M. Mickaël Vallet. Ce n'est pas l'outre-mer…

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux enfin vous parler d'un sujet qui me tient à cœur et sur lequel je ne doute pas que nous saurons construire une majorité dans cet hémicycle, certains sénateurs en ayant fait l'un de leurs combats : le paritarisme.

Le ministre de l'intérieur vous l'a dit hier à cette tribune, le Gouvernement proposera un texte pour suspendre dès maintenant la réforme de 2023 sur les retraites, jusqu'au lendemain de l'élection présidentielle. (Huées sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

C'est un acte de compromis pour la stabilité du pays, y compris pour son économie, comme l'a rappelé le récent lauréat du prix Nobel d'économie Philippe Aghion. Et, comme tout acte politique, il devra être financé.

J'irai même plus loin cet après-midi devant le Sénat en vous disant qu'il devra surtout s'agir, dans les semaines à venir, d'un acte de confiance pour notre démocratie sociale. Suspendre la réforme n'a d'intérêt que si c'est pour avancer. J'ai donc proposé, dans les semaines qui viennent, une grande conférence sur les retraites, mais aussi sur le travail, qui réunira les organisations syndicales et patronales, ainsi que les meilleurs experts. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il faudra laisser le temps à la concertation, mais je souhaite que la conférence fasse ses propositions d'ici au printemps prochain. Nous devrons réinterroger la gestion de notre système de retrait, et étudier toutes les propositions. Certains veulent un système par points, d'autres un système par capitalisation. D'autres encore souhaitent abandonner toute référence d'âge.

Toutefois, ces propositions ne valent que si l'on sait qui est responsable. Il revient aux partenaires sociaux de s'emparer de cette question centrale : qui doit avoir la responsabilité de gérer le régime ? (Brouhaha sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Ce serait revenir aux sources historiques de notre modèle de retraite. C'est d'ailleurs ce que font toujours la plupart de nos voisins européens.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. J'ai confiance dans la démocratie sociale. Le ministre du travail et des solidarités proposera de confier la gestion de notre système de retraite aux partenaires sociaux. Je partage avec lui une conviction profonde : la démarche de faire confiance a porté ses fruits dans de nombreux domaines. C'est notamment le cas pour l'Agirc-Arrco.

Pourquoi ne pas développer ce qui fonctionne ? Cela semble de bon sens ! Sans doute est-ce une autre rupture. Il faudra en débattre et ne pas avoir peur, mesdames, messieurs les sénateurs, de décider. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé et Mme Cécile Cukierman s'exclament également.)

M. Dominique de Legge. On en a déjà débattu !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux aussi revenir sur les réactions qui ont suivi l'annonce de la suspension de la réforme des retraites, y compris celles que j'entends sur ces travées.

Je le répète, suspendre, ce n'est pas renoncer ni reculer (Huées sur les travées du groupe Les Républicains. – Rires sur les travées du groupe CRCE-K.),…

M. Max Brisson. C'est commettre une lâcheté !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. … si nous savons utiliser ce temps en faisant preuve d'intelligence et de volonté d'avancer.

La cohésion sociale, l'unité du pays et donc sa stabilité sont une force. La droite, dans le passé, a su le montrer.

La division, elle, a un coût : l'instabilité aurait coûté 12 milliards d'euros depuis la censure de décembre dernier. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.) Celle de septembre a eu un effet direct sur les taux d'intérêt. Les agences de notation l'ont dit clairement. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a évalué le coût de l'incertitude politique à 0,7 point de croissance. Ces données s'imposent à nous tous.

Je crois en la sagesse du Sénat pour aider ce gouvernement à calmer les tensions (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), surpasser les divisions, renforcer notre économie et maintenir les investissements locaux, c'est-à-dire pour trouver des compromis dans l'intérêt du pays.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après des semaines difficiles, il est, je le crois, permis d'espérer que le Parlement fonctionne, comme nos concitoyens nous le demandent.

M. Olivier Paccaud. Vœu pieux…

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Nous pouvons faire plus qu'un pas dans les trois prochains mois : nous pouvons donner un budget à la France, soutenir la croissance et l'emploi dans les territoires, renforcer la justice, la sécurité du quotidien et notre défense, prendre soin des plus vulnérables et de notre environnement. En un mot, nous pouvons redonner confiance. (M. Loïc Hervé s'exclame.)

Le Gouvernement y est prêt. Le budget et les projets de loi sont prêts. Et je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que le pays est prêt.

La politique s'est parfois éloignée des problèmes de la vie quotidienne. Elle s'est même parfois écartée des méthodes de gouvernance qui prévalent partout ailleurs, dans toutes les grandes démocraties parlementaires du monde comme dans nos conseils municipaux : le débat et le compromis. Je ne doute pas que le Sénat saura trouver ce dernier. C'est son histoire depuis cent cinquante ans. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le Premier ministre, l'heure est grave.

L'heure est grave, car, partout dans le pays, des voix s'élèvent qui traduisent l'inquiétude, l'exaspération et la colère des Français.

L'heure est grave, car, inexorablement, la France s'engloutit dans l'abîme de la dette. Cette dette affaiblit notre économie et nos entreprises, menace le pouvoir d'achat des Français, pèse sur les générations futures et fragilise nos services publics et nos collectivités.

L'heure est grave, car le monde nous regarde et ne nous comprend plus, dans un temps où la voix de la France doit être forte.

L'heure est grave, monsieur le Premier ministre, et il faut agir. Face à cette situation, vous plaidez la rupture. Nous pourrions vous suivre sur cette voie si cette rupture – je le dis sans malice – était porteuse de souffle et d'une méthode nouvelle.

Monsieur le Premier ministre, il va falloir nous en dire plus pour nous convaincre : plus que le renoncement à l'article 49, alinéa 3, et plus que cette formule aux allures d'évidence, « le Gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez », qui ne fait en réalité que traduire l'article 34 de la Constitution ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Olivier Paccaud. Oui, c'est une lapalissade !

M. Mathieu Darnaud. Il faudra également nous en dire plus que le contenu flou de votre déclaration de politique générale d'hier, qui était tout au plus une discussion de politique partielle, tant l'essentiel n'y était pas. Les esprits chagrins auraient même pu parler de déclaration de politique partiale, tant elle s'adressait à un groupe et à un groupe seulement de la représentation parlementaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Marques d'ironie sur les travées du groupe SER.)

Aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, nous avons droit à une déclaration de politique pléthorique : vous énoncez autant de mesures que de priorités. Je suis au regret de vous dire que nous peinons à deviner un calendrier qui permettrait de répondre à toutes ces priorités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Très bien !

M. Mathieu Darnaud. Je vais aller droit au but, car la gravité de l'instant exige de la clarté et nous oblige à nous élever et à agir en responsabilité. Nous avons besoin que vous réaffirmiez un cap clair et des mesures qui le sont tout autant.

Si vous faites preuve de courage et que vous suivez un cap à la hauteur des enjeux, notamment en matière budgétaire, alors, vous pourrez nous trouver à vos côtés.

Si, a contrario, vous cultivez le flou, en ne cherchant que des voies de passage bâties sur de petits dénominateurs communs qui ne répondent pas à l'urgence, et si vous ignorez nos propositions, sans autre objectif que celui de gagner du temps, alors, je vous le dis clairement, ce sera sans nous !

Monsieur le Premier ministre, je vous le redis : la gravité de la situation dans laquelle se trouve malheureusement plongé notre pays ne permet plus les approximations, l'indécision, les équivoques ou les petits calculs.

La stabilité institutionnelle de la France est fragilisée et sa crédibilité internationale affaiblie. Le poids d'une dette colossale finit par nous interdire toute velléité d'action publique. Notre économie vacille et peine à encourager l'innovation et l'investissement. Il faut dire que lorsque la dépense publique d'un pays atteint 57,3 % de son PIB, il ne reste pas beaucoup d'enthousiasme pour l'investissement et les initiatives privées…

Monsieur le Premier ministre, les Français sont épuisés et agacés par ces péripéties politiques désastreuses. Ils sont inquiets pour leur avenir, leur pouvoir d'achat, leur santé et leur sécurité.

Ce portrait en gris, c'est celui d'une France bloquée, et nous ne pouvons l'accepter. Pour notre groupe, les choses sont claires : il n'est pas question « d'abdiquer dans la tourmente ». Il faut, pour rebâtir la confiance, mépriser « les agitations, prétentions, surenchères ». Il s'agit de retrouver en France le « sentiment profond du pays », qui se fait « jour dans sa réalité ».

Parce que, et je crois que vous le savez, « les pouvoirs publics ne valent, en fait et en droit, que s'ils s'accordent avec les intérêts supérieurs du pays, s'ils reposent sur l'adhésion confiante des citoyens. En matière d'institutions, bâtir sur autre chose, ce serait bâtir sur du sable. »

C'est notre vision du gouvernement de la France, et, tout simplement, notre vision de la France. Est-ce aussi la vôtre, monsieur le Premier ministre ?

Loin des mauvais feuilletons politiques, ce sont nos convictions que j'affirme devant vous, des convictions fortes qui s'appuient sur un triple principe de cohérence, de liberté et de responsabilité. Nous n'en avons pas dévié.

Pourtant, les mots que je viens de prononcer sont ceux du général de Gaulle, lors de son discours de Bayeux de 1946. Ce discours a posé les fondations de la réflexion et de l'élaboration de notre Constitution, celle de la Ve République !

Ces mots demeurent décidément d'actualité, car peu importent les soubresauts de la petite histoire. Seuls sont déterminantes pour l'action politique la prise en compte des besoins et des attentes, la compréhension profonde des Français, la capacité à agir et une vision précise de la direction à faire prendre au pays.

C'est précisément là que le bât blesse, car votre déclaration de politique générale, que ce soit celle que vous avez prononcée hier à l'Assemblée nationale ou celle que vous venez de faire au Sénat, ne nous dit pas grand-chose, ou des choses trop floues sur la direction à faire prendre au pays.

Monsieur le Premier ministre, en janvier dernier, j'interpellais votre prédécesseur, François Bayrou, en ces termes : « Soyons clairs : la France pourra-t-elle encore peser en Europe et dans le monde si elle perd la maîtrise de son destin ? Regardons avec lucidité le monde de 2025 : il ne nous fera pas de cadeau ; il ne fera pas de cadeau aux nations fragiles.

« Nous devons impérativement retrouver notre force, et quelques réajustements budgétaires n'y suffiront pas. Il ne nous faudra rien de moins qu'un sursaut historique, comparable à celui de 1958. Il faut de nouveau dessiner un horizon pour les Français, leur montrer une voie de progrès et d'espoir. »

Dix mois plus tard, et après vous avoir écouté, je crains de ne pas être en mesure d'en changer la moindre ligne – et je le regrette.

Monsieur le Premier ministre, la sincérité nous pousse à nous interroger : aurez-vous l'audace d'agir pour redresser enfin nos finances publiques et desserrer l'étau dans lequel est désormais étranglée la France ?

Les premières pistes qui nous ont été présentées nous inquiètent. Vous proposez, monsieur le ministre de l'économie, 14 milliards d'euros de hausses d'impôts… Tout de même !

Au Sénat, le groupe LR et la majorité sénatoriale ont toujours fait preuve de responsabilité. Autour du rapporteur général de la commission des finances, nous avons toujours élaboré des budgets permettant de réduire les dépenses, de dégager de réelles économies, et d'éviter l'impôt. Et, soyez-en convaincu, nous continuerons de le faire !

Braderez-vous l'avenir en croyant gérer le présent ? Ce n'est pas en refusant des réformes structurelles que l'on améliore durablement la situation. Or c'est ce que vous faites en annonçant vouloir suspendre la réforme des retraites.

Certes, cette réforme est imparfaite. Nous l'avons d'ailleurs dit au Sénat, et nous avons proposé des mesures d'amélioration. (Rires ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Certes, elle doit mieux prendre en compte la pénibilité, la carrière des femmes et les carrières longues. Mais elle permet de tenir compte des conséquences de notre démographie. Elle permet à notre pays de ne pas se laisser distancer dans la compétition des grandes nations.

Vous venez de l'affirmer, nous aurons l'occasion d'en débattre et de déterminer la meilleure façon d'agir. Mais, vous l'aurez compris, nous n'accepterons pas les renoncements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mickaël Vallet. Il faudra bien l'avaler !

M. Mathieu Darnaud. Votre programme, ce programme que vous n'avez pas annoncé, devrait intégrer plusieurs mesures.

Tout d'abord, il convient de remettre à plat les politiques publiques et de retrouver enfin un critère d'utilité et d'efficacité simple.

Ensuite, il nous faut réduire le périmètre de l'État, en supprimant ou en fusionnant les multiples émanations erratiques et désordonnées que sont ses agences et opérateurs, puis en ajustant – enfin ! – leurs budgets de fonctionnement et en redéfinissant leurs missions premières. C'est ce que nous avons proposé à l'issue de la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, dont Christine Lavarde était la rapporteure.

Par ailleurs, il faut cesser de prôner de fausses solutions, à coups de hausses d'impôts ou de taxes nouvelles, dans un pays déjà étouffé par la fiscalité. En effet, il est un domaine dans lequel, malheureusement, la France excelle : la créativité fiscale, qui étrangle chaque jour davantage l'initiative et l'envie de progresser.

Nous avons besoin de mesures claires et compréhensibles en faveur de la sécurité, d'une justice efficace et accessible, d'un pouvoir d'achat préservé, d'un accès aux soins pour toutes et tous, du soutien des plus fragiles et d'une économie dynamique.

Vous l'avez annoncé, votre gouvernement nous proposera des projets de loi. Nous les examinerons avec exigence et pragmatisme. L'heure est trop grave pour qu'il en soit autrement.

C'est en responsabilité que nous travaillerons sur le budget et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous déposerons aussi des propositions de loi lorsqu'elles nous paraîtront nécessaires.

Nous serons très vigilants sur les mesures que vous envisagerez concernant les collectivités territoriales, car celles-ci sont au service des Français et assurent actuellement l'essentiel des investissements dans les territoires. Elles constituent un soutien majeur à l'économie et à l'emploi.

Monsieur le Premier ministre, sur tous ces sujets, nous débattrons, et nous voterons. Et non, ce n'est pas une rupture ! C'est simplement notre rôle plein et entier. Or, au Sénat, nous assumons toujours pleinement notre mission. Nous travaillerons pour donner toute sa chance à la France.

Je voudrais insister sur un dernier point. Nous avons peu entendu un mot pourtant essentiel lorsque tout se complique, se délite ou se crispe : celui de liberté. Je tiens à le mentionner, car il manque singulièrement au débat. Vous conviendrez que, dans une démocratie, ce principe est consubstantiel à l'exercice du pouvoir.

Il est évidemment absent du discours des démagogues, mais les Français aimeraient tellement l'entendre et le voir se concrétiser. Qu'en pensez-vous, monsieur le Premier ministre ?

La France se fatigue. Elle fléchit sous le poids des contraintes, des interdits dont les objectifs sont parfois peu clairs et les conséquences non mesurées, des volte-face ou des tête-à-queue. Elle s'asphyxie dans une surbureaucratisation, qui entend se mêler de tout, jusque dans notre vie quotidienne.

La détermination s'estompe devant le mur de normes et de règles qu'elle doit affronter ; l'entrepreneur recule devant les seuils à franchir et leur coût pour se développer ; la collectivité locale renonce devant le nombre des obstacles administratifs à lever avant de mettre en œuvre un projet (M. Gilbert Favreau applaudit.) ; le citoyen se replie et s'isole face aux difficultés à surmonter dans sa vie de tous les jours.

Aussi l'audace et la créativité finissent-elles par s'exercer ailleurs qu'en France. C'est pourquoi nous espérons, monsieur le Premier ministre, que ce principe de liberté guidera votre action.

Vous le constatez, pour notre groupe, la route à suivre est clairement tracée. Nous vous avions d'ailleurs communiqué nos priorités, mais elles n'ont à ce jour trouvé que peu d'écho. Il n'y a chez nous aucune ambivalence. Nos priorités ne s'appuient pas sur des postures idéologiques, elles découlent de la réalité de la France. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Nos priorités s'appuient sur l'efficacité retrouvée de l'État. Il faut remédier à l'impuissance publique, ce fléau politique moderne qui encourage les démagogues aux promesses trompeuses.

Nos priorités s'appuient sur la liberté et son corollaire, la responsabilité.

M. Hervé Gillé. C'est ce qu'on a fait !

M. Mathieu Darnaud. Comme l'a écrit Victor Hugo : « Les écrivains ont mis la langue en liberté. » Aux politiques revient maintenant la charge de mettre la France en liberté, en faisant confiance aux Français. Monsieur le Premier ministre, saurez-vous emprunter ce chemin ?

Finalement, nos priorités découlent d'une certaine idée de la France. Au fond, peut-être auriez-vous dû écouter plus tôt le Sénat, cette maison qui allie sagesse et audace, détermination et constance. (Marques d'ironie sur les travées des groupes SER et GEST.)

Depuis longtemps, la majorité sénatoriale – particulièrement notre groupe – vote chaque année, à chaque budget, des mesures d'économies et travaille pour réduire la dépense publique, tout en protégeant les Français et en préservant les entreprises et les collectivités territoriales. Ce sera encore le cas cette année. Nous travaillons d'ores et déjà sur ce budget depuis plusieurs mois.

Monsieur le Premier ministre, je conclurai par une invitation : entendez enfin le Sénat ! Après tout, il n'est pas trop tard. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, avez-vous seulement conscience du niveau de consternation et de colère que ressentent les Français devant le spectacle donné par ceux qui les gouvernent ?

Voilà le spectacle qu'ils voient : quelques happy few accaparent le pouvoir et s'y accrochent, coûte que coûte. Ils se nomment et se renomment entre eux, bien au chaud dans leur tour d'ivoire. Avez-vous seulement conscience du degré de déconnexion entre vous, qui gouvernez, et les Français, qui vous regardent ?

Savez-vous quel est le mot qui revient le plus lorsque j'échange sur la situation politique avec les habitants de mon département du Nord ? Le « cirque » ! Oui, l'attitude de votre camp politique, et, en premier lieu, celle du Président de la République, ont fait de la politique un vaste cirque aux yeux de nos concitoyens.

Et que dire du cirque joué par les acrobates en chef, les Républicains (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains), qui participent au Gouvernement, puis n'y participent plus, qui excluent ceux qui font le choix personnel d'y participer, mais qui soutiennent ce même gouvernement ? Quelle cacophonie !

N'y voyez aucune ironie de ma part. (Non, bien sûr ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Je ne me réjouis pas de ce désordre, mes chers collègues. Cela ne m'amuse pas ! Quand la Macronie et la droite donnent ce spectacle, c'est l'ensemble de la classe politique qui est éclaboussée. Ne nous y trompons pas, aux yeux des Français, nous sommes toutes et tous dans le même sac !

Dans cette confusion générale, nous, socialistes, aurions pu faire le choix de la censure. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Cela viendra !

M. Patrick Kanner. La tentation était grande de sanctionner d'emblée ce gouvernement, tant il est insupportable de voir le pouvoir confisqué, encore et toujours, par les mêmes.

Nous n'avons pas fait le choix de la censure, car nous avons fait le choix des Français. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.) Si je me suis engagé en politique, c'est avec la conviction que la politique pouvait changer leur vie. C'est ma seule boussole, aujourd'hui encore.

Croyez-moi, les Français ne veulent pas le chaos. Ils n'espèrent pas non plus le Grand Soir. Ils veulent vivre mieux, là, maintenant, sans attendre 2027 ou une hypothétique démission du Président de la République. Non, les Français n'ont pas le temps d'attendre !

Voilà pourquoi nous avons répondu présents à chacune de vos invitations, monsieur le Premier ministre, pour vous faire part de nos demandes. Celles-ci sont claires et, surtout, elles sont plébiscitées par les Français.

Nous demandons tout d'abord la justice fiscale. Elle est incontournable. Les Français ne peuvent plus supporter de se serrer la ceinture pendant que certains s'exonèrent de contribuer à l'effort national. Sous les quinquennats d'Emmanuel Macron, les dividendes du CAC40 ont explosé et la fortune des 500 familles les plus riches a doublé.

Dans le même temps, le groupe LVMH percevait en 2023 quelque 275 millions d'euros d'aides publiques, tout en engrangeant 15 milliards d'euros de bénéfices – preuve, s'il en fallait une, de la priorité que vous donnez au confort des ultrariches.

Monsieur le Premier ministre, demander un tout petit peu à ceux qui ont tout, et même plus que tout,…

M. Roger Karoutchi. C'est combien, « tout » ?...

M. Patrick Kanner. … pour épargner un peu ceux qui n'ont rien, ou presque rien, voilà bien la moindre des choses !

M. Max Brisson. Quelle chanson !

M. Patrick Kanner. C'est pour cela que nous réclamions la taxe Zucman. (Ah ! sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.) Vous l'avez refusée !

Nous défendrons un amendement dans cette perspective. Si le Gouvernement s'entête à le rejeter, nous attendrons de lui qu'il avance des solutions de rechange concrètes et solides. J'ajoute au passage que le RN, qui prétend défendre les classes populaires sur tous les plateaux de télévision, a déjà annoncé qu'il s'opposerait à notre amendement.

M. Jean-François Husson. Le Sénat, ce n'est pas le Rassemblement national !

M. Patrick Kanner. Les masques tombent, laissant apparaître le visage de ceux qui, derrière de beaux discours, ne défendent en réalité que les nantis ! (M. Aymeric Durox proteste.)

Contrairement à l'extrême droite, nous plaçons la justice sociale au cœur de nos combats. Il est urgent de prendre des mesures pour soutenir le pouvoir d'achat des Français et leur permettre de vivre dignement de leur travail. Là aussi, nous attendons des engagements clairs de votre part.

J'en viens à la suspension de la réforme des retraites. Enfin ! Fallait-il que votre gouvernement soit en grand péril pour que vous consentiez enfin à renoncer à cette réforme ! (Marques d'amusement sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Evren. Ça, c'est sûr !

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, cette réforme de 2023, injuste, imposée sans débat et rejetée massivement est restée comme une blessure sociale et démocratique profonde. Il était temps d'y renoncer ; vous l'avez fait.

La force de nos arguments a fini par s'imposer (M. Loïc Hervé s'esclaffe.), entraînant la suspension de cet impôt sur la vie.

M. Jean-François Husson. Ce n'est pas convenable !

M. Patrick Kanner. La colère du pays vous a arraché cette suspension, qui est une victoire indéniable pour les 3,5 millions de Français qui vont pouvoir partir plus tôt à la retraite et profiter d'un repos bien mérité. C'est à eux que je pense en ce moment, en particulier à ceux – et surtout celles – qui ont travaillé dur depuis le plus jeune âge. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Démago !

M. Patrick Kanner. C'est aussi une reconnaissance, certes tardive, mais bienvenue, du combat des organisations syndicales.

Alors, j'entends déjà les cris d'orfraie et autres procès en trahison. Eh bien, je le dis haut et fort depuis cette tribune : oui, nous assumons de ne pas censurer ce gouvernement pour arracher des victoires comme celle-ci, pour des millions de Français ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Oui, nous assumons de faire le choix de la stabilité, parce que cette stabilité-là doit être gage de justice ! (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

M. Max Brisson. Et qui va payer l'addition ?

M. Patrick Kanner. Nous vous jugerons sur vos actes, monsieur le Premier ministre. Car soyons clairs : notre décision de ne pas censurer ne vaut ni approbation ni chèque en blanc à votre gouvernement.

Les textes budgétaires présentés hier en Conseil des ministres ne sont pas les nôtres. Certes, l'assouplissement de la trajectoire budgétaire que vous proposez est un premier signal intéressant. Mais jamais nous n'accepterons le doublement des franchises médicales, le gel du barème de l'impôt sur le revenu, ou encore l'année blanche fiscale, qui correspond de fait à un gel des prestations. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Vous nous trouverez sur votre chemin tout au long des débats budgétaires et nous resterons intraitables sur ces sujets, comme sur l'ensemble de ceux qui concernent les plus modestes.

Il est temps de tourner le dos à huit ans d'une économie dérégulée, d'une fiscalité inéquitable, d'une action publique affaiblie. Cette politique a échoué. Elle a aggravé les inégalités, dégradé nos services publics et mis en péril nos équilibres budgétaires.

Monsieur le Premier ministre, cela fait huit ans que vous participez à cet affaissement généralisé. Vous promettez une rupture ; nous vous prenons au mot. Pour notre part, membres du groupe socialiste, nous n'avons cessé d'affirmer depuis huit ans, dans l'opposition, qu'une autre voie plus juste, plus efficace et plus fidèle à l'intérêt général était possible.

Nous n'acceptons pas que 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, que 5 millions de salariés vivent péniblement avec le Smic, que les classes moyennes s'enfoncent dans le déclassement, que l'insécurité progresse, que les services publics se délitent et que la France procrastine en matière d'engagements environnementaux.

Pendant ce temps, notre pays s'endette et se prive de 60 milliards d'euros de recettes fiscales par an, sans stratégie ni vision.

M. Jean-François Husson. Vous allez y remédier ?

M. Patrick Kanner. En 2026, la charge de la dette atteindra 70 milliards d'euros, soit l'équivalent de toute la richesse nouvelle créée la même année.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ce n'est pas grand-chose ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)