Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Hommage à d'anciens sénateurs

Questions d'actualité au Gouvernement

politique de la ville

effort financier inédit demandé aux collectivités territoriales dans le projet de loi de finances

lutte contre la fraude

fragilisation du monde associatif et menaces pesant sur ses libertés et ses moyens

application des dispositions de l'article 5 de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur

budget 2026

taxe zucman

difficultés de la médecine du travail

calendrier d'examen de la ppl trace

justice fiscale

projet de loi de simplification de la vie économique

antisémitisme à l'université

taxation sur l'héritage

dermatose nodulaire

garantir et accélérer l'application des décrets relatifs à la prévention du cancer de sein

présence de psychologues dans les établissements scolaires

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Article 1er

Articles 2 et 3

Vote sur l'ensemble

Mise au point au sujet de votes

Conventions internationales

Adoption en procédure d'examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission

projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de moldavie relatif à l'échange de permis de conduire

Article unique

projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de macédoine du nord

Article unique

Conventions fiscales avec la Finlande et la Suède

Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume de suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune

Article 1er

Article 2

Vote sur l'ensemble

Renforcer la lutte contre la fraude bancaire

Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire

Article 1er

Article 1er bis

Article 2

Article 3

Article 4

Vote sur l'ensemble

Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi organique

Exception d'irrecevabilité

proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie

Article 1er

Article 2

Article 3

Vote sur l'ensemble

Ordre du jour

Présidence de M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Hommage à d'anciens sénateurs

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Joël Bourdin, sénateur de l'Eure, Gisèle Printz, sénatrice de la Moselle, et Daniel Hoeffel, sénateur du Bas-Rhin, qui fut vice-président de notre assemblée. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)

Professeur d'économie, élève de l'ancien Premier ministre Raymond Barre, Joël Bourdin fut recteur de l'académie de Rouen. Maire de Bernay en 1983, fonction qu'il occupera pendant près de vingt ans, il fut conseiller général de l'Eure et vice-président de cette assemblée.

Sénateur de l'Eure de 1989 à 2014, il siégea au sein du groupe des Républicains Indépendants, puis du groupe UMP. Joël Bourdin fut membre de la commission des affaires culturelles de 1989 à 1995, puis de la commission des finances, dont il deviendra vice-président en 2004. Il sera président de la délégation sénatoriale à la prospective en 2011.

Son dévouement et son soutien inconditionnel aux plus vulnérables laisseront une empreinte dans notre assemblée.

Militante associative puis syndicale, avant de s'engager en politique au sein du parti socialiste, Gisèle Printz fut conseillère générale de la Moselle. Son engagement en faveur de la cause des femmes marquera l'ensemble de sa carrière ; nous nous en souviendrons ce soir, à l'occasion d'une réunion particulière.

Sénatrice de la Moselle de 1996 à 2014, elle fut membre de la commission des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes, dont elle sera vice-présidente.

Grand serviteur de l'État, Daniel Hoeffel fut secrétaire d'État auprès du ministre de la santé et de la famille de 1978 à 1980, ministre des transports de 1980 à 1981, et ministre chargé de l'aménagement du territoire et des collectivités locales de 1993 à 1995.

Figure emblématique de la vie politique alsacienne, président du conseil général du Bas-Rhin, Daniel Hoeffel fit son entrée au Sénat en 1977. Il fut membre du groupe Union centriste des démocrates de progrès (UCDP), puis du groupe Union Centriste (UC), dont il devint président en 1986.

Membre éminent de la commission des lois, il fut un ardent défenseur de la décentralisation. Il fut vice-président du Sénat de 2001 à 2004.

Écouté et respecté de tous ses collègues, Daniel Hoeffel marqua profondément notre assemblée de sa rigueur et de sa droiture. Je me souviens de l'avoir vu présider dans cet hémicycle. Demain, une messe d'action de grâce sera célébrée en son souvenir en l'église Saint-Thomas de Strasbourg, et notre collègue Claude Kern y représentera le Sénat.

Au nom du Sénat tout entier, je veux présenter nos condoléances les plus attristées aux familles de nos collègues disparus. En leur mémoire, je vous propose d'observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, observent une minute de silence.)

2

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole. La conférence des présidents l'a encore rappelé la semaine dernière : ce temps de parole est de deux minutes, tant pour les sénateurs que pour le Gouvernement. Le Premier ministre bénéficie à cet égard d'un avantage particulier – il peut intervenir ad libitum –, dont il n'abusera cependant pas.

politique de la ville

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre de la ville et du logement, mes chers collègues, le 27 octobre 2005, Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, perdaient leur vie, à peine commencée, dans un transformateur électrique de leur cité. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) J'ai une pensée aujourd'hui pour eux et pour leurs familles.

Ce drame entraîna un affrontement violent entre des habitants du quartier et les forces de police.

Depuis vingt ans, d'autres manifestations du même type ont eu lieu, dont celles de 2023, avec onze jours d'émeutes et de grands dégâts dans de nombreuses communes.

L'analyse de ces faits ne saurait être circonscrite, comme c'est – hélas – souvent le cas, à la question sécuritaire. Je rappelle ici que Zyed et Bouna n'avaient rien fait de répréhensible.

Dans le cadre de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) nous alerte sur les crédits de renouvellement urbain qui font défaut depuis plusieurs mois. Les acteurs, souvent associatifs, qui agissent au cœur de ces quartiers doivent aussi être soutenus davantage.

En définitive, de manière variable d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) à l'autre, l'action menée depuis 2017 n'est souvent pas à la hauteur des attentes légitimes de nos concitoyens concernés.

Monsieur le ministre, sur quels points entendez-vous agir en priorité pour que nos concitoyens vivant dans ces quartiers se sentent membres à part entière de la communauté nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville et du logement.

M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Montaugé, je vous remercie pour votre question, qui prend un relief particulier en ce triste anniversaire des vingt ans des émeutes de Clichy-sous-Bois et du drame que vous avez évoqué.

Cette question me permet en effet de rappeler la volonté du Gouvernement d'être aux côtés des 6 millions de Françaises et de Français qui vivent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et auxquels on doit la même égalité des chances et la même promesse républicaine.

Cela signifie que nous devons soutenir l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, qui accomplit un travail formidable afin que ces quartiers retrouvent un visage dont leurs habitants puissent être fiers.

Nous devons, en outre, soutenir tous les dispositifs relevant de la politique de la ville.

J'exprimerai mon attachement à cette politique le plus simplement possible : sans celle-ci, sans l'aide qu'elle a représenté pour ma famille, qui nous a élevés, mon frère et moi, dans les QPV de la commune de L'Haÿ-les-Roses, je ne me trouverais pas aujourd'hui devant vous.

Mais être attaché à la politique de la ville ne signifie pas que l'on ne puisse pas la rationaliser dans certains endroits pour la rendre encore plus efficace dans d'autres, car elle est évolutive.

Puisque nous sommes, j'y insiste, très attachés à cette politique, nous soutiendrons tout ce qui ira dans le bon sens, en donnant une espérance et des chances à tous les habitants de ces quartiers.

Le comité interministériel des villes (CIV) a réuni tous les partenaires – élus locaux, collectivités, services de l'État, associations, habitants et entreprises. Il en est ressorti quarante-trois mesures.

J'en prends l'engagement devant vous, nous assurerons un suivi de la mise en place de ces mesures, et notamment de l'une d'entre elles qui me tient particulièrement à cœur : le renforcement de la relation entre la police et la population. Nous doublerons ainsi le nombre de délégués à la cohésion police-population (DCPP). Nous veillerons également à assurer la tranquillité publique et la sécurité de ces habitants, ce qui est le préalable fondamental de toutes les autres propositions.

M. le président. Il faut conclure.

M. Vincent Jeanbrun, ministre. Vous pouvez compter sur mon engagement en faveur de ces quartiers et des 6 millions de Français qui y habitent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, en tout état de cause, la ségrégation spatiale n'est pas admissible. Où que ce soit sur le territoire national, il ne doit pas y avoir de citoyens de seconde zone.

L'égalité républicaine effective doit demeurer un objectif majeur. A minima, le développement du droit commun permettant un égal accès aux services publics doit être votre priorité.

Je crois aussi que le Gouvernement devrait valoriser positivement ces quartiers (M. Stéphane Ravier s'exclame.), ce qui n'est pas le cas.

Du fait de leur travail, qui est souvent de première ligne – je tiens à le rappeler –, l'apport de leurs habitants à la vie nationale est considérable. Ne parlons pas seulement de ces quartiers lors des situations de crise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

effort financier inédit demandé aux collectivités territoriales dans le projet de loi de finances

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour le groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky.

Mme Marie-Claude Varaillas. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

Le projet de loi de finances pour 2026 impose aux collectivités territoriales un effort budgétaire sans précédent, pouvant atteindre 8 milliards d'euros une fois consolidées toutes les mesures directes et indirectes qui les affectent.

Alors que leur dette ne représente que 8 % de la dette publique nationale, cette année encore, elles vont subir : la réduction de la compensation des impôts économiques supprimés, le resserrement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), le gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la baisse du fonds vert et l'augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Pire encore, le montant du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), instauré l'an passé, sera doublé pour être porté à 2 milliards d'euros, ce qui multipliera par deux le nombre de collectivités concernées. Au travers de ce dispositif, l'État puise dans les comptes des collectivités pour alimenter sa trésorerie, alors que nous savons quel rôle primordial elles jouent dans l'investissement public. Il y a plus grave : les contributions ne seront reversées que si, globalement, l'évolution des dépenses est inférieure à l'inflation pour l'ensemble des collectivités.

Autrement dit, la restitution n'est pas pour demain.

Comment le Gouvernement peut-il justifier un tel transfert de charges vers les territoires, alors que la moitié de la hausse de la dette publique depuis 2017 découle directement des baisses, exonérations et suppressions d'impôt dont il a décidé et qui, selon la Cour des comptes, ont atteint 62 milliards d'euros entre 2017 et 2023 ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Madame la sénatrice Varaillas, je vous remercie pour cette question qui précède le débat budgétaire. Dans votre intervention, vous venez de présenter de manière très juste le projet de budget qui sera examiné par le Parlement.

Le Premier ministre l'a dit, il s'agit d'un budget de responsabilité et d'exigence. Je rappelle que nous avons collectivement une responsabilité : redresser nos finances publiques afin de corriger le niveau du déficit, ce qui inclut les sujets des services publics, de l'école, de la justice et de la police.

L'effort qui est demandé est important, et ce pour tout le monde.

M. Mickaël Vallet. Non, pour les rentiers, tout se passe bien !

Mme Françoise Gatel, ministre. Vous dites que l'effort exigé des collectivités est particulièrement important ; à cet égard, le débat budgétaire aura bientôt lieu au Sénat.

Je souhaite rappeler que le Gouvernement a tenu sa parole dans le projet de budget : les 30 % de prélèvements liés au Dilico seront reversés aux collectivités, et le niveau du déficit de 5 % sera respecté.

Puisque vous avez énoncé un certain nombre de points, je voudrais compléter l'information donnée à vos collègues sénateurs.

Le projet de budget que nous présentons garantit la stabilité de la DGF, qui a augmenté de 790 millions d'euros ces dernières années.

Il permet d'affirmer l'importance de la solidarité territoriale, avec une hausse de 150 millions d'euros de la dotation de solidarité rurale (DSR), qui bénéficie aux territoires ruraux, et de 140 millions d'euros pour la dotation de solidarité urbaine (DSU).

Nous proposons de consolider le fonds de sauvegarde des départements, en le faisant passer de 100 millions à 300 millions d'euros, afin de tenir compte de la fragilité de ces collectivités. (Mmes Silvana Silvani, Cathy Apourceau-Poly et Émilienne Poumirol s'exclament.)

Par ailleurs, nous maintenons 110 millions d'euros au titre des aménités rurales.

Nous répondons à vos attentes, très légitimes, en matière de dégâts liés aux catastrophes climatiques en augmentant la dotation de solidarité pour les collectivités territoriales pour évènement climatique ou géologique (DSEC) de 40 millions d'euros.

Pour ce qui concerne France Services, nous tenons notre promesse puisque le chiffre de 2 900 entités sera atteint. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

M. le président. Il faut conclure.

Mme Françoise Gatel, ministre. Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des débats que nous aurons bientôt, je vous invite à conduire un travail collectif très exigeant sur la diminution des normes, afin que nous puissions prévoir des dépenses intelligentes. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.

Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, on ne peut pas prétendre faire confiance aux élus locaux tout en les mettant à genoux financièrement !

Vous évoquez une nouvelle étape de décentralisation, alors que le Gouvernement porte gravement atteinte à la libre administration des collectivités, qui demeurent le pilier du service public et de l'investissement local.

Dans nos communes, cela signifie des chantiers reportés, des emplois supprimés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), des projets de transition écologique compromis, alors même que les collectivités assurent près de 60 % de l'investissement public. Cette nouvelle purge, sous prétexte de rétablir des équilibres financiers, menace gravement la mise en œuvre du pacte républicain. Avec mon groupe, nous nous y opposerons avec détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

lutte contre la fraude

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Notre groupe s'alarme de la fièvre fiscale délirante qui s'est emparée de l'Assemblée nationale, alors même que l'on ne s'attaque pas à l'éléphant au milieu de la pièce, si gros qu'il finit par boucher la vue : la fraude.

L'impôt universel qui a été adopté hier par les députés rapporterait 20 milliards d'euros, avant de dévitaliser notre économie. Dans le même temps, la fraude fiscale représente 100 milliards d'euros de perte annuelle, la fraude sociale 30 milliards et le blanchiment 50 milliards, avec un taux de recouvrement qui n'est que de 2 % – pas de quoi pavoiser ! Le tout usant et abusant de sociétés éphémères, véritables chevaux de Troie de la fraude au carrousel, qui représente entre 20 milliards et 25 milliards d'euros.

Monsieur le ministre, le projet de loi de lutte contre la fraude sociale et fiscale que vous nous proposez n'y suffira pas, car c'est un texte parcellaire et ramasse-miettes. Il ne prévoit rien sur les saisies et les confiscations, rien sur la lutte contre la fabrique de l'argent sale et le blanchiment, qui est devenu un métier à part entière, rien contre la corruption et presque rien contre la fraude fiscale !

La lutte contre les fraudes et la criminalité organisée n'est ni de droite ni de gauche, c'est un combat républicain.

Ma question est simple : plutôt que de taxer toujours plus les contribuables et les entreprises, allez-vous écouter et surtout entendre les nombreuses propositions du groupe Union Centriste, très investi sur ces questions, lors des prochains débats ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Loïc Hervé. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice Goulet, je voudrais tout d'abord saluer votre engagement constant, et reconnu de tous, dans la lutte contre la fraude, et notamment contre le blanchiment.

Votre proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment a ainsi été présentée ce matin devant la commission des finances du Sénat. Je tiens également à saluer les rapporteurs de ce texte visant à améliorer l'efficacité des outils antifraude, MM. Stéphane Sautarel et Hervé Reynaud.

Vous l'avez dit, le Gouvernement s'attaque à la lutte contre la fraude en présentant un projet de loi que je crois extrêmement ambitieux, notamment parce qu'il permettra de doter la lutte contre la fraude sociale – fraude aux prestations et aux cotisations – des mêmes instruments que ceux dont nous disposons aujourd'hui en matière de fraude fiscale.

Vous avez raison, ce projet de loi a vocation à être complété et enrichi lors du débat parlementaire ou à l'occasion des travaux qui s'y ajouteront, à l'instar de votre proposition de loi sur le blanchiment.

Vous l'aurez compris, nous sommes à votre disposition pour travailler, compléter et enrichir ces dispositifs. Je vous proposerai dans les prochains jours une réunion, en lien avec les rapporteurs et les services de Bercy, en vue de déterminer les instruments les plus efficaces.

Les débats techniques que nous pouvons avoir sont de bons débats en ce qu'ils démontrent que nous partageons un objectif, la lutte contre la fraude, et que nous pouvons donc travailler ensemble sur la meilleure manière de la mettre en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. J'ai eu l'honneur d'accompagner la semaine dernière le Premier ministre dans les services de la direction du contrôle fiscal. Nous y avons été félicités pour la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, pour l'abaissement du seuil pour les prix de transfert et pour la fin du « verrou de Bercy », résultat d'une croisade de plus de cinq ans que j'ai menée au Sénat avec Éric Bocquet – et j'en profite pour le saluer.

Faites confiance au Sénat. Nous avons des propositions et nous connaissons le terrain. L'administration ressemble parfois à une grosse marmotte (Sourires.) ; je vous propose de la réveiller !

Je vous demande, monsieur le ministre, d'être attentif à nos propositions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

fragilisation du monde associatif et menaces pesant sur ses libertés et ses moyens

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Ma question s'adresse à Mme la ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.

Un immense plan social silencieux se prépare, celui du monde associatif : 90 000, soit le nombre de salariés des associations de notre pays qui sont sur la sellette. À l'heure où nous parlons, un tiers des associations disposent de moins de trois mois de trésorerie et nombre d'entre elles mettent déjà la clé sous la porte.

Ce désastre, madame la ministre, n'est en rien le fruit du hasard. Ces budgets en chute libre sont le résultat de vos choix politiques.

Sport, culture, éducation populaire, droits humains... : les associations françaises, qui sont au nombre d'1,4 million, leurs bénévoles et leurs salariés, continuent de porter à bout de bras la solidarité et la cohésion sociale de notre pays.

Jamais le monde associatif n'a été autant fragilisé. Partout, le constat est le même : « Ça ne tient plus. » C'est justement cette phrase que des milliers de bénévoles, mobilisés pour vous alerter, ont criée le 11 octobre dernier. Dans nos ruralités, nos quartiers et nos zones périurbaines, c'est grâce à ces femmes et à ces hommes que nos associations tiennent encore debout. Ils donnent leurs soirées, leurs week-ends, pour défendre l'intérêt général et maintenir le lien social dans nos territoires.

Ils sont notre fierté et ne demandent ni compassion ni grands discours : ils demandent des moyens.

Madame la ministre, les semaines à venir seront décisives. Allez-vous redonner souffle à nos associations en soutenant des budgets à la hauteur des enjeux ? Ou bien soutiendrez-vous celles et ceux, à droite et à l'extrême droite, qui tentent de restreindre encore davantage les libertés associatives, et laisserez-vous mourir ces structures qui font vivre nos territoires ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative.

Mme Marina Ferrari, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative. Madame la sénatrice Ollivier, je vous remercie tout d'abord d'avoir rendu hommage aux associations qui font vivre notre territoire. J'ai l'habitude de dire, comme élue locale, que sans ces hommes et ces femmes qui sont partout aux côtés de nos concitoyens, la France n'aurait pas le même visage.

Vous m'alertez sur les difficultés, qui sont réelles, rencontrées aujourd'hui par nos associations. La manifestation du 11 octobre dernier, que vous avez évoquée, était à cet égard un appel, que nous devons bien évidemment entendre.

Aussi, je tiens à vous préciser que le Gouvernement a entendu la demande des associations. Dans le projet de budget pour 2026, les crédits de mon ministère, et notamment ceux dédiés aux fonds structurels, sont sanctuarisés.

Ainsi, les crédits du fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), lequel n'a cessé de croître au cours des dernières années, sont sanctuarisés à hauteur de 70 millions d'euros. Cette enveloppe permettra, dans nos territoires les plus reculés, d'aider les plus petites associations, qui souvent sont aussi les plus fragiles.

Les crédits du fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep) sont également sanctuarisés.

Par ailleurs, je tiens à vous rappeler, madame la sénatrice – mais vous le savez déjà –, que, dans le cadre du projet de budget pour l'année prochaine, le régime fiscal de déduction est préservé. Ces recettes moindres pour l'État représentent un effort qui s'élevait, l'année dernière, à 4 milliards d'euros.

Enfin, une mesure était très attendue, notamment par les associations caritatives, aux demandes desquelles l'exécutif est très attentif : le plafond de la défiscalisation connue sous le nom de « niche Coluche » a été rehaussé de 1 000 à 2 000 euros. Nous avons souhaité, par cette mesure, encourager l'élan de générosité des Français.

Vous avez eu raison de dire que la liberté associative était l'un des piliers de notre démocratie. Le Gouvernement y demeure pleinement fidèle et défend – soyez-en assurée – l'esprit de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.

Mme Mathilde Ollivier. Madame la ministre, les associations ont besoin de stabilité fiscale.

Ce sont vos politiques qui provoquent les défaillances, qu'il s'agisse de la fin du Pass'Sport, de la non-compensation de la prime Ségur, du recul concernant l'aide au développement, du contrat d'engagement républicain (CER), etc. Vous avez le pouvoir de revenir en arrière : c'est une question de volonté politique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)

application des dispositions de l'article 5 de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Monsieur le Premier ministre, dans un État de droit, le Parlement légifère, l'exécutif exécute et la justice juge.

M. Roger Karoutchi. Ça, c'était avant !

M. Laurent Duplomb. Pour exécuter correctement, les agents de l'État doivent faire primer leur mission sur leurs convictions personnelles. Devoir de réserve et esprit de neutralité sont les garanties du bon fonctionnement de notre administration.

Comment accepter, dès lors, que des fonctionnaires laissent transparaître leur propre militantisme dans l'exercice de leurs fonctions ? Ce phénomène enfle. C'est ainsi qu'au sein de l'association Le Lierre, de hauts fonctionnaires se permettent, au mépris de leur devoir de réserve, de communiquer publiquement et de façon critique sur les politiques publiques en matière agricole. Ils sont même allés jusqu'à publier un livre sur le sujet... C'est inadmissible ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes GEST et SER.)

Malheureusement, cela ne s'arrête pas là !

Ma surprise et mon inquiétude grandissent quand le premier représentant de l'État dans la Vienne est lui-même rétif à l'application de la loi.

En effet, l'article 5 de la loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, en vigueur depuis le 13 août dernier, dispose qu'une analyse socio-économique est nécessaire pour chaque étude touchant aux volumes d'eau destinés à l'agriculture. Or le préfet de la Vienne reste non seulement sourd aux demandes légitimes de la profession, mais il s'assoit aussi carrément sur la loi en refusant d'intégrer cette analyse socio-économique.

Les résultats de cette étude, que les organisations agricoles ont réalisée, sont sans appel : le fait de passer, sur le bassin du Clain, de 28 millions à 16 millions de mètres cubes prélevés menacera, à terme, près de 300 emplois dès 2026 et entraînera 40 millions d'euros de pertes économiques. Ces seuls chiffres valident le bien-fondé de cette loi !

Monsieur le Premier ministre, à quoi cela sert-il de légiférer en France si l'exécutif prend soin de ne pas appliquer la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Stéphane Fouassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la transition écologique.

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature, chargé de la transition écologique. Monsieur le sénateur Duplomb, vous m'interrogez sur la mise en œuvre de l'article 5 de votre proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, qui est devenue une loi.

J'aurai tout d'abord, si vous me le permettez, un mot pour les agents auxquels vous avez adressé des reproches : ils font, tout comme les préfets, leur travail dans le respect des lois de la République.

Dans le cas d'espèce, l'article 5 de ladite loi a été pleinement respecté puisque les études complémentaires et les analyses des impacts socio-économiques, rendues obligatoires par votre texte au travers des tests HMUC (hydrologie, milieux, usages, climat), ont été réalisées.

Il existe dans votre loi un équilibre auquel nous tenons toutes et tous ici : l'articulation entre la protection de la ressource en eau et le devenir de nos agriculteurs, dont je sais qu'il vous préoccupe grandement. Cette articulation a été respectée et votre loi a été, sauf erreur, pleinement mise en œuvre.

Les volumes prélevables, ce que prévoit d'ailleurs votre proposition de loi, doivent refléter la ressource disponible et non les besoins théoriques.

M. Yannick Jadot. Il n'y a pas d'eau magique !

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. C'est une question, me semble-t-il, de responsabilité collective.

M. Marc-Philippe Daubresse. Réponse de haut fonctionnaire !

M. Mathieu Lefèvre, ministre délégué. Qu'il faille accompagner nos agriculteurs et faire en sorte que la transition ne soit pas brutale, c'est tout le sens de l'action menée par Mme la ministre Annie Genevard, sous l'autorité du Premier ministre. Et les conférences « L'eau dans nos territoires » servent à aider nos agriculteurs à assurer cette transition écologique.

Croyez bien que votre proposition de loi sera appliquée dans son entièreté : c'est un engagement du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour la réplique.

M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, je m'inscris en faux contre vos propos : l'étude socio-économique n'a pas été prise en compte.

Comment expliquer qu'avec 300 emplois menacés et 40 millions d'euros de pertes, on persiste à vouloir diminuer le prélèvement de près de moitié ?

M. le président. Il faut conclure.

M. Laurent Duplomb. Qui peut croire, compte tenu de l'évolution du climat, que l'agriculture puisse se passer d'eau ? Personne ne peut le penser objectivement ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Yannick Jadot. C'est ça le problème!

budget 2026

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, entre la rigueur aveugle et la démagogie complaisante, il existe un chemin : celui de la responsabilité éclairée. C'est ce chemin que nous souhaitons prendre à vos côtés.

Avec le groupe RDPI, nous portons une conviction inébranlable : maintenir le cap budgétaire bien en deçà des 5 % de déficit est non pas une option, mais une nécessité absolue. Sans ce cap, c'est toute notre crédibilité qui serait affaiblie : des décennies pour la construire, un budget pour la détruire.

Or la parole de la France ne se marchande pas. Elle ne se négocie pas. Elle ne se brade pas. C'est la sécurité financière de tous les Français qui en dépend.

Mais, soyons clairs, la rigueur sans discernement est une impasse. La responsabilité budgétaire ne peut s'affranchir de l'équité territoriale.

À ce titre, nous n'abandonnerons pas les territoires les plus vulnérables, et au premier chef nos outre-mer. L'effort qui leur est demandé suscite de grandes craintes, notamment celle d'un risque d'effondrement social et économique de nos territoires ultramarins, qui sont déjà fragilisés. Les outre-mer ne sauraient être une variable d'ajustement budgétaire.

Fidèle aux combats que nous menons depuis huit ans, le groupe RDPI continuera de défendre la valeur travail avec acharnement. Nous serons toujours les défenseurs de ceux qui produisent la richesse de notre Nation : ces classes moyennes qui constituent l'épine dorsale de notre République et qui, trop souvent, portent seules sur leurs épaules le poids de notre modèle social.

Or, monsieur le Premier ministre, nous voyons se profiler une tentation dangereuse à l'Assemblée nationale : toujours plus de taxation. Nous y sommes fondamentalement opposés, particulièrement lorsque l'outil professionnel est visé.

M. François Patriat. Confondre patrimoine professionnel et patrimoine personnel, c'est décourager l'investissement et affaiblir notre tissu économique.

M. Jean-François Husson. Vous avez raison !

M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous prendre l'engagement qu'aucune taxation mélangeant patrimoine professionnel et personnel ne sera décidée par votre gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, qu'il me soit d'abord permis, au nom du Gouvernement, de m'associer à votre hommage aux parlementaires qui nous ont quittés et – je le dis sous le contrôle d'Hervé Maurey et des sénateurs de l'Eure – d'avoir une pensée particulière pour le sénateur Joël Bourdin.

Pour ce qui concerne les territoires d'outre-mer tout d'abord – il y a dans cet hémicycle un certain nombre d'anciens ministres des outre-mer, notamment Mme Girardin et M. Lurel –, les dispositifs qui leur sont spécifiques sont souvent des dispositifs de rattrapage.

Au fond, monsieur le président Patriat, votre question porte sur les mesures d'effort relatives aux niches sociales, c'est-à-dire au dispositif dit Lodéom et aux niches fiscales. J'ai demandé aux ministres concernées, Amélie de Montchalin et Naïma Moutchou, de réunir très vite les parlementaires d'outre-mer, car nous voyons bien que les efforts demandés sur ces lignes budgétaires ne sont pas adaptés aux situations locales.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Il s'agit déjà de dispositifs de rattrapage. Par conséquent, pour le dire en mauvais français, le risque de stop and go peut avoir un effet absolument délétère sur la vie économique locale.

Cela signifie donc qu'il faut évidemment – je regarde M. le ministre Lurel – trouver des mesures d'adaptation rapide en fonction des situations locales, parce que, selon les territoires d'outre-mer, la question du bâtiment n'est pas toujours la même que celle du tourisme, qui n'est pas non plus toujours la même que celle de l'agriculture. Nous le voyons bien, il s'agit d'un enjeu de dialogue local et d'adaptation.

Si je devais former un vœu, même si je ne sais pas ce qu'il est possible de faire compte tenu du manque de majorité à l'Assemblée nationale, ce serait de construire des majorités d'idées pour, à la suite des ministres qui se sont interrogés sur ce sujet, adapter ces niches tant fiscales que sociales désormais âgées de dix ou quinze ans aux réalités économiques de ces territoires.

Tel est le premier engagement que je prends devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : mettre très vite autour de la table les parlementaires d'outre-mer, régler l'urgence – c'est-à-dire aborder, durant l'examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la question des niches sociales et fiscales –, mais aussi profiter de ce moment pour essayer de projeter ces dispositifs en les adaptant.

Je ne peux omettre de citer les situations particulières de la Nouvelle-Calédonie, où des dispositifs spécifiques sont liés au statut de l'archipel, ou de Mayotte, où la situation d'après le cyclone nous oblige évidemment à accélérer un certain nombre d'investissements.

Voilà pour l'outre-mer, qui constitue à mon sens un point clé. Souvent, les parlementaires, les journalistes et les élites parisiennes, pour le dire de manière globale, ne regardent pas suffisamment de près ces questions, alors qu'il s'agit de l'un des gages de la justice et de l'équité territoriale. On ne peut pas aborder les sujets de la décentralisation et de l'adaptation de nos textes à l'ensemble de l'organisation territoriale du pays sans prêter immédiatement une très grande attention aux territoires d'outre-mer.

Monsieur le président Patriat, vous posez ensuite la question des quelques principes qui pourraient être mis sur la table pour tenter d'organiser l'examen du projet de loi de finances, non seulement à l'Assemblée nationale, mais aussi au Sénat. J'aurai moi-même l'occasion de me rendre à l'Assemblée nationale dans les prochains jours pour m'investir dans les débats.

Premier principe, que j'ai répété à de nombreuses reprises, y compris par sensibilité politique personnelle : il ne faut pas, à mon sens, refuser de poser par principe la question de la justice fiscale.

Un débat est apparu sur la progressivité de l'impôt, notamment pour les 0,01 % des contribuables les plus riches de ce pays. De fait, quand on regarde les études macroéconomiques, il y a un léger tassement sur la fin de la courbe qui peut poser un certain nombre de questions. Il ne faut pas balayer ce débat d'un revers de main, car nous devons de toute façon à nos concitoyens, compatriotes, contribuables et électeurs des clarifications et des réponses, souvent techniques, sur ce sujet.

Deuxième principe, ainsi que la sénatrice Goulet l'a indiqué – je l'en remercie –, il est vrai qu'il y a quelque chose de particulier à vouloir créer de nouvelles lois fiscales sans s'assurer au préalable que les précédentes, adoptées par l'Assemblée nationale et le Sénat, sont bien appliquées. C'est aussi pour cette raison que j'ai souhaité que le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, tant en recettes qu'en dépenses, soit inscrit à l'ordre du jour des deux Assemblées.

Son examen commencera d'ailleurs au mois de novembre au Sénat, pour donner également de la visibilité à ce sujet. Le chiffre a été rappelé par Mme la sénatrice Goulet tout à l'heure : nous parlons de quelque 20 milliards d'euros à récupérer, qui ne sont pas prélevés aujourd'hui.

Pour l'essentiel, cette fraude est d'ailleurs plus fiscale que sociale. Elle est due à un certain nombre de mensonges et de déclarations frauduleuses, ce qui nous renvoie à des questions touchant l'organisation du pays, et notamment à la préhistoire numérique dans laquelle les services de l'État peuvent se trouver – même si je ne reprendrai pas la métaphore de la marmotte…

M. Loïc Hervé. C'est un animal protégé ! (Sourires.)

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Un certain nombre de travaux du Sénat – j'en discutais il y a quelques instants avec Mme la sénatrice Lavarde – ont aussi montré qu'il fallait tout simplement être capable de décloisonner, de croiser des fichiers et d'adapter la loi à toutes ces circonstances. Il s'agit là, évidemment, de l'une des exigences qu'il faudra remplir.

Le troisième principe, …

M. Pascal Savoldelli. C'est une nouvelle déclaration de politique générale ?

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Le troisième principe – j'essaie d'être précis et complet, monsieur le sénateur, et il devrait vous plaire – est qu'il faut traiter la question de l'optimisation fiscale. En effet, si nous discutons de la taxation des 0,01 % les plus riches de ce pays, c'est qu'un certain nombre de mécanismes relèvent non pas de la fraude, mais tout simplement d'adaptations à la loi fiscale, sans forcément que la volonté du législateur soit mise en question.

Au fond, il y aurait deux types de contribuables : ceux qui ne peuvent pas s'adapter, qui ne savent pas optimiser, et ceux qui peuvent jouer avec la règle sans forcément frauder. Je le répète, cette question de justice doit être traitée : on ne peut faire comme si elle n'existait pas.

Je pose tout de suite la question des biens somptuaires. Un certain nombre de dispositifs ont été créés pour protéger la transmission de l'outil patrimonial professionnel. Toutefois, avec le temps, ici ou là, quelques dérives ont pu être constatées, suscitant des interrogations. Il faudra donc que l'Assemblée nationale et le Sénat s'emparent de ce sujet.

D'autres questions de principe se posent encore – monsieur le président du Sénat, veuillez m'excuser d'être aussi long…

M. le président. Veillez tout de même à maîtriser votre temps de parole, monsieur le Premier ministre. (Sourires.)

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Il y a tout de même un problème à aborder la question de la fiscalité sans jamais parler de croissance, d'attractivité et d'emploi. Progressivement, nous sommes en train de déconnecter le débat fiscal de la question économique générale et globale.

Tel est le premier vœu que je forme et que je porterai à l'Assemblée nationale : nous ne vivons pas sur une île et nous ne pouvons pas déconnecter notre régime fiscal de la question plus globale de l'attractivité et de la croissance, d'autant plus que certaines dispositions fiscales n'auraient de sens que si elles étaient portées à l'échelon européen ou international, en tout cas dans le périmètre de l'OCDE.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. C'est évidemment l'un des points importants sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir.

Enfin, comme aurait dit le président Pompidou : ne vendez pas la vache. Monsieur le président Patriat, vous parlez du patrimoine professionnel. Je vous réponds donc très directement : le débat sur le flux, sur les revenus, donc sur le lait, nous permet peut-être d'avancer sur la question de la progressivité de l'impôt et de la justice fiscale.

Il y a une réalité : toucher à la croissance, c'est tuer la vache, et tuer la vache, c'est abandonner toute perspective d'avoir du lait un jour. C'est l'un des fils qui, à mon sens, doit guider les débats de l'Assemblée nationale et du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)

taxe zucman

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, depuis quelques jours, le concours Lépine des taxes les plus déjantées bat son plein à l'Assemblée nationale, mené par les « pistoleros » de la justice fiscale. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. Claude Malhuret. Je vois qu'en ce moment vous appréciez les histoires de vaches et de lait ; je voudrais donc vous raconter celle de la vache de Zuc.

C'est un paysan que les gens de son village ont surnommé Zuc. Ce dernier n'est pas très fort en économie, il n'a qu'une vache et celle-ci n'a que la peau sur les os. Elle ressemble plus à une vache sacrée famélique d'nde qu'à une belle charolaise du Bourbonnais. (Sourires sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. Franck Montaugé. Mais non, elle est magnifique !

M. Claude Malhuret. Un matin, Zuc se lève pour aller dans son champ et là, c'est le drame : la vache est morte. Zuc tombe à genoux, se roule par terre. Il crie, lève les mains au ciel et demande : « Mon Dieu, pourquoi as-tu tué ma vache ? » Soudain, un énorme grondement de tonnerre retentit. Il entend une voix formidable venue d'en haut : « Zuc, tu me casses les oreilles avec tes cris. Qu'est-ce qui t'arrive ? »

Tout tremblant, Zuc répond : « Mon Dieu, c'est horrible, tu as fait mourir ma vache. » La voix répond : « Ce n'est pas moi qui l'ai tuée, c'est toi qui ne lui as presque rien donné à manger depuis six mois. Mais tu me fais de la peine. Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider. Veux-tu que je ressuscite ta vache ? »

M. Pascal Savoldelli. C'est une thérapie ?

M. Claude Malhuret. Zuc lui répond : « Non, mon Dieu, je demande simplement la justice : tue la vache de mon voisin ! » (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Appauvrir les uns pour enrichir les autres, c'est la recette séculaire de l'enfer pavé de bonnes intentions du camp du bien. Tous les pays qui l'ont appliquée n'ont jamais enrichi personne, mais ils ont tous réussi à ruiner tout le monde.

M. Yannick Jadot. Et la Révolution française ? Et 1789 ?

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, la France crève d'un excès de dépenses, de dettes et de taxes, mais au lieu de faire des économies, depuis huit jours, les députés adoptent des centaines d'amendements, créant chaque jour de nouveaux impôts.

Je vous supplie de résister et de défendre avec nous la ligne dont le pays a besoin : moins d'impôts, moins de dépenses publiques, plus d'emplois et de liberté pour les Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. Il faut conclure !

M. Claude Malhuret. Aussi ma question est-elle simple : que comptez-vous faire face à cette assemblée saisie de folie fiscale ? (Mêmes mouvements.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, ne vendez pas la vache, disait le président Pompidou, ainsi que je l'indiquais à l'instant. Au-delà du lait, cela pose plus précisément la question du patrimoine professionnel.

Un premier principe est que notre société et notre vie économique ont besoin de capitaux, de préférence de capitaux français. J'ai eu l'honneur d'être ministre des armées pendant trois ans et demi : dès qu'une PME sous-traitante de notre appareil de défense est en difficulté – je parle sous le contrôle du président Perrin –, il n'est pas rare que certains veuillent très vite un plan de sauvegarde, voire une nationalisation.

Il serait tout à fait curieux de décourager les capitaux français de rester en France ou les capitaux européens de rester en Europe, et donc de créer une énorme vulnérabilité revenant à ouvrir la plupart de notre outil productif à des capitaux chinois, américains ou venant de pays du Golfe.

On ne peut déconnecter le débat sur la fiscalité de celui sur l'économie, l'emploi, l'attractivité et la croissance. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.) C'est le débat technique qui permettra d'aller plus loin que le seul débat politique.

Monsieur le président Malhuret, vous avez été secrétaire d'État aux droits de l'homme. Un autre principe important est de respecter notre Constitution. J'y insiste, car notre Constitution n'est pas là pour protéger des privilèges ; elle n'a pas non plus à s'appliquer à la carte. L'État de droit doit être respecté en toutes circonstances.

L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui établit l'égalité des charges devant l'impôt, pose aussi la question des capacités contributives.

Au fond, il s'agit d'un côté d'assurer la justice fiscale et, de l'autre, de ne pas adopter des dispositifs fiscaux inconstitutionnels, parce qu'ayant une dimension objectivement confiscatoire.

Il y a là un deuxième principe qui permet, à mon avis, de guider les débats à l'Assemblée nationale et, j'en suis certain, au Sénat : on ne peut pas appliquer l'État de droit à la carte. On l'a peut-être trop ou pas assez rappelé ces derniers temps sur d'autres sujets.

Enfin, et c'est mon dernier point, il me semble que l'on ne peut décorréler le chapitre des recettes de celui des dépenses.

Mme Silvana Silvani. Quelle information !

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Au fond, il s'agit de la question que le président Kanner m'a posée la semaine dernière sur la protection des plus fragiles et des différentes saisines des présidents de groupe du Sénat demandant d'avancer sur des mesures pluriannuelles d'économies structurelles et évoquant notamment la question de la réforme de l'État.

Cela nous amène à deux considérations pour les temps à venir.

Il faut que le Gouvernement entre plus vite en discussion avec les différentes formations politiques, notamment pour l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Un certain nombre de mesures, comme le gel des minima sociaux ou des petites retraites, sont des sujets qui, légitimement, posent question. On ne peut pas les décorréler du chapitre des recettes du projet de loi de finances (PLF) et du PLFSS. Le moment est venu de parler des dépenses et des recettes en même temps.

En ce qui concerne les dépenses, une première réunion s'est tenue avec les différents ministres sur la réforme de l'État pour aborder les questions relatives aux agences, à la décentralisation, à l'adaptation d'un certain nombre de politiques publiques pour les territoires d'outre-mer, que je mentionnais il y a un instant. Il est grand temps de sortir de notre myopie de l'annualité budgétaire, d'être capables de voir un tout petit peu plus loin que le bout de notre nez et de dessiner une réforme de l'État.

Je veux dire aux derniers parlementaires qui pourraient douter de nos engagements que la volonté de compromis va dans les deux sens.

Si nous sommes prêts à avancer sur un certain nombre de demandes faites sur ces travées, il faudra aussi que nous soyons capables de trouver un consensus sur la réforme de l'État.

Nos concitoyens demandent que l'on traite un certain nombre de problèmes à la racine sans démagogie, sans faire de fonctionnaire-bashing, sans opposer les collectivités locales à l'État et vice-versa, mais en étant capables, tout simplement, de repartir de zéro et de faire preuve de créativité. C'est le seul chemin que je vois pour sortir notre pays de la situation dans laquelle il se trouve. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

difficultés de la médecine du travail

M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Éric Gold. Madame la ministre de la santé, la médecine du travail est le premier maillon de la prévention au travail. Elle protège la santé physique et mentale des salariés. Elle réduit les risques d'accidents et de maladies professionnelles et permet d'éviter des pathologies plus lourdes et plus coûteuses pour la collectivité.

Toutefois, ce pilier de la prévention vacille aujourd'hui. Dans le secteur privé, près d'un tiers des salariés n'a pas de suivi régulier. Dans le secteur public, des milliers d'agents n'ont jamais rencontré un médecin du travail. Dans certains territoires d'outre-mer, ce service n'existe même pas.

Dans un service interentreprises de médecine du travail du Puy-de-Dôme, on a compté jusqu'à quatre semaines d'attente. Or, après certains arrêts de travail, notamment si un aménagement de poste est nécessaire, ce qui concerne environ 30 % des arrêts maladie de longue durée, les employeurs doivent organiser une visite de reprise pour leurs salariés dans les huit jours qui suivent le retour effectif.

Certaines visites de reprise n'ont donc pu se faire dans les délais, ce qui a contraint les salariés à prolonger leur arrêt de travail ou à prendre des congés, alors qu'ils étaient aptes à retourner à leur poste. C'est une situation ubuesque, vous en conviendrez, tout particulièrement dans le contexte budgétaire que nous connaissons.

Malgré la suppression du numerus clausus, la médecine du travail n'attire plus, entraînant un accès dégradé à la prévention et une fatigue accrue pour les professionnels qui restent.

Madame la ministre, alors que l'examen du budget de la sécurité sociale a débuté à l'Assemblée nationale, comment comptez-vous redonner de l'attractivité à la médecine du travail ? Envisagez-vous de simplifier les procédures, en remplaçant, par exemple, certaines visites de reprise par un suivi infirmier encadré ?

Madame la ministre, la médecine du travail n'est pas un coût, c'est un investissement pour la santé. Elle mérite mieux qu'une ordonnance de pénurie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sonia de La Provôté et M. Mickaël Vallet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Gold, vous m'interrogez sur la prévention et sur la médecine de santé au travail. Avec mon collègue Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités, nous nous sommes engagés à améliorer la situation.

Avant de vous répondre, je tiens à remercier l'ensemble des professionnels actuellement engagés dans la santé au travail, qui sont aujourd'hui en nombre insuffisant, ainsi que vous l'avez souligné. Comme ministre, je continuerai de porter toutes les mesures que j'avais défendues comme parlementaire, qui permettent de faire évoluer les métiers et de partager des compétences, puisque cette réponse de court terme permet d'améliorer la situation.

La suppression du numerus clausus, que vous avez mentionnée, est une mesure de long terme. Nous formons 20 % à 30 % de médecins supplémentaires, mais il faut du temps pour que ceux-ci arrivent sur le terrain.

Pour ce qui est des mesures de court terme, en 2025, nous allons tripler le nombre de praticiens à diplôme hors Union européenne pour la santé au travail.

M. Loïc Hervé. C'est bien !

Mme Stéphanie Rist, ministre. Au printemps dernier, nous avons lancé une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) afin de constater ces difficultés. Lorsque ses travaux seront rendus, nous reviendrons vers la Haute Assemblée, mon collègue ministre du travail et des solidarités et moi-même, pour avancer sur ce sujet.

C'est un enjeu majeur de prévention, vous l'avez dit, qui entraîne aussi une diminution des coûts et une amélioration de la santé de nos compatriotes. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Bravo !

calendrier d'examen de la ppl trace

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. J'y associe mon vieux compère Ghislain Cambier, ainsi que nos collègues Amel Gacquerre, Jean-Marc Boyer, Daniel Gueret, Jean-Claude Anglars et tant d'autres, souvent de tous bords confondus.

Monsieur le Premier ministre, le 15 octobre dernier, devant le Sénat, vous avez présenté un gouvernement de mission et d'objectifs. Vous avez parlé de confiance, d'efficacité, de réforme de l'action publique, de décentralisation, de sens retrouvé : des mots forts, que nous partageons tous.

Toutefois, dans nos territoires, cette feuille de route a un goût d'inachevé : rien ou presque sur la transition écologique – soit ! –, mais surtout, pas un mot sur la sobriété foncière et aucune allusion au zéro artificialisation nette (ZAN).

Sur le terrain, les maires sont dans l'incompréhension. Le ZAN, tel qu'il est appliqué, ne freine pas l'artificialisation : il fige les territoires avec un urbanisme comptable. Il bloque des projets de logement, retarde des équipements publics ainsi que des projets de réindustrialisation et d'énergie renouvelable.

C'est pour répondre à ce constat que le Sénat a travaillé, par-delà les clivages, en adoptant le 18 mars dernier, à une large majorité, la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace). Ladite proposition de loi n'est pas du tout une remise en cause du ZAN, comme cela a été dit.

M. Yannick Jadot. Ah non, pas du tout !

M. Jean-Baptiste Blanc. Elle prévoit une méthode claire, réaliste et contractuelle pour réussir ce défi complexe, fondée sur la concertation. Cela redonne confiance aux maires, réconcilie écologie et cohérence territoriale et place la sobriété foncière sous le signe du bon sens et non de la contrainte.

Monsieur le Premier ministre, les élus sont prêts ; les acteurs économiques, les associations, nos concitoyens, tous attendent ce texte. Dès lors, pourquoi attendre février 2026 pour l'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale ? Pour nos territoires, un tel retard est incompréhensible : ils n'ont plus le temps. Nos élus ont besoin maintenant d'un cadre nouveau, lisible, d'un cap clair.

Vous avez dit vouloir un gouvernement de mission et d'objectifs. Le ZAN est un objectif, Trace en est la trajectoire. La question est donc simple : qu'attend le Gouvernement pour inscrire, dès les prochaines semaines, la proposition de loi Trace à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et permettre enfin aux élus de bâtir une transition juste ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – Mme Marie-Claude Lermytte et MM. Vincent Louault et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, je reconnais dans votre question la détermination et l'endurance du Sénat sur un certain nombre de sujets, dont celui-ci. Je vous remercie de me fournir ainsi l'occasion de préciser les intentions du Gouvernement.

Effectivement, dans les prochaines semaines – l'adjectif nous convient à tous, puisqu'il n'est pas quantitatif –, en tout cas dès la rentrée de janvier prochain, le Gouvernement a annoncé son intention d'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale la proposition de loi Trace adoptée par le Sénat.

Monsieur le sénateur – et je m'adresse aussi aux parlementaires ayant rédigé avec vous un courrier au Premier ministre, à savoir Mme la sénatrice Gacquerre et MM. les sénateurs Boyer, Gueret et Cambier –, chacun le dit, nous ne pouvons ignorer l'exigence de frugalité foncière, lors même que, dans notre pays, nous avons consommé en 50 ans l'équivalent de ce que nous avions consommé en 500 ans.

M. Vincent Louault. C'est incroyable !

Mme Françoise Gatel, ministre. Toutefois, le ZAN est sans doute l'exemple même d'une disposition normative qui n'a pas été calibrée et qui ne prend pas suffisamment en compte la différenciation des territoires.

Je vous propose donc, monsieur le sénateur, que nous entreprenions un dialogue pour faire le point sur la proposition de loi Trace. Néanmoins, le Parlement est composé de deux chambres, et l'Assemblée nationale a un point de vue un peu différent de celui du Sénat.

Je rencontrerai les députés concernés et j'œuvrerai avec vous – je suis sûre que vous y serez disposés – à rapprocher les points de vue pour que nous sortions de l'impasse. (M. François Patriat applaudit.)

M. Olivier Paccaud. Mais non, il n'y a pas d'impasse !

justice fiscale

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Je voudrais vous parler de deux économistes de renommée mondiale : Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, et Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI. Tous deux soutiennent sans ambiguïté la taxe proposée par Gabriel Zucman sur les très hauts patrimoines. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Florence Blatrix Contat. Pourquoi ? Parce que notre système fiscal permet aujourd'hui aux ultra-riches de s'affranchir de la solidarité nationale. Pendant que leur patrimoine s'envole, passant de 200 milliards d'euros en 2015 à plus de 1 200 milliards d'euros aujourd'hui, leur contribution, elle, diminue. Les 0,01 % les plus riches sont imposés deux fois moins que le reste de la population. Où est la justice ? Où est l'égalité ?

Pourtant, l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est clair : la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. »

Joseph Stiglitz le dit, la France peut montrer l'exemple au monde. Olivier Blanchard le confirme, la taxe Zucman est nécessaire, plus efficace que la taxe sur les holdings, jugée insuffisante. Les Français, eux, ont tranché : ils soutiennent cette taxe à 86 %. Pourtant, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement refuse cette mesure sans proposer aucune alternative crédible.

Or c'est à vous qu'il revient de présenter des solutions susceptibles de rassembler une majorité ; c'est à vous qu'il revient de trouver des ressources fiscales permettant de dégager des rendements significatifs et de rétablir la justice fiscale.

Refuser d'agir, c'est faire le choix d'augmenter les franchises médicales, de geler les pensions, les aides personnalisées au logement (APL) ou encore l'allocation aux adultes handicapés.

Monsieur le ministre, allez-vous enfin proposer une contribution significative des hauts patrimoines, indispensable pour redresser nos finances publiques et épargner les classes moyennes et populaires, ou persisterez-vous à protéger les fortunes les plus colossales ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice Blatrix Contat, il est évident que, lorsque des efforts importants sont demandés, pour qu'ils soient acceptés, il faut qu'ils soient partagés.

Mais le problème de la France, ce n'est pas que les taux d'impôt sont trop bas : ils sont à un niveau record en Europe. Le problème de la France, c'est que ces taux d'impôt sont effectivement parfois contournés. Ils le sont de manière illégale – c'est la lutte contre la fraude, nous en avons parlé – ou ils peuvent l'être de manière légale, mais abusive – c'est la suroptimisation fiscale à laquelle le Premier ministre a fait référence à l'instant. Je ne peux donc pas vous laisser dire que le Gouvernement ne s'est pas emparé de cette question. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

Le Premier ministre a évoqué le fait que des multimillionnaires ou des milliardaires voient leur taux d'impôt effectif baisser, parce qu'ils abusent de l'optimisation fiscale. Ce constat a guidé des dispositions qui figurent dans le texte initial qui vous est présenté.

Je pense à la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus ou encore à la taxe sur les holdings. Vous faites référence aux travaux de l'Institut des politiques publiques de Paris, qui a précisément montré l'usage qui pouvait être fait de ces holdings. Nous nous y attaquons et, bien entendu, nous aurons ensuite des débats pour pouvoir enrichir et compléter nos propositions.

Cependant, le débat sur la justice sociale ne peut pas uniquement porter sur la fiscalité. La justice sociale, c'est aussi les emplois ; la justice sociale, c'est aussi les salaires (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K et SER.) ; la justice sociale, c'est aussi la réindustrialisation, dont nous parlons suffisamment au Parlement.

M. Mickaël Vallet. À qui le dites-vous ?

M. David Amiel, ministre délégué. Je ne voudrais donc pas que ce que nous faisons dans le projet de loi de finances vienne défaire ce que nous souhaitons construire par ailleurs.

M. Thierry Cozic. Cela fait huit ans que vous êtes aux responsabilités !

M. David Amiel, ministre délégué. C'est la raison pour laquelle l'appareil de production, l'outil productif, les biens professionnels que le Premier ministre a évoqués doivent être protégés. En effet, en 1981, le gouvernement le plus à gauche de la Vᵉ République avait décidé de ne pas toucher aux biens professionnels,…

M. Yannick Jadot. Bettencourt et Mitterrand !

M. David Amiel, ministre délégué. … les premiers débats d'alors ayant montré les risques que cela ferait peser sur l'économie française. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme Ghislaine Senée. Pas du tout !

M. David Amiel, ministre délégué. Tirons donc les leçons du passé, améliorons ce qui doit l'être. Défendons évidemment la justice sociale et fiscale, mais protégeons notre économie ; à défaut, ce seront, comme toujours, les classes populaires et les classes moyennes qui paieront la facture. (MM. Martin Lévrier et François Patriat applaudissent. Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

projet de loi de simplification de la vie économique

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Monsieur le Premier ministre, ma question concerne le projet de loi de simplification de la vie économique ; je vous l'adresse au nom de la commission spéciale que j'ai l'honneur de présider.

L'examen de ce projet de loi, adopté par le Sénat en octobre 2024 puis par l'Assemblée nationale en juin dernier, est à l'arrêt depuis six mois. Pourtant, sous le regard de mes collègues rapporteurs Catherine Di Folco et Yves Bleunven, nous avons enrichi ce texte de mesures concrètes, parmi lesquelles le test PME, défendu par notre collègue Olivier Rietmann.

Ce projet est très attendu par nos TPE et nos PME. Nos entreprises n'en peuvent plus : nous nous dirigeons vers un record du nombre de défaillances, notamment dans l'industrie automobile et dans le bâtiment.

Ce que ces entreprises demandent, ce n'est pas davantage d'aides ; ce qu'elles réclament, c'est de la stabilité, de la confiance et surtout de la simplification pour pouvoir travailler librement.

Que dire, par exemple, de l'avalanche de paperasse liée aux obligations d'information des salariés ou aux obligations sociétale et environnementale, en particulier dans le secteur du logement ? Ou du passage en force vers le tout électrique, la fiscalité punitive sur les véhicules envoyant toute la filière automobile dans le mur ?

Plutôt que de persister dans un délire fiscal imaginé par certains dans le projet de loi de finances contre nos entreprises et nos concitoyens, agissez sur la véritable urgence qu'est la folie normative. Elle coûte près de 100 milliards d'euros par an à notre économie, dont 5 milliards d'euros aux seules collectivités locales. Voilà où se trouvent les vraies économies possibles : c'est près de 3,5 % de notre PIB !

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous confirmer que, lorsque la commission mixte paritaire sur le projet de loi de simplification de la vie économique aura trouvé un compromis, le Gouvernement inscrira immédiatement ses conclusions à l'ordre du jour ? Quel ministre sera chargé de défendre ce texte ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Bleunven, Olivier Cigolotti et Stéphane Fouassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat.

M. Serge Papin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, du tourisme et du pouvoir d'achat. Monsieur le sénateur et président de la commission spéciale, la simplification est l'un des sujets qui figurent sur la feuille de route économique du Gouvernement.

Au travers du projet de loi de simplification de la vie économique, nous souhaitions répondre à certaines attentes des entreprises. Tel était le cœur du texte. Le dispositif concret du test PME, que vous avez cité, va dans ce sens. Notre ambition reste la même : alléger les démarches administratives en les simplifiant, prioriser et accélérer l'activité pour gagner en croissance et renforcer la confiance entre l'État et les acteurs économiques, grâce à des règles plus stables et mieux adaptées aux réalités du terrain. Ce projet de loi a fait l'objet de longs débats ; aussi, je tiens à remercier les parlementaires qui se sont engagés sur ce texte.

David Amiel, Sébastien Martin et moi-même sommes à votre disposition, monsieur le sénateur, mais vous connaissez les contraintes actuelles : priorité est donnée au budget.

M. Laurent Burgoa. C'est compliqué…

M. Serge Papin, ministre. L'examen de ce texte important reprendra, comme le laisse apparaître le calendrier prévisionnel de l'ordre du jour des assemblées transmis par le ministre chargé des relations avec le Parlement. Pour ma part, après m'être plongé dans le projet de loi, je vous fais une confidence : il est compliqué de simplifier. (Sourires sur les travées du groupe SER. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

antisémitisme à l'université

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace.

Le 15 octobre dernier, en plein cœur de l'université Paris VIII, s'est déroulée une scène d'une gravité absolument inqualifiable : près de 200 étudiants ont participé à un événement où il a été fait ouvertement l'apologie du terrorisme et au cours duquel les massacres du 7 octobre ont été glorifiés. Il a été demandé aux participants : « condamnez-vous le 7 octobre ? » ; la réponse a été un « non » collectif et assumé. Des intervenants ont légitimé ces massacres en les qualifiant de « lutte armée », des appels explicites à « s'armer » et à « être en première ligne » ont été lancés devant les 200 étudiants.

Cette conférence a donné la parole à des figures emblématiques du terrorisme. Georges Ibrahim Abdallah, condamné à perpétuité pour complicité d'assassinat, a été présenté comme une « figure révolutionnaire glorieuse ».

M. Loïc Hervé. Un humaniste !

M. Pierre-Antoine Levi. Myriam Abou Daqqa, cadre du Front populaire de libération de la Palestine, organisation classée terroriste par l'Union européenne, a tenu des propos appelant à la violence. Comment peut-on tolérer qu'une université offre une tribune à des représentants d'organisations terroristes ?

Monsieur le ministre, vous avez convoqué le président de Paris VIII. Qu'est-il ressorti de cet entretien ?

M. Pierre-Antoine Levi. Quelles mesures concrètes avez-vous prises ? Le garde des sceaux a transmis il y a quelques jours une circulaire en guise de rappel, invitant les magistrats de France à faire preuve de la plus grande fermeté dans le traitement des cas d'antisémitisme dans les enceintes universitaires. Je l'en remercie, car le traitement des nombreux signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale donne l'impression d'un grand immobilisme.

La justice doit être intraitable et particulièrement ferme, d'autant que l'apologie du terrorisme est un délit puni de cinq ans d'emprisonnement. Les organisateurs et intervenants de cette conférence doivent faire l'objet de poursuites pénales immédiates et les étudiants identifiés être exclus définitivement.

Les décrets d'application de la loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, que j'ai défendue avec mon collègue Bernard Fialaire, sont encore en cours d'examen par le Conseil d'État. J'espère leur validation au plus vite : il y a urgence. En attendant, quelles sanctions exemplaires prendrez-vous ? Les universités françaises ne peuvent plus accepter que ce genre de faits d'une particulière gravité se multiplient. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

M. Max Brisson. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace.

M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace. Monsieur le sénateur Levi, les propos que vous évoquez sont inadmissibles. J'ai eu honte en les entendant. Ils sont une insulte à l'ensemble des valeurs républicaines qui doivent être défendues par les universités et qui constituent le socle de notre société démocratique.

Ces propos, comme vous l'indiquiez, tombent sous le coup de la loi. Aussi, le soir même des événements, j'ai demandé au rectorat de procéder à un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, ce qui a été fait. Le lendemain, j'ai convoqué dans mon bureau le président de l'université Paris VIII, qui m'a confirmé avoir pris plusieurs mesures, à savoir la mise en place d'une enquête interne et la création d'un protocole plus strict de validation des événements.

M. Philippe Baptiste, ministre. Au regard de la gravité des faits, j'ai saisi l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Bernard Jomier ironisent.), lui confiant la mission d'établir les responsabilités des uns et des autres. Les conclusions seront tirées dans trois semaines.

Par ailleurs, le garde des sceaux, Gérald Darmanin, a signé une nouvelle circulaire enjoignant les parquets à faire preuve d'une vigilance particulière sur les faits liés à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur ; je l'en remercie. Immédiatement, le procureur de Bobigny s'est saisi du dossier.

Monsieur le sénateur, ces actes ne resteront pas impunis. Depuis ma prise de fonction, j'ai fait de la lutte contre l'antisémitisme une priorité et je continuerai d'appliquer le principe d'une tolérance zéro à l'ensemble de ces actes.

J'ai soutenu ici même la proposition de loi que Bernard Fialaire et vous-même avez défendue. Elle tend à donner davantage d'outils aux présidents d'université, notamment sur le volet disciplinaire. Les décrets d'application seront pris d'ici à la fin du mois de novembre.

Soyez assuré de la détermination absolue du Gouvernement pour lutter contre tous les faits antisémites, en particulier dans les universités. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, UC et INDEP.)

taxation sur l'héritage

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Ma question, à laquelle j'associe Alexandra Borchio Fontimp, s'adresse à M. le Premier ministre.

La présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a estimé que l'héritage « qui tombe du ciel » n'était « pas sain » et a appelé, de nouveau, à le taxer davantage. Pourtant, hériter consiste à recevoir non pas seulement un bien, mais également une histoire familiale, grâce à un effort accumulé. L'héritage assure une continuité entre les générations. Il est un ciment essentiel de la cohésion de notre pays.

Je parle ici non pas de riches, mais de classes moyennes, que l'on ampute d'une partie de leur histoire familiale. Dans une maison bâtie pierre après pierre, dans un commerce tenu toute une vie, dans de l'argent mis de côté pour protéger les enfants réside, au-delà de la valeur comptable, la mémoire du travail et de la constance dans l'effort. L'héritage est un enracinement : il a une valeur morale et culturelle.

Alors que quinze pays de l'OCDE ont supprimé l'impôt sur les successions, la France persiste à participer au concours Lépine de l'impôt, ce dernier étant déjà responsable de l'appauvrissement des classes moyennes. La protection familiale et la prévoyance semblent devenir une faute et la réussite un soupçon. Si l'on vide de sa substance la liberté de transmettre, le droit de propriété, déjà très malmené en France, perdra tout son sens : le propriétaire deviendra un usufruitier temporaire, dont les biens reviendront à l'État.

Protéger la transmission signifie non pas refuser la solidarité nationale, mais respecter un équilibre. L'héritage est un lien entre le passé et l'avenir. Il incarne la solidarité intergénérationnelle, l'idée que l'on travaille non pas pour soi seul, mais aussi pour ceux qui viendront après nous.

Un pays se renforce en permettant de transmettre, non en pénalisant ceux qui bâtissent et s'enracinent. « Le déraciné se croit ouvert alors qu'il est vide (…) : il confond l'ouverture et la désorientation », disait Barrès. Taxer, taxer toute une vie et jusqu'à la tombe, ça suffit ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Jacquemet et Évelyne Perrot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. David Amiel, ministre délégué auprès de la ministre de l'action et des comptes publics, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la sénatrice, lorsque l'on a travaillé toute sa vie, on souhaite évidemment transmettre à ses enfants, pour les aider. C'est une aspiration fondamentale, naturelle. Même si chacun a ses références, il n'est pas besoin de citer Maurice Barrès (Mme Valérie Boyer s'exclame.) : l'héritage fait partie du pacte républicain au sein duquel, dans notre immense majorité, nous nous retrouvons.

Vous m'interrogez sur les mesures de fiscalité en matière de succession et de donation.

D'abord, eu égard à une épargne massive et concentrée, étant le fait de personnes d'un âge de plus en plus élevé, et face à des jeunes qui ne parviennent plus à accéder à la propriété, la priorité, à l'heure actuelle, est de faciliter et d'accélérer les donations. Le Gouvernement sera prêt à travailler avec le Parlement à des mesures allant en ce sens.

Ensuite, pour faire le lien avec ma réponse précédente et puisque vous avez fait référence aux taux d'imposition très élevés dont doivent s'acquitter la plupart des Français, je précise qu'il me paraît important de lutter partout contre la suroptimisation fiscale, c'est-à-dire les comportements abusifs. À la suite des nombreux rapports parlementaires relatifs à cette question, il nous faut travailler à l'Assemblée nationale et au Sénat, puis en commission mixte paritaire.

La boussole doit rester la même : protéger ceux qui prennent des risques, qui investissent et qui créent des richesses et de l'emploi. Je pense en particulier à la nécessité de défendre notre tissu de PME et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) industrielles contre ceux qui veulent supprimer le pacte Dutreil, une mesure qui serait véritablement criminelle pour notre économie et pour notre tissu productif.

Mme Valérie Boyer. Ce n'est pas la question !

M. David Amiel, ministre délégué. Enfin, nous devons améliorer la reconnaissance du travail. Les Français ne sont pas en mesure d'acheter un premier appartement ou une première maison sans apport de leurs parents. Ils ne parviennent plus à s'en sortir – l'héritage devient dès lors un débat –, parce que le travail ne paie plus assez. (Exclamations sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous sommes bien d'accord !

M. le président. Il faut conclure.

M. David Amiel, ministre délégué. À court terme, nous devons nous attaquer à ce problème dans le projet de loi de finances.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.

Mme Valérie Boyer. Monsieur le ministre, il est temps de vous reconnecter au peuple réel. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. ) Préserver l'héritage, c'est préserver la France. Les Français attendent de la justice fiscale, pas la lutte des classes pour assurer leur succession familiale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Comme mon groupe le demande avec constance depuis des années, il faut réduire les taxes en vigueur en agissant sur les niches, qui déséquilibrent l'ensemble du système, respecter le deuil, en allongeant, comme le demande M. Rapin, le délai légal d'acquittement des droits et favoriser les donations et transmissions en lignes directe et indirecte, démesurément taxées.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Valérie Boyer. Protéger l'héritage, c'est préserver la cohésion de notre Nation et maintenir le fil invisible entre les générations, celui du travail, de la responsabilité et de l'espérance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

dermatose nodulaire

M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

M. Serge Mérillou. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

La précédente épizootie de grippe aviaire – 22 millions de volailles ont été abattues en 2022 – a traumatisé nos éleveurs. Pourtant, madame la ministre, vous avez décidé, sous la pression de Bercy, de réduire la prise en charge par l'État de la vaccination contre l'influenza aviaire. Il s'agit d'économies budgétaires de bouts de chandelle, qui mettent en péril toute la filière avicole et qui coûteront à l'État des centaines de milliers ou des millions d'euros en indemnisations.

L'Allemagne est actuellement submergée par l'épizootie. Chez nous, 100 000 volailles viennent d'être abattues ; le coût du vaccin pour les éleveurs n'y est pas pour rien. C'est une détresse psychologique pour eux et un désastre économique pour nos sites de transformation des canards, notamment en Dordogne, département dont je suis élu.

En pleine crise de la dermatose nodulaire contagieuse des bovins (DNC), l'interdiction d'exportation arrive à son terme : que comptez-vous faire ? Au-delà, face à la pénurie de vétérinaires dans la ruralité, créerez-vous enfin une nouvelle école vétérinaire spécifique à l'élevage, à Limoges ?

Madame la ministre, nous faisons face non pas à de simples maladies du vivant, mais aux failles d'un modèle confronté au dérèglement climatique. Engagerez-vous enfin une vraie politique sanitaire, durable et préventive ? Les éleveurs, mais aussi les citoyens, attendent du changement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire.

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Serge Mérillou, vous avez raison : le réchauffement climatique a accru le nombre d'épisodes sanitaires à haut risque, que redoutent nos élevages en France et partout en Europe.

M. Bernard Jomier. Dites-le à Duplomb !

Mme Annie Genevard, ministre. Vous évoquez d'abord l'influenza aviaire. Pour faire face à cette terrible épizootie, la France a déployé une stratégie efficace, fondée sur un diptyque : la surveillance active, pour dépister l'infestation, et la vaccination. De ce point de vue, je dois dire que notre approche est payante. La France a dépensé plus de 1 milliard d'euros pour une politique qui porte ses fruits.

La dégressivité de la prise en charge du vaccin au fil des années avait été convenue avec la filière. Néanmoins, l'État reste bien présent au travers des actes des vétérinaires mandatés, qui supervisent la vaccination et la gestion de la période post-vaccinale. L'État ne se dérobe donc absolument pas ; j'y insiste : le ministère et la filière s'étaient mis d'accord pour que cette dernière prenne progressivement en charge la vaccination.

En matière de DNC, l'État assume au moment de l'émergence de la maladie la totalité des frais : les bêtes abattues sont remplacées et les financements assurés. Nous prenons en charge les pertes d'exploitation ainsi que la désinfection des bâtiments d'élevage. Bref, vous ne pouvez pas dire que l'État se dérobe à ses responsabilités.

Enfin, vous avez raison de poser la question de la stratégie sanitaire. En la matière, j'ai lancé dès mon arrivée les assises du sanitaire animal, car il faut effectivement penser globalement et dans la durée.

M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.

M. Serge Mérillou. Mon groupe appelle à l'adoption d'un plan global de prévention, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), et à la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour toutes les pertes, directes et indirectes.

D'autres solutions existent, c'est tout le sens de la proposition de loi visant à renforcer la santé animale que je viens de déposer avec Frédérique Espagnac, Franck Montaugé, Christian Redon-Sarrazy et bien d'autres de mes collègues socialistes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE-K et GEST.)

garantir et accélérer l'application des décrets relatifs à la prévention du cancer de sein

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Demas. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.

En ces derniers jours d'octobre, je m'interroge sur l'absence, presque dérangeante, du décret d'application de la loi du 5 février 2025 visant à améliorer la prise en charge des soins et dispositifs spécifiques au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie. Puisque les deux assemblées ont adopté les mesures contenues dans ce texte, pourquoi ce silence ?

Madame la ministre, je fais mienne, depuis des années, la mobilisation en faveur d'une meilleure prise en charge de ce cancer. Je la défends dans cet hémicycle de manière transpartisane, m'inscrivant dans la continuité de travaux de mes collègues. Aussi, la réponse récente du Gouvernement à ma question, lequel nous signale qu'un décret sera prochainement transmis pour avis au Conseil d'État, me paraît bien insuffisante.

Madame la ministre, je m'adresse à la femme que vous êtes, femme engagée et médecin, hier encore parlementaire de terrain. J'adopterai, comme vous l'avez souvent fait, une approche pragmatique en vous demandant une réponse claire à mes interrogations.

Pouvez-vous nous garantir que cette loi tant attendue sera appliquée d'ici à la fin de l'année ? Puisque nous faisons de la politique dans cet hémicycle, êtes-vous en mesure de me préciser ce que vous comptez faire pour accélérer la publication des textes utiles à la santé des Français ? Mettre au minimum huit mois à appliquer une loi n'est ni audible ni soutenable pour les malades. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Jocelyne Antoine et Émilienne Poumirol, ainsi que M. Akli Mellouli applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées. Madame la sénatrice Demas, je connais votre engagement pour la santé des femmes. Vous connaissez le mien et, surtout, celui du Gouvernement, pleinement mobilisé pour que la prise en charge des femmes concernées soit complète et équitable tout au long de leur parcours. Le mois d'Octobre rose nous rappelle d'ailleurs qu'il s'agit d'un enjeu à la fois médical, humain et sociétal.

Je ne reviens pas sur le décret : comme vous l'avez précisé, il est en cours d'élaboration. Le Gouvernement a besoin d'un peu de temps, madame la sénatrice, pour éviter les redondances.

J'ai toutefois pu annoncer, la semaine dernière, une partie des mesures contenues dans ce prochain texte, notamment la prise en charge à 100 % des prothèses capillaires, c'est-à-dire des perruques, pour toutes les femmes. Nous pouvons nous accorder sur cette avancée. Des travaux sont aussi en cours pour assurer la prise en charge du tatouage des seins et pour inscrire les soutiens-gorges compressifs sur la liste supplémentaire.

J'y insiste : nous avons encore besoin d'un peu de temps pour faire en sorte que les mesures que nous prendrons dans ce décret soient effectives. Vous savez pouvoir compter sur mon engagement pour poursuivre ce travail.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.

Mme Patricia Demas. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Toutefois, vous me l'accorderez, il existe un décalage entre le quotidien des Français, à savoir leur vécu de la maladie, et la réponse – tardive – de l'État. La lenteur administrative n'est pas une fatalité : il vous appartient de fixer des délais pour que les lois soient appliquées. Il y va de la crédibilité de nos politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et RDSE. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

présence de psychologues dans les établissements scolaires

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.

Le 24 septembre dernier, dans mon département du Bas-Rhin, dans mon canton, un élève de 14 ans a agressé au couteau une enseignante du collège de Benfeld, avant de se donner la mort. Cette tragédie soulève, une nouvelle fois, la question de la santé mentale des adolescents, qui exige une feuille de route à la hauteur de la situation alarmante que nous connaissons tous dans cet hémicycle.

D'année en année, la situation de ces jeunes s'est aggravée, particulièrement depuis la période angoissante du covid et du passe sanitaire, qui a exacerbé les vulnérabilités existantes. Alors qu'il aurait fallu renforcer l'attention que nous accordons à ces adolescents, nombre d'enquêtes et de rapports pointent une pénurie de médecins, de psychologues et d'infirmières scolaires. Sur le terrain, les enseignants m'ont exprimé leur détresse et leur sentiment d'impuissance quand il faudrait relayer vers le personnel médical les élèves en souffrance.

Le collège de Benfeld, qui compte 800 élèves, illustre cette déshérence : une psychologue présente une journée et demie par semaine, aucun médecin scolaire et des infirmières réparties sur plusieurs écoles. Le collège de Sundhouse, trente kilomètres plus loin, subit le non-remplacement de l'infirmière scolaire et de la psychologue, malgré des absences de longue durée.

Ces consultations sont pourtant un maillon essentiel. Le Sénat a d'ailleurs fait adopter en mai dernier la reconnaissance d'une spécialité infirmière autonome pour les professionnels de l'éducation nationale. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que le décret d'application de ce texte sera publié rapidement ? Au-delà, quelles seront les mesures prises concrètement en milieu scolaire pour la santé mentale, désignée grande cause nationale de l'année 2025 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing, Mme Monique de Marco, Mme Émilienne Poumirol et M. Jacques Fernique applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Edouard Geffray, ministre de l'éducation nationale. Madame la sénatrice Laurence Muller-Bronn, je vous remercie de votre question, et ce pour deux raisons.

En premier lieu, elle me permet de témoigner à nouveau de ma solidarité à l'égard de ma collègue victime du drame de Benfeld, drame qui s'inscrit dans le cadre de la tragédie plus large que vous évoquez.

En second lieu, votre question fait précisément écho à l'une des trois priorités que je me suis fixées en arrivant, à savoir la santé physique et psychique de nos élèves.

Une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée il y a trois semaines montre que 30 % des jeunes de 11 à 24 ans présentent à un moment des troubles anxieux ou dépressifs. Depuis l'épisode du covid, une forte augmentation du nombre de consultations aux urgences psychiatriques a été observée chez nos élèves. Votre constat est donc absolument partagé. La ministre de la santé et moi-même travaillons ensemble sur le sujet.

Quelles mesures projetons-nous de mettre en œuvre ?

Premièrement, nous sommes en train de déployer dans tous les établissements le protocole Santé mentale. Celui-ci permet un premier repérage : concrètement, deux personnes par établissement seront formées, d'ici au mois de décembre, pour déceler les troubles de santé mentale. Elles pourront s'appuyer sur un conseiller, destiné à les épauler.

Deuxièmement, la ministre de la santé et moi-même travaillons à la mise en place d'un dispositif coupe-file. Actuellement, lorsque le trouble d'un élève est repéré par une infirmière ou un médecin scolaires, l'intéressé est orienté vers la médecine de ville ; or, pour obtenir un rendez-vous, il doit attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Nous cherchons donc à mettre l'élève immédiatement en contact avec un médecin.

Troisièmement, en matière de moyens, le Gouvernement s'apprête, grâce au projet de loi de finances, à recruter 300 infirmières, psychologues et assistantes sociales supplémentaires.

M. le président. Il faut conclure.

M. Edouard Geffray, ministre. L'objectif est précisément d'apporter une réponse complète à ces troubles.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.

Mme Laurence Muller-Bronn. Monsieur le ministre, c sont là des annonces. L'agression s'est produite le 24 septembre dernier, nous sommes le 29 octobre et rien n'a changé, comme j'ai pu le constater en suivant les conseils d'administration des collèges.

Le personnel est déjà formé : nous disposons de psychologues et d'infirmières, mais ils ne sont pas dans les établissements. Comme ils me l'ont affirmé, les enseignants…

M. le président. Il faut conclure.

Mme Laurence Muller-Bronn. … voient quels élèves sont en difficulté, mais ne peuvent les envoyer nulle part. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants. Elle sera reprise à 16 h 30 pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq,

est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Article 1er

Définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (texte de la commission n° 46, rapport n° 45).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant d'aborder le texte, je tiens à souligner la qualité du travail parlementaire dont il résulte.

Cette proposition de loi a été déposée à l'issue des travaux d'une mission d'information conduite par nos collègues de l'Assemblée nationale Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin. Elle a fait l'objet d'un examen rigoureux, accompli à la lumière d'un avis du Conseil d'État et dans un climat de grande confiance, tant entre les chambres qu'entre les groupes politiques.

Ma corapporteure, Dominique Vérien, que je salue, et moi-même pouvons en témoigner : tout a été fait pour parfaire la rédaction de ce dispositif.

Le Parlement s'honore et légifère mieux lorsqu'il travaille à la lumière de travaux qui permettent de construire un consensus. La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic en a déjà fourni une illustration voilà quelques mois.

C'est de nouveau le cas aujourd'hui : il y a là non seulement des réussites dont nous pouvons nous féliciter, mais aussi des leçons que nous devons garder à l'esprit pour l'avenir – à l'aune des temps actuels, cette observation prend une force particulière.

Passons désormais aux modifications apportées au texte par la commission mixte paritaire (CMP).

À l'issue de la première lecture, un seul désaccord, purement technique, demeurait entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Il tenait à l'expression de « circonstances environnantes », que l'Assemblée nationale avait retenue pour se conformer littéralement à la convention d'Istanbul. Nous avions préféré le terme de « contexte », qui est connu de la jurisprudence pénale française et qui nous paraissait plus clair dans sa portée.

Pour préserver l'objectif des auteures du texte, que nous partageons pleinement, et qui est de favoriser l'appréciation globale de la situation dans laquelle sont commises les agressions sexuelles, nous nous sommes entendues sur le terme de « circonstances » : celui-ci permettra au juge de saisir les situations de fait dans leur diversité, sans pour autant compromettre la robustesse juridique du dispositif.

La proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter grave dans le code pénal les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle évacue ainsi l'équivoque qui, hélas ! subsistait à la lecture de l'article 222-22 du code pénal. Le législateur fait aujourd'hui œuvre utile en affirmant solennellement un principe crucial : il n'est point d'acte sexuel licite s'il n'est pas consenti.

Céder à la menace, à la violence, y compris psychologique, ou à toute forme de pression, ce n'est pas consentir.

Se taire ou se laisser faire, ce n'est pas consentir : c'est subir une contrainte provoquée par la peur – peur des coups, peur des représailles, peur de réveiller les enfants si l'on crie.

Se résigner lorsqu'un refus, pourtant exprimé des dizaines de fois, n'a pas été entendu, ce n'est pas consentir : cela veut seulement dire qu'on n'a plus la force de lutter.

Ne pas réagir, ce n'est pas consentir : c'est, trop souvent, se trouver dans un état de sidération qui ne permet pas de se défendre.

Cette évolution législative apporte donc de la clarté, une clarté qui doit permettre d'améliorer le traitement des violences sexuelles par les services d'enquête et les tribunaux.

Si nous arrivons aujourd'hui au terme de la procédure législative, nos travaux sur ce texte ne sont pas terminés, tout au contraire ! L'adoption de cette loi devra en effet être suivie d'un travail de contrôle, destiné à évaluer les effets qu'elle aura engendrés. Nous y serons particulièrement attentifs, car la loi n'a de sens que si elle sert réellement l'intérêt général.

Pour aller au bout du chemin sur lequel nous nous engageons aujourd'hui, il nous appartiendra de vérifier que la loi nouvelle a réellement rendu la répression des violences sexuelles plus efficace et qu'elle a mis fin, ce faisant, à l'impunité des agresseurs autant qu'à la solitude des victimes. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie-Pierre Vedrenne, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures Elsa Schalck et Dominique Vérien, mesdames, messieurs les sénateurs, il est des combats qui traversent les décennies, des voix qui ne s'éteignent jamais et des femmes dont l'engagement continue d'éclairer notre route.

En ce moment où vous vous apprêtez à vous prononcer sur cette proposition de loi, je veux rendre hommage à Monique Pelletier, décédée le 19 octobre 2025 à l'âge de 99 ans.

Avocate, ministre de la condition féminine, membre du Conseil constitutionnel, elle a fait de sa vie un combat pour la justice et la dignité : une vie consacrée à briser le silence, à faire bouger les lignes, à faire du droit un instrument d'émancipation.

Dans une France encore corsetée par le silence, la honte, l'indifférence, Monique Pelletier s'est battue pour les droits des femmes et pour la reconnaissance des violences faites aux femmes.

C'est notamment à elle que nous devons la criminalisation du viol, en 1980, et ce qui est devenu notre article 222-23 du code pénal : une conquête déterminante, portée par la force d'un mouvement de femmes déterminées, dans le sillage du combat historique de Gisèle Halimi.

Et c'est en pensant à ces femmes, à leur courage et à leur clairvoyance, que nous poursuivons aujourd'hui ce combat pour nommer, reconnaître, condamner et éradiquer toutes les formes de violences sexuelles.

Le consentement, en effet, est au cœur de notre combat contre les violences sexuelles.

Il est une évidence qui aurait dû s'imposer depuis longtemps ; et pourtant, il demeure un concept volontairement déformé, caricaturé.

Pourquoi ? Parce qu'il vient heurter des habitudes, des croyances – parce qu'il dérange.

S'il dérange, c'est qu'il est intrinsèquement lié à une réalité que l'on préférait mettre à distance, une réalité occultée par les clichés : dans neuf cas sur dix – neuf fois sur dix ! –, la victime connaît son agresseur, celui qui abuse, celui qui viole.

Ce n'est pas un inconnu tapi dans l'ombre : c'est un mari, un ex-conjoint, un parent, un ami, un collègue, un supérieur hiérarchique, une figure d'autorité, quelqu'un à qui l'on fait confiance, à qui l'on dit « tu ».

Et c'est précisément cette proximité qui brouille tout. Elle rend les frontières floues, les repères incertains. Elle installe le doute, insidieux, corrosif : le doute de la victime, d'abord – « Est-ce vraiment arrivé ? Ai-je mal compris ? Est-ce ma faute ? » –, et le doute des autres, ensuite : « Pourquoi n'a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s'est-elle pas débattue ? Pourquoi n'a-t-elle rien dit plus tôt ? »

Parce que le viol ne se résume pas à la brutalité physique.

Parce que la peur, la sidération, la honte, le contrôle coercitif, les violences psychologiques, les abus d'autorité ou de pouvoir sont autant de chaînes invisibles qui paralysent et qui peuvent paralyser longtemps.

Parce que l'absence de cri, de lutte ou de résistance n'a jamais établi un consentement.

Parce que le silence d'une victime n'est jamais un consentement.

Parce que ne pas dire « non » ne veut pas dire « oui ».

Nous n'avons plus le droit de détourner le regard, de prétendre ne pas savoir, de nous réfugier derrière l'excuse du silence ou de la gêne.

Regarder ailleurs, c'est laisser faire.

Regarder ailleurs, c'est prolonger la violence.

Nous devons avoir le courage de regarder notre société telle qu'elle est : avec ses violences, ses silences, ses complicités, ses réflexes de défense qui protègent le confort plutôt qu'ils ne font éclater la vérité.

Nous devons ce regard lucide aux victimes.

Nous leur devons le respect, la reconnaissance, la justice.

Nous devons nous hisser au niveau du courage de toutes celles et de tous ceux – toutes, tous, sans exception ! – qui ont eu la force de parler, de déposer plainte, de revivre l'indicible pour que d'autres n'aient pas à le subir.

Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises victimes : il n'y a que des victimes.

Toutes ont droit à notre respect.

Nous devons penser aussi à celles qui hésitent, à celles qui se taisent, à celles qui renoncent parce qu'elles savent le chemin judiciaire long, douloureux et épuisant, à celles qui n'attendent pas de compassion, mais veulent une société qui les protège et qui agit.

Si nous avons progressé, ces dernières années, pour mieux protéger les victimes et mieux condamner les bourreaux, si nous avons renforcé nos dispositifs de prévention et d'accompagnement ainsi que notre arsenal juridique, si nous avons commencé à graver l'absence de consentement dans la loi, le combat n'est pas terminé.

En inscrivant dans notre code pénal, en 2021, le seuil d'âge de 15 ans en deçà duquel il ne peut jamais y avoir de consentement, nous avons clarifié le travail de la justice.

Avant 15 ans, un enfant est un enfant.

Il ne peut pas comprendre ce qu'on lui suggère ou ce qu'on lui impose.

Avant 15 ans, un enfant ne peut pas consentir : c'est « non », c'est toujours « non », le « non » d'un interdit absolu, et il ne peut pas en être autrement.

Aujourd'hui, nous pouvons changer de dimension en réaffirmant une vérité simple, incontestable, inaltérable : consentir, ce n'est pas ne pas dire « non ».

Consentir, c'est dire « oui » : un « oui » explicite, libre, sans contrainte ni ambiguïté.

D'aucuns caricaturent cette exigence en y voyant une bureaucratisation du désir ou en évoquant ironiquement un contrat signé avant chaque relation sexuelle.

Mais il ne s'agit pas de cela : il s'agit de protéger, de reconnaître, de rendre justice.

Le viol n'est en effet ni une fatalité ni un malheureux malentendu : le viol est un crime, un crime qui brise, qui mutile, qui anéantit.

Nous avons une responsabilité historique.

Cette avancée législative majeure s'inscrit pleinement dans l'engagement du Président de la République et bénéficie du soutien entier du Gouvernement.

Je me réjouis de l'engagement des parlementaires de toutes sensibilités qui la défendent avec force et conviction, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Je tiens à rendre un hommage appuyé au travail remarquable des sénatrices Elsa Schalck et Dominique Vérien, dont la mission a éclairé les travaux sur ce texte.

Les travaux parlementaires, conjugués avec l'avis du Conseil d'État, ont permis d'aboutir à une écriture qui rassure, encadre et sécurise.

Ce travail collectif honore notre démocratie.

Aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette proposition de loi, vous avez l'occasion d'inscrire au cœur des lois de notre République ce principe fondamental de justice et de dignité : le consentement doit être « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ».

« Libre », parce qu'aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit en fausser la nature.

« Éclairé », car comment consentir si l'on est droguée, ivre, en situation de vulnérabilité ou sous rapport d'autorité ?

« Spécifique », pour que nul ne puisse détourner le sens du mot « consentement ».

« Préalable et révocable », car personne ne doit être enchaîné par un consentement délivré une fois.

Dire « oui » ne signifie pas dire « oui » pour toujours, et dire « non » à tout moment doit être respecté.

Au-delà des textes de loi, c'est un changement de culture que nous devons opérer ; et nous devons l'opérer collectivement.

La culture du viol, ce poison insidieux qui imprègne nos sociétés, doit être combattue par chacune et chacun d'entre nous, tout le temps et à tous les niveaux.

Elle est là chaque fois qu'une victime est réduite au silence, chaque fois qu'un agresseur est excusé, chaque fois qu'un « non » est interprété comme un « peut-être ».

Elle est là quand on enseigne aux filles à avoir peur et à se méfier plutôt qu'aux garçons à respecter ; quand on insinue que la jupe était trop courte, l'attitude trop provocante ou l'heure trop tardive ; quand on cherche à justifier l'injustifiable en suggérant qu'après tout « elle l'a bien cherché ».

Mettre fin à cette culture, c'est éradiquer ces mécanismes de domination.

C'est refuser la complaisance, le déni, la banalisation.

C'est éduquer autrement, enseigner le respect, valoriser l'écoute, la liberté, la responsabilité.

C'est dire clairement et définitivement : la honte n'est pas du côté des victimes ; elle est du côté de ceux qui violent, de ceux qui minimisent, de ceux qui détournent le regard, de ceux qui laissent faire.

Aujourd'hui, nous pouvons faire un pas décisif vers une véritable culture du consentement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, certes, ce texte ne changera pas tout.

Oui, nous continuerons de lutter contre toutes les formes de violences.

Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, a réaffirmé la semaine dernière, à l'Assemblée nationale, son engagement pour une loi-cadre visant à lutter contre les violences sexuelles et intrafamiliales.

Tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat sont autour de la table. Le consensus est souhaitable et possible.

Aujourd'hui, il nous revient de réaffirmer haut et fort, au nom de la République, que le corps des femmes leur appartient ; que nul ne peut y prétendre, que nul ne peut le posséder, que nul ne peut le forcer ; que la liberté, la dignité et le respect ne sont pas négociables ; que ce qui compte, ce n'est pas ce que l'agresseur croit, c'est ce que la victime veut.

Et cela, ce renversement du regard, cette reconnaissance, cette exigence, c'est déjà une révolution. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Articles 2 et 3 (début)

Article 1er

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° L'article 222-22 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots : « tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur » ;

b) Après le même premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Au sens de la présente section, le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.

« Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature. » ;

c) (nouveau) Au deuxième alinéa, le mot : « circonstances » est remplacé par le mot : « conditions » ;

2° L'article 222-22-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « par le premier » sont remplacés par les mots : « au troisième » ;

b) Au deuxième alinéa, la seconde occurrence du mot : « premier » est remplacée par le mot : « troisième » ;

3° (Supprimé)

4° Le premier alinéa de l'article 222-23 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) Après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;

c) (Supprimé)

4° bis Au premier alinéa de l'article 222-23-1 et à l'article 222-23-2, après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;

5° Après le mot : « loi », la fin de l'article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 2-3, le mot : « second » est remplacé par le mot : « dernier » ;

2° Le début du premier alinéa de l'article 804 est ainsi rédigé : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie… (le reste sans changement). »

Article 1er
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Articles 2 et 3 (fin)

Articles 2 et 3

(Supprimés)

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d'aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Corinne Bourcier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le nombre de victimes de violences sexuelles en France est évalué à 250 000 par an. Et ce nombre est largement sous-estimé. Si, au fil des dernières années, l'arsenal juridique permettant de faire face à ces violences s'est étoffé, de nombreuses victimes peinent encore à obtenir justice.

La semaine passée, députés et sénateurs se sont accordés sur un texte qui marque un véritable tournant pour les victimes. Le groupe Les Indépendants salue le compromis trouvé en commission mixte paritaire et soutient pleinement ce texte.

Aujourd'hui encore, malgré des évolutions tant sociétales que juridiques, d'importantes contraintes pèsent sur la victime et font obstacle à ce que le viol soit juridiquement établi. Or il n'y a pas de « bonnes victimes ». Rien ne peut justifier un viol : ni que la victime ne parvienne pas à se débattre, ni qu'elle porte tel ou tel vêtement, ni qu'elle se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Rien, absolument rien, ne saurait justifier un tel acte.

En ce sens, la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles permet de clarifier la définition du consentement.

Cela est essentiel pour que les victimes puissent trouver le courage de porter plainte et obtenir justice, car, nous le savons, nombre d'entre elles ne le font pas. Elles subissent des années durant, dans le silence, le traumatisme laissé par l'agression sexuelle qu'elles ont subie.

Le texte sur lequel nous nous prononçons aujourd'hui apporte des réponses à ce problème. Il est le fruit d'un travail transpartisan et je tiens à saluer les rapporteures du Sénat et de l'Assemblée nationale, mais aussi l'ensemble des parlementaires mobilisés sur cet enjeu.

Il prévoit notamment la modification de l'article 222-22 du code pénal.

Les mots « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots « tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur ». Voilà une transformation aussi majeure que nécessaire.

S'y ajoute la mention suivante : « le consentement [doit être] libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. […] Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime. »

Concrètement, cela représente une clarification essentielle. Nombre de victimes sont dans l'incapacité de réagir, de lutter, notamment du fait de l'état de choc dans lequel elles sont plongées, ou parce qu'elles sont inconscientes ou droguées.

L'agresseur, lui, peut se servir de cet état de fait pour justifier son acte, prétendant qu'il ignorait que la victime n'était pas consentante.

Mais ne nous méprenons pas. Un violeur sait quand il viole, et l'état de choc de la victime ne doit en aucun cas lui servir d'excuse.

Selon une enquête menée par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) et parue en 2022, 24 % des victimes de violences sexuelles physiques n'ayant pas fait de déclaration au commissariat ou à la gendarmerie expliquaient avoir renoncé à porter plainte parce que « cela n'aurait servi à rien » et 16 % d'entre elles parce qu'elles craignaient que leur témoignage ne soit « pas pris au sérieux » par les forces de l'ordre.

Ces chiffres alarmants montrent à quel point une réforme de notre droit est nécessaire pour mieux accompagner les victimes. Selon des données du ministère de la justice publiées en 2018, 73 % des plaintes pour violences sexuelles traitées en 2016 furent classées sans suite.

Une meilleure définition pénale de l'agression sexuelle peut permettre à la justice de poursuivre plus efficacement les auteurs de ces infractions. C'est tout le sens de la présente proposition de loi, qui introduit la notion de non-consentement dans la définition pénale des agressions sexuelles.

Cela étant, la répression des violences sexuelles et la fin de l'impunité pour les agresseurs ne sont qu'une partie de la solution. Certaines victimes endurent toute leur vie les stigmates du viol qu'elles ont subi.

À nous d'agir, en tant que législateurs, pour que la société reconnaisse et accompagne mieux les victimes et, ce faisant, pour que ces dernières puissent se reconstruire. Le texte que nous nous apprêtons à voter contribue à mettre fin au mythe de la « mauvaise victime », mythe qui abîme notre société et la vie de millions de personnes ayant subi de telles exactions.

Mes chers collègues, cette proposition de loi constitue une avancée. Elle s'inscrit dans un mouvement plus large visant à mieux soutenir les victimes et n'est pas le point final des réponses que nous devons leur apporter.

Avec humilité, le groupe Les Indépendants restera mobilisé pour veiller à ce que les autorités disposent d'outils concrets pour accompagner les victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux commencer par saluer les quelques hommes qui sont ici, car le sujet qui nous occupe cet après-midi n'est pas une affaire de femmes : il nous intéresse tous. Quelle société voulons-nous ensemble pour demain ? Les moyens que nous nous donnons en la matière le diront.

Malheureusement, les chiffres des violences sexuelles augmentent de façon continue. Tant de drames, tant de dégâts psychologiques, tant de larmes pour toutes ces victimes… Dans ce contexte navrant, l'intégration de la notion de consentement dans la définition du viol a une portée certes juridique, mais aussi philosophique et sociale.

Cette proposition de loi permettra de modifier les pratiques de la police et de la justice. En effet, on constate un taux de dépôt de plainte trop bas – 2 % à 6 % seulement – et un taux de condamnation qui reste faible – 10 % à 15 %. Une grande majorité de dossiers ne donnent pas lieu à condamnation, faute de preuves, ce qui décourage les victimes.

Cette proposition de loi a une véritable portée pédagogique : elle est centrée sur le comportement de l'auteur et doit favoriser la libération de la parole. Il faut que le consentement soit placé au cœur de l'éducation à la sexualité, car c'est le sujet fondamental.

Ces dernières années, la loi a fait évoluer la définition du viol. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes précise que l'acte de pénétration sexuelle permettant de qualifier le viol peut désormais être commis aussi bien sur la personne de l'auteur que sur la personne de la victime, car la victime, en particulier quand il s'agit d'un jeune enfant, peut se trouver contrainte d'effectuer des actes sexuels sur son agresseur. Voilà un premier pas.

La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste étend le champ matériel du viol aux actes bucco-génitaux. Voilà un deuxième pas.

Surtout, cette même loi dispose que toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol dès lors que la différence d'âge entre l'adulte et l'enfant – je dis bien « l'enfant » – est d'au moins cinq ans. Il y a donc désormais présomption d'absence de consentement dans ce cas précis. Voilà un troisième pas.

D'une manière générale, le non-consentement était seulement déduit de l'existence de faits commis « par violence, contrainte, menace ou surprise », comme il est écrit dans le code pénal ; mais cette notion n'était pas centrale.

Et voilà que nous nous apprêtons à franchir, avec la présente proposition de loi, un quatrième pas. En effet, le débat a été relancé à l'occasion de la discussion d'une directive européenne sur la lutte contre les violences faites aux femmes, ainsi qu'à la suite du procès des viols de Mazan.

Je m'arrête un instant sur l'audition édifiante, par la délégation aux droits des femmes du Sénat, des avocats de Gisèle Pelicot. Et je signale, devant la présidente Vérien, que le prix 2025 de la délégation leur sera remis tout à l'heure. Ils ont notamment relaté que l'un des auteurs des faits avait déclaré que, puisque son mari avait dit oui, il pensait qu'elle était d'accord. On en est encore là, en 2025…

Autrement dit, le consentement s'apprend, et ce dès le plus jeune âge. Il nécessite un travail éducatif et culturel voué à déconstruire les idées fausses, du genre : « Si elle ne dit rien, c'est qu'elle veut bien. »

C'est pourquoi cette proposition de loi intègre l'absence de consentement de la victime dans la définition du viol et des autres agressions sexuelles. L'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord sur le texte en commission mixte paritaire. Tout acte sexuel commis sans le consentement « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable » de la personne concernée sera désormais considéré comme un viol, crime dont le périmètre matériel comprendra aussi, dorénavant, les actes bucco-anaux.

Le consentement n'est pas simplement une absence de refus. La peur, la paralysie ou l'emprise ne sont pas des consentements : ce sont des silences ; on le sait quand on l'a subi et que l'on ne peut plus rien dire.

Au contraire, le consentement doit être actif, librement exprimé. Il se vit dans une relation où chacun a la faculté de libérer ses émotions et, surtout, de prendre en compte celles de l'autre, cet autre qui est là et bien là.

Consentir, ce n'est pas céder, c'est choisir. C'est aussi avoir confiance. Qui ne dit mot… non, ne consent pas ! Qui ne dit mot a peur, simplement peur. Consentir, c'est dire « oui », un vrai « oui ».

C'est pourquoi mon groupe soutient ce texte. D'autres pas nous attendent, beaucoup de pas, pour une société plus sereine, une société de confiance et de respect. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (M. Vincent Louault applaudit.)

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, et si se cachait, derrière l'expression « qui ne dit mot consent », cette autre formule : « qui ne dit mot semble consentir » ? Un seul mot de plus, et pourtant, un autre sens, un tout autre sens !

Après deux ans de travaux parlementaires, nous voici à l'étape ultime du parcours de ce texte, dont le but précis est le suivant : introduire la notion de consentement dans la qualification pénale des violences sexuelles et du viol.

Il ne s'agit ni plus ni moins que de défendre la liberté personnelle ainsi que le droit au respect de son intégrité physique et psychique.

En ce sens, la commission mixte paritaire a pu convenir d'une rédaction rigoureuse et minutieuse, tant sur la définition du consentement que sur les modalités d'appréciation de ce consentement par les professionnels du droit que sont les magistrats.

D'une part, pour ce qui est de la notion de consentement, celui-ci sera caractérisé par le fait d'être « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable » : « libre », d'abord, pour que ce consentement ne puisse être contraint ; « éclairé », ensuite, car la notion de consentement est inévitablement liée à celle de discernement ; « spécifique », également, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, et qui consent pour une chose peut ne pas consentir pour toutes les autres ; « préalable », évidemment, car la question du consentement se pose avant et non après ; « révocable », enfin, parce que le consentement n'est ni définitif ni absolu.

Voilà autant de critères précis dont la satisfaction ne pourra être déduite du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime, mais sera appréciée par les magistrats.

Dans l'affaire des viols de Mazan, nombreux furent les accusés à utiliser la stratégie de défense consistant à dire : « On pensait que Mme Pelicot était consentante. »

Demain, grâce à ce texte et au travail réalisé par la commission mixte paritaire, le consentement, avec ses critères, sera apprécié au regard des « circonstances » des faits reprochés, notion finalement plus adéquate que celle de « contexte ».

Il y aura donc un avant et un après Mazan.

Avec mon groupe, nous voterons pour la rédaction finale de ce texte avec beaucoup de conviction, car les raisons de l'approuver ne manquent pas.

On peut s'interroger sur l'utilité de ce texte et sur ses éventuels risques juridiques, et se demander, au fond, s'il aura vraiment un impact. Si tel est le cas, doit-on le craindre ?

Tout le travail qui a été mené reflète le sérieux, la rigueur et le caractère transpartisan de la proposition de loi.

En réalité, sa rédaction n'instaure ni présomption ni renversement de la charge de la preuve : loin de vouloir instaurer une société du soupçon ou de contractualiser les relations sexuelles, le texte invite les magistrats et les parties à vérifier, au-delà de la matérialité des faits, la conscience, chez la personne mise en cause, d'avoir agi contre ou sans le consentement de l'autre.

Les débats doivent se concentrer sur le consentement à tous points de vue, et non pas uniquement sur la victime – comme c'est le cas aujourd'hui, rappelons-le –, pour analyser le comportement et les agissements de la personne mise en cause.

Autrement dit, il s'agit de se concentrer sur la notion de consentement, souvent décisive dans les affaires concernées. Et c'est justement parce qu'elle est décisive que nous devons l'inscrire dans le marbre de la loi pénale, qui est d'interprétation très stricte.

Je rappelle également que la rédaction finale du texte conserve les paramètres actuels de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.

Gardons ce qui est utile aujourd'hui, mais ne nous empêchons pas d'ajouter ce qui permettra de prendre en compte l'état de sidération, qui frappe environ 70 % des victimes de viol selon la docteure spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences Muriel Salmona. Modifier notre code pénal en ce sens n'a donc rien d'anodin : nous pourrons élargir le champ des agressions sexuelles à des cas longtemps ignorés ou incompris.

Mes chers collègues, les générations qui nous suivront pourront-elles vivre dans une société du respect, où le consentement sera non plus une notion équivoque, mais bel et bien un principe consensuel et connu de tous ?

Grâce au travail remarquable de nos collègues Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, présentes en tribune – je les salue –, nous pourrons, j'en suis convaincu, contribuer à ce que la justice soit plus adaptée.

On nous reproche parfois de voter des lois inutiles ou des lois d'émotion. Aujourd'hui, nous sommes, au contraire, dans un moment parlementaire décisif, puisque notre vote peut changer des parcours de vie.

Une justice humaine, c'est une justice qui prend le temps d'entendre la vérité des gens. Elle accordera dorénavant au consentement toute la place qu'il mérite. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et INDEP. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne saurais débuter cette intervention sans souligner l'absence des deux ministres qui auraient dû se trouver au banc aujourd'hui : le ministre de la justice et la ministre chargée des droits des femmes. Celle-ci avait pourtant cru devoir être présente lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Son absence marque-t-elle un désintérêt pour le sujet ? Je ne le crois pas. Traduit-elle un désintérêt pour le Sénat ? Je ne sais pas.

Madame la ministre, je vous remercie d'être présente. Ne voyez pas là de mise en cause personnelle ! Vous aurez compris le sens de mon propos.

Je remercie également Bernard Buis, qui est intervenu, dans cette assemblée de femmes et d'hommes, sur un sujet sur lequel les hommes ont parfois un peu de mal à considérer qu'il les concerne au premier chef.

Mme Marie Mercier. Oui ! Merci à lui !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le texte dont nous débattons aujourd'hui va donc inscrire dans la loi ce qui aurait dû être une évidence : sans consentement, il y a viol.

C'est un combat ancien, qui dure depuis près d'un demi-siècle. Si l'on regarde en arrière, nous nous rendons compte que de grands procès ont jalonné les progrès du droit en la matière.

Il y eut tout d'abord, en 1978, le procès d'Aix-en-Provence, celui des agresseurs de deux jeunes femmes belges, violées dans une calanque près de Marseille. Gisèle Halimi, avocate des parties civiles, les convainquit de refuser le huis clos. Ce fut la première occasion qui permit aux Français de prendre conscience de ce qui se passait.

À ce même moment, et alors que notre Haute Assemblée ne comptait guère que cinq femmes pour quelque 300 sénateurs, une sénatrice du groupe de la Gauche démocratique, Brigitte Gros, a déposé une proposition de loi, dont l'exposé des motifs indique que le viol est sans doute la seule infraction où la victime est présumée coupable ou à tout le moins suspecte. C'est tellement vrai !

Cette proposition de loi fut adoptée par le Sénat et par l'Assemblée nationale en 1980, après la tenue du procès.

Évidemment, il y a eu d'autres progrès, mais c'est un second procès qui en fait un sujet d'actualité et l'a mis sous les yeux de l'ensemble des Français : je veux bien évidemment parler du procès dans lequel Gisèle Pelicot était partie civile.

Gisèle Pelicot aussi refuse le silence, refuse le huis clos, et, à ce moment, les Français prennent conscience, parfois avec effroi, de l'ultime vérité, de ce que l'on a alors appelé la « culture du viol ».

Que de chemin parcouru au cours de ces quarante-cinq ans !

Aujourd'hui, nous ne modifions pas simplement le cadre juridique : nous changeons de regard. Nous passons d'une culture du viol, où le corps des femmes est considéré comme disponible, à une culture du consentement, où ni le silence, ni la peur, ni la sidération ne valent accord.

L'article 222-22 du code pénal va être modifié. Le consentement sera au cœur de la définition du viol. Il devra être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Son absence suffira à caractériser l'infraction.

Nous voulons donc, par ce texte, assurer la pérennité de la juste application, durant des années, d'acquis jurisprudentiels. On sait bien que la jurisprudence peut toujours être renversée…

Nous avons été condamnés par la Cour européenne des droits de l'homme, qui a considéré que le cadre juridique de la France en matière de viol n'était pas conforme aux obligations qui lui incombent.

Cette proposition de loi tend donc à prendre acte de nos manquements et à mieux répondre aux exigences.

Je veux à mon tour souligner le travail transpartisan remarquable qui a été conduit : il atteste d'une ténacité sans pareille dans une séquence politique complexe. Ce travail a permis aux rapporteures de l'Assemblée nationale, comme à celles du Sénat Dominique Vérien et Elsa Schalck – je les salue toutes quatre –, de faire en sorte que ce texte advienne.

Il a fallu beaucoup de ténacité, d'obstination, mais finalement nous y sommes.

Fidèle à sa mission, le Sénat a bien évidemment souhaité améliorer la rédaction de la proposition de loi sur quelques points. Cela n'a pas été une difficulté.

Soyons lucides, mes chers collègues : cette loi ne résoudra pas tout, car il faut naturellement des moyens.

Alors que 230 000 viols et tentatives de viol sont commis en France chaque année, on compte moins de 8 000 condamnations ; 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte et 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite.

Bien évidemment, nous serons vigilants lors de l'exercice budgétaire. Nous savons qu'il faut aider les associations : les associations d'aide aux victimes, les associations féministes, celles qui interviennent dans le domaine de l'éducation. Je les salue ici.

Ce texte ne réparera pas toutes les injustices, mais il met fin à une hypocrisie. Il dit que le corps n'est jamais à disposition, que le consentement n'est jamais implicite et que la parole des femmes mérite toujours d'être crue.

En l'adoptant, nous rendons hommage à Gisèle Pelicot, à Anne Tonglet, à Aracelli Castellano, à toutes celles qui ont refusé le silence et à celles qui ont dû s'y résoudre. Nous leur devons cette avancée.

Le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, dans notre pays, 230 000 femmes sont victimes de viols, de tentatives de viol ou d'agressions sexuelles. Pourtant, seulement 6 % des victimes portent plainte, et moins de 1 % des violeurs sont condamnés.

Ces chiffres glaçants témoignent d'un fléau national, duquel notre société ne peut plus détourner le regard.

Oui, la libération de la parole a commencé.

Oui, les grandes affaires, de Bobigny à Mazan, ont fait bouger les lignes.

Mais force est de constater que la France, pays des droits de l'homme, n'est pas encore celui des droits des femmes.

Face à ce constat, les auteurs de ce texte ont proposé d'inscrire la notion de consentement dans le code pénal.

Nous partageons le combat contre la culture du viol et pour la libération de la parole des victimes. Nous saluons l'intention et nous nous réjouissons que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles soit menée.

Mais nos interrogations demeurent.

Modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles pour y insérer le consentement a des conséquences complexes.

Les juges savent déjà manier cette notion avec souplesse pour reconnaître la sidération ou l'emprise, comme certaines affaires récentes l'ont prouvé.

Aussi, n'existe-t-il pas un risque que le centre du procès soit déplacé des actes de l'agresseur vers le comportement de la victime ?

Combien de fois a-t-on entendu, dans un commissariat ou une salle d'audience, « elle n'a pas dit non », ou « il ne savait pas qu'elle n'était pas consentante » ? Souvenons-nous de l'affaire Pelicot, où certains ont osé parler de « viol involontaire » parce que, droguée, Gisèle Pelicot ne pouvait pas dire non.

Nous souhaitons que le procès d'un violeur ne devienne pas celui de sa victime.

Comme le rappelait Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny, « nous sommes acculées, nous, plaignantes, à devenir accusées, à essayer de vous démontrer que "mais non, nous n'avons pas consenti" ».

C'est précisément cette culpabilisation des victimes, en lieu et place de la protection de leur dignité, que nous devons éviter.

Surtout, mes chers collègues, au-delà du débat juridique, nous devons faire tellement plus pour réellement lutter contre les violences sexistes et sexuelles !

La culture du viol prend ses racines dans notre société patriarcale. Sans s'attaquer à la racine du problème, le débat que nous avons aujourd'hui sera vain.

Pour cela, la loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles, tant réclamée par les associations féministes, est un premier pas, qu'il est urgent de faire.

En effet, comme nous le savons, c'est bien le manque criant de moyens et de volonté politique qui permet à 99 % des violeurs de n'être jamais condamnés. Et pour cause, 2,6 milliards d'euros manquent chaque année pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, dont 332 millions d'euros pour les seules violences sexuelles.

Les débats budgétaires auront lieu dans quelques semaines. N'oublions pas alors cette intention louable que nous partageons aujourd'hui ! Protéger nos filles, nos femmes et toutes les victimes ne devrait pas avoir de prix.

Ces moyens indispensables doivent permettre la mise en place d'une véritable politique continue et pilotée au plus haut niveau, impliquant de manière coordonnée l'ensemble des ministères concernés – égalité, justice, intérieur, solidarités, travail, éducation, santé.

Une véritable politique de prévention doit être menée dans tous les milieux. La formation obligatoire des professionnels doit être organisée. Des structures d'accueil spécialisées et des juridictions dédiées doivent être créées. Nous devons permettre une prise en charge et des soins accessibles pour toutes les victimes.

Ainsi, mes chers collègues, nous partageons les intentions que ce texte traduit, mais nous regrettons ses effets de bord, l'absence d'étude d'impact et, surtout, l'absence de moyens concrets permettant que la justice soit à la hauteur.

C'est toute notre stratégie nationale contre les violences faites aux femmes qu'il faut repenser globalement, courageusement et durablement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de saluer, avec une certaine émotion, la présence en tribune de Marie-Charlotte Garin, de Véronique Riotton et de toutes les personnes qui nous ont accompagnés durant ce long chemin.

Je veux d'abord vous dire pourquoi le vote d'aujourd'hui amènera un changement fondamental dans notre société et pourquoi ce changement doit être célébré, ce soir, comme une grande victoire féministe.

Jusqu'à aujourd'hui, jusqu'au 29 octobre 2025, le fait de ne pas consentir à un acte sexuel ne suffisait pas, en France, à qualifier cet acte d'agression sexuelle ou de viol : il fallait, jusqu'à aujourd'hui, pour pouvoir qualifier un acte de viol, faire la démonstration de la violence, de la menace, de la contrainte ou de la surprise.

Nous savons combien cette démonstration est difficile, voire, souvent, impossible à faire, en particulier lorsque, comme dans de si nombreux cas, la victime n'a rien dit, n'a rien fait – rien fait d'autre que sauver sa vie en sortant un temps de son corps violé.

Nous savons comment cette difficulté à prouver nourrit les classements sans suite, comment les classements sans suite nourrissent l'impunité, comment l'impunité – 99,4 % des viols ne sont pas punis en France – nourrit les viols suivants, les viols quotidiens, banals et normalisés.

On nous a dit longuement que le consentement était implicite dans le code pénal. Je vous assure que, si tel était le cas, nous n'aurions pas passé deux ans à nous battre pour le rendre explicite, et nous aurions rencontré beaucoup moins de résistance sur notre chemin !

Cependant, il y a plus grave encore que la difficulté à apporter des preuves lors d'un procès pour un viol qui a déjà eu lieu : c'est tout ce qui, dans notre société, normalise, justifie et encourage les viols à venir.

Notre code pénal en faisait, en quelque sorte, jusqu'à aujourd'hui partie. Jusqu'à aujourd'hui, il y avait, en droit, comme dans notre société, une présomption de disponibilité du corps des femmes, une forme de présomption de consentement. Jusqu'à aujourd'hui, dans les faits, ce que la société, donc ce que les policiers et les juges disaient si souvent aux femmes, c'est que, jusqu'à preuve du contraire, leur corps était disponible.

En écrivant dans la loi que l'absence de consentement suffit à définir un viol, l'ambition de ce texte est que, demain, la situation soit inversée.

C'est vrai, cette précision ne devrait pas être nécessaire. Ainsi, le consentement ne figure pas dans la définition pénale du vol, et cela ne pose aucun problème ! Lorsque vous vous rendez dans un poste de police parce qu'un individu vous a volé votre sac à main, on suppose, toute la société suppose, les policiers supposent, les juges supposent qu'évidemment, comme vous ne l'aviez pas donné, vous ne vouliez pas que l'on vous le prenne. On rirait donc au nez d'un voleur qui dirait : « Elle n'a pas dit non, je pensais qu'elle voulait. »

Cela va sans le dire. Eh bien, pour nos corps, cela ira mieux en le disant, car ce qui, dans notre société, est vrai pour un simple sac ne l'est pas encore pour le corps des femmes. C'est ce que nous n'accepterons plus.

Pour cela, le Parlement doit dire ce que la société ne dit pas ou ne dit pas encore assez. Il doit dire solennellement aux femmes : parce que votre corps n'est pas disponible a priori, quand vous ne dites pas oui, c'est non. Quand vous dites oui parce que vous avez peur, c'est non. Quand vous dites oui pour avoir la paix, c'est non. Quand vous ne dites rien, quand vous ne faites rien, c'est non. Le seul oui qui vaille est un oui libre.

Nous vivons depuis des siècles dans la culture du viol. Commençons à construire dès ce soir la culture du consentement, pour nous, pour nos filles, pour nos nièces, pour les petites filles qui naissent aujourd'hui et qui naîtront demain, afin qu'elles n'aient pas à vivre tout ce que nous avons vécu, et pas seulement pour qu'il y ait plus de violeurs dans les prisons, mais aussi pour qu'il y ait moins de violeurs dans nos vies.

C'est vrai, tout ne changera pas tout demain grâce à ce vote. Mais la force qu'a prise la mobilisation autour du terme « consentement » trouve, ce soir, un débouché politique, qui pourra faire advenir un changement social.

Pour terminer, si cette victoire, alors que les droits des femmes régressent dans le monde et que l'on ne peut pas dire que notre pays soit dirigé par quelqu'un de particulièrement féministe, peut surprendre, je veux dire que ce n'est pas un hasard si, en deux ans, les féministes ont réussi, en France, à inscrire l'IVG dans la Constitution et le consentement dans le code pénal.

Les femmes doivent le savoir : même quand il n'y a pas de gouvernement, même quand des égos surdimensionnés placent le pays au bord du gouffre, même quand les perspectives sont sombres, il y a, dans notre pays, des parlementaires féministes, certes, mais, surtout, des associations féministes, des expertes, des militantes, des femmes capables, un peu partout, de se mobiliser ensemble, et donc de gagner.

Aujourd'hui, grâce à vous toutes, mesdames, nous allons faire un pas en avant sur le chemin d'une société moins violente et plus égalitaire.

Demain, si vous ne lâchez rien, nous célébrerons bien d'autres victoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, RDSE et RDPI. – Mmes Michelle Gréaume et Olivia Richard applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « pour moi, le viol, c'est forcer quelqu'un, c'est l'attacher », « on est des violeurs dans les faits, pas des violeurs dans l'âme » : ces mots ont été prononcés par deux accusés du procès des viols de Mazan, qui tentaient de diluer leurs responsabilités et confondaient le désir du mari avec le consentement de l'épouse. « Vous n'avez rien compris, ce n'est qu'un viol. À quel moment je vous ai donné mon consentement ? », leur a répondu Gisèle Pelicot.

Il y a un an et demi, j'ai été chargée par le gouvernement de l'époque, avec la députée Sandrine Josso, de produire un rapport sur la soumission chimique comme forme de violence faite aux femmes. S'en sont suivis des mois d'auditions, de rencontres, de déplacements qui m'ont plongée dans l'indicible réalité des agressions sexuelles dans notre pays, avec le profond sentiment d'une montagne à gravir, par une introspection personnelle et collective, pour rendre visible ce que la société préfère cacher.

Combattre ce déni millénaire, mettre fin à l'impunité en passant par la mobilisation générale : la loi qui sera votée aujourd'hui y participe.

Depuis plusieurs années, notre société interroge en profondeur les silences du droit face aux violences sexuelles et, à mesure que la parole des victimes se libère, les attentes se font plus fortes.

L'exemple de l'inceste est caractéristique : longtemps ignoré par le code pénal, il n'a été nommé qu'en 2010, et reconnu comme infraction autonome en 2021. Ce long silence juridique en dit long sur le retard du droit face à la réalité des victimes.

Ce décalage entre l'expérience vécue et la qualification juridique rappelle que le droit est non seulement un instrument de sanction, mais aussi un langage collectif : ne pas nommer, c'est souvent ne pas reconnaître, et reconnaître est déjà un premier pas vers la réparation.

La proposition de loi s'inscrit dans cette dynamique de rattrapage. Elle ne crée pas une nouvelle incrimination, mais elle affirme avec clarté que l'absence de consentement constitue le cœur même de la définition du viol.

Jusqu'à présent, le droit pénal français définissait ce crime à partir de quatre éléments : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. L'absence explicite de consentement n'y était qu'implicite.

Il est temps de franchir une étape, en consacrant une évidence, à la fois juridique et sociétale : un acte sexuel ne peut être licite qu'à la condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique et révocable. Il ne s'agit pas d'une révolution du droit pénal, mais c'est une clarification nécessaire.

Certes, la jurisprudence permet déjà actuellement de sanctionner la quasi-majorité des situations visées par ce texte. Le champ des comportements punissables ne sera donc pas substantiellement élargi.

Mais cette réforme n'en est pas moins utile : elle dit ce que la société attend. Elle dit que le consentement ne se présume pas, ne se déduit pas du silence, ne s'ignore pas. Et ce signal juridique a, en soi, une valeur.

Je tiens à saluer ici les avocats de Gisèle Pelicot, Stéphane Babonneau et Antoine Camus, à qui notre délégation aux droits des femmes remettra un prix tout à l'heure en salle René Coty. Leur travail a été déterminant dans un procès où, je l'ai dit, le consentement de la victime a sans cesse été remis en question par la défense : son consentement serait présumé si elle ne dit pas explicitement non ou encore si le mari a donné son accord.

À cet égard, le texte qui nous est proposé, fruit d'un travail de compromis, constitue une étape importante vers un droit pénal plus lisible et plus en phase avec les réalités des victimes et des professionnels de la justice.

Les rapporteures ont su concilier clairvoyance juridique et exigence de protection. Elles ont notamment retenu le terme de « circonstances » – au pluriel – pour définir le cadre d'appréciation du consentement, terme qui permet d'éviter toute formulation floue tout en conservant une souplesse interprétative.

Cependant, il est bon de rappeler qu'un texte à lui seul ne change pas tout. La proposition de loi marque un tournant important, certes, mais pas un aboutissement. Elle ne réglera ni les classements sans suite, ni les renoncements à déposer plainte, ni les difficultés d'instruction.

Aussi cette réforme mérite-t-elle de s'inscrire dans un panorama plus large. L'inscription du non-consentement dans le code pénal était nécessaire, mais elle ne suffira pas.

Nous attendons avec impatience, madame la ministre, la présentation de votre loi-cadre sur les violences sexuelles, que nous espérons assortie de moyens et d'objectifs concrets dans toutes ses dimensions : pénales, sociétales, sanitaires, éducatives et de formation.

Pour conclure, mes chers collègues, ce texte mérite d'être voté et salué pour l'avancée qu'il représente, mais c'est à l'adoption d'une loi-cadre ambitieuse que nous souhaitons nous atteler désormais.

Bien évidemment, notre groupe votera pour. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de clore cette discussion, que ma chère corapporteure a ouverte. Vous noterez l'organisation bien huilée du Sénat ! (Sourires.)

Mes chers collègues, lorsque vos enfants ou vos petits-enfants sortent le soir, donnez-vous les mêmes conseils aux garçons qu'aux filles ?

Mesdames, combien d'entre vous ont déjà changé de trottoir pour éviter de passer devant un groupe d'hommes un peu bruyants ?

Faites-vous partie de celles qui, seules dans la rue, tard le soir, mettent leur clé dans la main pour avoir une éventuelle – quoique bien dérisoire – arme de défense ? J'ai découvert avec stupeur que nous étions nombreuses à le faire.

Quel est ce monde où les filles et les femmes doivent adopter des stratégies d'évitement, pour échapper à un regard appuyé à en devenir gênant, à une remarque déplacée, à un geste intrusif, à une pression, à un harcèlement, à un viol ?

Pour celles qui n'ont pas pu se soustraire à un viol, combien n'ont pas pu réagir, tétanisées qu'elles étaient par la peur ?

Comment justifier ce silence, pourtant si fréquent ?

Et, n'en déplaise à certains, qui ne dit mot ne consent pas !

Mes chers collègues, il y a des lois qui réparent, et d'autres qui redonnent du sens. Le texte que nous examinons aujourd'hui fait les deux.

Je tiens à saluer ses autrices, présentes en tribune, Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, pour leur travail et leur ténacité.

En effet, depuis trop longtemps, la définition pénale du viol et des agressions sexuelles reposait sur la contrainte, la menace, la surprise ou la violence. En théorie, c'était une protection, mais, en pratique, c'était une injustice, car ce cadre conduisait souvent la justice, et plus largement la société, à s'intéresser non pas au comportement de l'agresseur, mais à celui de la victime. Avait-elle bu ? Quelle tenue portait-elle ? Avait-elle crié ? S'était-elle débattue ? Pourquoi n'avait-elle pas résisté ? Comme si le silence, la peur, la sidération n'étaient pas déjà des preuves en elles-mêmes.

Pour la victime, c'était une double peine : après qu'elle eut subi la violence, elle devait se justifier de la manière dont elle l'avait subie.

C'est précisément cette logique que nous corrigeons aujourd'hui. En plaçant le consentement au cœur de la définition du viol et des agressions sexuelles, nous changeons de regard.

Puisqu'il faut qu'il y ait eu consentement, la justice s'intéressera à l'auteur : qu'est-ce qui a pu lui laisser penser qu'il y avait consentement ?

Il ne sera plus possible de déduire celui-ci du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime. L'immobilité, la peur, la sidération ne valent pas consentement.

Un acte sexuel n'est jamais neutre. Il suppose un accord clair, librement donné et qui peut être retiré à tout moment.

Une relation sexuelle n'a de sens que si elle est partagée. Le corps de l'autre ne peut jamais être pris ni supposé offert. Sinon, ce n'est plus une relation : c'est une violence sexuelle, un viol.

Mais, pour que cette reconnaissance prenne toute sa force, encore fallait-il lui donner un cadre clair, solide, applicable. C'était tout l'enjeu du travail parlementaire que nous avons mené, en conciliant précision juridique et portée symbolique.

Cependant, la loi que nous allons voter nous oblige aussi collectivement. En effet, s'il dit la norme, le droit ne suffit pas à changer les comportements. Il faut aussi regarder la réalité du quotidien.

Au-delà de la loi, il faut l'éducation, la prévention, la parole. Au-delà de la loi, il faut oser parler du consentement, du respect, du corps.

Il faut le faire dans nos familles, dans les écoles, dans les entreprises. Il faut rappeler qu'aimer, séduire, désirer, ce n'est jamais imposer.

Pour finir, je veux ici saluer toutes celles et tous ceux – associations, magistrats, parlementaires, professionnels de santé, forces de l'ordre, enseignants – qui œuvrent chaque jour pour que la parole des victimes soit accueillie avec respect et que la société progresse. Ils ne sont pas encore assez nombreux, mais le Parlement est aujourd'hui à leurs côtés pour plus de justice.

Je veux aussi avoir une pensée pour celles et ceux qui n'ont pas encore pu parler, qui ressentent encore la peur, la honte et le doute. Cette loi leur est destinée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. Mes chers collègues, je souhaite dire quelques mots, avant que nous adoptions ce texte – largement, je l'espère.

Je veux rebondir sur les propos qui ont été tenus lors de cette discussion générale.

Plusieurs de nos collègues ont notamment évoqué l'évolution de la prise en compte des violences sexuelles dans notre société, au point d'en arriver aujourd'hui à l'adoption de ce texte.

Il y a effectivement eu une évolution, et d'abord pour ce qui concerne l'expression des victimes. Pendant de nombreuses années, le silence s'imposait sur ce qui se passait dans les alcôves – j'emploie cette expression à dessein, car, comme cela a été répété, les agressions sexuelles sont, de manière générale, commises par un proche des victimes. Le silence a toujours régné, comme il règne encore sur l'inceste : nous savons que les agressions sexuelles de mineurs se passent essentiellement au sein des foyers.

Ce silence est de moins en moins présent : les victimes s'expriment de plus en plus et sont de plus en plus écoutées.

C'est aussi la notion de consentement – et la connaissance de cette notion – qui a évolué.

Nombre d'orateurs ont repris, dans leur discours, l'expression, issue du bon sens populaire, selon laquelle « qui ne dit mot consent ». En effet, ce principe, qui s'applique dans tous les actes de la société, prévalait jusqu'alors aussi dans les situations d'agression.

Aujourd'hui, le consentement a fait place à la notion de sidération : qui ne dit mot ne consent à rien, et n'est simplement pas en mesure de dire « oui » ou « non ». Et cette évolution permet de mieux prendre en compte la situation si douloureuse de l'agression sexuelle.

Pour autant, permettez-moi de m'exprimer sur un point : pour ma part, je ne crois pas à la culture du viol. Je n'adhère pas à l'idée, soutenue par certains, qu'une telle culture existe en France. (Mme Mélanie Vogel lève les yeux au ciel.)

Mme Laurence Rossignol. C'est un écosystème !

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les hommes ont beaucoup de mal à s'exprimer : culturellement, ils sont qualifiés de violeurs.

La culture, c'est ce qu'on transmet. Or je ne crois pas que nous transmettions le viol à nos fils.

La culture, c'est aussi ce qui transparaît dans nos règles de droit. Or le Sénat comme l'Assemblée nationale votent régulièrement des textes visant à pénaliser de plus en plus lourdement le viol afin de rappeler clairement que les agressions sexuelles, de manière générale, n'ont pas leur place dans la société et qu'elles doivent être purement et durement punies.

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui s'inscrit dans cette évolution. Il met en avant la notion de consentement. Chacun sait, de manière assez intuitive, que lorsqu'une agression sexuelle est commise, la victime n'est pas consentante.

Cependant, la difficulté reste de pouvoir utiliser l'absence de consentement pour prouver l'agression, sans faire peser de charge sur la victime – puisque c'est elle qui consent, ou non.

Cette difficulté a été résolue par la rédaction retenue par nos collègues de l'Assemblée nationale, puis par les rapporteures du Sénat. Inspirée par l'avis du Conseil d'État, elle me semble tout à fait judicieuse.

Cette proposition de loi éclaire le code pénal, en intégrant dans le droit une notion dont chacun, par intuition, savait qu'elle était au cœur de la difficulté, comme nos deux rapporteures l'ont très bien expliqué.

J'espère que nous serons nombreux, si ce n'est unanimes, à voter ce texte aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et sur des travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme la présidente. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 9 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l'adoption 327
Contre 0

Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Articles 2 et 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
 

4

Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour une mise au point au sujet de votes.

Mme Catherine Di Folco. Lors du scrutin public n° 8, mes collègues Annick Petrus et Viviane Malet souhaitaient voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de ces mises au point, ma chère collègue. Elles figureront dans l'analyse politique du scrutin.

5

Conventions internationales

Adoption en procédure d'examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.

Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d'examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de moldavie relatif à l'échange de permis de conduire

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie relatif à l'échange de permis de conduire, signées à Paris le 12 juillet 2024, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie relatif à l'échange de permis de conduire (projet n° 764 [2024-2025], texte de la commission n° 62, rapport n° 61).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de macédoine du nord

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord (projet n° 788 [2024-2025], texte de la commission n° 60, rapport n° 59).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

6

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune
Article 1er

Conventions fiscales avec la Finlande et la Suède

Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (projet n° 855 [2024-2025], texte de la commission n° 52, rapport n° 51).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Eléonore Caroit, ministre déléguée auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l'étranger. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, au sein de l'OCDE, la France joue un rôle moteur dans l'élaboration des normes internationales en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales.

Cela se traduit par sa participation active aux travaux de cette organisation en matière fiscale, notamment à ceux qui ont conduit à l'adoption de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, dite convention CML ou Beps (Base Erosion and Profit Shifting), signée par la France le 7 juin 2017.

Tout comme la France, la Finlande et la Suède, pleinement engagées dans la lutte au niveau international contre la fraude fiscale, ont ratifié cet instrument multilatéral de l'OCDE.

Pour les États concernés, la participation à cet accord multilatéral se traduit par l'application des standards internationaux en droit interne, en particulier dans le cadre des conventions fiscales bilatérales. La mise en conformité avec ces normes internationales à l'échelle de nos relations bilatérales est l'une des raisons qui justifient la négociation des accords soumis à votre approbation aujourd'hui.

En ce qui concerne la Finlande, nous sommes liés avec cet État par une convention fiscale signée le 11 septembre 1970, qui n'a jamais été modifiée depuis cette date. Bien que la convention multilatérale Beps produise ses effets à l'égard de notre convention fiscale, la France et la Finlande se sont entendues en 2019 pour mettre à jour le cadre juridique bilatéral au regard des derniers standards de l'OCDE et des évolutions de leur politique conventionnelle.

Nos deux États ont ainsi signé une nouvelle convention fiscale le 4 avril 2023 qui se substituera à la convention de 1970.

Les méthodes d'élimination de la double imposition et les règles d'imposition des revenus passifs – intérêts, dividendes et redevances – ont par exemple été mises à jour dans la présente convention, eu égard aux changements de la politique conventionnelle de nos deux États depuis 1970.

S'agissant des dividendes, la convention en vigueur prévoit une exonération générale de retenue à la source sur ces revenus.

D'une part, cette règle d'imposition est désuète puisqu'elle est désormais rare dans notre réseau de conventions fiscales.

D'autre part, une telle exonération peut conduire à des montages abusifs, tels que les CumCum, qui consistent à transférer temporairement des actions au résident d'un État tiers lié à celui de la source par une convention fiscale prévoyant l'absence de retenue à la source dans le seul but d'éluder l'impôt.

De concert avec la Finlande, la France a ainsi inscrit dans cette nouvelle convention fiscale une règle d'imposition partagée conforme à ce qui figure dans bon nombre de nos conventions fiscales et qui met fin à toute opportunité d'optimisation et d'abus. Plus précisément, les dividendes versés à un bénéficiaire détenant moins de 5 % du capital de la société distributrice seront soumis à une retenue à la source plafonnée à 15 %.

Lorsque le bénéficiaire détient plus de 5 % du capital de cette société pendant une durée supérieure à 365 jours, les dividendes seront exonérés de retenue à la source.

À la demande de la Finlande, le régime d'imposition des retraites privées prévu dans ce nouvel accord fera l'objet d'une imposition partagée entre les deux États au lieu d'une imposition exclusive dans l'État de résidence. En contrepartie de ce changement de règle d'imposition, l'élimination de la double imposition de ces revenus est régie par un mécanisme de crédit d'impôt inversé. Cela signifie que l'effacement de la double imposition est à la charge non plus de l'État de résidence, mais de l'État de source de la pension.

Ce dernier État octroie un crédit d'impôt au contribuable pour éliminer la double imposition.

Ce nouveau mécanisme innovant, déjà prévu dans la convention fiscale avec le Danemark signée le 4 février 2022, garantit l'élimination de la double imposition et préserve les recettes fiscales de l'État de résidence.

Dans le contexte franco-finlandais, cette mesure d'imposition bénéficiera largement à la France et contribuera à la préservation de nos finances publiques. En effet, le nombre de résidents finlandais en France percevant une pension de source finlandaise est bien plus important que le nombre de résidents français en Finlande percevant une pension de source française. Selon les estimations de l'administration fiscale finlandaise, il y aurait environ 700 retraités finlandais résidant en France, alors que le registre des Français établis hors de France fait état de 46 Français déclarés comme retraités en Finlande.

Comme cela a été mentionné précédemment, cet accord intègre également les derniers standards internationaux de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales souscrits par la France et la Finlande dans le cadre de la convention multilatérale Beps de l'OCDE.

Enfin, cette nouvelle convention fiscale constitue un cadre juridique favorable à la multiplication des investissements et au développement des échanges commerciaux qui s'inscrit dans une relation bilatérale étroite et privilégiée avec notre partenaire. À titre d'exemple, près de 200 entreprises finlandaises en France emploient près de 8 500 personnes et autant d'entreprises françaises installées en Finlande en emploient environ 13 000. Ce cadre modernisé apporte également davantage de clarté et de lisibilité tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques.

Les relations entre la France et la Finlande se densifient dans de nombreux domaines d'intérêt commun, comme l'illustre la signature, le 20 octobre dernier, d'une lettre d'intention sur une coopération dans le domaine du nucléaire.

Le présent projet de loi concerne également l'approbation d'un avenant, signé le 22 mai 2023, à la convention fiscale avec la Suède du 27 novembre 1990. La signature de cet accord s'inscrit dans ce mouvement de modernisation de conventions fiscales bilatérales au regard des dernières normes internationales en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales.

Le nouvel accord transpose les derniers standards de la convention multilatérale Beps de l'OCDE à notre convention fiscale bilatérale. L'application de ces standards sous la forme d'un avenant répond à une demande spécifique de la Suède. En effet, en raison de son droit interne, notre partenaire devait passer par la négociation d'un accord dédié pour que ces normes soient applicables à notre convention fiscale en vigueur.

Parmi ces standards, l'avenant aura pour effet d'intégrer dans le corps de la convention actuelle, entre autres, les derniers standards en matière de procédure amiable de règlement des différends entre administrations fiscales.

Les conventions soumises à votre approbation modernisent les cadres juridiques existants en matière fiscale avec la Finlande et la Suède et retranscrivent notre engagement à respecter les standards internationaux de lutte contre la fraude fiscale.

Enfin, ces accords, qui visent à renforcer les liens économiques avec nos partenaires, s'inscrivent indéniablement dans le cadre dynamique de nos relations bilatérales, encadrées par un partenariat stratégique en matière d'innovation pour des sociétés durables, numériques et résilientes, signé en 2017 et renouvelé en 2019 puis en janvier 2024 lors de la visite d'État en Suède du Président de la République.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appellent la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales et l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des finances a examiné et adopté la semaine dernière ce projet de loi prévoyant l'entrée en vigueur de deux accords internationaux en matière fiscale.

Composé de deux articles, ce texte a pour objet d'autoriser l'approbation de la convention fiscale bilatérale franco-finlandaise du 4 avril 2023, d'une part, et de l'avenant du 22 mai 2023 à la convention fiscale franco-suédoise du 27 novembre 1990, d'autre part.

Comme vous le savez, en application de l'article 53 de la Constitution, l'entrée en vigueur de certains accords internationaux, dont les conventions fiscales, est subordonnée à l'autorisation du Parlement. Les projets de loi concernés, qui ne sauraient modifier le contenu des conventions, ont pour unique objet de valider ou de rejeter les solutions négociées par l'exécutif.

Le Sénat est la première assemblée saisie de ce projet de loi. Comme on le constate souvent en matière de conventions fiscales, la France est en retard par rapport à ses partenaires sur l'approbation de ces deux accords : la Suède a notifié à la France en décembre 2023 qu'elle avait achevé ses procédures internes d'approbation, et la Finlande a fait de même en juillet 2024.

Je commencerai par présenter le contenu du texte le plus significatif dont il nous est demandé d'autoriser l'approbation : la nouvelle convention fiscale franco-finlandaise.

En l'état du droit, les relations fiscales entre la France et la Finlande sont régies par une convention bilatérale du 11 septembre 1970. Ce texte est l'un des plus anciens de notre réseau conventionnel à ne pas avoir fait l'objet d'un avenant et ne paraissait plus compatible avec les derniers standards de l'OCDE. De plus, comme nous l'aborderons par la suite, l'absence de retenue à la source sur les dividendes posait une difficulté majeure. La négociation d'une nouvelle convention était donc doublement nécessaire.

Le texte sur lequel se sont accordées les deux parties s'appuie très largement sur les derniers travaux de l'OCDE.

Pour rappel, deux instruments de l'OCDE orientent désormais la politique conventionnelle française en matière fiscale : le modèle de convention fiscale, mis à jour en 2017, a été complété par l'instrument multilatéral de l'OCDE issu du plan d'action pour lutter contre l'évitement fiscal et moderniser le droit fiscal international, mieux connu sous le nom de convention multilatérale Beps.

La nouvelle convention intègre, par conséquent, des stipulations conformes aux avancées de l'OCDE et à la pratique conventionnelle de la France.

Tout d'abord, elle prévoit une définition modernisée de l'établissement stable. Cette notion permet de déterminer si une activité industrielle, commerciale ou libérale est imposable dans l'État où elle est exercée ou dans l'État de résidence de l'entreprise.

Ensuite, elle intègre également les clauses anti-abus et de coopération fiscale les plus récentes.

En outre, elle précise et redéfinit le partage des droits d'imposition entre les deux États sur différentes catégories de revenus, notamment sur les revenus passifs.

Enfin, elle modernise les mécanismes d'élimination des doubles impositions. La France a opté pour la méthode dite de l'imputation, qui consiste à accorder au contribuable un crédit d'impôt imputable sur son impôt français.

En réalité, les négociations bilatérales se sont concentrées sur deux points.

En premier lieu, la principale revendication émise par notre partenaire finlandais était de prévoir un partage d'imposition sur les pensions privées.

La solution retenue est similaire à celle qui avait été adoptée dans la convention fiscale franco-danoise. Elle repose sur un mécanisme atypique de crédit d'impôt inversé et permet de dégager une solution qui préserve les intérêts du Trésor français, tout en reconnaissant à la Finlande un droit d'imposition résiduel sur ces revenus.

Concrètement, une fois la convention entrée en vigueur, les retraités finlandais installés en France continueront d'être assujettis à l'impôt français pour l'intégralité des montants de pensions qu'ils perçoivent. Néanmoins, ils seront également imposables en Finlande à hauteur de la différence entre l'impôt payé en France et l'impôt qu'ils auraient payé en Finlande sur ces revenus.

En second lieu, pour la France, l'objectif majeur de cette renégociation était d'introduire une imposition sur les dividendes, afin de prévenir tout risque de montage abusif d'arbitrage de dividendes.

La convention franco-finlandaise de 1970 fait partie des neuf conventions fiscales bilatérales prévoyant un taux nul de retenue à la source sur les dividendes. Une telle stipulation ouvre la voie à des montages CumCum externes, contre lesquels la commission des finances du Sénat s'est attachée à lutter : à l'approche de la date de versement des dividendes, afin d'échapper à la retenue à la source, le propriétaire français de l'action la prête au résident d'un État dont la convention fiscale signée avec la France ne prévoit aucune retenue à la source.

Pour prévenir ce risque, la convention nouvellement signée introduit une retenue à la source, plafonnée à 15 %, pour les dividendes versés à un bénéficiaire détenant moins de 5 % du capital de la société distributrice. Elle conserve toutefois une exonération pour les dividendes versés au bénéficiaire détenant plus de 5 % du capital de la société distributrice pendant une durée supérieure à 365 jours, ce qui correspond au régime mère-fille conventionnel.

Notre commission s'est cependant assurée de la compatibilité de ces stipulations avec le dispositif de retenue à la source préventive « anti-CumCum » externe que le Sénat a introduit dans la loi de finances pour 2025. Ainsi, à compter du 1er janvier 2026, une retenue à la source sera appliquée à titre conservatoire sur les dividendes et produits assimilés versés à des personnes établies ou ayant leur résidence dans un État dont la convention fiscale ne prévoit pas – ou exonère – de retenue à la source ces produits.

Le désormais célèbre Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) du 17 avril 2025, révisé le 24 juillet 2025, précise bien que le dispositif ne s'applique pas aux dividendes versés dans le cadre du régime mère-fille.

J'en viens maintenant à l'avenant à la convention fiscale franco-suédoise, dont le contenu est plus limité. Comme je l'ai indiqué, l'OCDE a établi en 2016 une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, également désignée comme « instrument multilatéral » (IM).

Pour intégrer l'apport de l'IM, les États peuvent recourir à deux méthodes : soit une notification par les deux parties de leur volonté de « couvrir » leur convention bilatérale, ce qui a pour effet de modifier automatiquement le contenu de la convention en vigueur, soit une modification de la convention par avenant.

En raison de contraintes juridiques internes, la Suède a choisi de ne pas notifier l'OCDE de la couverture de son réseau conventionnel par l'instrument multilatéral, et donc de modifier ses conventions fiscales bilatérales par la voie d'avenants.

L'avenant du 22 mai 2023 a donc pour but de modifier la convention en vigueur afin d'y insérer les stipulations de l'instrument multilatéral.

À l'issue de cette présentation, les deux accords trouvés me paraissent équilibrés.

La commission des finances vous propose donc, mes chers collègues, d'émettre un avis favorable à l'entrée en vigueur de la convention fiscale bilatérale franco-finlandaise du 4 avril 2023 et de l'avenant du 22 mai 2023 à la convention fiscale franco-suédoise du 27 novembre 1990, c'est-à-dire d'adopter le présent projet de loi sans le modifier. (MM. Vincent Capo-Canellas et Marc Laménie, ainsi que M. le président de la commission, applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Fouassin et Mme Sophie Briante Guillemont applaudissent également.)

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, des retraités, vivant de leur seule pension, sont confrontés à des pénalités considérables, comme en Italie ; des enseignants détachés font face à un redressement rétroactif de plusieurs années, comme en Grèce ; des familles sont ruinées : maison perdue, économies envolées, rêves effondrés. Tout cela à cause non pas d'une fraude ou d'une dissimulation, mais d'une convention fiscale ambiguë, dont l'imprécision s'est retournée contre eux !

Quand nous débattons de conventions fiscales, nous ne parlons ni théorie ni papier : il est ici question de la vie quotidienne de nos compatriotes français. Pour eux, des textes sans équivoque sont la condition d'une vie juridiquement sûre, fiscalement équitable.

Le projet de loi qui nous est soumis, et qui vise à approuver une convention avec la Finlande et un avenant à la convention avec la Suède, remplit cette fonction protectrice : clarifier, prévenir et sécuriser.

Sans entrer dans le détail de toutes les clauses de la convention franco-finlandaise – Mme la ministre et Mme la rapporteure les ont déjà évoquées –, j'insisterai sur deux d'entre elles.

La première porte sur le partage de l'imposition des pensions privées entre l'État de source et l'État de résidence alors que, habituellement, les pensions privées sont imposées uniquement dans l'État de résidence.

L'imposition partagée exigée par la Finlande est une importante concession faite par la France : comme le soulignait Mme la ministre, seulement 46 retraités français vivent en effet en Finlande, tandis que 700 retraités finlandais vivent dans notre pays.

Certes, l'inscription sans ambiguïté dans le texte de l'imposition partagée évite à nos compatriotes toute surprise, comme ce fut le cas malheureusement en Italie. Il ne faudrait pas, toutefois, étendre cette modalité d'imposition à l'ensemble de notre réseau conventionnel, car cela induirait une perte pour l'administration fiscale.

La deuxième clause sur laquelle je veux revenir est l'instauration d'une retenue à la source sur les dividendes, évoquée par Mme la rapporteure. À cet égard, le Sénat se réjouit que les recommandations de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales conduite en 2022 aient été suivies d'effet.

De nombreuses conventions fiscales exonèrent totalement les dividendes de retenue à la source. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer si Bercy entend renégocier les conventions concernées ?

Le Sénat avait d'ailleurs introduit, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, une retenue à la source préventive dite « anti-CumCum ». Nous devons être particulièrement vigilants quant à la bonne application de cette retenue à la source, car il semblerait que l'administration fiscale n'ait pas encore publié cette nouvelle disposition du code général des impôts dans le Bofip.

Quant à l'avenant à la convention franco-suédoise, il transpose le dispositif de lutte contre l'érosion de la base d'imposition ainsi que le transfert des bénéfices, renforce les voies de règlements amiables et introduit une clause anti-abus.

D'une manière générale, la convention franco-finlandaise et l'avenant franco-suédois modernisent nos cadres bilatéraux, évitent la double imposition et, surtout, verrouillent l'interprétation commune, condition indispensable pour qu'un pays ne découvre pas a posteriori un angle mort au détriment des contribuables.

Pour toutes ces raisons, nous voterons ce texte, mais nous le ferons en gardant à l'esprit que la valeur d'une convention se mesure non pas à son existence formelle, mais à son application réelle.

Je l'ai dit ici à plusieurs reprises, la signature d'une convention ne met pas fin au risque.

Madame la ministre, je citerai des exemples que vous connaissez très bien, puisque vous avez été députée des Français de l'étranger, et que vous avez été particulièrement sensibilisée à ces sujets.

L'exemple de l'Italie a démontré qu'une volte-face interprétative suffit à faire surgir rétroactivement des dettes fiscales et, surtout, des pénalités massives, alors même que les contribuables respectaient le droit tel qu'il était appliqué depuis des années.

J'interpelle le Gouvernement sur cette situation depuis 2020. Des discussions ont été engagées l'été dernier avec votre homologue italien et des accords partiels auraient été conclus. Que peuvent espérer nos compatriotes français installés en Italie ?

Un autre cas préoccupant est celui de la Thaïlande, pays auquel une convention fiscale nous lie depuis 1974. La Thaïlande a ainsi décidé, au début de l'année 2024, d'imposer les résidents passant plus de 180 jours dans le pays sur tous leurs revenus de source étrangère qui y sont transférés.

La France n'arrive pas à obtenir de ce pays la confirmation que cette nouvelle imposition ne concerne pas les revenus déjà imposés en France au titre de la convention fiscale.

Cette absence de clarification fait peser un risque réel de double imposition et de rappels avec pénalités. Il est impératif, j'y insiste, de ne pas laisser le scénario italien se répéter.

Mes chers collègues, comme je n'ai pas manqué de le marteler à plusieurs reprises, les conventions fiscales sont un instrument de coopération autant qu'un instrument de protection.

Il en résulte un devoir de vigilance sur trois points : une vigilance textuelle pour éviter toute équivoque, une vigilance bilatérale pour assurer une interprétation partagée, et une vigilance temporelle pour empêcher toute rétroactivité par un changement d'analyse. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Fouassin.

M. Stéphane Fouassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte d'apparence technique, mais qui a tout d'un instrument politique essentiel : le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre la République française et la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, ainsi que l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Suède, qui suit quasiment la même logique.

Derrière les articles et les sigles, il y a une ambition claire : rendre notre fiscalité internationale plus juste, plus lisible, plus efficace et, disons-le, plus moderne.

Le premier texte, la convention franco-finlandaise signée à Helsinki en avril 2023, vient remplacer celle qui l'avait été en 1970, à une époque où, souvenons-nous, les montages fiscaux se faisaient à la machine à écrire.

Cette nouvelle convention est pleinement alignée sur les standards de l'OCDE. Elle modernise la définition des revenus et des établissements stables. Elle renforce les échanges d'informations et les règles anti-abus. Elle adapte le traitement des pensions et des dividendes. Surtout, elle inscrit noir sur blanc que l'objectif est d'éliminer la double imposition sans créer de double exonération, bref de fermer les portes à l'évasion fiscale.

Le second texte, signé avec la Suède, n'est pas une nouvelle convention. Il s'agit d'un avenant à la convention de 1990.

Trois évolutions essentielles y figurent : un préambule anti-évasion, une amélioration des procédures amiables pour les contribuables et une clause anti-abus inspirée du projet Beps de l'OCDE.

Ces deux textes poursuivent le même but : lutter contre les montages artificiels tout en garantissant la sécurité juridique des entreprises et des particuliers. Ils s'inscrivent dans le vaste mouvement de coopération fiscale internationale que la France promeut activement depuis plusieurs années, notamment dans le cadre européen et au sein du G20.

Pour les entreprises françaises présentes en Finlande ou en Suède, c'est une bonne nouvelle, avec pour perspective un cadre fiscal clair, prévisible et équitable. Pour l'État, c'est un outil de protection de la base imposable nationale. Et pour nos citoyens, c'est une preuve que la mondialisation ne rime pas avec impunité fiscale : elle peut être aussi synonyme de responsabilité partagée.

Je noterai enfin que ces accords raffermissent nos liens économiques et politiques avec deux partenaires nordiques exemplaires en matière de transparence et de gouvernance.

Quand le froid du nord souffle un vent de clarté fiscale, cela ne peut que réchauffer nos relations diplomatiques. (Sourires.)

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera résolument en faveur de ce projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un projet de loi autorisant l'approbation de deux accords fiscaux : une nouvelle convention entre la France et la Finlande et un avenant à la convention existante avec la Suède, tous deux destinés à éliminer la double imposition et à prévenir l'évasion fiscale.

Ce type de texte, classique, mais nécessaire, vise à moderniser les conventions fiscales bilatérales de la France pour les aligner sur les standards internationaux issus du programme Beps de l'OCDE, qui vise à lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert artificiel des bénéfices.

Depuis 2018, la France a signé plus d'une dizaine d'accords de ce type et le texte qui nous est soumis s'inscrit dans cette continuité.

La convention qui liait la France à la Finlande datait de 1970. Jamais amendée depuis, elle était l'une des plus anciennes encore en vigueur.

Surtout, elle comportait des lacunes qui rendaient possibles des montages d'arbitrage des dividendes, les fameux CumCum externes, les dividendes versés aux non-résidents étant exonérés de toute retenue à la source.

La nouvelle convention signée le 4 avril 2023 vient donc mettre à jour le cadre fiscal bilatéral sur plusieurs plans. Elle aligne son contenu sur le modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune 2017 de l'OCDE, en introduisant notamment des clauses anti-abus et de coopération fiscale, en actualisant la définition de l'établissement stable, en modernisant les mécanismes d'élimination de la double imposition et, enfin, en redéfinissant le partage des droits d'imposition sur différentes catégories de revenus, dont les revenus passifs.

L'État de source pourra désormais appliquer une retenue à la source, plafonnée à 15 %, sur les dividendes sauf pour les sociétés qui détiennent plus de 5 % du capital pendant au moins un an, qui bénéficieront d'une exonération dans le cadre du régime mère-fille.

En d'autres termes, la convention met fin à l'anomalie qui faisait de la Finlande le seul État européen avec lequel la France appliquait un taux nul.

La convention introduit également une nouveauté sur les pensions de retraite privées. Jusqu'à présent, ces pensions étaient imposées uniquement dans l'État de résidence. Désormais, la Finlande bénéficiera d'un droit d'imposition résiduel, compensé par un crédit d'impôt inversé : l'État de source déduira le montant déjà acquitté dans l'État de résidence.

Ce mécanisme, déjà utilisé avec le Danemark, garantit l'absence de double imposition tout en préservant les recettes de la France.

Je rappelle que le nombre de résidents fiscaux en France percevant des pensions finlandaises s'élève à 700 personnes, pour une assiette d'environ 10 millions d'euros, quand les ressortissants français recensés comme retraités et établis en Finlande sont au nombre de 46. En réalité, ce chiffre pourrait être cinq fois plus élevé : il est fréquent en effet que nos compatriotes ne s'inscrivent pas sur les registres consulaires.

La deuxième partie du texte porte sur un avenant à la convention fiscale franco-suédoise de 1990, signé le 22 mai 2023.

La Suède a fait le choix de ne pas signer directement la convention multilatérale Beps, et préfère actualiser ses conventions une à une, par voie d'avenants bilatéraux.

Ce choix est regrettable, car il contribue à fragmenter l'architecture fiscale mondiale, alors même que la lutte contre l'évasion exige davantage d'unité et de coordination.

Ledit avenant, composé de quatre articles, se borne donc à intégrer les apports essentiels de l'instrument multilatéral : un nouveau préambule précisant l'objectif de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, une réforme de la procédure de règlement des différends et, enfin, une clause anti-abus.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de ce projet de loi. Les conventions que nous nous apprêtons à approuver modernisent nos relations fiscales avec deux partenaires européens proches, et contribuent à la lutte contre la fraude et les montages d'optimisation agressive.

Toutefois, il convient de souligner, au-delà de leur contenu, la fréquence des textes de cette nature : plus d'une dizaine de conventions bilatérales ont été signées depuis 2018 sans que la situation internationale évolue réellement.

Cela dit quelque chose des limites de l'approche bilatérale et de la fragilité du cadre fiscal de l'OCDE, d'autant que les États-Unis se sont retirés de l'accord au début de l'année 2025 : les multinationales américaines sont désormais exemptées de la taxe minimale de 15 %.

Cette décision, prise sans débat, illustre, je tiens à le souligner, l'incapacité de l'OCDE à imposer un cadre réellement contraignant, ainsi que la faiblesse des pays européens face aux pressions de Washington.

Ce sont des milliards de recettes fiscales qui échappent à la France, alors même que nous sommes contraints d'imposer aux classes moyennes et populaires de nouvelles restrictions.

La coopération internationale ne peut plus dépendre d'accords à géométrie variable. La justice fiscale appelle désormais une réponse multilatérale, sans doute refondée à l'échelle des Nations unies. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Barros. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

M. Pierre Barros. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, parler de fiscalité internationale, c'est un peu comme monter un meuble Ikea.

La notice s'appelle CML (convention multilatérale), cadre multilatéral de l'OCDE et Beps, et vise à empêcher les doubles impositions et non-impositions, ainsi qu'à limiter l'érosion des bases fiscales.

Les pièces sont bien identifiées : « établissement stable », « clause anti-abus », « principe de pleine concurrence » ou encore « procédure amiable ».

Sur le papier, tout s'emboîte parfaitement. Mais quand on passe du manuel – le multilatéral – à l'assemblage concret – le bilatéral –, on découvre que l'ensemble vacille sous le poids des stratégies d'optimisation du capital.

Or un meuble fiscal bien monté, c'est celui qui reste stable quand la richesse s'y installe. Ainsi, la méthode Beps se traduit trop souvent, dans les conventions bilatérales, par un simple respect du « minimum standard ».

Prenons d'abord les prix de transfert, cœur du problème.

Imaginez un groupe qui conçoit à Helsinki, dépose sa marque à Stockholm, centralise sa trésorerie à Amsterdam, fabrique à Lille et vend à Lyon. Sur le papier, chaque filiale se facture des services, des licences ou des prêts internes, comme si elle était une entreprise indépendante. C'est le principe de pleine concurrence, pierre angulaire du Beps.

Sauf que, dans la réalité, ce marché n'existe pas : il n'y a pas de prix de marché pour un algorithme propriétaire, une marque mondiale ou un service interne spécifique. Résultat : la marge se déplace, discrètement mais sûrement, vers la filiale la plus faiblement imposée.

Le problème vient de là : tant que nous continuerons à fonder l'imposition sur des prix fictifs entre entités dépendantes, nous laisserons un espace d'optimisation parfaitement légal.

Concrètement, lorsque les comparables du marché n'existent pas – c'est le cas dans les secteurs du numérique, de la pharmacie ou de la propriété intellectuelle –, la France devrait systématiser la méthode du partage des bénéfices.

Cette méthode consiste non plus à chercher à reconstituer un prix illusoire, mais à répartir le profit global du groupe entre les pays concernés selon des critères objectifs : effectifs, actifs, chiffre d'affaires. Elle est plus réaliste, plus équitable et plus conforme à la logique de la lutte contre l'érosion des bases fiscales.

Pour l'heure, le Principal Purpose Test, ou critère de l'objet principal, permet de refuser un avantage si l'intention principale est d'obtenir un gain d'impôt, et c'est très bien ainsi. Mais il ne dit rien des groupes intégrés dont les flux sont « naturellement » ou « sans intention manifeste » orientés vers les pays qui disposent des taux les plus avantageux.

Autre fragilité, la nouvelle convention prévoit une exonération totale de retenue à la source pour les dividendes dès 5 % de la participation sur un an.

Cela réduit certes les montages CumCum et CumEx, où un dividende est « lavé » plusieurs fois de son impôt, mais le seuil retenu reste bas et peut toujours favoriser la constitution de holdings visant l'optimisation.

Compte tenu du prélèvement forfaitaire unique à 30 % appliqué en France, les taux d'imposition français et finlandais sont comparables. Mais si la France décidait demain, légitimement, de rehausser la fiscalité du capital, cette exonération conventionnelle rendrait les flux intragroupes plus avantageux que les distributions nationales. Cela soulève un enjeu de démocratie fiscale.

Nous avons donc du Beps, mais un Beps minimal : la notice existe, mais l'assemblage reste fragile. Alors, pour que le meuble tienne, il faut resserrer les boulons.

Il faut d'abord ajouter au test d'intention un test de substance, afin que les clauses anti-abus ne se limitent plus à juger des intentions, mais reposent sur des critères économiques.

Il faut ensuite systématiser la méthode du partage des bénéfices dès lors qu'il n'existe aucun prix de marché fiable.

Il faut encore relever les planchers de retenue à la source sur les flux de dividendes, d'intérêts et de redevances, sauf preuve d'une imposition équivalente dans l'État partenaire.

Il faut enfin adosser toutes nos conventions au pilier 2 du Beps pour que, lorsque le taux effectif d'imposition tombe sous 15 %, la France puisse exercer son droit de rappel fiscal et récupérer la différence.

C'est là la voie d'une diplomatie fiscale exigeante, seule à même de lutter contre l'érosion des bases taxables tout en s'appuyant sur un cadre multilatéral qui reste à renforcer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K – Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (M. Pascal Savoldelli applaudit.)

Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un projet de loi autorisant l'approbation de deux textes en apparence techniques – une nouvelle convention fiscale et un avenant –, mais qui posent en réalité des questions profondément politiques : celles de la justice fiscale, de l'équité entre les États et, au fond, de notre capacité à rétablir un minimum de cohérence entre la mondialisation économique et la fiscalité.

Les textes dont il est question actualisent des accords bilatéraux anciens, parfois très anciens, comme celui qui lie la France avec la Finlande depuis 1970.

En un demi-siècle, les flux financiers se sont mondialisés, les dividendes ont explosé, et l'ingénierie fiscale est devenue un sport planétaire pour les grandes entreprises et les détenteurs de capitaux.

Il était donc urgent de moderniser ces conventions. Je le dis d'emblée : le groupe écologiste votera en faveur de ce projet de loi, afin que les textes visés puissent entrer en vigueur dès le 1er janvier prochain.

L'un des apports majeurs de la nouvelle convention signée avec la Finlande est l'instauration d'une retenue à la source de 15 % sur les dividendes, là où le taux était jusqu'ici de 0 %. C'est une avancée importante, qui met fin à une anomalie fiscale : la non-imposition de revenus du capital dans un pays servant de refuge à des contribuables d'autres États.

Les montants en jeu sont considérables : au moins 140 milliards d'euros ont échappé aux administrations fiscales européennes depuis le début des années 2000. Comme l'a rappelé Mme la rapporteure, neuf pays appliquent encore un taux nul sur les dividendes. C'est à la fois injustifiable et insoutenable.

Chaque euro de dividende non imposé est un euro de moins pour les services publics, la transition écologique ou la solidarité nationale. Nous saluons donc la volonté du Gouvernement et de nos partenaires européens d'avancer vers davantage d'équité.

Permettez-moi toutefois d'émettre deux réserves.

Premièrement, les conventions fiscales ne sont jamais neutres : elles reflètent des rapports de force et peuvent parfois reproduire les déséquilibres qu'elles prétendent corriger.

Comme le rappelait le désormais célèbre économiste Gabriel Zucman samedi dernier sur France Inter, dès qu'on crée des régimes d'exception ou des zones grises, de nouvelles stratégies d'optimisation apparaissent aussitôt. L'évasion suit toujours la faille.

Il faudra donc veiller à ce que les dispositifs destinés à lutter contre les montages abusifs, notamment les pratiques dites CumCum, soient réellement efficaces. Ces opérations consistant à faire circuler artificiellement des titres autour des dates de versement des dividendes pour échapper à l'impôt ont coûté des milliards d'euros aux finances publiques européennes. Nous devons être certains que les conventions que nous approuvons ferment enfin la porte à de telles manœuvres.

Deuxièmement, nous déplorons l'exclusion, dans la nouvelle convention avec la Finlande, de toute disposition relative à la taxation des grandes fortunes.

Comme l'a justement souligné Mme la rapporteure dans son rapport, c'est un recul symbolique, mais aussi politique. La contribution des plus aisés est en effet au cœur du pacte fiscal. Si chacun ne participe pas à hauteur de ses moyens, le consentement à l'impôt s'érode et, avec lui, notre modèle de redistribution et de protection sociale.

Dans un contexte où les inégalités de patrimoine atteignent des records et où les multinationales continuent de déplacer artificiellement leurs bénéfices vers les paradis fiscaux, renoncer à cet aspect envoie un bien mauvais signal. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.

Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fiscalité internationale est souvent perçue comme un enchevêtrement de règles complexes, et ce projet de loi en est une illustration supplémentaire.

Derrière sa technicité, ce texte porte pourtant sur des enjeux bien concrets. Il s'inscrit dans un mouvement de fond qui témoigne de la manière dont notre pays conçoit sa souveraineté fiscale à l'heure de la mondialisation.

L'actualisation de nos conventions avec la Finlande et la Suède était nécessaire. Comme cela a été rappelé, la convention avec la Finlande, en particulier, datait de 1970.

L'objectif est notamment d'harmoniser notre modèle avec celui de l'OCDE, dans le cadre d'une diplomatie économique cohérente, qui fait le choix d'une fiscalité fondée sur la confiance, la transparence – via le renforcement des échanges de données – et le respect des règles communes entre États.

Les instruments conventionnels reflètent l'évolution du droit fiscal international vers davantage de coopération. En l'occurrence, il s'agit, au travers des conventions avec la Finlande et la Suède, d'éviter la double imposition, de prévenir la fraude et d'empêcher la délocalisation artificielle des bénéfices.

Les accords de ce type sont la clé d'une relation de confiance entre la France et ses citoyens, en particulier ceux qui résident à l'étranger.

Indépendamment des deux pays ici concernés – trois avec le nôtre –, la lisibilité des règles fiscales est essentielle pour nos compatriotes établis hors de France, qu'ils soient particuliers ou chefs d'entreprise. Trop souvent, ils se heurtent à des règles de résidence fiscale complexes et parfois même contradictoires. Cette incertitude alimente les incompréhensions, et surtout un sentiment d'éloignement par rapport à l'administration fiscale française et, in fine, par rapport à la France.

La modernisation de nos conventions contribue donc à restaurer cette confiance, même si, au-delà de la signature de celles-ci, il faudra surveiller leur application, comme l'a très justement rappelé notre collègue Évelyne Renaud-Garabedian.

Aussi me semble-t-il important, à ce stade, de revenir sur ce que sont les conventions fiscales : des traités internationaux visant à éviter que les contribuables ne soient imposés deux fois pour un même revenu par deux pays différents, mais aussi des instruments de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Or, il y a quelques jours, l'Assemblée nationale a failli adopter un amendement du président de la commission des finances visant à instaurer un impôt universel dit « ciblé », c'est-à-dire un impôt dû non pas parce qu'une personne perçoit des revenus de source française, mais uniquement parce qu'elle est française.

Présenté comme un outil de lutte contre l'exil fiscal et visant les personnes aux revenus supérieurs à 230 000 euros par an, cet amendement est un exemple de la caricature que subissent en permanence les Français de l'étranger, encore trop souvent perçus comme des exilés fiscaux, mais révèle aussi un refus de voir le monde tel qu'il fonctionne.

Ce n'est pas parce qu'un Français est parti vivre dans un pays où l'imposition est inférieure qu'il a forcément déménagé pour des raisons fiscales. Choisir un pays, c'est épouser non pas sa fiscalité, mais plutôt son conjoint qui en est originaire ou sa culture dont on souhaite s'imprégner ; c'est encore rechercher une expérience professionnelle différente.

Des mesures de ce genre sont désormais examinées tous les ans à l'Assemblée nationale. Cela n'aurait rien d'inquiétant si, d'année en année, les députés ne manifestaient pas à leur égard une adhésion croissante. Ainsi, l'amendement précité, qui a été rejeté à une voix près, a reçu le soutien massif des groupes La France insoumise (LFI) et Rassemblement national (RN).

Si le débat sur la juste répartition de l'effort fiscal en France est tout à fait légitime, il ne doit pas tomber dans les mauvais clichés, alors que ce sont précisément les conventions fiscales qui permettent de bâtir une fiscalité internationale fondée sur la coopération, la transparence et la solidarité.

En actualisant la définition de la résidence fiscale, en harmonisant les critères d'imposition et en renforçant les procédures amiables entre administrations, ces accords rendent le cadre fiscal plus lisible pour les Français de l'étranger, plus prévisible et donc plus juste. Ils apportent une sécurité juridique indispensable.

Vous l'aurez compris, le groupe RDSE votera en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte à première vue technique, mais dont les enjeux sont, en réalité, profondément politiques et stratégiques : le projet de loi autorisant l'approbation de deux conventions fiscales, l'une avec la Finlande, l'autre avec la Suède.

Ces deux accords ont en commun une même ambition : une fiscalité internationale plus juste, plus moderne et plus coopérative, afin de lutter efficacement contre la fraude et l'évasion fiscales.

Depuis sa création, notre famille politique défend cette idée simple : une Europe forte, c'est une Europe qui protège, y compris contre l'injustice fiscale.

La convention signée le 4 avril 2023 entre la France et la Finlande remplace un accord datant de 1970. Depuis un demi-siècle, les pratiques ont évolué, les failles se sont creusées, les modèles économiques se sont digitalisés et les montages fiscaux se sont complexifiés.

Il était donc temps d'actualiser notre cadre juridique pour le mettre en cohérence avec les derniers standards de l'OCDE, notamment avec les principes du projet Beps visant à empêcher l'érosion des bases fiscales et le transfert artificiel des bénéfices.

Le nouvel accord franco-finlandais modernise la définition de la résidence fiscale et de l'établissement stable, garantit que la double imposition soit évitée sans tomber dans la non-imposition, encadre les prix de transfert et, surtout, introduit de robustes clauses anti-abus.

Il met également fin à une anomalie ancienne : l'exonération totale de retenue à la source sur les dividendes, qui favorisait des montages d'arbitrage de dividendes – les fameux CumCum externes –, contre lesquels nous avons lutté avec notre collègue Nathalie Goulet et la commission des finances.

L'avenant signé avec la Suède en mai 2023 poursuit la même philosophie. Là encore, il s'agit d'intégrer les standards internationaux issus de la convention multilatérale de l'OCDE.

Concrètement, l'avenant renforce les garanties pour les contribuables en élargissant les procédures amiables de règlement des différends, et introduit une clause générale anti-abus permettant de refuser les avantages conventionnels en cas de montage artificiel.

Désormais, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est un objectif explicite, inscrit noir sur blanc. C'est une avancée juridique, mais aussi symbolique : nous affirmons que la loyauté fiscale est une composante de la loyauté européenne.

Mes chers collègues, ces textes traduisent une réalité essentielle : la fiscalité n'est plus un sujet strictement national. À l'heure où les entreprises opèrent sans frontières et où les flux financiers circulent de manière instantanée, seule une coopération internationale solide peut garantir une équité fiscale.

Harmoniser nos règles avec nos voisins, c'est renforcer notre souveraineté en la rendant efficace et crédible face à la mondialisation.

Les conventions que nous nous apprêtons à approuver ne se limitent pas à éviter les doubles impositions. Elles instaurent un climat de confiance réciproque entre administrations, favorisent les investissements multilatéraux, et donnent de la prévisibilité, en particulier à nos petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui se développent à l'international.

Elles illustrent cette diplomatie économique et la notion de justice fiscale internationale, auxquelles la France est attachée.

Notre groupe votera naturellement pour ce projet de loi d'approbation de ces deux conventions parce qu'il modernise, parce qu'il protège, et parce qu'il renforce la coopération entre démocraties fiscales européennes. Je salue le travail du Gouvernement, qui a permis d'aboutir à ces deux textes en faveur d'une fiscalité internationale plus juste, plus efficace, et plus protectrice de nos intérêts nationaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Marc Laménie et Laurent Somon applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier Mme la rapporteure, Vanina Paoli-Gagin, pour son travail de qualité sur ce texte.

Nous examinons en cette fin d'après-midi un projet de loi permettant l'entrée en vigueur de deux conventions fiscales. En effet, en application de l'article 53 de la Constitution, l'entrée en vigueur des traités et de certains accords internationaux est soumise à l'accord du Parlement.

S'articulant autour de deux articles, ce projet de loi a d'abord pour objectif d'autoriser l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales. Mme la ministre nous a indiqué le nombre de personnes concernées : 700 retraités finlandais demeurent en France, alors que peu de Français sont déclarés retraités en Finlande.

Pour l'anecdote, je voyage très peu et la Finlande est l'un des rares pays que je connaisse pour l'avoir visité en 1981. Comme je m'intéresse au ferroviaire, j'avais voyagé en train entre Helsinki et Rovaniemi, sur le cercle polaire arctique. Aussi cette discussion m'évoque-t-elle des souvenirs … (Sourires.)

Ce projet de loi vise ensuite à autoriser l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

Le Sénat est saisi de ce projet de loi avant l'Assemblée nationale.

J'aborderai tout d'abord la nouvelle convention fiscale entre la France et la Finlande. La convention initiale franco-finlandaise, qui remonte à 1970, n'apparaît plus aujourd'hui en conformité avec la pratique conventionnelle française et ne répond plus aux derniers standards internationaux. La nouvelle convention du 4 avril 2023 vise donc à remédier à cette situation.

En premier lieu, je me réjouis que cet accord intègre les derniers standards de l'OCDE. Il prévoit ainsi une définition de l'établissement stable respectant le modèle de cette organisation. Il comprend également des clauses anti-abus et de coopération fiscale. Il redéfinit enfin le partage des droits d'imposition entre la France et la Finlande sur plusieurs types de revenus.

En second lieu, je me félicite que la nouvelle convention fiscale franco-finlandaise comprenne les éléments relevant de la pratique conventionnelle de chacun des États parties. Elle satisfait ainsi une demande forte de la Finlande concernant le partage d'imposition des pensions privées, principal point d'achoppement lors des négociations. Elle répond aussi à la volonté de la France d'introduire une imposition sur les dividendes dans le but de prévenir tout risque de montage abusif, tel que les arbitrages de dividendes.

Je suis heureux que, lors des discussions, tout écueil ait pu être évité et que nous soyons parvenus à des concessions réciproques. Ce travail en commun entre États est important pour le monde économique et les entreprises.

J'en viens maintenant à l'avenant franco-suédois du 22 mai 2023. Celui-ci découle du choix fait par la Suède de modifier ses conventions fiscales bilatérales au moyen d'avenants. Il a pour objectif d'inclure dans la convention bilatérale du 27 novembre 1990 les apports de l'instrument multilatéral de l'OCDE.

La convention fiscale bilatérale franco-finlandaise du 4 avril 2023 et l'avenant du 22 mai 2023 à la convention fiscale franco-suédoise du 27 novembre 1990 semblent présenter un certain équilibre et ne soulèvent aucune difficulté particulière. Notre groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc unanimement en faveur du projet de loi permettant l'entrée en vigueur de ces deux accords internationaux en matière fiscale. (Mme Sophie Briante Guillemont applaudit.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume de suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune
Article 2 (début)

Article 1er

Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales (ensemble un protocole), signée à Helsinki le 4 avril 2023, et dont le texte est annexé à la présente loi – (Adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune
Article 2 (fin)

Article 2

Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signé à Stockholm le 22 mai 2023, et dont le texte est annexé à la présente loi – (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

(Le projet de loi est adopté.)

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Finlande pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, et l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune
 

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire
Article 1er

Renforcer la lutte contre la fraude bancaire

Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire (proposition n° 496 [2024-2025], texte de la commission n° 55, rapport n° 54).

La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne Le Hénanff, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement salue la qualité de vos travaux et l'esprit de responsabilité qui a animé vos échanges.

Par un vote à l'unanimité intervenu mercredi 22 octobre dernier en commission des finances, le Sénat a su démontrer qu'il est possible, sur un sujet aussi essentiel que la lutte contre la fraude bancaire, de conjuguer exigence, cohérence et unité.

Ce texte, déposé par le député Daniel Labaronne et enrichi ici au Sénat par la rapporteure Nathalie Goulet, trouve un juste équilibre entre efficacité opérationnelle et protection des droits des usagers. Il dote nos établissements bancaires et nos autorités de nouveaux leviers d'action, sans jamais compromettre la confiance, cette confiance qui demeure, dans le monde des transactions financières, la première des sécurités.

La fraude progresse à l'ère du numérique : ses auteurs se professionnalisent et les modes opératoires se diversifient. Mais le numérique est aussi un atout : il nous offre les moyens d'être plus rapides, plus coordonnés, plus efficaces. C'est tout l'intérêt du fichier national des comptes signalés pour risque de fraude, qui permettra de bloquer plus vite les virements suspects et de renforcer la coopération entre acteurs publics et privés, sous le contrôle rigoureux de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et de la Banque de France.

Au niveau européen, la France s'engagera pleinement dans la mise en œuvre de la directive du 31 mai 2024, qui prévoit, d'ici à 2029, un système d'interconnexion des registres bancaires nationaux. Ce dispositif favorisera l'échange d'informations tout en garantissant la protection des données et la souveraineté des États membres.

Le texte qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit dans une politique globale de lutte contre la fraude : la loi Cazenave du 30 juin 2025 renforce les outils de lutte contre la fraude aux aides publiques ; le projet de loi relatif à la lutte les fraudes sociales et fiscales, examiné à partir du 12 novembre prochain ici même, viendra muscler encore les capacités d'enquête et de sanction ; enfin, la proposition de loi de la sénatrice Nathalie Goulet sur la délinquance financière prolongera cette dynamique.

J'ajoute que la révision en cours de la directive européenne sur les services de paiement aboutira également à accroître significativement les outils de lutte contre la fraude aux paiements qui sont à disposition des banques. La France en a fait sa priorité dans le cadre de ces négociations.

Mais la prévention passe aussi par la pédagogie. Le Gouvernement soutient les campagnes de sensibilisation menées par la Banque de France, l'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement et la profession bancaire pour rappeler les bons réflexes : ne jamais divulguer ses codes, vérifier l'authenticité des messages, signaler toute opération suspecte.

Le Gouvernement appelle donc à un vote conforme afin de permettre une mise en œuvre rapide de ces dispositifs attendus par les Français.

Nous partageons la même exigence : protéger nos concitoyens, sécuriser leurs paiements et renforcer la confiance dans notre système bancaire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Bitz, et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est dommage que nous ne soyons pas plus nombreux en séance aujourd'hui car le sujet est très important. en effet, la question qui se pose aujourd'hui est non pas de savoir si vos comptes seront piratés, mais quand ils le seront. Je vous encourage donc à vous pencher avec intérêt sur ce texte, qui apporte des solutions.

Nous allons voter cette proposition de loi, qui a été examinée suivant la procédure de législature en commission (LEC). Il s'agit de lutter contre la fraude aux moyens de paiement. Celle-ci a représenté 1,2 milliard d'euros en 2023. Dans cette masse, la fraude aux paiements Sepa (Single Euro Payments Area) et la fraude aux chèques représentent un montant annuel estimé à 698 millions d'euros.

Le texte couvre par conséquent 58 % des montants annuels de fraude. Nous pouvons espérer que son adoption donnera aux prestataires de services de paiement des armes efficaces pour endiguer ce phénomène.

Sur le plan technologique, les schémas de fraude sont en constante évolution. Il y a fort à craindre que le perfectionnement de l'intelligence artificielle générative, en particulier les technologies d'imitation de la voix, mais aussi de manipulation de l'image, n'entraîne d'autres types de fraudes.

La mesure principale prévue par la proposition de loi est la création d'un fichier national des comptes signalés pour risque de fraude, qui permettra de fluidifier les échanges d'informations entre les prestataires de services de paiement, de manière à identifier le plus vite possible les comptes suspects et à procéder à leur fermeture.

Dans l'hypothèse où l'on souhaiterait prolonger les mesures adoptées dans ce texte, il faudrait sérieusement envisager, madame la ministre, comme nous l'avons dit en commission, des mesures pour prévenir les usurpations d'identité, ainsi que pour améliorer la gestion du fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), notamment pour les procédures d'ouverture de compte. Vous vous souvenez que nous avions évoqué un système de push qui permettrait de prévenir lorsqu'un compte est ouvert à notre nom, comme cela existe pour les cartes bancaires, où l'on reçoit un texto indiquant qu'un paiement mérite notre attention.

Il s'agit d'éviter des usurpations d'identité qui servent à ouvrir des comptes en votre nom, ce dont vous n'êtes évidemment pas informé. Au moment où vous l'êtes, il est beaucoup trop tard.

Ce texte ne pose donc pas de difficultés. La proposition de loi qui nous a été transmise couvre l'ensemble du champ de la fraude aux prélèvements et de la fraude aux virements.

Madame la ministre, il me reste un peu de temps pour vous dire, comme le rapporteur général de la commission des finances lors du passage du texte en commission, que ce « saucissonnage » des textes crée beaucoup de confusion et rend les choses illisibles. Les espaces de discussion parlementaire consacrés à la lutte contre la fraude sont extrêmement restreints, alors qu'il s'agit d'un sujet absolument essentiel.

J'espère que nous pourrons amender, si l'article 45 de la Constitution est interprété de façon suffisamment large, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, qui sera examiné au Sénat le 12 novembre prochain. Ma modeste proposition de loi, déposée sur mon initiative et sur celle de Raphaël Daubet, qui doit être discutée ici le 5 novembre, pourrait d'ailleurs utilement servir d'amendement au texte du Gouvernement.

Très franchement, nous souhaitons avoir, après le budget, un espace suffisamment large pour discuter d'un texte ambitieux sur la lutte contre la fraude fiscale. Je l'ai dit tout à l'heure lors des questions d'actualité au Gouvernement : taxer les entreprises, surtaxer les personnes physiques et ne pas lutter contre la fraude constitue, à mon sens, une incohérence à laquelle il va falloir remédier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire
Article 1er bis

Article 1er

(Conforme)

I. – Après l'article L. 521-6 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 521-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 521-6-1. – I. – Afin d'améliorer la prévention, la recherche et la détection de la fraude en matière de paiements, un fichier national recense les informations permettant d'identifier les comptes de paiement et les comptes de dépôt que les prestataires de services de paiement définis à l'article L. 521-1 établis ou exerçant en France, à l'exception des prestataires de services d'information sur les comptes et des établissements de paiement fournissant exclusivement un service d'initiation de paiement, estiment susceptibles d'être frauduleux en se fondant notamment sur les analyses réalisées dans le cadre de leurs dispositifs internes de lutte contre la fraude.

« Ce fichier comprend en outre les éléments caractérisant la fraude ou la suspicion de fraude.

« Il est géré par la Banque de France.

« II. – Les prestataires de services de paiement sont responsables de la fourniture des données prévues au I du présent article. Ils les déclarent sous leur seule responsabilité et procèdent sans délai aux déclarations correctives lorsque les raisons de soupçonner la fraude disparaissent. Les frais afférents à ces déclarations ne peuvent être directement ou indirectement facturés aux clients concernés.

« Les instances locales du fichier utilisées, le cas échéant, par les prestataires de services de paiement pour récupérer les informations contenues dans le fichier géré par la Banque de France sont de la responsabilité pleine et entière de ces établissements.

« Lorsqu'ils disposent d'un faisceau d'indices suggérant qu'un compte ayant fait l'objet d'une déclaration a été ouvert dans les conditions mentionnées à l'article 226-4-1 du code pénal, les prestataires de services de paiement actualisent immédiatement le fichier.

« II bis A. – Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales peuvent signaler au gestionnaire du fichier les comptes qu'elles estiment susceptibles d'être frauduleux.

« Sous réserve de ses propres contrôles, le gestionnaire du fichier procède à l'inscription de ces comptes dans le fichier.

« II bis. – L'inscription des informations relatives à un compte dans le fichier n'emporte pas d'interdiction de réaliser des opérations de paiement impliquant ce compte. Elle ne peut justifier à elle seule la résiliation du contrat-cadre de services de paiement ou de la convention de compte de dépôt par le prestataire de services de paiement teneur du compte déclaré.

« Lorsqu'un compte figure dans le fichier, le prestataire de services de paiement chargé de la tenue de ce compte effectue sans délai l'ensemble des diligences visant à évaluer son caractère frauduleux.

« III. – Il est interdit à la Banque de France et aux prestataires de services de paiement de remettre à quiconque copie des informations contenues dans le fichier.

« La Banque de France est déliée du secret professionnel pour la divulgation des informations contenues dans le fichier dans les cas prévus au présent article.

« IV. – Un arrêté du ministre chargé de l'économie, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, définit les modalités de collecte, d'enregistrement, de conservation et de consultation des données ainsi que la liste des informations mentionnées au présent article.

« V. – Les tarifs liés à la mise en place et au fonctionnement du dispositif sont fixés par un arrêté du ministre chargé de l'économie pris après avis de la Banque de France. Ces tarifs, acquittés par les prestataires de services de paiement, sont fixés de manière à couvrir l'intégralité des coûts du dispositif. »

II. – À la première phrase de l'article L. 521-7 du code monétaire et financier, les mots : « et L. 521-6 » sont remplacés par les mots : « à L. 521-6-1 ».

III. – Le présent article entre en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.

Article 1er
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Article 2

Article 1er bis

(Conforme)

L'avant-dernier alinéa du I de l'article L. 141-4 du code monétaire et financier est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce rapport présente notamment des indicateurs permettant d'apprécier la performance du fichier national défini à l'article L. 521-6-1. »

Article 1er bis
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Article 3

Article 2

(Conforme)

L'article L. 131-84 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Les deux premières occurrences du mot : « ou » sont remplacées par le signe : « , » ;

2° Après la dernière occurrence du mot : « chèque », sont insérés les mots : « , qui a rejeté un chèque pour falsification ou contrefaçon ou qui a pris connaissance de la falsification ou de la contrefaçon de chèques ou de formules de chèque » ;

3° Après le mot : « avise », sont insérés les mots : « , dans les meilleurs délais, » ;

4° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret précise les modalités, les conditions et les délais dans lesquels le tiré avise la Banque de France. »

Article 2
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Article 4 (début)

Article 3

(Conforme)

L'article L. 131-86 du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° La seconde phrase est supprimée ;

2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Elle assure également l'information du banquier qui, lors de la présentation du chèque au paiement, souhaite vérifier la régularité, au regard du présent chapitre, de l'émission de ce chèque.

« L'origine de ces demandes d'information donne lieu à enregistrement. »

Article 3
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Article 4 (fin)

Article 4

(Conforme)

Le livre VII du code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Le tableau du second alinéa du I des articles L. 732-2, L. 733-2 et L. 734-2 est ainsi modifié :

a) La dix-huitième ligne est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :

 

« 

L. 131-80 à L. 131-83

la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005

L. 131-84

la loi n° … du …

 » ;

 

b) La vingtième ligne est ainsi rédigée :

 

« 

L. 131-86

la loi n° … du …

 » ;

 

2° La neuvième ligne du tableau du second alinéa du I des articles L. 773-21, L. 774-21 et L. 775-15 est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :

 

« 

L. 521-6

l'ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018

L. 521-6-1 et L. 521-7

la loi n° … du …

 » ;

 

3° Après le 3° du II des articles L. 773-21 et L. 774-21, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis L'article L. 521-6-1 est ainsi modifié :

« a) Le dernier alinéa du I est complété par les mots : “pour le compte de l'Institut d'émission d'outre-mer” ;

« b) Au deuxième alinéa du II, après le mot : “France”, sont insérés les mots : “pour le compte de l'Institut d'émission d'outre-mer” ;

« c) Le III est ainsi modifié :

« – au premier alinéa, après le mot : “France”, sont insérés les mots : “à l'Institut d'émission d'outre-mer” ;

« – au second alinéa, les mots : “est déliée” sont remplacés par les mots : “et l'Institut d'émission d'outre-mer sont déliés” ;

« d) La première phrase du V est complétée par les mots : “et de l'Institut d'émission d'outre-mer” ; »

4° Le 3° de l'article L. 775-15 est ainsi rétabli :

« 3° L'article L. 521-6-1 est ainsi modifié :

« a) Le dernier alinéa du I est complété par les mots : “pour le compte de l'Institut d'émission d'outre-mer” ;

« b) Au deuxième alinéa du II, après le mot : “France”, sont insérés les mots : “pour le compte de l'Institut d'émission d'outre-mer” ;

« c) Le III est ainsi modifié :

« – au premier alinéa, après le mot : “France”, sont insérés les mots : “, à l'Institut d'émission d'outre-mer” ;

« – au second alinéa, les mots : “est déliée” sont remplacés par les mots : “et l'Institut d'émission d'outre-mer sont déliés” ;

« d) La première phrase du V est complétée par les mots : “et de l'Institut d'émission d'outre-mer” ; ».

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission, l'ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à M. Stéphane Fouassin, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Stéphane Fouassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi s'attaque à un fléau moderne : la fraude aux paiements électroniques, qui touche chaque année des centaines de milliers de nos concitoyens et fragilise la confiance dans nos institutions financières.

Derrière ce sujet, il y a un enjeu colossal : près de 600 millions d'euros de fraudes recensés en 2024, dont la quasi-totalité sur les paiements par carte. Dans un monde où la monnaie circule à la vitesse d'un clic, la fraude, elle, n'a visiblement pas besoin de visa.

Les chiffres sont parlants : les transactions scripturales représentent plus de 17 000 milliards d'euros sur un semestre, avec une explosion des virements instantanés et des paiements sans contact. Ces innovations, qui simplifient la vie des consommateurs, sont aussi devenues un terrain de jeu pour les fraudeurs, qui rivalisent d'ingéniosité pour contourner les dispositifs de sécurité.

C'est dans ce contexte que s'inscrit cette proposition de loi, déposée par notre collègue Daniel Labaronne, et adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Elle prolonge le travail engagé dans le cadre du plan de lutte contre la fraude sociale, fiscale et douanière, lancé par Gabriel Attal et consolidé par Thomas Cazenave.

L'objectif est clair : renforcer notre arsenal de détection et de prévention, sans alourdir les démarches pour les citoyens ou les acteurs économiques.

Première avancée : la création d'un fichier national de partage des Iban douteux, géré par la Banque de France. Ce dispositif permettra aux établissements bancaires, à la Caisse des dépôts et consignations, au Trésor public et même aux Urssaf de croiser les informations et d'identifier plus rapidement les comptes frauduleux. Il permettra de bloquer les transactions suspectes avant qu'elles ne se traduisent par des pertes.

On dit souvent que l'argent n'a pas d'odeur : désormais, il aura au moins une empreinte Iban.

Deuxièmement, le texte renforce la lutte contre la falsification et la contrefaçon de chèques. C'est un sujet que certains pensaient derrière nous, mais qui, malheureusement, continue de coûter cher. En donnant enfin un fondement législatif au fichier national des chèques irréguliers (FNCI), nous comblons une lacune qui datait de 1992.

Troisièmement, le texte modernise la consultation du FNCI et l'étend à l'ensemble des établissements bancaires, tout en garantissant la protection des données personnelles – un équilibre que notre groupe juge essentiel.

Mes chers collègues, au-delà de ces mesures, cette proposition de loi illustre parfaitement l'esprit du plan antifraude lancé par le Gouvernement : agir partout, sans excès, mais sans faiblesse, et adapter nos outils à l'économie numérique.

C'est un texte de prévention et de confiance, plus que de sanction. En sécurisant les paiements, il protège nos concitoyens. En modernisant nos outils, il protège nos institutions. En favorisant la coopération entre acteurs publics et privés, il protège l'argent public, celui de tous les Français.

C'est pourquoi le groupe RDPI, tout en saluant la qualité du travail mené par Mme la rapporteure et l'esprit de consensus qui a prévalu en commission, votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Olivier Bitz et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets qui dépassent nos clivages politiques : la lutte contre la fraude bancaire en fait partie. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée par le député Daniel Labaronne, s'inscrit dans la continuité des textes récents sur ce sujet. Elle vise à renforcer la protection des usagers et la sécurité de nos transactions.

En 2023, le montant total des fraudes s'est élevé à 1,2 milliard d'euros, dont près de 334 millions liés à la fraude aux prélèvements Sepa et 364 millions liés à la fraude aux chèques, soit les deux formes de fraude que l'auteur de cette proposition de loi entend endiguer.

Le virement, qui représente aujourd'hui près de 90 % des transactions en valeur dans notre pays, devient un terrain privilégié pour les escrocs. En moyenne, chaque virement frauduleux représente plus de 3 000 euros de préjudice.

Derrière ces chiffres, il y a des milliers de victimes, souvent démunies face à des escroqueries toujours plus sophistiquées. Les fraudes minent la confiance dans les moyens de paiement et fragilisent le lien entre les citoyens et leur banque.

Nous partageons donc l'objectif de cette proposition de loi : renforcer la prévention, la détection et la réaction face à la fraude pour mieux protéger les particuliers comme les finances publiques.

Ce texte, très opérationnel, comporte quatre articles.

L'article 1er crée un fichier national des Iban douteux, géré par la Banque de France. Celui-ci recensera les comptes que les établissements de paiement estiment susceptibles d'être utilisés à des fins frauduleuses.

En dépit d'une obligation d'authentification forte, les fraudes aux virements et aux prélèvements demeurent massives et variées. L'objectif est de mieux repérer les circuits et d'empêcher les virements vers des comptes déjà identifiés comme problématiques. Ce dispositif, qui a fait l'objet d'une expérimentation préalable, devrait contribuer à une réduction significative des fraudes.

Le groupe socialiste approuve cette approche, mais souligne l'importance de prévoir des garanties pour les usagers, afin qu'il n'y ait pas de répercussions négatives pour le détenteur d'un compte suspecté à tort d'être frauduleux.

Les articles 2 et 3 étendent le champ du FNCI pour y inclure explicitement les chèques falsifiés ou contrefaits et ouvrent la possibilité pour les banques de le consulter dès la remise d'un chèque.

Enfin, l'article 4 assure la coordination outre-mer, en intégrant l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) au dispositif.

Comme l'a souligné la rapporteure Nathalie Goulet, ces mesures, si elles sont bienvenues, demeurent insuffisantes.

Elles devront être complétées par des initiatives complémentaires, compte tenu de la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude aux moyens de paiement, et notamment la fraude liée au piratage des données personnelles.

Les techniques se perfectionnent, les schémas se renouvellent, les données circulent à grande vitesse. Face à cette évolution constante, il nous faut une vision d'ensemble, une réponse systémique qui dépasse les seules adaptations techniques.

En conclusion, cette proposition de loi, technique mais utile, ne révolutionne pas le droit, mais elle renforce la protection des consommateurs et la traçabilité des paiements, sans alourdir les charges publiques.

Elle traduit aussi une conception de la justice économique : sécuriser les moyens de paiement, c'est protéger les citoyens ordinaires face aux escroqueries, mais aussi préserver les ressources publiques, trop souvent détournées par des moyens frauduleux.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, votera donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Mikaele Kulimoetoke, Marc Laménie et Christian Bilhac applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous des personnes confrontées à ce scénario bien connu : un appel, un courriel ou un message alarmant ; un artisan pressé d'obtenir un virement, ou un conseiller bancaire trop insistant. Parfois, un instant d'inattention suffit, la confiance vacille, et hop ! le compte s'envole.

La fraude aux moyens de paiement n'est pas un accident du système financier : elle en est le produit. À chaque transformation de la monnaie, elle prend la forme de son époque.

D'abord matérielle, quand la valeur avait corps : on frappait de fausses pièces, on imprimait de faux billets. Puis formelle, quand la monnaie devint écriture : on falsifiait la preuve, la signature, le mandat.

Avec la dématérialisation, elle devint technique : piratage, duplication, intrusion dans les flux. Et aujourd'hui, dans l'économie numérique, la fraude est devenue relationnelle : elle vise non plus la monnaie, mais la confiance elle-même.

Chaque progrès dans la sécurité engendre sa propre vulnérabilité, comme si, à mesure que la technique protégeait la valeur, elle fragilisait la relation. Les chiffres sont clairs : 1,2 milliard d'euros de fraude au premier semestre 2024, dont un tiers sont des manipulations du payeur, autrement dit des opérations que la victime effectue elle-même sous influence psychologique.

Cette évolution, nous le croyons, nourrit un phénomène de défiduciarisation : autrement dit, une perte de confiance dans les échanges eux-mêmes et dans ceux qui en sont les garants.

Parfois, c'est l'institution qu'on ne croit plus capable d'assurer la sécurité ; parfois, c'est un proche victime que l'on juge imprudent au point de lui retirer la gestion de son compte.

La fraude pose alors une question fondamentale : qui produit la confiance ?

Selon notre groupe, ce pouvoir s'est déplacé : de la collectivité vers les opérateurs privés, et, au bout de la chaîne, vers l'usager lui-même. Dans ce mouvement, les établissements de crédit et les prestataires de services de paiement ont trouvé, comme toujours, de nouveaux segments de rentabilité : assurances antifraude, services premium, outils de vigilance payants.

Dès lors, le marché a intérêt non pas à éliminer la fraude, mais à la maintenir dans des proportions gérables : juste assez pour qu'elle suscite la peur, et donc la demande de sécurité.

La conséquence est claire : il ne peut exister de coopération aboutie entre acteurs privés en matière de fraude.

C'est cette faille que vient partiellement combler la proposition de loi.

L'article 1er crée un fichier national des comptes de paiement et de dépôt frauduleux, géré par la Banque de France, afin de centraliser les signalements émis par les prestataires de services de paiement. Autrement dit, ce fichier ouvre une coordination publique dans un espace de concurrence privée ou, pour le dire plus simplement, l'État fait son travail quand le marché ne fait pas le sien.

Ce texte ne saurait masquer une réalité plus large : la fraude n'est pas seulement le fait des escrocs ; elle est aussi celle du système bancaire lui-même. Si la fraude aux paiements ruine des particuliers, la fraude aux non-paiements, et je pense au scandale des CumCum et CumEx, ruine les États.

Ces opérations, qui privent le Trésor public de l'impôt sur les dividendes, ont coûté en vingt-cinq ans à l'Europe 140 milliards d'euros, dont 33 milliards à la France.

Nous y voyons la même logique à l'œuvre : celle d'un capital qui contourne la confiance quand elle rapporte, et la socialise quand elle lui coûte.

C'est pourquoi nous resterons attentifs à deux points : que le coût du dispositif ne soit pas reporté sur les clients et que la Cnil conserve toute sa compétence pour garantir la protection et la transparence du fichier.

Puisqu'il faut une maxime pour conclure, rappelons celle, éprouvée, qui résume notre position : la confiance n'exclut pas le contrôle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Blanc, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Grégory Blanc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fraude aux moyens de paiement représente aujourd'hui un préjudice de plus d'un milliard d'euros. Elle concerne autant les particuliers que les professionnels. Si certaines formes de fraude, notamment sur les cartes bancaires, ont reculé, celles qui touchent les virements ou les chèques continuent d'évoluer et d'inquiéter.

Nous sommes donc favorables à ce texte utile et attendu par les milieux bancaires et les particuliers. Il apportera des améliorations concrètes à l'arsenal dont notre pays doit se doter pour lutter contre tous les types de fraude.

Comme la rapporteure avant moi, je regrette une forme de « saucissonnage » – le terme est certainement le plus approprié et pourrait faire florès tant le problème est récurrent. Nous discutons aujourd'hui de ce texte, nous en examinerons un autre la semaine prochaine puis viendra le grand projet de loi porté par le Gouvernement, sur lequel je reviendrai en conclusion : voilà l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire pour produire un travail de qualité.

Il faut évidemment que nous soyons capables de mener sur le sujet des fraudes sociales et fiscales un travail complet, solide et étayé, à la lumière de ce que nous avons su produire collectivement dans le cadre de la commission d'enquête sur la délinquance financière.

Un travail de mise en cohérence doit donc être réalisé : si l'on veut lutter contre la fraude, il nous faut à l'évidence réfléchir aux moyens que nous lui consacrons – moyens financiers et juridiques, mais aussi effectifs de police – et surtout rénover notre infrastructure judiciaire, ce qui requiert un texte gouvernemental complet et solide. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas ; nous chercherons donc à l'améliorer, lors de son examen dans quelques semaines.

En attendant, il nous revient ce soir de nous prononcer sur un texte de cinq articles, qui aménagent plusieurs dispositions de manière à régler quelques difficultés pratiques rencontrées par les banques et leurs clients.

Ainsi, la création d'un fichier national des comptes signalés pour risque de fraude, qui sera géré par la Banque de France, constitue une avancée importante. Ce fichier permettra d'identifier plus rapidement les Iban douteux et de bloquer les opérations suspectes avant qu'elles ne causent des dommages.

De même, la systématisation du signalement des chèques falsifiés ou contrefaits, ainsi que l'ouverture aux établissements bancaires du fichier national des chèques irréguliers renforceront la sécurité de ces moyens de paiement encore très utilisés.

Je veux saluer le travail sérieux mené par la commission des finances et sa rapporteure, Nathalie Goulet, qui a su préserver l'équilibre du texte tout en veillant à sa cohérence avec le cadre européen.

Pour autant, cette proposition de loi ne répond pas à toutes nos questions.

Ainsi, nous restons préoccupés par la situation des consommateurs victimes d'arnaques par contrainte ou tromperie, qui sont souvent laissés dans une impasse juridique.

Il faudra également veiller, madame la ministre, à bien profiler le futur fichier national des comptes signalés, qui doit être interopérable avec les dispositifs européens de lutte contre la fraude ; il importe que seules les informations strictement nécessaires soient collectées.

Je conclurai en soulignant que cette proposition de loi est nécessaire, simple et pragmatique. Elle s'inscrit dans un mouvement européen de sécurisation des paiements à des fins de lutte contre la fraude et le blanchiment. Elle renforce la protection des usagers, tout en modernisant les outils des établissements bancaires.

C'est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Olivier Bitz et Marc Laménie applaudissent également.)

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, parmi toutes les formes de fraude, la fraude bancaire est sans doute celle qui inquiète le plus nos concitoyens. Qui parmi nous n'a pas un proche, un voisin ou un parent qui s'est un jour fait piéger par un faux message de sa banque ?

Hier encore, je recevais un SMS m'informant d'un paiement de 650,99 euros sur ma carte Visa de la Banque postale. Or je n'ai pas de carte Visa à la Banque postale…

Ces fraudeurs savent se rendre crédibles et parviennent ainsi à soutirer des sommes considérables – parfois plusieurs milliers d'euros – à des clients souvent désemparés.

Personne n'est à l'abri : ni les personnes âgées, ni les jeunes actifs, ni même les entrepreneurs, car les méthodes évoluent à grande vitesse. Les fraudeurs utilisent des mises en scène de plus en plus réalistes, profitant de la masse considérable de données personnelles qu'ils récupèrent, souvent sans que nous en ayons conscience.

Fraude à la carte, fraude au virement, fraude au chèque : toutes les failles sont exploitées, laissant derrière elles des victimes parfois ruinées, souvent en colère, et toujours dans l'attente d'une réponse efficace.

Certes, la régulation européenne s'est renforcée. Mais, malgré ces efforts, les chiffres continuent d'augmenter : en 2024, le nombre d'opérations frauduleuses a grimpé de 9,3 % ; 7,8 millions de transactions sont concernées.

C'est la preuve qu'il reste des trous dans la raquette et que notre droit doit évoluer, notamment pour une détection plus précoce des tentatives de fraude.

L'échange de données entre établissements de paiement, qu'il s'agisse des banques traditionnelles, des néo-banques ou des plateformes de cryptomonnaies, et autorités de contrôle est donc un levier essentiel.

À ce titre, le groupe du RDSE soutient les principales avancées de ce texte : la création, à l'article 1er, d'un fichier des Iban frauduleux, géré par la Banque de France, et le renforcement du fichier national des chèques irréguliers, prévu à l'article 2.

Cependant, je me permettrai deux remarques.

Premièrement, alors que notre époque veut que nous répondions dans la minute à un SMS et en deux heures à un mail, pourquoi faudrait-il attendre six mois pour que ces mesures entrent en vigueur ? Ne pourrait-on pas un peu accélérer la rédaction des textes réglementaires nécessaires, pour mettre en œuvre plus tôt ces mesures que les Françaises et les Français attendent ?

Deuxièmement, permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, que lorsque j'ai lu que la Banque de France devrait être avisée d'une fraude au chèque « dans les meilleurs délais », je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la fameuse formule du regretté Fernand Raynaud : « Combien de temps le fût du canon met-il pour refroidir ? – Un certain temps ! » (Sourires.)

Nonobstant ces deux petites remarques, le groupe du RDSE votera à l'unanimité en faveur de ce texte, dans l'intérêt des Français et de la sécurité de leur argent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Olivier Bitz, Marc Laménie et Grégory Blanc applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fraude bancaire est aujourd'hui une préoccupation majeure des Français. Selon un baromètre Harris Interactive de 2025, 85 % de nos concitoyens craignent un piratage de leurs données bancaires.

Ce chiffre parle de lui-même : il exprime l'angoisse ressentie face à des pratiques qui touchent directement leur vie quotidienne et leur pouvoir d'achat.

Cette proposition de loi apporte trois avancées concrètes : la création d'un fichier national des Iban frauduleux, centralisé à la Banque de France ; un partage d'informations, structuré via ce fichier, par les prestataires de services de paiement ; enfin, un renforcement de la lutte contre les fraudes aux chèques.

Les fraudes liées aux virements et aux prélèvements Sepa représentaient environ 224 millions d'euros en 2023, sur un total de 1,2 milliard d'euros de fraudes aux moyens de paiement. Les mesures proposées dans ce texte vont donc dans le bon sens, de même que l'action du Gouvernement, laquelle apparaît néanmoins fragmentée.

Il faut le reconnaître : les différents premiers ministres qui se sont succédé ces derniers mois et ces dernières années ont tous affiché une volonté commune d'agir contre la fraude. Mais l'ampleur du phénomène prouve que les résultats restent insuffisants.

Nous sommes engagés dans une guerre de mouvement, où les fraudeurs innovent sans cesse et utilisent des procédés toujours plus sophistiqués, une guerre où, demain, l'intelligence artificielle ne fera qu'accroître la rapidité et l'efficacité de leurs attaques. Si nous ne faisons pas preuve d'anticipation, nous serons condamnés à subir.

Or la multiplication des textes sur le sujet multidimensionnel de la fraude fragilise notre action. Nous avons débattu en avril dernier d'un texte relatif à la fraude aux aides publiques ; le texte d'aujourd'hui porte sur la fraude bancaire ; enfin, nous aurons très bientôt à débattre d'un projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

Chacun de ces textes répond à une préoccupation réelle, mais, pris isolément, ils donnent le sentiment d'une action éclatée, alors que la fraude, elle, ne connaît pas de frontières.

Qu'elle soit fiscale, sociale ou bancaire, elle appelle une stratégie cohérente et globale, et non un empilement de dispositifs sans véritable coordination.

Enfin, rappelons-le, la lutte contre la fraude est avant tout une question de justice : justice fiscale, pour que chacun contribue équitablement ; justice sociale, pour protéger les plus vulnérables.

Notre responsabilité de parlementaires est de garantir l'égalité entre citoyens, de préserver la confiance dans nos institutions économiques et de protéger nos concitoyens face à des pratiques qui minent le lien social.

Le Gouvernement doit nous soumettre un système capable de sanctionner la fraude, mais il doit aussi être en mesure d'anticiper celle-ci, en y consacrant des moyens humains, techniques et budgétaires à la hauteur de l'enjeu. Il est d'ailleurs regrettable, selon mon excellent collègue Michel Canévet, que les sociétés de financement ne soient pas intégrées au dispositif proposé. Pourquoi, madame la ministre, ne pas autoriser les sociétés mères bancaires à transmettre à leurs sociétés filiales de financement les informations pertinentes en matière d'Iban frauduleux ?

Le groupe Union Centriste regrette donc que l'action publique reste trop fragmentée et manque de vision d'ensemble. Néanmoins, il soutient pleinement cette proposition de loi, qui constitue une étape nécessaire, ainsi que l'a rappelé la rapporteure, notre chère collègue Nathalie Goulet, qui se montre, depuis des années, admirable de pugnacité sur tous les sujets liés à la fraude.

Nous voterons évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d'abord saluer le travail mené avec engagement et passion par notre rapporteure, Nathalie Goulet. Il est bon que chacun de nous soit passionné par les sujets qui nous animent ; tout le travail engagé au sein de la commission des finances doit pouvoir aboutir.

Nous examinons ce soir la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire ; ce sujet, malheureusement d'actualité, recouvre autant la question des faux chèques que celle des comptes bancaires frauduleux qui servent aux escroqueries.

Ce texte a été adopté à l'unanimité le 31 mars dernier par l'Assemblée nationale.

Je dois dire, en introduction de cette explication de vote, que je me réjouis que nous ayons eu recours, sur cette proposition de loi, à la procédure de législation en commission. Son examen en commission des finances a eu lieu le 22 octobre dernier, en présence de Mme la ministre. Il me semble que nous devrions nous saisir plus souvent de cet outil procédural, qui nous permet de gagner un temps précieux tout en examinant les textes avec sérieux.

La fraude bancaire est un sujet sur lequel il était devenu nécessaire de légiférer. Certes, la lutte contre les fraudes aux cartes bancaires et aux paiements en ligne est un succès. Nous devons notamment ces réussites à l'évolution des cryptages. En revanche, les arnaques liées aux faux Iban et la fraude sur les chèques sont en forte croissance.

Cette proposition de loi me semble aller dans le bon sens, en prévoyant notamment la création d'un fichier national des Iban douteux, qui sera géré par la Banque de France, en association avec un nombre important de partenaires. L'ensemble des prestataires de service de paiement y auront accès et pourront l'abonder, de même que les Urssaf. Ce partage d'informations utiles permettra d'identifier plus rapidement les comptes de paiement utilisés à des fins frauduleuses.

Dans le même esprit, cette proposition de loi renforce la surveillance du fichier national des chèques irréguliers, ce qui nous permettra de mieux lutter contre ce que nous appelons usuellement les « faux chèques » ou les « chèques en bois ». Nous le savons tous, de nombreux commerçants signalent désormais à leur clientèle qu'ils n'acceptent plus les chèques.

Mes chers collègues, voilà les deux principales avancées que permettra cette proposition de loi. C'est un texte qui est utile – nous ne le nions pas –, mais qui peut apparaître insuffisant.

Je dois vous dire mon regret, qui est partagé avec Mme la rapporteure, de constater qu'on entend lutter contre la fraude par une succession de textes qui s'additionnent sans lien entre eux.

Nous pouvons certes continuer à légiférer de la sorte, en morcelant les enjeux entre divers projets et propositions de loi. Pour la seule année 2025, nous aurons examiné, en avril dernier, la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, ce jour la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire et, le mois prochain, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, sujet lui aussi d'importance. Cette méthode ne semble toutefois pas idéale.

En effet, les fraudes, qu'elles affectent les particuliers ou la puissance publique, ne peuvent exister que parce que nous avons des faiblesses dans notre droit, parce que nos systèmes de détection ne sont pas à jour, ou parce que nous ne communiquons pas toujours bien sur le sujet.

J'espère donc que l'examen prochain du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales nous permettra d'avoir des débats plus complets sur le sujet. Il y va de la confiance que nos concitoyens ont dans nos institutions et du consentement même à l'impôt.

Mes chers collègues, les sénateurs du groupe Les Indépendants voteront unanimement pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Séné, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc Séné. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que j'entame ma première intervention à cette tribune, je souhaiterais avant tout avoir une pensée amicale pour mon prédécesseur, le sénateur André Reichardt, qui a fait montre dans cet hémicycle, quinze ans durant, d'un engagement sans faille au service de la France et de l'Alsace. (Applaudissements.)

Avec la modernisation des moyens de paiement, la fraude bancaire est devenue l'un des défis de notre temps. En 2025, elle n'est plus l'apanage d'individus isolés : c'est désormais un phénomène organisé et sophistiqué.

Cette lame de fond n'est pas sans conséquence : en 2023 le préjudice global qu'elle a engendré s'élève à plus d'un milliard d'euros, et elle affecte aussi bien des particuliers que des entreprises.

Cette réalité, j'en ai malheureusement appréhendé les déclinaisons à la tête de mon agence bancaire : des trésoreries fragilisées, des activités menacées, des familles et des commerçants démunis.

Pour autant, il ne faut pas noircir le tableau, car la modernisation des dispositifs de sécurité et la vigilance des acteurs du secteur produisent des effets tangibles.

Pour ne citer qu'un exemple, la double authentification a largement contribué à faire baisser l'ampleur de la fraude aux paiements en ligne, et le taux de fraude aux cartes bancaires est historiquement bas.

Mais la fraude évolue constamment et, tandis que certains instruments deviennent plus sûrs, d'autres demeurent vulnérables.

Le texte que nous examinons aujourd'hui vise principalement à renforcer la sécurité de deux moyens de paiement.

D'une part, il s'intéresse aux virements bancaires, qui restent sous la menace des faux et des détournements. Un RIB modifié frauduleusement ou un faux mandat de prélèvement Sepa peuvent avoir des conséquences dévastatrices, en permettant aux fraudeurs de détourner des sommes importantes avant que le titulaire du compte ciblé ou sa banque ne s'en aperçoive.

Pour répondre à cette vulnérabilité, le texte crée un fichier national des Iban frauduleux, où seront centralisées les informations sur les comptes à surveiller, ce qui offrira aux établissements la capacité de détecter immédiatement les opérations à risque et de bloquer préventivement les transactions suspectes.

D'autre part, il procède à une modernisation, indispensable, du cadre juridique applicable aux paiements par chèque.

S'il est de moins en moins utilisé, le chèque représente pourtant encore 30 % en valeur des fraudes au paiement.

En renforçant le signalement des incidents et en facilitant l'accès au fichier national des chèques irréguliers, nous permettrons aux établissements financiers de bloquer rapidement un chèque suspect, d'alerter le bénéficiaire et de prévenir la propagation des fraudes.

Outre qu'il permet ainsi de transformer des failles considérables en dispositifs de prévention efficaces, ce texte présente également une vertu appréciable : celle du sérieux budgétaire.

À un moment où la dépense publique n'est plus contenue, la lutte contre la fraude bancaire n'entraînera aucune dépense supplémentaire. Les mesures seront intégralement financées par les établissements bancaires, sous la supervision de la Banque de France.

Cela étant, on pourrait déplorer un certain manque d'ambition, un texte lacunaire, à l'objet et à la portée limités.

Je pense particulièrement à la protection des données personnelles, qui est au cœur de la sécurité financière. Les fuites massives d'identifiants alimentent en cascade la fraude bancaire, en fournissant directement aux délinquants les éléments nécessaires à l'usurpation d'identité, à l'ouverture de comptes, ou au détournement de virements. Nous devrons, nécessairement et rapidement, développer nos réflexions sur cette question, sous peine de connaître une nouvelle recrudescence d'actes frauduleux.

Mes chers collègues, la fraude, qu'elle soit bancaire, sociale ou fiscale, emporte les mêmes conséquences. Qu'il s'agisse d'usurpation d'identité, de détournement de prestations ou d'évasion fiscale, ces actes délictuels et criminels ont un impact direct sur la confiance de nos concitoyens dans nos institutions, l'équilibre de nos finances publiques et la résilience de notre économie.

Fidèle à ses convictions et dans l'intérêt des Français, le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Henri Cabanel, Jacques Fernique et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt et une.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire
 

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Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
Article 1er

Renouvellement du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur une proposition de loi organique

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre (texte de la commission n° 80, rapport n° 79).

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme je le disais déjà lors de l'examen de ce texte en première lecture, le report des élections provinciales de Nouvelle-Calédonie n'est pas une question nouvelle.

En effet, ces élections, donc le renouvellement intégral des membres des assemblées délibérantes de chacune des trois provinces et, de façon concomitante, des membres du congrès, ont déjà été reportées à deux reprises : le mandat des membres des assemblées de provinces et du congrès élus le 12 mai 2019 devait expirer le 12 mai 2024, mais les élections qui devaient se tenir au plus tard à cette date ont été reportées, une première fois au 15 décembre 2024, puis une deuxième fois au 30 novembre 2025.

La proposition de loi transpartisane vise à reporter ce scrutin une troisième fois, au 28 juin 2026 au plus tard.

Le premier report était lié à une modification du corps électoral spécial et était loin de faire consensus. Alors que nombre d'entre nous avaient alerté, dans cet hémicycle même, sur un passage en force, l'adoption par le Parlement du projet de loi constitutionnelle a provoqué de violents affrontements en Nouvelle-Calédonie à compter du 13 mai 2024 ; ces événements, qui ont causé la mort de quatorze personnes, ont entraîné la déclaration de l'état d'urgence sur le territoire calédonien, le 15 mai 2024 au soir.

Le printemps et l'été 2025 ont néanmoins été marqués par deux événements majeurs dans le processus de négociation politique organisé en vue du retour à la concorde civile et à la stabilité institutionnelle : un premier grand pas, à Deva, puis la signature d'un projet d'accord à Bougival, le 12 juillet dernier, par l'ensemble des partenaires politiques de Nouvelle-Calédonie. Cependant, ce consensus s'est ensuite ébréché, puisque, dès le 9 août, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) adoptait une motion de politique générale dans laquelle il rejetait formellement le projet d'accord.

Le projet d'accord signé à Bougival peut être qualifié d'historique, car il redonne, de l'avis général, espoir et confiance en l'avenir aux habitants de Nouvelle-Calédonie. Après quatre années d'impasse provoquée par le dernier référendum, tenu le 12 décembre 2021, il offre, enfin, la perspective d'un avenir commun, par l'élaboration d'un nouveau statut institutionnel pour la Nouvelle-Calédonie.

Mais nous avons également entendu les doutes et les critiques, qui peuvent être légitimes, exprimés par les opposants à ce projet d'accord.

C'est pourquoi, dans un premier temps, nous avons proposé au Sénat de faire figurer dans l'intitulé de la présente proposition de loi organique les mots : « afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre ».

Il s'agissait de préciser que, si ce projet d'accord constituait une base solide et précieuse, il convenait toutefois de l'approfondir, de le préciser et de l'amender en poursuivant les échanges avec l'ensemble des parties prenantes, y compris – et surtout – avec celles qui ont pu, depuis le 12 juillet dernier, prendre leurs distances par rapport au document signé ce jour-là.

C'est dans cette même logique de compromis que nous avons décidé d'aller plus loin en commission mixte paritaire, avec l'accord quasi unanime des groupes politiques, et sur la proposition de notre collègue député socialiste Arthur Delaporte, en retirant de l'intitulé de la proposition de loi organique la mention même de l'accord de Bougival. Le présent texte vise donc désormais « à reporter [les élections] afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».

Le 26 juin 1988, les accords de Matignon étaient conclus entre Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur et Michel Rocard. Le 20 août 1988, ils étaient complétés et consolidés rue Oudinot, pour devenir les accords de Matignon-Oudinot. Aussi, nous considérons que les bases posées à Bougival attendent, elles aussi, une suite, un complément, une précision : Bougival attend en quelque sorte son Oudinot.

Avec ma collègue rapporteure, Agnès Canayer, nous l'avons dit et nous le redisons : cette proposition de loi organique de report des élections locales ne doit pas être un passage en force ; il faut donner du temps au temps pour obtenir un consensus sur un accord global. Nous redisons aussi, tout comme vous, madame la ministre, que les discussions ne pourront pas et ne devront pas se tenir sans le FLNKS.

Aussi, le report de ces élections n'est ni le dégel du corps électoral ni l'adoption du projet de loi constitutionnelle traduisant l'accord de Bougival.

Nous saluons d'ailleurs, madame la ministre, le retrait du projet de loi constitutionnelle de l'ordre du jour. Cela permettra, nous l'espérons, la reprise des discussions et le retour de toutes les parties prenantes autour de la table afin d'obtenir un accord consensuel sur l'avenir institutionnel, pour que les habitants de la Nouvelle-Calédonie partagent, enfin, un destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Mikaele Kulimoetoke, Marc Laménie et Olivier Bitz applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Naïma Moutchou, ministre des outre-mer. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi organique n'est pas seulement un texte technique : c'est un acte de responsabilité.

Ce n'est pas un texte d'ajustement : c'est une étape pour donner du temps, du sens et une direction claire au dialogue engagé en Nouvelle-Calédonie.

Nous sortons d'une période de grande tension. Chacun ici l'a en mémoire, tout comme les circonstances qui ont conduit à cette situation.

Les violences du mois de mai 2024 ont profondément marqué et meurtri les Calédoniens. Elles ont montré combien la paix restait fragile, combien un nouvel accord global devenait nécessaire.

Pour sortir de cette situation, et après des mois d'intenses et exigeantes négociations entre l'État et les forces politiques calédoniennes, un accord global a été signé : l'accord de Bougival, du 12 juillet 2025.

Cet accord, à l'origine, planifiait et justifiait en lui-même le report des élections provinciales, afin que l'on se donne le temps de mettre en œuvre les évolutions constitutionnelles et organiques qu'il prévoyait : la création d'un État de la Nouvelle-Calédonie et d'une double nationalité, française et calédonienne, les mécanismes de transferts de compétences régaliennes, ou encore le dégel d'une partie du corps électoral.

Cette raison justifie encore aujourd'hui le report des élections. En effet, même si le FLNKS a choisi, a posteriori, de retirer les signatures de ses représentants, nous ne pouvons pas faire comme si l'accord n'était pas soutenu par toutes les autres formations politiques locales – les formations non indépendantistes, bien sûr, mais aussi les indépendantistes de l'UNI-Palika (Union nationale pour l'indépendance-Parti de libération kanak).

Néanmoins, une raison supplémentaire justifie désormais le report : le retrait du FLNKS démontre que l'accord de Bougival mérite certainement d'être éclairé, précisé et, le cas échéant, si l'ensemble des forces politiques signataires s'accordent, complété.

Dans ce contexte, maintenir les élections provinciales à l'échéance prévue serait une erreur. Il faut du temps : du temps pour se parler, du temps pour reconstruire la confiance.

C'est tout le sens de ce texte. Il ne reporte pas pour retarder : il reporte pour apaiser.

Il s'agit non pas de suspendre la démocratie, mais de la rendre possible. Il ne s'agit pas non plus de renoncer au consensus ; au contraire, l'objet du texte est de lui donner une chance supplémentaire de se construire.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a approuvé ce choix à une large majorité, et le Conseil d'État en a confirmé la conformité à la Constitution. Nous avons donc une base solide, celle du terrain et celle du droit. Notre légitimité est à la fois démocratique et juridique.

L'accord de Bougival a rouvert la voie du dialogue. Il a permis de réunir autour d'une même table des acteurs qui ne se parlaient plus depuis des années : les Loyalistes, le Rassemblement, Calédonie ensemble, l'Éveil océanien, l'UNI-Palika, et le FLNKS.

Cette proposition de loi organique est née de cette volonté de se parler de nouveau. Elle donne au territoire le temps d'enraciner cet accord dans le droit et dans les faits, sans le figer et sans l'imposer, sans passage en force, mais sans renoncement.

Bougival ne règle pas tout, mais il trace un cap, celui d'un équilibre entre l'aspiration à l'émancipation et l'attachement à la France. C'est aussi celui d'une organisation institutionnelle adaptée à la singularité calédonienne, respectueuse des identités, des histoires et des appartenances.

Ce dialogue doit se poursuivre. Il doit rester ouvert à toutes les sensibilités, y compris celles qui ne se sont pas encore pleinement reconnues dans le texte de Bougival. Le FLNKS en fait naturellement partie.

Je l'ai déjà dit, mais je tiens à le répéter : je ne veux pas faire sans le FLNKS, pourvu que le FLNKS ne fasse pas sans les autres. La main tendue reste la même : construire ensemble, à partir de ce qui nous rassemble. C'est l'état d'esprit du Gouvernement. C'est celui dans lequel je me place et me placerai, dès ce week-end, en me rendant sur place.

Je sais que cet état d'esprit est partagé par le Parlement. Le changement du titre de la proposition de loi organique, décidé par les membres de la commission mixte paritaire, en témoigne : il s'agit de mieux insister sur l'indispensable recherche d'un accord consensuel. C'est bien l'intention du Gouvernement.

Je salue l'apport déterminant du Parlement sur ce texte depuis plusieurs semaines. De son dépôt par six présidents de groupe de votre assemblée sur huit jusqu'au compromis intervenu en commission mixte paritaire lundi, des parlementaires, pourtant de sensibilités différentes, ont montré qu'ils pouvaient se rassembler pour atteindre un même objectif, à savoir la paix civile en Nouvelle-Calédonie.

Les échanges ont prouvé l'existence d'une large convergence entre l'Assemblée nationale et le Sénat, sur la nécessité du report, la volonté d'accompagner la mise en œuvre de l'accord de Bougival et la recherche d'un consensus politique local.

Croyez bien que le Gouvernement a entendu les messages de la représentation nationale. Nous avons déjà parlé de la nécessité de poursuivre le dialogue, de ne rien imposer et de ne rien précipiter. Je tiens également à évoquer la situation sur le terrain, car aucun accord politique ne pourra tenir sans perspectives économiques et sociales crédibles pour les Calédoniens.

Le Premier ministre l'a dit : il n'y aura pas de paix durable sans développement. C'est pourquoi je prépare, avec les élus et les acteurs économiques, avec les acteurs de la société civile et les associations, un plan d'investissement et de redressement pour le territoire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'acte que nous allons accomplir aujourd'hui s'inscrit dans une longue tradition, que vous connaissez bien. Les accords de Matignon-Oudinot et l'accord de Nouméa ont posé les fondements d'un dialogue historique. Bougival s'inscrira dans cette continuité.

À chaque étape, la République a tenu sa parole : donner au territoire les moyens de choisir son avenir. Le texte que nous examinons aujourd'hui se fixe ce même engagement. Il prolonge une méthode, celle de la fidélité aux accords et du respect du dialogue. En effet, cette fidélité est essentielle. Elle seule permet de reconstruire la confiance, de réconcilier les mémoires et de tracer un avenir partagé.

Pour finir, je tiens à m'adresser directement aux Calédoniennes et aux Calédoniens. À celles et ceux des tribus, des quartiers, des îles Loyauté, de la brousse et de la Grande Terre, à ceux qui doutent, à ceux qui espèrent, à ceux qui veulent simplement vivre en paix, je le dis : ce report n'est pas un recul, c'est une étape. Il ne retire rien à la démocratie. Il ouvre un chemin politique.

Le temps qui s'ouvre doit être mis à profit pour dialoguer et bâtir ensemble un avenir apaisé. L'État sera présent, mais il n'agira pas seul. Tout ce qui sera fait le sera avec les institutions locales, avec les partenaires économiques, avec les coutumiers, avec la société civile, avec les Calédoniens.

L'État tiendra parole : la ministre, le Gouvernement, les présidents des chambres, les parlementaires. Une fois encore, sur la Nouvelle-Calédonie, les élus de la majorité et de l'opposition, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, ont montré qu'ils savaient s'unir lorsque l'intérêt du pays et du territoire l'exigeait. Vous pouvez collectivement nous faire confiance.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous débattons ne prétend pas tout résoudre. Il est loin d'être une fin en soi. Il ne ferme aucune porte, il en ouvre plusieurs. Il offre un cadre pour construire une solution partagée. Il trace une méthode, celle de l'humilité, du dialogue et du respect.

En l'adoptant, vous ferez plus que reporter un scrutin : vous confirmerez un engagement collectif, celui de poursuivre, ensemble, la construction d'un avenir fédérateur pour la Nouvelle-Calédonie, un avenir qui doit être le temps de l'identité, dans un véritable destin commun.

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Xowie, Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion sur l'accord du 12 juillet 2025 et sa mise en œuvre.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la motion.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 44 et de l'alinéa 12 de l'article 42 du règlement du Sénat, nous défendons aujourd'hui une motion d'irrecevabilité constitutionnelle de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Il ne s'agit ni d'un geste d'humeur ni d'une posture partisane. C'est un acte de responsabilité démocratique. C'est un cri d'alerte, face à un texte imposé par la force, à l'arraché, en violant la Constitution.

Nous dénonçons tout d'abord une pratique qui semble, hélas ! se répandre, celle d'une motion de rejet préalable déposée à l'Assemblée nationale par le groupe parlementaire soutenant le Gouvernement, non pas pour s'opposer au texte en discussion, mais pour contourner le débat parlementaire. En effet, le 22 octobre dernier, une motion de rejet préalable a été déposée sur ce texte par deux députés du groupe Ensemble pour la République.

Si le règlement de l'Assemblée nationale le permet pour faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou pour décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer, ce n'est pas pour ces motifs que la motion a été déposée. Au contraire, ce dépôt n'avait d'autre motif que la volonté d'accélérer la procédure et de passer outre le droit d'amendement, pourtant constitutionnel !

Cette manœuvre a ouvert la voie à une commission mixte paritaire, convoquée dans la précipitation et utilisée pour court-circuiter le débat et faire taire l'opposition.

Ce n'est malheureusement pas une première ! Dans sa décision du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel vous avait pourtant mis en garde, madame la ministre, vous, votre gouvernement et votre groupe parlementaire : vous ne pouvez user des motions pour en détourner la finalité. Non, la « motion de rejet positive », telle qu'elle nous a été présentée par le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement en conférence des présidents la semaine dernière, n'existe pas : elle n'est un concept ni constitutionnel ni réglementaire.

Vous avez utilisé un mécanisme tout aussi contestable le 2 juin dernier, lorsque la motion de rejet préalable déposée sur la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse a été adoptée grâce aux voix d'un groupe favorable au texte, pour, une nouvelle fois, contourner le débat démocratique.

Déjà, le Conseil constitutionnel vous avait mis en garde : ni le Parlement ni le Gouvernement ne doit faire un « usage excessif » de ses droits.

Détourner trois fois la question préalable de sa raison d'être, comme vous l'avez fait, est évidemment excessif. Un tel concept viole la Constitution et le droit d'amendement des parlementaires prévu à l'article 44. C'est une atteinte grave au fonctionnement normal du Parlement, donc à la Constitution elle-même.

Le groupe CRCE-K dénonce cette manœuvre et en appelle à votre responsabilité, mes chers collègues : il est de notre devoir de protéger le Parlement et la Constitution.

L'annonce du Premier ministre de renoncer à l'usage de l'article 49, alinéa 3, de notre Constitution ne l'empêche pas d'user d'autres stratagèmes encore plus antidémocratiques pour parvenir à ses fins, la preuve vient d'en être donnée. C'est cela le pouvoir de l'exécutif. Vous vous exposez aux mêmes déboires avec ce texte sur la Nouvelle-Calédonie.

La violation de la Constitution ne s'arrête pas là. En effet, ce texte a été inscrit à l'ordre du jour à la demande d'un gouvernement démissionnaire. Pourtant, depuis une décision du Conseil d'État de 1952, le droit est clair : un gouvernement démissionnaire ne peut expédier que les affaires courantes.

Les affaires courantes, ce sont les actes nécessaires à la continuité de l'État, c'est-à-dire les mesures de gestion, de sécurité et les décisions administratives qui ne peuvent attendre. Ce ne peut en aucun cas être des initiatives législatives majeures. Car je reprends vos propres mots, madame la ministre : cette proposition de loi organique, qui modifie un calendrier électoral, donc l'expression même de la souveraineté populaire, est un « texte majeur ».

Là encore, je vous ai entendu : vous parlez de « motion de rejet positif », nouveau concept du Nouveau Monde, par lequel il s'agit de reporter pour apaiser et non de reporter pour retarder. Autant de concepts qui, je l'avoue, m'échappent, mais ce n'est guère étonnant, puisqu'ils n'ont aucun fondement réel.

Qui plus est, dans sa décision du 19 septembre dernier, le Conseil constitutionnel a tranché et confirmé la légitimité et la constitutionnalité du gel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. En effet, les Sages de la rue Montpensier ont pu rappeler le cadre constitutionnel spécifique transitoire applicable à la Nouvelle-Calédonie, qui confère une valeur constitutionnelle à l'accord dit de Nouméa et prévoit expressément le gel du corps électoral.

Dès lors, ce gel n'est pas caduc, et l'urgence de reporter pour la troisième fois les élections dans l'attente d'une hypothétique modification du corps électoral n'est en rien caractérisée. Le Gouvernement, même en période de transition, ne peut donc pas se prévaloir de l'urgence pour étendre ses compétences au-delà des affaires courantes.

Une note du secrétariat général du Gouvernement du 2 juillet 2024 confirme d'ailleurs ce propos, appelant à une « extrême prudence » de la part d'un gouvernement démissionnaire pour solliciter le Parlement. Les affaires courantes y sont reconnues comme strictement limitées.

Selon nous, un texte dont l'urgence a été écartée par le Conseil constitutionnel et qui entraîne, pour la troisième fois, le report d'une élection majeure au sein d'un territoire n'entre en aucun cas dans la catégorie des « affaires courantes ».

Une nouvelle fois, nous sommes face à une violation des compétences du Gouvernement et du Parlement, telles qu'elles sont prévues par la Constitution.

Ce choix politique, qui est le vôtre et celui du Gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, est d'autant plus regrettable qu'il se fait aux dépens du peuple kanak. Vous vous cachez derrière des artifices juridiques de façade pour faire primer un texte injuste au profit d'intérêts politiques.

Ce peuple a déjà subi à plusieurs reprises le mépris de Paris. Ce passage en force serait une violation de la Constitution, mais aussi de son droit de vote.

Reporter les élections provinciales, c'est retirer la parole au peuple kanak. Le faire dans de telles conditions est d'autant plus grave. Ni le peuple français ni le peuple kanak ne méritent un tel sort !

Peu avant les événements tragiques de mai 2024, le ministre des outre-mer de l'époque, aujourd'hui Premier ministre, a déclaré aux représentants du peuple kanak : « En démocratie, les élections se tiennent à l'heure. » Mais en démocratie, le débat politique est organisé, la parole du peuple est écoutée et les institutions sont respectées !

En effet, respecter le droit d'un peuple à élire ses représentants, c'est respecter le droit d'un peuple à disposer de lui-même. Et si c'est à regret que nous constatons que l'Histoire se répète, il n'est pas trop tard pour donner au peuple kanak la liberté de choisir ses représentants.

Madame la ministre, vous faites ici le choix politique de bafouer le droit international et les résolutions de l'ONU, comme vous faites le choix de violer notre Constitution. Vous vous entêtez dans une voie sans issue à nos yeux, en méprisant le peuple kanak, le peuple français et notre démocratie tout entière.

Mes chers collègues, face à la violence de cette situation, je vous invite à prendre de la hauteur. Que diriez-vous si le gouvernement d'un autre pays violait sa Constitution et le droit international et refusait le débat démocratique au Parlement pour éviter l'expression du suffrage d'un peuple colonisé qui réclame son indépendance depuis presque deux siècles ? Vous ne pourriez que le dénoncer.

C'est pourtant face à cette situation que nous nous trouvons. Il est donc de notre devoir de mettre fin à ces pratiques anticonstitutionnelles et bien dangereuses pour notre République, notre démocratie et notre État de droit.

Madame la ministre, vous avez rappelé combien le Parlement avait travaillé sur ce texte. Je connais l'issue du vote qui aura lieu sur cette proposition de loi organique dans quelques instants : une majorité entérinera cette décision de bafouer la démocratie. Je rappelle tout de même que ce texte a été adopté hier à l'Assemblée nationale avec seulement quinze voix d'écart.

Sur ce sujet, le Parlement est loin d'être unanime, tout comme sont loin d'être unanimes les hommes et les femmes qui vivent en Nouvelle-Calédonie. Cette précipitation et cette volonté systématique de passer outre sont révélatrices davantage d'une fébrilité que de l'expression d'une conviction à avancer dans le respect de nos droits.

Au nom du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, au nom du respect de la Constitution, au nom de la dignité du Parlement, au nom du peuple kanak, je vous demande donc de voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, mes chers collègues.

C'est un acte non pas de blocage, mais de sauvegarde du droit, de la démocratie et de la République. Parce que le respect de la Constitution doit être notre métronome, il est de notre devoir à tous de la défendre, surtout quand le pouvoir exécutif tente de la contourner. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Sans surprise, la commission des lois va émettre un avis défavorable sur cette motion d'irrecevabilité constitutionnelle.

Nous connaissons évidemment l'argumentation du groupe CRCE-K pour justifier son opposition au report des élections. Pour autant, nous considérons que cette motion n'est pas le bon outil juridique, car ce texte ne pose aucune difficulté de nature constitutionnelle.

C'est d'ailleurs la position du Conseil d'État dans son avis du 4 septembre dernier : ce troisième report repose bien sur un motif d'intérêt général, puisque l'accord de Bougival crée des perspectives de négociations pour permettre des avancées et ouvrir la voie au compromis le plus large possible, ainsi que l'a souligné la rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire.

Par ailleurs, la procédure ne pose pas non plus de problème constitutionnel, puisque, le 12 octobre dernier, le Gouvernement en titre a poursuivi la procédure en cours et maintenu l'inscription de ce texte à l'ordre du jour des travaux du Parlement. D'ailleurs, la navette parlementaire ne s'est pas interrompue et le texte a été examiné à l'Assemblée nationale selon la procédure ad hoc. (M. Akli Mellouli s'exclame.)

Le texte qui a été adopté en commission mixte paritaire lundi dernier est celui qui a été voté par le Sénat – n'était son intitulé, qui a été modifié. Le compromis trouvé en commission mixte paritaire reprend donc les travaux de notre assemblée, et c'est bien cette version qui est soumise à votre décision, mes chers collègues. Une fois votée, elle sera transmise au Conseil constitutionnel, qui seul a la capacité de se prononcer sur la constitutionnalité du texte.

Nous émettons donc un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Naïma Moutchou, ministre. Le Gouvernement va également émettre un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je ne puis laisser sans réponse les propos qu'a tenus Mme Cukierman sur la motion de rejet préalable adoptée la semaine dernière à l'Assemblée nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, deux députés du groupe La France insoumise – Nouveau Front populaire avaient à eux seuls déposé près de 2 000 amendements sur cette proposition de loi organique, qui ne compte que trois articles.

M. Christian Bilhac. Ils ont du temps à perdre !

Mme Naïma Moutchou, ministre. Ils ne visaient nullement à en modifier le fond : il s'agissait de remplacer la date du 30 novembre par celle du 1er décembre, du 2 décembre, du 3 décembre, etc., et cela dans une stratégie d'obstruction totalement assumée. Voilà ce qui s'est passé.

Comment ceux qui ont voulu empêcher le débat et le vote peuvent-ils parler ensuite de déni de démocratie ? Le déni de démocratie est bien de leur fait, et non de celui qui a déposé la motion de rejet. Une telle tentative de blocage est grave. C'est du jamais vu sur le dossier calédonien.

Depuis lors, la commission mixte paritaire s'est réunie et a adopté le texte. L'Assemblée nationale s'est prononcée et en a voté les conclusions. Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd'hui amenés à vous prononcer sur ce texte. Par conséquent, il n'y a ni blocage ni passage en force.

M. Akli Mellouli. On ne l'a pas encore adopté !

Mme Naïma Moutchou, ministre. J'ai déjà indiqué que le congrès de Nouvelle-Calédonie et le Conseil d'État avaient conforté cette décision de report. Je n'y reviens donc pas.

En vérité, le vrai blocage, ce serait de décider de ne pas reporter ces élections. Ce serait grave ! S'il fallait organiser des élections dans le climat de tension actuel, les négociations seraient gelées et le processus politique tomberait. Ce serait probablement un recul de plusieurs années. Voilà ce qui se passerait. (M. Akli Mellouli proteste.)

Ce n'est pas ce que nous voulons pour les Calédoniens. C'est pourquoi, oui, nous assumons de donner la chance au temps et aux discussions, en formant le vœu que nous parvenions à un accord global avec tous.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, ni vous ni moi ne pouvons prédire la situation de la Nouvelle-Calédonie au mois de juin prochain.

Une nouvelle fois, on nous explique que la situation ne permet pas d'organiser des élections et qu'il faut les reporter. Tant mieux, ai-je envie de vous dire. Pour ma part, je ne connais que les certitudes aujourd'hui, je ne fais pas de pari sur l'avenir.

Il n'y aurait aucun déni de démocratie, selon vous, madame la ministre ? Ils sont pourtant nombreux, qui dépassent largement le cadre de ce texte !

Évidemment, vous pouvez vous en prendre à un groupe de l'Assemblée nationale qui n'a fait qu'utiliser son droit d'amendement, même si vous considérez que c'était avec excès. Reste que, dans une démocratie où ceux qui perdent les élections continuent de gouverner, où une motion de rejet préalable est votée par ceux-là mêmes qui sont favorables au texte en question, où l'on estime que ce n'est jamais le bon moment de tenir les élections, alors même qu'un référendum a été imposé à une population locale qui en demandait le report pour respecter les temps de deuil après l'épidémie de covid, les leçons de démocratie ont beau jeu !

Si ce que je viens de décrire se passait dans n'importe quel autre pays, on parlerait de dictature.

Continuons ainsi. Continuons de croire que tout va bien et que le Parlement a retrouvé son pouvoir parce que le Gouvernement a renoncé au 49.3. Certes, à l'Assemblée nationale, il ne fait pas d'obstruction en déposant des amendements, mais il prend un temps exceptionnel, alors que les soixante-dix jours accordés à l'examen du budget sont précieux. De leur côté, les députés La République en Marche commentent chaque amendement.

Madame la ministre, vous et moi, nous avons une expérience de parlementaires. Vous et moi, nous connaissons les procédures.

Aussi, nous n'avons pas de leçons à recevoir : la façon d'agir du Gouvernement et l'organisation des travaux au Sénat comme de l'Assemblée nationale ne sont pas dignes d'une démocratie.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.

M. Akli Mellouli. Madame la ministre, je tiens à rétablir les faits. Il faut cesser de se mentir : cette proposition de loi organique a été déposée bien avant l'accord de Bougival. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. Elle a été déposée au mois d'août dernier !

M. Akli Mellouli. Elle est donc sans rapport avec ces négociations.

Elle a été déposée au Sénat par plusieurs groupes parlementaires, et on nous avait même demandé d'en être signataires. Cette demande de report remonte à un moment. Votre prédécesseur a d'ailleurs indiqué qu'il s'agissait d'un protocole de report.

Je ne reprendrai pas les propos de Cécile Cukierman sur l'obstruction parlementaire ; nous aurons l'occasion d'y revenir lors des explications de vote sur l'ensemble. Essayons d'élever le débat : reconnaissez qu'il y a un passage en force et n'utilisez pas les oripeaux de la démocratie pour nous faire croire que c'est le contraire qui se passe. De grâce, soyons en phase avec nos convictions et nos valeurs.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 10 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 34
Contre 308

Le Sénat n'a pas adopté.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
Article 2

Article 1er

Par dérogation au premier alinéa de l'article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les prochaines élections des membres du congrès et des assemblées de province, prévues au plus tard le 30 novembre 2025 par la loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, ont lieu au plus tard le 28 juin 2026. La liste électorale spéciale et le tableau annexe mentionnés à l'article 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

Les mandats en cours des membres du congrès et des assemblées de province prennent fin le jour de la première réunion des assemblées nouvellement élues.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
Article 3 (début)

Article 2

Les fonctions des membres des organes du congrès en cours à la date de promulgation de la présente loi organique sont prorogées jusqu'au jour de la première réunion du congrès nouvellement élu en application de la présente loi organique.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
Article 3 (fin)

Article 3

La présente loi organique entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française.

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d'aucun amendement.

Le vote est réservé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l'ensemble de la proposition de loi organique, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.

La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Audrey Linkenheld. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous en sommes parvenus à l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi organique. Il s'agit d'un texte d'initiative sénatoriale, qui fait consensus, même si, comme nous venons de le voir, il ne fait pas l'unanimité.

Parler de la Nouvelle-Calédonie suppose de la sérénité et de la clarté. En effet, ce sujet engage des femmes et des hommes attachés à leur terre, à leur histoire et à leur avenir commun. À nous de tous veiller à favoriser un dialogue sincère et constructif, afin que les enjeux soient compris de tous et que les habitants de la Nouvelle-Calédonie ne se sentent pas spectateurs de leur propre destin, tandis que, vus de Paris, les débats semblent d'une autre nature.

À ce stade, les seules modifications sur cette proposition de loi organique introduites au Sénat, puis en commission mixte paritaire, ont porté sur son intitulé, sans qu'il soit touché au dispositif global du texte initial.

La proposition de loi organique vise à présent à permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Nommer un texte qui deviendra une loi, ici une loi organique, va au-delà d'une simple question de vocabulaire. Ce nouvel intitulé est un repère qui participe activement à sa lecture et à son interprétation.

Cette démarche de clarification, qui s'appuie sur la proposition de rédaction du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, prend en compte face au report des élections provinciales la réaction du FLNKS, qui y a vu une contradiction de l'État : d'un côté, des ministres des outre-mer affirmant ne pas souhaiter agir « sans le FLNKS » ; de l'autre, des élections provinciales, premier acte de l'accord du 12 juillet 2025, reportées alors même que cet ajournement a été formellement rejeté par le mouvement indépendantiste.

Si des échanges bilatéraux perdurent, force est de constater que le FLNKS n'est pas revenu à la table des discussions collégiales sur le projet d'accord dit de Bougival.

Nous savons également que le projet du 12 juillet dernier n'a été arrêté en réalité que pour constituer une base de travail. Ce faisant, il s'agissait de permettre aux délégations calédoniennes d'en poursuivre l'examen et d'en discuter avec leurs structures représentatives respectives sur le territoire.

Le document signé à Bougival ne représentait qu'un accord conditionnel, dont l'entrée en vigueur dépendait de la validation des formations politiques calédoniennes.

Les positions demeurent contrastées aujourd'hui, mais chaque camp admet la nécessité de préserver, autant que possible, le fil ténu du dialogue.

En supprimant la référence explicite à l'accord de Bougival, la nouvelle rédaction de l'intitulé de cette proposition de loi organique permet d'adresser un message d'apaisement à l'ensemble des partenaires. Encore faut-il que cette rédaction soit accompagnée de la garantie que l'accord n'est qu'une base de discussion sur laquelle la négociation doit se poursuivre.

Il paraît difficile d'imaginer les formations politiques calédoniennes repartir de zéro et ignorer les acquis de Bougival, qui s'inscrivent dans la continuité de la rencontre de Deva du mois de mars 2025.

L'accord du 12 juillet reste un projet à finaliser, et non à sacraliser. D'ailleurs, l'échéancier indicatif de sa mise en œuvre ne pourra être tenu, le Gouvernant ayant fort heureusement annoncé le retrait de l'ordre du jour des travaux du Parlement du projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie, déposé au Sénat le 14 octobre dernier.

Voilà autant de signes qui contribuent à désamorcer l'accusation de passage en force, à rassurer les indépendantistes et à restaurer les conditions d'un consensus.

Le groupe SER votera en faveur de ce texte, car le report des élections provinciales constitue avant tout une nécessité politique. Des élections organisées au mois de novembre prochain ne feraient que cristalliser les divisions existantes, auxquelles s'ajoutent des enjeux économiques, sociaux et sanitaires graves. En effet, comment redonner un avenir économique à la Nouvelle-Calédonie sans visibilité politique et sans stabilité institutionnelle ?

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain entend rester fidèle à la méthode calédonienne mise en œuvre par Michel Rocard et Lionel Jospin : celle qui repose sur le dialogue, le respect, l'impartialité de l'État et la progressivité et qui a permis de garantir la paix civile en Nouvelle-Calédonie pendant plus de trente ans.

L'accord du 12 juillet doit évoluer, mûrir, intégrer les évolutions nécessaires sur les points essentiels connus de tous les négociateurs : la reconnaissance de l'identité kanake, le mécanisme de transfert des compétences, le respect du principe de l'autodétermination, pour que le processus engagé à partir de 1988 aboutisse enfin à une décolonisation réussie.

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Robert Wienie Xowie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant même de me prononcer sur le devenir de ce texte, je connais d'ores et déjà le résultat du vote. Certes, j'exprimerai sans doute des regrets : celui que les sénateurs n'aient pas su entendre les observations ni les alertes formulées par le FLNKS ; celui qu'ils n'aient pas été à la hauteur de l'enjeu du moment.

Peut-être ma parole ne pèse-t-elle pas lourd dans cet hémicycle, peut-être n'a-t-elle pas la résonance qu'elle devrait avoir, mais il me paraît essentiel de rappeler ici que, par ce vote, nous nous engageons collectivement sur une voie qui, malheureusement, n'a toujours pas suscité de consensus ; voie qui, de surcroît, marginalise le FLNKS, représentant légitime d'un peuple colonisé, d'un peuple dont la parole devrait être au centre, et non à la marge, de toute décision politique le concernant.

Je ne vais pas contraindre votre vote – telle n'est pas ma démarche –, mais ne nous imposez pas non plus la date des élections ou le motif de leur report, selon des critères qui vous sont propres. Il faut cesser de décider à notre place et de prétendre savoir mieux que nous ce qui serait bon pour nous.

Ce cri, ce constat, tous les territoires ultramarins l'ont déjà formulé maintes et maintes fois. Ils n'ont cessé de le rappeler : nous voulons être entendus, respectés, considérés comme des partenaires à part entière, et non comme de simples sujets d'un débat dont les conclusions seraient toujours écrites à l'avance.

Lundi dernier, la commission mixte paritaire s'est réunie. Elle a validé un report des élections provinciales et, chemin faisant, a modifié l'intitulé de la proposition de loi organique pour ne plus y mentionner l'accord de Bougival. On nous explique maintenant qu'il faudrait donner du temps pour relancer les discussions et espérer un consensus.

Après deux reports et un amendement porté par le groupe socialiste à l'Assemblée nationale visant à décorréler l'ajournement des élections de la mise en œuvre des dispositions de Bougival, afin de favoriser la recherche d'un accord consensuel, qu'est-ce qui nous empêche de tenir les élections et de discuter plus sereinement avec des élus légitimes ? « Ce texte n'est ni une réforme constitutionnelle ni le dégel du corps électoral », a déclaré le député socialiste Arthur Delaporte.

Le Parlement n'est pas une antichambre où l'on fait taire les voix qui dérangent. À l'Assemblée nationale, une motion de rejet préalable a été utilisée pour bloquer tout débat et expédier le texte directement en commission mixte paritaire. C'est au mieux un mauvais signal, au pire un détournement de procédure contraire à l'esprit de l'article 44 de la Constitution, qui garantit le droit d'amendement et en fait une condition du débat démocratique.

Certes, le Conseil constitutionnel veille à ce que l'on ne fasse pas de ce droit un usage manifestement excessif. Ici, tout montre que l'on a joué des règles pour empêcher la discussion et neutraliser le Parlement.

Mes chers collègues, la Kanaky n'est pas un chapitre secondaire de notre ordre du jour. C'est un pays avant tout, où s'écrit depuis des décennies un processus de décolonisation, encadré par les accords de Matignon de 1988 et de Nouméa de 1998. Ces accords ont permis la reconnaissance des droits du peuple kanak, un rééquilibrage, l'émergence d'une citoyenneté propre et une paix civile à laquelle nous tenons tous.

Chaque fois que nous avons forcé le pas, chaque fois que nous avons voulu décider depuis Paris, sans consensus, nous avons ravivé les tensions. Qui peut oublier ce que l'entêtement des parlementaires a coûté en mai 2024 : quinze morts, un quart du PIB envolé, des familles meurtries et des institutions fragilisées ? Tout est parti d'un passage en force sur le dégel du corps électoral. Faut-il véritablement rejouer cette séquence ? Ne répétez pas les erreurs du passé.

On nous dit : « Reportons encore pour apaiser ». Mais reporter n'apaise pas. Reporter prolonge l'incertitude, délégitime les exécutifs en place et enfonce le pays dans la défiance. Reporter, ce n'est pas donner du temps au temps, c'est confisquer le temps du peuple. Si vous voulez réellement rendre le dialogue possible, commençons par restaurer la légitimité démocratique. Ce qui nous manque, c'est non pas un nouveau report des élections, mais la volonté politique d'écouter le pays et de renouer avec l'esprit du consensus.

Le texte n'est plus lié à Bougival. Chacun appréciera la pudique réécriture : on garde le report, on efface le mot « Bougival » et on espère faire croire que l'intention a changé. Or les mots ont changé, mais pas la méthode. Madame la ministre, pour reprendre une chanson d'Édouard Wamai, un artiste kanak local : « Rien na sazé » – comprenez : rien n'a changé.

On demande au Parlement de valider une trajectoire déjà tracée, de la verrouiller en CMP, de réduire le temps du débat, de neutraliser les amendements et, enfin, au Sénat de suivre. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky refuse la politique du fait accompli. Notre devoir est simple : rendre la parole au peuple. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Akli Mellouli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, le Gouvernement revient devant le Parlement pour reporter les élections provinciales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Une fois de plus, il nous est demandé de valider une décision unilatéralement prise à Paris dans la précipitation, au motif qu'il faudrait poursuivre un prétendu dialogue.

Mais quel dialogue, quelle écoute réelle, quelle confiance sont encore possibles alors que, depuis des mois, les représentants du peuple kanak, comme l'ensemble des forces politiques locales, constatent que l'État décide seul, qu'il consulte pour la forme, mais qu'il n'entend rien ?

Ce texte, sous des dehors techniques, traduit une profonde erreur politique. Il prévoit une mesure non pas de sagesse, mais d'arrogance.

On prétend prolonger les mandats pour permettre un accord, alors que c'est précisément l'absence d'écoute et de respect qui empêche tout accord. Le Gouvernement n'a rien appris des tensions de l'an dernier, rien appris des colères, rien appris des blessures, rien appris des violences qui ont embrasé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie lorsque Paris a voulu imposer sans consensus une réforme électorale rejetée par une partie du pays. Aujourd'hui, l'exécutif, avec le même réflexe autoritaire, demande au Parlement de proroger les institutions locales.

En octobre 2021, Sébastien Lecornu, alors ministre des outre-mer, affirmait avec fermeté que, « dans une démocratie, on tient les élections à l'heure ». Cette déclaration pleine de principes républicains résonne aujourd'hui de manière ironique. Une telle volte-face traduit une méfiance profonde à l'égard du verdict populaire. Reporter le scrutin, c'est craindre le jugement du peuple que l'on prétend pourtant servir.

Cette peur de la démocratie trahit une tentation autoritaire, celle de suspendre le temps électoral pour préserver le pouvoir en place. Or, dans une véritable République, la légitimité ne se reporte pas, elle se renouvelle.

On ne construit pas la paix dans la contrainte. On ne rétablit pas la confiance en passant en force. On ne peut pas prétendre respecter la parole donnée en étouffant la voix d'un peuple. Ce report n'est pas un geste de dialogue, c'est une manière de gagner du temps sans rien régler. C'est le choix du statu quo, maquillé en responsabilité.

Derrière les mots lisses « consensus » et « stabilité », c'est en réalité la peur du débat démocratique que l'on dissimule. En prorogeant des mandats, on confisque la parole des électeurs du Caillou. On prétend protéger la paix, mais on risque au contraire de raviver les tensions, en donnant une fois de plus le sentiment que Paris décide à la place des habitants du territoire.

Mes chers collègues, la responsabilité du Parlement est grande, car à force de vouloir maîtriser le calendrier politique, c'est le fil fragile du vivre-ensemble que l'on use, que l'on effiloche, que l'on brise. L'histoire récente devrait nous rendre humbles et non pas arrogants. Pourtant, le Gouvernement persiste, enfermé dans une logique de contrôle et de méfiance.

Enfin, je tiens à revenir sur ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, où le recours à la motion de rejet préalable a étouffé le débat. En s'alliant avec le Rassemblement national et une partie du socle présidentiel, les députés ont détourné cet outil parlementaire de sa vocation première.

L'objectif était non pas de convaincre, mais de faire taire, d'empêcher que la représentation nationale débatte au grand jour d'un sujet essentiel. Derrière cette stratégie, il y a une logique limpide : renvoyer le texte en commission mixte paritaire pour décider à huis clos, loin des caméras, loin du peuple, loin surtout de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

Ce tour de passe-passe institutionnel, sous couvert de procédure, vise à dérober au regard public un enjeu qui mérite au contraire clarté, confrontation d'idées et transparence démocratique.

Je le dis solennellement, si la République veut être respectée, elle doit d'abord respecter : respecter ses principes, respecter les peuples, respecter la parole donnée. L'avenir de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie se construira non pas en reportant successivement les élections ou en imposant des décisions depuis Paris, mais en s'appuyant sur la reconnaissance sincère d'une histoire, d'une mémoire et d'une dignité collectives, et, surtout, en respectant la parole donnée.

Pour toutes ces raisons, parce qu'il refuse la méthode du passage en force et parce qu'il en appelle à un réel courage politique et à un dialogue loyal, le groupe Écologie, Solidarité et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Annick Girardin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, deux semaines se sont écoulées depuis que le Sénat s'est prononcé en faveur du report des élections locales en Nouvelle-Calédonie. Certains parleront d'avancée à l'issue de cette navette parlementaire ; pour ma part, je déplore la manière employée.

En effet, une partie du groupe du RDSE était déjà très mitigée, voire incertaine, sur la position à adopter, à l'aveugle et dans l'urgence, sur ce texte. Elle s'interrogeait notamment sur les raisons de la volte-face du FLNKS et du Sénat coutumier sur l'accord de Bougival, alors qu'ils en étaient signataires le 12 juillet 2025, et sur leur choix concernant le report des élections. Cet accord, je l'avais pourtant qualifié alors d'avancée historique, car il traduisait une volonté d'autonomie frôlant l'indépendance.

Prendre nos responsabilités de parlementaires, oui, mais des responsabilités éclairées : telle est la ligne directrice du RDSE.

Ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale – nous n'en ferons pas la même analyse, madame la ministre – est pour moi incompréhensible et inacceptable. D'un côté, La France insoumise a tenté de pratiquer une absurde obstruction, en déposant 1 659 amendements sur les trois seuls articles de cette proposition de loi organique. De l'autre, un député de Nouvelle-Calédonie du groupe Ensemble pour la République, soutenu par ses collègues du socle commun, a fait voter une motion de rejet préalable.

Ce sont deux attitudes totalement contraires aux valeurs et aux coutumes de la culture calédonienne, dans lesquelles le dialogue et le respect prévalent à chaque étape. Nous ne sommes pas en mesure aujourd'hui de mesurer les effets néfastes de ces postures.

À la suite de ce refus d'obstacle à l'Assemblée nationale, le texte a été envoyé en commission mixte paritaire, provoquant ce je qualifierai de perte de cap. Je m'interroge sur la proposition socialiste de supprimer toute mention à l'accord de Bougival dans l'intitulé et dans le corps du texte, afin de restaurer le dialogue.

Le vote de l'amendement présenté par les présidents de groupe ici, au Sénat, avait pourtant pour objectif de montrer que l'accord de Bougival pouvait être encore amendé avant sa traduction dans une loi, puis dans la Constitution. C'était la voie médiane qu'il fallait respecter, pour que chaque partie prenante à cet accord se trouve considérée et pour que le FLNKS puisse revenir à la table des négociations. En effet, rien ne se fera sans lui, et il le sait.

Les accords de Nouméa, puis d'Oudinot et de Matignon ont encadré le chemin de réconciliation parcouru par le peuple calédonien. L'accord de Bougival était une nouvelle étape et non un changement de direction pour construire un avenir. Un avenir commun est en effet possible sur ce territoire, sans jamais remettre en cause le droit à l'autodétermination du peuple calédonien.

La reprise du dialogue, le retour à la confiance entre les acteurs et le consensus nécessaire à l'évolution institutionnelle ne se trouveront pas plus facilement si l'on renie les paroles données, si l'on retire les signatures apposées et si l'on ne construit pas les futures étapes, lesquelles n'échapperont pas à l'indispensable consensus : le projet de loi constitutionnelle, la soumission à l'approbation des Calédoniens de l'accord politique, l'adoption de la loi organique spéciale et, enfin, les élections provinciales. Les subterfuges ou les écrans de fumée ne pourront jamais constituer la base solide d'un consensus local.

J'entends ici et là qu'il faut donner du temps au temps : bien entendu, dans l'absolu et surtout, d'ailleurs, dans le cadre du dialogue en Nouvelle-Calédonie. Mais, en même temps, nous prenons l'engagement aujourd'hui de reporter les élections provinciales au mois de juin 2026. Madame la ministre, je vous demande d'être le garant, ici ce soir, de cet engagement. Il ne peut y avoir de quatrième report.

Bien entendu, le groupe du RDSE votera ce texte, car nous ne pouvons nous arrêter au milieu d'un chemin déjà très fastidieux, au risque de tout faire s'effondrer.

J'ai entendu vos propos mesurés et engagés, madame la ministre ; je vous en remercie. Vous avez noté le respect que nous devons à l'histoire de la Calédonie et des Calédoniens. Je vous demande de faire en sorte que le Gouvernement ne revienne en aucun cas, sous prétexte que le contexte aurait changé, sur les bases de l'accord du 12 juillet 2025.

J'espère aussi de tout cœur que les membres du FLNKS aborderont à l'avenir ces discussions en faisant preuve de la volonté constructive que je leur connais, qu'ils amenderont le texte tout en préservant les acquis qui répondaient déjà à leurs souhaits.

J'espère enfin que l'État se donnera les moyens de respecter l'échéancier prévu dans ce texte, le risque étant, à défaut, de perdre toute crédibilité auprès des Calédoniennes et des Calédoniens, qui vivent depuis les événements du printemps 2024, qu'ils soient indépendantistes ou non, avec un doute permanent sur la destinée de leur pays.

Anéantir les espoirs qu'avait suscités l'accord de Bougival, aussi imparfait soit-il, sans parvenir au bout du processus électoral, serait l'erreur de trop.

Enfin, je tiens à dire à mon collègue sénateur de Calédonie combien j'ai apprécié de travailler pendant trois années avec l'ensemble des partis politiques du territoire, et combien également j'ai aimé œuvrer avec le FLNKS, chez qui, je le sais, le dialogue est la règle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Bitz, pour le groupe Union Centriste.

M. Olivier Bitz. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire dont la réunion s'est tenue lundi dernier. Avec ce texte, il s'agit de repousser de nouveau les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, élections qui déterminent également la composition du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Nous avons eu la chance d'examiner ce projet de loi organique ici même il y a quinze jours. Je regrette d'ailleurs que l'utilisation de moyens procéduraux d'obstruction et de subterfuges à l'Assemblée nationale ait privé la représentation nationale de la possibilité de débattre de ce texte. Il n'est très franchement pas raisonnable de déposer 1 800 amendements : à l'évidence, il y a eu une réelle volonté de ne pas débattre sérieusement de la question, pourtant sérieuse, de la Nouvelle-Calédonie.

Reporter pour la troisième fois consécutive les élections n'est évidemment pas anodin d'un point de vue démocratique. Ce report, dont il n'a pas pu être débattu à l'Assemblée nationale, ne fait pas l'unanimité – c'est factuel – parmi les forces politiques calédoniennes.

Je suis intervenu il y a quinze jours à cette tribune, au nom du groupe Union Centriste, sur le fond du texte. Je ne reviendrai pas aujourd'hui sur ce que j'ai dit alors : j'insisterai simplement sur la nécessité absolue pour l'État de demeurer impartial sur le dossier calédonien à l'égard de tous les acteurs locaux. En effet, chaque fois que l'État a renoncé à cette position, la capacité à trouver une solution politique au dossier calédonien s'est éloignée.

Si l'État ne peut évidemment pas choisir un camp contre un autre, il est un acteur du processus qui doit permettre de dégager un consensus. La solution ne peut pas être le fait d'une majorité seulement ; tous les acteurs représentatifs du territoire doivent y être associés.

Là encore, chaque fois que l'État a voulu avancer sans s'être assuré d'un consensus local sur la marche à suivre, qu'il s'agisse du référendum Pons en 1987 ou de la volonté récemment de dégeler le corps électoral, la situation s'est au mieux enlisée. Bien souvent, elle s'est dégradée et a entraîné des troubles que ni la Nouvelle-Calédonie ni l'État ne peuvent se permettre, d'aucun point de vue.

Oui, le report des élections provinciales nous apparaît aujourd'hui comme une nécessité. Rien ne serait pire, en effet, que des élections organisées à la va-vite, dans de mauvaises conditions. Ni les candidats, ni la population, ni les pouvoirs publics ne sont aujourd'hui prêts à ce débat démocratique ou à son organisation. Ce que j'exprime n'est certes pas forcément satisfaisant du point de vue des principes, mais nous devons faire preuve de pragmatisme et laisser encore du temps au dialogue.

Pour autant, il ne s'agit pas d'appliquer et d'imposer l'accord de Bougival, qui n'a pas suscité l'unanimité. Appliquer un accord qui ne fait pas l'objet d'un consensus, c'est choisir un camp plutôt qu'un autre. Essayer de passer en force – telle n'est pas la volonté du Gouvernement, nous l'avons bien entendu – ne ferait que tendre encore davantage la situation.

La démarche de Bougival, qui, rappelons-le, a été lancée par le Président de la République après l'échec du rendez-vous de Deva, n'a pour l'instant pas encore abouti. Le travail doit se poursuivre, mais nous savons tous qu'il est extrêmement difficile. Toutefois, nous avons besoin non pas seulement d'un débat sur Bougival, mais d'un accord entre toutes les forces politiques calédoniennes, comme en 1988 et en 1998.

Dans cette perspective, c'est bien une discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Calédonie qui doit se poursuivre. Celle-ci doit bien évidemment s'appuyer sur ce qui a déjà été acté entre certaines parties à Bougival.

La nouvelle formulation trouvée en commission mixte paritaire nous convient mieux. Sachez, madame la ministre, que nous sommes extrêmement sensibles aux évolutions du Gouvernement, notamment au retrait du projet de loi constitutionnelle en l'état, ainsi qu'à vos propos à cette tribune. Ils montrent à l'évidence une volonté de dialogue avec toutes les parties calédoniennes.

Mettons à profit le nouveau délai que nous offre le report des élections provinciales pour trouver les voies et moyens d'un consensus, seule manière d'aboutir à la définition d'un nouveau destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer ce soir n'est pas un texte comme un autre. Elle vise à reporter l'élection des membres du congrès de Nouvelle-Calédonie et des assemblées des trois provinces.

Ce texte est la conséquence directe d'événements d'une gravité exceptionnelle survenus en Nouvelle-Calédonie. Il fait suite tout d'abord à trois référendums lors desquels une majorité d'électeurs s'est prononcée pour rester française, les taux de participation ayant été supérieurs à 80 % en 2018 et en 2020 – le référendum de 2021 s'est déroulé dans les conditions que nous savons. Il fait suite également au démarrage du processus de dégel du corps électoral, prévu depuis longtemps et à un moment qui avait été accepté par tous.

La suite, nous la connaissons : la mobilisation d'une base militante radicalisée conduisant à une insurrection le 13 mai 2024 ; un bilan humain extrêmement lourd, des tués, des blessés ; des dégâts matériels estimés à plus de 2 milliards d'euros ; de graves conséquences pour le quotidien des habitants.

Depuis lors, 10 000 habitants ont quitté la Nouvelle-Calédonie. En 2024, le PIB a reculé de 14 %, 11 000 emplois ont été détruits, les investissements ont baissé de 25 % et les exportations de 40 %. Telles sont, mes chers collègues, les conséquences de l'instabilité et du chaos. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

J'ajoute que certains pays en ont profité pour faire preuve d'ingérence et agir contre les intérêts de la France, sans se préoccuper du sort des habitants de la Nouvelle-Calédonie.

Puis, l'accord de Bougival a été signé au mois de juillet dernier, un moment décrit comme historique et peut-être – nous l'espérons tous – déterminant pour l'avenir. Il s'agit du premier accord signé par l'ensemble des partis calédoniens depuis vingt-sept ans, depuis l'accord de Nouméa.

Cet accord clôt le processus d'autodétermination, après la série des référendums, et offre un cadre institutionnel stable et pérenne. Avec l'inscription d'un État de la Nouvelle-Calédonie dans la Constitution et l'instauration d'une nationalité calédonienne, il constitue une reconnaissance inédite des spécificités du territoire et son histoire.

Contenant une série de dispositions sur la répartition des compétences et sur le corps électoral provincial en vue des prochains scrutins, mais aussi en faveur du développement économique, l'accord vise à apporter des réponses concrètes pour stabiliser la situation et à ouvrir des perspectives pour l'avenir. Personne ne peut se considérer comme perdant, personne ne peut se considérer comme gagnant. C'est certainement le meilleur signe d'un accord équilibré.

Depuis lors, le Front de libération nationale kanak et socialiste, sous la pression – disons les choses – d'une base radicalisée, a décidé de retirer sa signature de l'accord. Toutefois, ce dernier demeure soutenu par une grande partie des acteurs locaux, qu'ils soient non indépendantistes ou indépendantistes. Il va désormais falloir modifier la Constitution et consulter les Calédoniens par référendum. Le chronomètre est lancé !

Avant toute chose, il faut voter ce texte et reporter les élections prévues au 30 novembre 2025. C'est devenu un préalable indispensable. Nous avons le devoir d'agir en responsabilité, d'abord pour éviter le chaos sur place, ensuite pour créer les conditions de la réussite de l'accord de Bougival.

Pourtant, plusieurs d'entre nous l'ont dit, ce texte a fait l'objet d'une tentative d'obstruction totalement irresponsable de la part de députés à l'Assemblée nationale. Conscients de ne pas avoir de majorité sur les bancs de l'hémicycle, les députés d'extrême gauche ont décidé d'empêcher l'examen du texte dans les délais en déposant près de 1 600 amendements. C'est la stratégie du pire, en totale cohérence, me direz-vous, avec leur ligne politique… (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Si cette proposition de loi et le décalage des élections n'étaient pas votés, si la date du 30 novembre était maintenue, que se passerait-il sur place ?

M. Akli Mellouli. Des élections !

M. Pierre-Jean Verzelen. Personne ne peut répondre à cette question, mais nous n'avons pas le droit de prendre en otage l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il est ici question du quotidien de nos compatriotes, de leur sécurité, de la stabilité que la République doit être en mesure de leur apporter.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient pleinement les objectifs de ce texte. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, reporter des élections n'est jamais un acte anodin, a fortiori lorsque cela se produit pour la troisième fois consécutive.

C'est pourtant ce que nous vous proposons de faire pour les élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie en adoptant cette proposition de loi organique, déposée sur le bureau du Sénat le 13 août dernier, soit un mois après l'accord, ou préaccord, de Bougival, par les présidents Darnaud, Canévet, Marseille, Malhuret, Patriat et par la présidente Carrère. Ce texte prévoit de reporter au 28 juin 2026, au plus tard, ces échéances électorales.

Selon le groupe Les Républicains, il y a au moins trois bonnes raisons de voter ce texte, tel qu'il résulte des travaux de la commission mixte paritaire.

La première est que le report des élections doit permettre de donner du temps pour faire vivre l'accord préliminaire de Bougival signé le 12 juillet dernier, pour le compléter, le préciser, voire l'amender, cet accord devant constituer le fondement d'un consensus le plus large possible.

Nous avons bien conscience que cet objectif ne peut être atteint que par des négociations devant aboutir à une adhésion de toutes les parties prenantes, y compris de celles pour qui la signature de l'accord ne valait pas engagement. La voie de passage est étroite, mais cela vaut la peine d'essayer, pour garantir une paix civile durable en Nouvelle-Calédonie et une stabilité institutionnelle.

Les lourdes conséquences économiques, sociales et politiques des émeutes de mai 2024 obligent aujourd'hui à construire un avenir pour l'île et pour tous les peuples calédoniens.

Ce nouveau report des élections doit permettre de donner du temps à la discussion, en dehors de toute pression électorale, pour tenter de trouver le chemin de la transformation institutionnelle prévue par l'accord préliminaire de Bougival.

Bougival est non pas une fin en soi, mais une base solide de négociations pour trouver le consensus auquel aspirent une grande majorité des Calédoniens et des parties prenantes à l'accord.

Cette volonté démocratique est la deuxième raison qui nous pousse à adopter ce texte. En effet, le congrès de Nouvelle-Calédonie a adopté, le 15 septembre dernier, à une très large majorité, une motion en faveur du report des élections. Trente-neuf membres sur cinquante-quatre l'ont votée, soit tous les groupes, sauf l'UC-FLNKS.

L'argument des opposants à ce texte repose sur la nécessité de redonner de la légitimité aux représentants élus. Il est exact qu'un nouveau report allongerait le mandat de ces derniers de vingt-cinq mois. Mais de quelle légitimité parle-t-on quand un cinquième des électeurs ne peuvent voter en raison du gel du corps électoral ? Quelle légitimité y a-t-il si l'organisation de ces élections n'est pas conforme à l'accord trouvé à Bougival ?

Certes, l'équilibre démocratique est fragile, mais la recherche d'un consensus large, base de la concorde civile en Nouvelle-Calédonie, est un enjeu majeur, qui vaut que l'on prenne quelques risques.

Madame la ministre, vous partez en fin de semaine pour la Nouvelle-Calédonie. Nous vous présentons tous nos vœux de réussite dans cette recherche de consensus et dans l'accompagnement des négociations entre toutes les parties prenantes sur place.

La troisième raison pour adopter ce texte est l'urgence. Le calendrier est extrêmement serré, et l'instabilité gouvernementale métropolitaine ajoute de la complexité au processus engagé. En effet, sans report, les élections devraient être organisées au plus tard le 30 novembre, donc les électeurs convoqués le 2 novembre prochain !

Outre les difficultés techniques soulevées par le Haut-Commissariat, une organisation dans des délais aussi restreints risque de mettre à mal le processus démocratique engagé, de scléroser les positions des différents camps et d'altérer les chances de réussite des négociations.

Il y a donc urgence à donner du temps au temps, afin de permettre aux discussions sur la réforme institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie d'aboutir. C'est cet objectif que nous avons accepté d'inscrire dans la proposition de loi organique, sur l'initiative du groupe socialiste, afin de lier clairement ce troisième report des élections à la recherche d'un consensus le plus large possible, sur la base des principes retenus à Bougival.

Ce calendrier contraint oblige, madame la ministre, à maintenir l'engagement de l'État aux côtés des élus de la Nouvelle-Calédonie, pour assurer les conditions du dialogue entre les parties prenantes.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, et parce que nous sommes convaincus que seul le report des élections nous donnera une chance de faire aboutir le processus engagé à Bougival, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Mikaele Kulimoetoke, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Mikaele Kulimoetoke. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite prendre le temps, remonter le fil, pour éclairer ce nous amène ici à entériner un report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie pour la troisième fois.

Je commencerai en citant l'accord de Nouméa de 1998, plus consensuel, qui rappelait dès sa première ligne la prise de possession par la France, le 24 septembre 1853, de la Grande Terre que James Cook avait dénommée Nouvelle-Calédonie. Comme nous le rappelle l'Histoire, l'appropriation d'un territoire déjà habité par son peuple premier – en l'espèce, les Kanaks – est souvent source de manifestations, de rapports de force, de violences, mais aussi de négociations et de recherche d'accord vers un avenir plus apaisé.

Un enchaînement de désaccords a poussé le camp indépendantiste à demander la décolonisation. Ce terme, de nos jours, peut sembler galvaudé ou crispant. Mais, dans cette situation, il dessine un horizon et évoque un moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie.

Permettez-moi de poursuivre : dans ce texte fondateur, il est écrit qu'« il convient d'ouvrir une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l'identité kanake, préalable à la refondation d'un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté ».

C'est une étape essentielle, que le projet d'accord de Bougival avait tenté de reprendre. Cependant, elle demeure difficile à franchir, en raison du délai contraint qui nous a été en quelque sorte imposé.

Je déplore la procédure qui amène le Parlement à se prononcer sur des notions aléatoires telles que le « projet d'accord de Bougival ». Celui-ci ne devrait même plus exister juridiquement, étant donné le retrait de l'un des partenaires. Je vous conseille de vous référer, sur ce point, à l'audition de l'ancien ministre Manuel Valls à l'Assemblée nationale.

Force est de constater que la proposition de loi a été examinée par le Parlement : elle a été adoptée au Sénat, puis à l'Assemblée nationale, et elle a fait l'objet d'une motion de rejet préalable, ce qui a abouti à une commission mixte paritaire conclusive. Je suis tout de même tenté de dire que le parcours de cette proposition de loi a été jusqu'ici semé d'embûches ; cela ressemble purement et simplement à des manœuvres vicieuses et orientées afin de favoriser un camp par rapport à l'autre !

Je vous rappelle, mes chers collègues, que le législateur que nous sommes se doit d'accompagner le dossier calédonien avec bienveillance et neutralité. L'État ne peut pas être juge et partie. Notre rôle est de recueillir le vœu rédigé et exprimé par les Calédoniens et de l'approuver ensuite dans nos hémicycles respectifs, pour l'officialiser en l'inscrivant dans la Constitution et en le faisant figurer au Journal officiel – pas l'inverse.

La situation actuelle, telle que nous la connaissons, arrêtée sur cette commission mixte paritaire conclusive, nous laisse pressentir que nous nous exposons à des difficultés, voire à des tensions, préjudiciables à une mise en place sereine de ces élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie.

C'est pourquoi nous ne devons pas occulter le fruit de notre vote. S'il n'y a pas d'incitation ferme à la reprise du dialogue sur place, nous risquons de voir se détériorer la situation, déjà difficile, de la Nouvelle-Calédonie sur un plan économique, social et dans le domaine de l'emploi.

Il est urgent de replacer le consensus au centre, sans quoi tout accord n'est plus qu'une décision unilatérale. Je considère que nous avons été amenés à légiférer aujourd'hui sur une proposition de loi fondée sur un projet d'accord qui est devenu caduc par la force des choses. Cela nous oblige intellectuellement à nous référer de nouveau à l'accord de Nouméa, qui prévoyait les élections au mois de novembre 2025 – avec le corps électoral actuel, donc.

Pensons avant tout aux Calédoniens, à l'ensemble des Calédoniens ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K.)

Mme la présidente. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique dont la commission mixte paritaire a rédigé ainsi l'intitulé : « proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de cet article, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Aux termes de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 11 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption 298
Contre 39

Le Sénat a adopté définitivement.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie afin de permettre la poursuite de la discussion en vue d'un accord consensuel sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie
 

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 30 octobre 2025 :

(Ordre du jour réservé au groupe CRCE-K)

De dix heures trente à treize heures et de quatorze heures trente à seize heures :

Proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez et plusieurs de leurs collègues (texte n° 221, 2024-2025) ;

Proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, présentée par Mme Cécile Cukierman, MM. Guillaume Gontard, Patrick Kanner, Fabien Gay, Gérard Lahellec, Mme Marianne Margaté et plusieurs de leurs collègues (texte n° 626, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

JEAN-CYRIL MASSERON