociations sur l'instrument Safe (Security Action For Europe). Ce prêt de 150 milliards d'euros est contracté par la Commission européenne pour financer des projets industriels communs au niveau européen, et avec des partenaires comme l'Ukraine.

Lors des discussions sur ces programmes d'investissement, qu'il s'agisse de Safe, d'Edip (European Defence Industry Programme), que nous sommes en train de négocier, ou d'autres programmes de défense et de sécurité européennes, notre priorité majeure, que nous poursuivons inlassablement, est la préférence européenne. Pas un euro d'argent du contribuable européen ne doit aller subventionner des industries de défense étrangères. Ce principe est aussi à la base de la négociation en trilogue que nous allons bientôt engager. Nous pourrons revenir plus en détail sur ce point tout à l'heure.

Je dis cela dans le contexte du sommet de l'Otan, qui se tient aujourd'hui à La Haye, au cours duquel les alliés s'engageront à augmenter leurs dépenses de défense. En plus de l'effort national – la France aura doublé, durant les deux mandats d'Emmanuel Macron, son budget de défense –, nous continuerons à investir en commun, et nous devrons aller plus loin que les instruments qui ont été négociés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous évoquerons aussi lors du Conseil européen les négociations commerciales en cours avec les États-Unis, en réponse aux droits de douane injustifiés et arbitraires imposés par l'administration américaine contre les économies européennes. Nous défendrons une réponse ferme et unie pour mener à la désescalade, car le protectionnisme, la guerre commerciale et les droits de douane ne sont dans l'intérêt de personne.

Pour faire entendre ce message, nous assumerons le rapport de force. L'Union européenne a les moyens de se défendre. Cet agenda de sortie de la naïveté commerciale est porté par la France depuis des années. Il doit d'abord s'appliquer aux questions économiques. Si nous voulons peser et affirmer notre puissance sur la scène internationale, cela passera par l'affirmation de la compétitivité et de la souveraineté économiques de notre continent.

L'approfondissement du marché unique passe par la mise en œuvre de l'union des marchés de capitaux. Je rappelle que, chaque année, 300 milliards d'euros d'épargne européenne franchissent l'Atlantique pour aller financer les start-up, les PME et les marchés de capitaux américains. Alignons nos régimes, approfondissons notre marché unique, donnons l'opportunité à nos start-up, à nos innovateurs et à nos entreprises d'aller chercher les capitaux dont ils ont besoin pour se développer, innover et être à la hauteur de la concurrence internationale. Nous avons les talents, les pépites, les entrepreneurs. Soutenons-les, donnons-leur les moyens de faire jeu égal avec les Américains et les Chinois au moment où ceux-ci augmentent la pression et accélèrent. Nous porterons un certain nombre de propositions dans le cadre des conclusions du Conseil européen, comme le vingt-huitième régime de droit des affaires, fondé sur un alignement des droits.

M. le président. Monsieur le ministre délégué, vous aviez un temps de parole de huit minutes en introduction de ce débat. Je vous demanderai de conclure, d'autant que vous pourrez répondre à chaque intervenant.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Pour conclure, nous devons aussi faire face à d'autres enjeux économiques, comme la simplification et le renforcement de l'innovation, mais j'en dirai davantage au cours du débat.

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les positions françaises et européennes dans les crises du moment conduisent à des conclusions sur notre capacité d'action collective.

Le 30 mai dernier, le président Macron proposait une conférence pour la reconnaissance de l'État palestinien, qualifiée de « devoir moral » et d'« exigence politique ». Les Européens devaient aussi, selon lui, « durcir la position collective » contre Israël, faute de solution apportée à la situation humanitaire à Gaza. Ce propos était sans doute plus réaliste qu'une proposition de coalition internationale contre le Hamas, et non dénué de courage pour tenter de rassembler.

Mais, quinze jours plus tard, le premier ministre israélien, après quelques irritants médiatiques sur le volet humanitaire de son action, ouvrait un septième front en attaquant l'Iran. Le président Macron reportait alors la conférence qu'il avait proposée et réaffirmait le droit d'Israël à se défendre.

Dans leur dernier communiqué, les ministres des affaires étrangères français, allemand, britannique et la haute représentante Kaja Kallas appelaient à la désescalade et saluaient « les efforts déployés par les États-Unis pour trouver une solution négociée ». Le lendemain soir, les trente-six tonnes d'efforts en question étaient largués sur l'Iran.

Que nous apprend cette séquence ?

D'abord, que les Européens, aussi, semblent largués. Certes, pas tous avec la même force : Israël avait prévenu le chancelier allemand de ses frappes, et les États-Unis avaient informé le premier ministre britannique des leurs. Personne n'avait, semble-t-il, prévenu la France ; je laisse chacun en tirer ses conclusions.

Ensuite, en dépit de tout le mal que l'on peut penser du régime iranien et de ses projets nucléaires, nos positions sont-elles lisibles ? Nous rendent-elles crédibles ?

Les communiqués des Européens sont intarissables sur la menace iranienne et exhortent le pays à retourner à la table des négociations. Effectivement, la seule voie souhaitable était diplomatique, mais notre inconséquence ne fragilise-t-elle pas notre diplomatie ?

Après avoir passé trois ans à condamner l'agression russe, à invoquer la Charte des Nations unies et à défendre l'Ukraine agressée, l'Europe prétend choisir qui peut bénéficier du droit international. Ceux qui doutaient de la fiabilité des Occidentaux en espéraient-ils une preuve aussi solide ? L'Iran ne doit pas obtenir la bombe, c'est entendu, mais ne vient-on pas de lui offrir l'incitation décisive à le faire, et d'autres à sa suite ?

L'ancien ambassadeur de France Gérard Araud, qui n'est pas exactement un Che Guevara, n'a pas tort de questionner les objectifs stratégiques de ces attaques, d'élargir la perspective aux précédentes guerres de changement de régime dans la région, ni de rappeler leurs conséquences. Ce « sale boulot », si je puis m'exprimer ainsi, est-il vraiment nécessaire ? Nous devons nous interroger. Voilà le point sur lequel nous aimerions connaître la position française, eu égard aux atermoiements que j'ai précédemment exposés.

Sur le front ukrainien, la Russie progresse. L'Union européenne vient d'adopter un dix-septième paquet de sanctions et prépare déjà le dix-huitième. Les projets de la Commission européenne pour le réarmement de l'Europe soulèvent encore de nombreuses questions : juridiques, quant au respect des compétences nationales ; politiques, dès lors que le Parlement européen est contourné ; et budgétaires, que je laisserai mes collègues de la commission des finances développer.

Une question de fond, enfin. Deux think tanks respectables, l'Institut Bruegel et le Kiel Institute, viennent de publier des études remarquées indiquant que les 800 milliards d'euros ne suffiront ni en quantité ni en qualité pour rattraper notre retard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le vice-président, sur la question de l'Iran, comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer lors de mon propos introductif, la position de la France est totalement en phase avec la défense du droit international, de la diplomatie et du multilatéralisme. Et c'est la position qui a toujours été la nôtre.

L'Iran ne peut pas, ne doit pas, se doter de l'arme nucléaire. On l'a vu avec le dernier rapport de l'AIEA, ce pays a, une fois de plus, violé les engagements qu'il a pris dans le cadre du traité de non-prolifération.

J'y insiste, la voie qu'a toujours défendue la France, c'est celle de la diplomatie et de la création d'un cadre de sécurité durable pour empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire.

C'est la raison pour laquelle la France avait fait partie dès le début, c'est-à-dire dès les premières révélations en 2004-2005, des trois négociateurs européens auprès du régime américain. Cela avait abouti à l'accord de 2015, le JCPoA, pour lequel la France avait joué un rôle moteur. C'est l'administration Trump qui a fait le choix de s'en retirer.

Nous continuons à porter le message qu'il faut respecter le cessez-le-feu – ou plutôt, comme l'a dit le Président de la République aujourd'hui, les trois cessez-le-feu, à Gaza, en Ukraine et en Iran – et revenir à la diplomatie, afin de créer un cadre de sécurité durable pour tous nos partenaires.

Sur la question des 800 milliards, est-ce que vous faisiez référence aux 800 milliards du rapport Draghi ?

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères. Aux 150 et aux 650 milliards d'euros.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Du plan ReArm donc. Je partage totalement votre analyse. Je l'ai dit, il ne s'agit que d'une première étape.

Utilisons déjà les instruments comme Safe, Edip ou les facilités de financement permises par la Commission européenne – la France y aura recours. Mais nous devrons aller plus loin et penser de façon créative et innovante à la manière de financer notre réarmement collectif.

Vous le savez, la France, avec d'autres, avait soutenu l'idée d'un endettement commun, auquel nous avons recouru lors de la crise du covid. Les débats budgétaires et le cadre financier pluriannuel vont aussi nous permettre de mettre en valeur notre ambition dans la défense et le spatial – il faut en parler quelques jours après le Salon du Bourget. Il faudra aller plus loin pour faire face à un monde de menaces et de conflits.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'été est là et, comme chaque année, il est temps pour nous de préparer le prochain exercice budgétaire.

Monsieur le ministre, vous ne nous facilitez pas la tâche, si j'ose dire, puisque le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne est prévu en hausse de 7 milliards d'euros, passant de 23,3 milliards d'euros en 2025 à 30,4 milliards d'euros en 2026. Son montant précis n'est pas encore connu, mais il découle des engagements européens de la France, et notamment de la décision relative aux ressources propres.

Il nous appartient aussi de préparer le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), qui débute en 2028. La Commission européenne doit présenter une première série de propositions mi-juillet. Une note de position allemande a d'ores et déjà été rendue publique, avec des intentions pour le moins explicites, affirmant dès la première ligne qu'« il n'existe aucune base pour augmenter le volume du CFP par rapport au revenu national brut ».

De fait, le CFP 2021-2027 a prévu une forte hausse de la contribution française par rapport au CFP précédent : alors que celle-ci s'élevait, en moyenne, à 20 milliards d'euros par le passé, elle se situe désormais à 26 milliards environ. Monsieur le ministre, quelle sera la ligne défendue par la France quant au volume du prochain CFP ?

Si vous prévoyez d'être sur la même ligne que l'Allemagne, comment comptez-vous équilibrer la prochaine équation budgétaire ? Lors de son audition de confirmation en tant que commissaire chargé du budget, M. Piotr Serafin a déclaré qu'il ne serait pas aisé pour l'Union européenne de répondre aux différentes priorités auxquelles elle doit faire face en respectant un plafond budgétaire de 1 % du revenu national brut de l'Union européenne, compte tenu de l'urgence climatique, du besoin de renforcer la défense européenne ou encore de la nécessité de préserver la politique agricole commune (PAC). Il est difficile de lui donner tort.

Monsieur le ministre, quels sont les arbitrages de la France pour résoudre cette quadrature du cercle ? Dans sa note de position, l'Allemagne appelle à un contrôle plus strict de l'octroi des fonds de cohésion, qui serait désormais conditionné à la réalisation de réformes. Partagez-vous cette position ?

M. Serafin a eu l'amabilité de venir en France le mois dernier pour présenter aux parlementaires de notre pays les orientations de la commission européenne pour le prochain CFP, évoquant à cette occasion la question cruciale des nouvelles ressources propres. Comme vous le savez, les États membres se sont engagés à les mettre en œuvre d'ici à 2028 afin de rembourser les sommes empruntées pour financer le plan de relance.

À défaut d'accord, le surcoût pour le budget français est estimé à 2,5 milliards d'euros par an sur une période de trente ans. Les négociations sont au point mort depuis les dernières propositions de la Commission européenne en 2023. M. Serafin a laissé entendre que le produit de certaines ressources identifiées, telles que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, ne serait pas à la hauteur du défi financier – je le crois volontiers.

La présidence polonaise a formulé il y a deux mois plusieurs propositions, comme une taxe sur les services numériques, sur les cryptoactifs ou encore sur les transactions financières. Monsieur le ministre, quelles sont les solutions défendues aujourd'hui par le Gouvernement français ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président Raynal, vous soulevez de nombreux sujets qui sont prioritaires pour nous. Nous allons entrer dans la négociation du prochain cadre financier pluriannuel, laquelle doit être l'occasion d'avoir une grande ambition pour faire face aux défis qui sont les nôtres, qu'il s'agisse d'investir dans la compétitivité et l'innovation, de réarmer avec la défense et le spatial – en prenant en compte l'enjeu de préférence européenne que je mentionnais tout à l'heure – ou de continuer à soutenir nos agriculteurs et nos territoires.

À cet égard, le cadre financier pluriannuel ne nous paraît pas aujourd'hui suffisant. Nous devons nous donner comme objectif de doubler la capacité financière : cela signifie non pas de doubler le budget, mais de renforcer les instruments qui permettent de faire levier. Je pense à InvestEU, par exemple, qui a un très bon taux de retour, aux instruments de garantie ou à la Banque européenne d'investissement (BEI), afin de mieux mobiliser les fonds publics à côté des fonds privés pour financer nos priorités.

Les ressources propres, que vous avez mentionnées, sont la condition sine qua non du prochain cadre financier pluriannuel. J'ai eu l'occasion d'en parler avec le commissaire Serafin, que j'ai emmené dans le Doubs et le Jura pour rencontrer nos agriculteurs. Nous soutenons un certain nombre de ses propositions, que ce soit la taxe sur les petits colis, les revenus de la taxe carbone aux frontières – vous l'avez évoquée –, la taxe sur les services numériques étrangers ou encore la création d'un Esta (Electronic System for Travel Authorization) européen.

Je rappelle que chaque touriste européen qui se rend aux États-Unis doit payer un Esta de 21 dollars. La réciprocité n'existe pas aujourd'hui ; nous devons nous interroger sur ce point. Cela fait partie des priorités. La réflexion sur les ressources propres doit avancer, et la France est force de proposition.

Sur la question du « ressaut » du prélèvement sur recettes, nous sommes en réalité dans la trajectoire prévue depuis le début. Nous avons un retard de décaissement des fonds de cohésion, puisque nos régions ont d'abord utilisé le plan de relance avant de se tourner aujourd'hui vers ces fonds. L'augmentation sera de l'ordre de 6 milliards à 7 milliards d'euros selon les estimations de la Commission européenne.

À cet égard, il faudra être extrêmement vigilant pour mobiliser le plus possible ces fonds pour nos régions. Il y a là tout un travail à faire, et nous le menons avec d'autres ministres – je pense à Amélie de Montchalin – afin de maximiser les retours français.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde devenu plus brutal et plus incertain, le Conseil européen qui se tiendra demain et éventuellement vendredi met l'accent sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques, en tentant de mieux lier les dimensions internes et externes des politiques européennes. C'est nécessaire, car nous avons en effet besoin d'une réelle cohérence des politiques de l'Union, dont le principal atout est et demeure l'importance du marché unique.

Nous avons trop souvent dénoncé le découplage entre politique commerciale et politique de concurrence ou de compétitivité pour ne pas nous féliciter de ce changement d'orientation.

La Commission européenne déploie progressivement son agenda de simplification et le premier paquet Omnibus relatif aux directives sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) vient de faire l'objet d'un accord au Conseil. Il faudra évidemment attendre la position du Parlement européen ; nous examinerons plus en détail cette position la semaine prochaine.

D'autres Omnibus ont été présentés, que ce soit sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou sur l'agriculture, et nous espérons qu'un Omnibus RUP (régions ultrapériphériques), que nous avons évoqué avec des parlementaires européens, pourra voir le jour.

Toutefois, nous constatons les tensions croissantes entre la Commission et le Parlement européen depuis que celui-ci a été écarté des discussions sur la proposition de règlement établissant l'instrument Safe. Le Parlement européen semble se diriger vers un recours contre ce programme. Monsieur le ministre, comment appréciez-vous cette perspective ?

Les négociations sur les allégations environnementales des entreprises sont une autre illustration de cette relation désormais compliquée entre la Commission et le Parlement européen, mais aussi de l'équilibre difficile entre ambition environnementale et volonté de simplification. Après un précédent mandat marqué par le Pacte vert, cette question du juste équilibre devient politiquement centrale.

Or plusieurs échéances importantes sont attendues. Je pense à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2040. À mes yeux, il devra être réaliste et économiquement soutenable. Il devra s'inscrire dans la perspective de restauration de la compétitivité européenne et prendre en compte l'ensemble des flexibilités possibles, notamment la contribution de l'Union et des États membres à la réduction des niveaux d'émissions dans des pays tiers, comme le prévoit l'article 6 de l'accord de Paris.

Autre sujet non moins sensible : la nécessaire révision du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, dont nous avons pointé les insuffisances, et l'accord avec le Mercosur.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous précisiez la position du Gouvernement sur ces trois sujets.

Enfin, j'aborderai très brièvement les enjeux géopolitiques. Le président du Conseil européen, Antonio Costa, évoque l'ambition de « bâtir une Europe plus compétitive, plus sûre et plus autonome pour nos concitoyens et faire en sorte que l'Union européenne puisse être un acteur mondial efficace, prévisible et fiable ».

L'Union n'aura probablement pas de difficulté à être plus prévisible que les États-Unis depuis le retour de Donald Trump à la présidence. En revanche, sa capacité à être un acteur mondial efficace dépendra de sa cohésion interne, aujourd'hui mise à mal.

Il est vraisemblable que nous n'aurons, une fois de plus, pas d'accord à Vingt-sept sur l'Ukraine, alors que le président Zelensky se trouve aujourd'hui à Strasbourg, au Conseil de l'Europe, afin de signer l'acte créant le tribunal spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine.

Les négociations sur le dix-huitième paquet de sanctions contre la Russie, qui met l'accent sur l'énergie, sont difficiles compte tenu des positions exprimées par la Slovaquie et la Hongrie, mais les choses vont peut-être s'arranger. Quant au dossier du Moyen-Orient, compte tenu des divergences entre États membres, l'Union en tant que telle est inaudible.

Monsieur le ministre, quelles sont les attentes du Gouvernement s'agissant de ces sujets ? Pouvez-vous par ailleurs nous préciser la position du Gouvernement concernant le réexamen de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président Rapin, vous avez évoqué de nombreux sujets.

En ce qui concerne la simplification, vous connaissez l'ambition du Gouvernement. Nous ne pouvons pas opposer décarbonation et compétitivité. L'enjeu est bien sûr d'atteindre la décarbonation de notre continent, tant pour la lutte contre le réchauffement climatique que pour notre compétitivité, notre souveraineté et la réduction de nos dépendances.

Toutefois, nous devons atteindre cet objectif en accompagnant nos entreprises, en privilégiant l'investissement et non pas en rajoutant des normes ou des contraintes supplémentaires, qui pourraient renforcer la concurrence internationale, américaine ou chinoise, au détriment de notre industrie.

Nous portons cette ambition en vue de la révision des directives CSRD et CS3D, en veillant notamment à exclure de nombreuses PME et ETI de leurs mécanismes, en relevant les seuils et en réduisant drastiquement le nombre d'obligations de reporting.

Sur l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2040, nous partageons entièrement votre philosophie. Avant de fixer précipitamment un nouvel objectif de décarbonation, précisons les conditions d'accompagnement des acteurs économiques.

Il faut ainsi assurer la nécessaire neutralité technologique – une ambition très forte de la France –, ouvrir le marché carbone à des acteurs extérieurs à l'Union européenne, ce qui relève du bon sens tant la lutte contre le réchauffement climatique revêt un aspect global, et mettre en œuvre le Clean Industrial Deal, notamment à l'aide d'une politique d'investissement. Telles sont les conditions que nous allons clairement fixer avant d'ajouter une échéance supplémentaire à la décarbonation.

Notre position sur l'accord avec le Mercosur a toujours été la même : nous nous opposons à l'accord en l'état, notamment pour protéger nos filières agricoles.

La France n'est pas opposée au libre-échange en soi, bien au contraire. En témoignent les récents accords conclus avec la Nouvelle-Zélande ou le Chili, ou encore les réformes des mesures commerciales autonomes (Autonomous Trade Measures, ATM) avec l'Ukraine l'an dernier. Toutefois, ces accords comportent des clauses miroirs et des clauses de sauvegarde permettant de protéger nos filières agricoles contre les risques de perturbation des marchés. Nous partageons l'ambition d'obtenir des clauses similaires avec nos partenaires dans l'accord avec le Mercosur.

Enfin, le ministre des affaires étrangères a indiqué que la Commission européenne, par l'intermédiaire de Kaja Kallas, avait lancé un examen du respect par Israël de l'article 2 de l'accord d'association qui lie ce pays à l'Union. La Commission devrait rendre ses conclusions au mois de juillet prochain, ce qui permettra un débat sur l'avenir de cet accord. La France a, en tout cas, soutenu la volonté de la haute représentante de mener à bien cet examen.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur deux points : la défense européenne et la diplomatie européenne.

Le programme Edip, présenté par la Commission en mars 2024 et visant à développer une approche structurelle en faveur du renforcement de l'industrie de défense européenne, n'a toujours pas été adopté. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en sont les discussions sur ce programme ? La vision portée par la France peut-elle réussir à s'imposer dans les négociations ?

En particulier, jusqu'à quel point défendre la clause de préférence européenne, que le Sénat a récemment soutenue avec force dans une récente résolution européenne ? Les États membres qui, comme la France, souhaitent définir des critères stricts pour l'éligibilité des entreprises et le contrôle des produits achetés, conformes à ceux du Fonds européen de la défense (FED), ne sont pas nombreux.

Aujourd'hui, 80 % des investissements des États membres dans le domaine de la défense sont réalisés auprès de fournisseurs extérieurs à l'Union, les États-Unis représentant à eux seuls 63 % d'entre eux.

Alors que les moyens sont loin d'être illimités, chaque euro doit être dépensé au service de la sécurité des Européens. Notre ambition doit être la plus élevée possible. C'est pour cela que les composants originaires de l'Union européenne ou de pays associés ne sauraient représenter moins de 65 % des dépenses de défense, et qu'il faut même tendre vers un taux minimal de 80 %.

Nous avions alerté sur l'insuffisance du montant dévolu au financement du programme jusqu'à la fin de 2027. Le Parlement européen propose, quant à lui, de faire passer le budget du programme de 1,5 milliard à 21,5 milliards d'euros, et préconise d'utiliser pour cela une partie des prêts du dispositif Safe. Monsieur le ministre, comment envisager l'articulation pratique de ces transferts de fonds, sachant que les conditions d'éligibilité de ces deux programmes sont différentes ?

Le premier pilier du plan ReArm Europe consiste à autoriser les États membres à s'endetter davantage s'ils engagent des dépenses de défense. La Commission européenne les a donc appelés à activer de façon coordonnée la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance. À ce jour, seize pays sur vingt-sept ont officiellement demandé l'activation de cette clause, mais la France ne l'a pas fait. Pourquoi passer à côté de ce dispositif ? Monsieur le ministre, comment investir 650 milliards d'euros dans la défense, ainsi que l'a annoncé la Commission européenne, sans y faire appel ?

L'argent étant le nerf de la guerre, la présentation au milieu du mois de juillet prochain de la proposition de la Commission de cadre financier pluriannuel post-2027 est très attendue. Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France sur la place qu'y occupera la défense ?

De premières pistes suggèrent que la défense sera intégrée à un fonds unique de compétitivité, ou encore que les efforts dans ce domaine et celui de la sécurité seront financés par la levée d'un nouvel emprunt européen. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ? La France, favorable à ce nouvel emprunt, peut-elle convaincre l'Allemagne et les pays « frugaux », qui y sont clairement réticents ?

J'en viens à mon second point, à savoir la diplomatie européenne. La prudence stratégique affichée par l'Union européenne pour limiter l'escalade régionale et soutenir la stabilité au Proche-Orient et au Moyen-Orient, où elle dispose de peu de leviers militaires, mais d'encore quelques intérêts économiques et diplomatiques, est un beau discours.

Cependant, ce discours occulte l'absence d'unité entre les États membres, la faiblesse institutionnelle de la diplomatie européenne, son manque d'influence directe sur Téhéran ou Jérusalem, sans parler de Washington. Finalement, à la vue des événements du week-end dernier, il masque mal l'échec de sa médiation et de sa tentative de préservation du dialogue. Faute d'une stratégie claire à long terme sur cette région, la diplomatie européenne ne fait que réagir aux événements.

Monsieur le ministre, la conclusion de l'examen mené par le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) sur le respect par Israël des droits de l'homme, prévu à l'article 2 de l'accord d'association de ce pays avec l'Union, a été transmise le 20 juin dernier aux États membres, et elle est claire. Plusieurs éléments indiquent qu'Israël violerait ses obligations de respect des droits de l'homme : blocage de l'aide humanitaire à Gaza ; niveau sans précédent de tués et de blessés parmi les civils ; attaques contre les hôpitaux et les installations médicales ; déplacement forcé de 90 % de la population ; attaques directes contre les journalistes.

Toutefois, au sein l'Union européenne, l'unanimité, ou tout au moins la majorité qualifiée, est requise pour passer à l'action. Monsieur le ministre, quelle est la position de la France sur la nécessité de réexaminer, voire de suspendre, l'accord d'association entre l'Union et Israël ? Allez-vous encore nous dire qu'il est urgent d'attendre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Gisèle Jourda, vos questions me donnent l'occasion d'évoquer les débats en cours sur les instruments de défense.

Pour ce qui concerne le programme Edip, notre ligne a toujours été claire : il faut renforcer l'investissement et l'acquisition de matériel européen. Le texte sur lequel le Conseil est en train d'aboutir prévoit qu'au moins 65 % des composants soient européens, en mettant en avant la nécessité de conserver l'autorité de conception. Le but est de garder le savoir-faire technologique, le contrôle des usages et des exportations. Il s'agit également de donner à nos industriels de défense européens la visibilité nécessaire pour qu'ils puissent monter en capacité, ainsi qu'ils nous le demandent.

Le Parlement européen fait des propositions ambitieuses en ce sens. Les rapporteurs de la proposition de règlement relatif au programme Epid, François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann, ont réalisé un travail remarquable. Ils proposent d'atteindre un seuil de 70 % de composants européens. Nous verrons comment se déroulera le débat en trilogue, mais en tout cas, notre ligne est évidemment de défendre la préférence européenne.

Vous avez demandé des précisions au sujet du transfert de fonds prévus pour le programme Safe vers le programme Edip, à hauteur de 20 milliards d'euros. J'ai abordé le sujet avec les rapporteurs de la proposition de règlement, et pour être tout à fait franc, je ne sais pas exactement comment un tel transfert fonctionnerait. Juridiquement et d'un point de vue opérationnel, les instruments sont en effet assez différents.

En revanche, je vous rejoins sur l'ambition de réabonder le programme Edip au-delà de son budget de 1,5 milliard d'euros prévu jusqu'en 2027. Nous aurons l'occasion de débattre de ce sujet au cours des prochains mois et des prochaines années.

Il conviendra d'affirmer, au travers du cadre financier pluriannuel, une ambition plus forte dans les domaines de la défense et du spatial dans la mesure où l'accès à l'espace, le déploiement du système Iris2 et le développement de la constellation de satellites en orbite terrestre basse (LEO) sont des enjeux absolument majeurs de souveraineté, notamment face à la concurrence américaine et à la militarisation de l'espace que l'on observe tant chez nos alliés que chez nos adversaires.

Enfin, nous devons aller plus loin dans la mobilisation d'instruments innovants, en contractant par exemple un emprunt commun. Les lignes bougent sur ce sujet. Au Parlement européen, certains, comme le président allemand du parti populaire européen (PPE), Manfred Weber, se sont prononcés en faveur d'un tel emprunt. Nous devons également réfléchir à d'autres types d'instruments.

Enfin, madame la sénatrice, la France utilisera bien sûr les instruments nouveaux, notamment par l'intermédiaire de Safe. Nous avons porté une voix importante et avons été moteur sur ces sujets, en doublant notre budget de défense au cours des deux mandats du Président de la République.

M. le président. Monsieur le ministre, merci de bien vouloir respecter votre temps de parole.

La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le soutien à l'industrie européenne de la défense est devenu un axe majeur de l'action de l'Union. En mars dernier, la Commission a dévoilé le livre blanc sur la défense européenne. Pour mieux préparer l'Europe aux scénarios les plus pessimistes, il est préconisé d'améliorer la mobilité militaire, de constituer des stocks et de renforcer nos frontières extérieures.

Il est effectivement temps de construire la fameuse Europe puissance dont on parle si souvent, mais que l'on ne voit toujours pas venir, tant sur les volets militaires et économiques que sur la compétitivité. Mes questions seront principalement orientées sur les applications concrètes de ce plan, notamment dans le domaine financier.

Premièrement, le programme ReArm Europe, renommé depuis Readiness 2030, vise à mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros pour la défense. Parmi les préconisations pour atteindre cet objectif figure une dérogation au pacte de stabilité et de croissance, autorisant les États membres à dépenser davantage pour la défense sans être visés par la procédure de déficit excessif.

Rappelons-le, dans le cadre de notre loi de programmation militaire (LPM), la France dépense aujourd'hui l'équivalent de 1,7 % de son PIB dans le domaine militaire. Ces dépenses doivent atteindre 2 % entre 2025 et 2027, et l'augmentation doit se poursuivre à un rythme de 3,5 milliards d'euros par an en 2028, 2029 et 2030.

L'annonce de la dérogation européenne nous conduit à poser une question simple. Monsieur le ministre, s'agit-il d'exclure de la règle des 3 % de déficit l'ensemble des dépenses militaires dans la limite des 1,5 % prévus par le programme européen ?

Deuxièmement, la Commission européenne propose de donner aux États une facilité de prêt pour les dépenses de défense, garantie par le budget européen jusqu'à 150 milliards d'euros, qui deviendra l'instrument Safe. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les contours de cette opération un peu obscure, sachant que la proposition d'émission d'eurobonds semble avoir été écartée ?

Troisièmement, n'est-il pas temps d'aborder la question des fonds non consommés ? Je pense notamment aux prêts accordés aux États dans le cadre du plan de relance Next Generation EU de 800 milliards d'euros.

Quatrièmement, ces efforts ne devraient-ils pas s'accompagner d'une mobilisation de capitaux privés ? Ne faudrait-il pas accélérer l'union de l'épargne et de l'investissement, c'est-à-dire approfondir l'union bancaire et financière, en ayant recours à la Banque européenne d'investissement ? En effet, nous n'atteindrons pas cet objectif uniquement avec des fonds publics.

Un tel engagement pourrait notamment bénéficier à l'effort militaire, au réarmement scientifique, à une véritable industrie de défense européenne. L'Europe de la défense n'ira pas sans de grands investissements dans la recherche.

Cinquièmement, les rapports publiés par Mario Draghi et Enrico Letta en 2024 ont mis en évidence de profonds écueils structurels liés à l'économie européenne, aujourd'hui asphyxiée par des règles trop nombreuses et trop complexes. Aux termes du rapport Letta, l'un de ces écueils est le manque d'aboutissement du marché unique. La diversité des réglementations est un obstacle fondamental à la liberté de circulation des marchandises et des capitaux.

Je ne prendrai qu'un exemple, en matière d'innovation. Sur les cinquante leaders mondiaux des nouvelles technologies, seuls quatre sont européens. Cela ne rend absolument pas compte de la puissance européenne en matière économique.

Face à cela, la Commission a présenté en 2025 un programme appelé « boussole pour la compétitivité ». Ainsi que le président Rapin l'a évoqué, la simplification des normes est un axe prioritaire de ce programme. C'est le sens des fameux paquets Omnibus, qui visent à revenir sur des réglementations trop complexes, trop nombreuses, et à simplifier les règles auxquelles les entreprises sont soumises.

Dans cette perspective, il faut saluer la récente présentation du cinquième paquet Omnibus, précisément consacré à la défense. Toutefois, les choses demeurent complexes et les strates s'accumulent : ce paquet fait la jonction entre la « boussole pour la compétitivité » et le livre blanc de la défense européenne.

L'enjeu est clair : il faut accélérer les investissements et la production dans le domaine de la défense pour réarmer l'Union face à tous les enjeux sécuritaires dont il a été question.

Monsieur le ministre, on n'y voit pas très clair : quelles sont les perspectives envisagées à ce stade pour déployer l'ensemble de ces mesures indispensables ? Quelle sera la position de la France sur ce sujet lors de la prochaine réunion du Conseil européen ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Louis Vogel, concernant le fonctionnement des instruments européens, la facilité de financement de la Commission européenne permet aux États membres d'investir dans la défense et d'exclure de la procédure de calcul du déficit excessif les dépenses liées à la défense, notamment celles qui concernent les investissements et les acquisitions.

Avec le programme Safe, c'est la première fois que nous disposons de critères d'éligibilité de préférence européenne pour des dépenses qui seront, de fait, des dépenses des États membres, même si le prêt sera contracté par la Commission européenne. C'est une avancée majeure, avec le programme Edip, qui instaure un minimum de 65 % de composants européens et défend l'autorité de la conception.

Il s'agit de financer des projets émanant de deux États ou plus, que ces États soient membres de l'Union européenne ou qu'ils aient signé des accords de sécurité et de défense avec l'Union, comme c'est le cas de l'Ukraine, précisément mentionnée dans le document qui régit le fonctionnement du programme.

Il s'agit également de réduire nos dépendances, soulignées par le livre blanc pour la défense, au sujet des drones, du cyber, des capacités de frappe en profondeur, des ravitailleurs ou encore des satellites et des forces spatiales.

La voix de la France est très claire au sujet de la simplification : il faudra autant de paquets Omnibus que nécessaire pour réviser les directives CSRD et CS3D, les dispositions applicables aux RUP, au secteur de la défense ou encore aux PME et aux ETI.

Nous devons réduire la charge réglementaire qui pèse sur nos entreprises et nos acteurs économiques, et mettre fin aux barrières et aux tarifs que nous nous imposons. Il est beaucoup question des barrières et des droits de douane imposés par les États-Unis, mais des barrières et des frictions existent encore au sein du marché unique. Simplifions nos règles, réalisons l'union de l'épargne et de l'investissement pour lier la capacité de financement privé avec les besoins d'investissement dans tous les domaines que vous avez évoqués.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grands enjeux de notre temps, qu'ils soient économiques, stratégiques, environnementaux ou migratoires ont tous en commun cette réalité : nous ne pourrons relever seuls aucun des défis qui nous attendent, et donc chacun nécessitera une action coordonnée à l'échelle du continent.

Pour autant, l'indispensable action européenne doit-elle nécessairement se traduire par l'extension toujours plus grande des compétences de l'Union ou du champ d'action de la Commission ? Doit-elle nécessairement conduire à un empilement toujours plus important des normes et des budgets communautaires ?

Face à ces questions, l'exécutif européen ne semble pas beaucoup douter, tant ses projets se caractérisent depuis plusieurs années par une tendance excessive à la centralisation.

Dans un récent rapport d'information sur la dérive normative de l'Union européenne, la commission des affaires européennes du Sénat s'était inquiétée de cette dynamique. Elle avait notamment déploré les empiétements croissants sur les compétences des États membres, y compris dans des domaines touchant au cœur de la souveraineté nationale comme la défense et la sécurité.

Alors que les chefs d'État et de gouvernement poseront de nouveau la question des migrations lors de leur prochaine rencontre, demain et après-demain, je souhaite faire entendre une alerte de la commission sénatoriale des affaires européennes, dont je suis vice-président, au sujet d'un dossier essentiel à la politique migratoire, à savoir la révision de la directive sur le retour des étrangers en situation irrégulière, dite directive Retour.

Naturellement, je me félicite que la Commission européenne ait accédé aux demandes des États membres, parmi lesquels figurait la France. Il était absolument indispensable qu'elle remette sur le métier l'ouvrage que le Parlement européen avait bloqué lors du précédent mandat.

Bien que ce projet de révision soit largement perfectible, je me réjouis que des avancées utiles y soient proposées. Elles permettront par exemple de mieux prendre en compte certains enjeux de sécurité, de faciliter le recours à la rétention, d'élargir la définition des pays de retour ou encore d'imposer les obligations de coopération aux étrangers en situation irrégulière.

Toutefois, dans la droite ligne des décisions prises dans la plupart des textes du pacte sur la migration et l'asile, la Commission propose une nouvelle fois de réviser une directive en la remplaçant par un règlement. Une nouvelle fois, la logique actuelle d'harmonisation céderait donc à la logique d'uniformisation, sans pour autant que ce choix ait été étayé par une analyse d'impact.

En effet, ainsi que nos auditions l'ont établi, la Commission se contente d'affirmer que l'inefficacité actuelle des politiques de retour, certes patente, proviendrait des divergences des législations nationales. Cependant, elle ne cherche à aucun moment à démontrer la réalité d'un lien de cause à effet ou à évaluer la nécessité, la plus-value et les éventuels effets secondaires de sa démarche.

La Commission pousse dès lors avec insistance en faveur d'une reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour. De prime abord, ce dispositif semble de bon sens et respectueux des prérogatives nationales. Toutefois, par des effets de cliquet que nous avons déjà observés dans d'autres domaines, ce mécanisme risque fort de conduire, en fait ou en droit, à de nouvelles harmonisations non souhaitées, notamment en matière d'entrée et de séjour, de sécurité ou d'ordre public.

Or ne perdons pas de vue que l'objectif de la révision de cette directive devrait être avant tout opérationnel et non théorique. En d'autres termes, il devrait s'agir non pas de standardiser par principe ou par réflexe, mais de fournir aux États membres des outils pertinents pour conduire des politiques d'éloignement plus cohérentes et plus efficaces.

Cela suppose bien sûr un cadre commun, mais aussi la souplesse suffisante pour adapter ce cadre aux spécificités des pays membres, que ce soit par le Parlement, via une procédure de transposition que nous souhaitons, ou par le Gouvernement, lors de sa mise en œuvre sur le terrain.

Monsieur le ministre, au-delà des questions de fond, quelques orientations de méthode retenues à ce stade sur ce sujet fondamental ne nous paraissent pas opportunes.

Ne nous semblent pas davantage opportuns certains des contours d'ores et déjà tracés par la Commission sur un dossier tout aussi essentiel, que le président de la commission des finances a déjà abordé : le prochain cadre financier pluriannuel.

Celui-ci sera officiellement présenté dans trois semaines. Comme le président Raynal l'a indiqué, l'élaboration de chaque CFP est une quadrature du cercle dont la résolution prend toujours des mois. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la mouture du cadre financier pluriannuel pour 2028-2034 ne fera pas exception à la règle, tant s'en faut. Au contraire, l'équation sera encore plus complexe qu'à l'accoutumée, au point que certains, dont je fais partie, la trouvent inquiétante.

En premier lieu, l'Europe s'est créé des charges importantes avec le plan de relance. Malgré les engagements qu'elle a répétés pendant des mois, elle est aujourd'hui incapable de percevoir les recettes qui permettraient de les assumer.

Soyons à ce titre très clairs : alors que le débat sur de nouvelles ressources propres reste englué dans une impasse pourtant largement prévisible, l'idée même de recourir à un nouvel emprunt commun pour financer telle ou telle priorité est aujourd'hui plus qu'illusoire.

En second lieu, les discussions qui s'annoncent sont préoccupantes, car l'Europe semble bien en peine de dégager une stratégie budgétaire à la fois claire et réaliste. Des politiques traditionnelles très importantes que sont la PAC et la politique de cohésion, jusqu'aux nouvelles priorités que sont la défense, la sécurité, la transition énergétique ou l'innovation, l'Europe semble en effet vouloir tout financer, tout piloter, je dirais même tout régimenter.

La Commission, au travers de telle ou telle stratégie, de tel ou tel livre blanc, évalue régulièrement les besoins d'investissement propres à chaque secteur, qui se chiffrent toujours en centaines de milliards d'euros. Ces sommes incluent bien sûr les investissements privés qui, nous dit-on, pourront affluer grâce à la finalisation de l'union des marchés de capitaux, en chantier depuis plus de dix ans.

La vérité, c'est qu'il faudra faire des choix et procéder à une revue des priorités, laquelle devra se doubler d'une véritable revue des dépenses. Car la réalité budgétaire, implacable, est en premier lieu celle des contributions nationales.

Je le rappelle, dans les années 2010, la participation annuelle de la France au budget de l'UE s'élevait en moyenne à 20 milliards d'euros. Dans les années 2020, elle grimpe aux environs de 28 milliards d'euros.

Même si la France bénéficie du budget européen et du marché unique – n'en doutons pas –, il est clair que nos finances publiques, dont on connaît l'état calamiteux, seront incapables d'absorber de nouvelles hausses comparables durant la période 2028-2034.

Enfin, la structure envisagée pour le nouveau cadre financier pluriannuel nous interpelle. En particulier, nous nous interrogeons sur l'éventualité d'un budget découpé en vingt-sept plans nationaux – excusez du peu ! –, que l'on nous a présentés comme soumis à l'atteinte de jalons, à la réalisation d'investissements et à la mise en œuvre de réformes.

Une approche similaire avait déjà été adoptée en son temps pour la dernière réforme de la PAC, et nous en avions alors contesté le principe. Cela avait également été le cas concernant la facilité pour la reprise et la résilience, la FRR, nous nous en souvenons.

Cette fois-ci, la Cour des comptes européennes conteste la pertinence et les résultats de tels plans, qui nous semblent à proscrire. En effet, ils risquent tout d'abord d'entrer en concurrence les uns avec les autres au lieu de soutenir des politiques continentales. Ils risquent ensuite de rendre illisibles les objectifs politiques poursuivis par l'Union à travers son budget. Ils risquent, enfin, de rendre encore plus complexe l'absorption des crédits.

Surtout, ces plans supposent un renversement de logique inacceptable. Entendons-nous bien, il est parfaitement normal que l'Europe contrôle a posteriori l'exécution budgétaire des États membres, et qu'elle s'assure que celle-ci est conforme tant aux règles financières qu'aux objectifs définis par les politiques communes. Toutefois, conditionner a priori le déblocage des fonds et enserrer cette conditionnalité dans un tête-à-tête budgétaire avec la Commission apparaît particulièrement intrusif. Pour tout dire, à titre personnel, je trouve cela totalement inadéquat.

Veillons donc à ne pas aller trop loin et à ne pas faire de la défiance à l'égard des États membres un mode de gestion normal du cadre budgétaire européen.

Enfin, mes chers collègues, permettez-moi de dire quelques mots sur le conflit entre Israël et l'Iran. Ce qui s'est passé est à mes yeux une négation même de l'idée d'Europe. Notre Europe a été malheureusement absente, effacée, oubliée dans ce conflit. Elle ne doit pas le rester aujourd'hui.

Malheureusement, monsieur le ministre, nous n'en sommes déjà plus à nous demander pourquoi les interventions israéliennes et américaines ont commencé. La répression semble déjà s'abattre sur ceux et celles qui ont timidement cru, espéré ou soutenu que ces frappes pouvaient augurer un changement de régime.

Les belligérants se sont certes arrêtés, mais les Iraniens retrouvent la dureté du régime que l'on connaît. Nous nous souvenons de la manière dont le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a été étouffé. Des femmes courageuses ont été battues, emprisonnées pour avoir mal porté un voile, et assurément pour avoir voulu plus de liberté.

Monsieur le ministre, où en sommes-nous désormais de la défense des valeurs de l'Europe ? La prochaine réunion du Conseil ne fournit-elle pas l'occasion d'inscrire une fois pour toutes les gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes ? La crainte de l'Europe à l'égard de la République des mollahs ne nous ramènera certainement pas nos otages, Cécile Kohler et Jacques Paris, ce que je déplore particulièrement, en qualité d'Alsacien.

Puisque nous abordons le sujet, monsieur le ministre, où en êtes-vous du contrôle des financements de l'Union à des organismes en lien avec les Frères musulmans, dont le Coran européen, financé à hauteur de 10 millions d'euros, est le dernier avatar ? Où en sont les programmes Erasmus dans les universités islamiques ? Où en sont les financements à Islamic Relief ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. André Reichardt. Monsieur le ministre, il est souhaitable que le Conseil prenne des décisions sur ces sujets. L'an dernier, selon la Cour européenne, l'Europe a perdu de vue 7,4 milliards d'euros de subventions accordées à des ONG, personne ne sachant comment cet argent a été utilisé. (Mme Anne Ventalon et M. Jean-François Rapin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Reichardt, vous avez abordé des sujets majeurs.

Concernant l'immigration, la France soutient la réforme de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour. Il faut faciliter les expulsions.

Cette réforme doit s'accompagner d'un renforcement des instruments de l'Union européenne tournés vers les pays tiers, pour assumer un rapport de force avec les États de transit et de départ qui refusent de reprendre leurs ressortissants expulsés.

Pour cette raison, et nous aurons l'occasion de l'évoquer au cours du Conseil européen, la France défend la nécessité de conditionner la délivrance de visas, l'aide au développement ou encore les accords commerciaux au respect du droit international et à la reprise de leurs ressortissants par les pays tiers.

Le Gouvernement partage vos réserves et votre appel à la vigilance sur la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour. Le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau et moi avons eu l'occasion de l'indiquer à plusieurs reprises au commissaire européen aux affaires intérieures et aux migrations Magnus Brunner et aux services de la Commission européenne.

Vous avez évoqué la nouvelle architecture du cadre financier pluriannuel. Sur ce sujet que je n'ai pas encore eu l'occasion d'évoquer, la France demeure prudente par rapport aux discours que l'on peut entendre. C'est d'ailleurs ce que j'ai indiqué au commissaire chargé du budget, de la lutte antifraude et de l'administration publique Piotr Serafin. Il faut préserver la spécificité de certaines politiques. Ainsi, la PAC (politique agricole commune), la politique de cohésion ou encore le programme-cadre de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation qu'est le fonds Horizon Europe ne doivent pas être dilués dans un grand ensemble.

Monsieur le sénateur, je suis totalement en phase avec vous sur le fait qu'il ne faut pas renforcer la conditionnalité des fonds et les instruments de renationalisation sans véritable débat préalable. Cela pourrait donner lieu à une révision des traités et reviendrait à accroître les pouvoirs de la Commission européenne dans le rapport de force qui se joue avec les États membres. Je vous assure que la France sera particulièrement vigilante dans le cadre de la négociation du cadre financier pluriannuel.

Enfin, sur l'usage que fait la Commission européenne des fonds européens, la ministre fédérale des affaires européennes et internationales autrichienne et moi avons déposé au conseil des affaires générales une proposition visant à renforcer a priori et a posteriori leur contrôle. Celle-ci est d'ores et déjà ouverte à la signature de nos homologues. La Cour des comptes européenne a souligné le manque de transparence du déboursement de ces crédits, qui sont parfois alloués à des organisations proches des Frères musulmans, lesquels propagent des valeurs profondément contraires à celles, humanistes et universelles, de l'Union européenne. Pas un euro du contribuable européen ne doit financer les ennemis de l'Europe : nous défendons ce principe simple.

M. le président. La parole est à M. Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch. Monsieur le ministre, ce Conseil européen s'inscrit dans un moment charnière de notre histoire collective, qui suscite légitimement l'inquiétude de nos concitoyens. La multiplication des conflits ouverts, la montée des tensions entre puissances régionales et le brouillage des équilibres internationaux nous rappellent combien la stabilité, la diplomatie et la paix sont devenues des biens rares et à quel point il est essentiel pour l'Europe de les défendre avec constance et cohérence.

Dans ce contexte géopolitique trouble, l'Union européenne doit faire la démonstration qu'elle est plus qu'une addition d'États. Il lui faut apparaître comme une entité qui s'assume, capable de protéger ses citoyens, de défendre ses intérêts stratégiques et d'affirmer ses valeurs démocratiques sur la scène internationale.

Le programme stratégique 2024- 2029 vise à tracer un cap clair. Il y est affirmé la volonté de bâtir non seulement une Europe libre et démocratique, soucieuse de protéger les libertés fondamentales et l'État de droit, mais aussi une Europe souveraine, forte dans sa défense, sûre face aux menaces, compétitive et prospère.

Cela implique de renforcer nos instruments communs, de consolider notre unité politique et de faire bloc dans la durée face aux défis extérieurs comme aux tentations de repli. C'est dans l'unité, non dans la dispersion, que l'Europe trouvera la force d'agir.

Monsieur le ministre, face à la multiplication des crises, quelles mesures concrètes la France propose-t-elle pour transformer l'unité affichée des États membres en décisions fortes et coordonnées lors du Conseil européen ?

La guerre en Ukraine reste un rappel brutal de ce que signifie la vulnérabilité européenne. Elle est entrée dans sa troisième année et les dernières attaques d'une intensité inédite sur Kiev montrent que le régime de Moscou n'a renoncé ni à ses ambitions territoriales ni à sa stratégie de terreur. Le soutien que nous apportons à l'Ukraine est non pas une option tactique, mais une nécessité. Il s'agit de préserver la souveraineté d'un État agressé et de faire respecter le droit international.

Ce soutien doit aujourd'hui se structurer dans la durée, au travers de la mise en commun de nos moyens : il ne peut plus reposer sur des contributions fragmentées. J'y insiste : il nous faut mutualiser massivement nos moyens industriels et budgétaires. La France est-elle déterminée à être le porte-drapeau de cette ambition ? Quelle stratégie met-elle en œuvre pour ce faire ?

Parlons du front au Moyen-Orient, tout aussi préoccupant. Depuis plusieurs semaines, nous assistons à une escalade militaire directe entre Israël et l'Iran. Elle marque une rupture historique avec les logiques diplomatiques que l'Europe défendait jusqu'à présent. Cette mutation du conflit a conduit à des frappes sur des infrastructures stratégiques, à des représailles importantes et, surtout, à des pertes humaines considérables parmi les civils des deux pays. La situation intérieure de l'Iran demeure préoccupante et mérite toute notre attention. Ce nouveau conflit ne doit pas occulter la situation à Gaza, où un dispositif humanitaire solide et respecté reste attendu, comme l'a rappelé Gisèle Jourda.

L'Union européenne ne peut ni ne doit se contenter d'un rôle d'observatrice. Elle a la responsabilité, par la voix de ses États membres, de promouvoir les principes qui fondent son identité : respect du droit international, protection des populations, primauté du dialogue sur la violence. La diplomatie européenne doit donc s'attacher à empêcher l'embrasement régional, à rétablir des canaux de communication et à garantir un accès sûr et massif à l'aide humanitaire, notamment dans les zones les plus vulnérables.

Au-delà du théâtre immédiat des affrontements et en dépit du cessez-le-feu annoncé, les conséquences tragiques d'une extension du conflit restent considérables. L'un des risques majeurs identifiés concerne la fermeture du détroit d'Ormuz, ce passage maritime essentiel au commerce énergétique mondial, où transite près d'un cinquième de la consommation mondiale de pétrole. Toute interruption de la circulation dans ce corridor, même temporaire, entraînerait une réaction en chaîne qui aurait un effet sur les prix, l'approvisionnement et la stabilité économique mondiale.

Pour l'Europe et pour la France, ces menaces ne sont pas abstraites. Elles pèsent sur notre souveraineté énergétique, sur nos engagements commerciaux et sur notre capacité à préserver un ordre international fondé sur des règles. Dès lors, notre position ne peut être que celle d'un engagement diplomatique fort, équilibré, sans alignement automatique, mais avec une exigence constante, celle de la paix par le droit, du respect de la vie humaine et du refus des logiques de destruction réciproque.

Monsieur le ministre, le risque est réel. Quelles mesures d'urgence la France met-elle sur la table pour sécuriser nos approvisionnements énergétiques ? Qu'attend-elle pour bâtir enfin une stratégie de résilience partagée avec ses partenaires européens ?

Les tensions commerciales avec les États-Unis, nourries par le retour assumé d'une politique protectionniste à Washington, imposent à l'Union européenne une réponse ferme, mais constructive. S'il reste essentiel, le dialogue transatlantique ne peut s'accommoder d'un déséquilibre croissant qui pénaliserait les secteurs stratégiques européens.

La perspective de surtaxes renforcées sur nos exportations appelle une mobilisation diplomatique immédiate, mais également une réflexion de fond sur notre souveraineté économique. Nous ne pouvons plus dépendre de décisions unilatérales prises ailleurs. Il nous faut une politique commerciale autonome, lisible et, quand il le faut, défensive.

Face à la montée des tensions commerciales, la France est-elle prête à défendre une ligne offensive, avec des contre-mesures crédibles ? Quels outils concrets propose-t-elle pour que l'Union européenne se fasse respecter par Washington en défendant ses intérêts ?

Enfin, la mise en œuvre du pacte sur la migration et l'asile constitue une avancée notable dans un domaine trop longtemps fragmenté. L'organisation de procédures accélérées, la meilleure répartition de la charge migratoire entre États membres et le renforcement des agences spécialisées, comme Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, et l'AUEA, l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, marquent un tournant nécessaire.

Toutefois, cette réforme ne sera crédible que si elle est appliquée dans le respect des droits fondamentaux. Les équilibres sont fragiles et la pression aux frontières perdure. Il faut donc allier fermeté dans la gestion des flux et solidarité dans les responsabilités. Ce pacte ne convaincra que s'il résiste à l'épreuve des faits.

Comment la France garantit-elle que ses engagements en matière de solidarité et de droits fondamentaux ne resteront pas théoriques ? Quelles sanctions ou quels leviers prévoit-elle en cas de manquement par certains États membres ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Rohfritsch, j'ai eu l'occasion d'évoquer la situation de l'Ukraine dans mon propos introductif. Comme vous l'avez indiqué, l'une des priorités est de renforcer notre soutien et même l'interconnexion entre nos industries de défense. L'innovation est d'ailleurs visible en Ukraine, avec le développement des drones ces dernières années. L'instrument ERA (Extraordinary Revenue Acceleration), financé à partir des intérêts des avoirs gelés, doit être décaissé plus rapidement. C'est une priorité.

Nous poursuivrons notre engagement : nous apporterons un soutien économique et militaire et nous renforcerons les sanctions contre la Russie, en particulier contre son secteur énergétique, pour entraver son effort de guerre.

Sur le Moyen-Orient, j'ai eu l'occasion de parler de l'Iran, mais je tiens à dire un mot sur la situation à Gaza, dont il sera évidemment question lors du Conseil européen. La France a une ligne très claire : elle appelle à un cessez-le-feu immédiat, à la libération de tous les otages, à l'accès sans entrave à l'aide humanitaire pour la population de Gaza et à la relance d'un dialogue politique qui doit mener à l'existence de deux États, afin qu'une Palestine souveraine et autonome et, à ses côtés, Israël vivent en sécurité.

C'est tout le sens de l'initiative diplomatique qui a été lancée par la France et l'Arabie saoudite. Elle devait mener à la tenue d'une conférence à New York, il y a quelques jours. Celle-ci a été reportée. Elle devrait avoir lieu au cours de l'été pour créer une dynamique de reconnaissance mutuelle entre pays arabes et Israël, ainsi qu'une reconnaissance de la Palestine par la France et un certain nombre de nos partenaires.

Sur les droits de douane américains, la France défend une position claire et ferme. Comme je l'ai précisé, l'objectif est la désescalade, c'est-à-dire revenir à la situation précédente, et ce dans l'intérêt de tous. Pour ce faire, il faut être capable d'assumer un rapport de force et montrer que nous sommes en mesure de répondre.

La Commission européenne a fait adopter un premier paquet de contre-mesures visant les biens, à hauteur de 21 milliards d'euros, en réponse aux 25 % de droits de douane américains sur l'acier et l'aluminium. Son application a été suspendue pour laisser place à la négociation qui sera menée jusqu'au 9 juillet prochain. Nous sommes en train d'examiner un deuxième paquet visant également les biens, à hauteur cette fois d'environ 90 milliards d'euros.

Nous pouvons aller plus loin. Vous savez que l'Union européenne, sous l'impulsion de la France, s'est dotée d'un instrument anti-coercition, qui permet d'élargir le champ des contre-mesures aux services, notamment par la taxation de ceux qui relèvent du numérique.

Je le répète : l'objectif de la négociation menée par la Commission européenne est la désescalade, mais, grâce à des contre-mesures potentielles, nous avons les moyens de répondre, de nous faire respecter et de défendre les intérêts des Européens.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le ministre, le Conseil européen se réunira demain et après-demain, les 26 et 27 juin. L'ordre du jour de cette rencontre était à l'origine fort vaste, allant des priorités économiques à l'Europe de la défense en passant par la lutte contre la criminalité organisée.

Sur ce dernier point, je signale que le Sénat vient de rendre un rapport important, issu des travaux de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis. Ses auteurs insistent notamment sur l'indispensable montée en puissance d'Europol dans le traitement du renseignement financier.

Évidemment, ce Conseil européen se concentrera surtout sur les conflits internationaux, qui ne cessent de se multiplier. De Conseil européen en Conseil européen, la situation internationale se dégrade et l'on peine à entendre une voix européenne forte et crédible, alors qu'elle est sans doute plus nécessaire que jamais. En effet, dans un monde où la dangerosité grandit de jour en jour, où le droit international est progressivement remplacé par l'acceptation de la force, la diplomatie ne peut pas abdiquer ni l'Union européenne oublier sa raison d'être, à savoir la paix.

Ainsi, la guerre en Ukraine est passée au second plan ces dernières semaines, alors que la situation est toujours aussi grave.

Il y a quelques jours, nous avons eu l'honneur de recevoir dans cet hémicycle le président de la Rada de l'Ukraine. Il nous l'a assuré avec inquiétude : son pays traverse actuellement la phase la plus dramatique de la guerre. Depuis plusieurs semaines, la Russie multiplie les offensives et lance des assauts massifs de drones, qui ont fait des dizaines de morts. La volonté d'attaquer les civils et les infrastructures non militaires, telles que les écoles ou les hôpitaux, est manifeste.

Aussi, notre soutien à l'Ukraine passe, tout d'abord, par la défense, notamment par le fait de sanctionner les entreprises européennes qui continuent à fournir des machines pour les usines d'armes russes.

Il repose également sur d'autres instruments, comme l'aide publique au développement, mobilisable et d'ores et déjà mobilisée pour préparer la reconstruction.

Surtout, notre action passe par la diplomatie. En premier lieu, nous soutenons le processus d'intégration dans l'Union européenne de la Moldavie, car, dans le contexte de la guerre en Ukraine, ce pays est un rempart. Certes, le chemin à parcourir est encore important, mais nous ne pouvons ignorer l'influence russe qui s'y exerce. En second lieu, nous maintenons une pression forte et constante pour aboutir à des négociations de paix.

Lors du dernier G7, marqué par le départ précipité de Donald Trump, aucune déclaration commune forte n'a pu être signée. Six mois après le retour au pouvoir du président américain, un constat s'impose : l'Union européenne et les États-Unis ne voguent plus dans la même direction.

La décennie que nous vivons est d'ores et déjà marquée par une reprise des conflits de haute intensité. L'Europe et la France doivent en prendre acte et en tirer toutes les conséquences, en commençant par la gestion de crise, de façon à aider nos compatriotes établis à l'étranger.

Les événements actuels au Moyen-Orient en sont l'exemple le plus criant : de la réponse européenne dépendra la sécurité des Européens qui vivent dans cette région du monde. Le groupe RDSE appelle avant tout à une désescalade durable de la violence. Il est nécessaire que notre pays insiste auprès de ses partenaires pour faire respecter le droit international et la primauté de la diplomatie. Il faut commencer par exiger de nouvelles négociations sur le nucléaire iranien.

En effet, les interventions militaires en Iran ont terrifié la population sur place et fait fuir ceux qui le pouvaient, mais ne provoquent visiblement pas de soulèvement susceptible de renverser le régime. Nous ne devons pas oublier les tragiques précédents irakien, libyen et afghan, qui ont montré la facilité avec laquelle un pays peut plonger durablement dans le chaos.

Ce propos m'amène à aborder la situation à Gaza.

Il faut d'abord rappeler que quarante-neuf otages – vivants ou morts – sont encore retenus par le Hamas dans l'enclave palestinienne. Le week-end dernier, l'armée israélienne a rapatrié les corps de trois personnes enlevées le 7 octobre 2023. Les otages encore entre les mains du Hamas doivent être libérés sans délai.

Pourtant, pour l'heure, aucun accord de cessez-le-feu incluant leur libération ne semble sur le point d'être conclu. Le groupe RDSE le regrette, d'autant que l'échec du précédent cessez-le-feu a conduit au blocage de l'aide humanitaire à Gaza. Depuis, la situation alimentaire s'est fortement dégradée. D'après un nouveau rapport de l'ONU, une personne sur cinq est menacée de famine au sein de l'enclave. Dans une déclaration commune, le Programme alimentaire mondial et l'Unicef ont alerté sur la situation de 71 000 enfants et de 17 000 mères qui ont besoin d'un traitement d'urgence pour malnutrition aiguë.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, les conflits se multiplient et gagnent en intensité et en brutalité. Que ce soit à Kiev, à Tel Aviv, à Téhéran ou encore à Gaza, les civils sont toujours les premiers à souffrir de ces flambées de violence. L'Union européenne ne peut rester simple spectatrice de ces nouveaux théâtres d'affrontement. Nous espérons vivement que le caractère cardinal du droit international sera fortement réaffirmé au cours du prochain Conseil européen.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Briante Guillemont, la défense du droit international, du multilatéralisme et de la diplomatie sont la boussole de la France. Nous avons eu l'occasion de rappeler ce message, que ce soit au sujet du nucléaire iranien ou encore de la situation tragique à Gaza.

Sur l'Ukraine, la France a déjà mobilisé l'aide au développement, via l'Agence française de développement (AFD). Vous avez mentionné la venue du président de la Rada de l'Ukraine, M. Stefantchouk. À l'occasion de la réception à Paris du Premier ministre ukrainien par M. François Bayrou, nous avons renforcé le fonds de 200 millions d'euros créé pour accompagner nos entreprises dans l'effort de reconstruction. Celle-ci commence dès à présent. À cet effet, une conférence internationale se tiendra dans les prochains jours à Rome, à laquelle la France prendra part.

J'y insiste : l'effort français est d'ordre humanitaire, mais il touche aussi à la reconstruction économique et au soutien militaire. Il passe également par des sanctions, comme vous l'avez souligné.

Nous agissons en ce sens à l'échelle européenne, en partenariat avec nos alliés américains. En ce moment, un paquet de sanctions très ambitieux est examiné par le Sénat des États-Unis, sur proposition du républicain Lindsey Graham. Il contient des mesures secondaires ciblant les pays qui aident la Russie à contourner les sanctions sur l'énergie. L'effort se poursuit donc sur les deux fronts.

Je vous remercie d'avoir mentionné la Moldavie, qui est une priorité de l'action de la France. Notre pays et ses partenaires animent le Core group Moldavie pour accompagner cet État, notamment dans la lutte contre la désinformation et dans la résilience face aux attaques cyber. J'ai eu l'occasion de me rendre sur place après le référendum constitutionnel et l'élection présidentielle : pour faire basculer en sa faveur 10 % des suffrages, la Russie n'a eu qu'à débourser l'équivalent de ses dépenses militaires pour un jour de guerre en Ukraine, notamment par l'achat de voix via des réseaux comme Telegram.

Un accord a été signé entre le gouvernement de la Moldavie et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), l'agence française de lutte contre les manipulations de l'information. La coopération avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) a également été renforcée pour aider les Moldaves à préparer les élections législatives de la rentrée. Cette fois encore, il faut s'attendre à ce que le gouvernement réformateur pro-européen de Chisinau soit l'objet d'attaques cyber et informationnelles. En parallèle, il aura à mener des efforts économiques et des réformes.

Au-delà de la situation en Ukraine, ce pays est la ligne de front des démocraties.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Il est dans notre intérêt de continuer à accompagner et à soutenir les États exposés.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de débuter cette intervention sans aborder la question de l'Iran.

Ce week-end, en effet, les États-Unis ont détruit l'une des plus grandes menaces au monde : les installations nucléaires de ce pays. Pour cette raison, je suis tenté de saluer au nom du groupe Union Centriste cette initiative, même si j'ai bien conscience qu'elle pose la question du respect du droit international. Il faut, en la matière, éviter d'être « péremptoire » – le mot est à la mode dans cette maison – et préférer la vigilance et la prudence.

Je porterai un jugement similaire concernant l'action d'Israël. L'opération ciblée menée par ce pays vient porter un coup majeur au régime des Mollahs, qui domine – hélas ! – la République islamique d'Iran. Regrettons que l'Union européenne n'ait pas été consultée ni associée à cette décision. Le constat est implacable, monsieur le ministre.

Cela m'amène à aborder la question de l'Europe de la défense. Nous vivons une période charnière : invasion de l'Ukraine, tensions au Moyen-Orient, cyberattaques, menaces hybrides… Lors de la réunion de l'Otan qui se tient actuellement à La Haye, le secrétaire général, Mark Rutte, a appelé à rehausser les dépenses de défense européenne à 5 % du PIB d'ici à 2035.

Monsieur le ministre, que pensez-vous d'un effort aussi considérable ? Quels choix devront être faits ? Quelles répercussions faut-il anticiper ? Comme le rappelle le président du Conseil européen, « la paix sans la défense est une illusion ».

En effet, l'Union européenne souffre d'un déficit stratégique. Bien que plusieurs pays consacrent désormais plus de 2 % de leur PIB à la défense, allant ainsi au-delà du seuil fixé, nous restons trop dépendants du matériel en provenance des États-Unis. Presque la moitié des avions de combat européens sont d'origine américaine. Cette dépendance limite notre autonomie et affaiblit notre capacité à agir en temps de crise. C'est une évidence.

La Commission européenne, consciente de ces enjeux, a proposé un plan de 800 milliards d'euros, baptisé ReARm Europe/Readiness 2030, qui combine assouplissement des règles budgétaires pour financer la défense sans sacrifier le social ni les autres politiques, ligne de prêt de 150 milliards d'euros pour achats conjoints, soutien renforcé de la Banque européenne d'investissement (BEI). La philosophie de ce plan d'action est, certes, de dépenser plus, mais surtout de dépenser mieux et ensemble, pour éviter les redondances, favoriser l'interopérabilité et élaborer un véritable marché unique de la défense.

L'Europe ne peut plus se contenter d'initiatives symboliques. Il nous faut dévoiler rapidement des projets concrets, comme les boucliers antimissiles, les drones, la cyberdéfense, les munitions, la mobilité militaire… Les collaborations se multiplient : coopération structurée permanente, Initiative européenne d'intervention, Agence européenne de défense… Nous disposons désormais de cadres : utilisons-les. Il est tout aussi fondamental de procéder à un réarmement technologique autonome, non tributaire des Américains. Monsieur le ministre, ce point de vue français est-il partagé par nos partenaires européens ?

Voilà qui m'amène à aborder la question de la compétitivité européenne, car ces sujets sont inévitablement liés. La course mondiale à l'intelligence artificielle est dominée par quelques géants, notamment américains et chinois. Là encore, l'Europe ne peut plus rester spectatrice. Pour garantir sa souveraineté technologique, elle doit bâtir ses propres gigabases de données, c'est-à-dire des infrastructures massives qui serviront pour l'intelligence artificielle (IA). Cela exige une production électrique fiable, abondante et décarbonée.

L'Union européenne a lancé l'initiative InvestAI qui s'élève à 200 milliards d'euros, dont 20 milliards sont dédiés à quatre ou à cinq gigafactories d'intelligence artificielle. À l'occasion du dernier salon Viva Technology, à Paris, l'entreprise américaine Nvidia a annoncé la création de 200 nouveaux centres d'IA en Europe et de cinq gigafactories en partenariat avec le français Mistra AI.

Toutefois, il convient de poursuivre nos efforts en matière d'autonomie. Du fait de ces gigafactories, il faut s'attendre à une augmentation de la demande électrique européenne d'au moins 15 % dans la prochaine décennie. Il faut en avoir conscience dès maintenant et prendre les mesures qui s'imposent.

Ce défi est immense. La région Hauts-de-France mesure l'ampleur de la tâche, notamment dans le département du Nord, en particulier à Maubeuge. Le réarmement technologique sera rapidement bénéfique pour l'Union européenne. En effet, grâce à nos centres IA, nous serons souverains en la matière, donc moins dépendants des data centers américains ! Recrutements comme industrie seront relancés, car l'investissement de plusieurs milliards d'euros dans le réarmement créera des milliers d'emplois directs et indirects.

Plus largement, j'appelle à ce que nous nous emparions du rapport de Mario Draghi sur l'avenir de la compétitivité européenne. La concurrence mondiale s'intensifie. Les États-Unis et la Chine investissent massivement quand l'Europe est en perte de vitesse économique. L'enjeu est grave : il y va de notre avenir. Il faut éviter le déclassement économique, qui entraînerait notre marginalisation.

Ce rapport pose un diagnostic sans concession, voire inquiétant. Y sont proposées 176 mesures concrètes dans dix secteurs industriels et cinq secteurs transversaux. Il constitue la feuille de route de la Commission européenne pour la période 2024-2029. Le cœur du plan est clair : l'Europe doit investir entre 750 milliards et 800 milliards d'euros par an, soit 4 % à 5 % de son PIB, dans l'innovation, l'énergie décarbonée et les infrastructures.

Monsieur le ministre, où en sommes-nous dans la mise en œuvre des préconisations de ce document ? Au mois de janvier dernier, la Commission européenne a présenté la boussole pour la compétitivité, un plan opérationnel directement inspiré du rapport Draghi. Au mois de mai, elle a dévoilé sa stratégie pour lever les barrières qui entravent le marché unique, notamment en matière de licences et de qualifications. Enfin, un régime simplifié pour les start-up est prévu en 2026, marquant ainsi la première concrétisation de l'approche de Mario Draghi.

Ces mesures vont dans le bon sens, mais il convient d'accélérer cette marche en avant face aux géants qui nous entourent. En effet, lors du sommet de l'Otan, la question des droits de douane entre l'Union européenne et les États-Unis sera sans doute abordée. Pour le dire sans ambages, je crains que la Commission européenne n'ait admis son impuissance : il est impossible de réduire, encore moins d'éliminer le socle de 10 % de droits de douane américains. Monsieur le ministre, je crains que l'ambition européenne ne se limite désormais à éviter une nouvelle augmentation après le 9 juillet. Qu'en est-il ?

Pour conclure, l'Europe ne peut plus se comporter en spectatrice, même engagée. En matière de sécurité notamment, nous devons assumer nos responsabilités et prendre en main notre destin. Une Europe de la défense forte et cohérente est notre assurance vie face à un monde incertain et dangereux. En matière de souveraineté, de paix et de solidarité, osons faire des choix stratégiques pour nos enfants, pour la paix, pour l'Europe et pour la France.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Henno, vous avez parfaitement raison de lier l'effort de réarmement à l'effort de compétitivité. Pour réduire nos dépendances présentes ou potentielles dans les domaines de l'intelligence artificielle ou de technologie quantique, l'Europe doit soutenir ses entreprises et ses innovateurs.

Le rapport Draghi a été publié il y a plus d'un an. Sa mise en œuvre est encore insuffisante : il faut clairement le reconnaître et le répéter. La France fait entendre en ce sens sa voix auprès de la Commission européenne. Il est temps à présent de « délivrer », pour le dire en mauvais français.

La boussole pour la compétitivité que vous avez mentionnée a été publiée au mois de janvier dernier. Alors que nous en sommes encore à simplifier un certain nombre de textes, il faut accélérer la mise en place d'une union des marchés de capitaux : autorité de supervision, label européen, titrisation… Quelque 300 milliards d'euros d'épargne européenne franchissent l'Atlantique tous les ans pour financer les marchés de capitaux américains, alors même que nous avons des PME, des start-up, des innovateurs et des chercheurs qui en ont besoin pour se développer et pour être à la hauteur de la concurrence accrue des Américains et des Chinois. Accélérons !

Le Conseil européen sera l'occasion de parler du régime simplifié applicable aux start-up, qui est le vingt-huitième régime de droit des affaires que propose de mettre en place Enrico Letta dans son rapport. Pourquoi attendre 2026 pour se mettre d'accord ? Allons plus vite dans la mise en place des propositions de la Commission européenne ! Pourquoi, d'ailleurs, limiter ce régime aux jeunes entreprises innovantes et ne pas l'étendre à toutes celles qui souhaiteraient se développer plus facilement à l'échelle européenne ?

Vous avez mentionné la Banque européenne d'investissement, que je n'ai pas eu l'occasion d'évoquer. Oui, elle doit investir plus dans la défense. C'est le message clair qui lui a été adressé. Son mandat a été modifié en ce sens. Il s'agit maintenant de soutenir des projets européens. Tel est l'objectif assigné notamment à cette institution financière.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Au lendemain des frappes illégales d'Israël et des États-Unis, le groupe E3 a affirmé dans une déclaration son soutien à la sécurité d'Israël et seulement d'Israël, comme si d'autres peuples du Moyen-Orient n'y avaient pas droit ! « L'Iran ne pourra jamais disposer d'une arme nucléaire », y a-t-on bêlé. Les frappes américaines contre le territoire iranien sont donc approuvées. Pourtant, d'après les conclusions de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) et des services de renseignement américain, l'Iran n'est pas en train de produire une bombe.

En 2003, contre la guerre en Irak, la France s'est levée comme un seul homme pour appeler au respect des principes intangibles du droit.

Monsieur le ministre, condamnez-vous l'attaque américaine et israélienne comme une violation flagrante du droit international ? Si tel n'était pas le cas, l'Union européenne et la France ne constitueraient en rien une force de stabilité sur la scène internationale : elles seraient des forces de désordre.

Le Livre blanc de la défense de la Commission européenne, présenté le 19 mars dernier, assume ce cap stratégique pour les prochaines années. Caractérisé par cette même amnésie volontaire – ou cette déconnexion du réel –, on y parle d'« unité », de « souveraineté stratégique » et d'« autonomie » européenne. On y cache surtout un dangereux retour au tropisme atlantisme, maintenant l'Europe sous tutelle américaine, dans les domaines tant géostratégique qu'industriel.

Il ne s'agit en rien de la renaissance d'une Europe souveraine. C'est la perpétuation d'un capitalisme de prédation, où rivalités économiques et militaires se nourrissent mutuellement.

En 2024, les États européens membres de l'Otan ont dépensé trois fois plus que la Russie pour leur défense : 454 milliards de dollars contre 141 milliards de dollars. L'Europe surpasse la Russie : quatre fois plus de navires, trois fois plus de chars, deux fois plus d'avions de chasse, plus de soldats !

La Commission européenne défend dans ce livre blanc un investissement de 800 milliards d'euros pour la défense, non pas face à une menace sécuritaire objective, mais bien dans une stratégie idéologique et industrielle. Composée d'un prêt de 150 milliards d'euros pour acheter du matériel militaire à 65 % fabriqué en Europe et de 650 milliards d'euros débloqués grâce à une clause d'exception du pacte de stabilité, cette manne financière n'est pas un investissement ponctuel ; elle constitue un véritable piège budgétaire pour les générations actuelles et futures.

Sans contrôle parlementaire, la Commission européenne a décidé seule, par le biais d'un « 49.3 européen ».

Et dire qu'il y a encore quelques mois, monsieur le ministre, vous affirmiez ici même, au banc du Gouvernement, qu'il n'y avait « pas d'argent magique », invoquant la procédure de déficit excessif dont la France fait l'objet depuis l'été 2024, pour justifier l'austérité historique caractérisant le projet de loi de finances pour 2025.

Deux mois après, l'Union européenne prévoit d'autoriser les États à creuser leur déficit jusqu'à 1,5 % du PIB pendant quatre ans. Attention, ce déficit sera exclusivement orienté vers la défense ! Pour les armes, l'argent coule à flots. En revanche, pour la santé, l'éducation ou les transports, le bradage continuera ; il risque même de s'accentuer.

Chaque char, chaque drone, chaque canon acheté sera synonyme de coûts permanents demain : entretien, personnels, infrastructures. Qui paiera quand la clause dérogatoire prendra fin ? Nous le savons déjà : ce sont nos services publics !

Alors que l'Europe traverse une crise économique profonde, que l'industrie automobile s'effondre, que l'Allemagne sombre dans une récession pour la troisième année consécutive, certains voudraient nous faire croire que la solution miracle réside dans l'ère du réarmement.

Non, l'industrie militaire ne créera pas massivement de l'emploi ou de la croissance ! Une étude d'un centre de recherche américain démontre d'ailleurs que le secteur de la défense se classe au soixante-dixième rang sur cent en termes d'efficacité pour la création d'emplois. À l'inverse, des investissements dans la consommation, la santé, l'éducation, les transports et les infrastructures profiteraient réellement aux familles et aux personnes.

Un livre blanc, aussi épais soit-il, ne pourra jamais masquer une vérité simple : on ne construit pas la paix avec des missiles ; on ne soigne pas les fractures sociales avec des budgets militaires.

Ces décisions stratégiques de Bruxelles et de l'Élysée, prises loin des intérêts populaires et démocratiques, se paieront cher. Ce choix n'est évidemment pas le nôtre.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, sur la question iranienne, la position de la France est claire et constante : l'Iran ne peut pas et ne doit pas se doter de l'arme nucléaire.

Vous soutenez que ce pays n'a pas cette intention, mais c'est le rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui a pointé les violations par l'Iran de ses obligations au regard du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Quand l'Iran enrichit de l'uranium à 60 %, alors que l'uranium enrichi à 3,5 % suffit pour faire du nucléaire civil, quand des centrales sont enfouies dans des sites comme celui de Fordo ou sous des centaines de mètres de béton, il y a de quoi s'interroger. Voilà des années que l'Iran contourne ses obligations en matière d'inspections.

C'est la France qui, avec ses partenaires européens, a proposé la voie de la diplomatie, aboutissant à l'accord sur le nucléaire iranien de 2015, le JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action). Lors du premier mandat de Donald Trump, les États-Unis ont choisi d'en sortir.

Notre position est toujours très claire : c'est celle de la diplomatie et du droit international pour construire un cadre de sécurité durable permettant d'empêcher l'Iran d'obtenir l'arme nucléaire.

Ne soyons pas naïfs sur les intentions du régime, qui soutient le terrorisme, le Hamas, le Hezbollah ou les Houthis dans toute la région.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je n'ai pas dit le contraire !

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. L'Iran est responsable de la mort de dizaines de nos compatriotes le 7 octobre 2023. Il soutient la guerre d'agression de la Russie en Ukraine par des livraisons de drones et de missiles. Il continue d'emprisonner nos compatriotes Jacques Paris et Cécile Kohler dans des conditions absolument indignes, considérées comme de la torture au regard du droit international.

Il n'y a de notre part aucun alignement sur qui que ce soit. Il y a simplement une ligne claire : la défense du droit international, de nos intérêts et de notre sécurité.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'issue de ces douze jours qui ont ébranlé le monde, le Conseil européen devra, je crois, apporter des réponses à des questions majeures, existentielles pour notre Europe.

Alors que Netanyahou et, à sa suite, Donald Trump ont agi de façon complètement unilatérale par une guerre se voulant préventive, imposant l'usage massif de la force, à contre-pied des initiatives diplomatiques engagées et au mépris du droit international, animés tous deux par la volonté d'ignorer complètement l'Europe et son approche, la question se pose crûment : l'Europe est-elle dorénavant marginalisée, sur la touche, impuissante et condamnée à subir les choix de cet imprévisible président américain ?

Ce Conseil européen remettra-t-il l'Union européenne à sa place ? Sera-t-il un moment de ferme détermination collective ou y verra-t-on encore une fois trop bien les faiblesses, voire les fissures qui sapent la cohésion et l'affirmation européennes ? De quelle cohésion peut-on en effet parler quand l'un juge positif qu'Israël fasse le « sale boulot » ou qualifie les massifs coups de marteau américains en Iran de « bonne nouvelle pour l'Europe », et que l'autre, notre président, les déclare à raison illégaux au regard du droit international et affirme que c'est par la voie diplomatique et le multilatéralisme que l'objectif de ne pas voir l'Iran se doter de l'arme nucléaire pourra être atteint ?

On dit que c'est illégal, mais on ne condamne pas… Tout se passe comme si nos dirigeants européens étaient incapables de prendre clairement le contre-pied de Donald Trump, tétanisés qu'ils sont à l'idée que celui-ci réduise le soutien américain à l'Ukraine.

Pourtant, toute l'expérience française et européenne nous donne la certitude que, pour le Proche-Orient et le Moyen-Orient, la force pure, les frappes brutales et l'humiliation de nations ne construiront pas un ordre juste, durable et équilibré. Ni Netanyahou ni Trump n'ouvrent des perspectives politiques autres qu'un vaste chaos.

Si l'Europe n'affirme pas l'autre logique, celle du primat du droit international sur le rapport de force, qui le fera ?

Tout l'enjeu pour la France et pour les Européens est de savoir se désolidariser des États-Unis lorsque ceux-ci abandonnent une cause juste, comme celle de l'Ukraine ou celle de la Palestine, ou soutiennent une cause injuste, comme celle des frappes préventives israéliennes. Oui, il faut savoir se désolidariser des États-Unis sans pour autant céder au récit de la Russie ou de la Chine !

D'ailleurs, pour la Russie, la phase récente est – hélas ! – positive. En effet, un effacement stratégique joue contre les Ukrainiens, avec ce glissement insidieux d'attention, de ressources, de priorités, qui dénote un déplacement du centre de gravité stratégique.

Au début du mois de juin, le président Zelensky révélait que 20 000 missiles anti-drones initialement destinés à l'Ukraine avaient été réaffectés par les États-Unis au Moyen-Orient pour se protéger face à la menace iranienne. Pourtant, ces munitions de précision sont justement conçues pour intercepter les drones que la Russie utilise quotidiennement contre les infrastructures civiles ukrainiennes. Dans ce contexte, pour l'Ukraine, les pays européens et la France ne peuvent pas faire preuve de faiblesse et d'incohérence.

À ce titre, accepter le marchandage du Premier ministre hongrois, qui voudrait prolonger la dépendance à l'énergie russe sous peine d'opposer son veto aux sanctions contre la Russie, serait indigne.

Les Palestiniens aussi ont plus que jamais besoin d'une Europe claire et déterminée. Que l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël ne soit pas suspendu dès maintenant est totalement incompréhensible !

Pourtant, si nous avons un levier majeur à actionner sans attendre, c'est bien celui-là ! Nous devons nous opposer à un Premier ministre israélien fauteur délibéré de crimes de guerre massifs : plus de 56 000 victimes – notamment de nombreux enfants –, des villes largement et méthodiquement détruites, des conditions humanitaires désastreuses, la famine organisée et des assassinats aux approches des distributions alimentaires !

Rappelons-nous : en 2013, le renoncement à intervenir en Syrie a pesé lourd en termes de souffrances prolongées pour les victimes et a convaincu Poutine qu'il pouvait annexer la Crimée. Douze ans après, cette fois-ci, l'Europe n'oserait donc même pas suspendre sans tarder l'accord dont Israël a totalement violé la clause sur les droits humains ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur les sujets que le sénateur Jacques Fernique vient d'aborder : Iran, Moyen-Orient, Gaza, etc. Je n'y reviens donc pas. (M. Thomas Dossus et Mme Mathilde Ollivier s'exclament.)

M. Thomas Dossus. Et sur l'accord d'association ?

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, le bombardement de l'Iran par Israël et les États-Unis a été lancé au mépris de toutes les règles et conventions internationales.

Aussi, monsieur le ministre, en amont du prochain Conseil européen, je vous poserai plusieurs questions.

Quelle position la France y défendra-t-elle quant à la décision unilatérale d'Israël et des États-Unis d'attaquer l'Iran, et ce en toute illégalité, sachant par ailleurs que des divergences de vues existent au sein de l'Union européenne ? De quels moyens cette dernière dispose-t-elle pour garantir le respect du droit international par toutes les parties et permettre une résolution diplomatique durable de ce conflit latent ?

En outre, alors que se tient le sommet de l'Otan, je souhaite revenir sur les moyens de défense propres à l'Union européenne. Vous avez évoqué un « parapluie nucléaire » pour l'Europe. La possible extension de la dissuasion française à d'autres pays européens sera-t-elle discutée lors du Conseil européen ? Quelles sont les limites envisageables et envisagées d'un tel projet ?

La décision de bombarder l'Iran n'était pas fondée sur les preuves tangibles d'une menace imminente ; en outre, le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas été consulté. L'attaque israélienne n'est pas un acte de légitime défense. Elle entre bien dans le cadre des « guerres préventives », pourtant jugées illégales par l'ONU. Ces attaques témoignent aussi du manque total de considération pour les efforts de négociation européens.

La fragile trêve obtenue n'efface pas non plus notre inquiétude quant aux déclarations intempestives des États-Unis et d'Israël sur l'éventualité d'un renversement par la force du régime iranien. En Irak et en Libye, les interventions militaires controversées des puissances occidentales ont conduit à des décennies de chaos.

En Irak, État en décomposition totale, les États-Unis sont intervenus sans l'aval de l'ONU.

En Libye, pays divisé par les guerres civiles, le mandat onusien, qui interdisait expressément toute opération de soutien à un changement de régime, a été totalement bafoué.

En Iran, c'est encore plus simple et plus radical : personne n'a été consulté.

Comment qualifier par ailleurs des démocraties supposées libérales, mais belliqueuses, elles-mêmes actrices et complices d'exactions contre les populations civiles ? Nous subirons par la suite les conséquences de tels choix, notamment en termes de migrations.

Comment croire en la bonne foi du régime israélien, qui invoque le droit à la légitime défense pour justifier le carnage à Gaza d'une population civile prise au piège ? Son armée cible des infrastructures civiles, tue des personnes qui cherchent de l'aide humanitaire et affame délibérément la population !

Si notre opposition au régime iranien est totale, elle ne justifie pas que l'on piétine le droit international et humanitaire, devant lequel tout dirigeant est tenu de rendre des comptes.

Quelles sanctions l'Union européenne est-elle prête à envisager pour mettre fin à la brutale loi du talion du régime israélien, qui, avec l'aide des États-Unis, met en péril la stabilité du Moyen-Orient et menace les populations civiles ?

Quelle position la France défendra-t-elle sur une possible tentative de renversement du régime iranien par la force ? Nous en connaissons les conséquences potentielles, en termes notamment d'instabilité et, encore une fois, de phénomènes migratoires. Nous ne souhaitons pas que cela se produise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Weber, j'ai déjà évoqué la situation à Gaza et la crise iranienne. Je me contenterai d'ajouter quelques éléments.

La position de la France, notamment du Président de la République, a toujours été extrêmement claire. Nous nous opposons à des logiques de changement de régime par la force. Nous avons vu les effets déstabilisateurs que cela pouvait avoir, par exemple en Libye ou en Irak.

Par conséquent, même si nous condamnons sans ambages le comportement du régime iranien vis-à-vis de sa population, en particulier des femmes et des jeunes, nous estimons que le changement doit venir de l'intérieur et non être « importé » par les armes. C'est une position constante de notre pays.

La France a soutenu le réexamen par la Commission européenne, notamment sous l'impulsion de la haute représentante de l'Union européenne Kaja Kallas, de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël – je réponds ainsi à la question posée par M. Fernique. Cela concerne particulièrement le respect de l'article 2 de l'accord par Israël. Son réexamen est en cours. La Commission européenne rendra ses conclusions au mois de juillet prochain. Ce sera l'occasion pour les États membres de débattre des suites à donner en la matière.

Il a été fait référence au blocage, notamment hongrois, sur l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine.

La France continue de soutenir les efforts réalisés par Kiev pour engager des réformes dans la perspective d'un tel élargissement. Il est extrêmement regrettable que le processus soit pris en otage par un seul État membre, celui qui bloque aujourd'hui l'ouverture des prochains chapitres de négociations. Il faudra réfléchir à la manière dont nous pourrons continuer à accompagner les Ukrainiens dans leur démarche vis-à-vis de l'Union européenne.

Je profite de l'occasion pour évoquer la Hongrie. Nous sommes à quelques jours de la Gay Pride, qui doit aussi avoir lieu à Budapest. L'Union européenne est une union de valeurs ; je l'ai rappelé tout à l'heure à propos des financements européens. Il faut être absolument intraitable quand l'État de droit, les libertés fondamentales et nos valeurs, comme la protection des minorités, l'indépendance de la justice ou la liberté de la presse, ne sont pas respectés par un État membre. C'est pour cette raison qu'un certain nombre de financements mobilisés dans le cadre du plan de relance pour l'Europe n'ont pas été versés à la Hongrie.

La position de la France a toujours été extrêmement claire et ferme pour défendre ses valeurs.

Conclusion du débat

M. le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, je vous remercie de vous être prêté à l'exercice, très physique, consistant à répondre à tous les orateurs des groupes. Ce soir, nous avons consacré beaucoup de temps à des sujets extrêmement politiques.

Nous savons que ce Conseil européen sera dense et qu'il y sera beaucoup question de politique extérieure et de géopolitique.

Pourtant, j'aimerais évoquer l'Union européenne en soi, qui, pour moi, est essentielle. En effet, la force de l'Union européenne sera de pouvoir discuter à l'extérieur avec la puissance que lui confère son marché intérieur. On oublie trop souvent combien notre marché intérieur est envié. Beaucoup voudraient l'intégrer.

De ce point de vue, il y a sans doute des ressources complémentaires à chercher.

Vous avez fait référence à l'Esta (Electronic System for Travel Authorization). Les Britanniques ont mis en place un dispositif analogue : tout touriste, y compris en provenance de l'Union européenne, qui entre sur leur territoire doit s'acquitter d'une taxe de 20 livres, valable deux ans. Une ressource complémentaire similaire serait donc tout à fait justifiée pour l'Union européenne, même si j'ignore quel pourrait être son montant. Je doute que sa mise en place aurait pour effet de réduire la fréquentation touristique en provenance de pays tiers.

Les orateurs des groupes ont abordé des enjeux très importants. Celui de la compétitivité est à mes yeux un point essentiel, pour notre marché intérieur comme pour l'autonomie stratégique à développer.

Au sein de la commission des affaires européennes, nous avons travaillé la semaine dernière sur un avis politique qui a été adressé à la Commission européenne dans le cadre des travaux sur le futur cadre financier pluriannuel. L'avis était non pas thématique, mais général, sauf sur l'agriculture et la pêche, deux sujets majeurs pour nous.

L'idée n'est évidemment pas de trahir nos objectifs en termes de développement durable, de transition écologique et de vigilance face au réchauffement climatique. Nous souhaitons simplement un rééquilibrage. En effet, comme nous l'avons indiqué à de multiples reprises dans cette maison, la situation était déséquilibrée : nos entreprises ne pouvaient pas tenir le choc. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que le bateau change de cap, sans pour autant faire demi-tour. Le nouveau cap est beaucoup plus réaliste et intelligible pour nos populations.

Monsieur le ministre, je vous souhaite bon courage. Je sais que vous accompagnerez le Président de la République à ce Conseil européen.

Je tiens à souligner l'importance de la voix de la France. Même si cela peut sembler paradoxal au regard de ce qui se dit parfois ici, notre pays reste écouté. Je le constate dans nos échanges interparlementaires. J'étais encore récemment en Pologne, pour la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac). La voix de la France, ce grand pays fondateur de l'Union européenne, porte. Il faut que cela perdure et que vous puissiez relayer certains messages, monsieur le ministre.

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2025.

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Modification de l'ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande :

- l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 2 juillet après-midi d'une déclaration suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient ;

- le report au dernier point de l'ordre du jour du mercredi 9 juillet de la deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, ainsi que l'inscription de la suite de ce texte en troisième point de l'ordre du jour du jeudi 10 juillet ;

- le retrait de l'ordre du jour du jeudi 10 juillet de la suite de la deuxième lecture de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie ;

- l'inscription à l'ordre du jour du jeudi 10 juillet : en premier point, selon la procédure d'examen simplifié, d'une convention internationale France-Panama d'entraide judiciaire ; en quatrième point, de la lecture, sous réserve de leur dépôt, des conclusions des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement, sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, ainsi que sur la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers.

Acte est donné de cette demande.

La déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, pourrait avoir lieu à seize heures trente le mercredi 2 juillet.

Nous pourrions prévoir que les orateurs des groupes, à raison d'un orateur par groupe, interviennent selon l'ordre décroissant de leur effectif, avec les temps de parole suivants : quatorze minutes pour le groupe Les Républicains ; douze minutes pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; dix minutes pour le groupe Union Centriste ; huit minutes pour les autres groupes ; trois minutes pour un sénateur non inscrit.

Le délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes, dans ce débat ainsi que pour chacun des autres textes, pourrait être fixé à quinze heures la veille de leur inscription à l'ordre du jour.

Nous pourrions en outre fixer le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour l'examen de la convention France-Panama au mardi 8 juillet à quinze heures.

Par ailleurs, nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au vendredi 4 juillet à douze heures sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, et au mardi 8 juillet à dix-sept heures sur la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.

Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

5

clôture de la session ordinaire de 2024-2025

M. le président. Mes chers collègues, aux termes du premier alinéa de l'article 28 de la Constitution, « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d'octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin ».

Je vais lever la dernière séance de la session ordinaire.

À partir du mardi 1er juillet, le Parlement sera réuni en session extraordinaire.

Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er juillet 2025 :

À quatorze heures trente et le soir :

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (texte de la commission n° 746, 2024-2025) ;

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme (texte de la commission n° 781, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER