M. Francis Szpiner. Très bien !

(Mme Sylvie Robert remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Annick Girardin applaudit également.)

M. Mikaele Kulimoetoke. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi avant tout de saluer en toute amitié nos deux collègues calédoniens, Georges Naturel et Robert Wienie Xowie.

Dans l'histoire calédonienne récente, depuis les accords de Matignon et de Nouméa, qui ont esquissé les contours d'une communauté de destin, les différentes étapes du processus institutionnel n'ont été franchies que par le consensus et le compromis, dans le respect de toutes les parties prenantes. Initialement, tel était le cas le 12 juillet dernier, à Bougival, lorsque les signataires sont parvenus à tracer une feuille de route pour l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Les discussions ont fait émerger des solutions inédites. Elles ont ouvert une voie nouvelle pour l'archipel. Elles ont permis de réengager le dialogue entre les différentes forces politiques et l'État, ce qui était nécessaire après les émeutes qui ont profondément marqué les Calédoniens, et dont ils souffrent encore aujourd'hui.

Cependant, le rejet de l'accord de Bougival par le FLNKS a fragilisé un texte qui ne pourra pleinement exister que s'il émane d'un consensus. Ne pas prendre cela en considération, c'est encourager un passage en force dont nous ne pouvons pas prendre la responsabilité.

Nous ne pouvons pas nier les conséquences du retrait de l'un des signataires sur la suite du processus, notamment au sujet du report des élections dont il est question aujourd'hui.

Nous ne pouvons pas non plus faire abstraction des conséquences économiques, ainsi que sur le plan démocratique, du prolongement de deux ans du mandat des élus des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie ne sont pas qu'une simple échéance locale : elles sont cruciales dans la vie politique calédonienne, d'autant plus dans un contexte local et national marqué par l'instabilité.

Le report d'élections n'est pas un acte anodin. Il ne peut être fait qu'à une condition : que ce temps soit mis à profit pour reprendre les échanges entre l'ensemble des forces politiques calédoniennes avec l'objectif de favoriser l'émergence d'un vrai consensus sur le futur cadre institutionnel. Ce temps doit être mis au service de l'apaisement et de la construction d'un avenir commun pour les Calédoniens.

Surtout, nous devons bien avoir à l'esprit que le texte que nous examinons n'est qu'une première étape. Hier, le projet de loi constitutionnelle portant création et organisation politique et institutionnelle de l'État de la Nouvelle‑Calédonie a été présenté en conseil des ministres. Les jours et les mois qui viennent seront déterminants.

Nous l'affirmons avec notre sensibilité ultramarine : ce qui doit primer, ce sont les échanges entre les acteurs locaux décisionnaires, car ils sont les premiers concernés et devront faire face aux conséquences directes sur leur territoire.

Sur le présent texte comme sur les suivants relatifs à la Nouvelle-Calédonie, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants restera vigilant et attentif au maintien du dialogue, notamment dans le travail de clarification à mener sur certaines interrogations encore en suspens, pourtant déterminantes pour l'avenir du territoire.

J'invite le Parlement et le Gouvernement à prendre leurs responsabilités. Dans une démarche constructive et démocratique, ils doivent tirer les enseignements des conséquences qu'une telle situation a entraînées pour le développement économique et la paix sociale de toute une collectivité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Annick Girardin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent de la Nouvelle-Calédonie est profondément façonné par son passé. Chacun le sait bien ici, lorsque l'histoire de cette terre se réactualise, elle donne le sentiment de se répéter, non pas parce que les événements sont identiques, mais parce que les femmes et les hommes qui y sont enracinés retrouvent dans le passé des modèles ou des avertissements qu'ils croient reconnaître dans le présent.

C'est dans cette logique de résonance entre Histoire et actualité que s'inscrit la situation politique d'aujourd'hui, qui conduit le Parlement à examiner pour la troisième fois le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.

La loi organique du 15 avril 2024 avait inauguré un premier report des élections provinciales, dans l'espoir de conclure un accord global. Cependant, un tel accord n'a pas vu le jour, en grande partie parce que la confiance avait été brisée depuis l'organisation unilatérale du troisième référendum sur l'indépendance.

Nous le savons, madame la ministre, tout recul du dialogue ou tout manque d'impartialité de l'État mine sa crédibilité auprès des partenaires calédoniens et expose la Nouvelle-Calédonie à une nouvelle crise. Le printemps 2024 l'a amplement démontré : malgré les alertes répétées du groupe socialiste, l'adoption du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie a déclenché de violentes émeutes, rompant avec trente-six années de paix civile.

Madame la ministre, depuis les émeutes de 2024, la Nouvelle-Calédonie traverse une situation critique : crise du logement social, pénurie de soignants, fermeture partielle ou totale des usines de nickel, perte de milliers d'emplois, dégradation des conditions de vie et, surtout peut-être, perte de perspective dans l'avenir.

Malgré la validation de la deuxième tranche du prêt garanti par l'État par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, le territoire reste profondément fragilisé. Les entreprises locales affrontent un vide assurantiel préoccupant. Quelles mesures concrètes le Gouvernement prévoit-il pour stabiliser la situation économique, sociale et sanitaire dans une logique de prévention ?

Par ailleurs, le bilan humain des émeutes de 2024 inclut un quinzième décès survenu au centre pénitentiaire de Camp-Est, qui met en lumière l'état dégradé de cette prison et les dysfonctionnements profonds de la société calédonienne. Une enquête est en cours : ne pourrait-on pas fournir à la famille des informations sur son état d'avancement et sur les circonstances précises de ce décès ?

Dans ce contexte de tensions majeures, le Parlement a adopté, sur la base de la proposition que j'avais formulée avec Corinne Narassiguin, Viviane Artigalas et Rachid Temal, la loi organique du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, fixant désormais ce report au plus tard au 30 novembre 2025.

Un troisième et dernier report possible est prévu par la proposition de loi organique que nous examinons aujourd'hui. Comme mes cosignataires, je ne l'ai pas signée sans pleinement mesurer que le report d'une élection sur une aussi longue période constitue un événement exceptionnel. Il ne peut se justifier que par des motifs impérieux et strictement non partisans, afin d'assurer des élections libres, équitables et sincères.

Il me semble possible aujourd'hui d'accepter une prolongation de ce délai de quelques mois encore en raison d'un fait majeur, à savoir la signature, le 12 juillet dernier, de l'accord global de Bougival sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie entre l'État et l'ensemble des forces politiques calédoniennes.

Toutefois, compte tenu du caractère évolutif des négociations et du rejet formel de l'accord par l'UC-FLNKS et le sénat coutumier, des précautions particulières s'imposent.

Dans sa déclaration du 24 septembre dernier, le FLNKS recomposé a réaffirmé ses principales exigences, que je rappelle : maintenir les élections en novembre 2025, proclamer l'indépendance avant 2027, garantir un droit rapide à l'autodétermination, poursuivre le dialogue avec l'État et instaurer une justice transitionnelle valorisant l'identité kanake et la réconciliation.

Les critiques que cette déclaration suscite méritent d'être entendues et confrontées aux termes de l'accord de Bougival. À mon sens, tant que les pourparlers se poursuivent, il n'est pas pertinent de juger de manière définitive le contenu et la portée de cet accord.

Néanmoins, selon moi, les perspectives de l'accord de Bougival restent claires. Fondé sur l'accord de Nouméa, il oriente la Nouvelle-Calédonie vers la reconnaissance de l'État de Kanaky-Nouvelle-Calédonie. C'est pourquoi j'estime qu'il constitue le socle pour orienter les négociations en cours sur l'après-Nouméa.

La démarche doit s'inspirer de la méthode de Michel Rocard et de Lionel Jospin, qui a permis de préserver la paix civile tout en favorisant les conditions d'un développement économique durable et équilibré du territoire.

Une telle approche, rappelons-le, puise ses fondements dans la déclaration de la table ronde de Nainville-les-Roches, qui a posé il y a plus de quarante ans le principe de la communauté de destin. Elle a conduit les indépendantistes à dépasser le concept d'indépendance kanake exclusive, et les anti-indépendantistes à reconnaître pleinement l'identité kanake.

Ce principe, désormais acquis, doit être scrupuleusement sauvegardé. Mes chers collègues, tel est le cap à suivre pour garantir la stabilité et l'avenir commun de la Nouvelle-Calédonie.

Tant en Nouvelle-Calédonie qu'au sein de l'État, la nécessité de poursuivre la recherche d'un accord est désormais clairement considérée comme indispensable.

Si les récentes déclarations du président du FLNKS témoignent d'un refus clair et catégorique du texte signé le 12 juillet dernier, elles témoignent également d'une réelle ouverture quant à la reprise des discussions, à condition que celles-ci visent clairement la pleine souveraineté du territoire.

Du côté des formations non indépendantistes signataires de l'accord, la conscience que la réintégration du FLNKS est indispensable s'affirme, ainsi que l'idée que le processus doit s'adapter aux évolutions nécessaires.

Enfin, madame la ministre, je tiens à évoquer l'action de votre prédécesseur à la tête du ministère des outre-mer, Manuel Valls, dont je salue l'implication dans l'avancée de ce dossier et sa connaissance fine des rapports de force au sein du territoire. Lui-même avait rappelé que le FLNKS reste un interlocuteur incontournable et qu'aucune solution durable ne peut se construire sans sa participation.

Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que vous partagez ce point de vue ? Quelle assurance le Gouvernement peut-il apporter pour que le report des élections, présenté comme une mesure visant à préserver un espace de dialogue, ne ravive pas les tensions ayant conduit aux émeutes de 2024 ?

Il ne doit y avoir aucun malentendu de notre part. Je le dis très amicalement à nos collègues Robert Wienie Xowie et Georges Naturel, la fixation de la date des prochaines élections provinciales ne doit devenir ni un motif de tension ni un obstacle au dialogue.

Pourquoi ? Parce que l'accord du 12 juillet 2025 ne peut être constitutionnalisé sans consensus, et qu'un avenant doit reformuler le préambule, reconnaître l'identité kanake, préciser le droit à l'autodétermination, définir les politiques économiques et sociales pour le territoire, notamment en ciblant la jeunesse calédonienne.

Parce que les élections auront lieu dans quelques mois, quoi qu'il arrive, soit à la fin de novembre, si la situation nationale l'imposait – vous connaissez le contexte –, soit au plus tard le 28 juin 2026, si le Parlement en décidait ainsi.

Parce que le report des élections n'affectera pas la légitimité des représentants actuels, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Enfin, dans ce contexte particulier, le report des élections permettrait de décentrer les acteurs locaux de la campagne électorale et leur donnerait la possibilité d'être pleinement au rendez-vous de l'histoire calédonienne en concluant un accord recueillant l'assentiment de toutes les formations politiques locales.

C'est dans cet esprit que j'ai proposé un amendement pour modifier l'intitulé de la proposition de loi organique, afin de mieux refléter cette finalité et de rappeler que l'accord du 12 juillet 2025 conserve la qualité de projet d'accord, conformément à la volonté des parties de poursuivre les discussions pour parvenir à un consensus que nous appelons toutes et tous de nos vœux. Je tiens à remercier vivement les cinq présidents de groupe qui ont accepté de m'accompagner dans cette démarche.

Mes chers collègues, les leçons de l'Histoire rappellent qu'un accord politique n'est jamais figé. Il demeure vivant, appelé à s'adapter aux circonstances, à évoluer avec elles. C'est précisément dans cette capacité d'adaptation que réside la véritable force d'un accord. Loin de trahir son esprit, elle en assure la pérennité, permettant à chaque génération de tracer les voies d'un compromis équilibré et d'un avenir partagé.

Mes chers collègues, il importe de rester confiants. Un alliage solide peut enfin émerger du creuset calédonien, à condition que tous ses acteurs agissent avec courage et responsabilité. C'est pour cela que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera la présente proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC. – M. Jean-Gérard Paumier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi que les deux rapporteures de la commission des lois l'ont indiqué, le Sénat a toujours eu la volonté de travailler avec beaucoup de sincérité et de respect sur ce qui est communément appelé le dossier calédonien.

En effet, le Sénat, chambre des territoires, ne peut en oublier aucun, même s'il est situé à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres d'ici. Ainsi que je l'ai avancé hier devant la commission des lois, la proposition de loi organique que nous examinons présente en définitive beaucoup de ressemblances avec la situation que l'ensemble de la République traverse.

Nous avons tous entendu le Premier ministre démissionnaire, redevenu depuis lors Premier ministre, parler mercredi dernier au journal télévisé de l'importance que revêt à ses yeux le dossier calédonien, avant de l'entendre de nouveau professer cet attachement dans sa déclaration de politique générale.

Que la présente proposition de loi organique soit le premier texte inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour des travaux du Sénat témoigne donc de l'importance qu'il accorde à ce sujet. C'est également dans cet esprit que le Sénat a travaillé.

Toutefois, je le dis d'emblée, nous avons des désaccords, que notre collègue Robert Wienie Xowie a exprimés. Les mots ont un sens, que nous le souhaitions ou non. Y a-t-il eu un accord à Bougival, ou y a-t-il seulement eu une mise en route d'un processus d'accord ?

Loin d'être du blabla, ces débats ont du sens. Certains regrettent qu'à Bougival une partie des acteurs ait affirmé vouloir aller dans le sens de l'accord, pour ensuite rappeler au Gouvernement que leur volonté ne valait pas forcément accord total, avant de retirer leur signature. En réalité, on ne peut pas considérer que le FLNKS, qui représente une très grande partie du peuple kanak, a simplement changé d'avis, ce qui ne serait pas si grave.

Ceci est très grave. Je ne peux m'empêcher de sourire en lisant dans le rapport de la commission des lois que la présente proposition de loi constitue une « dérogation aux principes démocratiques rendue nécessaire par le contexte de la signature de l'accord de Bougival ».

Ainsi que je l'ai indiqué lors du débat qui a suivi la déclaration du Gouvernement, il me semble comprendre que la question de la démocratie dans notre pays devient de plus en plus anecdotique. Toutefois, ainsi que nos collègues Robert Wienie Xowie et Fabien Gay l'ont rappelé, nous nous apprêtons à décaler les élections provinciales pour la troisième fois, prolongeant les mandats de plus de deux ans, Georges Naturel l'a dit.

Pourtant, la Nouvelle-Calédonie a connu une crise sans précédent, que nous avons vécue pour la plupart à distance. Nous en voyons les stigmates qui marquent encore le territoire et qui pèsent aujourd'hui sur le quotidien de la vie des femmes et des hommes, kanaks ou non, qui y vivent. La crise économique et sociale, très forte, fait d'ailleurs de ce territoire une des urgences de notre République.

Là encore, nous aurons un désaccord, mais nous aurons un débat démocratique. Je fais partie de ceux qui demeurent convaincus que, lorsque surviennent des crises d'une telle ampleur, la meilleure solution est de retourner devant les électeurs.

En effet, alors qu'il s'agit de gérer une crise de cette ampleur, plus les représentants provinciaux – nous savons leur engagement, les tensions et parfois même les affrontements entre eux au nom des désaccords politiques – perdent en légitimité, car leur élection remonte à si longtemps qu'ils en ont perdu la validité démocratique, plus on rend compliquée la possibilité d'accepter la sortie de crise nécessaire.

Je le redis, la souveraineté nationale appartient au peuple. Nous n'en sommes finalement que ses représentants, et nous ne pouvons pas passer outre. Vous l'aurez compris, nous voterons contre ce texte. Nous interviendrons dans la suite de la discussion, y compris pour regretter le départ de votre prédécesseur, madame la ministre, qui témoigne de la volonté du Président de la République de dicter lui-même la composition du gouvernement actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'aborde l'examen de cette proposition de loi organique avec la même humilité et, pour tout vous dire, avec la même inquiétude que celle que j'éprouvais au printemps dernier. En effet, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires fait de nouveau une lecture différente de celle des rapportrices.

La présente proposition de loi organique est présentée comme une délicate et difficile évidence, qui ne vise qu'à permettre la mise en œuvre d'un accord. Pourtant, son adoption risque malheureusement une nouvelle fois de faire vaciller depuis Paris une paix fragile, que nous avons déjà brisée l'année dernière.

Pour comprendre nos réserves, il faut revenir à deux évidences.

En premier lieu, le report des élections provinciales, qui vise à opérer le dégel du corps électoral inscrit dans l'accord de Bougival, est basé sur un accord qui n'existe pas : il n'y a pas d'accord de Bougival.

Il est vrai qu'il y a eu un projet d'accord, issu d'une méthode renouvelée qu'il faut saluer. Les délégués ont paraphé un cadre de discussion, en s'engageant à le présenter à leur base pour en vérifier le soutien.

Ce cadre de travail en construction a été transformé par le Gouvernement en accord politique, publié au Journal officiel comme s'il avait été validé. Or, du côté du FLNKS, cette validation n'a jamais eu lieu : l'ensemble des délégués du FLNKS à Bougival ont officiellement retiré leurs signatures, car le projet d'accord avait été rejeté par leur base.

Quoi que l'on en pense, que cela nous plaise ou non, que l'on estime que le cadre institutionnel dessiné par Bougival est une bonne ou une mauvaise option, il est impossible de tracer une voie d'émancipation en Nouvelle-Calédonie et de parfaire le processus de décolonisation sans le FLNKS.

Il est improbable que la présente proposition de loi organique parvienne à convaincre le FLNKS de s'engager dans un chemin dans lequel il refuse de s'embarquer. Il ne faut donc pas l'adopter.

L'année dernière, l'État a essayé de se passer du FLNKS. Les conséquences dramatiques que nous avons connues devraient définitivement nous dissuader de répéter l'expérience.

En second lieu, si l'on veut qu'il existe un jour un accord agréé par les parties, si l'on souhaite que les négociations se poursuivent, un nouveau report des élections provinciales est tout sauf une voie sûre, et ce pour trois raisons.

Premièrement, au fond, l'adoption de la présente proposition de loi organique n'aurait pour effet qu'une redoutable fourberie, qui conduirait à maintenir en place des institutions dont le mandat aurait dû se terminer il y a plus de deux ans et dont la légitimité s'effrite objectivement, pour leur demander d'entériner un texte qui ne fait pas l'objet d'un consensus sur place. Cela me semble dangereux.

Je le rappelle, si, lors du conclave de Deva, la majorité des forces politiques soutenaient la perspective d'un État associé, seuls les loyalistes radicaux s'y opposant, l'État a cherché une nouvelle voie. Comment justifier aujourd'hui que le rejet du FLNKS ne soit pas désormais considéré comme un obstacle si évident qu'il empêcherait d'acter la première étape des accords de Bougival, à savoir le report des élections ?

Deuxièmement, l'argument principal utilisé par les partisans d'un report des élections jusqu'au dégel du corps électoral était que le gel du corps électoral pourrait entraîner une annulation des élections par le Conseil constitutionnel.

Or cet argument, l'unique argument légal avancé, a volé en éclats le 19 septembre dernier, quand le Conseil constitutionnel a confirmé que rien dans la Constitution ne contrevenait à la tenue des élections avec le corps électoral gelé. Il ne pouvait en être autrement.

Il est important de revenir à un fait majeur dans tout ce débat : le corps électoral est certes gelé, mais son ouverture, dans un territoire non autonome à décoloniser, à celles et ceux que l'on a appelés les « victimes de l'Histoire », c'est-à-dire aux descendants des colons, fut une concession importante de la part des indépendantistes.

Mes chers collègues, connaissez-vous, de par le monde, beaucoup de peuples victimes d'une colonisation de peuplement visant à les minoriser qui ont accepté de partager leur droit à l'autodétermination et de tendre la main pour construire ensemble, malgré tout, un pays émancipé ? Cette attitude historique a permis de déboucher sur l'accord de Nouméa. Ne la noyons pas dans une lecture anachronique.

Troisièmement, l'exercice normal de la démocratie, dans un territoire où les élections ne se tiennent pas à l'heure, pourrait justement créer des conditions favorables à l'aboutissement d'un véritable accord. En effet, des élections permettraient d'objectiver dans la population le soutien ou non à Bougival et de relégitimer les négociateurs.

Mon groupe votera contre le report de ces élections, avec la conviction qu'un vote favorable à ce texte serait une faute. Si ces élections devaient être effectivement reportées, j'ai toutefois l'espoir sincère que nous nous trompons, afin de ne pas voir s'éteindre la seule chance qu'avait la France de ne pas rater un processus de décolonisation. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Robert Wienie Xowie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour traiter en urgence d'un sujet décisif pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Si cette proposition de loi organique vise à reporter le renouvellement général des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie et des assemblées de province du territoire, sa portée, bien plus importante, consiste à valider un processus en cours, celui de l'accord de Bougival du 12 juillet 2025.

Cet accord, qui n'est comparable à aucun autre, va loin et répond à de nombreuses demandes des Calédoniennes et des Calédoniens. Il frôle même l'indépendance en proposant un nouveau cadre constitutionnel pérenne, instituant un État de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République française.

Je tiens ici à saluer le ministre d'État Manuel Valls, qui a mis toute son énergie et sa capacité de négociateur au service de cet accord, que peu de femmes ou d'hommes d'État seraient parvenus à obtenir.

Néanmoins, le report que nous nous apprêtons à voter est déjà le troisième, ce qui revient à allonger les mandats en cours de près de deux ans – nous avons été nombreux à le dire. Ce nouveau report pourrait être acceptable, à condition qu'une exigence d'efficacité régisse la suite du calendrier et qu'il n'y ait plus de nouveaux dérapages – cette garantie est essentielle.

Je ne reviendrai pas sur les trois référendums d'autodétermination ; il m'est revenu, du reste, d'organiser les deux premiers, en 2018 puis en 2020.

Je ne m'étendrai pas non plus sur la terrible crise que le territoire calédonien a connue en mai 2024, à la suite du vote du projet de loi constitutionnelle portant dégel d'une partie du corps électoral, texte que je n'avais pas soutenu à l'époque, estimant que le dialogue et la confiance n'avaient pas été suffisants.

J'ai beaucoup trop de respect pour les Calédoniennes et les Calédoniens, pour tous les signataires des accords de Matignon-Oudinot, de Nouméa et de Bougival, et pour le processus de paix et d'autodétermination que ceux-ci matérialisent, pour ne pas mesurer le poids du choix que nous avons à faire ici et maintenant, car ce choix va affecter en profondeur l'équilibre de ce pays que j'affectionne tant. Ce choix, nous devons le faire avec réflexion et humilité – nous avons été nombreux, là aussi, à le dire.

Au mois de juillet, cette proposition de troisième report avait les apparences d'une évidence. J'en veux pour preuve la cosignature de cette proposition de loi organique par six des huit présidents de groupe du Sénat, dont la présidente de mon groupe, Maryse Carrère. Mais, désormais, l'accord de Bougival ne fait plus l'unanimité : le FLNKS l'a rejeté le 8 août, le Sénat coutumier le 30 août. Et il y a eu, le 19 septembre, cette décision du Conseil constitutionnel, saisi le 2 juillet d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui indique que le gel du corps électoral n'est pas inconstitutionnel. Tout cela provoque des perturbations dans le dialogue qui s'installe sur le territoire, ou du moins dans la perception que l'on peut avoir de l'accord de Bougival.

Avant que chaque membre du RDSE ne se positionne, je poserai trois questions.

Ma première interrogation porte sur les partis qui ont participé à l'accord de Bougival : pour qu'un accord soit solide, les signataires doivent pouvoir se faire confiance les uns les autres et leurs émissaires respectifs doivent être chacun représentatifs de leur camp et de leur cause. Mon cher collègue de Nouvelle-Calédonie, j'attendais de mieux comprendre avec vous les motifs qui ont conduit au désaccord que vous avez exprimé aujourd'hui : pourquoi avoir signé puis retiré sa signature ? De l'explication que vous avez donnée, je comprends qu'il y va d'une incompréhension sur la forme de l'accord, celui-ci ayant été publié alors qu'il n'avait peut-être pas été annoncé.

Voilà qui nous donne une deuxième – ou troisième – leçon : il convient toujours de bien veiller à la transparence lors de ce type de négociations. En l'espèce, le processus doit pouvoir se poursuivre et le dialogue rester noué. Rien n'est figé, tout reste ouvert.

Ma deuxième question a trait à la manière dont la population sera consultée ; c'est essentiel, on le voit bien. S'il y a bel et bien des divergences concernant la manière de présenter cet accord, les positions ne pourront converger qu'une fois que la population se sera exprimée. Or, madame la ministre, j'ai besoin de savoir sous quelle forme et sur la base de quel texte cette expression se fera. Il est important que vous puissiez nous le dire aujourd'hui. En effet, différentes lectures sont faites de cet accord, qui laisse subsister une petite ambiguïté quant à la manière dont la population calédonienne pourra prendre position et voter, je l'espère, assez rapidement, dès le début de l'année prochaine.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Annick Girardin. Je ferai à présent une remarque sur la sécurité juridique de ce report, qui dépasserait au total les deux ans et demi : mon collègue Georges Naturel m'a rassurée sur ce point, comme vous l'avez fait, madame la ministre, mesdames les rapporteures. Me voilà donc rassurée à ce stade – je le répète –, mais, s'il faut se donner du temps, il faut aussi s'assurer que notre calendrier restera bien celui qui est annoncé.

L'échéancier aujourd'hui, qui prévoit un report des élections au plus tard au mois de juin 2026, permet-il véritablement de se donner du temps, compte tenu des autres élections que nous allons avoir à gérer d'ici là, sachant en outre que pourrait s'ajouter dans l'intervalle, peut-être, un scrutin supplémentaire ?