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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.
M. Patrick Kanner. Ce rappel au règlement se fonde sur les articles 92 et suivants du règlement, relatifs à la discipline lors de nos débats en séance plénière.
Je m'étonne, même si cela en fait rire certains parmi nous, des propos particulièrement grossiers qui ont été tenus tout à l'heure par le président Malhuret – il a d'ailleurs quitté l'hémicycle, absent qu'il en est, comme à son habitude, en dehors de ses expressions publiques au plateau.
En effet, il a qualifié M. Olivier Faure, député et patron des socialistes à l'échelon national, de « lombric », ce dont fera état le compte rendu publié au Journal officiel.
M. Malhuret pense généralement prendre des accents de prophète au cours de ses différentes interventions, avec une ironie qui n'appartient qu'à lui-même. Aujourd'hui, il s'est positionné en prétendu visionnaire, alors qu'il a prononcé un discours datant tout droit des années 1980 – quoique nous n'ayons pas eu droit au couplet sur les chars vénézuéliens remontant les Champs-Élysées, qui est sa marque de fabrique.
Je regrette que, en feignant de prendre de la hauteur, notre collègue abaisse la Haute Assemblée à des caricatures qui ne sont pas dignes de nos propos. Le caractère républicain de nos débats mérite mieux que ce genre d'interventions auxquelles nous assistons, de sa part, séance après séance.
Ainsi, je souhaitais que notre assemblée prenne acte de cette remarque, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
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Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l'accord du 12 juillet 2025, présentée par MM. Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Mme Maryse Carrère (proposition n° 876, texte de la commission n° 21, rapport n° 20).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte. Celui-ci a fait l'objet d'une consultation du congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui a émis un avis favorable le 15 septembre 2025.
Souhaits de bienvenue à une ministre et hommage à son prédécesseur
M. le président. Madame la ministre des outre-mer, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au sein de cet hémicycle et du succès dans vos nouvelles fonctions.
En effet, nos outre-mer sont confrontés à de nombreuses urgences, notamment dans les domaines social, économique, éducatif, sanitaire, politique et climatique.
Je tiens également à rendre hommage à votre prédécesseur, M. Manuel Valls, pour son engagement et l'énergie qu'il a déployée en faveur des territoires ultramarins, en particulier sur le dossier calédonien, auquel je suis particulièrement attentif.
En renouant le dialogue entre l'État et l'ensemble des forces politiques calédoniennes, il a contribué à la conclusion de l'accord de Bougival, qui tend à concilier l'aspiration à la pleine souveraineté des uns et le souhait, des autres, de rester dans la République, suscitant ainsi espoir et confiance en l'avenir pour tous – je dis bien tous ! – les Calédoniens
Vous aurez, madame la ministre, la lourde tâche de poursuivre, avec l'ensemble des partenaires calédoniens, l'indispensable dialogue pour aboutir à une solution durable qui s'inscrive dans les grands équilibres de Bougival.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui une proposition de loi organique transpartisane, que j'ai déposée aux côtés des présidents Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Maryse Carrère.
En élaborant ce texte, nous avons partagé un souci commun, en dépassant les clivages politiques, celui de contribuer à accompagner et à faciliter l'apaisement et la stabilisation de la situation politique, économique et sociale en Nouvelle-Calédonie.
La distance géographique séparant l'Hexagone de l'archipel et la succession des événements mondiaux et nationaux ne doivent pas nous conduire à oublier que, plus d'un an après les émeutes de mai 2024 et quatre ans après le référendum de 2021, beaucoup de travail reste à faire.
Il s'agit de reconstruire ce qui a été détruit, bien entendu, mais aussi et surtout de construire la Nouvelle-Calédonie de demain, dans le respect de l'État de droit et de la volonté exprimée démocratiquement par les Calédoniens.
Pour cela, les discussions se poursuivent sur le Caillou. Je sais, madame la ministre, que vos services y ont déjà consacré de nombreuses journées et nuits depuis le début de l'année.
Les échanges et les rencontres entre non-indépendantistes, indépendantistes et représentants de l'État ont rendu possible l'accord de Bougival, conclu le 12 juillet dernier. Celui-ci ouvre la voie à une organisation institutionnelle pérenne, ratifiée par les populations intéressées. Nous ne pouvons que nous en féliciter ici.
Sans revenir dans le détail sur le contenu de l'accord, je rappellerai qu'il envisage l'apparition d'une entité sui generis, « l'État de la Nouvelle-Calédonie », et fixe le cadre d'une nouvelle répartition des compétences entre ce dernier et l'État central.
Il prévoit aussi la création d'une nationalité calédonienne, des évolutions du corps électoral spécial et les orientations d'une refondation sociale et économique.
Concernant le calendrier, les parties se sont accordées sur l'adoption d'une loi constitutionnelle cet automne, suivie d'un vote des Calédoniens sur l'accord de Bougival dès février 2026.
En cas de résultat favorable, la réforme constitutionnelle prendrait effet et les autres textes en découlant pourraient être adoptés.
Enfin, les prochaines élections provinciales devraient être organisées sur la base d'un corps électoral défini dans l'accord.
Autant de résultats d'une négociation que l'on sait complexe, exigeante et parfois difficile, mais toujours essentielle.
Évidemment, tout n'est pas réglé de ce seul fait. Des désaccords persistent et sont parfois devenus visibles durant les semaines suivant Bougival.
Cependant, après des années de divisions, de progrès limités et parfois, peut-être, d'impressions de recul, il nous semble indispensable d'encourager une approche constructive, c'est-à-dire de poursuivre le travail après l'accord conclu le 12 juillet 2025 et autour de celui-ci.
Cet accord, pour reprendre ses termes mêmes, constitue un nouveau « pari de la confiance », après les accords historiques de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998. Il doit jeter les bases de la Nouvelle-Calédonie de demain.
Pour ce faire, il y a besoin de temps : du temps pour rassembler, expliquer et dialoguer ; du temps pour élaborer et adopter les textes tirant les conséquences de l'accord ; du temps pour préparer les futurs scrutins lors desquels s'exprimeront les Calédoniens.
Or une autre échéance électorale approche rapidement et pourrait compliquer ce processus si délicat. C'est pourquoi la présente proposition de loi organique vise à repousser jusqu'à sept mois les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.
L'objectif est de doter le processus politique et institutionnel calédonien du temps nécessaire pour décanter les progrès réalisés cet été et tenir le calendrier fixé à Bougival.
Souvenez-vous : le renouvellement des assemblées provinciales et du congrès de la Nouvelle-Calédonie était initialement supposé se tenir le 12 mai 2024, au terme de leur mandature normale de cinq années. Toutefois, la poursuite des négociations entre les parties et le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle susceptible d'impacter le déroulement des élections avaient conduit le gouvernement d'alors à solliciter le report du scrutin.
En amont, il avait d'ores et déjà consulté le Conseil d'État, qui, dans un avis du 16 novembre 2023, avait confirmé la possibilité d'un tel report en cas de motif d'intérêt général suffisant. Ce fut chose faite : la loi organique du 15 avril 2024 a repoussé la date de renouvellement du congrès au 15 décembre 2024.
Je l'ai dit, l'année 2024 fut marquée par des émeutes et agitations qui ont frappé durement le territoire. Il était dès lors illusoire de penser que le contexte permettrait le déroulement d'élections dans de bonnes conditions.
Voyant cela, nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont déposé une proposition de loi organique reportant de près d'un an le scrutin, soit au 30 novembre 2025. Elle fut adoptée ici même, en novembre dernier.
Alors que nous sommes presque en novembre 2025, tellement de choses restent à faire ! Les priorités sur place ne vont pas aux campagnes électorales. Plus encore, une campagne courte et précoce percuterait de front les progrès réalisés. Quand bien même nous souhaiterions, envers et contre tout, qu'elle se tienne, il serait illusoire, à ce stade, d'espérer encore pouvoir organiser le scrutin en un mois et demi.
Nous vous proposons donc un nouveau et dernier report, qui fixerait la date limite d'organisation des élections provinciales à la fin du mois de juin 2026, c'est-à-dire dans la fourchette figurant dans le calendrier annexé à l'accord de Bougival.
Ce texte prolongerait donc encore les mandats en cours, qui seraient allongés de près de deux ans par rapport à leur durée initiale.
Nous avons conscience de la nature très inhabituelle de l'opération, qui pourrait conduire certains à s'interroger – c'est bien légitime – sur le respect de l'exigence constitutionnelle de périodicité raisonnable de l'exercice du suffrage par les électeurs.
Qu'ils soient rassurés : nous avons pris soin de vérifier la faisabilité de la chose. Je le dis devant la rapporteure Corinne Narassiguin, avec qui j'ai plaidé devant le Conseil d'État l'importance de ce report, eu égard à la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie.
Pour commencer, notons qu'il ne s'agit pas d'une prorogation totalement inédite. Ainsi, un décret-loi du 29 juillet 1939 avait prorogé les pouvoirs des députés pour deux années, dans un contexte certes très particulier et, en tout état de cause, avant la proclamation de la Ve République. Plus récemment, la loi du 13 juin 2013 a prorogé d'un an les mandats de membres de l'Assemblée des Français de l'étranger.
Il y a cinq ans, Jean-Louis Debré avait rappelé, devant la commission des lois du Sénat, que le report d'une élection ne pouvait être décidé que d'une main tremblante, en s'assurant que les motifs qui le justifient sont impérieux, non partisans, et font l'objet d'un diagnostic partagé.
Dans un esprit similaire, le Conseil constitutionnel a jugé, par une décision du 11 avril 2024, que la prolongation des mandats en cours ne peut être qu'exceptionnelle et transitoire et doit être fondée sur un motif d'intérêt général incontestable.
La présente proposition de loi organique répond bien à cette exigence : d'une part, parce que le report envisagé ne rallonge les mandats que pour une durée clairement limitée, soit jusqu'en juin prochain ; d'autre part, parce que la situation calédonienne présente des particularités qui ne peuvent être ignorées et qui caractérisent un impérieux motif d'intérêt général.
Le titre XIII de la Constitution, dont l'intitulé lui-même fait état de la nature transitoire des dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie, anticipe les particularités du processus politique et institutionnel local, ainsi que la transition de l'accord de Nouméa vers un régime définitif. Ce moment est désormais venu.
C'est donc la Constitution elle-même qui nous révèle l'intérêt général en cause ici, lequel prend corps dans le processus ayant mené à l'accord de Bougival.
Le Conseil d'État avait d'ailleurs anticipé cette éventualité dans son avis de 2023.
En outre, le Gouvernement a rempli son rôle et déposé au début de septembre un projet de loi constitutionnelle mettant en œuvre l'accord.
Dans son avis du 4 septembre 2025 sur notre texte, le Conseil d'État a partagé cette évaluation et estimé que ce nouveau report n'était pas manifestement inapproprié au regard de l'objectif visé.
Voici donc ce que nous proposons : reculer pour mieux sauter ; reporter le scrutin pour mieux lui permettre de se dérouler demain, quand le cadre institutionnel aura été réformé, si les Calédoniens l'approuvent.
Il s'agit d'un texte urgent qui, je l'espère, rencontrera votre approbation et celle de nos collègues députés. Le Gouvernement a déjà engagé cet été la procédure accélérée ; il devrait donc être possible de le faire aboutir dans les délais les plus brefs. En effet, le calendrier dont nous disposons est très serré et les Calédoniens ne comprendraient pas que le processus délicat engagé à Bougival connaisse un raté à ce stade.
En guise de conclusion, je citerai ici quelques mots de l'accord de Nouméa : « Les accords de Matignon signés en juin 1988 ont manifesté la volonté des habitants de la Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité. »
Même vingt-sept années après, ces mots résonnent tout aussi fortement de nos jours. Le processus entamé à l'époque se poursuit encore aujourd'hui, et c'est l'honneur et le privilège du Sénat, ainsi que de son président, d'avoir été tout au long une force de dialogue et proposition.
J'ai aussi personnellement eu l'occasion de me rendre sur place à plusieurs reprises, et j'en ai conservé un attachement des plus vifs à la Calédonie et à tous les Calédoniens.
C'est donc avec un sentiment de responsabilité toute particulière et partagé par les différents cosignataires du texte – je saisis cette occasion pour les remercier – que je soumets aujourd'hui au vote du Sénat un texte qui sera, je l'espère, une brique de plus dans la construction du destin commun en Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jean-Gérard Paumier applaudit également.)
Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, qui permettent de renouveler intégralement les membres des assemblées délibérantes de chacune des trois provinces de la Nouvelle-Calédonie ainsi que, de façon concomitante, les membres du congrès, n'est pas une question nouvelle : le mandat des membres des assemblées de provinces et du congrès élus le 12 mai 2019 a déjà été prolongé à deux reprises. Prévues initialement pour le 12 mai 2024 au plus tard, ces élections ont ainsi été reportées une première fois au 15 décembre 2024, puis une deuxième fois au 30 novembre 2025.
La présente proposition de loi organique a été déposée par six présidents de groupe politique du Sénat – Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Maryse Carrère –, dans une démarche transpartisane qu'il faut saluer. Elle vise à reporter ce scrutin une troisième fois, au 28 juin 2026 au plus tard.
Si les reports se suivent, ils ne se ressemblent toutefois pas.
Vous vous en souvenez, le Gouvernement avait déposé en janvier 2024 un projet de loi constitutionnelle modifiant la composition du corps électoral spécial, pour l'élargir à l'ensemble des électeurs inscrits sur la liste électorale générale de la Nouvelle-Calédonie y étant nés ou y étant domiciliés depuis au moins dix années. Il avait alors pour projet de revenir sur le gel du corps électoral spécial.
De façon concomitante, le Gouvernement avait déposé un projet de loi organique visant à reporter les élections provinciales au 15 décembre 2024 au plus tard, afin de pouvoir appliquer à ce scrutin la réforme constitutionnelle. La loi organique actant ce report de sept mois a ainsi été promulguée le 15 avril 2024.
Peu de temps après, et alors que nombre d'entre nous sur ces travées avaient alerté sur un passage en force, l'adoption par le Parlement du projet de loi constitutionnelle a provoqué de violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie, dès le 13 mai 2024, entraînant la déclaration de l'état d'urgence sur son territoire le 15 mai 2024 au soir.
À la suite de ces événements qui ont profondément marqué le territoire calédonien, Patrick Kanner et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont déposé, le 16 septembre 2024, une proposition de loi organique visant à reporter les élections provinciales de onze mois supplémentaires, soit au 30 novembre 2025 au plus tard. Il s'agissait de tenir compte notamment de la dégradation de la situation sociale, économique et sanitaire entraînée par les émeutes, et de laisser du temps pour dénouer la crise politique.
La loi organique du 15 novembre 2024 a acté ce report. Ainsi, en l'état du droit, le scrutin doit avoir lieu au 30 novembre 2025 au plus tard.
L'été 2025 a néanmoins été marqué par un événement majeur dans le processus de négociation politique en vue du retour à la concorde civile et à la stabilité institutionnelle : la signature d'un projet d'accord à Bougival, le 12 juillet dernier, par l'ensemble des partenaires politiques de la Nouvelle-Calédonie – même si le consensus s'est ensuite quelque peu ébréché puisque, dès le 9 août, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a adopté une motion de politique générale dans laquelle il rejetait formellement le projet d'accord.
Outre des dispositions relatives à la répartition et au transfert des compétences, ce « projet d'accord » prévoit pour l'instant : la création d'un État de la Nouvelle-Calédonie, inscrit dans la Constitution ; l'instauration d'une nationalité calédonienne ; une modification de la composition du corps électoral spécial pour l'élection des assemblées provinciales et du congrès.
Le projet d'accord comprend également, en regard, un calendrier indicatif de mise en œuvre prévoyant le report des élections provinciales à juin 2026.
En cohérence avec ce calendrier, la présente proposition de loi organique, déposée le 13 août dernier, vise à reporter les élections au 28 juin 2026 au plus tard, soit un report de sept mois supplémentaires.
Le projet d'accord signé à Bougival doit assurément être qualifié d'historique en ce qu'il redonne, de l'avis général, espoir et confiance en l'avenir aux habitants de la Nouvelle-Calédonie. Après quatre années d'une impasse provoquée par le dernier référendum du 12 décembre 2021, il offre enfin la perspective d'un avenir commun avec l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel pour la Nouvelle-Calédonie.
Ce projet d'accord constitue donc une base solide et précieuse à approfondir, à préciser, à amender, en poursuivant les échanges avec l'ensemble des parties prenantes, y compris – et surtout – avec celles qui ont pu prendre, depuis le 12 juillet dernier, leurs distances par rapport au document signé ce jour-là.
J'ajouterai aussi, et surtout, que le report de ces élections doit être vu comme l'opportunité de discuter loin de toute pression liée à des échéances électorales prochaines. Sans consensus large, la porte ouverte à Bougival se refermera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le décor étant planté, je vais vous présenter le contenu de cette proposition de loi organique.
L'article 1er vise à reporter au 28 juin 2026 au plus tard le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. En tenant compte des reports déjà intervenus, les élections provinciales seraient donc repoussées de vingt-cinq mois au plus par rapport à la date initialement prévue.
Nous en avons pleinement conscience : reporter un scrutin est une décision lourde de conséquences sur le plan démocratique, a fortiori quand cette décision est la troisième de suite. Elle affecte la légitimité des élus, dont le mandat est prolongé de plus de deux ans ! Mais, dans le contexte particulier de la recherche d'une issue pour assurer la paix civile en Nouvelle-Calédonie, ce report nous paraît justifié par un but d'intérêt général.
En effet, l'accord historique signé à Bougival le 12 juillet dernier prévoit notamment une nouvelle composition du congrès et des assemblées de province, ainsi qu'un élargissement du corps électoral spécial pour l'élection.
Ces évolutions institutionnelles nécessitent au préalable une révision constitutionnelle. À cette fin, le projet de loi constitutionnelle a été adopté hier en conseil des ministres, mais son examen reste encore incertain.
Le report des élections en juin prochain prévu par l'accord de Bougival doit permettre de poursuivre les négociations avec tous les parties prenantes afin d'aboutir à un consensus le plus large possible.
La commission des lois estime que le report des élections permettra de donner davantage de temps pour compléter et préciser, si nécessaire, l'accord signé à Bougival.
Pour toutes ces raisons, la commission a adopté l'article 1er sans modification.
L'article 2 vise, quant à lui, à proroger jusqu'à la première réunion du congrès nouvellement élu les fonctions des membres des organes dudit congrès, c'est-à-dire le bureau, les commissions intérieures et la commission permanente.
En principe, le renouvellement des instances internes intervient chaque année, en général au mois d'août. Du fait du deuxième report des élections provinciales découlant de la loi organique du 15 novembre 2024, le prochain renouvellement a été reporté à la fin de l'année 2025. Par cohérence, nous vous proposons de le reporter après le renouvellement de juin 2026.
La commission a toutefois jugé pertinent le report, qui évite un double renouvellement successif, à quelques mois d'écart, des instances internes. En effet, celui-ci fragiliserait encore l'exécutif du congrès et des assemblées provinciales, ce qui nous paraît aller à l'encontre des objectifs de continuité et de stabilité des institutions. Ainsi, la commission des lois a adopté l'article 2 sans modification.
L'article 3 prévoit l'entrée en vigueur du texte dès le lendemain de sa publication au Journal officiel, dérogeant donc au régime prévu par la loi organique du 19 mars 1999.
Nous sommes bien conscients du caractère extrêmement contraint du calendrier électoral prévu.
Le décret de convocation des électeurs doit être publié au moins quatre semaines avant la date du scrutin, prévu en l'état au 30 novembre prochain. Il faudrait que les électeurs soient convoqués au plus tard le 2 novembre. Il est donc indispensable que le présent texte puisse entrer en vigueur avant cette date. À défaut, le Gouvernement serait tenu de convoquer les électeurs, puis de retirer cette convocation au moment de la promulgation de la loi définitivement adoptée.
La commission des lois a adopté l'article 3, qui est de bon sens, sans modification.
Mes chers collègues, la priorité est aujourd'hui à la poursuite des négociations avec l'ensemble des partenaires politiques de la Nouvelle-Calédonie, de manière à faire aboutir l'accord historique de Bougival. L'amendement portant sur l'intitulé, déposé par l'ensemble des présidents de groupe auteurs du présent texte, sur l'initiative du président Kanner, illustre d'ailleurs parfaitement cet objectif.
Convaincue que le report des élections provinciales a un but d'intérêt général, la commission des lois vous propose d'adopter cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la première fois que je prends la parole devant le Parlement comme ministre des outre-mer.
M. Rachid Temal. Bravo ! Vive le Val-d'Oise !
Mme Naïma Moutchou, ministre. Je le fais avec beaucoup d'émotion, je le fais surtout avec beaucoup d'humilité, prenant la suite de Manuel Valls, dont je veux saluer le travail exigeant et l'engagement constant au service des outre-mer ; je m'étais d'ailleurs rendue, à ses côtés, en Nouvelle-Calédonie en 2018.
Comme lui, je n'appartiens pas à ces terres. Je n'en porte pas la mémoire dans ma chair. Néanmoins, je les connais pour les avoir étudiées, écoutées et défendues depuis des années en tant que membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je sais aussi, à titre plus personnel, ce qu'elles représentent : une part de la France qui doute parfois d'être entendue et comprise, mais qui ne renonce jamais à croire en la République.
Je ne m'excuserai donc pas d'assumer ces fonctions, et je compte bien convaincre que l'on ne devient pas ministre des outre-mer par hasard.
En m'adressant à vous cet après-midi, je m'adresse plus particulièrement à celles et à ceux qui vivent l'histoire calédonienne et qui veulent réconcilier et avancer.Je veux leur tendre la main et leur dire simplement que je suis à la tâche sans posture et sans excès, car c'est mon style – et le style, c'est l'homme, en l'occurrence la femme, dit-on. Je ne promets pas tout, mais je promets d'être là, d'écouter, d'essayer de comprendre et d'agir. Ce sera ma méthode au service des outre-mer.
Je veux aussi, monsieur le président, saluer d'emblée le rôle du Sénat dans ce moment politique. Votre assemblée a cette force de bâtir, et de bâtir dans la durée.
Sur la Nouvelle-Calédonie, vous avez su faire ce que la République attend de mieux de ses institutions : unir au lieu d'opposer. Six présidents de groupe, sur huit, de sensibilités différentes, ont signé ensemble ce texte : Mathieu Darnaud, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Claude Malhuret, François Patriat et Maryse Carrère. C'est un geste politique fort que je veux saluer, et je remercie chacun d'entre eux de cette initiative.
Je veux dire aussi toute ma reconnaissance aux rapporteures, Mmes Narassiguin et Canayer, dont le travail précis et exigeant depuis plusieurs semaines a donné toutes ses chances à ce texte, afin qu'il s'enracine dans le droit comme dans le réel. Le Sénat montre ainsi ce que peut être un Parlement utile : une chambre du dialogue, de la stabilité et du respect du temps long.
Si je prends le temps de saluer ce travail, c'est aussi parce qu'il honore le Parlement tout entier – Assemblée nationale comprise – dans sa capacité à construire ensemble quand l'intérêt général l'exige.
La proposition de loi organique que vous examinez aujourd'hui s'inscrit pleinement dans cet esprit. Elle n'est pas un texte technique, il faut assumer de le dire. Elle est un acte de responsabilité. Elle accompagne la mise en œuvre de l'accord de Bougival, signé le 12 juillet dernier, qui marque une étape majeure du dialogue entre les délégations calédoniennes et l'État.
Après les drames de mai 2024, après des années d'impasse et de méfiance, il fallait rouvrir le chemin de la confiance. C'est ce que permet cet accord. Il ne règle pas tout, mais il rouvre la possibilité d'un avenir commun dans la paix et dans la vérité.
Le texte qui vous est soumis a un objectif clair : donner le temps à la stabilité – cela signifie quelque chose dans la période actuelle ! – : le temps d'appliquer l'accord, d'adopter la loi constitutionnelle, d'organiser la consultation des Calédoniens et de préparer les élections provinciales dans un climat que nous espérons apaisé.
Reporter, ici, ce n'est pas différer la démocratie ; c'est lui redonner des fondations solides et choisir la lucidité plutôt que la précipitation. C'est aussi rappeler qu'en Nouvelle-Calédonie – et il y a là un fil rouge –, le temps politique ne peut être séparé du temps humain.
Certains s'interrogent : pourquoi un nouveau report ?
Parce qu'il faut du temps pour que le dialogue se renoue avec tous, y compris avec le FLNKS.
Parce qu'il faut du temps pour que l'accord de Bougival se traduise concrètement dans le droit et dans les faits.
Et parce qu'il faut du temps pour que la parole de l'État redevienne crédible, pour que la confiance s'installe durablement et que les Calédoniens se réapproprient leur avenir.
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie, à une large majorité – trente-neuf voix contre treize –, a donné son accord à ce report, et le Conseil d'État a confirmé sa pleine conformité. Vous avez là quelque chose de fondamental, mesdames, messieurs les sénateurs : un double appui, local et juridique, qui montre bien qu'il s'agit d'un choix non pas de confort, mais d'intérêt général.
Je le redis ici : le dialogue n'est pas rompu. Il continue, parfois lentement, parfois avec des pauses ou quelques difficultés, mais il continue. Personne ne veut, ni à Nouméa ni à Paris, revivre les fractures du passé. Nous irons donc pas à pas, avec constance, vers la mise en œuvre complète de l'accord de Bougival. J'y veillerai personnellement en travaillant au plus près des acteurs calédoniens, sans jamais confondre vitesse et précipitation.
La date du 28 juin 2026, fixée par le texte, n'est pas une sorte de ligne d'arrivée. C'est un cadre pour avancer ensemble, dans la confiance. Car, au fond, tout cela n'a qu'un but : offrir à la Nouvelle-Calédonie un avenir clair et partagé, un avenir dans lequel chaque jeune Calédonien pourra se dire qu'il a toute sa place au sein de l'ensemble national, sans avoir à choisir entre son identité et son appartenance.
Nous savons bien que la stabilité institutionnelle ne suffira pas. Disons les choses : comme le Premier ministre l'a rappelé ici même tout à l'heure, il n'y aura pas de paix durable sans un véritable sursaut économique et social du territoire calédonien.
Le territoire a besoin d'un choc de confiance. Les Calédoniens attendent non pas qu'on leur verse des aides, mais qu'on leur ouvre des perspectives. Ils veulent du travail, ils veulent de la dignité, ils veulent des projets concrets. Je porterai cette exigence et je le ferai avec méthode, en concertation avec les élus, les acteurs économiques, les représentants syndicaux, les associations, la société civile et les forces vives du territoire.
Ce ministère sera celui des preuves de résultats.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à voter largement ce texte. Au-delà même de la réflexion arithmétique des votes, il faut que nous exprimions ce soir une volonté partagée à l'égard des Calédoniens. La paix ne se décrète pas, elle se construit. Et elle ne se construira pas contre les uns, mais avec tous. Je sais que le Sénat saura se hisser à cette hauteur.
En adoptant cette proposition de loi organique, vous ferez plus que reporter un scrutin : vous offrirez un temps de respiration à un territoire éprouvé, et vous affirmerez – j'y tiens – la fidélité de la République à ses promesses. C'est cette fidélité qui m'anime, pour les outre-mer.