Mme Mireille Jouve. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur Premier ministre, hier, vous avez entamé votre propos par ces mots : « Ceux qui ne changent pas, ceux qui s'agrippent aux vieux réflexes, aux postures, disparaîtront. » Cette lucidité contraste avec votre fidélité sans faille de dernier samouraï du macronisme en décomposition. Mais que de temps perdu !
Que de temps perdu pour faire comprendre au Président de la République que, depuis 2022, il n'avait plus de majorité absolue à l'Assemblée nationale !
Que de temps perdu à tenter de vous marier avec Les Républicains, partenaires on ne peut moins fiables, qui vous juraient fidélité tout en faisant les yeux de Chimène à l'extrême droite !
Que de temps perdu pour faire adopter, en brutalisant tous les principes démocratiques, une réforme des retraites injuste, dont vous avez reconnu qu'elle avait heurté le pays et, à demi-mot, qu'elle avait été adoptée après un débat démocratique indigne de ce nom !
Vous annoncez sa suspension totale, une nouvelle conférence sociale et une nouvelle loi. Nous saluons cette première amende honorable.
Après huit années de bulldozer macronien, nous saluons cette victoire incontestable du mouvement social, de la gauche et des écologistes. Nous nous félicitons pour les quelque 3,5 millions de nos concitoyens qui viennent de gagner plusieurs mois d'une retraite bien méritée.
Néanmoins, monsieur le Premier ministre, il a fallu quinze mois pour faire partiellement accepter au Président de la République le résultat des élections législatives qu'il a lui-même provoquées !
Quinze mois de perdus pour la transition écologique et l'urgence climatique, victimes de l'absence de vision, de l'absence de pilotage gouvernemental et du rabot budgétaire ! Quarante-trois reculs écologiques en un an ! Voilà le prix de feu le socle commun, avec en point d'orgue la scélérate loi Duplomb, dont nous exigeons l'abrogation ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Quinze mois de perdus dans un monde instable, menacé à court terme par la sécession des riches et la nouvelle internationale fasciste, qui vont de plus en plus de pair, et à moyen terme par la catastrophe climatique et écologique !
Quinze mois d'une crise politique largement évitable pour accepter que le seul résultat tangible des législatives était la prééminence du front républicain contre l'extrême droite et sans les LR, dont l'ambiguïté était condamnable, ambiguïté dont ils vont bientôt sortir au détriment de la République !
Mais le compte n'y est pas encore. Le socle commun étant dessoudé, la force majoritaire de l'Assemblée nationale, c'est le Nouveau Front populaire. Vous êtes donc le troisième Premier ministre illégitime de suite.
Et il est logique que nos collègues députés vous censurent au motif fondamental du respect de la démocratie. Vous semblez cependant avoir compris l'importance de redonner au Parlement sa place centrale : « Le Gouvernement propose, nous débattrons, vous voterez. » À travers vos mots, ce que vous appelez une « rupture » est en réalité le fonctionnement normal de tout régime parlementaire. On l'a oublié sous la Ve République monarchique, tout particulièrement après ces huit dernières années de brutalité jupitérienne.
Vous renoncez enfin, comme les écologistes vous y invitaient à travers une proposition de loi de notre collègue Iordanoff, à utiliser le 49 alinéa 3. En effet, il n'y a aucune raison d'avoir peur d'une Assemblée nationale qui ressemble aux Français, comme vous l'avez souligné justement.
Néanmoins, votre engagement n'aurait pas de sens si vous ne renonciez pas également à la possibilité de passer le budget par ordonnance dans l'hypothèse où les débats parlementaires devraient durer au-delà du 31 décembre.
Demain, vous échapperez vraisemblablement, de quelques voix, à la censure. Mais c'est un sursis, et vous le savez parfaitement. Si vous souhaitez vous inscrire dans la durée, vous n'avez pas d'autre choix que de trouver des compromis avec la gauche et les écologistes, et ce dès l'examen du budget.
La copie du Gouvernement, à peu près identique à celle de vos prédécesseurs, est inacceptable. C'est un nouvel exercice de Robin des Bois inversé, qui prend aux pauvres pour donner aux riches. La justice fiscale y est absente. Votre projet de taxation des holdings est une paille. Vous ne touchez presque pas aux niches fiscales des plus aisés, inutilement listées par notre collègue Charles de Courson. Vous le savez, aucun budget ne sera adopté sans la taxe Zucman, que les écologistes ont pourtant fait voter à l'Assemblée nationale au mois de février, à tout le moins un dispositif de même ambition.
Nous n'avons rien non plus de concret sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus fragiles, alors que 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté, qui atteint un maximum historique. Et je pense aussi aux outre-mer.
Rien pour notre jeunesse, oubliée des politiques publiques, alors que sa situation ne cesse de se précariser, en particulier depuis la pandémie.
Le budget de la sécurité sociale est également honteux, avec, entre autres, le doublement des franchises médicales et une augmentation ridiculement insuffisante de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Pis encore, en refusant d'augmenter les recettes pour suspendre la réforme des retraites, vous allez encore affaiblir le soutien aux plus précaires, notamment les familles, et ronger notre hôpital public, déjà à l'os.
Rien non plus pour la transition écologique, alors que la France n'est déjà plus dans les clous de ses engagements climatiques, dix ans après les accords de Paris. MaPrimeRénov' va éviter la mort, mais à quel prix ? Comment ne pas faire une priorité absolue de cette politique consensuelle, qui allie justice sociale, transition et adaptation écologique, création d'activités économiques pour les TPE et PME et souveraineté, permettant de réduire nos dépendances aux hydrocarbures de Poutine et de réduire nos dettes climatiques ? Il est impératif de maintenir son montant au minimum à 3 milliards d'euros. Le fonds vert pour le climat est divisé par deux, soit une division par quatre depuis deux ans.
Avec la réduction de la CVAE, qui ne profite pas aux petites entreprises, ce sont 2 milliards d'euros en moins pour les collectivités locales, en moins pour la transition.
Dans le même temps, vous annoncez vouloir décentraliser des responsabilités avec des moyens budgétaires et fiscaux, ce qui achève de nous plonger dans la perplexité.
Vous souhaitez responsabiliser les collectivités locales. Alors, donnez-leur la main avec le fonds climatique territorial, que nous soutenons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.) Mais elles n'ont pas à payer l'endoctrinement macroniste, qui a laissé filer la dette au lieu de faire contribuer les plus aisés à l'effort considérable auquel la Nation a consenti face à la pandémie, puis face au retour de la guerre en Europe.
Je voudrais vous faire part d'une dernière inquiétude. Doit-on comprendre de vos propos d'hier et d'aujourd'hui que vous souhaitez supprimer la clause générale de compétence pour les communes ?
Monsieur le Premier ministre, vous l'aurez compris, nous serons exigeants lors de l'examen du budget, qui est, en l'état, un motif légitime de censure. Si votre gouvernement veut passer l'automne, il vous faudra entendre la forte aspiration du pays à davantage de justice fiscale et écologique.
Je forme le vœu que nous trouvions des compromis en ce sens, y compris ici, au Sénat, par exemple avec nos collègues centristes qui ne souhaiteraient pas être aspirés dans la fuite en avant des LR vers l'extrême droite. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – « Assumez ! » sur les travées des groupes GEST et SER.)
La survie du Gouvernement ne règle en rien la crise profonde dans laquelle est engoncée la Ve République. La crise démocratique est plus prégnante que jamais.
Il nous faudra rapidement tout remettre à plat, en commençant par le scrutin majoritaire, qui ne dégage plus de majorité et brutalise inutilement le débat public. Pour assurer une juste répartition des forces politiques, trouver les chemins du compromis et redonner sa place au Parlement, la proportionnelle est un impératif.
M. Vincent Louault. Ben voyons !
M. Guillaume Gontard. À cet égard, la proposition de loi transpartisane qui a été déposée lundi est une base de travail pertinente.
Il faut également en finir avec le cœur de la crise de régime actuelle, à savoir l'irresponsabilité du Président de la République, qui est incompatible avec la séparation des pouvoirs.
Il faut enfin associer beaucoup plus directement nos concitoyennes et nos concitoyens aux décisions publiques.
M. le président. Il faut conclure.
M. Guillaume Gontard. Si le Président de la République veut finir son mandat sur une note moins dramatique, il doit lancer le chantier de la refondation démocratique et constitutionnelle de notre pays. C'est un impératif pour éviter que cette crise ne débouche sur l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos compatriotes ont honte : honte du spectacle d'un système politique discrédité, bouffi de ses échecs qu'il porte comme des réussites et pour lequel l'obsession de stabilité est le cache-sexe de ses incapacités ; honte d'un système qui, au seuil de l'abîme, au bord de la faillite, n'a jamais aussi bien porté son nom.
Tous les signaux envoyés sont ceux d'intérêts de prébendiers qui cherchent à se préserver, de caciques tellement obsédés à l'idée de perdre leur carte de visite qu'ils sont prêts à tout accepter.
J'aurai malgré tout un mot pour vous, monsieur le Premier ministre : vous voilà la dernière victime du vice présidentiel ! Il est dommage qu'une personne reconnue pour son refus du sectarisme ait été choisie – pour ne pas dire sacrifiée – en vue d'accomplir cette mission politiquement kamikaze, celle de maintenir en vie un pouvoir sans cap, sans majorité, sans soutien populaire et sans avenir.
Vous avez la réputation d'un homme digne et loyal. Aussi, quel malheur de vous voir au service aveugle d'une cause désastreuse pour la France et les Français !
Premier des macronistes, vous fermerez sans doute la porte derrière vous quand la supercherie du macronisme et du faux nouveau monde seront enfin derrière nous.
Au prix d'un sursis très hypothétique de l'injuste réforme des retraites, vous proposez non pas un budget de rupture, mais la continuité de la seule chose finalement stable et constante : l'agonie budgétaire, fiscale et sociale de la France.
Cette suspension illusoire, les socialistes acceptent que vous la gagiez dans le PLF pour 2026 sur le dos des salariés, des indépendants et entrepreneurs, des actifs, des retraités, des étudiants, de nos collectivités et même de nos agriculteurs, comme s'ils ne souffraient pas assez.
On nous dira que nous ne faisons aucune proposition : c'est évidemment faux. Le programme présidentiel de Marine Le Pen, qu'elle appliquera avec Jordan Bardella, ce sont 100 milliards d'économies à notre portée.
Encore faut-il accepter de toucher à certains totems : l'immigration, le montant de la contribution nette et malhonnête de la France au budget de l'Union européenne et la bureaucratie stalinienne à tous les étages de l'administration française.
M. Rachid Temal. Eh ben…
M. Christopher Szczurek. Avec cela, vous financerez non seulement l'abrogation durable de la réforme des retraites et bien d'autres politiques, prioritairement à destination de nos compatriotes.
Vous nous direz que le Gouvernement propose et que le Parlement discutera et votera. Monsieur le Premier ministre, vous pouvez tenir en suspension ce qu'il reste des anciens partis traditionnels par la peur du retour aux urnes. Vous pouvez les baratiner pour qu'ils se persuadent qu'ils ne font pas cela uniquement dans leur intérêt et, ainsi, les aider à mieux dormir. Mais à nous, vous ne la faites pas !
Vous avez beau vous draper dans le respect du Parlement ; or nous savons que tout cela finira dans la moulinette des ordonnances.
Nous saurons, demain, si vous avez gagné deux semaines, deux mois, un an peut-être, mais vous n'échapperez pas à la seule issue, à la seule voie du redressement et, finalement, au seul comportement républicain : le retour au peuple et, surtout, le choix d'une alternance réelle.
Encore un an et demi, monsieur le bourreau, avant que la tempête électorale ne balaye le macronisme et n'amène le marinisme.
Mme Émilienne Poumirol. Aïe, aïe, aïe !
M. Christopher Szczurek. Or un an et demi de rien et du pire, c'est long dans l'Histoire et c'est long dans nos vies et dans celles de nos compatriotes, qui n'aspirent qu'à en profiter.
Pour eux, il est encore possible de changer de voie et de souhaiter l'union de tous les patriotes. Dans tous les cas, même si vous n'aurez pas de censure à l'Assemblée, vous aurez Marine à l'Élysée !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les présidents de groupe, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos différentes prises de parole, dont je retiens plusieurs choses.
Sur le fond, on me reproche tantôt d'être trop flou, tantôt d'être trop précis. Quoi qu'il en soit, concernant la feuille de route territoriale et les politiques publiques que j'ai exposées tout à l'heure, je n'ai pas décelé dans vos interventions de lignes rouges…
M. Jean-François Husson. Vous rigolez ? Elles sont carrément écarlates !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. … ni vu de panneaux « stop ». Et pour cause, nous avons largement pris le temps ce mois-ci – j'y reviendrai plus tard, en répondant au président Marseille – de nous inspirer de ce que vous m'aviez dit et de ce que le Sénat, les différentes formations politiques, les associations d'élus et les partenaires sociaux avaient proposé au Gouvernement.
J'en retiens que, si l'action du Gouvernement se poursuit, en fonction de la volonté de l'Assemblée nationale, les ministres pourront se rapprocher des parlementaires pour commencer à travailler sur ces sujets.
Je formulerai une deuxième remarque. On ne peut pas faire comme si le débat n'allait pas avoir lieu, madame la présidente Cukierman, à moins qu'il ne soit interrompu demain matin par le vote d'une motion de censure. Et si tel était le cas, je ne vois pas bien comment des progrès sociaux pourront être accomplis dans les temps à venir.
En effet, c'est précisément la discussion budgétaire qui permet, à un moment donné, de traduire des politiques en actes. Nous le savons tous, nous n'y parviendrons pas en interrompant les débats.
Vous l'aurez compris, le débat sur le budget doit avoir lieu, qu'il s'agisse du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou du projet de loi de finances.
Le président Patriat a appelé, dans son discours, à porter une attention particulière aux outre-mer. Justement, le débat sur ce sujet a déjà commencé tout à l'heure : la ministre des outre-mer a en effet reçu un certain nombre de parlementaires ultramarins pour discuter des outils d'accompagnement définis par la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodeom).
La copie initiale prévoit des mesures d'économies objectivement importantes, sans doute trop importantes. Aussi, des débuts de commencement d'amendements sont en train d'être rédigés avec les parlementaires d'outre-mer pour les rendre soutenables, comme nous l'avons toujours fait.
Depuis plus d'un mois, certains m'ont demandé de faire ma déclaration de politique générale comme s'il s'agissait d'un document entre partis politiques, tandis que d'autres m'ont demandé de saisir cette occasion pour présenter à la fois le PLF et le PLFSS.
Cette resynchronisation démocratique, parlementaire et politique était indispensable. Elle est, au fond, le corollaire de ce que François Bayrou avait fait avec beaucoup de courage en demandant un vote de confiance à l'Assemblée nationale, au début du mois de septembre, alors même qu'il ne disposait pas de majorité.
Nous le savions très bien – je vous rappelle que j'étais alors son ministre des armées –, François Bayrou voulait engager la responsabilité du Gouvernement non seulement sur la base de deux conférences de presse, mais aussi sur la nécessité de redresser les finances publiques. Or les oppositions ont manifesté leur désapprobation, souhaitant discuter de textes économiques et financiers qu'elles pourraient soit rejeter, soit adopter, après les avoir amendés.
C'est bien la démarche dans laquelle je me suis efforcé de m'engager depuis un mois, y compris avec les partenaires sociaux.
Je remercie le président Malhuret d'avoir rappelé que, le soir même de ma nomination, l'agence Fitch dégradait la note de la France. En outre, j'ai pris mes fonctions alors que le mouvement « Bloquons tout ! », soutenu par la France insoumise, n'avait pour seul but que de semer le désordre dans les universités et de s'en prendre aux forces de l'ordre. (Mme Laurence Rossignol proteste – M. Yannick Jadot secoue la tête.)
Je me suis rendu disponible auprès des partenaires sociaux, car l'intersyndicale, composée de toutes les forces syndicales légitimes, était dans son droit le plus strict en organisant des manifestations et des grèves dans le pays.
Je vous prie, mesdames, messieurs les sénateurs, de prendre en compte ce qu'il s'est passé depuis le début du mois de septembre ; nous sommes tous des observateurs et des acteurs de la vie politique française.
Monsieur le président Marseille, je n'ai pas été nommé Premier ministre il y a un an, ni même au mois de janvier dernier. Le fait d'être le troisième Premier ministre à assurer la gestion de cette crise me conduit à devoir prendre des risques, parfois en décalage avec mes propres convictions – je le dis avec beaucoup d'humilité.
Je pense que la stabilité de notre pays, dans ce moment difficile, doit au moins conduire à ne pas faire comme avant. Ai-je tout fait bien ? Certainement pas. Ai-je pu en heurter certains, y compris les miens ? Si tel est le cas, je leur présente mes excuses.
Cela étant, nous sommes face à un moment de responsabilité. On dit souvent, comme pour les convoquer, que le Parlement doit « prendre ses responsabilités » : ce discours m'insupporte quelque peu, car il comporte une dimension morale, et je ne suis pas là pour faire la morale aux parlementaires.
En revanche, il faut que les débats démarrent. Dans cette perspective, je ne demande à personne de renier ses convictions. Je sais que vous êtes un certain nombre, dans cet hémicycle, à avoir soutenu la loi sur les retraites, tandis que d'autres se sont mobilisés contre la réforme.
Veillons à être précis dans nos propos : il n'y a pas d'abandon de la réforme des retraites, comme j'ai pu l'entendre. (M. Max Brisson s'exclame.) Entrons dans la technicité des débats et soyons précis : le Gouvernement a seulement prévu de déposer un amendement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, en vue de suspendre la réforme de 2023.
M. Yannick Jadot. Un amendement ou un texte ?
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Un amendement, c'est un texte, monsieur Jadot ! (Vives exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Max Brisson. On prend date !
M. Fabien Gay. Donc, ça ne viendra jamais !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. De quoi parle-t-on exactement ? Si vous souhaitez que la suspension de la réforme prenne effet au 1er janvier 2026, il faut l'inscrire dans le PLFSS ! Soyez de bonne foi ! (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mouvements divers sur les travées du groupe Les Républicains.)
En revanche, si vous ne le souhaitez pas, vous pouvez avoir un texte ad hoc à côté, mais arrêtez de reporter la faute sur le Gouvernement ! (M. François Patriat applaudit.)
Je crois que j'ai fait ce qu'il fallait faire ; on me le reproche par ailleurs.
La question des retraites doit être traitée avec la plus grande des précisions. D'ailleurs, je ne l'opposerai pas à celle du pouvoir d'achat, précisément parce que le dialogue social est en panne.
Monsieur le président Marseille, vous le savez, depuis la fin du mois de juin, depuis la fin du conclave sur les retraites, il est grippé.
M. Jean-François Husson. Ça date d'avant !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Tout comme le président du Sénat, qui fut ministre du travail, vous connaissez bien les partenaires sociaux, y compris les syndicats salariés dits réformateurs.
Force est de constater qu'une part du dialogue social est complètement bloquée et n'est possible que dans le secret. Je pose cette question devant le Sénat : fallait-il que ce blocage perdure ? Le débat est ouvert. Toutefois, cette responsabilité ne repose pas que sur votre serviteur : elle est globale.
Il me semble que cette maison, la Haute Assemblée, croit au paritarisme. Il ne s'agit pas que de le décréter, il faut aussi le faire redémarrer. Dans cette perspective, personne ne trahira ses convictions et chacun pourra voter librement. Tel est l'engagement que j'ai pris hier devant l'Assemblée nationale et qui a été rappelé par le président Kanner – je l'en remercie. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Une fois de plus, je n'ai pas été nommé il y a un an. Il n'empêche que je suis tenu de trouver des solutions de déblocage. D'ailleurs, je n'en ai pas été particulièrement saisi ou, du moins, toujours nourri pendant ce mois de septembre.
On m'a ici interpellé avec beaucoup de talent et de transparence et je voudrais répondre aux remarques qui ont été formulées. Nous sommes dans un moment où les partis politiques ne veulent parler qu'au Gouvernement, sans se parler entre eux. Sans trahir le secret de nos réunions, vous m'avez beaucoup aidé à y remédier, et je vous en remercie.
À un moment donné, il faut que tout le monde fasse un pas, comme on le fait dans nos conseils municipaux et départementaux ou dans nos intercommunalités. Encore une fois, cela ne veut pas dire qu'il faut se trahir ou se renier.
Ce temps de la clarté va aussi nous amener à entrer techniquement dans certains dossiers. Monsieur le président Gontard, vous ne pouvez pas dire que la CVAE ne profite pas aux PME. (M. Guillaume Gontard proteste.)
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Elle profite à 300 000 entreprises !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Vous pouvez toujours discuter de ceux qui devraient, selon votre souhait, profiter de ce dispositif, mais vous ne pouvez pas dire qu'il ne fait l'objet d'aucune compensation pour les collectivités. Vous pouvez, à l'instar du rapporteur général, nous reprocher d'avoir touché à la CVAE, mais cela ne concerne pas les PME.
M. Jean-François Husson. La TVA, c'est l'État qui la gère ! Ils ne savent même pas de quoi ils parlent à gauche…
Mme Annie Le Houerou. Cela coûte aux collectivités !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Bref, il faut que le débat sur la compensation de la CVAE pour les collectivités démarre.
Il semble que, dans la précédente copie du budget, aucun impôt ne diminuait. Mon gouvernement, lui, propose une réduction d'impôts. (M. Jean-François Husson s'exclame.)
Vous avez énormément de pouvoir, monsieur le rapporteur général.
M. Jean-François Husson. On verra !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. En plus, nous nous connaissons bien et depuis longtemps. Ainsi, si vous avez la volonté de travailler en commun, les ministres du Gouvernement et moi-même nous tiendrons à votre disposition. En tout cas, le débat doit démarrer.
M. Jean-François Husson. Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Dernier point, certains ont reproché à ce gouvernement son illégitimité. Compte tenu du moment que nous vivons, il faut faire très attention aux mots qu'on emploie. On peut ne pas être d'accord avec la Ve République, mais la légitimité des membres du Gouvernement repose sur leur nomination par le Président de la République.
En outre, ils sont responsables devant le Parlement, plus précisément devant l'Assemblée nationale. Autrement dit, cette dernière peut, si elle le décide, nous renverser.
J'y insiste, on ne peut pas dire que le Gouvernement est illégitime : c'est nourrir les arguments de celles et de ceux qui mettent en cause la démocratie représentative et qui, comme lors du grand débat national suivant la crise des « gilets jaunes », reprochaient aux sénateurs, aux députés et aux maires de décider en leur nom – je ne l'ai pas oublié.
Vous avez toute légitimité à représenter, ici, non seulement celles et ceux qui vous ont élus, mais aussi celles et ceux qui n'ont pas voté pour vous. On peut toujours vouloir changer de Constitution, mais, en attendant, il faut veiller à ne pas mal l'interpréter : il y va de la défense de la démocratie représentative, qui peut nous réunir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.